mardi, 10 janvier 2017
LA GAUCHE COSMÉTIQUE 2
2/3 – Le progrès sociétal.
Alors en quoi au juste consiste-t-il, ce « progrès sociétal » ? Une fois admise par les autoproclamés « ennemis de la finance » la primauté de l’argent comme valeur, une fois qu’on s’est délesté de la lourde et fastidieuse tâche de travailler à améliorer les conditions de la vie réelle des hommes, qu’est-ce qui reste à changer, qui puisse passer pour un « progrès » ? Eh bien puisqu’on a renoncé à changer les choses, peut-être pourrait-on proposer aux gens de changer les signes des choses, qu’est-ce que vous en dites, les gars ?
Moins risqué, plus facile à manier, ça aura l’avantage de faire un beau rideau de fumée qui masquera toutes les régressions et dégradations que ceux d’en face ont bien l’intention de faire subir à la réalité. Entre parenthèses, la conversion de la petite gauche à l'univers des signes plutôt qu'à celui des choses concrètes lui a permis de tourner carrément le dos à cette réalité dégradée et dégradante, lorsque l'économie financiarisée a trouvé plus juteux de vendre l'industrie française à la Chine et à quelques autres pour accroître les profits en faisant passer les salaires des travailleurs de la colonne "investissements" à la colonne "coûts".
C'était quoi le raisonnement de la gauche-croupion ? En substance : on va délaisser l’action sur les choses. Place au discours sur les choses. Par exemple les « conquêtes sociales », on commencera par les renommer « avantages acquis » et, après maturation, on dira « privilèges ». Nous allons devenir une gauche de langage, une gauche de symboles, une gauche de l’abstraction républicaine. La grande euphémisation à laquelle nous allons procéder permettra de présenter les nécessaires mesures prises pour adapter l'économie à la compétition mondiale sous un jour plus souriant : un « licenciement collectif » deviendra un « plan social ». Si ça ne suffit pas, on ira jusqu'au « plan de restructuration ». La pilule amère paraîtra douce. Et d'autant plus douce qu'elle apparaîtra nécessaire.
Une gauche ainsi débarrassée du réel, et ne s’occupant plus de lui mais exclusivement de ses représentations. Une gauche enfin débarrassée de la classe ouvrière, comme le recommandait la fondation Terra Nova affiliée au Parti Socialiste. C’est ainsi que huit millions de pauvres dans la France d’aujourd’hui ne constituent plus un scandale dans sa doctrine, mais une « dure réalité ».
Si la gauche n’avait pas opéré ce retournement, elle aurait d'ailleurs très vite cessé de gouverner. On a vu Mitterrand se convertir, peu après 1981 (1983). On appelle ça le « tournant de la rigueur » (vous savez, TINA : « There Is No Alternative »). Il faut dire que la droite, quasiment putschiste dès le 11 mai 81 (« Maman, il m’a volé le pouvoir ! », pleurait Giscard qui, en quittant l’Elysée, l’avait vidé pour se venger de tout ce qui aurait pu être utile à son successeur : bravo pour le "sens de l'Etat" !), après un pilonnage en règle à l’artillerie lourde contre la légitimité républicaine de l'élection de Mitterrand, – la droite a eu la peau du programme, qui était en fait une liste un peu naïve d’idéaux et de cadeaux, limite clientélisme (c'est qu'il y avait les promesses des « 110 propositions »), plaqués sur une réalité pathologiquement rétive à la redistribution des richesses. La « revanche » du peuple a tourné court.
Cette gauche « de gouvernement » (c’est-à-dire « consciente des réalités économiques ») a dès lors pu claironner qu’elle « s’engageait dans la voie des réformes ». Oh attention, pas n’importe lesquelles : le clan ultralibéral a fait en sorte qu’elles aillent pour beaucoup dans le sens de l’ultralibéralisation de l’économie. Par exemple, Jospin a participé activement au dépouillement de l’Etat, en privatisant davantage en cinq ans que Balladur et Villepin réunis (quoique le coup des autoroutes soit dû à ce dernier, vous savez, ce coup qui a instauré le racket officiel sur les automobilistes). La « loi Travail », qui a permis à Hollande et Valls d’exprimer tout leur mépris pour la fonction parlementaire, étant la dernière en date des preuves de bonne volonté des « socialistes » à l’égard du capital.
En échange, la « gauche » symbolique a eu les mains (presque) libres pour agir à sa guise dans le bazar des symboles, c’est-à-dire pour mener à bien son programme de réformes sociétales, celles qui répondaient à des revendications issues de segments de la société qui se plaignaient d’être « injustement méprisés, marginalisés, stigmatisés ». Pour cela, elle a commencé par reléguer dans un grenier soigneusement verrouillé (dont elle s'est dépêchée de perdre la clé) tout le travail sur l'amélioration des conditions de vie concrètes du plus grand nombre, et s'est mise à brandir un imparable et tout-puissant « sésame ouvre-toi ! » en la personne morale nommée « Egalité », qu’elle a mise à toutes les sauces, et envoyée au feu pour faire taire les voix venues d’autres segments, ceux où l’on n’était pas d’accord. On est passé de la lutte dans la réalité à la lutte "morale".
La gauche esthétique et symbolique a été assez habile et manipulatrice pour ériger l’ « Egalité » en idéologie, en évidence tellement indiscutable qu’elle n’est discutée par personne, sauf des négateurs et mauvais coucheurs, forcément de mauvaise foi, mais qu’il sera heureusement facile de renvoyer dans les ténèbres, en leur taillant le costume infamant du « réactionnaire », du « rétrograde », du « facho », du « macho », du « raciste » suivant le contexte (autres étiquettes disponibles : se renseigner en magasin).
Abandonnant la lutte pour une plus juste redistribution des richesses, désertant le champ de bataille de la lutte pour de meilleures conditions de la vie matérielle, fuyant à toutes jambes la problématique de la lutte contre les inégalités économiques, la gauche cosmétique a fait la prouesse de mettre le mot "égalité" au pluriel, et assuré la promotion d' « égalités » particulières, en compartimentant la société et en laissant plusieurs « Minorités » (avec majuscule de majesté) venir sur le devant de la scène et se présenter en « victimes » méritant « réparation ».
Avec pour effet secondaire de dresser les Français les uns contre les autres, comme on a pu le voir à plusieurs reprises au cours du quinquennat qui s'achève (l' « ABCD de l'égalité» de madame Vallaud-Belkacem, « mariage des homosexuels » de madame Taubira, « parité obligatoire homme-femme » aux élections, qui a joué aux femmes le bon tour de les obliger à se porter candidates). Ces « égalités particulières » qui escamotaient miraculeusement la lutte contre les inégalités sont donc à la base de mesures opérant des choix de société forcément « progressistes et émancipateurs ».
Cette gauche moralisatrice, cette gauche artificielle, cette gauche aux mains coupées, cette gauche bavarde, discoureuse, bla-blateuse, réduite aux paroles verbales, et dont les seules actions consistent à chambouler l'ordre symbolique, cette gauche est juste une infamie.
Sauf que ce n'est pas une gauche.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : parti socialiste, progrès social, françois mitterrand, classe ouvrière, fondation terra nova, élection présidentielle, palais de l'élysée, valéry giscard d'estaing, 10 mai 1981, union de la gauche, programme commun, gauche de gouvernement, ultralibéralisme, néolibéralisme, françois hollande, manuel valls, édouard balladur, dominique de villepin, france, société, politique, loi travail, myriam el khomri, égalitarisme, abcd de l'égalité, mariage homosexuel, najat vallaud-belkacem, christiane taubira, parité
samedi, 25 mai 2013
QU'EST-CE QU'UN SOCIALISTE ?
45ème ANNIVERSAIRE
PHOTO PRISE AU MATIN DU 25 MAI 1968, SUR LE PONT LAFAYETTE, AU LENDEMAIN D'UNE EMEUTE OÙ LE COMMISSAIRE LACROIX (†) EUT LE TORT DE VOULOIR ARRÊTER UN CAMION BERLIET, SUR L'ACCELERATEUR DUQUEL UN PAVÉ AVAIT ÉTÉ POSÉ.
MONSIEUR RATTON ET MONSIEUR MÜNCH FURENT FINALEMENT INNOCENTÉS DU FORFAIT. MONSIEUR RATTON DEVINT PLUS TARD GARDIEN D'IMMEUBLE DANS LA RIANTE CITÉ DE FRANCHEVILLE, OÙ SON FILS MANIFESTA UN TOTAL RESPECT ENVERS PC, LA GRANDE SOEUR QUI AVAIT PRIS CRÂNEMENT CONTRE LUI LA DEFENSE DE SON JEUNE FRÈRE. MONSIEUR RATTON FUMAIT DIX FOIS TROP. ÇA NE LUI A PAS PORTÉ CHANCE.
(Comme quoi, on ne choisit pas forcément l'histoire dans laquelle on figure.)
***
Il n’y a donc plus de gauche en France. Y en a-t-il d’ailleurs jamais eu ? J’en doute à présent. J’en suis venu à me demander si le « progressisme » n’a pas joué, historiquement, le rôle de miroir aux alouettes. Le miroir aux alouettes, je sais ce que c’est, au premier degré : mon père m’emmenait à la chasse. Cela devait être aux alentours du printemps.
Il commençait par planter solidement la chose dans le sol. Moi, j’étais chargé de faire tourner l’engin sur son axe, grâce à la ficelle qu’il s’agissait de tirer une fois tapis au creux d’un buisson, pour que le bois garni de petits miroirs tournât sur lui-même pour attirer les oiseaux, puis retour. Les oiseaux, attirés par les éclats de lumière, tombaient, d’abord dans l’herbe, ensuite dans l’assiette. Délectable.
Le progressisme, cette espérance de gauche plantée par quelques visionnaires sincères et par beaucoup de gourous cyniques dans le cœur des populations ouvrières (la « gauche » avec ses « bataillons » et ses « luttes »), cette espérance dans des lendemains qui chantent, cette croyance dans l’avènement d’un monde meilleur, comment se fait-il qu’il ait débouché sur un siècle – le 20ème – qui est celui des catastrophes de masse (des catastrophes tout sauf naturelles) ?
Le progressisme de gauche, aujourd’hui, où se cache-t-il ? Introuvable, parti sans laisser d’adresse. Ah si, Google va lancer « Glass », des lunettes électroniques avec écran incorporé au-dessus de l’œil droit, que ça prouve que l’humanité n’en a pas fini avec les révolutions. Sauf que ça n’a plus rien à voir avec la « Sociale », pour utiliser le vocabulaire périmé des Communards. Mais « Google Glass » n’est pas de gauche. Est-il de droite ? Mais est-ce pour autant totalement neutre, comme nous en rebattent les oreilles tous les thuriféraires de la moindre innovation technique (avec leur rengaine : « Tout dépend de l'usage qui en est fait », rengaine qui devrait depuis longtemps ne plus tromper personne) ?
Qui pense encore, aujourd’hui, que l’humanité s’achemine benoîtement vers son avenir radieux ? Ah si, pour ce qui est du confort matériel, on peut compter sur les « pays émergents » et autres « BRICS » pour faire exploser les compteurs du « bien-être » : après tout, tout le monde a le "droit" de vivre « à l’américaine ». Quelles que soient les conséquences.
Mais en dehors de ce bonheur désespérément concret et mesurable, dites-moi, où en est-on avec le progressisme ? En panne au milieu de l’autoroute autrefois nommée le PROGRÈS. Tout ce qu’on voit, c’est, d’un côté, l’appétit de milliards de gens pressés d’adopter le décor à l’occidentale et le mode de vie qui va avec ; de l’autre, des populations encore riches, certes, mais assiégées par les fléaux de l’appauvrissement ou de l’immigration. Où est-elle, la société future ? Où est-il, l'avenir radieux ? Aux oubliettes.
Qui ose même encore l’envisager, la société future ? Quel responsable politique oserait formuler et proposer d’aller vers le mieux ? C’est sûr que si l’on se réfère aux utopies du 19ème siècle, il est préférable de ne pas rêver, quand on voit les aberrations qu’elles ont produites. Mais en même temps, qu’est-ce que c’est, une société sans « désir d’avenir » (comme le clame le grotesque et menteur slogan en mie de pain de la bouffonne Ségolène Royal) ? Une société sans perspectives ?
C’est une société qui rêve à la rigueur à sa splendeur passée, et qui se cramponne à ses « acquis ». Et qui a peur, prise dans la sévère compétition. "Compétition", qu'on se le dise, est l'autre mot pour dire "guerre". Aujourd'hui, la mode est à la guerre aux peuples. Regardez à l’œuvre en occident tous les détricoteurs des « privilèges », tous les déconstructeurs des structures mêmes qui étaient celles de la France, au nom de l’Europe et de sa damnée, exécrable et haïssable « concurrence libre et non faussée ». Et je ne parle pas de la Grèce.
Nicolas Sarkozy y est allé a fond, avec sa RGPP (éducation, police, armée, …), sa carte judiciaire, sa loi HPST (hôpitaux publics). Les rondeurs suaves et « hollandaises » de François H. ont mis du sucre et du miel pour faire passer l’amertume des pilules (j'aurais pu être plus grossier), mais n’ont rien changé à l’entreprise de démolition.
Et on se demande comment certains pensent encore pouvoir faire la différence entre leur droite et leur gauche, simplement parce que des gens qui se disent de gauche font des réformes qui touchent les mœurs (superstructures, l'univers des mots et des représentations), mais qui se gardent bien de porter atteinte à l’intérêt des structures (infrastructures, l'univers de la réalité, de qui possède les moyens de production) que mettent en place les déconstructeurs (destructeurs), à marche forcée, sous nos yeux.
Si François Hollande, comme il le prétend, veut à présent « moraliser le capitalisme », « lutter contre les paradis fiscaux » et autres babioles programmatiques, il faudrait d’abord qu’il paie des droits d’auteur à son prédécesseur (c’est Nicolas Sarkozy qui voulait « moraliser »). Il faudrait ensuite qu’il en ait la force et qu’il s’en donne les moyens. Il faudrait enfin qu’il avoue qu’il n’est aucunement dans ses intentions de modifier quoi que ce soit aux structures du « monde comme il va ». François Hollande est un approuveur du monde comme il va.
Ceux qui pensent qu’il est possible de réaliser ce programme devraient jeter un œil sur les terrifiants travaux du magistrat Jean de Maillard. Je leur recommande en particulier Les Beaux jours du crime. Vers une société criminelle, Un Monde sans loi et L’Arnaque : la finance au-dessus des lois et des règles. Mais je les préviens que ça risque de leur doucher l’enthousiasme.
Dire qu’il reste des gens qui prétendent « penser notre monde », et qui baignent envers et contre tout dans le jus sirupeux d’un optimisme inentamable ! Ecoutez Gilles Lipovetsky développer les idées qu’il expose dans sa dernière soupe intellectuelle : L’Esthétisation du monde : vivre à l’ère du capitalisme artiste. On croit rêver. Ou alors on n’est pas sur la même planète : « le capitalisme artiste », a-t-on idée !!!
Ecoutez Michel Serres s’émerveiller, dans Petite Poucette, des derniers « progrès » technologiques qui permettent aux jeunes de développer des virtuosités manuelles impossibles aux aînés. Il s’extasie quand il voit le pouce de cette jeune fille faire des phrases (?) à toute vitesse sur le clavier de son portable !
JE NE GARANTIS PAS QUE CE SOIT LE PORTRAIT DE GILLES LIPOVETSKY, NI DE MICHEL SERRES
Chez les santons, on appelle ça le « ravi ». Dans les campagnes, autrefois, on appelait ça « l’idiot du village ». A moins que ce ne soit lui, le dernier exemplaire recensé de « Crétin des Alpes ». Mais je suis injuste : peut-être a-t-on à faire à une variante moderne de ce qu'on appelait dans les anciens temps un « imbécile heureux». On ne pense pas assez à l' « imbécile heureux ».
UNE VARIANTE TOURNESOLESQUE DU CRÉTIN DES ALPES
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mai 1958, 24 mai 1968, émeute, commissaire lacroix, politique, gauche droite, partis politiques, parti socialiste, ps, ump, miroir aux alouettes, progressistes, classe ouvrière, google glass, le progrès, françois hollande, ségolène royal, nicolas sarkozy, europe, grèce, rgpp, loi hpst, jean de maillard, gilles lipovetsky, michel serres, petite poucette, capitaine haddock, professeur tournesol
vendredi, 02 novembre 2012
LA MALADIE DE LA CURIOSITE (fin)
Pensée du jour : « L'amour-propre ne le reste jamais longtemps ».
MARTIN VEYRON
Le dernier point qui me semble important, et peut-être celui que je trouve le plus grave pour l’idée que nous nous faisions (j’insiste sur l’imparfait) de la démocratie, c’est que, parmi les sciences humaines, il y en a deux qui se sont retournées contre l’homme comme des boomerangs. Ce sont la psychologie et la sociologie.
Dit autrement : l’étude du secret des motivations humaines (« psychologie ») et les statistiques (« sociologie quantitative ») destinées à quantifier les comportements des masses, qu'elles traduisent sous forme de moyennes. Or, dès qu'on vous parle de moyenne, dites-vous qu'on ne parle plus de vous comme individu, mais comme une simple quantité prise dans une quantité plus grande.
Les statistiques ne veulent pas des individus : elles veulent des nombres, des taux, des moyennes, des virgules, des pourcentages. Ce sont des outils de GESTION. C'est de la comptabilité appliquée à la vie collective (sociale, politique, économique, sexuelle). C'est sûr : l'individu est ENCADRÉ. Quel moyen pour lui, dans un tel monde, de ne pas être comptabilisé dans une case du questionnaire ? D'échapper à la statistique ? De ne pas être jaugé par rapport à une moyenne ?
Aujourd'hui, les mouvements de la société sont réglés, gérés et gouvernés par la quantité. Sans l'action bien coordonnée d'une multiplicité d'acteurs, pas de réorientation du corps social : pas de loi punissant le négationnisme de l'extermination des juifs et des tsiganes (les tsiganes, dont on oublie trop souvent les 500.000 morts sous le règne des nazis, mais c'est que les tsiganes ne forment pas un groupe de pression crédible) ; pas de mariage homosexuel ; pas de délit d'incitation à la haine raciale. Pas de punissoir légal généralisé contre la liberté d'expression.
D’un côté, par la psychologie, on extrait ce qu’il y a dans l'âme de l’individu (enquête d’opinion, sondage, enquête de motivation, que pensez-vous de … ?). De l’autre, par la statistique et la toute-puissante moyenne, on étudie ce qu’on peut tirer des foules (vous êtes 35 % à apporter votre soutien de FRANÇOIS HOLLANDE, vous êtes pris dans 600 kilomètres de bouchons, vous êtes 63 % à être favorables au mariage homosexuel, …, sous-entendu, c'est normal, soyez sans inquiétude, on s'occupe de tout, l'ordre statistique règne).
D’une part, vous avez l’individu réduit à une infime parcelle de lui-même (une seule motivation). D’autre part, vous avez l’individu perdu dans la foule, c’est-à-dire réduit au millionième qu’il représente en quantité dans la masse des gens. Quel tableau ! De l’infiniment petit de soi-même pris dans la foule, à l’infiniment petit de soi-même ratatiné dans une de ses parcelles infimes, l’époque actuelle fait comme les Jivaros : elle réduit les têtes. Que vous preniez la sexualité, les yaourts, les opinions politiques, vous aboutissez à cela : l’individu quantitatif réduit à un « combien » virgule « quelque chose ». Noyé dans la masse.
En dehors de venir en aide aux victimes d’accident, de catastrophe ou d’attentat (vous savez : « Une cellule psychologique d'urgence a été mise en place »), à quoi sert en effet la psychologie, de nos jours ? Je vais vous le dire : à sans cesse améliorer le fonctionnement de la machine sociale. Le psychologue veille à apaiser les dissonances qu’entraîne forcément la brutalité des conditions faites à la vie des individus par le système qui est le nôtre (résumé dans l'usage tous azimuts du mot à tout faire mis à toutes les sauces : « Stress ; stressant ; stressé ; se déstresser »).
A fournir aux individus plus ou moins écrasés des arguments de satisfaction pour compenser les frustrations constantes que le système leur fait subir, pour éviter qu'ils n'explosent. En somme, à les réinsérer dans les circuits sociaux (travail, sentiments, amour, famille : regardez dans les librairies la taille du rayon "développement personnel"). A essayer de les convaincre que, oui, ce qu'ils vivent, ce qu'ils font, tout ça a décidément un sens. Et qu'ils ont raison de continuer. Exaltant et pathétique. Le mot d'ordre du psychologue, c'est, une fois pour toute : « Désamorcer la révolte. Prévenir tout risque de subversion ou de révolution ». Une armée au service de l'ordre. Une armée de service d'ordre.
La « science » psychologique n'est plus seulement un instrument de connaissance. Elle est devenue un indispensable lubrifiant pour que les rouages sociaux tournent sans se « gripper ». La psychologie est désormais une excellente MACHINE A ADAPTER. Autrement dit un instrument de contrôle social.
Et cette société, qui ne cesse de se subvertir elle-même, est une machine à fabriquer du psychologue comme on fait de la saucisse. De même que l’obsolescence programmée des voitures sert à faire vivre les garagistes, le « mal-être » des individus sert de garde-manger et de vouloir-vivre aux psychologues (il m'arrive de m'étonner de certaines de mes propres phrases ; c'est d'ailleurs un peu pour ça que j'écris).
Accessoirement, on pourrait ajouter que la psychologie s’est révélée un redoutable instrument pour débusquer les motivations secrètes des gens pour les retourner en autant d’arguments de vente de marchandises. On appelle ça la publicité. La propagande, si vous voulez. Le bourrage de crâne. La manipulation mentale. Enfin, pas mal de choses.
Mais pendant que la psychologie remet l’individu dans le circuit normal, la sociologie ne reste pas inactive. Sans exagérer outre-mesure (je ne voudrais pas « exagérer d'exagérer »), il me semble qu’on peut considérer la sociologie comme un excellent instrument de gouvernement.
C’est bien la fondation « Terra Nova », que je sache, affiliée au Parti « Socialiste », qui a suggéré à ce dernier de s’appuyer, non plus sur la classe ouvrière, mais sur les « classes moyennes » (autrement dit les petits bourgeois). Pour arriver à cette suggestion, sur quoi s'est-elle appuyée, sinon sur un corpus d’analyses sociologiques, qui a permis au Parti « Socialiste » de prendre en douceur un joli virage idéologique ?
Partant de là, on peut affirmer que la sociologie est devenue une MACHINE A GOUVERNER. Car qu’est-ce qu’un politologue ? Un sondage ? Un sondage établi bien sûr selon la méthode des « quotas », sur un « échantillon représentatif » de la société française ? Des outils. Entre les mains d'un pouvoir.
Quand on lit, écoute ou regarde les informations, on finit par être frappé du nombre de données concernant la moindre vaguelette qui se dessine à la surface de la société. C'est fou, ce dont la société dispose pour enregistrer une foule d'informations sur elle-même, au moment même où chaque chose se passe.
Pendant qu’une armée de psys en tous genres scrute les mouvements qui se produisent dans les profondeurs de l’âme des individus, une armée de sociologues dissèque en permanence le corps social pour en extraire les éléments signifiants dont les pouvoirs se serviront pour coller à l’évolution, voire pour l’anticiper, en vue de se pérenniser, principalement par le moyen de la propagande et des élections.
Oui, elles sont belles, les « sciences humaines » ! Plus leurs méthodes et leurs résultats se perfectionnent, plus le couvercle des pouvoirs se referme sur l'autonomie des individus (j'ai failli écrire "l'automnomie"). Et plus le système dans son ensemble devient aveugle. Plus les « sciences humaines » gagnent en raffinement et en subtilité dans les détails, plus l'humanité perd de l'acuité visuelle sur elle-même. Voilà où elle nous a menés, la belle curiosité ! Vous avez dit "paradoxal" ?
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léon bloy, littérature, politique, société, sciences humaines, psychologie, sociologie, statistiques, françois hollande, propagande, publicité, bourrage de crâne, parti socialiste, classes moyennes, classe ouvrière, martin veyron, bande dessinée, l'amour-propre ne le reste jamais longtemps