dimanche, 25 mai 2014
KUNDERA, VIEILLARD JUVENILE
MILAN KUNDERA : LA FÊTE DE L’INSIGNIFIANCE
(vient de paraître)
PREAMBULE
Il m’arrive de lire des romans au moment de leur parution, mais en général j’évite. Pour une raison qui, au moins dans mon esprit, doit paraître évidente : lire ce qui vient à l'instant où ça vient, c’est prendre un risque. Celui d’avoir perdu son temps et son argent. L’impression d’avoir lu des sottises ou des choses inutiles. L’impression de s’être fait avoir, en quelque sorte. Et je suis comme pas mal de gens : je n’aime pas.
C'est pourquoi, du moins en général, j'attends que le temps ait fait son œuvre, qu'il ait sassé l'impressionnante moisson romanesque annuelle et séparé le bon grain de l'ivraie. J'avoue, certes, que c'est aussi risquer de passer à côté de merveilleuses pépites littéraires, mais comme les journées n'ont que vingt-quatre heures, je me fais une raison.
Je dis tout ça parce qu'il m’est arrivé en quelques occasions de n'avoir qu'une envie, un fois le livre refermé : le mettre à la poubelle. J’ai dit ici, en son temps, tout le mal que je pensais de Qu’as-tu fait de tes frères ?, livre stupide de Claude Arnaud, espèce de rapport de secrétaire de conseil d'administration sur une époque à la mode (mai 68 et la suite), stupidement qualifié de « roman » (genre : « Voilà, mesdames et messieurs ce qui s'est passé, les grands hommes que j'ai rencontrés ... »). Accessoirement petit livre de propagande homosexuelle. Je garde aussi en travers de ma mémoire « littéraire » (si l’on peut dire) Passion simple d’une certaine Annie Ernaux.
Je prétends que Passion simple n’est pas un livre, mais une petite crotte déposée sur le trottoir par un animal souffreteux, égrotant, cacochyme et anémié, et d’où monte le délicat fumet d’imposture auquel certains nez contemporains croient être autorisés à reconnaître la fragrance majestueuse de la littérature.
Les nez contemporains sont, hélas, massivement induits en erreur par l’I.B.M. (Indice de Bruit Médiatique). Avec des complices bien placés pour répandre la bonne parole du haut de l’autorité que leur confère l’audimat, mais aussi le simple fait d’être payés pour « parler dans le poste », pour quelque raison nauséeuse que je répugne à connaître (vous savez : « il faut bien vivre, il n'y a pas de sot métier ... », slogans faciles auxquels je réplique : « Il n'y a peut-être pas de sot métier, mais il y a des boulots de merde »). Où est passée la critique littéraire ? On ne voit plus que des tournées de promo, de plateau en plateau, chez des animateurs complaisants, avec des chroniqueurs « littéraires » en valets de ferme.
Et je préviens madame Cantonade, qui qu’elle soit, qu’elle aura beau me recommander le Mémé de Philippe Torreton, qui, si l’on en croit Le Monde, « réveille une nostalgie des campagnes d’antan », je suis bien décidé, dans ma grande générosité, à laisser aux amateurs de soupe tous les exemplaires disponibles du livre. J’en fais ici le serment solennel.
Et ce ne sont pas les larmes des dames (« la soixantaine, même un peu plus ») bouleversées d’émotion en faisant signer le bouquin (et leur billet de train !) par l’acteur à la librairie L’Armitière, qui me convaincront de le rompre. L'article du Monde (18-19 mai) est consternant sur l'état culturel et littéraire de la population, même si je crois que ce phénomène est moins littéraire qu'identitaire et générationnel.
Il est d'ailleurs heureux que l'article figure parmi les rubriques des informations générales. La nostalgie n'est pas mon fort. Ceux qui critiquent l'époque ne sont pas forcément adeptes du « tout fout l'camp, mon bon monsieur » et du « c'était mieux avant ». Je demande simplement aux prosélytes du Progrès s'ils sont si sûrs que ça qu'on va vers le Mieux. Dire « c'était mieux avant », j'ai envie de traduire « arrêtons d'aller vers le pire ».
Je ne lis donc guère de livres au moment de leur publication. Voyez par exemple aujourd’hui même, quelqu’un que j’aime bien m’a vanté les mérites de Living, de l’Argentin Martin Caparros. Je m’y suis mis bravement ce matin, mais après soixante-dix pages, j’ai crié grâce et j’ai rendu le livre : peut-être un bon roman, je ne le saurai jamais, mais pour quelle raison le monsieur est-il aussi bavard ? BAVARD ! J'ai au moins fait la faveur à l'auteur d'avoir tourné soixante-dix pages de son bavardage complaisant. Il a une dette envers moi. Par ici la monnaie : il me doit soixante-dix pages.
Comment peut-on être bavard jusqu’à ce boursouflé-là ? Je manque de patience : la prolixité, la volubilité, le luxe des détails et l’abondance verbale, tout ça m’énerve et m’ennuie très vite. Au motif que la personne qui me cause prétend passer avant ce qu'elle veut me dire. M'assujettir, en quelque sorte. J’aime la sobriété, que je considère comme une forme de modestie et de courtoisie.
Le camelot parle beaucoup parce qu’il veut me vendre sa camelote en me noyant sous son flot mercantile. Je rappelle que c’est le sens premier du nom du héros de Jean Bruce, OSS 117 : Hubert Bonisseur de la Bath. Le connaisseur d’argot sait que « bonir » signifie "bonimenter". Quant à « bath », je le traduis par « esbroufe », malgré le regretté Bertaud du Chazaud. Je n'ai rien d'un Méditerranéen.
Ah, on me dit que Martin Caparros est invité aux Assises Internationales du Roman (AIR) 2014 dans notre bonne ville de Lyon, peut-être invité par le patron de la Villa Gillet, Guy Walter qui, sur une photo publiée dans Le Progrès, se donne l'air bobo d'un Lambert Wilson. Bon, et alors ? Si son histoire avait tenu en deux cents pages, je serais peut-être allé jusqu’au bout, mais plus de cinq cents, alors là non, il ne faut pas exagérer. Ouvrir un livre d’un auteur inconnu est d’abord un acte de confiance et d’espoir.
Mais un démarcheur, pensez !!! Si j’ai le malheur d’ouvrir ma porte sur un de ces spécimens indésirables, celle-ci se referme aussitôt. Je suis équipé en aspirateur et en encyclopédies. Le succès ne dispense aucun écrivain d'avoir du style. La prolixité n'est pas un style. Tant pis pour la marchandise, quelle que soit sa valeur. Je sais : je passe à côté de bien des choses intéressantes.
Tant pis pour moi.
Voilà ce que je dis, moi.
Promis, demain c'est Kundera.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, littérature étrangère, martin caparros, assises internationales du roman, lyon, villa gillet, guy walter, le progrès, bertaud du chazaud, jean bruce, oss 117, hubert bonisseur de la bath, martin caparros living, mémé, philippe torreton, annie ernaux, passion simple, claude arnaud, qu'as-tu fait de tes frères, milan kundera, la fête de l'insignifiance
jeudi, 30 mai 2013
TOUT EST POLITIQUE, VRAIMENT ?
ANSEL ADAMS : MONT MCKINLEY ET WONDER LAKE
***
Donc, nous venons d’apprendre que le mariage homosexuel est « de gauche ». C’est tout le camp « progressiste » qui a emporté la décision, et la foule de ceux qui ont manifesté dans les rues (18,3 individus selon la police, « en comptant les femmes et les petits enfants », aurait dit Rabelais) ne sont que des « conservateurs », dans le meilleur des cas, des « homophobes » dans le pire, avec, entre les deux, le marécage des « réactionnaires ».
Pêle-mêle et dans le même sac, on trouve l’UMP, qui a cru qu’elle pouvait « faire un coup », et l’Eglise catholique, accusée de se cramponner à des valeurs obsolètes et sommée d’enfin mettre sa doctrine à la page, au parfum de l’époque. Elle pourrait répondre comme Cromwell : « Qui épouse son époque sera vite veuf ».
Vladimir Poutine cumule sans doute les trois tares à la fois, pour avoir déjà déclaré que la Russie ne laisserait pas adopter des petits Russes par des couples homosexuels mariés. On attend une déclaration de la Confédération Helvétique pour savoir à quoi s’en tenir au sujet des petits Suisses. Je rigole. Je ne devrais pas.
Il reste cependant étonnant, dans toute cette affaire, qu’on ait vu s’installer entre partisans et adversaires du mariage des homosexuels le bon vieux clivage, quasi paléontologique, entre une France « de droite » et une France « de gauche », étant donné que les deux partis dominant le champ « politique » (laissez-moi pouffer) sont clairement DE DROITE.
Je sais, on va me ressortir de la naphtaline et du formol la momie de Wilhelm Reich, le pape de la sexologie politique qui mettait beaucoup de névroses à l'oeuvre dans la classe ouvrière sur le compte des conditions socio-économiques qui lui étaient faites (je simplifie). Ses livres (La Lutte sexuelle des jeunes (1932), La Fonction de l’orgasme (1927) et bien d’autres) doivent toujours se trouver quelque part. Le problème, avec Reich, c'est qu'il a mal fini, avec sa machine à détecter l'orgone.
Je sais, on me dira que « tout est politique », encore que ça se dise beaucoup moins que jadis. Sans doute, rien de ce que nous faisons, disons ou pensons n’échappe à une analyse selon une grille « politique ». Cela au moins me paraît indiscutable.
Mais il me paraît tout aussi indiscutable que tout ce qui est humain est « sexuel ». Tout ce qui est humain, « économique ». Tout ce qui est humain, « religieux ». Tout ce qui est humain, « social ». Tout ce qui est humain, « psychologique ». Tout ce qui est humain, « relation au pouvoir ». On n’en finirait pas.
Il suffit de choisir sa paire de lunettes et de regarder le monde à travers. Ensuite, ce n’est qu’une question de couleur des verres. Pour choisir la couleur, il suffit d’une petite opération chirurgicale, qui consiste, depuis l’invention des « sciences humaines », à mettre l’homme sur le billot et à le couper en morceaux : une tranche pour le sexologue, une tranche pour le sociologue, une tranche pour le psychologue, une tranche pour ... Autant de tranches que de « sciences humaines ». Servez-vous, le buffet est « à volonté ».
Donc, disions-nous, rien de ce qui est sexuel n’est apolitique. Ma foi, pourquoi pas ? Je note au passage que, en tant qu'adversaire du mariage homosexuel, se faire traiter d’ « homophobe » montre bien qu'il y a en jeu quelque chose de plus ; je crois que ça montre que l’enjeu de cette ouverture institutionnelle ne se réduit pas au mariage, mais qu’il s’agit aussi et en plus de faire la promotion de l’homosexualité en tant que telle.
Si l'on ajoute à la loi votée la palme d'or offerte à un film chantant l'amour entre deux femmes (La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche), on peut dire que le tableau est complet. Jamais on n’a vu, sur n'importe quelle question touchant la sexualité, un tel battage publicitaire, un tel effort de propagande. Mais si je parle de prosélytisme, de quoi va-t-on me traiter ? Non, il est plus prudent de chanter, avec la vox populi : « Je vous déclare mari et mari ».
Un autre indice de cet enjeu : la manipulation de « l’opinion publique ». Il s’est répété, tout au long de la campagne pour le vote de la loi, que les sondages étaient unanimes à trouver dans la population française une approbation du mariage homosexuel par plus de 60 % des gens, parfois plus.
Sans parler de la futilité des conditions dans lesquelles sont pratiqués les sondages (j'en ai longuement parlé dans le passé), je lis dans Le Progrès (27 mai pour la "question du jour", puis 28 mai pour la réponse) une statistique légèrement différente. Il est vrai que la question ne porte pas sur le mariage homo, mais sur les manifs "anti". On me dira que ce ne sont que 4064 internautes qui ont répondu à cette « question du jour », mais j’attends qu’on me dise en quoi ce genre de réponse est moins valable que n’importe quel sondage. Et ce qu'il en serait, si la question portait sur le principe lui-même de ce mariage.
EN HAUT LA QUESTION, EN BAS, LE LENDEMAIN, LA REPONSE.
LÀ, C'EST PLUTÔT UNE FRANCE CONTRE L'AUTRE.
Mais tous les médias, toutes les autorités, toutes « les associations » nous ont tellement martelé qu'il y a un consensus au sein de la société, qu'on est tout surpris de constater que la quasi-unanimité a tous les caractères d'une fable. Tiens, que pensez-vous de Les Animaux malades de la peste ?
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, ansel adams, mariage gay, mariage pour tous, manif pour tous, mariage homosexuel, homosexualité, homophobie, ump, église catholique, vladimir poutine, la vie d'adèle, palme d'or, cinéma, festival de cannes, abdellatif kechiche, wilhelm reich, la fonction de l'orgasme, opinion publique, sondages, presse, le progrès
mercredi, 29 mai 2013
TROP FORT, GASTON LAGAFFE
On trouve de drôles de choses, certains jours, dans notre PQR. A Lyon, PQR s’appelle Le Progrès. A la page « Faits divers », on tombe sur la photo suivante.
Elle représente un échafaudage. Elle représente aussi une automobile, immatriculée en Corse. Le conducteur de celle-ci semble avoir confondu celui-là avec son garage, puisqu’il s’y est installé à pleine vitesse, sans avoir eu le temps de trouver bizarre qu’il n’ait pas eu à ouvrir la porte.
J’entends bien souvent dire que « la réalité dépasse la fiction ». Eh bien non. Au moins pour cette fois. Gaston Lagaffe est en effet capable de bien pire, comme le montrent les quelques vignettes ici présentes. Au début de l'histoire, il vient de déposer sur un pare-brise un mot pour s'excuser d'avoir éraflé la carosserie de la voiture.
Non, c’est vrai, je reconnais que la réalité peut, à l’occasion, avoir une certaine imagination. Mais pour s’aligner avec le cerveau ô combien fertile de Gaston Lagaffe, la réalité aurait dû se lever un peu plus tôt.
En fait, sans un bon auteur, la réalité est paresseuse, et ne parvient qu’exceptionnellement à approcher la suractivité de l’esprit du créateur inspiré, si celui-ci ne lui apporte le coup de pouce nécessaire.
Et Stendhal, avec son « miroir promené le long d’une route » (il parle du roman), peut bien la ramener : il est enfoncé, quand l'auteur s’appelle André Franquin.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : on me reprochera de me moquer, alors que c’est une tragédie, le conducteur étant mort dans l’accident (6 h 30 le matin, les deux jeunes sortaient, sans doute beaucoup trop vite, de boîte de nuit, la passagère est quasiment indemne). Je ne me moque pas, je lis le journal, c’est tout. Quelle idée aussi, la rubrique "faits divers" ? Qu’est-ce que j’y peux, si ça fait marcher la machine à associer les idées. Cette fois, c’est tombé sur Gaston.
Pour me faire pardonner, je vous propose de passer une minute (1' montre en main) en face d’un nuage d’étourneaux. Ce qu’aucune fiction n’est capable d’égaler. Et quand vous verrez les aurores boréales en mouvement filmées par S., vous admettrez avec moi que si, la réalité peut vraiment avoir une imagination débordante. Et du souffle.
Et puisque vous insistez, voici un nuage d'étourneaux d'un autre genre (si j'ose dire).
UN LECTEUR INATTENTIF POURRAIT CROIRE QU'ON VA BIENTÔT PARLER DE SOINS PARTICULIERS A APPORTER AUX CHEVEUX LONGS (UNE BRUNE ET UNE BLONDE, POUR NE PAS FAIRE DE JALOUSES).
« Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une gazelle, qui paissent au milieu des lis. » (Salomon, Cantique des cantiques, I, 4, 5).
« Les hommes labouraient d'une main plus profond, les femmes employaient avec à propos les condiments dans la cuisine, les garçons pourchassaient les filles, et chacun priait Dieu qu'il voulût bien consommer la ruine de son prochain. » (Marcel Aymé, La Jument verte).
Toutes ces choses n'ont guère de rapport entre elles. J'en suis d'accord.
La vie est belle, et c'est tant mieux.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : presse, journal, le progrès, pqr, faits divers, humour, bande dessinée, accident, gaston lagaffe, andré franquin, automobile, fiction, réalité, nuage d'étourneaux
samedi, 25 mai 2013
QU'EST-CE QU'UN SOCIALISTE ?
45ème ANNIVERSAIRE
PHOTO PRISE AU MATIN DU 25 MAI 1968, SUR LE PONT LAFAYETTE, AU LENDEMAIN D'UNE EMEUTE OÙ LE COMMISSAIRE LACROIX (†) EUT LE TORT DE VOULOIR ARRÊTER UN CAMION BERLIET, SUR L'ACCELERATEUR DUQUEL UN PAVÉ AVAIT ÉTÉ POSÉ.
MONSIEUR RATTON ET MONSIEUR MÜNCH FURENT FINALEMENT INNOCENTÉS DU FORFAIT. MONSIEUR RATTON DEVINT PLUS TARD GARDIEN D'IMMEUBLE DANS LA RIANTE CITÉ DE FRANCHEVILLE, OÙ SON FILS MANIFESTA UN TOTAL RESPECT ENVERS PC, LA GRANDE SOEUR QUI AVAIT PRIS CRÂNEMENT CONTRE LUI LA DEFENSE DE SON JEUNE FRÈRE. MONSIEUR RATTON FUMAIT DIX FOIS TROP. ÇA NE LUI A PAS PORTÉ CHANCE.
(Comme quoi, on ne choisit pas forcément l'histoire dans laquelle on figure.)
***
Il n’y a donc plus de gauche en France. Y en a-t-il d’ailleurs jamais eu ? J’en doute à présent. J’en suis venu à me demander si le « progressisme » n’a pas joué, historiquement, le rôle de miroir aux alouettes. Le miroir aux alouettes, je sais ce que c’est, au premier degré : mon père m’emmenait à la chasse. Cela devait être aux alentours du printemps.
Il commençait par planter solidement la chose dans le sol. Moi, j’étais chargé de faire tourner l’engin sur son axe, grâce à la ficelle qu’il s’agissait de tirer une fois tapis au creux d’un buisson, pour que le bois garni de petits miroirs tournât sur lui-même pour attirer les oiseaux, puis retour. Les oiseaux, attirés par les éclats de lumière, tombaient, d’abord dans l’herbe, ensuite dans l’assiette. Délectable.
Le progressisme, cette espérance de gauche plantée par quelques visionnaires sincères et par beaucoup de gourous cyniques dans le cœur des populations ouvrières (la « gauche » avec ses « bataillons » et ses « luttes »), cette espérance dans des lendemains qui chantent, cette croyance dans l’avènement d’un monde meilleur, comment se fait-il qu’il ait débouché sur un siècle – le 20ème – qui est celui des catastrophes de masse (des catastrophes tout sauf naturelles) ?
Le progressisme de gauche, aujourd’hui, où se cache-t-il ? Introuvable, parti sans laisser d’adresse. Ah si, Google va lancer « Glass », des lunettes électroniques avec écran incorporé au-dessus de l’œil droit, que ça prouve que l’humanité n’en a pas fini avec les révolutions. Sauf que ça n’a plus rien à voir avec la « Sociale », pour utiliser le vocabulaire périmé des Communards. Mais « Google Glass » n’est pas de gauche. Est-il de droite ? Mais est-ce pour autant totalement neutre, comme nous en rebattent les oreilles tous les thuriféraires de la moindre innovation technique (avec leur rengaine : « Tout dépend de l'usage qui en est fait », rengaine qui devrait depuis longtemps ne plus tromper personne) ?
Qui pense encore, aujourd’hui, que l’humanité s’achemine benoîtement vers son avenir radieux ? Ah si, pour ce qui est du confort matériel, on peut compter sur les « pays émergents » et autres « BRICS » pour faire exploser les compteurs du « bien-être » : après tout, tout le monde a le "droit" de vivre « à l’américaine ». Quelles que soient les conséquences.
Mais en dehors de ce bonheur désespérément concret et mesurable, dites-moi, où en est-on avec le progressisme ? En panne au milieu de l’autoroute autrefois nommée le PROGRÈS. Tout ce qu’on voit, c’est, d’un côté, l’appétit de milliards de gens pressés d’adopter le décor à l’occidentale et le mode de vie qui va avec ; de l’autre, des populations encore riches, certes, mais assiégées par les fléaux de l’appauvrissement ou de l’immigration. Où est-elle, la société future ? Où est-il, l'avenir radieux ? Aux oubliettes.
Qui ose même encore l’envisager, la société future ? Quel responsable politique oserait formuler et proposer d’aller vers le mieux ? C’est sûr que si l’on se réfère aux utopies du 19ème siècle, il est préférable de ne pas rêver, quand on voit les aberrations qu’elles ont produites. Mais en même temps, qu’est-ce que c’est, une société sans « désir d’avenir » (comme le clame le grotesque et menteur slogan en mie de pain de la bouffonne Ségolène Royal) ? Une société sans perspectives ?
C’est une société qui rêve à la rigueur à sa splendeur passée, et qui se cramponne à ses « acquis ». Et qui a peur, prise dans la sévère compétition. "Compétition", qu'on se le dise, est l'autre mot pour dire "guerre". Aujourd'hui, la mode est à la guerre aux peuples. Regardez à l’œuvre en occident tous les détricoteurs des « privilèges », tous les déconstructeurs des structures mêmes qui étaient celles de la France, au nom de l’Europe et de sa damnée, exécrable et haïssable « concurrence libre et non faussée ». Et je ne parle pas de la Grèce.
Nicolas Sarkozy y est allé a fond, avec sa RGPP (éducation, police, armée, …), sa carte judiciaire, sa loi HPST (hôpitaux publics). Les rondeurs suaves et « hollandaises » de François H. ont mis du sucre et du miel pour faire passer l’amertume des pilules (j'aurais pu être plus grossier), mais n’ont rien changé à l’entreprise de démolition.
Et on se demande comment certains pensent encore pouvoir faire la différence entre leur droite et leur gauche, simplement parce que des gens qui se disent de gauche font des réformes qui touchent les mœurs (superstructures, l'univers des mots et des représentations), mais qui se gardent bien de porter atteinte à l’intérêt des structures (infrastructures, l'univers de la réalité, de qui possède les moyens de production) que mettent en place les déconstructeurs (destructeurs), à marche forcée, sous nos yeux.
Si François Hollande, comme il le prétend, veut à présent « moraliser le capitalisme », « lutter contre les paradis fiscaux » et autres babioles programmatiques, il faudrait d’abord qu’il paie des droits d’auteur à son prédécesseur (c’est Nicolas Sarkozy qui voulait « moraliser »). Il faudrait ensuite qu’il en ait la force et qu’il s’en donne les moyens. Il faudrait enfin qu’il avoue qu’il n’est aucunement dans ses intentions de modifier quoi que ce soit aux structures du « monde comme il va ». François Hollande est un approuveur du monde comme il va.
Ceux qui pensent qu’il est possible de réaliser ce programme devraient jeter un œil sur les terrifiants travaux du magistrat Jean de Maillard. Je leur recommande en particulier Les Beaux jours du crime. Vers une société criminelle, Un Monde sans loi et L’Arnaque : la finance au-dessus des lois et des règles. Mais je les préviens que ça risque de leur doucher l’enthousiasme.
Dire qu’il reste des gens qui prétendent « penser notre monde », et qui baignent envers et contre tout dans le jus sirupeux d’un optimisme inentamable ! Ecoutez Gilles Lipovetsky développer les idées qu’il expose dans sa dernière soupe intellectuelle : L’Esthétisation du monde : vivre à l’ère du capitalisme artiste. On croit rêver. Ou alors on n’est pas sur la même planète : « le capitalisme artiste », a-t-on idée !!!
Ecoutez Michel Serres s’émerveiller, dans Petite Poucette, des derniers « progrès » technologiques qui permettent aux jeunes de développer des virtuosités manuelles impossibles aux aînés. Il s’extasie quand il voit le pouce de cette jeune fille faire des phrases (?) à toute vitesse sur le clavier de son portable !
JE NE GARANTIS PAS QUE CE SOIT LE PORTRAIT DE GILLES LIPOVETSKY, NI DE MICHEL SERRES
Chez les santons, on appelle ça le « ravi ». Dans les campagnes, autrefois, on appelait ça « l’idiot du village ». A moins que ce ne soit lui, le dernier exemplaire recensé de « Crétin des Alpes ». Mais je suis injuste : peut-être a-t-on à faire à une variante moderne de ce qu'on appelait dans les anciens temps un « imbécile heureux». On ne pense pas assez à l' « imbécile heureux ».
UNE VARIANTE TOURNESOLESQUE DU CRÉTIN DES ALPES
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : mai 1958, 24 mai 1968, émeute, commissaire lacroix, politique, gauche droite, partis politiques, parti socialiste, ps, ump, miroir aux alouettes, progressistes, classe ouvrière, google glass, le progrès, françois hollande, ségolène royal, nicolas sarkozy, europe, grèce, rgpp, loi hpst, jean de maillard, gilles lipovetsky, michel serres, petite poucette, capitaine haddock, professeur tournesol
mardi, 08 janvier 2013
BONNE ANNEE, BORIS !
Pensée du jour :
SIOUX OGLALA, par EDWARD S. CURTIS
« Il y a quelque chose de choquant à voir les conditions de la célébrité. On ne saurait être célèbre à moins de sauver son pays ou de découvrir de quelle façon tournent les étoiles ; ou alors il faut tuer une famille britannique qui vient camper dans les asperges, y compris un enfant de dix ans ; ou même, comme Lacenaire, se faire guillotiner et être capable de manger un poêle à bois ; un poêle à bois à feu continu ; en briques vernies ; tout au moins la moitié. Bref, être un grand monsieur ou un grand dégoûtant. Ou alors un grand estomac. On voit par là que, faute de pays à sauver, ou si le ciel est couvert de nuages, si la famille est française comme tout le monde, si la guillotine marche mal ou si on ne digère pas la brique de poêle à bois, il n’y a pas moyen d’être célèbre ».
ALEXANDRE VIALATTE
Le boulanger chez qui j’achetais mon pain autrefois (une formidable « marguerite » avec mie et croûte idéalement proportionnées, il travaillait « sur boulenc ») s’appelait GRILLON. Un excellent boulanger, à l’étrange physique tout en nerfs et en hauteur. Quand il a déménagé à « la Table de Pierre » pour s’agrandir, il a été obligé d’embaucher un apprenti.
Et il m’a raconté l’histoire suivante : « La première semaine, impeccable, rien à dire. La deuxième semaine, il vient le mardi, le mercredi, et le reste de la semaine, personne. Pas de message, rien au téléphone. Le lundi suivant, il débarque à l’heure normale. Je lui demande ce qui arrive : "Oh ben j’ai pas eu le temps de venir travailler" ». Il avait l’air tout surpris, monsieur GRILLON.
Pas le temps de venir travailler. Voilà tout. Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre, le bébé, le discrédit et la pierre (avec l'eau du bain, bien entendu) à la jeunesse tout entière. Je connais des informaticiens qui sont devenus métalliers, parce qu’ils avaient, je crois, envie de continuer à avoir envie de travailler. Mais il y a peut-être malgré tout un phénomène de génération.
Je n’en veux pour preuve que l’exemple de BORIS, qui a eu les honneurs des pages « arrondissements » du Progrès de Lyon. Le gars en question zone dans le 3ème ou le 7ème arrondissement, comme l’indique le journal. Je ne veux, avec l’exemple de BORIS, que marquer l’incompréhension qui est la mienne, devant des, disons, « comportements nouveaux » ou encore « mentalités nouvelles ». Pour rester gentil.
BORIS n’est pas méchant, qu’on se le dise. Il a juste deux chiennes. A les voir, Athena et Sheeva sont des chiennes gentilles. Il a bon caractère, BORIS, nom de Dieu. C’est vrai ça. Il ne veut de mal à personne, BORIS. A condition qu’on ne l’emmerde pas. A condition que les passants ne l’apostrophent pas méchamment : « Je n’aime pas être dévisagé et entendre de sales réflexions. Je me sens incompris. Parfois, je me fâche, bien que je sois quelqu’un de gentil ». Les passants ont intérêt à se le tenir pour dit.
Heureusement, cet homme de 34 ans est tombé sur un(e) journaliste compréhensif(ve) qui a consenti à noircir du papier pour dresser son « portrait ». Alors là, pour le coup, c’est du journalisme gentil. Je dirais même qu’on ne saurait être plus aimable, si l’on se fie au titre retenu.
C’est vrai qu’il en a subi, des épreuves, dans sa vie, BORIS : la DDASS « dès sa plus tendre enfance ». L’école ? « Je n’aimais pas l’école. » Pas de veine, hein ? Pas d’école. Pas de soutien familial. Pas de soutien matériel. Pas de qualification. Dans ces conditions, pas d’insertion dans la vie professionnelle : « J’ai décroché plusieurs jobs, souvent saisonniers, comme plongeur dans un restaurant, homme de ménage, employé chez un loueur de ski ».
Arrivé à Lyon à 26 ans, il n’arrive pas à trouver de boulot stable : « Il faut dire qu’il n’a pas de toit et qu’il est confronté à l’enfer de la rue », dit l’article. L’enfer de la rue, pas moins : « J’ai vu des amis mourir autour de moi, révèle-t-il. Ça forge le caractère. Les épreuves ne font plus peur ». Pour quelqu’un qui vit en enfer, je trouve pourtant qu’il a l’apparence de quelqu’un qui s’en sort pas trop mal.
Il touche le RSA, il regarde la télévision, et pour « arrondir », il fait la manche au coin de l’avenue Jean-Jaurès et du cours Gambetta. Entre 10 et 30 euros. Parce que le RSA ne suffit pas pour tout payer. Qu’y a-t-il dans ce "tout" ? Ce n’est pas dit. L'après-midi, assis sur son tabouret, il attend que ça tombe. L’aide publique d’un côté, la charité des passants « gentils » de l’autre. Un éducateur de rue « lui déniche un petit appartement dans l’arrondissement ». Que demande le peuple ?
Conclusion ? Voici comment il envisage l’avenir, BORIS : « J’aimerais trouver un bon travail, avoir une petite amie et un jour, pourquoi pas, fonder une famille … ». Un homme normal, quoi.
Alors je demande : QU’EST-CE QUI CLOCHE, dans ce tableau ? Qu’est-ce qu’elle dit, la chanson de JACQUES HIGELIN ? Ah oui :
« Poil dans la main,
payé à rien foutre,
regarder la poutre
dans l’œil du voisin ».
Voilà ce que je dis, moi.
09:54 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, edward s. curtis, indiens d'amérique du nord, amérindiens, sioux oglala, alexandre vialatte, littérature, humour, travail, métier, effort, le progrès
lundi, 12 novembre 2012
MONUMORTS A LA CHAÎNE
Pensée du jour :
"MUR" N°11
« Je méprise profondément ceux qui aiment marcher en rang sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau ; une moelle épinière leur suffirait amplement ».
ALBERT EINSTEIN
Voyez comme le hasard fait bien les choses (en fait le hasard n’y est pas pour grand-chose) : hier je célèbre à ma façon le 11 novembre, en publiant une note sur le monument aux morts de la ville de Lyon, dans la petite île du parc de la Tête d’or, et voilà-t-il pas que Le Progrès daté du même 11 novembre donne en pages locales (6ème arrondissement) des nouvelles de sa restauration.
Tiens, soit dit par parenthèse, c’est très "tendance" de mettre tout dans le même sac : après l'imposture du « mariage pour tous », voici la forfaiture de la « commémoration pour tous », depuis la loi qui fait du 11 novembre la date de commémoration de tous les « morts pour la France ».
Pourtant, est-ce qu’il est « mort pour la France », le soldat de métier qui tombe en Afghanistan, qui a choisi de risquer de mourir ? Quoi de commun avec le grand massacre de la paysannerie française en 14-18 ? Demandez à un juif s'il peut renoncer à proclamer le caractère UNIQUE de l'holocauste, et vous verrez. C'est du même ordre : la partie massacrée de la population en 14-18 était composée de civils.
Revenons au Progrès. Non seulement on est tenu au courant de l’avancement des travaux, mais on apprend des choses. D’abord, que la pierre de 1920 était du calcaire, que l’acidité des pluies a vite fait de défigurer, comme l’acné qu’un adolescent perturbé ne cesse de labourer à coups d’ongles.
Ensuite, que les nouvelles plaques (toujours au nombre de 76) sont en pierre de Hauteville, assez dure pour que les Américains aient eu l’idée de s’en servir pour construire l’Empire State Building. Croisons les doigts. Lyon, à l'époque, a sans doute reculé devant la dépense d'une pierre résistante.
On apprend aussi que le « temple » – je ne vois pas d’autre mot pour désigner l’ensemble de la construction, soubassement, plaques portant les noms, bas-reliefs, « crypte » à ciel ouvert (!), monument proprement dit – est l’œuvre de TONY GARNIER, qui est aussi l’auteur de la Halle qui porte son nom à Gerland (les anciens abattoirs, où je faisais des livraisons dans d'autres temps) et des "Gratte-Ciel" de Villeurbanne.
ET MOI QUI DISAIS "QUASIMENT HAUTEUR D'HOMME" !
EN FAIT, C'EST LARGEMENT HAUTEUR D'HOMME
(état après restauration)
On apprend enfin que c’est DAVID PENALVA (MOF 1997) qui a été retenu pour graver les 10.600 noms (augmentés de ceux que les historiens ont rétablis dans leurs droits), à la micro-meuleuse, dans cette pierre très dure, à raison de 40 à 50 lettres romaines par jour, qu’il s’est attelé à la tâche pour une première tranche de 2004 à 2005, et que la seconde a débuté en 2007 (j’imagine que la municipalité n’a pas voulu tout engager d’un seul coup et voulait juger sur pièce), pour s’achever en 2014, juste à temps pour fêter le centenaire de la première grande boucherie industrielle de l’histoire.
Que l’on puisse de nouveau lire distinctement tous les noms des morts, voilà enfin, parmi plusieurs autres moins reluisants (quartier Grolée sinistré, Hôtel-Dieu bradé, …), monsieur le Maire GÉRARD COLLOMB (que j'ai croisé à la glorieuse époque de la "Salle 3"), un acte digne pour lequel les Lyonnais vous devront un minimum de reconnaissance.
J’en arrive à mon sujet du jour. Dans la décennie 1920, la France a érigé, dans ses moindres patelins, bleds paumés et trous perdus, 36.000 monuments aux morts. Enfin, pas tout à fait, car il faut retrancher les quelques communes qui, n’ayant envoyé au combat aucun de ses hommes ou nul n’y ayant perdu la vie, ont échappé à la règle générale.
PALAZINGES, SA MAIRIE, SON EGLISE : POURQUOI MOURIR ? ON SE DEMANDE
Parmi elles, citons Palazinges (Corrèze, 115 habitants au recensement de 1990), et Les Plans (Hérault, 265 habitants en 1999). Cette dernière municipalité a la particularité de n’avoir eu aucun mort à déplorer, pas plus en 14-18 qu’en 1870 ou en 39-45. Il y en a sûrement d'autres, mais combien ?
Il a donc fallu que, dans 36.000 conseils municipaux, ait lieu une délibération au sujet du budget à consacrer à cette édification et de la façon dont on allait s’y prendre. Dans pas mal d’endroits bénéficiant de la présence d’un sculpteur (ou tailleur de pierre) local, les gens se sont arrangés pour que leur monument soit unique. La plupart du temps, ce fut vite vu, pour des raisons pécuniaires, et l’on se contenta d’un obélisque, souvent orné d’une palme, d’une croix de guerre ou d’un coq. C’est ce qu’on voit dans l’immense majorité des localités françaises.
Mais cette flambée d’érections sur la totalité du territoire suscita l’imagination et l’appétit d’un certain nombre d’entrepreneurs avisés, qui virent là un formidable marché potentiel. Se mettant au travail, ils furent rapidement en mesure de proposer un véritable catalogue aux 36.000 maires de la nation, au point qu’on peut vraiment parler d’une industrie du monument aux morts.
Ce catalogue comportait différents modèles dus à des sculpteurs professionnels, et ils y étaient déclinés en plusieurs versions, de la fonte de fer ciselée et bronzée (« absolument inaltérable ») à la pierre reconstituée, que les communes choisissaient en fonction du budget alloué et du montant qu’avait rapporté la souscription municipale.
Et les affaires marchaient du tonnerre de Dieu : « L’âge d’or, mon cher ami, l’âge d’or. Jamais vu ça, depuis les Grecs, depuis les cathédrales.Même ceux qui ont une main de merde ont de la commande. Vous vous rendez compte ? Un monument par village. 35.000 communes pour 300 sculpteurs ! Tout le monde veut son poilu, sa veuve, sa pyramide, ses marbres. On ne fournit pas. La ronde-bosse, le bas-relief, la lettre, tout ça ronfle comme une usine. Mieux que la Renaissance, mon cher, la Résurrection. – Grâce à nos morts. – Ouais, grâce à nos morts, merci à eux ». C’est le sculpteur Mercadot qui dit ça à PHILIPPE NOIRET, dans le poignant La Vie et rien d’autre, de BERTRAND TAVERNIER (1989).
Il faut avoir vu ce film, tout en lumières vaguement bleues ou grises, en clartés humides ou brumeuses, où NOIRET et SABINE AZEMA font merveille, et où TAVERNIER touche très juste.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 11 novembre 2012
UN TOUR DANS L'ÎLE DU SOUVENIR
Pensée du jour :
"POURTRAIT" N°1
« L'homme se prouve par le chapeau mou, qui le distingue des autres primates. Mais, même prouvé par le chapeau mou, l'homme a beau être réellement homme, l'Italien l'est encore plus que lui. D'abord parce qu'il ajoute des plumes au chapeau mou, des plumes vertes qui font lyrique. Rien n'est plus beau que de le voir se marier dans cette parure ornithologique. En chantant Sole mio. On dirait l'oiseau-lyre. J'ai eu ce bonheur en Italie. C'est un tableau qu'on n'oublie pas ».
ALEXANDRE VIALATTE
Je ne peux pas laisser passer un 11 novembre sans ajouter mon petit gravier à l'édifice national commémoratif, n'est-ce pas ? J'invite d'abord le lecteur à faire un détour par les albums ci-contre, ne serait-ce que pour marquer le coup, en faisant observer que je me suis arrêté aux communes françaises dont le nom commence par la première lettre de l'alphabet, et que je n'ai inséré qu'une faible partie (139 photos) des 942 images dont je dispose. Je me suis permis d'ajouter un album des photos que j'ai prises au cours de mes pérégrinations en France et autour de Lyon.
GEORGES BRASSENS chante : « Un 22 septembre, au diable vous partîtes, Et depuis chaque année, à la date susdite, Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous, Mais nous y revoilà, et je reste de pierre, Pas une seule larme à me mettre aux paupières. Le 22 septembre, aujourd’hui, je m’en fous ». J’espère que nul Européen ne cédera à cette tentation du désamour, s’agissant du premier suicide de sa terre natale.
Car il s’agit bien de la guerre de 1914-1918, et la chanson de BRASSENS n’était qu’un prétexte pour parler à nouveau de la « Grande Guerre », de la « Der des Der », bref, de la Première Guerre Mondiale. Et cette guerre n’a jamais été Un long dimanche de fiançailles (JEAN-PIERRE JEUNET, 2004, avec AUDREY TAUTOU), non, elle fut le premier « long suicide européen ».
JE N'INVENTE RIEN : JE TIRE CE TABLEAU DE LA REVUE BT2
(n°53, novembre 1973, revue du réseau CELESTIN FREINET)
Un suicide intrépidement poursuivi en 1939-1945 (avec une tendance à l’exportation), et probablement en train de se consommer aujourd’hui. L’ironie de l’Histoire est féroce : c’est au moment où elle croit qu’elle va parachever son édification (la « construction européenne ») que l’Europe a sans doute signé son propre permis d’inhumer, et commencé à creuser son propre trou de ses propres mains.
Et c’est épouvantablement normal : cette Europe-là est un mensonge qui remonte au coït inaugural de ses premiers parents, quand ils l'ont conçue comme un piédestal pour la Grande Privatisation du bien commun (qui portait en France le nom devenu dramatiquement ringard de "Service Public"). Passons.
Pour revenir à 14-18, nous commémorons aujourd’hui la fin du premier massacre industriel de l’histoire, une énorme broyeuse des enfants mâles de grands pays. Un massacre que GEORGES BRASSENS a célébré à sa manière dans une chanson plus connue que celle ci-dessus.
Le journal Le Progrès le fait – de façon assez digne, je dois dire – dans son numéro lyonnais du 9 novembre (dans les pages locales), en citant les noms de l’initiateur et du sculpteur auxquels le quartier de Montchat doit, selon lui, de posséder le premier monument aux morts (il porte 170 noms !). Vous avez dit « premier » ? Mais premier de quoi ? En France ? A Lyon ? Aucune idée. D’ailleurs, peu importe.
PARC TÊTE D'OR : NOTRE "ÎLE DES MORTS" EST AU MILIEU DU LAC
L’important est d’y penser. Rien qu’un jour par an, ce n’est pas beaucoup. Et encore, un petit moment dans la journée. Le monument de Lyon a les dimensions d’un temple. Il fallait bien ça. Il a été élevé à partir de 1920. Il occupe l’intégralité de l’ « île du souvenir », au milieu du lac du Parc de la Tête d’or. Il est en forme de rectangle très allongé. On y accède par un tunnel qui passe sous le lac : il faut descendre des marches, remonter des marches (quand la grille n'est pas fermée, ou alors il y a la nage).
On commence par faire le tour du « temple », pour prendre conscience - on en est effaré ! - du trou que la guerre a creusé dans la population mâle de la ville : tous les prénoms et les noms ont été gravés méticuleusement, l'un derrière l'autre, sur des plaques qui ceinturent l’espace du monument proprement dit.
Pour vous faire une idée, dites-vous, en regardant la photo ci-dessous, que toutes les parties rectilignes extérieures du quadrilatère sont couvertes de noms, quasiment à hauteur d'homme. De quoi peupler une ville mieux que moyenne.
Au total, ce sont 10.600 noms qui figurent ici, et 76 plaques ont été nécessaires. Il faut penser à ces milliers de noms comme à des hommes encore debout. Je vais vous dire : ça ferait du monde aujourd'hui. Et l'histoire du "regroupement familial" ne serait qu'une mauvaise blague, absolument incompréhensible (la remarque s'adresse à ceux qui pensent qu'on peut refaire l'histoire).
MERCI MALGRE TOUT A GOGOL
Je ne sais pas quelle est la pierre qui a servi à fabriquer les plaques, en tout cas, elle est assez friable pour avoir rendu nécessaire une restauration générale qui sera achevée (théoriquement) en 2013 : la plupart étaient devenus illisibles, au point que certains venaient compléter un nom ou un prénom au feutre noir, façon comme une autre, finalement, de rendre hommage à un mort. L'opération aura coûté 800.000 euros aux contribuables lyonnais, si le devis est respecté. La mémoire, ça se paie.
Pour accéder au monument, il y a encore quelques marches à monter. L’esplanade est vaste. Le « saint des saints » (si l’on veut) du temple est situé dans la partie nord, et se compose de deux parties. Une sculpture représentant des hommes (six, je crois) portant sur leurs épaules un cercueil revêtu d’un long voile (un drapeau ?) qui semble flotter lourdement ; et puis une sorte de crypte : il faut descendre plusieurs marches pour se trouver face à un livre ouvert, protégé par des vitres. Je crois bien, sauf erreur (je ne le jure pas) que les pages portent elles aussi les noms des morts.
A l’occasion du 11 novembre 2012, j’espère que vous ne m’en voulez pas trop d’avoir proposé cette petite visite dans « l’île du souvenir ».
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, alexandre vialatte, littérature, chroniques de la montagne, georges brassens, un 22 septembre, europe, france, un long dimanche de fiançailles, jean-pierre jeunet, audrey tautou, 14-18, première mondiale, guerre 1914-1918, histoire, journaux, presse, le progrès, monuments aux morts, lyon, parc de la tête d'or, 11 novembre