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mardi, 06 novembre 2012

VOUS AVEZ DIT BIOGRAPHIE ? (2)

Pensée du jour : « La forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel ».

 

CHARLES BAUDELAIRE

 

 

La dernière biographie que j’ai lue, vous ne devinerez jamais (j'ajouteROUDINESCO LACAN.jpg que je suis aussi surpris que vous), c’est celle de JACQUES LACAN par ELISABETH ROUDINESCO. Le sous-titre ? Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée. C’est paru aux éditions Fayard en 1993, ça fait 569 pages à lire. Ajoutez 150 pages de notes diverses, et vous avez à l’arrivée un livre de 1096 grammes. Pas un gramme de moins.

 

 

Parenthèse. Je préviens juste que j'y viendrai, au bouquin, mais pas tout de suite. Entre l'intention et la réalisation, quelques interpolations ont eu le goût, le talent et l'art de se glisser. Cela viendra donc, après quelques méandres, auxquels j'avoue que je me livre paresseusement et même voluptueusement.

 

 

Je reprends le paragraphe initial : un bon kilo de papier imprimé, c’est pour vous dire si ça vise haut. Et pour tout dire, il vaut mieux endosser une légère armure de concepts pour affronter les aspects théoriques du bouquin (« système de pensée »). Je l’avais acheté à parution. Je viens de le lire. Comme quoi, un livre oublié dans une bibliothèque ne doit jamais perdre l’espoir d’être lu un jour. Comme disait un certain NICOLAS S. : « Ensemble, tout devient possible ».

 

 

Autant vous dire que, vu ma formation rudimentaire en philosophie et en psychanalyse, je n’étais pas le mieux armé pour attaquer l’escalade. Enfin, disons que j’ai quelques notions. Acquises en autodidacte, ou « presque ». Et davantage à titre, disons, de curiosité intellectuelle que par adhésion à une grille de lecture propre à la psychanalyse ou à la philosophie.

 

 

J’avoue que mon bagage « technique » est mince, et j’ai toujours lu les ouvrages des psychanalystes et des philosophes comme des œuvres littéraires. C’est une méthode que je conseille à tout le monde, parce que très pratique pour éliminer d’entrée de jeu du champ de vision tout ce que je qualifierai d’ « illisible », c’est-à-dire les (nombreux) auteurs qui se soucient moins du lecteur et de la qualité de la langue française que d’exactitude technique.

 

 

Ceux-ci choisissent la pureté de la doctrine, au détriment du partage de leur savoir avec autrui. Je range dans cette catégorie l’Anthropologie philosophique, d’un nommé BERNARD GROETHUYSEN, sûrement un ponte vénéré chez les siens, mais véritable oursin inassimilable pour le gosier du « vulgum pecus » auquel j’appartiens.

 

 

Je ne parle pas des ouvrages de « sciences dures » (physique, chimie, etc.), mais de ces sciences qu'on appelle « humaines » : je suis, encore aujourd’hui, convaincu que le spécialiste, dans ces dernières, est en mesure, s’il y consent et s'il fait l'effort, d’exprimer son savoir en utilisant « les mots de la tribu ». Mais enfin, je peux dire que j’ai quant à moi fait l’effort de m’approcher de la chose d’un peu plus près que le premier abord.

 

 

Dans ceux (souvent d’un savantisme qui me dépasse de très loin) qui écrivent des sciences humaines, je fais un départ étanche entre ceux qui écrivent pour l’homme et ceux qui s’en servent. « Au service de » est pour moi le contraire de « se servir de ». L’humaniste est le contraire de l’arriviste.

 

 

Dans le « presque » ci-dessus, en effet, j’englobe les deux « séminaires » de DENIS VASSE auxquels j’ai participé, dans le cadre des activités du Centre Thomas More (couvent de la Tourette, à Eveux, vous savez, ce quadrilatère de béton élevé par l’athée LE CORBUSIER pour les Dominicains) : cela s’appelait « Violence et dérision » et « Le poids du réel, la souffrance ».

CORBUSIER.jpg

 

Je m’étais inscrit au premier « séminaire » sans rien connaître de monsieur VASSE, après l’avoir vu annoncé sur une porte vitrée, lors d’une promenade dans le vaste et remarquable parc qui entoure le couvent. Et mon travail de l’époque (sur ALFRED JARRY) avait quelque chose à voir avec la dérision.

 

 

Autant dire tout de suite qu’il y avait maldonne et que le séminaire de DENIS VASSE ne m’a jamais permis d’avancer dans mon travail.  Des moments forts, c’est certain, vécus avec une distance impossible à combler, faute d’une expérience vécue de la chose psychanalytique.

 

 

C’est d’ailleurs dans le même esprit que j’ai lu, du même DENIS VASSE, un livre tout à fait merveilleux, bien que je n’en aie compris qu’une partie bien modeste, si ce n’est pas infime : L’Ombilic et la voix(Le Seuil, 1974, 218 pages à lire). Un livre techniquement difficile, c’est sûr, mais un récit impressionnant de la cure effectuée par deux enfants psychotiques (en particulier le petit « Hector ») auprès du psychanalyste.

VASSE 3 HECTOR 1.jpg

"HECTOR", DESSIN N°1

LE CHAOS, QUOI 

 

On lit, en alternance, les dialogues entre « Hector » et le spécialiste, puis l’exposé des données techniques et théoriques auxquelles celui-ci se réfère. Ce à quoi j’ai été sensible et attentif, c’est – et je garantis que c’est vrai – qu’on voit le gamin changer, s’ouvrir et devenir humain, comme le montre la distance abyssale qui sépare le dessin n°1 du n°44 (et dernier) du gamin, reproduits en suppléments photo à la suite du texte.

VASSE 4 HECTOR 44.jpg

"HECTOR", DESSIN N°44

LA JOIE, VOUS AVEZ DIT ? 

 

Il y a, dans la succession de ces dessins, comme l’histoire de quelque chose qui se déplie difficilement, comme une porte qu’on voit progressivement s’ouvrir, poussée de l’intérieur. J’ai lu ce livre comme un roman, où il serait question d’une naissance, avec des péripéties, des rebondissements, des stases, des crises. Très beau et très fort. Ça va bien au-delà de l’aride technique de la psychanalyse. C’est pour ça que j’en conseille la lecture à tout le monde. Sans ça, vous pensez bien que je ne serais pas arrivé au bout. Mais moi, du moment que c’est de la littérature …

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

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