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lundi, 16 décembre 2013

2 BALZAC : LES CHOUANS

Balzac n’aime pas la Bretagne : « La place que la Bretagne occupe au centre [sic] de l’Europe la rend beaucoup plus curieuse à observer que ne l’est le Canada. Entouré de lumières dont la bienfaisante chaleur ne l’atteint pas, ce pays ressemble à un charbon glacé qui resterait obscur et noir au sein d’un brillant foyer. Les efforts tentés par quelques grand esprits pour conquérir à la vie sociale et à la prospérité cette belle partie de la France, si riche de trésors ignorés, tout, même les tentatives du gouvernement, meurt au sein de l’immobilité d’une population vouée aux pratiques d’une immémoriale routine ». On trouve ça dans Les Chouans. On n’est pas plus amène, n’est-ce pas. A méditer à la lueur de l’actualité (bonnets rouges, etc.).

Pourtant, son mépris ne peut s'empêcher de se teinter d'admiration : « Une incroyable férocité, un entêtement brutal, mais aussi la foi du serment ; l’absence complète de nos lois, de nos mœurs, de notre habillement, de nos monnaies nouvelles, de notre langage, mais aussi la simplicité patriarcale et d’héroïques vertus s’accordent à rendre les habitants de ces campagnes plus pauvres de combinaisons intellectuelles que ne le sont les Mohicans et les Peaux-Rouges de l’Amérique septentrionale, mais aussi grands, aussi rusés, aussi durs qu’eux ». On peut comprendre l’ancienne double consigne qui figurait autrefois à l’entrée des écoles bretonnes : « Défense de parler breton et de cracher par terre ».

Ce qui peut surprendre, dans Les Chouans, c’est le mépris que l’auteur manifeste pour ces paysans, de vraies brutes au plafond bas, mal dégrossies. Car dans l’Avant-Propos à la Comédie Humaine, voici ce qu’il déclare : « J’écris à la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie, deux nécessités que les événements contemporains proclament, et vers lesquelles tout écrivain de bon sens doit essayer de ramener notre pays ». Il est vrai que c’est écrit en 1842, alors que le livre date de 1829.

Le plus étonnant, c’est que le roman, déjà à ce moment-là, ne ridiculise pas la religion, bien au contraire : il suffit que l’abbé Gudin paraisse pour que les Chouans se taisent et s’agenouillent, même si Balzac assaisonne le curé de remarques peu aimables à l’égard des curés fanatiques qui se mêlent de politique. A l’opposé, il tresse des louanges à l’humble abbé qui, à la fin, est introduit dans la maison de Marie de Verneuil pour la marier au marquis de Montauran. Lui au moins, sans ostentation, se contente de servir humblement et obscurément Dieu et la religion.

Toujours dans l’Avant-Propos, il ajoute cet argument qui devrait nous pousser à réfléchir, nous qui, aujourd’hui, nous contentons d’exister politiquement les jours d’ouverture des bureaux de vote, et d'être contraints au silence le reste du temps : « Sans être l’ennemi de l’Election, principe excellent pour constituer la loi, je repousse l’Election prise comme unique moyen social, et surtout aussi mal organisée qu’elle l’est aujourd’hui, car elle ne représente pas d’imposantes minorités aux idées, aux intérêts desquelles songerait un gouvernement monarchique ». Je suis bien d’accord avec lui : la peste soit de la dictature majoritaire, qui laisse les mains libres au parti vainqueur d’imposer leurs caprices à des masses qui auront tout oublié des avanies ainsi subies quand on leur demandera de voter à nouveau.

Marche-à-Terre est un très beau personnage, décrit comme aussi redoutable qu’insaisissable. Au début, dans le premier affrontement, il ne lui faut qu’un instant pour se soustraire à la vue des soldats, dont il vient de fracasser le crâne des deux qui le surveillent, avec le manche de son fouet. C’est le personnage qui sert de fil rouge à la partie chouanne du récit, toujours aux aguets, toujours aux premières loges pour casser du républicain. C’est même sur lui que se referme le roman : « … et personne ne lui disait rien quoiqu’il eût tué plus de cent personnes ».

Chez les Bleus, la figure qui domine est celle de Hulot, chef de demi-brigade, vieux militaire respecté par ses hommes, féru de discipline et de manœuvres savantes comme on le verra à la fin. Un homme fier aussi, qui brise son épée quand Marie de Verneuil sort de son corset le papier donnant l’ordre de Fouché à tous les républicains de se mettre aux ordres de sa personne : « Je ne sais pas servir où les belles filles commandent ».

Le féminisme n’était pas encore passé par là.

Voilà ce que je dis, moi. 

dimanche, 15 décembre 2013

1 BALZAC : LES CHOUANS

Il y a des chances que Balzac n’ait éprouvé pour la Bretagne et les Bretons que du mépris. Mais un mépris curieusement teinté d’admiration. Dans Les Chouans, le mépris s’exprime dans la description des mœurs, des habitations et de la pauvreté misérable de la région et de ses habitants, qu’il juge à peine civilisés. Il faut lire la description de la cabane de la Barbette, la femme de Galope-Chopine.  

Il écrit ceci : « … et les Chouans sont restés comme un mémorable exemple du danger de remuer les masses peu civilisées d’un pays », et je ne cite pas le pire. Il se moque de leur manie de placer leur fumier au haut bout de leur cour, ce qui a selon lui de fâcheuses conséquences. L’admiration transparaît dans ce que l’auteur dit de l’attitude des chouans dans la bataille.  

 

Mais là encore, il ne peut s’empêcher de voir en ceux-ci des sortes de brigands, dont les motivations sont bassement matérielles, tant ils sont avides de s’emparer de l’or qui passe à portée de leurs mains. Tout ça manque singulièrement de grandeur, et Balzac montre à plaisir, en même temps que leur indéniable courage, la cupidité (et la stupidité de bûche) de ces va-nu-pieds féroces. 

 

En 1829, Balzac n’a pas encore eu l’idée de la future Comédie humaine. C’est après coup qu’il inclut Les Chouans dans son énorme cycle. Pour dire le vrai, ce roman porte un titre tant soit peu trompeur. Je ne l’avais jamais lu. Et pourtant le livre se lit tout seul : pour le coup, c’est un roman d’action, seulement ponctué par quelques instants de contemplation de la nature, et par un fort long, subtil et passionnant duel verbal entre les deux héros.

 

Le titre est trompeur : il aurait pu tout aussi bien s’intituler Les Blancs et les Bleus, ou encore Une tragédie amoureuse. Les Chouans sont une des composantes principales du roman, mais à peu près à égalité avec les soldats républicains (uniforme bleu) envoyés pour les combattre. L’autre composante essentielle est constituée des deux personnages principaux : Mademoiselle de Verneuil et le marquis de Montauran, surnommé par tout le monde « Le Gars ».   

 

La première est envoyée par Fouché pour faire tomber le second en le prenant dans ses filets au moyen de son talent insurpassable de séduction amoureuse. Le second est envoyé par le roi pour soulever la Bretagne, pendant qu’un autre gentilhomme soulève la Vendée. Les deux sont donc en mission politique, quasiment nationale, sauf que ce n’est pas pour le même pouvoir. Tous deux tendent leurs filets, sauf qu’ils ne sont pas du même genre. Et que tous deux vont être pris dans le filet de l’ennemi, à leur corps défendant, et en perdre la vie. 

 

Car Les Chouans raconte d’abord une histoire d’amour dans une région en guerre civile. C'est l’histoire tragique de deux ennemis amoureux l’un de l’autre, l’histoire de deux dons de la vie de soi à la vie de l’autre, l’histoire de deux sacrifices voulus, désirés, consentis d’un jeune homme et d’une jeune fille prêts à tout donner dès lors qu’ils ont la certitude absolue d’avoir trouvé l’élu de leur cœur, l’unique objet qu’ils attendaient pour se dire qu’à défaut, leur vie ne valait pas la peine, et qu’à ce moment-là, autant la gaspiller.

 

Les Chouans, c’est une sorte de « remake » étendu à la nation française d’alors de l’immortelle discorde véronaise entre Capulet et Montagu, à la différence que, dans ce combat politique impitoyable, Marie et Le Gars, s’ils ont le coup de foudre chacun de son côté, sont retenus par la méfiance : la Bretagne d’alors est un terrain dangereux, où tout le monde ignore d’où le coup de fusil mortel peut partir.

 

A cet égard, les moments où Balzac nous fait ressentir les heures d’affres du doute et de la défiance éprouvés par les amoureux sont des chefs d’œuvre où s’expose et se surmonte peu à peu leur résistance à leur désir spontané, immédiat et total de confiance de l’un à l’autre.

 

Chez les Chouans, les figures les plus travaillées sont au premier chef celle de Marche-à-Terre, et juste derrière lui, celles de Pille-Miche et de Galope-Chopine. Ce dernier se verra la tête coupée par les deux autres au motif que sa femme Barbette a renseigné Mademoiselle de Verneuil, ce qu’ils considèrent comme une trahison. Du coup, d’ailleurs, la Barbette se vengera en trahissant carrément la cause auprès des Bleus.

 

C’est bien fait pour les Chouans.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 24 octobre 2012

BALZAC 2

Pensée du jour : « Quand Mannekenpis, Karachi ».

 

PROVERBE UZVARECHE

 

Variante uzvaro-bachkir : « Quand Saint-Sulpice, Mammamouchi ».

 

 

Ce qui hallucine aussi, dans la biographie de BALZAC (par exemple celle d’ANDRÉ MAUROIS, Prométhée ou la vie de Balzac, Hachette, 1965), c’est son énorme capacité à graver dans son disque dur, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un décor des rives du Cher (Le Lys dans la vallée), les coulisses de la vie bourgeoise dans la ville d’Issoudun (La Rabouilleuse), les aléas industriels d’une imprimerie à Angoulême (David Séchard dans les Illusions), bref : une multitude de décors, de situations et de personnages qui lui farcissent la tête, comme autant de tiroirs qu'il n'aura qu'à ouvrir pour les en tirer pour rendre les mouvements de la vie dans ses livres.

 

Il porte en lui toute une société, dans sa diversité et sa multiplicité. C'est lui qui le dit. Et il faut le croire : les preuves sont là. Même si l'universitaire PIERRE BARBÉRIS (Le Monde de Balzac, Arthaud, 1973) relativise l'expression "toute une société". Il montre (démontre) que BALZAC s'intéresse tout particulièrement à l'aristocratie et à la bourgeoisie, ce qui fait déjà pas mal de monde. Il montre aussi que le peuple (le petit) est à peu près absent de La Comédie humaine. Moi, si je dis qu'il fallait bien laisser des sujets à EMILE ZOLA, vous serez d'accord avec moi, non ? 

 

Ce qui fascine par ailleurs, c’est que, mort à l’âge de 51 ans, il a eu moins de 20 ans pour écrire toute son œuvre : il a trente ans quand il publie Les Chouans, son premier « grand livre ». Il en a 48 quand il publie les derniers, La Cousine Bette, Le Cousin Pons, Le Député d’Arcis (inachevé). Ne parlons pas des innombrables lettres écrites quotidiennement. 

 

Mais c’est un travailleur prodigieux. Il épuise rapidement ceux qui se hasardent à lui servir de secrétaires. Aucun de ceux qu’il aura embauchés (dont JULES SANDEAU, un temps compagnon d’AURORE DUDEVANT, dite GEORGE SAND) ne résista longtemps au rythme inhumain que lui faisait subir BALZAC, qui se faisait réveiller à minuit pour travailler les 18 heures que la veille lui laissait. Pas tous les jours, j’imagine. Ce qui explique sans doute quelque peu sa fin précoce, compte non tenu des quantités astronomiques de café qu’il eu le temps d’absorber. 

 

Mais quand on regarde la vie de BALZAC, tout, absolument tout est étonnant. Lui qui n’est pas beau, à proprement parler, avec son corps rond et son nez bizarre, a eu toute sa vie l’art de mettre dans sa poche, puis dans son lit, les femmes qui lui plaisaient. 

 

A commencer par LAURE DE BERNY, respectable mère de famille de vingt-deux ans son aînée, et qui finit par céder à ses ardeurs. Bien lui en a pris : elle se révèlera une conseillère hors-pair dans le travail et la maturation de l’écrivain. Pas la peine de compter ses conquêtes féminines. Bon, c’est vrai qu’avec la duchesse de CASTRIES, il est tombé sur un bec : il ne faut pas exagérer. 

 

Après BALZAC et les femmes, BALZAC et l’argent. Ce qu’il désirait le plus âprement, c’était de faire fortune. Malheureusement, il n’avait pas la bosse des affaires, c’est le moins qu’on puisse dire. S’agit-il d’investir dans une imprimerie ? Banco. Mais comme il n’a jamais un sou devant lui, il emprunte. Quand l’entreprise se casse la figure, il a deux fois des dettes. S’agit-il d’investir dans des mines d’argent en Sardaigne ? Quand il s’avise de donner suite, c’est trop tard. Des actions dans les chemins de fer du Nord ? Elles baissent inexorablement. 

 

C’est sûr qu’en imagination, il a bâti des fortunes pharaoniques. A l’arrivée, les dettes s’accumulent. Il a les créanciers aux trousses. Il loue même (je crois que c’est à Passy) une maison qui s’ouvre sur deux rues différentes, au cas où. Et il n’est pas impossible que, s’il a écrit pour le théâtre (six pièces au total), c’est dans la perspective de se refaire un compte en banque présentable (il paraît que ce n’était pas faux). 

 

Ce qui est sûr, c’est que BALZAC a gagné des fortunes. Mais un vrai paquet de fric, tel qu’on n’en a pas idée. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait pu devenir riche, au sens où on l’entendait dans la classe à laquelle il appartenait, et plus encore dans celle à laquelle il voulait accéder. Et le pathétique, dans la vie de BALZAC, il se situe, à mon sentiment, exactement là. 

 

Parce que son problème, c’est quand même qu’il a laissé à son épouse polonaise des ardoises à foison, qu’elle semble avoir réglées (sur sa fortune personnelle) jusqu’au dernier centime. Mais le raisonnement de l’auteur se tenait. Il se disait : j’ai besoin des capitaux d’untel et untel. Je vais les convier à un repas pour en discuter. Si je veux leur donner envie d’investir, je ne peux pas faire le pingre. Soyons royal ! Et BALZAC, en cette matière, fut toujours royal. Mais jamais sur fonds propres. Toujours à crédit. 

 

Parce que l’un des mystères les plus hermétiques de la vie de BALZAC est là : plus le temps a passé, plus la vitesse s’est accélérée, et plus les dettes se sont accumulées. Quelle énigme, quand même ! C’est sûr que, s’agissant du luxe, il n’a jamais lésiné. Et il en connaissait un rayon, le bougre. Il se faisait faire des cannes à pommeau incrusté de pierreries, au point qu’il était connu pour ça dans les gazettes. 

 

Et le luxe, il voulait vivre dedans. Meubles, tableaux, tentures, tapis, vases précieux, rien n’avait de secret pour lui. Et tout ce qui coûtait le plus cher était bon. Il acheta même chez un antiquaire une commode ayant appartenu à MARIE DE MEDICIS. Peut-être l’a-t-il cru. Il achetait donc, à tout va, avant d’avoir l’argent pour payer. Ce qui renvoyait après tout à un chapitre de RABELAIS, auteur qu’il affectionnait particulièrement : « Eloge des debteurs et emprunteurs ». 

 

Et comment payait-il ses dettes ? En PISSANT DE LA COPIE. Aussi net et aussi brutal que ça. Je n’y peux rien. La Comédie humaine ? C’est tombé de la plume d’un tâcheron qui était obligé de pisser de la copie pour payer ses dettes. Surtout que plusieurs de ses bouquins, selon les mœurs du temps, lui furent achetés avant qu’ils fussent écrits. BALZAC, qu’on se le dise, est un homme du projet. Un homme qui se projette sans cesse dans le futur. Un futur forcément radieux et reposé. Mais HONORÉ DE BALZAC, qu’on se le dise, ne s’est jamais reposé.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.