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dimanche, 25 mai 2014

KUNDERA, VIEILLARD JUVENILE

MILAN KUNDERA : LA FÊTE DE L’INSIGNIFIANCE

 

(vient de paraître)

 

PREAMBULE

 

Il m’arrive de lire des romans au moment de leur parution, mais en général j’évite. Pour une raison qui, au moins dans mon esprit, doit paraître évidente : lire ce qui vient à l'instant où ça vient, c’est prendre un risque. Celui d’avoir perdu son temps et son argent. L’impression d’avoir lu des sottises ou des choses inutiles. L’impression de s’être fait avoir, en quelque sorte. Et je suis comme pas mal de gens : je n’aime pas.

 

C'est pourquoi, du moins en général, j'attends que le temps ait fait son œuvre, qu'il ait sassé l'impressionnante moisson romanesque annuelle et séparé le bon grain de l'ivraie. J'avoue, certes, que c'est aussi risquer de passer à côté de merveilleuses pépites littéraires, mais comme les journées n'ont que vingt-quatre heures, je me fais une raison.

 

Je dis tout ça parce qu'il m’est arrivé en quelques occasions de n'avoir qu'une envie, un fois le livre refermé : le mettre à la poubelle. J’ai dit ici, en son temps, tout le mal que je pensais de Qu’as-tu fait de tes frères ?, livre stupide de Claude Arnaud, espèce de rapport de secrétaire de conseil d'administration sur une époque à la mode (mai 68 et la suite), stupidement qualifié de « roman » (genre : « Voilà, mesdames et messieurs ce qui s'est passé, les grands hommes que j'ai rencontrés ... »). Accessoirement petit livre de propagande homosexuelle. Je garde aussi en travers de ma mémoire « littéraire » (si l’on peut dire) Passion simple d’une certaine Annie Ernaux.

 

Je prétends que Passion simple n’est pas un livre, mais une petite crotte déposée sur le trottoir par un animal souffreteux, égrotant, cacochyme et anémié, et d’où monte le délicat fumet d’imposture auquel certains nez contemporains croient être autorisés à reconnaître la fragrance majestueuse de la littérature.

 

Les nez contemporains sont, hélas, massivement induits en erreur par l’I.B.M. (Indice de Bruit Médiatique). Avec des complices bien placés pour répandre la bonne parole du haut de l’autorité que leur confère l’audimat, mais aussi le simple fait d’être payés pour « parler dans le poste », pour quelque raison nauséeuse que je répugne à connaître (vous savez : « il faut bien vivre, il n'y a pas de sot métier ... », slogans faciles auxquels je réplique  : « Il n'y a peut-être pas de sot métier, mais il y a des boulots de merde »). Où est passée la critique littéraire ? On ne voit plus que des tournées de promo, de plateau en plateau, chez des animateurs complaisants, avec des chroniqueurs « littéraires » en valets de ferme.

 

Et je préviens madame Cantonade, qui qu’elle soit, qu’elle aura beau me recommander le Mémé de Philippe Torreton, qui, si l’on en croit Le Monde, « réveille une nostalgie des campagnes d’antan », je suis bien décidé, dans ma grande générosité, à laisser aux amateurs de soupe tous les exemplaires disponibles du livre. J’en fais ici le serment solennel.

 

Et ce ne sont pas les larmes des dames (« la soixantaine, même un peu plus ») bouleversées d’émotion en faisant signer le bouquin (et leur billet de train !) par l’acteur à la librairie L’Armitière, qui me convaincront de le rompre. L'article du Monde (18-19 mai) est consternant sur l'état culturel et littéraire de la population, même si je crois que ce phénomène est moins littéraire qu'identitaire et générationnel.

 

Il est d'ailleurs heureux que l'article figure parmi les rubriques des informations générales. La nostalgie n'est pas mon fort. Ceux qui critiquent l'époque ne sont pas forcément adeptes du « tout fout l'camp, mon bon monsieur » et du « c'était mieux avant ». Je demande simplement aux prosélytes du Progrès s'ils sont si sûrs que ça qu'on va vers le Mieux. Dire « c'était mieux avant », j'ai envie de traduire « arrêtons d'aller vers le pire ».

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Je ne lis donc guère de livres au moment de leur publication. Voyez par exemple aujourd’hui même, quelqu’un que j’aime bien m’a vanté les mérites de Living, de l’Argentin Martin Caparros. Je m’y suis mis bravement ce matin, mais après soixante-dix pages, j’ai crié grâce et j’ai rendu le livre : peut-être un bon roman, je ne le saurai jamais, mais pour quelle raison le monsieur est-il aussi bavard ? BAVARD ! J'ai au moins fait la faveur à l'auteur d'avoir tourné soixante-dix pages de son bavardage complaisant. Il a une dette envers moi. Par ici la monnaie : il me doit soixante-dix pages.

 

Comment peut-on être bavard jusqu’à ce boursouflé-là ? Je manque de patience : la prolixité, la volubilité, le luxe des détails et l’abondance verbale, tout ça m’énerve et m’ennuie très vite. Au motif que la personne qui me cause prétend passer avant ce qu'elle veut me dire. M'assujettir, en quelque sorte. J’aime la sobriété, que je considère comme une forme de modestie et de courtoisie.

 

Le camelot parle beaucoup parce qu’il veut me vendre sa camelote en me noyant sous son flot mercantile. Je rappelle que c’est le sens premier du nom du héros de Jean Bruce, OSS 117 : Hubert Bonisseur de la Bath. Le connaisseur d’argot sait que « bonir » signifie "bonimenter". Quant à « bath », je le traduis par « esbroufe », malgré le regretté Bertaud du Chazaud. Je n'ai rien d'un Méditerranéen.

 

Ah, on me dit que Martin Caparros est invité aux Assises Internationales du Roman (AIR) 2014 dans notre bonne ville de Lyon, peut-être invité par le patron de la Villa Gillet, Guy Walter qui, sur une photo publiée dans Le Progrès, se donne l'air bobo d'un Lambert Wilson. Bon, et alors ? Si son histoire avait tenu en deux cents pages, je serais peut-être allé jusqu’au bout, mais plus de cinq cents, alors là non, il ne faut pas exagérer. Ouvrir un livre d’un auteur inconnu est d’abord un acte de confiance et d’espoir.

 

Mais un démarcheur, pensez !!! Si j’ai le malheur d’ouvrir ma porte sur un de ces spécimens indésirables, celle-ci se referme aussitôt. Je suis équipé en aspirateur et en encyclopédies. Le succès ne dispense aucun écrivain d'avoir du style. La prolixité n'est pas un style. Tant pis pour la marchandise, quelle que soit sa valeur. Je sais : je passe à côté de bien des choses intéressantes.

 

Tant pis pour moi.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

Promis, demain c'est Kundera.

 

vendredi, 28 juin 2013

POURQUOI JE LIS

 

JUNGBAUERN 2.jpg

JEUNES PAYSANS, PAR AUGUST SANDER

 

***

Je ne lis pas pour lire. La lecture est un moyen, pas une fin en soi, je ne sors pas de là. C’est vrai que si je me pose la question de savoir pourquoi je lis, la réponse ne vient pas de soi. Mais après tout, est-il si important de savoir pourquoi on fait les choses ? Et puis aussi : peut-on vraiment le savoir ? 

 

Pour mon propre compte, les lecteurs qui viennent incidemment ou fidèlement sur ce blog s’en sont fait une idée plus ou moins précise : je l’avoue sans honte, sans fard et sans vergogne : je lis pour jubiler. Disons-le carrément : je lis pour jouir. Comme le chien rongeant son os, j'ai la lecture d'un égoïsme carabiné et d'une possessivité intempérante. En cette matière, l'injustice que je mets constamment  en pratique est à toute épreuve, hors de portée des magistrats les plus empreints de rectitude morale et juridique.

 

Jubiler, donc. Pas que. Mais je déteste perdre mon temps, en particulier avec ce que l’actualité appelle « Littérature ». La petite crotte intitulée Qu’as-tu fait de tes frères ? est le dernier étron en date (chié par un certain Claude Arnaud) sur lequel je me suis penché, et à la non-écriture duquel j’ai consacré, hélas et en vain, de précieuses minutes, et accessoirement une note ici même, je veux oublier quand. Ces minutes et cette note eussent été mieux employées si j'eusse laissé le livre fermé. Mieux : si j'avais laissé le volume au libraire. La note eût eu le privilège de ne même pas être appelée à naître. Pauvre libraire, finalement, d'être obligé de vendre ça ! Pour ceux que ces propos défrisent, je renvoie à l'esprit d'injustice radicale revendiqué plus haut. 

 

Oui, je lis pour jubiler. Cela veut dire que je ne lis pas pour savoir. Si du savoir découle, c'est en plus. Cadeau. Encore moins pour apprendre une leçon qu’il faudrait réciter. Je ne lis pas pour me conformer aux impérieux diktats de l’époque, qui vous ordonnent : il faut avoir lu Walter Benjamin.

 

Qu’est-ce qu’ils ont tous à aboyer le nom de Walter Benjamin (prononcer béniamine) ? Et qu'est-ce qu'ils en font, de leur lecture ? Ils se sentent coupables ? Redevables (Walter Benjamin, juif, s'est suicidé en 1940 à la frontière avec l'Espagne, faute, me semble-t-il, d'un visa) ? Je n'ai rien contre ce monsieur. La preuve, j’ai essayé : j’ai laissé tomber. De la tortillonnade de circonvolution cérébrale (mais je réessaierai peut-être, j’ai bien fini par lire Le 19ème de Philippe Muray). 

 

Jubiler, oui, ça m’a été donné par des livres très divers. J’ai déjà parlé de Moby Dick, un livre qui transporte la matière humaine infiniment  loin, jusqu'aux confins, presque jusqu'à l'esprit, juste à côté de l'âme, je veux dire juste un peu avant ; un livre que j’ai regretté de fermer quand je l’ai fini, mais un livre qui a comblé mon âme d’un enthousiasme presque indécent. C’est vrai ça : comment Herman Melville a-t-il pu aligner vingt chapitres de description du cachalot sans me donner envie de jeter le bouquin ?

 

Je n'en suis toujours pas revenu. Comment a-t-il fait pour que, au contraire, tout au long de ces vingt chapitres ahurissants, la joie n’ait pas cessé de grandir (je précise quand même, pour les connaisseurs, que je l'ai lu dans la traduction de personne d'autre que l'immense Armel Guerne, qui exerçait, en plus du sacerdoce de poète, celui, combien plus exigeant et combien plus religieux à ses yeux, de traducteur) ?

 

Bien sûr, je peux analyser la chose, dire que Melville entre dans le cachalot comme on fait le tour du monde, pour l’explorer, et en découvrir, pays par pays, les merveilles, pôles compris. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans le très curieux Mardi, ce gros livre bizarre où quelques personnages montés dans une modeste pirogue (« royale » quand même) voyagent jusqu’à l’extrême des quatre points cardinaux, pôles compris.

 

Mais jubiler ne suffit pas, quand on lit. Encore faut-il pouvoir en faire quelque chose ensuite. Prenez le pur bonheur de Cent ans de solitude (dirai-je le nom de l’auteur ?). Ce livre pareil à nul autre vous plonge dans l’ambiance primordiale de la famille Buendia, native du village colombien de Macondo, avec Arcadio Buendia, Remedios la Belle et bien d'autres personnages, dans les générations desquels on se perd (j’ai lu ce livre une seule fois, il y a fort longtemps, sur le conseil de mon ami Bosio, merci Bosio, car il n'a toujours pas fini de faire résonner ses harmoniques). Ce que la grande Marthe Robert appellerait un « Roman des Origines »

 

Mais finalement, ce livre-monde, quels effets a-t-il produits en moi ? Même question avec ce livre formidable de Yachar Kemal, Mémed-le-Mince : un tout petit endroit du monde que le talent (ou le génie) de l’écrivain transforme en univers par la seule magie du verbe : on comprend bien que le cadi est un petit chef local qui impose la loi de son bon plaisir arbitraire et minable, mais on est emporté dans les dimensions quasiment célestes dans lesquelles le récit et les personnages sont enchâssés (les savantasses appellent ça de « l'épique »).

 

Ces livres, si je regarde ce qu’ils m’ont laissé, restent un peu comme ce que les physiciens appellent des « solitons », ces « ondes solitaires qui se propagent sans se déformer dans un milieu non linéaire et dispersif ». Ce que je retiens ici, c’est « ondes solitaires ». Le reste m’échappe évidemment : c’est de la physique, n’insistez pas.

 

Des livres sans cause et sans conséquence. Sans cause parce que leur lecture est venue par hasard, au gré des circonstances. Sans conséquence parce que, comme le nuage dans le ciel ou l’homme dans la femme (proverbe chinois idiot, mais peut-être que celui qui l'a inventé connaissait la pilule contraceptive, et qu'il ne parlait que du plaisir), ils ne laissent pas de trace. Tout au moins visible : je n'aimerais pas qu'on voie sur ma figure que j'ai lu les romans de Goethe. 

 

Je veux dire que ces livres ne construisent rien en vous après être passés. Un buron, une borie, un bastidon, je ne sais pas, mais quelque chose qui ait à voir avec un abri de berger. Ou alors à votre insu. Des livres morts en vous, des morts sans descendance apparente et dont vous êtes le cul-de-sac, bon gré mal gré.

 

Des livres dont vous ne saurez jamais comment vous pourriez restituer le bonheur qu’ils vous ont procuré. Sinon en en conseillant la lecture aux gens que vous aimez, piètre consolation. Des livres dont vous auriez envie, si c'était possible, de rendre au monde les bienfaits qu'ils vous ont offerts. Des livres qui vous laissent inconsolable d'avoir à les fermer, et dont le deuil en vous ne finira jamais. Oh, l'amour de ce deuil qui est une joie !

 

Des livres qui sont à eux-mêmes des culs-de-sac définitifs, parce qu’au-delà d’eux, il n’y a plus rien. Dans la même direction, personne n'est en mesure d'aller plus loin. Ils ont vidé le paysage. Non : ils ont vidé le fini du monde sans limite dans l’infini de leur espace borné. Ils ont transféré la soluble et frêle substance de l’univers dans la matière indestructible dont ils ont été faits, grâce au génie d’un homme unique et désespéré, comme le sont tous les hommes, car en lui s’est déversé, on ne sait pourquoi ni comment, le sens entier de l’existence humaine. Et que s'il n'en est pas mort, c'est juste parce qu'il a tout délégué, jusqu'à sa propre mort, à l'encre posée sur le papier.

 

Ce ne serait pas mal, comme définition d'un chef d'oeuvre : un livre qui est allé tout au bout de lui-même, un cul-de-sac qui a vidé son auteur de toute sa mort pour en faire un être vivant, et au-delà duquel il n'y a plus rien, que le vide sidéral. Oui, ce ne serait pas mal. Là, je verrais bien Au-dessous du Volcan. A la Recherche du temps perdu. Qu'en pensez-vous ? Mais moi qui ne fais jamais de liste, même pour faire les courses, ce n'est pas maintenant que je vais commencer. Chacun pour soi.

 

C'est de l'ordre de l'accomplissement. C'est seulement pour ça que je lis des livres. Chacun pour soi.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 13 juin 2012

DE LA POROSITE DANS LES CATEGORIES

Résumé : après les catégories du temps et de l’espace, on a constaté que la POROSITÉ a atteint la frontière entre les sexes. Voyons à présent si cette porosité fait tache d’huile (la porosité qui fait tache d'huile, ça vaut bien un discours du maire de Champignac, non ?).

 

 

Un autre exemple de ce totalitarisme soft de la POROSITÉ est à trouver dans une immense et impérieuse revendication venue du fond des âges coloniaux et des peuples opprimés, de tout ce qui tourne autour de la revendication du métissage culturel, de la « diversité », de la voix des « minorités », de la créolisation du monde, de la controverse sur le multiculturalisme. Ce sont AMADOU et MARIAM qui chantent : « Ouvrez les frontières, ouvrez les frontières, ouvrez les frontières ». Qu’est-ce d’autre que réclamer une POROSITÉ accrue ? Soyez poreux, les Européens,  devenez POREUX, vous, les blancs !

 

 

Allez, j’aggrave mon cas, et je propose comme exemple un cas extrême : la Déclaration des Droits. Tout le monde a au moins entendu parler de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cela date du 26 août 1789. Dix-sept articles lumineux, simples et précis. Passons sur celle de 1948, qui n’a de différent que son affirmation d’être universelle, quand la première, sans le dire, l’était déjà (elle comporte quand même 13 articles de plus, on sent le juridisme ambiant qui commence son grignotage épouvantablement énumératif, qu'on trouve dans tous les baux de location et les contrats d'assurance).

 

 

Mais mentionnons celle de 1959, celle des « Droits de l’enfant », dont je me demande ce qu’elle apporte de spécifique. Quoi, franchement ? Et que penserez-vous de la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal (Unesco, 1978) ? Et de la Déclaration Universelle des Droits des Plantes (authentique) ? Je dirai rien de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, rédigée par OLYMPE DE GOUGES en 1791, parce que je me ferais incendier par les féministes.

 

 

Et moi je dis que, pour revenir aux plantes, il serait pour le moins juste et équitable de proclamer solennellement les Droits des Carottes. Et dans la foulée, des Pommes de Terre. Et pourquoi pas des Navets ? Je sens que la Déclaration des Droits va pulluler et surabonder, comme la ’Pataphysique. Elle va régner dans tous les jardins potagers. Vous allez voir, la vie des jardiniers va devenir impossible.

 

 

Vous allez voir, les manifs de poireaux, les choux indignés qui vont aller camper sur de nouvelles « Places Tahrir » pour réclamer. Pour réclamer quoi, on s'en fout. Réclamer, c'est le principe. Les Droits débordent de partout. En France, les Droits suintent, débordent des femmes, des musulmans, des noirs, des homosexuels, des enfants, des animaux (même les cloportes et les limules ?), des plantes (même le lamier amplexicaule, la pulicaire dysentérique et la germandrée scorodoine ?).

 

 

Il faut donc saluer solennellement l'émergence, le surgissement, que dis-je, l'épiphanie des Droits solennels et infrangibles. Je sens que la foule fraternelle des plantes va entourer l'humanité génétiquement modifiée, de toute la tendresse de ses vrilles et de ses inflorescences, de toute la force de son affection végétale, et de toute la sincérité de sa sympathie légumière et autocuite.

 

 

Vous en voulez, d’autres exemples de POROSITÉ ? Je vous propose un petit viron dans la littérature. Qu’est que c’est, un roman ? Et d’abord, qu’est-ce que n’est pas un roman ? Prenez LAURENT BINET, auteur de HHhH (Grasset, 2010), il paraît. Le pauvre bouquin – que je n’ai pas lu –, l’autre semaine, a été mis sur le gril par un savant professeur (PETER TAME), qui a déclaré d'entrée de jeu, lors d’un colloque international (« Après Vichy : l’écriture occupée ») : « Ceci n’est pas un roman ».

 

 

Franchement, je me fous de savoir si le livre mérite ou non d’être appelé « roman ». Ce qui m’intéresse, c’est la plaidoirie présentée par JACQUES LECARME, illustre spécialiste de la littérature française contemporaine, pour le défendre. Il a soutenu que, depuis 1950, le roman était « le lieu de l’indétermination générique et désormais celui de l’hybridation ». « Indétermination générique », « hybridation », je n’en demandais pas tant : n’est-ce pas qu’on est exactement dans ce que j’appelle POROSITÉ ?

 

 

Et je n’ai pas examiné le cas de CHRISTINE ANGOT, d’ANNIE ERNAUX, de MARIE DARRIEUSSECQ, de CAMILLE LAURENS, de PASCALE ROZE (je m’excuse, ces noms de femmes sont les seuls qui me viennent présentement à l’esprit, ah si, tiens, il me vient CLAUDE ARNAUD, le très mauvais auteur d'un livre à succès, Qu’as-tu Fait de tes frères ?), des romans d’un nouveau genre qu’on promeut sous l’appellation d’ « autofictions ». Le problème, avec ceux-là, est double. L’ « autofiction » est-elle du roman ? Et tous les livres de ces gens-là sont-ils des livres pour des raisons autres que le seul fait d'avoir été fabriqués, édités, publiés ?

 

 

Toujours pour creuser le sillon de la POROSITÉ régnante, je reviens sur la question animale. Prenez PASCAL PICQ, un grand spécialiste de l’histoire archaïque de l’humanité (on dit « paléoanthropologue »). Il se demande depuis longtemps en quoi consiste la frontière qui sépare le règne animal (surtout les grands singes, à commencer par les chimpanzés) et le règne humain.

 

 

Or, tout son travail semble consister à brouiller les cartes, les pistes, les lignes. Son idée, pour simplifier et résumer, c’est de repérer ce qui chez le singe fait penser à l’homme, et inversement. La preuve ? Il a publié fin 2011 un livre dont le titre parle de lui-même : L’Homme est-il un grand singe politique ? (Odile Jacob), dans lequel il observe, dans un groupe de singes, ce qui pourrait faire penser à des comportements politiques.

 

 

Parfaitement : politiques. Si PASCAL PICQ voulait que l’échelle des valeurs en usage dans l’humanité soit réévaluée au bénéfice des animaux, il ne s’y prendrait pas autrement. En gros, l'homme n'a rien inventé, et il ne mérite pas tant d'égards. Accessoirement, je fais remarquer que le paléoanthropologue est un adepte de la POROSITÉ des frontières. Remarquez, avec le prion et le H5N1 (vache folle, grippe aviaire souvenez-vous), certaines maladies ont déjà franchi la « barrière entre les espèces ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

La suite et puis la fin, promis, demain sans faute.

 

 

mercredi, 17 août 2011

DIRE DU BIEN DE MICHEL HOUELLEBECQ

Je n’avais encore lu aucun livre de Michel Houellebecq. Vous allez me demander pourquoi, peut-être. La raison en est simple, je crois d’ailleurs l’avoir déjà exposée ici, quoique pour une autre raison : il y avait une controverse, que dis-je, une dispute, un débat national ! Le sujet, tout simplement, faisait exploser l’audience dans les médias. 

 

Et l’ébullition virtuelle (récurrente, il faut bien l’avouer, le carburant des médias n’étant rien d’autre que l’ébullition, quel que soit le combustible), tout simplement, ça me donne dans la minute, en plus de la nausée, un urticaire géant, massif, à donner même au unau des gestes fébriles et saccadés,  voire capricants et convulsifs, c’est vous dire. 

 

Il suffit que la mayonnaise médiatique « prenne » autour d’un individu, d’un phénomène, d’un événement pour que je fasse comme l’escargot : je me rétracte, je retourne au fond de la coquille utérine de ma surdité natale. C’est simple, tout ce qui a pour vertu de « faire parler les gens », je m’en protège par instinct comme d’une peste. Bon, c’est vrai, j’ai abordé ici plusieurs fois, par exemple, l’ « affaire » Strauss-Kahn, mais c’est parce que j’écoute beaucoup la radio. Vous dites : paradoxal ? Je veux bien. Mais qui est sans contradiction ? 

 

Une amie avait prêté à H. La Carte et le territoire, le petit dernier de l’auteur controversé. Le livre était là, sur sa table, inoccupé, désœuvré même, il s’ennuyait. Je l’ai ouvert – avec réticence, mais je l’ai ouvert. Autant l’avouer : je craignais le pire. Eh bien tenez-vous bien, je n’ai pas regretté. Franchement, c’est une heureuse surprise. J’ai donc lu récemment deux ouvrages contrastés d’auteurs français d’aujourd’hui : Claude Arnaud, avec Qu’as-tu Fait de tes frères ?, et, donc, Michel Houellebecq, avec La Carte et le territoire. 

 

Autant je trouve le premier dénué de toute force et de tout intérêt, frappé d’émasculation littéraire, autant je trouve le Houellebecq réjouissant et « couillu ». Enfin un livre d’un auteur français d’aujourd’hui qu’il ne faut pas se forcer, la mort dans l’âme, à boire jusqu’à la lie de la dernière page. Tiens, du coup ça me donne envie de lire les précédents. 

 

Le Claude Arnaud, c’est du mètre linéaire, comme on dit dans les supermarchés, mais du linéaire à tous les étages du bouquin, dans les faits, dans les personnages, dans la construction, et surtout dans le regard sur le monde que c’est censé refléter : tout simplement, de regard, il n’y en a pas. Mai 1968, avec ce qui précède et tout ce qui suit, pourtant, ça devrait motiver le romancier, bon dieu ! Là non, rien, pas de regard du tout : si l’on veut, c’est un tableau aveugle sur l’époque. Cette époque, il s’est contenté de la vivre. Ça ne fait pas une littérature. Le secrétaire de séance se contente d’exposer, comme je disais, son compte-rendu de conseil d’administration. 

 

Avec Michel Houellebecq pas du tout. L’action se passe aujourd’hui, ou peu s’en faut : il ne faut pas compter sur une reconstitution historique. Et l’époque, on l’entend pester contre. On sent qu’il ne peut pas la sentir. Et pour moi, ça tombe bien, c’est une attitude que non seulement je comprends, mais que je partage. Je pense à Philippe Muray qui, d’ailleurs, dans sa détestation du bocal littéraire parisien, épargne plutôt l’auteur de La Carte et le territoire, si je me souviens bien (voir son volume d’Essais, aux Belles Lettres). 

 

 Ce qui est vraiment bien, c’est que Michel Houellebecq, non seulement ne dit jamais « je » comme dans ces pseudo-romans que sont les soi-disant « auto-fictions », mais encore met en scène un personnage qui s’appelle Michel Houellebecq, qui meurt atrocement, soit dit en passant, dans la troisième partie. Mais attention, ce n’est pas une projection, ce serait plutôt un double, et c’est assez marrant. Car le pire, dans l’autofiction, c’est l’espèce de vortex auto-érotique où l’auteur masturbe à longueur de page des obsessions qui l’obsèdent. C’est, bien entendu, insupportable. Rien de tel ici. 

 

Le personnage principal, c’est l’artiste Jed Martin, fils de l’architecte Jean-Pierre Martin, à la riche et belle carrière d’architecte, mais il a pris sa retraite, un jour. Le roman commence sur l’impossibilité de finir le tableau dont le sujet consiste en Jeff Koons et Damien Hirst, les deux artistes les plus chers du marché de l’art contemporain. Déjà, cette impossibilité de finir un pareil tableau me rend le livre sympathique. Ça ne suffit pas, mais ça aide. D’autant que le futur tableau s’intitule « Jeff Koons et Damien Hirst se partageant le marché de l’art ».

 

 A suivre...

mardi, 02 août 2011

QU'AS-TU FAIT DE TES FRERES ?

CLAUDE ARNAUD est l’auteur du livre qui porte ce titre. Editions Grasset, paru en 2010. Mon ami R. T. m’en avait dit grand bien. Comme c’est un vrai connaisseur, je l’ai cru. H. C., elle, a été emportée par l’enthousiasme. Littéralement. Même C. m’en a dit le plus grand bien. Il est libraire, c’est dire. Trois avis valent mieux qu’un, c’est certain. J’ai donc été convaincu que le livre était bon avant même de l’avoir ouvert.

 

 

Influencé par trois avis autorisés, je l’ai donc ouvert. J’aurais aussi bien fait de ne pas (vous savez, le célèbre « I would prefer not to » du Bartleby de MELVILLE). D’abord, qu’est-ce qui lui a pris d’appeler ça « roman » ? Le personnage principal, celui qui dit « je », s’appelle CLAUDE. Les deux frères, comme dans la vraie vie, s’appellent PIERRE ARNAUD et PHILIPPE ARNAUD. Le père, comme dans la vraie vie, s’appelle HUBERT ARNAUD.

 

 

Qu’est-ce qu’ils ont tous à étaler leur vie, celle de leurs proches, et surtout à appeler ça littérature ? Ce bouquin, c’est à la rigueur un récit de vie, récit autobiographique, ça va de soi. Mais pas un roman. Est-ce même de la littérature ? Pas sûr. J’en ai assez de la « littérature » française contemporaine. J’avais fait confiance au prix Goncourt, attribué en 1996 à Le Chasseur zéro, d’une certaine PASCALE ROZE. Une épouvantable nullité littéraire. Ce fut la dernière fois.

 

 

J’ai feuilleté MARIE DARRIEUSSECQ, CAMILLE LAURENS, CHRISTINE ANGOT et quelques autres. Même AMELIE NOTHOMB me « thombe » des mains. C’est moi qui dois être trop difficile. Parlez-moi de Moby Dick : je grimpe au rideau illico ! Au-Dessous du volcan, je plonge. Ulysse, je m’enflamme. Parlez-moi de littérature, enfin, ça marche.

 

 

La question qui se pose est : comment des livres nuls sont-ils achetés en masse ? « Nuls », pour moi, c’est le plat récit autobiographique de quelqu’un de peu intéressant qui trouve intéressant de raconter sa pauvre vie. « Nuls », c’est aussi le livre fabriqué selon un recette de cuisine bien huilée (ou bien beurrée, si vous préférez), comme sait si bien faire le cuisinier MARC LEVY. Pourquoi des masses de lecteurs se ruent-ils pour remplir le compte en banque de ce genre d’ « écrivain » ? Ce sont peut-être les mêmes qui regardent la télévision, allez savoir ?

 

 

Je renvoie au livre de PIERRE JOURDE et ERIC NAULLEAU : Le Jourde et Naulleau, Mango éditeur, 2008, pour les autres têtes de turc à démolir. Les auteurs alignent très correctement les gens cités précédemment, et ajoutent à la liste PHILIPPE SOLLERS et BERNARD-HENRI LEVY, ALEXANDRE JARDIN et MADELEINE CHAPSAL, et quelques autres. J’avais beaucoup aimé quelques livres du père JARDIN, PASCAL. Mais le style n’est pas dans les gènes.

 

 

Le problème actuel de la littérature en France, ou plutôt de sa diffusion, c’est la confusion des trois acteurs : écrivain, éditeur, critique littéraire. Et je ne parle pas de la « politique éditoriale », qui va au plus rentable. L’écrivain est souvent directeur de collection chez un éditeur. Le « critique » est souvent écrivain. Enfin, dans ce petit monde, qui fonctionne un peu comme le peloton du tour de France, sur base d’OMERTA et de service rendu, tout le monde sert la soupe à tour de rôle aux autres. Ils se tiennent tous par la barbichette. 

 

 

En fait, ce qui manque à tous ces gens qui règnent, au moins médiatiquement, sur la littérature en France, c’est bien sûr le STYLE. Alors, peut-être est-ce tout à fait délibéré et volontaire de la part de CLAUDE ARNAUD, mais son récit est linéaire, chronologique, et les faits s’y succèdent selon le principe de l’absence de structure que constitue la juxtaposition des faits. Si l’auteur cherchait la platitude du style, alors son entreprise est couronnée de succès.

 

 

Alors maintenant, qu’est-ce que ça raconte ? En gros, les ravages accomplis sur toute une famille par les « événements » de mai 1968 et la suite. Le père est « à l’ancienne » (ça veut dire rigide, voire ringard). La mère, tiens, j’ai déjà oublié la figure de la mère. Pierre, l’aîné, est une « tête » brillantissime promise au plus brillant avenir. Philippe, c’est l’aventurier de la famille qui aura parcouru le monde en envoyant des « cartoline » à la famille « par à-coups ». Claude se définit lui-même comme un « Gavroche planant ».

 

 

Pierre, l’ « aventurier mental », finira mal, après avoir troqué les bibliothèques savantes pour des squats de plus en plus miteux, dans une espèce de long suicide social, qui deviendra suicide personnel du deuxième étage de l’hôpital psychiatrique où il a échoué. Philippe, le « penseur global », finira mal, lors d’une baignade où il se noie mystérieusement. Voilà pour l’explication du titre du bouquin. Mais même le père et la mère finissent par mourir ! Etonnant, non ? Qu’as-tu fait de ton père et de ta mère ?

 

 

Quant à Claude, il découvre la vie avec exaltation, et va goûter à tous les râteliers. Le râtelier sexuel d’abord, qui le conduit dans tous les lits possibles et imaginables, où il joutera avec les garçons et les filles, mais de préférence les garçons, si j’en juge par le nombre de pages (voir le chapitre « La chanson de Roland »). Le râtelier politique, évidemment, qui le conduit des trotskistes à la Gauche Prolétarienne, dont il vend la propagande sur les marchés. Le râtelier culturel et intellectuel, enfin, avec toutes les modes de l’époque.

 

 

Tout cela est exposé sérieusement, comme transcrit d’un journal tenu au jour le jour, et, je crois, honnêtement. Pour quelqu’un né au milieu des années 1950, il peut être rigolo de retrouver l’ambiance d’une période qui a marqué les esprits, de même que les vrais noms dont on parlait dans les années 1970 : ROLAND BARTHES, JEAN-FRANÇOIS LYOTARD, FREDERIC MITTERRAND et un certain nombre d’autres. Voilà, s’il vous manque un « tableau » de ce que furent mai 1968 et la suite, ce livre est fait pour vous.

 

 

Mais s’il vous faut un livre vraiment « écrit », passez votre chemin. C’est le gros reproche que je lui fais. Ce n’est donc certainement pas un « roman ». Je dirais presque que ce n’est même pas un « récit ». Ce serait plutôt le « compte-rendu » établi au cours même de la réunion du conseil d’administration par le secrétaire de séance. Reste la photo du bandeau, rigolote finalement, où l’on voit un homme souriant couché en travers des rails, mais rassurez-vous, la voie est désaffectée et l’herbe folle passe abondamment le nez à travers le ballast.

 

 

Maintenant, un question reste : pourquoi ce livre a-t-il été publié ? Première hypothèse : il dessine les traits d'une époque (mai 1968 et après) que NICOLAS SARKOZY a mise à la mode, et c'est ce tableau qui attire le lecteur avide de se faire une idée de ce qu'elle fut, voire de se replonger dans une ambiance qu'il a lui-même connue de près ou de loin.

 

 

Deuxième hypothèse : je note le tir groupé que forme la publication quasi-simultanée de plusieurs livres traitant approximativement du même sujet. Il y a d'abord le livre de MATHIEU LINDON, Ce qu'Aimer veut dire, que je n'ai pas lu, et où il raconte, paraît-il, son "amitié" passionnée avec le philosophe MICHEL FOUCAULT, dans son appartement de la rue de Vaugirard.

 

 

Il y a ensuite le livre de JEAN-MARC ROBERTS, François-Marie, où l'auteur s'adresse à son "ami" FRANÇOIS-MARIE BANIER, pour prendre sa défense. Même si celui-ci n'a jamais pu coucher avec celui-là, ils "fréquentaient main dans la main les boîtes gays de la rue Sainte-Anne" (site bibliobs).

 

 

Le tir groupé en question, le voilà : les années 1970 ont été celles de la fin du tabou homosexuel. Cela n'invalide pas du tout la première hypothèse. En fait, elles se télescopent. La mode, aujourd'hui, est à la "gay pride". J'ajoute que le Nouvel Observateur désigne JEAN-MARC ROBERTS comme un "membre influent" du milieu littéraire parisien (c'est-à-dire français).

 

 

Il convient donc que cela se sache : la "communauté homosexuelle" a désormais pignon sur rue, et sans doute pas seulement dans le milieu littéraire. Et ce n'est pas monsieur PIERRE BERGÉ qui me contredira.