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mercredi, 29 août 2012

CHOURMO, JEAN-CLAUDE IZZO

Pensée du jour : « Mais, dès que le soleil reparaît, les dames se remettent nues au soleil ; ce sont de magnifiques personnes ; elles ont des cuisses monumentales, deux fois plus nombreuses que leurs corps qui sont étendus parallèlement sur de grandes plates-formes en bois au bord de la piscine de Levallois. On les voit du train, en passant ; ensuite on voit un grand cimetière ; et ensuite la fabrique de jambons Olida ».

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je viens de relire Chourmo, de JEAN-CLAUDE IZZO. Dix ans après. Il ne m’en restait strictement rien, hormis la poursuite finale, spectaculaire, qui coûte la vie aux deux truands, et que j’ai eu bien du plaisir à retrouver. C’est un polar. Au rayon polar, c’est plutôt un bon. Il fait partie de la « trilogie marseillaise », pris en sandwich entre Total Khéops et Soléa. Solea, c’est un titre de MILES DAVIS, dans Sketches of Spain (hyperconnu). "Total Khéops", si je me souviens bien, ça a quelque chose à voir avec le chaos. "Chourmo", je l’ai lu, mais je ne m’en souviens déjà plus. Ce n’est peut-être pas si grave : vocabulaire djeunz d'il y a quinze ans. 

 

Au bout de la trilogie, Fabio Montale, le héros, se fait dessouder. Il ne boira plus de Lagavulin. C’est un whisky. C'est son whisky. « Pungent and potent, with richly peaty, deep, smoky flavor. » Ça, c'est la publicité. Beaucoup trop tourbé (comme "peaty" l’indique) à mon goût, comme tous les Islay. C’est pour ça que je préfère les Speyside, ou « Triangle d’or », entre Inverness et Aberdeen (Glenfiddich, Glenfarclas, Glenlivet, Lands of Scotland, mais Arran n’est pas mal quand même …). On imagine mal un détective sans les pieds sur le bureau et un verre à la main (dans l'autre main, c'est la cigarette). Même Maigret se fait monter des bières.  

 

Le roman policier, donc, j’aime bien. J’en ai lu beaucoup. A Corbeyssieu, il y avait plusieurs mètres de rayons, en haut de l’escalier de la « petite maison ». Le polar, c’est devenu un « genre » en soi, il paraît. Pour ainsi dire, une profession. C’est comme la science fiction. Le livre pour enfants. La bande dessinée. La littérature a fait des petits. Des sous-produits. La littérature s’est divisée. Et en se divisant, elle s'est hiérarchisée. Ce qui est bien, avec le polar, c'est que d'une lecture à l'autre, on oublie. C'est même sans doute fait pour ça. 

 

Remarquez, la littérature divisée, ça ne date ni d’hier (une des meilleures blagues que je connaisse : « Quelle est la différence entre un pigeon ? – C’est qu’il ne sait ni voler », je sais, c'est réservé à une élite). EUGENE SUE, déjà. Et PAUL FEVAL. Et MICHEL ZEVACO. Et tous les feuilletonistes du 19ème siècle, très doués pour pisser de la copie jour après jour. « Populaire », on disait, avec une moue de mépris au coin de la lèvre. 

 

Est-ce que ça disqualifie toute hiérarchie ? Non, mille fois non. Un livre qui vous fait passer un bon moment, c’est bien, mais ça n’a rien à voir avec un livre qui vous bouleverse. Encore moins avec celui qui change votre vie. Non, la littérature est aussi hiérarchisée que l’amour. Il y a les passades, le cul, vous ne vous rappelez ni le prénom, ni le visage. Une vague modalité du plaisir. Un élément du décor. A la rigueur la chaudepisse. Je parle d’avant le sida. 

 

Et puis il y a le grand amour. Avec, entre les deux, toute la gamme des intensités possibles. Infiniment plus que neuf échelons, comme la pauvre échelle de Monsieur Richter. Oui, tout ça est très hiérarchisé, quoi qu'en dise et en pense notre époque, niveleuse acharnée, égalisatrice à la "je ne veux voir qu'une tête" (dit-elle en se fourrant le doigt dans l'oeil), uniformisatrice fanatique et raboteuse intégriste.  

 

Le roman policier, c’est comme ces amours que vous avez plaisir à retrouver de temps en temps, mais que ça n’ira jamais plus loin. Vous deux le savez. Un attachement amoureux. Un point de repère. Mais ce n’est pas le grand amour, vous savez, ce soudain torrent de la passion qui vous embarque, puis qui vous laisse échoué, hébété, sur le trottoir d’un petit matin, quelque temps après, sans force, à vous demander ce qui vient de se passer. Un petit matin terrible et inoubliable.

 

 

Le roman policier, franchement, je n'imagine pas un instant que quiconque puisse ne lire que ça. Arrive à n'en pas sortir et à s'en contenter. Cela vaut pour la SF, la BD, etc. SAINT THOMAS D'AQUIN en personne ne disait-il pas doctement : « Timeo hominem unius libri » ? Il avait bien raison : je crains l'homme d'une seule sorte de livre. De même que je ne conçois pas qu'on puisse ne lire que de la grande littérature, ou n'écouter que de la grande musique. Le monde est trop divers pour que l'homme s'isole dans ce qu'on appelle trop commodément (et si pauvrement) une « passion ». Le timbre poste, l'étiquette de camembert, la plaque publicitaire émaillée. 

 

Mon polar à moi n’est donc pas aussi ambitieux et dévorant qu'une passion amoureuse. Ce qu’il me faut, c’est un SIMENON (n'importe lequel des 368) de temps en temps, sinon un CHANDLER (La Dame du lac est formidable), ou un CHESTER HIMES (L'Aveugle au pistolet, par exemple, un livre qui a du poil aux pattes), ou un PETER CHENEY (qui a un peu mal vieilli). A la rigueur, La Chair de l'orchidée, de JAMES HADLEY CHASE (dont GEORGE ORWELL dit beaucoup de mal, et qui lui reproche, en tant qu'Anglais, de faire plus "trash" que les auteurs américains, juste pour vendre autant qu'eux).

 

 

Chourmo, c’est intéressant. C'est déjà pas mal. La faiblesse du bouquin ? Le Front National. Fabio Montale fait une phobie politique. Il arrache même, dans le bureau de son ancien collègue Pertin qu’il ne peut pas encadrer (que c’est même réciproque), une affiche vantant le syndicat de flics affilié aux méchants fachos. On sent que ça drague le lecteur de gauche. Attention, ça ne veut pas dire que je vote pour MARINE : déjà, avant qu'elle ouvre la bouche je me sens « tout fatigué de la vague MARINE » (Parfum exotique, les majuscules sont de moi). De toute façon, je ne vote plus, c'est un principe.

 

 

Je l'affirme en direct : le Front National, l’histoire n’en a pas besoin, même si l’auteur s’efforce de lui faire une place dans le scénario. Il a ménagé quelques diverticules, c'est normal, car il faut que le lecteur aille sur des voies de garage, avant d'être illuminé par la solution. Ici, le truc vicelard (magouille avec des islamistes de choc) ne marche pas très bien. Le militantisme affaiblit le polar. Et la littérature en général. C'est ma conviction. 

 

Par contre (mon prof d’allemand, monsieur MOIROUD, nous serinait : « On ne dit pas "par contre", on dit "en revanche" ». Eh bien là, il l’a dans l’os, bien fait pour lui.), ce qui carbure au maximum, c’est le fond de l’intrigue, et j’avoue que ce genre de mécanique horlogère de précision, chaque fois, ça m’épate. Je vous raconte. 

 

Guitou est l’ado chéri de sa mère Gélou (ces diminutifs … !). Pendant les vacances, il est tombé raide dingue de Naïma. Alors, comme il a dans le même temps fait la connaissance de Mathias, il se fait prêter pour une nuit sa chambre. D’abord, il pique 1000 francs dans la caisse de sa mère, pour aller de Gap à Marseille, qu'il se fait piquer à peine sorti de la gare. Seulement, c’est dans la même nuit qu’Hocine Draoui se fait trucider (un ennemi du FIS algérien). Juste à l’étage au-dessus. Et l’idiot, alerté par un bruit (le revolver était muni d'un silencieux), ouvre la porte, et c’est là qu’il reçoit la balle de 38 (9 mm, balle de 9,6 ou 10,2 g suivant option) qui ne pardonne rien. 

 

Il faut savoir que Gélou est la sœur de Fabio Montale, l’ex-flic marseillais. Qui met du temps à comprendre que Guitou est mort, et qui est donc bien embêté pour sa soeur. On le serait à moins. Je passe sur les voies de dérivation de l’intrigue principale. Le problème essentiel qu’a à résoudre l’auteur de polar, c’est le timing. Quand doit-il donner au lecteur l’élément qui va le surprendre tout en faisant avancer la mécanique ? 

 

JEAN-CLAUDE IZZO fait ça très bien.

 

Voilà ce que je dis, moi.

A suivre.

mercredi, 13 juin 2012

DE LA POROSITE DANS LES CATEGORIES

Résumé : après les catégories du temps et de l’espace, on a constaté que la POROSITÉ a atteint la frontière entre les sexes. Voyons à présent si cette porosité fait tache d’huile (la porosité qui fait tache d'huile, ça vaut bien un discours du maire de Champignac, non ?).

 

 

Un autre exemple de ce totalitarisme soft de la POROSITÉ est à trouver dans une immense et impérieuse revendication venue du fond des âges coloniaux et des peuples opprimés, de tout ce qui tourne autour de la revendication du métissage culturel, de la « diversité », de la voix des « minorités », de la créolisation du monde, de la controverse sur le multiculturalisme. Ce sont AMADOU et MARIAM qui chantent : « Ouvrez les frontières, ouvrez les frontières, ouvrez les frontières ». Qu’est-ce d’autre que réclamer une POROSITÉ accrue ? Soyez poreux, les Européens,  devenez POREUX, vous, les blancs !

 

 

Allez, j’aggrave mon cas, et je propose comme exemple un cas extrême : la Déclaration des Droits. Tout le monde a au moins entendu parler de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cela date du 26 août 1789. Dix-sept articles lumineux, simples et précis. Passons sur celle de 1948, qui n’a de différent que son affirmation d’être universelle, quand la première, sans le dire, l’était déjà (elle comporte quand même 13 articles de plus, on sent le juridisme ambiant qui commence son grignotage épouvantablement énumératif, qu'on trouve dans tous les baux de location et les contrats d'assurance).

 

 

Mais mentionnons celle de 1959, celle des « Droits de l’enfant », dont je me demande ce qu’elle apporte de spécifique. Quoi, franchement ? Et que penserez-vous de la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal (Unesco, 1978) ? Et de la Déclaration Universelle des Droits des Plantes (authentique) ? Je dirai rien de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, rédigée par OLYMPE DE GOUGES en 1791, parce que je me ferais incendier par les féministes.

 

 

Et moi je dis que, pour revenir aux plantes, il serait pour le moins juste et équitable de proclamer solennellement les Droits des Carottes. Et dans la foulée, des Pommes de Terre. Et pourquoi pas des Navets ? Je sens que la Déclaration des Droits va pulluler et surabonder, comme la ’Pataphysique. Elle va régner dans tous les jardins potagers. Vous allez voir, la vie des jardiniers va devenir impossible.

 

 

Vous allez voir, les manifs de poireaux, les choux indignés qui vont aller camper sur de nouvelles « Places Tahrir » pour réclamer. Pour réclamer quoi, on s'en fout. Réclamer, c'est le principe. Les Droits débordent de partout. En France, les Droits suintent, débordent des femmes, des musulmans, des noirs, des homosexuels, des enfants, des animaux (même les cloportes et les limules ?), des plantes (même le lamier amplexicaule, la pulicaire dysentérique et la germandrée scorodoine ?).

 

 

Il faut donc saluer solennellement l'émergence, le surgissement, que dis-je, l'épiphanie des Droits solennels et infrangibles. Je sens que la foule fraternelle des plantes va entourer l'humanité génétiquement modifiée, de toute la tendresse de ses vrilles et de ses inflorescences, de toute la force de son affection végétale, et de toute la sincérité de sa sympathie légumière et autocuite.

 

 

Vous en voulez, d’autres exemples de POROSITÉ ? Je vous propose un petit viron dans la littérature. Qu’est que c’est, un roman ? Et d’abord, qu’est-ce que n’est pas un roman ? Prenez LAURENT BINET, auteur de HHhH (Grasset, 2010), il paraît. Le pauvre bouquin – que je n’ai pas lu –, l’autre semaine, a été mis sur le gril par un savant professeur (PETER TAME), qui a déclaré d'entrée de jeu, lors d’un colloque international (« Après Vichy : l’écriture occupée ») : « Ceci n’est pas un roman ».

 

 

Franchement, je me fous de savoir si le livre mérite ou non d’être appelé « roman ». Ce qui m’intéresse, c’est la plaidoirie présentée par JACQUES LECARME, illustre spécialiste de la littérature française contemporaine, pour le défendre. Il a soutenu que, depuis 1950, le roman était « le lieu de l’indétermination générique et désormais celui de l’hybridation ». « Indétermination générique », « hybridation », je n’en demandais pas tant : n’est-ce pas qu’on est exactement dans ce que j’appelle POROSITÉ ?

 

 

Et je n’ai pas examiné le cas de CHRISTINE ANGOT, d’ANNIE ERNAUX, de MARIE DARRIEUSSECQ, de CAMILLE LAURENS, de PASCALE ROZE (je m’excuse, ces noms de femmes sont les seuls qui me viennent présentement à l’esprit, ah si, tiens, il me vient CLAUDE ARNAUD, le très mauvais auteur d'un livre à succès, Qu’as-tu Fait de tes frères ?), des romans d’un nouveau genre qu’on promeut sous l’appellation d’ « autofictions ». Le problème, avec ceux-là, est double. L’ « autofiction » est-elle du roman ? Et tous les livres de ces gens-là sont-ils des livres pour des raisons autres que le seul fait d'avoir été fabriqués, édités, publiés ?

 

 

Toujours pour creuser le sillon de la POROSITÉ régnante, je reviens sur la question animale. Prenez PASCAL PICQ, un grand spécialiste de l’histoire archaïque de l’humanité (on dit « paléoanthropologue »). Il se demande depuis longtemps en quoi consiste la frontière qui sépare le règne animal (surtout les grands singes, à commencer par les chimpanzés) et le règne humain.

 

 

Or, tout son travail semble consister à brouiller les cartes, les pistes, les lignes. Son idée, pour simplifier et résumer, c’est de repérer ce qui chez le singe fait penser à l’homme, et inversement. La preuve ? Il a publié fin 2011 un livre dont le titre parle de lui-même : L’Homme est-il un grand singe politique ? (Odile Jacob), dans lequel il observe, dans un groupe de singes, ce qui pourrait faire penser à des comportements politiques.

 

 

Parfaitement : politiques. Si PASCAL PICQ voulait que l’échelle des valeurs en usage dans l’humanité soit réévaluée au bénéfice des animaux, il ne s’y prendrait pas autrement. En gros, l'homme n'a rien inventé, et il ne mérite pas tant d'égards. Accessoirement, je fais remarquer que le paléoanthropologue est un adepte de la POROSITÉ des frontières. Remarquez, avec le prion et le H5N1 (vache folle, grippe aviaire souvenez-vous), certaines maladies ont déjà franchi la « barrière entre les espèces ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

La suite et puis la fin, promis, demain sans faute.