jeudi, 30 août 2012
CHOURMO, SUITETFIN
Pensée du jour : « Il prend la plume, il va écrire à un ami ; il se rappelle soudain que cet ami est mort ; c'est pourtant avec lui qu'il partage les trois quarts des choses. A tel autre ; il est mort aussi. Et tel, et tel. Ils sont rangés sous terre, comme les livres, une fois lus, sur des rayons. L'humanité est une bibliothèque dont presque tous les livres sont lus. L'humanité est aux archives ».
ALEXANDRE VIALATTE
Nous parlions donc de Chourmo, de JEAN-CLAUDE IZZO. Ce qu’on savait, c’est que le père de Guitou, Gino, est mort (de mort violente), et que Gélou (son vrai prénom n’est jamais donné, et je déteste les diminutifs, les "bibiche", les "mon cœur", et autres niaiseries suspectes ; à la rigueur, votre sœur Gisèle, appelez-la Sophie, et n’en parlons plus, ça reste intéressant et affectueux) s’est maquée avec Alex, et que Guitou ne peut pas encadrer Alex, et qu’Alex le brutalise à l’occasion.
Mais comment le lecteur (Fabio Montale dit "je", c’est pratique : chaque rebondissement, c’est d’abord lui qui l’encaisse) aurait-il pu deviner qu’Alex, son nom complet, c’est Alexandre Narni, et que ce type est (avec Antoine Balducci) le porte-flingue de Sartanario, un parrain de la Camorra napolitaine (la même que dénonce ROBERTO SAVIANO dans Gomorra), et que c’est lui qui a dézingué, au tout début du bouquin, Hocine Draoui et, dans la foulée, Guitou ?
Même Gélou, sa propre compagne depuis 10 ans, croit qu’il est dans le marketing économique. En fait de marketing économique, c'est de l'arnaque à tous les étages. Sartanario le camorriste, vous savez quoi ? Il prête de l’argent (à blanchir) à qui veut monter une entreprise, mais à 25 %, et Alex est chargé de faire rentrer l’argent bonifié et de punir les mauvais payeurs. Mais le truc, à un taux pareil, c'est qu'il ne peut y avoir que des mauvais payeurs (voir le restaurant de Gino). La différence avec le Gobseck de BALZAC, c'est qu'il n'y a pas de reconnaissance de dette : il y a le flingue d'Alex. On apprend d'ailleurs que c'est lui qui avait tué Gino, le légitime de Gélou.
Le pire, c’est que Guitou n’était même pas le fils de Gino, mais bien du truand Alex (andre Narni), dont on apprend qu’il a donc tué son propre rejeton, mais qu'il l’ignorait parce que Gélou ne lui avait jamais dit que c’était lui, le père (c’est vrai que seule la mère sait qui est le père, et encore, pas toujours).
Vous voyez le nœud ? Quasiment gordien, le nœud, non ? "Gordien", ça fait très bien, dans un paysage. Personne ne sait ce que c’est, donc tout le monde respecte. Et ignore généralement comment Alexandre l'a réglé (Le Grand, c'est d'un coup d'épée, Narni, d'un coup de pistolet). N’empêche, qu’est-ce qu’elle prend sur la calebasse en rien de temps, la frangine à Fabio Montale ! Son fils a été tué par son mec, qui est un tueur à gages. De quoi disjoncter bien net ? Eh bien non.
Eh ben oui que eh bien non, parce que tout le monde se retrouve dans le zen d’un temple bouddhiste, où Cûc, la femme d’Adrien Fabre, le père du Mathias qui a prêté la chambre à Guitou (j'espère que vous suivez), la même Cûc qui a pris le temps de faire une pipe à Montale, où Cûc, disais-je, a caché Mathias et Naïma.
C’est vrai que c’est sûr que c’est garanti, que là, ils étaient en sécurité : comment le camorriste napolitain aurait l'idée de fouiner chez les bouddhistes ? J’ai oublié de préciser qu’Adrien Fabre a assisté à l’exécution du début, et qu’il a été lui-même exécuté (il devenait de plus en plus tiède) : il devait sa brillante carrière d’architecte à l’argent sale et à l'influence secrète de la Camorra sur les marchés publics.
C'est le genre de livre optimiste, qui rétablit l’ordre du monde à la fin. Oui, parce que les méchants sont punis. Parce que Fabio Montale, quand il est au volant de la Saab, faut pas le chercher. Ou alors, il faut le suivre sur la route du col de la Gineste, en Safrane noire, par la D 559, avec la ferme intention de faire un tir au pigeon. A fond les manettes. La poursuite finale est assez bien écrite, où Montale se demande s'il préfèrera les spaghettis à la matricciana, une soupe de haricots et une daube bien marinée. Tout en taquinant à mort le frein et le changement de vitesses.
Au moment fatidique, la Safrane des méchants « me doubla et poursuivit sa route. Contre la rambarde en béton. Culbuta. Et partit dans les airs. Les quatre roues face au ciel. Cinq cents mètres plus bas, les rochers, et la mer ». L’ordre est donc rétabli, et d’autant mieux que les deux flics qui suivaient tant bien que mal dans leur R 21 minable et antique, rappliquent aussitôt pour lui dire que le commissaire Loubet avait bien fait les choses et que, de toute façon, les truands étaient cuits.
Quoi, j’ai raconté la fin ? Et alors ? Ceux qui l’ont lu, de toute façon, ils savent (à condition de s'en souvenir). Et ceux qui n’ont pas encore lu la trilogie marseillaise de JEAN-CLAUDE IZZO, c'est sans doute qu'ils n’en ont rien à battre, sinon, ce serait fait depuis longtemps.
UNE TÊTE DE PERE TRANQUILLE, NON ?
MOI, JE LE VERRAIS BIEN PROF D'ALLEMAND
Et puis en plus, ça montre qu’un livre dont la seule chose à faire est de ne surtout pas raconter la fin, c’est un livre dont le seul intérêt est dans le dénouement. Or, quand on raconte le dénouement et que ça dégoûte la personne, c'est qu'on est dans la littérature de consommation. S'il connaît la fin avant, le lecteur n'a plus besoin d'ouvrir le livre. C’est ça, la littérature policière. Et ça vaut, évidemment, pour le cinéma.
SIMENON écrivait neuf livres par an, assis à sa table tous les matins. Avec sa pile de crayons taillés la veille au soir. CELINE a mis quatre ans pour terminer Voyage au bout de la nuit. En tout il a écrit SEPT romans. En mettant, comme il dit, sa « peau sur la table ». SIMENON, il en a écrit 368. Et il s'est bien conservé. Vous la voyez, la différence ?
Le polar, c’est un mécanisme avant d’être de la littérature. THOMAS NARCEJAC (de BOILEAU & NARCEJAC, donc un connaisseur) le reconnaît : l’auteur de polar ne doit pas péter plus haut que son cul. Parce que son bouquin, c’est comme une rivière qui remonterait vers sa source : il est élaboré et construit à partir de la fin. Tout le reste de l’effort d'écriture, c’est de faire le plus d’effet possible sur le lecteur. Il fait des livres qui s'auto-détruisent.
Un grand livre, c'est le contraire : ça se développe dans le sens que la nature impose à l’eau : de la source à la mer. CELINE lui-même est saisi d’étonnement devant les rigoles, rus, ruisseaux, rivières et fleuves qui se mettent à couler et qui s’imposent à lui quand il écrit Féerie pour une autre fois, et qui font gonfler le volume des volumes. Il part dans les directions qui se présentent. Et surtout, il ne sait pas où il va aboutir.
L’intrigue de Le Rouge et le noir, c’est quoi ? Un jeune ambitieux séduit une aristocrate, puis une aristocrate, avant de tenter de tuer la première. Franchement, pas de quoi fouetter un chat. Juste un fait divers. Qu'est-ce que c'est, Madame Bovary ? Quelques adultères et un suicide à la campagne. Ça veut simplement dire que STENDHAL et FLAUBERT ont mis du gras, du muscle et du nerf autour des os du squelette, et que ça donne des êtres vivants. Mais attention, ça ne veut pas dire qu’il faut mépriser le polar. « Une place pour chaque chose, et chaque chose à sa place. » Appelons ça « hiérarchie des valeurs », si vous n’y voyez pas d’inconvénient. J’ai dit un gros mot ?
Reste un truc, dans Chourmo, qui me chiffonne (pas trop) : le "je" de Fabio Montale sert à l’auteur pour des retours sur le passé amoureux de l’ancien flic qui a raté pas mal de choses. Bon, on a compris, il s’agit de « donner de l’épaisseur au personnage ». Moi je veux bien. Mais ça me fait un peu l’effet de l’usage du Front National dans le bouquin : ça n’apporte pas grand-chose, et même, ça fait perdre du temps. Bon, peut-être que le gars était payé à la page ?
C'est comme Honorine et Fonfon, je veux dire les personnages secondaires, dans le polar (tous les polars) : IZZO n'a pas tort de donner un peu de profondeur de champ à la photo. Mais s'il leur accordait plus d'importance, le centre de gravité du bouquin se déplacerait en direction de la grande littérature. Dans le polar, pour que l'intrigue avance (puisque c'est elle l'essentiel), il ne faut pas que les personnages en aient trop, de l'épaisseur. Côté psychologie, il faut en rester au dessin esquissé. Bon, finalement, admettons que l'auteur s'en sort bien. Le contrat est rempli.
Il reste aussi le tableau de Marseille, qu’on regarde de l’intérieur, en caméra subjective : « Je pris la rue Sainte-Barbe, sans mettre mon clignotant, mais sans accélérer non plus. Rue Colbert ensuite, puis rue Méry et rue Caisserie, vers les Vieux Quartiers, le territoire de mon enfance ». On suit bien. On passe par la rue de Lorette, dans le Panier. Place des Treize-Coins, juste derrière l’hôtel de police.
Le problème du polar, c’est que les ficelles, presque forcément, comme elles sont beaucoup plus épaisses, sont beaucoup plus visibles. Et que c’est pour ça qu'il appartient à ma catégorie des amours, disons, intermittentes. De la petite littérature. Même si ça donne de gros pavés, genre MICHAEL CONNALLY (Le Poète, La Blonde en béton, Le Cadavre dans la Rolls, ...) ou JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ (Le Concile de pierre, Le Vol des cigognes, ...). Je ne méprise pas du tout, mais « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place ».
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre vialatte, roman policier, polar, jean-claude izzo, chourmo, trilogie marseillaise, camorra napolitaine, marseille, fabio montale, roberto saviano, gomorra, balzac, safrane, georges simenon, louis-ferdinand céline, boielau narcejac, michael connally, jean-christophe grangé
mercredi, 29 août 2012
CHOURMO, JEAN-CLAUDE IZZO
Pensée du jour : « Mais, dès que le soleil reparaît, les dames se remettent nues au soleil ; ce sont de magnifiques personnes ; elles ont des cuisses monumentales, deux fois plus nombreuses que leurs corps qui sont étendus parallèlement sur de grandes plates-formes en bois au bord de la piscine de Levallois. On les voit du train, en passant ; ensuite on voit un grand cimetière ; et ensuite la fabrique de jambons Olida ».
ALEXANDRE VIALATTE
Je viens de relire Chourmo, de JEAN-CLAUDE IZZO. Dix ans après. Il ne m’en restait strictement rien, hormis la poursuite finale, spectaculaire, qui coûte la vie aux deux truands, et que j’ai eu bien du plaisir à retrouver. C’est un polar. Au rayon polar, c’est plutôt un bon. Il fait partie de la « trilogie marseillaise », pris en sandwich entre Total Khéops et Soléa. Solea, c’est un titre de MILES DAVIS, dans Sketches of Spain (hyperconnu). "Total Khéops", si je me souviens bien, ça a quelque chose à voir avec le chaos. "Chourmo", je l’ai lu, mais je ne m’en souviens déjà plus. Ce n’est peut-être pas si grave : vocabulaire djeunz d'il y a quinze ans.
Au bout de la trilogie, Fabio Montale, le héros, se fait dessouder. Il ne boira plus de Lagavulin. C’est un whisky. C'est son whisky. « Pungent and potent, with richly peaty, deep, smoky flavor. » Ça, c'est la publicité. Beaucoup trop tourbé (comme "peaty" l’indique) à mon goût, comme tous les Islay. C’est pour ça que je préfère les Speyside, ou « Triangle d’or », entre Inverness et Aberdeen (Glenfiddich, Glenfarclas, Glenlivet, Lands of Scotland, mais Arran n’est pas mal quand même …). On imagine mal un détective sans les pieds sur le bureau et un verre à la main (dans l'autre main, c'est la cigarette). Même Maigret se fait monter des bières.
Le roman policier, donc, j’aime bien. J’en ai lu beaucoup. A Corbeyssieu, il y avait plusieurs mètres de rayons, en haut de l’escalier de la « petite maison ». Le polar, c’est devenu un « genre » en soi, il paraît. Pour ainsi dire, une profession. C’est comme la science fiction. Le livre pour enfants. La bande dessinée. La littérature a fait des petits. Des sous-produits. La littérature s’est divisée. Et en se divisant, elle s'est hiérarchisée. Ce qui est bien, avec le polar, c'est que d'une lecture à l'autre, on oublie. C'est même sans doute fait pour ça.
Remarquez, la littérature divisée, ça ne date ni d’hier (une des meilleures blagues que je connaisse : « Quelle est la différence entre un pigeon ? – C’est qu’il ne sait ni voler », je sais, c'est réservé à une élite). EUGENE SUE, déjà. Et PAUL FEVAL. Et MICHEL ZEVACO. Et tous les feuilletonistes du 19ème siècle, très doués pour pisser de la copie jour après jour. « Populaire », on disait, avec une moue de mépris au coin de la lèvre.
Est-ce que ça disqualifie toute hiérarchie ? Non, mille fois non. Un livre qui vous fait passer un bon moment, c’est bien, mais ça n’a rien à voir avec un livre qui vous bouleverse. Encore moins avec celui qui change votre vie. Non, la littérature est aussi hiérarchisée que l’amour. Il y a les passades, le cul, vous ne vous rappelez ni le prénom, ni le visage. Une vague modalité du plaisir. Un élément du décor. A la rigueur la chaudepisse. Je parle d’avant le sida.
Et puis il y a le grand amour. Avec, entre les deux, toute la gamme des intensités possibles. Infiniment plus que neuf échelons, comme la pauvre échelle de Monsieur Richter. Oui, tout ça est très hiérarchisé, quoi qu'en dise et en pense notre époque, niveleuse acharnée, égalisatrice à la "je ne veux voir qu'une tête" (dit-elle en se fourrant le doigt dans l'oeil), uniformisatrice fanatique et raboteuse intégriste.
Le roman policier, c’est comme ces amours que vous avez plaisir à retrouver de temps en temps, mais que ça n’ira jamais plus loin. Vous deux le savez. Un attachement amoureux. Un point de repère. Mais ce n’est pas le grand amour, vous savez, ce soudain torrent de la passion qui vous embarque, puis qui vous laisse échoué, hébété, sur le trottoir d’un petit matin, quelque temps après, sans force, à vous demander ce qui vient de se passer. Un petit matin terrible et inoubliable.
Le roman policier, franchement, je n'imagine pas un instant que quiconque puisse ne lire que ça. Arrive à n'en pas sortir et à s'en contenter. Cela vaut pour la SF, la BD, etc. SAINT THOMAS D'AQUIN en personne ne disait-il pas doctement : « Timeo hominem unius libri » ? Il avait bien raison : je crains l'homme d'une seule sorte de livre. De même que je ne conçois pas qu'on puisse ne lire que de la grande littérature, ou n'écouter que de la grande musique. Le monde est trop divers pour que l'homme s'isole dans ce qu'on appelle trop commodément (et si pauvrement) une « passion ». Le timbre poste, l'étiquette de camembert, la plaque publicitaire émaillée.
Mon polar à moi n’est donc pas aussi ambitieux et dévorant qu'une passion amoureuse. Ce qu’il me faut, c’est un SIMENON (n'importe lequel des 368) de temps en temps, sinon un CHANDLER (La Dame du lac est formidable), ou un CHESTER HIMES (L'Aveugle au pistolet, par exemple, un livre qui a du poil aux pattes), ou un PETER CHENEY (qui a un peu mal vieilli). A la rigueur, La Chair de l'orchidée, de JAMES HADLEY CHASE (dont GEORGE ORWELL dit beaucoup de mal, et qui lui reproche, en tant qu'Anglais, de faire plus "trash" que les auteurs américains, juste pour vendre autant qu'eux).
Chourmo, c’est intéressant. C'est déjà pas mal. La faiblesse du bouquin ? Le Front National. Fabio Montale fait une phobie politique. Il arrache même, dans le bureau de son ancien collègue Pertin qu’il ne peut pas encadrer (que c’est même réciproque), une affiche vantant le syndicat de flics affilié aux méchants fachos. On sent que ça drague le lecteur de gauche. Attention, ça ne veut pas dire que je vote pour MARINE : déjà, avant qu'elle ouvre la bouche je me sens « tout fatigué de la vague MARINE » (Parfum exotique, les majuscules sont de moi). De toute façon, je ne vote plus, c'est un principe.
Je l'affirme en direct : le Front National, l’histoire n’en a pas besoin, même si l’auteur s’efforce de lui faire une place dans le scénario. Il a ménagé quelques diverticules, c'est normal, car il faut que le lecteur aille sur des voies de garage, avant d'être illuminé par la solution. Ici, le truc vicelard (magouille avec des islamistes de choc) ne marche pas très bien. Le militantisme affaiblit le polar. Et la littérature en général. C'est ma conviction.
Par contre (mon prof d’allemand, monsieur MOIROUD, nous serinait : « On ne dit pas "par contre", on dit "en revanche" ». Eh bien là, il l’a dans l’os, bien fait pour lui.), ce qui carbure au maximum, c’est le fond de l’intrigue, et j’avoue que ce genre de mécanique horlogère de précision, chaque fois, ça m’épate. Je vous raconte.
Guitou est l’ado chéri de sa mère Gélou (ces diminutifs … !). Pendant les vacances, il est tombé raide dingue de Naïma. Alors, comme il a dans le même temps fait la connaissance de Mathias, il se fait prêter pour une nuit sa chambre. D’abord, il pique 1000 francs dans la caisse de sa mère, pour aller de Gap à Marseille, qu'il se fait piquer à peine sorti de la gare. Seulement, c’est dans la même nuit qu’Hocine Draoui se fait trucider (un ennemi du FIS algérien). Juste à l’étage au-dessus. Et l’idiot, alerté par un bruit (le revolver était muni d'un silencieux), ouvre la porte, et c’est là qu’il reçoit la balle de 38 (9 mm, balle de 9,6 ou 10,2 g suivant option) qui ne pardonne rien.
Il faut savoir que Gélou est la sœur de Fabio Montale, l’ex-flic marseillais. Qui met du temps à comprendre que Guitou est mort, et qui est donc bien embêté pour sa soeur. On le serait à moins. Je passe sur les voies de dérivation de l’intrigue principale. Le problème essentiel qu’a à résoudre l’auteur de polar, c’est le timing. Quand doit-il donner au lecteur l’élément qui va le surprendre tout en faisant avancer la mécanique ?
JEAN-CLAUDE IZZO fait ça très bien.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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samedi, 20 août 2011
MICHEL HOUELLEBECQ ROMANCIER
Un autre thème apparaît au début de la troisième partie. Enfin, pas un « thème » : on change de roman, du moins en apparence. On était dans la « littérature », on entre dans le polar. L’écrivain Michel Houellebecq et son chien sont retrouvés, enfin, quand je dis « retrouvés », c’est beaucoup dire, car il n’y a plus que leurs têtes qui trônent sur des fauteuils, par la police, éparpillés aux quatre coins de la pièce, pas exactement « façon puzzle », comme dit Bernard Blier dans un des films français les plus célèbres de tous les temps. La façon dont les restes sont disposés évoque les toiles de Jackson Pollock, « mais un Pollock qui aurait travaillé presque en monochrome ».
L’assassinat a duré à peu près sept heures, selon les enquêteurs. Cette scène de crime m’a fait penser à Un Lieu incertain de Fred Vargas, où on lit : « Comme si le corps avait éclaté ». La police patauge (c’est le cas de le dire). Jusqu’à ce que Jed Martin fasse part à Jasselin, le policier, de la disparition du tableau « Michel Houellebecq écrivain » dont il lui avait fait cadeau.
Il y a des idées marrantes, dans cette troisième partie. Par exemple, l’auteur pensait-il à François Bégaudeau en créant un « brigadier Bégaudeau » qui face à la scène de crime se met à osciller sur lui-même : « il fallait juste aller le coucher c’est tout, dans un lit d’hôpital ou même chez lui, mais avec des tranquillisants forts » ? Par exemple, pensait-il à la « trilogie marseillaise » de Jean-Claude Izzo, en faisant boire à ses flics du whisky Lagavulin, comme celui que préfère Fabio Montale ? « Il est impossible d'envisager un travail de police sérieux sans une réserve d'alcool de bonne qualité (...) ». Quant à moi, je choisirais plutôt du côté des « Speyside », moins « tourbés ». Ou alors un Irlandais, genre Bushmill, mais 10 ans d’âge.
« L’affaire est résolue », s’écrie Jasselin quand Jed Martin estime la valeur de son tableau à 900.000 euros. Il faut dire que l’exposition organisée par Franz a fait du peintre un homme très riche, qui peut acheter du jour au lendemain un vaste domaine. Trois ans plus tard, quand l’assassin est retrouvé (mort), le tableau est estimé à 12.000.000. Jed Martin est devenu une « valeur ». Il peut tout se permettre.
Le dernier pan de ce livre que je voudrais retenir, c’est la relation au père, qui quadrille pour ainsi dire le roman. Et c’est un des beaux aspects du livre. Le père intervient comme une ponctuation. Le mot « intervient » est d’ailleurs impropre : disons qu’il est là, présent à intervalles réguliers, tous les 25 décembre pour être précis, c’est le jour de l’année où ils prennent un repas en commun, et un repas de fête, qui plus est. En général, ce n’est pas très gai. Mais ce n’est pas lugubre non plus. L’événement est présenté comme allant de soi : le fils passe avec son père le réveillon de Noël. C’est tout simple, ça ne se discute pas.
C’est d’ailleurs intéressant, cette relation entre le fils et son père, car la mère est à peu près absente, simplement mentionnée comme un souvenir, mais un souvenir anodin. On apprend qu’à la vérité, elle s’est suicidée au cyanure. Cette absence de la mère change de l’habituelle dégoulinade de maternite aiguë dont sont atteints bon nombre de nos contemporains. Et c’est sans doute le seul point commun entre les livres de Michel Houellebecq et de Claude Arnaud (que j’ai dénigré précédemment).
Jed Martin est étonné quand son père déclare, au cours de leur premier repas du roman, « dans une brasserie de l’avenue Bosquet appelée Chez Papa », avoir lu deux romans de Michel Houellebecq : « C’est un bon auteur, il me semble. C’est agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société. ». C’est vrai qu’ « il y a une petite bibliothèque à la maison de retraite ». Il a donc du temps pour lire.
J’avais des amis qui habitaient un grand appartement avenue Bosquet, au rez-de-chaussée, avec peu de lumière. Et puis Emmanuel D. a acheté dans une tour du « Front de Seine ». La classe. Il avait les moyens. Mais il paraît que c’est très chic quand même, l’avenue Bosquet, c’est dans le 7ème arrondissement parisien, celui où madame Rachida Dati a croqué la carotte de la mairie, avec ses dents de lapin (j’aurais dû dire « lapine », mais ç’aurait été mal interprété).
Le deuxième repas qu’ils partagent se passe chez le fils. D’abord en silence, au point que Jed s’assoupit. A ce moment, j’ai pensé au film Soleil vert : « Il eut la vision de prairies immenses, dont l’herbe était agitée par un vent léger, la lumière était celle d’un éternel printemps ». C’est le film que le vieux a demandé à visionner au moment où on l’euthanasie. Mais je dis ça parce que j’ai lu la fin.
« Jed se figea. Ça y est, se dit-il. Ça y est, nous y voilà ; après des années, il va parler. » Cela ne viendra pas tout de suite, mais le père se met à parler. De lui, de son histoire, du choix de l’architecture, de l’organisation sociale, de la mère et de William Morris, le peintre d’un seul tableau (La Reine Guenièvre), de genre préraphaélite. Aussi architecte. Une belle scène, économe de moyens. Jean-Pierre Martin est malade, il le sait. Cette conversation lui tient donc lieu de testament, de chaîne de transmission, avant sa disparition prochaine. Et le fils recueille ce legs avec une grande attention.
Eh bien voilà. C’est La Carte et le territoire, écrit par Michel Houellebecq, écrivain. Pas un immense chef d’œuvre : un excellent livre. Ce n’est pas si courant. Bon, il y a des facilités, par exemple dans le style ou le vocabulaire, il y a des coups de mou. Mais c’est un vrai bon travail de romancier. C’est de la littérature.
FIN
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