samedi, 18 août 2012
A BAS LES HERETIQUES ! (5/5)
Pensée du jour : « Concluons qu'il faut croire en une trinité une, en une unité trine. Une et unité à cause de l'essence une, trine et trinité à cause des trois je ne sais quoi (propter tres nescio quid) » Saint Anselme
« Tout ça qui a commencé, Il faut bien que ça finisse ! », écrivait JEAN TARDIEU. C'est certain, il faut savoir finir par terminer un parcours, fût-il théologique, et pour ainsi dire métaphysique (à moins qu'il ne fût 'pataphysique, puisque tout est 'pataphysique).
Cette petite série sur les hérétiques qui ont empoisonné l'air des centaines de théologiens romains dans les siècles des siècles (amen), disons-le tout de suite, doit s'achever. Aussi ne dirai-je rien des agonistiques, des circuiteurs, des catropites et autres coropites, que sais-je, des donatistes et des semidulites, des barallots et des barboriens, des lampétiens et des latitudinaires.
Que voulez-vous ? Des clanculaires et des cléobiens ? Des calixtins (qui sont de vulgaires luthériens mitigés) et des sampséens ? Allez, pour faire bon poids, des scotopites et des caïnites (Cush, l'ami de Corto Maltese, et Corto Maltese lui-même, font partie de cette branche : « Nous autres caïnites cherchons toujours le paradis perdu pour le rendre à notre Mère », il y aurait pourtant bien des belles choses à dire des caïnites).
CUSH DIT : "CORTO MALTESE EST UN BENI KAÏN"
Il y en a d'autres, comme les hésitants, simple variante d'eutychiens acéphales, les hélicites, simples moines relâchés qui dansaient en rond, d'où leur nom (hélice), les danseurs, simple secte apparue en 1373 à Aix-la-Chapelle, les protoctistes, pour qui l'âme a précédé le corps (dieu du ciel, faut-il être bête !), et même les prophètes, rendez-vous compte. Les infernaux, convaincus que l'âme de Jésus-Chist, durant son séjour sépulcral, descendit aux enfers et y fut tourmentée (a-t-on idée !). Cette fois, j'arrête.
Pour ainsi parler, l'hérésie buissonne à perte de vue, prolifère comme la vermine, foisonne, pullule, fourmille, pleut, grouille. Plus on en tue, plus il en vient. Heureusement, l'époque moderne a résolu ce problème une fois pour toutes : elle a éradiqué le religieux. Plus de religion ? Plus d'hérésie. CQFD. Nous voilà bien débarrassés. Fini les hérésies ! A pu, hérésies !
N'est-ce pas un progrès définitif, d'être débarrassés des hérésies, que ce soit dans la peinture, dans la musique, dans la sexualité, dans les institutions ? C'est pourquoi nous devons rendre grâce à notre ultra-modernité (« C'est l'Ultra-Moderne Solitude », chante ALAIN SOUCHON) d'avoir fait disparaître le diable de l'intolérance, et pour cela inventé la dilution du paradis et de l'enfer, l'abolition du Bien et du Mal dans le grand chaudron du N'IMPORTE QUOI.
Cependant, je ne voudrais pas clore cette modeste incursion dans le domaine des problèmes épineux que ne cesse de soulever toute croyance religieuse, sans manifester une tendre et respectueuse révérence à l’égard d’une hérésie dont le bien-fondé ne semble pourtant, sur le plan doctrinal, devoir susciter aucune réprobation apostolique et romaine. Je veux ici célébrer l’hérésie stercoraniste (de stercus (= caca) : le bousier est stercoraire).
Ici, sachez quand même que je vous épargne un développement sur la chaise papale qu'on appela la chaise stercoraire (« Duos habet et bene pendentes », disait le cardinal chargé de vérifier, à la fin du conclave et de la main, la virilité du nouvel élu, en lui tâtant les couilles), car ça nous entraînerait un peu loin.
Le stercoranisme offre un superbe exemple magistral de l'ingéniosité créative et poétique développée par toutes sortes de catholiques au cours de l'histoire pour frapper la VRAIE FOI au défaut de la cuirasse, à coups de détournements incontrôlés d'articles dûment estampillés par la marque DELAFOI (dont le siège est à Rome (Italie), seule habilitée à les propager (s'adresser en cas de besoin à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, filiale de Vatican, la maison mère). En somme, transcrite en termes commerciaux, une hérésie est une vulgaire CONTREFAÇON.
Qu'on se le dise, pour être sûr que l'article de foi que vous achetez a été visé par les autorités chargées de la VRAIE FOI dans l'Eglise Apostolique et Romaine, vérifiez qu'il porte bien l'estampille officielle DELAFOI. Le Comité International Olympique (CIO) a bien retenu la leçon, qui a interdit, dans l'enceinte olympique londonienne, les préservatifs non contractuels.
La raison ? Il paraît qu'ils étaient trop généreusement dimensionnés par rapport à ce qu'est devenu au fil du temps l'organe du sportif mâle de haut niveau, du fait même de sa pratique. Cela reste bien sûr à vérifier, même si l'évolution et la sélection naturelle rendent la chose plausible. Ces propos n'engagent que ceux qui les entendent. Revenons au « geotrupes stercorarius », autrement dit au bousier mange-merde.
IL EST PAS BEAU, MON BOUSIER ?
IL PART JUSTE FAIRE SES COURSES AU SUPERMARCHÉ (IL A REPÉRÉ UNE BELLE BOUSE) POUR REMPLIR SON GARDE-MANGER.
Pour renouer avec l'hérésie des stercoranistes. La question qu’ils soulevèrent est délicate : que devient le corps du Christ dans la Communion, quand l’hostie (hostia = la victime) a été ingérée par le fidèle ? Subit-elle, comme tous les aliments, le destin digestif de finir dans une cuvette de chiotte, mélangée à l’étron profane expulsé par les parties les plus basses du croyant ? La conscience du croyant s'insurge, se cabre et se révulse devant une perspective aussi infâme.
L’abbé Guyot saisit bravement la question à bras-le-corps et le taureau par les cornes. Il n’esquive pas, il attend l’adversaire en faisant front crânement. Certains égarés, dit-il, ont prétendu que « le corps de J.-C. dans la sainte Eucharistie, reçu à la communion, était sujet à la digestion et à ses suites, comme tous les autres aliments ». C’est là que le croyant sincère frissonne, qu'il n'ose se représenter les "suites" dont il est question, et que l’homme pieux se signe aux quatre points cardinaux.
Heureusement et le plus tranquillement du monde, l’abbé GUYOT, à qui il ne faut pas la faire, ajoute : « les Pères savaient bien qu’à la première altération éprouvée par les espèces eucharistiques dans l’estomac, la présence substantielle de J.-C. cesse ; que, par conséquent, son corps est à l’abri de toute décomposition, puisqu’il s’évanouit ».
Passons sur le « J.-C. », qui pourrait passer pour une familiarité déplacée. Restons-en au fait qu'on ne saurait plus fortement planter la dignité de la vérité dans le cadavre de l’erreur. Nous resterons donc sur cette image définitive, puissante et sans réplique d'un Jésus Christ qui s'évanouit. Dans l'estomac du croyant. C'est comme je vous le dis.
Voilà ce que je dis, moi.
Fin.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : religion, société, croyance, catholique, hérésie, poésie, littérature, doctrine, foi, théologie, hérétique, corto maltese, jésus christ, prophètes, stercoraire, communion, digestion, bousier, secte
vendredi, 17 août 2012
A BAS LES HERETIQUES ! (4)
Pensée du jour : « Frappé d'une balle qui, pénétrant dans la poitrine, traversait le poumon et sortait par le dos, cet officier a survécu à cette mortelle blessure ». Général Trochu
On apprend qu’un certain VIGILANCE fut condamné parce qu’il condamnait le culte des saints, la vénération de leurs reliques et le célibat. Cet homme devait se tenir honorablement quand il était à table ou au lit. On apprend qu’il ne faut surtout pas confondre les « vaudois » et les « valésiens » : alors que les premiers, très banalement, exécutent à l’instant même où ils le prononcent leur vœu de pauvreté, les seconds n’admettent dans leurs rangs que des eunuques, sauf quelques hommes « entiers », à qui ils interdisaient l’usage de la viande jusqu’à ce qu’ils se fussent mutilés.
Je ne vais pas insister sur les appellations fleuries dont Notre Sainte Mère l’Eglise Apostolique et Romaine a affublé les innombrables croyants de la VRAIE FOI (ils se déclaraient tous catholiques) qui avaient le malheur, soit d’ajouter, soit de retrancher, soit encore de modifier si peu que ce fût le moindre cil, la virgule la plus modeste ou l’accent le moins grave au plus mince article de la dite foi.
Car ce sont, sachons-le, les théologiens officiels de l’Eglise qui ont baptisé chaque hérésie du nom qu'elle porte. Et leur imagination lexicale fut sans bornes, comme essaie de le montrer la présente série de notes, qui pourtant ne donnent de l’ensemble que la minuscule partie émergée de l’iceberg théologique et doctrinal. Ils ont fait montre, au cours de siècles, d'une véritable constance dans l'invention poétique.
Je me demande s’il n’y a pas un germe du petit père STALINE (JOSEPH VISSARIONOVITCH DJOUGACHVILI) dans le centralisme catholique. Ou alors du jacobinisme. A force de larguer à grands coups de conciles et de tatanes dans le derrière, hors de la communauté des croyants, les Coptes (ou Cophtes), les Syriaques, les Orthodoxes, et autres variantes locales de ce que les autorités appelaient la VRAIE FOI, le catholicisme romain ressemble à un arbre qui se serait élagué lui-même.
Jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un moignon de tronc, avec certes quelques racines, mais dépourvu de tout branchage et de tout feuillage. Jusqu’à devenir un arbre sec. Un arbre mort. Certes, cette vigilance dogmatique et doctrinale a donné à l’appareil clérical une puissance nonpareille à une certaine époque (entre autres, en faisant affluer les picaillons dans les coffres de la maison-mère). Mais elle a fini par assécher la source même de son esprit.
Reste qu’il est amusant de penser que des foultitudes de petites gens se sont ingéniées à faire chier la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (naguère présidée par Monsieur RATZINGER, alias BENOÎT XVI), à justifier la rémunération d’un innombrable et compact agrégat de fonctionnaires aussi pontificaux que sourcilleux, et à donner du boulot pendant des siècles aux dizaines de milliers de membres d’une corporation qu’on pourrait appeler des « contrôleurs de conformité » (autrement dit des flics de la pensée et de la conscience), ne serait-ce qu'en stimulant leur créativité poétique.
Car il y a indéniablement une force poétique dans les noms de baptême accordés par Rome à tout ce qui faisait mine de s'écarter de la ligne. Que pensez-vous de caucaubardite, nom qui fut donné à une branche des eutychiens ? Des manifestaires, ainsi nommés parce qu'ils croyaient criminel de dissimuler leur doctrine quand ils étaient interrogés ? Des tropites, pour qui le Verbe divin, du fait de son incarnation, cesse d'être une personne divine ? Des rebaptisants, qui renouvelaient le baptême de gens déjà baptisés, mais par des gens qu'ils considéraient comme hérétiques ?
N'y a-t-il pas une authentique imagination poétique pour nommer psatyriens les égarés qui pensaient que Jésus Christ n'était pas Dieu, mais une créature ? Parherméneutes, ceux qui interprétaient à leur guise les Ecritures en faisant foin « des explications de l'Eglise et des docteurs orthodoxes » ? Aquatiques, ceux qui « regardaient l'eau comme un principe coéternel à Dieu » ? Et les pneumatiques ? Et les condormants ? Et les familistes ? Et les jovinianistes ? Et les ethnophrones ? Tout ça déborde d'une inventivité poétique proprement héliconienne, ne trouvez-vous pas ?
Passons sur les naturalistes, qui expliquent les miracles par des causes naturelles ; sur les mutilés de Russie, qui pratiquaient l'automutilation, et dont les lubies menaçaient les marins de la flotte impériale ; sur les métangismonites, qui soutenaient que « le Verbe est dans son Père comme un vaisseau dans un autre ». On reste confondu devant des extravagances, je devrais dire des vésanies aussi manifestes.
Le tort des hérétiques, donc ? Leur imagination. Car il en fallait, pour imaginer que la Sainte Trinité est formée de trois substances égales (trithéistes) ou que les sacrements sont inutiles, au motif que « des effets incorporels ne peuvent être communiqués par une cause matérielle et sensible » (ascodroupites). Les inquisiteurs ne furent que le paroxysme fanatisé de cette POLICE CATHOLIQUE chargée de faire le ménage dans le troupeau.
La réflexion que m’inspire la notion d’hérésie définie par les autorités catholiques, c’est qu’elle suppose un sentiment très aiguisé de la hiérarchie, quasi-militaire, parmi les croyants. Grosso modo, l’Eglise ne peut faire aucune confiance dans les fidèles de base (le vulgum pecus) pour ce qui est de la vérité de la foi : dès qu’on leur laisse la bride sur le cou, les croyants partent dans tous les sens et, surtout, ils se permettent d’improviser des articles de foi qui n’ont pas reçu le visa des autorités romaines. Il ne faut pas rigoler : il y a la brebis de base, qui n'a qu'à suivre, puis les brebis en chef, puis les chef-brebis, etc. ... jusqu'au pape.
Car si on laissait faire, ce serait l’anarchie. Il est donc nécessaire, pour guider tout le troupeau mondial dans la même direction, de fixer d’en haut le contenu de la foi. C’est d’ailleurs la question du « libre examen » qui (entre autres) va creuser le fossé le plus profond entre catholiques et protestants, en accordant à tout croyant le droit de décider lui-même de sa relation à Dieu.
Quand chacun peut décider pour son propre compte du contenu et des modalités de sa foi, on assiste à l’atomisation de la grande Eglise en petites chapelles éparpillées et autonomes. Exactement ce qui s’est passé avec la prolifération des sectes protestantes. C'est un certain JOSEPH SMITH qui a fondé la secte des mormons. Un certain CHARLES TAZE RUSSELL la secte des témoins de Jéhovah (vous savez, ceux qui vont toujours par deux, mais qui n'entrent jamais, tout comme les testicules). Un certain LAFAYETTE RONALD HUBBARD la scientologie, la secte mercantile qui voudrait passer pour une Eglise, et qui tente de se faire admettre comme religion.
En fait, je vais vous dire, c'est la multiplication des Papes qu’a reçu pour mission de prévenir et d’empêcher la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Et la besogne n’a pas manqué. La multiplication des pains suffit aux catholiques.
Les aphthartodocètes furent-ils d’authentiques eutychiens ? L’hérésie colarbasienne eut-elle tort de considérer l’alphabet grec comme la perfection et la plénitude de la Vérité (à cause de : « Je suis l’α et l’ω » (l’alpha et l’oméga)) ? Les saccophores n’étaient-ils qu’une bande d’hypocrites ? En tout cas, personnellement, j’assure qu’aucun conflit de m’oppose aux corrupticoles, aux hétérousiens, aux gomaristes, et autres métangismonites, pas plus qu’aux hypsistariens, aux infralapsaires et autres mammillaires, chez qui le jeune homme qui voulait épouser une jeune fille n’avait pourtant qu’à lui « mettre la main sur le sein », une véritable incitation à peloter les jolies femmes dans la rue.
Voilà ce que je dis, moi.
Suitetfin demain.
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mardi, 17 juillet 2012
SUPERMASCULIN, VOUS DITES ?
Préambule d'actualité : je suis d'accord : BACHAR EL ASSAD est une épouvantable brute, un dictateur sanguinaire, et je vote à l'unanimité, comme tout le monde, pour ces gens qui sacrifient leur vie pour le déstabiliser et, si possible, le renverser. Ce qui m'embête un peu dans l'affaire, c'est toute la main d'oeuvre djihadiste et les petites mains d'Al Qaïda qui rappliquent en ce moment de partout et qui profitent de l'occasion pour faire le coup de feu, noyauter cette opposition et s'installer dans le paysage syrien. De véritables « brigades islamistes internationales » se sont mises en place. Quand on voit le sort réservé aux touaregs indépendantistes par les islamistes radicaux d'AQMI au Mali, qui les ont virés comme des malpropres, et manu militari, du fauteuil de chef, on ne peut que s'inquiéter de la couleur du prochain pouvoir qui s'exercera à Damas. Fin du préambule.
Résumé : ALFRED JARRY est un auteur maudit. Il a interposé entre lui et le monde la marionnette monstrueuse d’Ubu. Ce qui a mis définitivement à l’abri de l’attention générale une pléiade d’ouvrages qui méritent un détour, voire valent le voyage. Le pauvre, quand il se met à la littérature « alimentaire », cela donne Le Surmâle, qui est loin d’avoir tenu ses promesses, mais qui bénéficie encore d’efforts éditoriaux notables.
Dans le fond, l’homme « moderne » est une machine à ce qu’on voudra, ici André Marcueil, le « héros », est une machine à baiser. C’est publié en 1902, je le signale. C’est même un homme qui en remontre à la machine, puisque, au cours de l’invraisemblable « Course des 10.000 milles », l’homme ordinaire rattrape chaque jour, sur son vélo qui grince, le train lancé à toute allure, qui transporte sa « fiancée » Ellen Elson, pour déposer sur son wagon un bouquet de roses fraîchement coupées.
Car Ellen Elson, cette pure vierge (pas pour longtemps), qui dit à André Marcueil : « Je crois à L’indien », est à bord de ce train lancé à des vitesses « qu’on n’a jamais osé rêver », contre laquelle lutte la quintuplette emmenée par Bill Corporal Gilbey.
Un petit mot sur cette course : vous avez cinq bonshommes sur un vélo à cinq places et, en plein milieu de la course avec le train, Jewey Jacobs meurt, et le chef, pour ne pas perdre la course, décrète : « Ah ! il est mort ? Je m’en f…, dit Corporal Gilbey. Attention : ENTRAÎNEZ JACOBS ! ».
Les quatre autres forcent donc la rigidité cadavérique, et la suite : « En effet, non seulement il régularisa, mais il emballa, et le sprint de Jacobs mort fut un sprint dont n’ont point idée les vivants ». Et les quatre de s’exclamer : « Hip, hip, hip, hurrah pour Jewey Jacobs ». Un mort qui se met à pédaler plus vite que les vivants, et que ceux-ci ovationnent. Ce genre d’idée, il fallait oser, non ? La quintuplette fait même mine, à plusieurs reprises, à force de vitesse, de se prendre pour un aéroplane, mais ce n’est que du « vol de vautour ».
N’attendez, dans le livre, aucune description graveleuse. Ce n’est pas, à cet égard un de ces « livres qu’on ne lit que d’une main ». Exceptons cependant quelques – oh ! très modestes – allusions lorsque les prostituées invitées pour subir la performance seront enfermées à clefs dans un local où, s’ennuyant ferme, elles trouveront quelques moyens de se … désennuyer entre elles.
C’est Ellen Elson, fille unique et préférée du célèbre chimiste américain William Elson, père de la mythique Perpetual Motion Food : l’aliment du mouvement perpétuel, en français : la potion magique, – c’est Ellen Elson, disais-je, qui a enfermé les hétaïres, car cette très jeune femme n’a froid nulle part, encore moins là où vous pensez, bande d’obsédés, et elle veut subir à elle toute seule les assauts de « l’Indien tant célébré par Théophraste ».
Le professeur Bathybius est témoin de la scène et, au bout des vingt-quatre heures imparties, cet observateur objectif, rigoureux et parfaitement scientifique, peut inscrire le chiffre faramineux de quatre-vingt-deux "actes" (82) dans les 24 haures imparties : le public n’en revient pas : « La dépopulation n’est plus qu’un mot ! », dit un sénateur idiot, qui ne se rend pas compte que le nombre des naissances dans une population ne dépend pas du nombre d'hommes mais de femmes.
En tout cas, quatre-vingt-deux « assauts », voilà qui pulvérise la vantardise d’un grand séducteur, dragueur et baiseur devant l’Eternel, j’ai nommé VICTOR HUGO. Il dira, longtemps après la nuit de noces qui suivit son mariage avec ADÈLE FOUCHER, qu’il l’a honorée quatorze fois. Elle s’était trouvée déjà comblée des huit « postes courues » par VICTOR lors de cette nuit, et s’en était trouvée longtemps tout éblouie.
Pour revenir à ALFRED JARRY, l’apothéose finale, je devrais dire la « Passion » d’André Marcueil, se déroule de la façon suivante : l’ingénieur Arthur Gough fabrique la « Machine-à-inspirer-l’amour ». « Si André Marcueil était une machine ou un organisme de fer se jouant des machines, eh bien, la coalition de l’ingénieur, du chimiste et du docteur opposerait machine à machine, pour la plus grande sauvegarde de la science, de la médecine et de l’humanité bourgeoises. Si cet homme devenait une mécanique, il fallait bien, par un retour nécessaire à l’équilibre du monde, qu’une autre mécanique fabriquât … de l’âme. » La préoccupation de JARRY, on le voit, est physicienne : équilibrer les forces. Pour lui, la vie est une équation à résoudre par la déduction logique.
André Marcueil est donc ficelé sur un fauteuil, revêtu de diverses électrodes, finissant par ressembler à je ne sais quel Christ. Mais, au grand dam des trois savants qui suivent les événements, « c’est la machine qui devint amoureuse de l’homme », car c’est la machine dont le potentiel est le plus élevé qui charge l’autre. Elémentaire, mon cher Watson !
Dans une explosion de métal chauffé à blanc, de verre fondu et de débauche électrique, le surmâle finit donc par mourir. Ellen Elson saura dès lors de contenter d’un mari aux performances ordinaires.
Il n'empêche que ce roman d'anticipation anticipe vraiment, d'une façon terrible et authentique, le monde actuel, où une économie tyrannique et totalitaire, appuyée sur l'hégémonie d'une technique triomphante, exige de chaque individu des performances de surhomme. Tout en condamnant de la bouche le dopage. Qui est inscrit dans le code génétique de la vie quotidienne de monsieur et madame tout le monde.
Et le public du roman, en extase devant les performances d'André Marcueil, ne fait-il pas penser aux milliards de gogos (pardon, de consommateurs) qui se gavent, émerveillés ou ennuyés, d'un tas de réalités virtuelles devant leur écran ? L’écran est le point d’aboutissement du programme actuel de l’existence humaine, n’est-il pas vrai ? L'un des livres les plus vendus dans le monde n'est-il pas le "Guinness" des records ? Et ça ne vous fait pas peur, à vous ?
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 16 juillet 2012
DE LA VIRILITE EN LITTERATURE
ALFRED JARRY a occupé dans ma vie une place importante. Peut-être est-ce le folklore foutraque et infantile auquel son invention de la ’pataphysique a donné lieu dans les années 1950, avec la création du Collège de ’Pataphysique, et sa collection de grands enfants très savants et, au fond, très « philosophes ».
Peut-être est-ce l’intime saisissement poétique ressenti à la lecture de L’Amour absolu. Ou alors ce fut la perplexité foisonnante et vibrionnante ressentie à la lecture des Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien. A moins que ce ne soit la bizarrerie antimilitariste et adelphique ressentie à la lecture de Les Jours et les Nuits. Mais après tout, peut-être fut-ce à cause de l’irréductible bigarrure des onze épisodes de l’ « éducation sentimentale » que raconte L’Amour en Visites.
Quoi, pas un mot d’Ubu roi ? Evidemment ! C’est le moins intéressant. On dirait même qu’ALFRED JARRY, en produisant son Ubu roi, a dressé un mur de protection entre lui et ses lecteurs potentiels en imposant, au milieu du paysage littéraire du début du 20ème siècle (la « première » de la pièce a été donnée le soir mémorable du 10 décembre 1896). Les œuvres citées ci-dessus ont donc été publiées bien à l’abri de cet énorme succès de scandale, qui leur a assuré un incognito à peu près parfait jusqu’aujourd’hui.
LE CRÂNE PIRIFORME, LE BÂTON-A-PHYSIQUE, ET LA GIDOUILLE
(XYLOGRAVURE D'ALFRED JARRY)
Il faut dire que le bonhomme JARRY est en soi un peu « spécial ». Il se faisait appeler Monsieur Ubu, dont il avait adopté, en société, l’articulation excessivement artificielle et segmentée. Un jour où, dans le « phalanstère » de Corbeil, il tire au pistolet, une voisine fait irruption pour protester en arguant de la présence de ses enfants derrière le buisson de séparation, à quoi, seigneurial, il répond : « Qu’importe, Madame, nous vous en ferons d’autres ».
A une visiteuse de son « entresol-et-demi » qui, avisant un phallus de dimension considérable sur la cheminée, demande si c’est un moulage, il réplique : « Non, Madame, c’est une réduction ». Il hébergeait chez lui quelques chouettes hulottes qu’il observa longuement pour en tirer quelques images et réflexions, notant par exemple que la chouette ferme les yeux quand elle lève les paupières. L'inconvénient était l'odeur qui accueillait le visiteur, les animaux étant nourris avec de la viande crue, qu'ils dispersaient et oubliaient dans la pièce. Certains ont parlé d'une « chambre encharognée ».
VOUS AVEZ NOTE LA SOURIS ?
PEUT-ÊTRE EST-CE UN MULOT ?
Ces anecdotes font partie d’une collection définitive et dûment inventoriée, répertoriée et certifiée, que les amateurs se transmettent pieusement de père en fils. Elles sont plus ou moins véridiques, plus ou moins controuvées, plus ou moins apocryphes, mais sans elles, la biographie d’ALFRED JARRY serait tellement moins savoureuse qu’on persiste à se les raconter. D’autant qu’il eut une courte vie (il est mort à 34 ans, sans doute d’une méningite tuberculeuse, peut-être en réclamant un cure-dent), qu’une absorption consciencieuse et constante de divers alcools, notamment l’absinthe, ne contribua guère à prolonger.
Quand JARRY a hérité de sa famille, il a tout claqué assez rapidement dans une revue illustrée, de luxe (Perhinderion, mot qui veut dire un « pardon » en breton), pour l’impression de laquelle il a fait fondre des caractères spéciaux, enfin bref : une folie, un geste artistique, ou ce qu’on voudra.
Pour le reste (de son existence), il a vécu sans un, raide comme un passe-lacet, comme on disait dans les anciens temps. Faut dire que ce n’étaient pas ses livres qui pouvaient lui rapporter beaucoup, vu le nombre des acheteurs potentiels auxquels ils étaient destinés : ça devait tourner autour de 37 ou de 42 exemplaires vendus.
Alors il a l’idée d’écrire deux romans « populaires » qui vont lui rapporter le magot. Ce seront Messaline et Le Surmâle. Bon, inutile de vous dire que le magot, il l’attend encore. Enfin, là où il est, n’est-ce pas, mon bon monsieur, ça ne lui tire plus sur l’estomac. Mais, comme dirait Gontran, tout ça ne nous dit pas l’heure. Et au fait : quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?
ILLUSTRATION DU PEINTRE PIERRE BONNARD,
COPAIN DE JARRY, POUR LE SURMÂLE
Or donc, Le Surmâle (roman moderne) raconte l’histoire des performances d’abord physiques, puis sexuelles d’André Marcueil, « homme ordinaire », d’apparence chétive, dont une mystérieuse transformation va faire un surhomme. Au début, scène mondaine et discussion mondaine autour de l’amour. Marcueil assène cette vérité : l’amour est un acte, et l’on peut le faire indéfiniment (sans aucun « dopage », cela va de soi, mais pas si sûr) : « L’amour est un acte sans importance, puisqu’on peut le faire indéfiniment ». Dans le fond, on ne peut pas dire que ce soit complètement faux.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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mardi, 10 juillet 2012
DES GOGUES ET DES GAGS
Pensée du jour : « Le vrai est trop beau ou trop triste pour qu’il ne faille pas lui donner l’air d’une plaisanterie. » ALEXANDRE VIALATTE
Résumé de l’épisode précédent : une société de masse est une énorme usine à produire de la fiente, de la crotte, de la déjection, de la fèce, de la selle, voire de la scybale ou du fécalome, pour ne rien dire du colombin, du pruneau, du rondin ou de la tartissure.
Et en même temps, la solution de l’évacuation industrielle de toute cette matière humaine fait disparaître celle-ci aux yeux de tous, au point que, excepté les chiens sur les trottoirs bien aimés de nos villes, nul n’est prêt à offrir en spectacle public son derrière en pleine action expulsatoire, et que chacun prend soin, au contraire, de verrouiller la porte.
C’est d’ailleurs cette espèce de tabou qui ouvre la voie à quelques joyeux transgresseurs, professionnels ou non. La scatologie, tout le monde sait ce que c’est, et tout le monde a tendance à mépriser. Il n’en a pas toujours été ainsi, et il suffit de se tourner vers RABELAIS ou BEROALDE DE VERVILLE pour se rendre compte que le caca faisait partie du quotidien. La merde faisait partie intégrante de la vie de tous les jours. Le tuyau d'évacuation, l'égout, le collecteur et la station d'épuration ont expédié ce moyen âge dans les poubelles de l'histoire.
Tout le monde, de nos jours, sait que le Versailles de Louis XIV était dépourvu de toilettes et que toute la cour qui y déambulait baignait dans des arômes qui nous feraient fuir. Je n’ose imaginer ce que cela pouvait être les jours de grande chaleur. Mais au moins, c’était une odeur familière, à laquelle on était bien obligé de s’habituer. Nous sommes devenus hypersensibles. C’est le Tarzan de GOTLIB, dans le n° 1 de L’Echo des savanes (1972), qui le dit : « Hommes civilisés bien délicats ».
C’est certain : on a fait un chemin prodigieux, depuis Versailles, où les mieux équipés possédaient une « chaise d’affaires », encore appelée « chaise percée » ou « cabinet d’aisance ». Le meuble, qui pouvait être luxueux, couvert de laque du Japon, était rangé dans la « garde-robe », d’où, par métonymie, cette curieuse appellation (« Monsieur est à sa garde-robe »). Au moins, on savait manier les images et les figures de rhétorique.
CHAISE D'AFFAIRE, OBSERVEZ LE STYLE LOUIS XVI
Et je ne suis pas remonté aux Romains, qui ne se formalisaient guère de quelque atteinte à la bienséance, et allaient sans façon dans des lieux collectifs, où chacun pouvait, en quelque sorte « faire son trou ».
LE DERNIER SALON OÙ L'ON CAUSE
Aujourd’hui, nous sommes devenus à cet égard d’une pusillanimité presque drôle, et le moindre remugle de toilettes sales nous chatouille les narines désagréablement et nous fait déserter un établissement dont l’installation laisse à désirer pour ce qui est de l’hygiène et de la propreté. J’ai connu une personne qui, quand elle entrait dans un restaurant, n’avait rien de plus pressé que de vérifier l’état des lieux et, en cas de répugnance, de partir en courant. Je l’ai dit : il y a comme du tabou dans la chose. Et ce ne sont pas les directives de la Commission (la grosse ?) Européenne qui vont arranger les choses.
C’est ce tabou qui permet, par exemple, à COLUCHE de faire hurler de rire son public qui se lâche (« Respirez par le nez, madame ! »), en racontant, dans La Publicité, à sa façon, la « campagne jumelée » des dragées Fuca et d’Ajax WC. Je n’y reviens pas, tout le monde connaît ça par cœur. J’ajoute seulement que le vraiment scato n’arrive qu’à la 6ème minute dans la vidéo Youtube (8’25).
Moins connue peut-être, une scène du Fantôme de la liberté, de LUIS BUÑUEL. Le cinéaste ne se bouscule pas l’intellect : en bon surréaliste, il se contente d’inverser les perspectives et le code des convenances, un peu comme des ethnologues africains ou amazoniens (formés dans des universités européennes ou européennes, je le note en passant) viennent aujourd’hui étudier les peuplades européennes et leurs coutumes – forcément exotiques en diable, puisqu’elles se sont étendues à toute la planète.
Voici la scène en question (pas trop longue) qui, à la reniflée à plusieurs dizaines d’années de distance (1974), sent terriblement son mai 68. J’y vois quant à moi l’extraordinaire et veule facilité du procédé hérité de l’Oulipo, qui consiste à poser comme hypothèse : « Et si on inversait tout ? ». Oui, on peut tout inverser, sauf dans la réalité.
Avant d’en finir avec ces modestes considérations sur les « matières » et sur les « lieux », je propose un petit détour par le Japon. Ce pays, en effet, est célèbre pour sa vénération profonde des questions d’hygiène, ainsi que pour les recherches poussées qu’il a menées s’agissant des questions d’évacuation.
Commençons par ce petit film d’animation merveilleusement conçu, destiné à habituer l’enfant à déposer son obole quotidienne dans un lieu réservé à cet effet, mais aussi à consentir à s’en séparer chaque fois à jamais (les psychologues sont passés par là). C'est pédagogique et moderne en diable.
Poursuivons avec un aperçu, certes non exhaustif, mais néanmoins pittoresque des toilettes justement renommées qu’on trouve aujourd’hui sur l’archipel, du rustique moderne …
ET IL FAUT SE TOURNER VERS LE CÔTE INCURVE
ET AVEC LE MODE D'EMPLOI, S'IL VOUS PLAÎT
(y compris la mise en garde contre les pertes d'équilibre)
Jusqu’au dernier cri du « high tech ».
JUSTE APRES, C'EST LE TABLEAU DE BORD DU CONCORDE
Et pour finir, quelques gags amoureusement concoctés par quelques facétieux nippons,
Qui, comme on le voit, n’hésitent pas, dans certaines occasions, à déployer des moyens logistiques considérables.
Certains pensent que le Mal n’est pas dans la technique, mais dans l’usage qu’on en fait. Ils oublient que le drôle peut faire partie des acquis de la technique. Bon, c'est vrai que ça va un moment, pas trop plus. On n'est pas obligé d'y passer autant d'heures que les types qui ont imaginé et réalisé tout ça. Au fond, la technique n’a pas que des mauvais côtés et offre parfois quelque menue compensation.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 09 juillet 2012
DES GOGUES ET DE LA CIVILISATION
Pensée du jour : « Non loin de là il y a le lac de cratère : des ténèbres au fond d'un trou. Le résineux obscur alterne sur la rive avec le sombre conifère. Ils se mirent dans l'eau comme la houille dans l'anthracite ». C'est ALEXANDRE VIALATTE qui a écrit ça. Quoi, ce n'est pas vraiment une pensée ? Et alors ? Je m'en fiche, c'est du VIALATTE. Et c'est beau. Comment voulez-vous qu'on résiste à : ils se mirent dans l'eau comme la houille dans l'anthracite ?
Avant de reprendre le fil de mon thème "goguenard", un mot sur la grande CONFERENCE SOCIALE qui se tient à Paris. Juste pour signaler que SARKOZY avait fait, paraît-il, un GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT, montagne qui a accouché même pas d'une souris, à peine d'une musaraigne pygmée (5 cm, sans la queue).
Disons que, pendant les quelques premières centaines de milliers d’années de son existence, l’humanité a eu recours au plus rustique des moyens : s’accroupir, déféquer et puis se nettoyer comme elle pouvait, d’une pierre, polie dans la mesure du possible, d’un bouquet d’orties fraîches ou d’un « oison bien dumeté, pourveu qu’on luy tienne la teste entre les jambes » (Gargantua, chapitre 13).
Et disons-le nettement : il n’y eut aucun problème particulier pendant deux ou trois cent mille ans. Tout le monde savait, dans les bourgs et dans les villes du néolithique (quoi, j'exagère ?), qu’il fallait faire, quand on marchait dans la rue, attention à ce qui tombait des fenêtres le matin, comme l’apprit un jour à ses dépens le bon LOUIS IX, alias Saint Louis, et, plus tard, je ne sais plus quelle grande dame qui déambulait étourdiment juste sous les fenêtres de Versailles, dans une robe du dernier chic qui avait coûté les yeux de la tête à ses fermiers et métayers.
Les difficultés surgissent avec la concentration urbaine des hommes et la croissance verticale des villes. Les solutions artisanales s’avèrent très vite totalement dépassées, comme le montrent quelques ébauches théâtrales d’ALFRED JARRY jeune, qui vécut à une époque de transition, où l'on est passé (lentement) de la "collecte" à l'ancienne à une "évacuation" moderne. Je ne m'attarderai pas sur les péripéties. Cela s'appelle Les Antliaclastes (traduction : les briseurs de pompe à merde).
Il y met en scène les membres du Club-Antliator, autrement dit les « vidangeurs au tonneau », qui ne sont autres que les adeptes de la (« parlant par respect », dirait NIZIER DU PUITSPELU) pompe à merde, c’est-à-dire, en quelque sorte, les fervents de la tradition et de la vieille école, avec ses savoir-faire inimitables et ses tours de main amoureusement préservés et transmis. Les tenants de l'amour du métier et du travail bien fait, quoi.
Ces « militants de la pompe » sont en guerre contre les « Antliaclastes », partisans quant à eux de l’ « herpétologie ahénéenne » (= les « serpents d’airain » = les tuyaux métalliques), de la chasse d'eau, des tuyaux de descente et de l'égout, en somme, de l’évacuation industrielle, technique, anonyme et déshumanisée, qui coupe l’homme de tout contact avec sa propre activité et, disons-le, avec la « vraie vie », et qui, du jour au lendemain, a fait disparaître aux yeux de tous l’œuvre la plus constante que, jour après jour, l’homme confectionnait (qu'il y consentît ou qu'il y regimbât), qu’il neigeât, qu’il ventât ou qu’il grêlât (notez la rafale de subjonctifs imparfaits), depuis la nuit des temps.
Dans ce combat proprement homérique, c’est évidemment l’anonymat industriel et déshumanisé qui a triomphé. Il faut dire que la lutte était foncièrement inégale. Rendez-vous compte de tout ce qu’une tour haute de 400 mètres (on pense évidemment à celles du World Trade Center de Manhattan) peut produire d’ « eaux noires » (c’est le terme spécialisé, par opposition aux « eaux grises », qui viennent de l’évier, du lavabo et de la douche). La rationalisation a triomphé sans trop de mal : nécessité fait loi.
Qui pourrait imaginer la grande ville d'aujourd'hui, couverte de buildings, avec des "vidangeurs au tonneau" qui passeraient dans les rues pour vider les fosses ? La société de masse commande des solutions de masse, des solutions industrielles de masse. Regardez ce qui se passe à Marseille, à Lyon ou à Naples, dès que les éboueurs décident de cesser le travail, et imaginez la même chose, pas avec les poubelles, mais avec les « matières ». On pourrait vraiment dire, au sens « propre » (!!!), qu'on est dans la merde.
Dans les célèbres tours du WTC, désormais abolies par un décret d’Allah en personne (c'est ce que dit la rumeur) comme symboles du Mal, travaillaient 50.000 personnes. Non mais, vous vous rendez compte ? Chaque jour débaroulaient jusqu’aux égouts soixante-quinze tonnes d’excréments (il faut compter 3 livres en moyenne par personne).
Quand vous saurez qu’à la fin du 19ème siècle, des gens excessivement sérieux, en Angleterre, ont calculé, avec la plus grande exactitude, que pour évacuer la seule matière solide, il fallait 9 litres d’eau, vous saurez ipso facto que le World Trade Center de Manhattan dépensait 675.000 litres d’eau par jour. BEN LADEN se voulait peut-être un bienfaiteur de la planète ?
Petite pause anecdotique : on raconte que les Américains, quand ils ont attaqué l'archipel d'Okinawa, ont largement surestimé le nombre des Japonais embusqués, en se fiant aux tas de fiente que ceux-ci laissaient, et qu'ils ont en conséquence acheminé des effectifs beaucoup plus copieux. Comme disent les Italiens : se non è vero, è ben trovato. Fin de l'anecdote.
Le plus dur à supporter dans cette affaire, c’est que ce qui évacue l’ « engrais humain » vers les océans, c’est, ni plus ni moins, de l’EAU POTABLE. Parfaitement : DE L'EAU POTABLE. Ben évidemment, vous imaginez ce que ça coûterait, de doubler les canalisations d’eau, l’une pour acheminer ce qui se boit, l’autre pour acheminer l'eau non-potable, vouée à l'évacuation de l’indigeste et du non-digéré ? Explosé, le budget d’investissement ! Quel financier désintéressé et philanthrope scierait ainsi sa propre branche ?
Pensez juste un instant que toute l’eau que vous jetez dans la cuvette en appuyant sur le bouton, c’est de l’EAU POTABLE. Dites-vous, oh, juste un instant, que vous pourriez mettre votre verre quand vous tirez la chasse, et que l’eau, oui, vous pourriez la BOIRE ! Franchement, est-ce qu’il n’y a pas de quoi se dire qu’avec un tel gaspillage, démocratiquement étendu à 6 milliards et demi d’humains, c’est exactement, concrètement et très efficacement annoncer l’impossibilité totale de la civilisation qui a promu ce gaspillage ?
Soyons clair : un tel gaspillage n’est possible et envisageable que s’il est réservé à un tout petit nombre. Soyons même tranchant : une vraie démocratie, une démocratie avérée, authentique est le régime de la médiocrité pour tous. Le gaspillage est un luxe, et de ce fait reste définitivement hors de portée du vulgum pecus.
A cet égard, on peut accuser la planète Terre de vivre comme les grands seigneurs de la cour à Versailles. Sauf que tous les manants, tous les vilains et tous les roturiers de la planète ont pour seul désir et objectif de pouvoir se comporter en grands seigneurs. Il paraît que c'est ça, la démocratie. Jadis, je n'aurais demandé qu'à le croire. Maintenant, j'avoue que j'ai du mal. Aujourd'hui, manants, vilains, roturiers et sans-culotte ont pour ambition suprême d'imiter les ci-devant aristocrates. Tout au moins d'en imiter certains gestes. Les plus coûteux.
La planète Terre est folle, elle ne se rend pas compte : elle a totalement perdu de vue les excréments qu’elle produit (ne parlons pas des autres déchets). Parce qu’elle a le regard fixé (par la publicité, la propagande, la télévision) sur la portion de Terre vierge, pure et momentanément préservée où elle va pouvoir se ressourcer, avant les onze mois de galère que va lui coûter le pavillon qu’elle s’est offert dans la banlieue de Saint-Brévin-les-pins.
C’est sans conteste cette raison (50.000 personnes obligées chaque jour de pisser et de chier du haut de leurs 400 mètres de béton, de verre et d’acier de toutes les tours du World Trade Center) qui a décidé OUSSAMA BEN LADEN, un écologiste de pointe et un démocrate interminable et péremptoire, à faire raser par quelques personnes fatiguées de vivre ce monument du non-sens de l’orgueil consumériste qu’étaient les tours du World Trade Center. On ne peut nier qu’il a visé juste. Le tout serait d’en tirer les bonnes leçons, ce qui semble loin d’être fait.
Le World Trade Center était exactement ce qu'on appelle le défaut de l'armure. La faille dans le système. La paille dans l'acier. Ce que les Grecs anciens appelaient l'ubris (la démesure, le défi aux dieux), et ce que les chrétiens ont traduit par la Tour de Babel.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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vendredi, 06 juillet 2012
UN PARFUM DE TROISIEME REICH (1)
Bérurier, vous savez, c’est, pour le commissaire San Antonio, comme un alter-ego, mais ce que San Antonio est en propre, jeune premier et séduisant, Bérurier l’est en sale, et le plus souvent répugnant. N’empêche que FREDERIC DARD a élaboré un sacré personnage : gras du bide, la braguette ouverte, c’est lui qui s’arrache les poils du nez et laisse échapper une larme suite à l’opération.
LE "GRAVOS"
Dans Votez Bérurier (Fleuve Noir n° 56, 1964), comme il y a une élection municipale dans le village de Bellecombe, où le commissaire enquête, l’inspecteur, incognito, se porte candidat, et son discours de candidature débute sur ces fortes paroles : « Bellecombais, Bellecombaises… ». L’amateur que je suis raffole de ces petites facéties de l’écrivain, même si l’adjoint de San Antonio se permet de faire passer les messieurs avant les dames, sans quoi l'effet du jeu de mots serait raté. Mais Bérurier n’est pas un homme politique.
Car oui, l’homme politique, élevé dans la langue de bois maternelle et le « politiquement correct », inverse et déclare : « Les Françaises et les Français… ». Le maire de Paris : « Les Parisiennes et les Parisiens… », de Marseille : « Les Marseillaises et les Marseillais… ». Qu’y a-t-il là de politiquement correct, me dira-t-on ?
Eh bien, tout simplement qu'en bonne grammaire, le masculin est « générique », alors que le féminin est « marqué ». On dit aussi : le masculin l’emporte sur le féminin, mais c’est mal vu et C'EST EXACTEMENT ÇA, le politiquement correct : cette formule est une insulte à l’égalité de l’homme et de la femme. Inutile (ou utile au contraire) de dire que l’idée même d’insulte est proprement ridicule.
La pensée choisit peut-être les mots capables de l'exprimer, c'est bien possible, mais aujourd'hui, les mots médiatisés façonnent la pensée des masses. Sinon, je ne comprends pas comment NICOLAS SARKOZY a pu être élu en 2007, pas plus que FRANÇOIS HOLLANDE en 2012. On appelle ça la PROPAGANDE (lisez Propaganda, d'EDWARD BERNAYS, le neveu de SIGMUND FREUD, un des principaux inventeurs de la gestion des populations au vingtième siècle).
VICTOR KLEMPERER, L'HUMBLE ET NOBLE
SCRIBE DE LA LANGUE HITLERIENNE
VICTOR KLEMPERER a écrit un ouvrage mémorable sur la langue du III° Reich : LTI – Notes d’un philologue, paru en 1947 (édition Pocket, collection Agora, n° 202), où LTI signifie, en français, Langue du Troisième Reich (« Lingua Tertii Imperii »). George Orwell, en 1948 (dans le livre plus célèbre que lu 1984), imagina la « Novlangue », autrement dit la réécriture de l’histoire et de la réalité (voir les retouches de photos officielles sous STALINE).
Le point commun de toutes ces conquêtes impériales de la langue de tous, celle que nous parlons, c’est la généralisation de l’euphémisme : on ne dit plus « élève borné » ou « cancre », mais « apprenant à apprentissage différé », car il ne faut plus humilier personne, dans notre société d’égalité (handicapés, femmes, homosexuels, arabes, noirs, juifs et tutti quanti), ce qui est un progrès indéniable et décisif, n’est-ce pas.
Cela veut dire qu’on a le droit d’être con ou salaud (on est en démocratie), mais personne n’a le droit de le dire, sous peine de correctionnelle (on est sous l’œil des miradors et des gardes-chiourme, il paraît que c’est compatible avec la démocratie, si, si !). Il est désormais interdit de porter un jugement. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit encore permis d'exercer son jugement, comme nous l'ont enseigné les LUMIERES.
Mais il faut aussi compter avec la liste toujours plus longue des interdits : le vrai et juste combat des minorités américaines (les noirs, pour tout dire) pour la reconnaissance de leurs droits a abouti paradoxalement à installer une POLICE DE LA LANGUE (on ne dit plus un noir, mais un Africain-Américain, alors même qu'entre eux, les noirs s'interpellent "hey, nigga" ; on ne dit plus un nain, mot affreux, mais une « personne contrariée dans sa croissance verticale »), en attendant la POLICE DE LA PENSEE, qui s’est déjà imposée dans le paysage.
On ne doit plus, aux Etats-Unis, dire "un noir", mais un "africain-américain". Il n'y a plus de "bombardements", mais des "frappes", éventuellement "chirurgicales". Il n'y a plus de "victimes civiles", mais des "dommages collatéraux". On ne parle ni de "rigueur", ni d'"austérité", mais "du sérieux dans la gestion comptable des deniers publics". Je pourrais continuer longtemps.
Attention, mon frère, aux mots que tu prends pour parler des handicapés, des femmes, des homosexuels, des arabes, des noirs, des juifs (surtout des juifs, mais ils sont talonnés, pour ce qui est des moyens de pression) et des tutti quanti.
FRANÇOIS RABELAIS, en son temps, eut des problèmes avec les autorités et la justice, mais jamais pour une histoire de mots : ce sont les idées qui sont ou non porteuses de force, subversive ou non. De nos jours, la police a resserré son étreinte : il ne s’agit plus d’idées subversives – puisque plus RIEN n’est désormais subversif (c’est la société tout entière qui se subvertit elle-même en permanence), du fait même que TOUT est en soi subversif (se prétend tel, ou est célébré comme tel, évidemment). Du coup, le policier et le juge s'en prennent aux mots mêmes.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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jeudi, 05 juillet 2012
MA DOSE DE VIALATTE (ET AUTRES FETUS)
On connaît ma prédilection pour la haute littérature qu’on trouve dans les Chroniques de La Montagne, d’Alexandre Vialatte, qui ont la taille de courtes nouvelles et qui, de ce fait, constituent des petites merveilles de « livres pour les cabinets », pour qui a le désir ou l’habitude d’agrémenter ces moments quotidiens passés derrière la porte verrouillée, mais où d'autres verrous, corporels cette fois, se relâchent, pour qui, cependant, tient à maintenir dans son esprit un niveau honorable de maintien intellectuel et de contention morale.
Dans ces « lieux » destinés à accueillir des « nécessités » bien triviales, posséder, sur quelque honnête rayon de bibliothèque, des ouvrages capables d’offrir ainsi quelque satisfaction quintessenciée aux aspirations les plus nobles de l’individu en train de se soulager de sa matière la plus ignoble, tout en s’aérant les parties basses, je n’hésite pas à le dire, constitue l’indéniable marque de la haute considération dans laquelle doit être tenu, non seulement le logement où on le trouve, mais encore la personne qui l’habite.
Parenthèse : « Des gogues et démagogues ».
Cela dit, il est conseillé aux personnes « pressées » de s’enquérir auprès de leur hôte, avant d’accepter son invitation à dîner, de l’existence d’un deuxième « lieu », au cas où la situation l’exigerait. Rien n’est en effet plus disconvenable que de déposer dans un pot de fleurs son « engrais humain » sans demander à la maîtresse de maison si elle a auparavant fait le nécessaire.
J’ai parlé d’un « engrais humain » : il faut savoir qu’ainsi parle Victor Hugo dans Les Misérables : « Tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde » (partie 5, livre 2, chapitre 1, pour ceux qui douteraient).
La suite est toute empreinte de parfums, je dirai même de fragrances délicates et raffinées. Jugez plutôt : « Ces tas d’ordures du coin des bornes, ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues, ces fétides écoulements de fange souterraine que le pavé vous cache, savez-vous ce que c’est ? C’est de la prairie en fleur, c’est de l’herbe verte, c’est du serpolet et du thym et de la sauge, c’est du gibier, c’est du bétail, c’est le mugissement satisfait des grands bœufs le soir, c’est du foin parfumé, c’est du blé doré, c’est du pain sur votre table, c’est du sang chaud dans vos veines, c’est de la santé, c’est de la joie, c’est de la vie ». Victor Hugo est bien le grand prêtre de l’antithèse (dont Chateaubriand lui a montré le chemin). Le Livre II s’intitule « L’intestin de Léviathan » : ça dit bien ce que ça veut dire.
Autrement dit, plus l’humanité produit de caca, plus l’humanité peut se nourrir. Comme quoi on a raison de dire que chez VH, il y a « à boire et à manger ». Est-ce à tort que nous n’éprouvons qu’aversion et répugnance pour ces matières vilipendées par la coutume, et qu’Alfred Jarry appelle les « immondices du corps » ?
Puisqu’on en cause, me revient à l’esprit le « lieu » du 7 quai Lassagne, où le « suivant » devait s’armer d’une très longue patience, ou se résoudre à traverser tout l’appartement à toute vitesse pour trouver refuge et salut dans l’autre « lieu ». La faute à la pile des Tintin hebdomadaires qui offrait son interminable tentation à la personne en train d’ « opérer ».
Me reviennent aussi, en même temps que les plumes de paon que nous ramassions par terre, les « lieux » du château d’Azolette, dans le haut Beaujolais, propriété de la famille Manivet : situés dans un pavillon faisant face à l’imposant bâtiment, de l’autre côté de la grande terrasse, leur lunette était recouverte d’un merveilleux velours, peut-être rouge, mais je ne peux pas le jurer.
MIEUX QU'UNE PAILLOTE SUR UNE PLAGE CORSE, NON ?
(on distingue bien le pavillon en question, au premier plan)
Et pendant qu’on en est aux « mondanités », parlons du château de Joux, en Haute-Loire, dont les gogues ruraux et rustiques (auxquels on accédait en passant dans le petit bois, séparé de la haute et belle terrasse par un haut mur), étaient à deux places, ce qui m’a toujours laissé perplexe, et où l’on pouvait par là observer en direct, six ou sept mètres plus bas, le résultat des activités développées en cet endroit. Je précise que, si je parle de châteaux, ce n’est jamais moi qui y ai habité. « Simple visite », comme on dit au Monopoly.
Fermez la parenthèse.
Promis, je cesse de digresser, et je reviens à mon Vialatte. On le considère le plus souvent (quand on n’ignore pas scandaleusement son existence), comme un humoriste. Or, il faut bien se mettre dans la tête qu’Alexandre Vialatte est tout, sauf un humoriste. Avoir de l’humour ne suffit à personne pour devenir un professionnel de la chose. Alexandre le grand plaçait tout son humour dans la sphère infiniment plus vaste du regard très particulier qu’il portait sur le monde.
L'humour était un élément parmi d’autres dans la vision toute personnelle qu’il avait des choses. Si l’on veut, l’humour faisait partie intégrante de sa « philosophie » de l’existence. Une « philosophie » éminemment pessimiste. Sans espoir dans une hypothétique amélioration de l’espèce humaine. D’où la formule « Le progrès fait rage », disait-il, avant que Philippe Meyer ne popularisât la formule.
Disons que l’humour était, en quelque sorte, l’huile qui permettait au pessimisme de son moteur existentiel de ne pas « casser ». Vous trouverez ci-dessous une jolie petite illustration du pessimisme et de l’humour. Laissez Alexandre Vialatte agiter les ingrédients dans son shaker personnel, et voyez ce que ça donne.
La vérité, c’est qu’on n’a jamais vu pareille docilité des masses. Parce qu’il n’y eut jamais tant de moyens de les conditionner à son gré. L’instruction elle-même y concourt, qui permet à tous les hommes de lire le même journal. L’analphabète était bien obligé d’avoir ses idées personnelles, « de disputer, de juger, de décider par lui-même ». Aujourd’hui, il en croit le prospectus général.
Le prospectus général l’assure qu’il ne cesse de devenir plus libre, plus intelligent et plus fort. Que les siècles se superposent et qu’il y voit, par conséquent, de plus en plus loin. Mais il en va de ce socle hautain comme de celui de ce procureur auquel un avocat disait : « Monsieur l’avocat général, votre position supérieure est une erreur du menuisier ».
On trouve ça dans Les Champignons du détroit de Behring. Le pessimisme, c’est la lucidité sur l’époque qui le produit. L’humour, quant à lui, c’est un choix de vie, une attitude. Pour tout dire, c’est une morale. En plus, Alexandre Vialatte montre qu’il avait ce qu’on appelait au 18ème siècle « de l’esprit ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 03 juillet 2012
IN MEMORIAM ALLAIN LEPREST
Aujourd’hui, tiens, je n’ai pas envie de baratiner. Je vais me contenter de donner la parole à quelqu’un qui chante.
Quelqu’un qui ne sait pas chanter avec une voix de bel canto, mais quand tu l’écoutes, tu n’as pas envie que ça s’arrête.
Quoi, c’est triste ? C’est certain : plus triste, tu meurs. Mais écoute les paroles et regarde le bonhomme et la bouche dont elles sortent. Tu n’as pas envie que ça s’arrête.
Le monsieur s’appelle ALLAIN LEPREST. Oui, il y a deux ailes à son prénom. C’est exprès, il paraît.
Voilà, je trouve ça très triste (la voix n’est pas gaie, il faut dire), c’est surtout très beau.
Il paraît qu’ALLAIN LEPREST a décidé d’en finir au mois d’août dernier.
Je sais pas vous, mais moi, voilà ce que je dis.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : chanson, musique, poésie, poètes, allain leprest, littérature
mardi, 26 juin 2012
BICYCLETTE, DOPAGE ET LITTERATURE
Résumé : ce n’est pas la peine de chercher l’exception : dans le peloton du Tour de France, celui qui ne se dope pas, c’est l’aiguille (si j’ose dire !) dans la botte de foin : on ne peut pas le trouver.
Le cyclisme (professionnel, mais aussi amateur, et très tôt) est donc le monde de la triche organisée et systématique, où les sportifs, s’ils veulent « percer », sont obligés de se procurer hors de leur organisme des « ressources » impossibles à trouver au-dedans. JACQUES ANQUETIL ne disait pas autre chose : « Il faut être un imbécile ou un faux jeton pour s’imaginer qu’on peut courir 265 jours par an sans stimulants ». Il comparait lui-même ses cuisses et ses fesses à « des écumoires ».
Je signale que LANCE ARMSTRONG, avec ses sept victoires dans le Tour de France, risque dans peu de temps de s’en voir privé, si les poursuites engagées par les instances sportives américaines aboutissent (le coureur est un gros lobby à lui tout seul).
Il semble qu’elles aient assez de « biscuits » pour conclure, si j’en crois L’Equipe (eh oui, ça m’arrive aussi !), qui sous-titrait récemment un article : « L’Agence américaine antidopage détient les preuves absolues que Lance Armstrong fut un terrifiant tricheur ». Pourquoi « terrifiant » ? Parce tout le milieu a été lâche et complice, et qu’il a si longtemps fermé les yeux ?
Le déjà nommé ANTOINE VAYER s’étonnait (?), en 1998, que l’équipe Festina au grand complet arrivât groupée, quasiment « en ligne », et « bouche fermée » au sommet de je ne sais plus quel col impossible. Il dit d’ailleurs de ce genre de coureurs : « Plus ils roulent, plus ils récupèrent ».
C’était le rêve d’André Marcueil, le personnage créé par ALFRED JARRY pour Le Surmâle, où cinq cyclistes, sur une quintuplette, font la course (de 10.000 milles) avec une locomotive, aidés par la « perpuetual motion food » (l'aliment du mouvement perpétuel) du bon Dr Elson. ALFRED JARRY fut un précurseur en matière de dopage. Il faudra que j’en parle un de ces quatre.
Il faut savoir que le taux d’hématocrite dans le sang (proportion des globules rouges) diminue dans les efforts longs et intenses, ce qui rend un sportif impropre à toute performance s’il ne se repose pas pour le reconstituer (eh oui, j’ai essayé de me documenter, mais je ne vais pas vous bassiner avec les données).
Au cours de toutes les affaires de dopage qui jalonnent la compétition cycliste depuis bientôt quinze ans, j’ai vu passer de temps en temps un article de PAUL FOURNEL, qui regrettait profondément les saloperies qu’on faisait au cyclisme et qui ternissaient son image, mais qui n’a jamais, pour son compte, renoncé à l’amour du vélo. Et on le comprend bien volontiers. Mais son bouquin Les Athlètes dans leur tête date (1988) d'avant l'arrivée de l'EPO, qui donne au pire canasson des ailes de crack.
Il fait dire à son ANQUETIL (des propos rapportés comme répétés à ses plus proches), dans son dernier livre : « Je crois bien que je n’aime pas, que je n’ai jamais aimé, que je n’aimerai jamais le vélo ». Dans la nouvelle qu’il lui consacre, il fait dire à son narrateur, parlant du vrai crack : « … un trait de caractère que je n’ai jamais eu et que je n’aurai jamais : un certain dégoût pour la bicyclette et une tendance à la laisser au garage plutôt que de s’entraîner ». Mais ce qui est sûr, c’est que FOURNEL, qui aime le vélo, est carrément baba devant le champion qui porte le nom de JACQUES ANQUETIL.
C’est qu’avec FOURNEL, on a vraiment l’impression d’être dans le bonhomme qui agite les jambes sur sa bicyclette, d’être au fin milieu du peloton, avec les amabilités diverses qui se déversent pendant une course : on ne voit pas pourquoi les mecs seraient muets, mais le spectateur se demande toujours : « Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se dire ? ».
Dans Les Athlètes dans leur tête, je passe sur « La Course en tête », où le Portugais dont il est question fait le vide autour de lui, à cause d’une trajectoire erratique, et dangereuse pour ses voisins, surtout dans les sprints finaux. Une nouvelle qui commence par : « Il en va souvent ainsi des cyclistes : les plus malicieux manquent de cuisses et les plus cuissus manquent de malice. Ce Portugais était très cuissu ». A cause de l’ellipse, on dirait du VIALATTE.
La nouvelle finit par : « … il avait eu la sensation fugitive que le Portugais n’était pas vraiment mécontent de voir arriver cette bordure de trottoir en plein dans sa figure, à la vitesse d’une dernière gifle de béton ». Là, je ne peux pas dire qu’on dirait du VIALATTE, mais je me demande si VIALATTE n’aurait pas aimé écrire une phrase comme ça.
J’aime bien la nouvelle « Gregario » (le troupeau de l’équipe, au service exclusif de la vedette). A cause de quelques phrases, peut-être. Le gregario parle d’Yvon, le sprinter : « C’est lui qui fait rentrer l’argent dans l’équipe, c’est lui qui lève les bras sur la ligne pour qu’on puisse lire « Salami-Store » sur son maillot, à la télé, dans les journaux. Dans notre équipe, on roule pour du saucisson ». Il n’y a pas à dire : PAUL FOURNEL prend le monde tel qu’il est. Il n’en cache rien, il ne se fait aucune illusion, mais il « y va », comme on dit. C’est un choix. Ce n’est pas le mien, mais là, je respecte, parce qu’il sait écrire.
Je passe très rapidement sur « Méticuleux », canular montrant le gars qui se la joue, mais qui n’a plus envie que d’une chose : se taper la cloche dans une bonne auberge, après avoir fait semblant de partir pour l’Izoard. Je passe aussi sur « La forme », qui raconte la bonne journée (il arrive 30ème de l’étape) d’un basique qui s’étonne d’être encore dans la course. Aujourd’hui, « il était monté comme dans une chanson (…). Le revêtement rendait bien, les boyaux sifflaient juste, il passait en danseuse sans à-coups… ».
PAUL FOURNEL, on ne dira pas le contraire, aime et connaît le vélo.
Voilà ce que je dis, moi.
Le meilleur reste à venir.
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lundi, 25 juin 2012
JACQUES ANQUETIL ET LE DOPAGE
Voilà, PAUL FOURNEL a enfin concrétisé un vieux rêve : consacrer tout un livre à une des idoles de son âge enfantin, qui s’appelle JACQUES ANQUETIL. Le livre s’appelle Anquetil tout seul (Seuil, 16 €). Ce n’est pas un gros livre : 150 pages. Je ne l’ai pas encore lu. Je ne sais d’ailleurs pas si je le lirai, parce que, franchement, ANQUETIL, hein …
Pourquoi je dis que c’est un « vieux rêve » ? Parce que le bouquin sur le cycliste me fait irrésistiblement repenser à un autre livre du même PAUL FOURNEL : Les Athlètes dans leur tête, paru en 1988. C’est un recueil de nouvelles. L’ensemble est absolument délicieux. Vingt-deux histoires très courtes qui racontent toutes un moment particulier, peut-être décisif, dans la vie d’un sportif de haut niveau, cycliste, perchiste, haltérophile, skieur, enfin toute la panoplie.
On m’apprendrait que PAUL FOURNEL a une préférence marquée pour le vélo qu’on ne m’étonnerait pas : pas moins de six récits le mettent en scène. Des miettes pour les autres sports, mais des miettes à grignoter sans hésiter.
Car ce qui est bien, dans les sports racontés par l’auteur, c’est la manière, l’attitude, le style, si on veut : à la fois amusée, un peu distante et en même temps pleine d’affection (ne parlons pas d’amour) pour les activités sportives et pour ceux qui les pratiquent : « … car le sport était une des plus belles choses que l’homme ait inventée pour toucher les hommes ». Si ça, ce n’est pas une déclaration d’amour, moi je suis un Nambikwara converti au bouddhisme option mahayana.
Moi, le vélo, je n’ai rien contre, à condition de ne pas abuser. Depuis le scandale de 1998 sur le Tour de France (d’où vient le célèbre « à l’insu de mon plein gré » du regretté RICHARD VIRENQUE : est-ce de lui ou des Guignols de l’info ?), je lis dans les journaux les chroniques d’ANTOINE VAYER, un spécialiste qui prouve le dopage par la puissance mécanique développée (calculée en watts).
FREDERIC PORTOLEAU, son confrère, définit ainsi la puissance : « La notion de puissance est assez simple à comprendre. Pour un système mécanique en rotation comme un pédalier, la puissance est égale au produit du couple moteur, lié à la force appliquée sur les pédales, par la fréquence de rotation (vitesse). Un coureur en très grande forme qui dispose d’un fort potentiel physique va mettre un grand braquet et tourner vite les jambes: sa puissance sera élevée.»
ANTOINE VAYER donne les précisions suivantes : « Comment procède-t-on ? Comme vous, devant votre télévision : on enclenche le chronomètre au point de départ précis référencé pour les principales difficultés du Tour 2009 et on l’arrête au sommet. Nos mesures tiennent compte de paramètres abscons mais tout à fait scientifiques comme, entre autres, la surface frontale, le coefficient de roulement, le pourcentage de la pente, la densité moyenne de l’air ».
PORTOLEAU et VAYER, eux, ils se fichent donc pas mal de l’analyse d’urine, de la prise de sang et de tous les efforts dépensés (c’est le mot !) pour y trouver les traces de substances prohibées par la noble « charte déontologique » du sport : ils analysent les performances du coureur. Ils collectent toutes les données chiffrées possibles, enfin tout ce qui peut se chiffrer par l’observation des faits.
C’est quand la course est terminée que le travail commence : on applique alors sur toutes les données collectées une grille qui permet de déterminer la puissance développée par le coureur au cours de l’étape. PORTOLEAU et VAYER arrivent à la conclusion que le maximum auquel puisse arriver un athlète normalement constitué est une puissance développée de 410 watts, sachant que le coureur du dimanche correctement entraîné est capable de développer entre 200 et 250. A partir de 410, il y a objectivement dopage.
Pour le Tour 2011, voici ce que dit ANTOINE VAYER : « C’est 23 coureurs à 31 km/h de moyenne dans la pente finale de Super-Besse à 5,75 % de dénivelée, derrière Rui Costa, le vainqueur qui revient d’une suspension pour usage de Méthylhexanamine. C’est une foultitude d’Eddy Merckx côté potentiel athlétique qui mène la bande 2011 à 41,32 km/h de moyenne horaire après neuf étapes (quel cru !). ».
Dimanche 19 juillet 2009, lors de l'ascension vers Verbier, ALBERTO CONTADOR a établi un record de vitesse : il a parcouru les 8,5 km de montée (7,5 % de pente moyenne) en 20 min 55. Jamais un coureur du Tour n'avait grimpé aussi vite. Selon ANTOINE VAYER, dans Libération, le coureur espagnol aurait eu besoin d'une VO2 max (consommation maximale d'oxygène) de 99,5ml/mn/kg pour produire cet effort. C’est rigoureusement impossible pour quelqu’un qui a un peu étudié la physiologie humaine. Et ça fait une puissance développée de 506 watts !!!
Et il fait semblant de s’étonner que, dans le col de la Croix, ce ne soient pas moins de 80 coureurs qui grimpent à 393 watts ! HORNER, à Mûr-de-Bretagne, développe « 453 watts pendant 4’16’’ dans la côte finale », c’est-à-dire un VO2 max de 87,5. Mais HORNER « s’est cassé le nez derrière huit coureurs "anaérobies" plus puissants à 515 watts » (cinq cent quinze ! à comparer aux 150 de monsieur tout le monde) ; « ils auraient au-delà de 95 » de VO2 max.
Le vélo est une chose merveilleuse, à condition d'en sortir.
Voilà ce que je dis, moi.
Promis, demain, je reviens à la littérature, à ANQUETIL, à PAUL FOURNEL.
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lundi, 18 juin 2012
ALEXANDRE VIALATTE LE GRAND
Dans son Almanach des quatre saisons, ALEXANDRE VIALATTE rappelle qu’au mois de février, « la grosse erreur est de semer les crosnes du Japon trop serrés, et qu’il faut les mettre à trente centimètres d’intervalle (en dehors de heures de bureau) ». Et il ne manque pas de préciser que « les hommes qui naissent en février aimeront les étoffes chinées. Ce sont des enfants du Poisson. Mystiques et rêveurs, ils seront attirés par la musique, l’abnégation, l’occultisme, les voyages et les liquides ; à la limite, ils feront donc d’excellents marins ou des placiers en spiritueux ».
Il donne aussi de précieuses indications au sujet de quelques prénoms du mois. Ainsi, « les Blaise (le 3) sont aimés de l’aristocratie slave ; très forts en métaphysique, ils naissent dans les rues commerçantes ». Si, à partir de là, vous avez reconnu BLAISE PASCAL (mais aussi BLAISE CENDRARS), c’est que vous êtes fort, ou que vous avez compris un des aspects intéressants de la tournure d’esprit de l’auteur, ainsi que de son style (la généralisation abusive).
Toujours à propos de prénoms, mais comportant un autre aspect (l’approximation phonétique) : « Les Armand (le 6) sont heureux, souvent jaloux, volages quelquefois. Selon La Fontaine, ils ont intérêt à ne voyager qu’aux rives prochaines ». Vous avez reconnu une citation d’une des plus belles Fables, Les Deux pigeons :
« Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ».
Si je dis « une des plus belles », c’est à cause des derniers vers, qui constituent un rarissime et très touchant exemple où LA FONTAINE se laisse aller à la tentation de se livrer à quelques confidences :
« J’ai quelquefois aimé, je n’aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l’aimable et jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! Quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! Si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ? »
On est loin de La Cigale et la fourmi ou du Loup et le chien, vous ne trouvez pas ? Mais revenons aux prénoms selon VIALATTE, pour qui les « Apolline (le 9) se lèvent avec le jour. Yeux verts et foie fragile. Elles naissent à Limoges ». Et il conclut : « Si vous tenez à économiser, par avarice ou par manque de moyens, appelez votre filleul Montan ou Dosithée (fête le 29). Vous ne le fêterez que les années bissextiles ».
Je signale que le village de Saint-Montan (ou Saint-Montant), dans l’Ardèche (entre Viviers, Bourg-Saint-Andéol et Vallon-Pont-d’Arc), produit du vin rouge. Ce vin peut, à excellent droit, être surnommé le roi des « rouges-qui-tachent ». Pour parler franchement, si vous avez rêvé de la « tache absolue », je vous conseille un détour par le rouge de Saint-Montan. Je n’ai jamais vu l’équivalent.
Pour finir sur le 29 février, il est bon de rappeler que Saint GREGOIRE DE NAREK fut fils de Kosroès, évêque d’Antsévatsik (il paraît qu’il y avait des chrétiens en Turquie, au 11ème siècle) et que, décevant les attentes de tous les jaloux, mauvais et méchants qui lui cherchaient noise, non content de refuser de manger du pâté de pigeonneaux apporté par de vils tentateurs, au motif qu’on était vendredi, il frappa dans ses mains et dit au pâté froid : « Allez jouer, mes petits amis, c’est du poisson qu’on mange aujourd’hui ». Les pigeons s’envolèrent aussitôt dans les arbres. Farpaitement ! C’est comme ça que ça s’est passé !
Moi je dis que je comprends qu’il ait été invité à naître un 29 février. Parce que vous ne me ferez pas sortir de l’esprit que tout ça, c’est louche. Bon, c’est vrai qu’on ne le fête (encore faut-il ne pas avoir oublié l’aide-mémoire entre la liste des courses de la semaine à Auchan et celle des bonnes résolutions du 1er janvier, qu’on a omis d’ôter du portefeuille) que tous les quatre ans. Mais quand même, ça reste louche, cette histoire de pigeons.
Bon, j'ai encore fait des « arabesques » (au sens de CHATEAUBRIAND), mais que voulez-vous, s'il fallait se priver de tous les à-côtés, la vie serait bien triste, non ?
Voilà ce que je dis, moi.
A la prochaine.
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vendredi, 15 juin 2012
UN PEU DE VIALATTE CHAQUE JOUR
J’ai déjà dit tout le bien qu’il est conseillé de penser de Monsieur ALEXANDRE VIALATTE, l’auteur immarcescible des Chroniques de La Montagne (898 textes publiés chaque lundi, à quelques très rares exceptions près, de 1952 à 1971, dans le journal de Clermont-Ferrand, disponibles en Laffont « Bouquins »). Je dis « conseillé », parce que – et on peut le regretter – il n’existe ni sanction, ni mesure de rétorsion contre les écervelés qui, endurcis dans une attitude confinant à un lamentable obscurantisme, se refuseraient à rendre un culte à l’ « Auvergnat absolu ».
Mais la vénération a d’autres raisons de s’exercer que les seules Chroniques de la Montagne, dont FERNY BESSON, la fidèle entre les fidèles, a publié une bonne partie dans une douzaine de volumes (Julliard) délicieux, dotés de titres parfaitement homothétiques avec le contenu et l’esprit des dites chroniques. Citons L’Eléphant est irréfutable, Profitons de l’ornithorynque et Eloge du homard et autres insectes utiles, pour rester dans la référence animale.
A ce propos, je précise que l’ornithorynque est un mammifère « monotrème » mot forgé à partir du grec, signifiant « un seul trou », car le même conduit sert à excréter les liquides, les matières et les œufs portant la descendance, mais aussi permet à la femelle d’accueillir le mâle ; pourquoi se compliquer l’anatomie quand on peut faire simple, n’est-ce pas ? N’est-ce pas aussi que c’est rafraîchissant de savoir de telles choses ?
Parmi d’autres originalités cultivées par ALEXANDRE VIALATTE, il eut celle d’habiter, au dernier numéro pair (158) de la rue Léon-Maurice Nordmann (Paris, 13ème), un immeuble donnant juste sur la prison de la Santé (Paris, 12ème), dont il n’était séparé que par la bien nommée rue de la Santé (l’hôpital Cochin est tout à fait voisin, mais j’ignore qui, de l’hôpital, de la prison ou de la rue, eut la préséance dans la dénomination).
Parmi les autres raisons d’admirer ALEXANDRE VIALATTE, il y a ses romans, dont le formidable Les Fruits du Congo. J’en parlerai une autre fois, si vous le permettez. Je m’arrêterai aujourd’hui, certes sur des chroniques, mais d’un autre genre : celles qui furent publiées dans Marie-Claire (eh oui !) dans les années 1960, sous le titre « L’Almanach d’Alexandre Vialatte », et que l’impeccable FERNY BESSON a publiées (Julliard) sous le titre rigolo Almanach des quatre saisons (12 chapitres correspondant aux mois de l’année), et dans lesquelles il démontre combien il sait parler aux femmes : « Ail : mangez-en beaucoup. Il rajeunit l’organisme et éloigne les importuns ».
« Janvier est le premier mois de l’année depuis une décision de Charles IX ». Voilà comment ça commence. Car il faut le savoir, avant l’ « Edit de Roussillon » (promulgué le 9 août 1564 au château de Roussillon, et entré en vigueur le 1er janvier 1567), c’était l’anarchie dans le royaume de France, et en plus, sans tenir compte des guerres de religion. Pensez, dans le diocèse de Lyon, l’année commençait à Noël, dans celui de Vienne, le 25 mars, ailleurs c’était le 1er mars, ailleurs c’était à Pâques. Impossible de s’y retrouver. Remarquez, maintenant, comment expliquer les « sept-, oct-, nov-, déc- des quatre derniers mois de l’année ? Réponse : on ne saurait satisfaire tout le monde.
« C’est en janvier, sous le Roi-Soleil, que l’homme inventa la machine à écrire, et que Landru, qui reste dans l’histoire comme le type du faux affectueux, brûla sa dernière victime dans un poêle à trois trous sans valeur commerciale : le vent soufflait et l’ombre de sa barbe dansait sur le mur de la cuisine. » Le fantastique, comme on le voit, n’est jamais loin. Un art éminemment visuel.
Ses recommandations aux dames pour le mois de janvier sont très simples : ne pas croire qu’à la Saint-Charlemagne, les censeurs de lycée ont pour coutume de manger un mauvais élève ; ne pas s’adresser à son percepteur dans la langue chaldéenne ; éviter les loups qui rôdent dans la forêt en hiver ; après une journée fatigante, faire un bœuf mode à la cocotte-minute, et gagner ainsi trois heures qu’elles pourront consacrer à un repos réparateur : « Une bonne lessive, au même moment, peut vous faire gagner deux grandes heures ; en achetant un prêt-à-porter vous gagnerez quarante-cinq minutes. Vous finirez pas avoir trop de temps ».
Voilà : une dose de VIALATTE tous les jours, c’est d’abord et avant tout une question d’HYGIENE. Et la forme littéraire qu’il a adoptée s’y prête à merveille. Comme le disait, lors des Assises Internationales du Roman, un écrivain (ROBERTO ALAJMO), le fragment est, idéalement, « de la littérature de cabinet ». Profitez de votre halte quotidienne dans « les lieux » pour soignez vos neurones et vos zygomatiques intérieurs.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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mercredi, 13 juin 2012
DE LA POROSITE DANS LES CATEGORIES
Résumé : après les catégories du temps et de l’espace, on a constaté que la POROSITÉ a atteint la frontière entre les sexes. Voyons à présent si cette porosité fait tache d’huile (la porosité qui fait tache d'huile, ça vaut bien un discours du maire de Champignac, non ?).
Un autre exemple de ce totalitarisme soft de la POROSITÉ est à trouver dans une immense et impérieuse revendication venue du fond des âges coloniaux et des peuples opprimés, de tout ce qui tourne autour de la revendication du métissage culturel, de la « diversité », de la voix des « minorités », de la créolisation du monde, de la controverse sur le multiculturalisme. Ce sont AMADOU et MARIAM qui chantent : « Ouvrez les frontières, ouvrez les frontières, ouvrez les frontières ». Qu’est-ce d’autre que réclamer une POROSITÉ accrue ? Soyez poreux, les Européens, devenez POREUX, vous, les blancs !
Allez, j’aggrave mon cas, et je propose comme exemple un cas extrême : la Déclaration des Droits. Tout le monde a au moins entendu parler de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cela date du 26 août 1789. Dix-sept articles lumineux, simples et précis. Passons sur celle de 1948, qui n’a de différent que son affirmation d’être universelle, quand la première, sans le dire, l’était déjà (elle comporte quand même 13 articles de plus, on sent le juridisme ambiant qui commence son grignotage épouvantablement énumératif, qu'on trouve dans tous les baux de location et les contrats d'assurance).
Mais mentionnons celle de 1959, celle des « Droits de l’enfant », dont je me demande ce qu’elle apporte de spécifique. Quoi, franchement ? Et que penserez-vous de la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal (Unesco, 1978) ? Et de la Déclaration Universelle des Droits des Plantes (authentique) ? Je dirai rien de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, rédigée par OLYMPE DE GOUGES en 1791, parce que je me ferais incendier par les féministes.
Et moi je dis que, pour revenir aux plantes, il serait pour le moins juste et équitable de proclamer solennellement les Droits des Carottes. Et dans la foulée, des Pommes de Terre. Et pourquoi pas des Navets ? Je sens que la Déclaration des Droits va pulluler et surabonder, comme la ’Pataphysique. Elle va régner dans tous les jardins potagers. Vous allez voir, la vie des jardiniers va devenir impossible.
Vous allez voir, les manifs de poireaux, les choux indignés qui vont aller camper sur de nouvelles « Places Tahrir » pour réclamer. Pour réclamer quoi, on s'en fout. Réclamer, c'est le principe. Les Droits débordent de partout. En France, les Droits suintent, débordent des femmes, des musulmans, des noirs, des homosexuels, des enfants, des animaux (même les cloportes et les limules ?), des plantes (même le lamier amplexicaule, la pulicaire dysentérique et la germandrée scorodoine ?).
Il faut donc saluer solennellement l'émergence, le surgissement, que dis-je, l'épiphanie des Droits solennels et infrangibles. Je sens que la foule fraternelle des plantes va entourer l'humanité génétiquement modifiée, de toute la tendresse de ses vrilles et de ses inflorescences, de toute la force de son affection végétale, et de toute la sincérité de sa sympathie légumière et autocuite.
Vous en voulez, d’autres exemples de POROSITÉ ? Je vous propose un petit viron dans la littérature. Qu’est que c’est, un roman ? Et d’abord, qu’est-ce que n’est pas un roman ? Prenez LAURENT BINET, auteur de HHhH (Grasset, 2010), il paraît. Le pauvre bouquin – que je n’ai pas lu –, l’autre semaine, a été mis sur le gril par un savant professeur (PETER TAME), qui a déclaré d'entrée de jeu, lors d’un colloque international (« Après Vichy : l’écriture occupée ») : « Ceci n’est pas un roman ».
Franchement, je me fous de savoir si le livre mérite ou non d’être appelé « roman ». Ce qui m’intéresse, c’est la plaidoirie présentée par JACQUES LECARME, illustre spécialiste de la littérature française contemporaine, pour le défendre. Il a soutenu que, depuis 1950, le roman était « le lieu de l’indétermination générique et désormais celui de l’hybridation ». « Indétermination générique », « hybridation », je n’en demandais pas tant : n’est-ce pas qu’on est exactement dans ce que j’appelle POROSITÉ ?
Et je n’ai pas examiné le cas de CHRISTINE ANGOT, d’ANNIE ERNAUX, de MARIE DARRIEUSSECQ, de CAMILLE LAURENS, de PASCALE ROZE (je m’excuse, ces noms de femmes sont les seuls qui me viennent présentement à l’esprit, ah si, tiens, il me vient CLAUDE ARNAUD, le très mauvais auteur d'un livre à succès, Qu’as-tu Fait de tes frères ?), des romans d’un nouveau genre qu’on promeut sous l’appellation d’ « autofictions ». Le problème, avec ceux-là, est double. L’ « autofiction » est-elle du roman ? Et tous les livres de ces gens-là sont-ils des livres pour des raisons autres que le seul fait d'avoir été fabriqués, édités, publiés ?
Toujours pour creuser le sillon de la POROSITÉ régnante, je reviens sur la question animale. Prenez PASCAL PICQ, un grand spécialiste de l’histoire archaïque de l’humanité (on dit « paléoanthropologue »). Il se demande depuis longtemps en quoi consiste la frontière qui sépare le règne animal (surtout les grands singes, à commencer par les chimpanzés) et le règne humain.
Or, tout son travail semble consister à brouiller les cartes, les pistes, les lignes. Son idée, pour simplifier et résumer, c’est de repérer ce qui chez le singe fait penser à l’homme, et inversement. La preuve ? Il a publié fin 2011 un livre dont le titre parle de lui-même : L’Homme est-il un grand singe politique ? (Odile Jacob), dans lequel il observe, dans un groupe de singes, ce qui pourrait faire penser à des comportements politiques.
Parfaitement : politiques. Si PASCAL PICQ voulait que l’échelle des valeurs en usage dans l’humanité soit réévaluée au bénéfice des animaux, il ne s’y prendrait pas autrement. En gros, l'homme n'a rien inventé, et il ne mérite pas tant d'égards. Accessoirement, je fais remarquer que le paléoanthropologue est un adepte de la POROSITÉ des frontières. Remarquez, avec le prion et le H5N1 (vache folle, grippe aviaire souvenez-vous), certaines maladies ont déjà franchi la « barrière entre les espèces ».
Voilà ce que je dis, moi.
La suite et puis la fin, promis, demain sans faute.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : amadou et mariam, frontière, les blancs, les noirs, déclaration des droits de l'homme, déclaration des droits de l'enfant, déclaration des droits de l'animal, déclaration des droits des plantes, carotte, pomme de terre, place tahrir, laurent binet, hhhh, grasset, vichy, colloque, après vichy : l'écriture occupée, littérature, roman, jacques lecarme, christine angot, annie ernaux, marie darrieussecq, camille laurens, pol, pascale roze, claude arnaud, qu'as-tu fait de tes frères, pascal picq, l'homme est-il un grand singe politique, odile jacob, prion, vache folle, alain finkielkraut, valeurs, défense des valeurs, hiérarchie des valeurs
vendredi, 01 juin 2012
VOULEZ-VOUS (CONTRE)PETER AVEC MOI ?
« Voulez-vous que je vous envoie dans la culture ? ». « Les nouilles cuisent au jus de cane » (x 2). « Le curé est devenu fou entre deux messes ». « Ma cousine joue au tennis en pension ». « Ce vieux marcheur veut courir sur le mont » (x 2, dont une dans un mot). « La magistrature assise ment debout ». « Le Suisse sortait sa pique au milieu des beatnicks ». « La pâtissière moule des quiches ». « Joseph a maculé Henri ». Bon, j’arrête là. Je sais que ceux qui ont compris ont compris. J'encourage les autres à lire ce qui suit.
Je chantais, il n’y a pas très longtemps, les beautés subtiles de la chanson que j’appelais « quasi-paillarde », où l’auteur se plaît à décevoir l’oreille de l’auditeur en substituant au terme « cru » (« le tout de mon cru », psalmodiait l’immortel LUC ETIENNE), au moment de la rime « sale » attendue, un terme innocent, que la rime suivante a pour mission de justifier.
Cela dit, non seulement le jeu de la « fausse rime » n’empêche nullement l’auditeur de comprendre, mais en plus, elle multiplie son plaisir par le taux d’intelligence qu’il se décerne (très objectivement, forcément) quand il estime qu’il a compris, sur le principe du « je ne prête qu’à moi, parce que je suis riche » (même si ce n’est pas vrai).
Je veux chanter aujourd’hui, dans le même esprit (c’est-à-dire avec les mêmes arrière-pensées, que je qualifierai pudiquement de « décolletées »), une des formes les plus anciennes de jeu sur les mots de notre belle langue. J’ai nommé la CONTREPÈTERIE. Certes, on peut prétendre que « cette menthe a le goût de fiel », mais il n’en est pas moins vrai que « Virginie prend les bols » (tout au moins chez BERNARDIN DE-SAINT-PIERRE, je dis ça pour aider).
L’inventeur de la contrepèterie est peut-être – ce n’est pas sûr – FRANÇOIS RABELAIS, que j’ai célébré ici même récemment. C’est vrai qu’on trouve dans Pantagruel deux exemples célébrissimes. Le premier est au chapitre 16, qui détaille les « mœurs et conditions de Panurge » : « car il disait qu’il n’y avait qu’un [sic] antistrophe entre "femme folle à la messe" et "femme molle à la fesse" ». Je laisse à Panurge la responsabilité de ce propos.
Le seul commentaire qui s’imposerait (éventuellement) concernerait la fréquentation, par les individus de sexe féminin, des lieux consacrés que les catholiques investissent chaque dimanche, et où ils se rassemblent « au nom du Christ », pour se faire une idée de la consistance de leur « partie charnue », à une époque où la déchristianisation est un fait accompli, mais ce commentaire-là, je m’en abstiendrai pour cette fois, parce que ça rallongerait inutilement (cela dit, tous les rallongements ne sont pas inutiles).
Notre vieil oncle GEORGES BRASSENS, puisqu’il faut aujourd’hui parler d’ « orientation textuelle », était plus VILLON que RABELAIS, a assez longtemps creusé le sillon de la rime qu’offrent ces deux mots (« messe » et « fesse », … pardon, il y a aussi (et même plutôt) « confesse ») pour que je me dispense d’ajouter mon grain de sel.
Le deuxième exemple se trouve un peu plus loin (chapitre 21) : « Madame, sachez que je suis tant amoureux de vous que je n’en peux ni pisser, ni fienter. Je ne sais comment vous l’entendez ; s’il m’en advenait quelque mal, qu’en serait-il ? – Allez, dit-elle, allez, je ne m’en soucie pas ! Laissez-moi ici prier Dieu. – Mais, dit-il, équivoquez sur "A Beaumont-le-Vicomte". – Je ne saurais, dit-elle. – C’est "A beau con le vit monte" ». Avouez : comment pourrait-on se lasser de Panurge ? Contrepèterie, « antistrophe », « équivoquer », tout ça, c’est du pareil au même. Vous pouvez aussi dire « métathèse » si voulez faire votre cuistre.
Contrepéter, c’est donc permuter (« j’ai glissé dans la piscine », c’est autorisé aux enfants en bas âge). On peut permuter des tas de choses : des consonnes, des voyelles, des syllabes. Le plus souvent, on permute les éléments par paire, mais on peut compliquer à plaisir. Deux grandes règles à respecter.
La première est de toujours se fier au son, à l’oreille, à la phonétique, jamais à l’orthographe ou à la séparation des mots écrits (quoique …). Comme le cite JOËL MARTIN, en couverture d’un de ses livres, le contrepet, c’est « l’art de décaler les sons » (deuxième exercice très facile).
La deuxième règle est, aussi cruel que ça puisse paraître, de ne jamais dévoiler la solution. C’est la règle du : tant pis pour ceux qui ne comprennent pas (ceux qui ont décrypté l’exemple ci-dessus l’admettront aisément, et décrypteront celle-ci de même : « on reconnaît les concierges à leur avidité »).
Elle s’apparente à celle de la fausse rime (déjà vue dans les « chansons quasi-paillardes ») : si l’on se donne la peine d’escamoter le mot qui heurte la morale, la religion, les bonnes mœurs, et qui taquine les bonnes sœurs en cornette et des bons pères en soutane jusque dans leurs parties intimes (la cornette et la soutane se sont diablement raréfiées), pour le remplacer par un « mot sage », qui cache le « message », ce n’est quand même pas pour des prunes.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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mercredi, 30 mai 2012
PROUST ECRIVAIN
Proust, je vais vous dire, j’ai été intéressé par Du côté de chez Swann, intrigué par A l’ombre des jeunes filles en fleur, interloqué par Le Côté de Guermantes, éberlué par Sodome et Gomorrhe, horripilé par La Prisonnière, agacé par La Fugitive, enthousiasmé par Le Temps Retrouvé. Vous voyez, il y en a pour tous les goûts.
Mais je me demande, à l’arrivée, s’il n’est pas nécessaire d’en être passé par tous ces états, d’avoir lu les six premiers épisodes, et d’éprouver les sentiments successifs, pour que le septième et dernier livre fasse son effet avec la plénitude dont l’auteur l’a chargé. Cependant, il faut dire que, tout au long du livre – et c’est même très curieux : y compris dans les passages de « basses eaux » de l’intérêt ou de l’attention, et malgré les agacements – le lecteur trouve constamment de quoi alimenter son envie de poursuivre.
Parce que l’action, si on veut la résumer, est très simple : c’est l’histoire d’un gamin maladif qui a au départ la très vague idée de se lancer dans la littérature, et qui met un certain nombre de dizaines d’années à s’y décider pour de bon, parce qu’un beau jour, il a la révélation que c’est le but de toute sa vie. Et l’on peut vraiment parler de révélation.
Bon, c’est sûr qu’il faut à Proust presque 3000 pages pour arriver au moment où tout se dénoue, et où sa vocation d’auteur devient brusquement d’une luminosité aveuglante, en même temps qu’elle synthétise et justifie les milliers de pages qui précèdent.
Tout est évidemment dans le « certain nombre de dizaines d’années », où Marcel, le narrateur, ne fait rien, où il s’en veut d’être un paresseux invétéré qui passe le plus clair de son temps à observer et analyser ses sentiments, la nature, les œuvres humaines, les choses et les êtres dans leurs manèges sociaux et sentimentaux.
Il aura fallu un certain nombre de dizaines d’années pour qu’il prenne conscience que c’étaient ces dizaines d’années qui constituaient l’objet même de sa vocation. Autrement dit, il a fallu que le narrateur vive sa vie pour qu’il se rende compte que c’était cette vie-là qu’il était fait pour raconter. C’est vrai qu’il se défend de tomber dans l’autobiographie, et il prend bien soin de rappeler qu’on est dans un roman, même s’il ne peut s’empêcher de laisser parfois tomber le masque.
Tiens, c’est dans La Prisonnière (derniers tiers de l’œuvre) :
« Et pourtant, cher Charles Swann, que j’ai si peu connu quand j’étais encore si jeune et vous près du tombeau, c’est déjà parce que celui que vous deviez considérer comme un petit imbécile a fait de vous le héros d’un de ses romans, qu’on recommence à parler de vous et que peut-être vous vivrez. Si dans le tableau de Tissot représentant le balcon du Cercle de la rue Royale, où vous êtes entre Galliffet, Edmond de Polignac et Saint-Maurice, on parle tant de vous, c’est parce qu’on voit qu’il y a quelques traits de vous dans le personnage de Swann ».
Le balcon en question domine la place de la Concorde. Le tableau de James Tissot est peint en 1868 (Proust naît en 1871). Charles Haas, qui est sans doute le dernier à droite, a donc, parmi d’autres, servi de modèle à Proust pour le personnage de Swann.
Toujours dans La Prisonnière, Albertine fait porter un mot urgent par un cycliste : « "Mon chéri et cher Marcel, j’arrive moins vite que ce cycliste dont je voudrais bien prendre la bécane pour être plus tôt près de vous. (…) Quelles idées vous faites-vous donc ? Quel Marcel ! Quel Marcel ! Toute à vous, ton Albertine" ».
La « vocation » littéraire du petit Marcel est très tôt exprimée. Il compose son premier texte dans la voiture du docteur Percepied au spectacle des clochers de Martinville. Il est très jeune. Il montrera ce texte à Monsieur de Norpois qui, sans décourager Marcel, fait la fine bouche et doute sérieusement qu’il pourra faire, comme il l’espère, carrière dans les lettres. Mais déjà, dans Du Côté de chez Swann, l’idée est présente :
« Et ces rêves m’avertissaient que, puisque je voulais un jour être un écrivain, il était temps de savoir ce que je comptais écrire. Mais dès que je me le demandais, tâchant de trouver un sujet où je pusse faire tenir une signification philosophique infinie, mon esprit s’arrêtait de fonctionner, je ne voyais plus que le vide en face de mon attention, je sentais que je n’avais pas de génie ou peut-être une maladie cérébrale l’empêchait de naître. »
Le thème de la vocation littéraire jalonne tout l’ouvrage, mais comme sans conviction, comme une simple hypothèse. C’est vrai, à un moment, la mère de Marcel, l’air de rien, dépose sur sa table de nuit le numéro du Figaro où un article de lui vient d’être publié, mais c’est comme « en passant », elle fait semblant de n’y prêter aucune attention. C’est qu’il lui semblerait impudique d’exprimer ses sentiments. Mais la manière même dont ce sentiment d’impudeur est exprimé est tout simplement remarquable.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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mardi, 29 mai 2012
PROUST ET LA CONFITURE
Pour mon titre, je ne me suis pas cassé la tête. Je sais qu'il vaut ce qu'il vaut. C'était bêtement et vaguement en rapport avec « moins on en a, plus on l'étale ».
Qu’est-ce qui me reste de ma récente relecture d’A la Recherche du temps perdu, de MARCEL PROUST ? Je vais tâcher d’être sincère. De ne pas tergiverser. De ne pas tourner autour du pot. Ce n’est pas aussi facile qu’on pense, s’agissant d’un monument littéraire aux dimensions écrasantes, et pas seulement en nombre de pages. A peu près 3500, notes comprises, dans l’édition « Clarac » de la Bibliothèque de la Pléiade (3134 une fois enlevé le « gras » des notes).
C’est l’édition de 1954, qui est en trois volumes. La plus récente (l'édition « Tadié »), tenez-vous bien, qui est en quatre volumes, tient sur 7400pages (plus du double), coûte 241 € (selon le catalogue), parce qu'elle est surchargée de notes et variantes savantissimes. Mais de nos jours qui lit les notes, imprimées en Garamond corps 5 ou 6, qu’il faut une loupe pour les déchiffrer ? J'aimerais bien savoir le nombre de pages qu'il faudrait ajouter, si les notes et variantes étaient imprimées à égalité.
Et même, faut-il lire les notes des modernes sorbonagres (merci RABELAIS) ? Qu’est-ce que ça veut dire, lorsque le nombre de « signes » (au sens informatique) accordé aux « notes et variantes » surpasse, et de très loin, celui consenti au texte de l’œuvre proprement dite ?
Il y a dans cette surenchère de glose, cette inflation de recherche, cette turgescence phallique de commentaires universitaires et, pour tout dire, ce débordement libidinal dégoulinant d’un vain sperme exégétique globalement stérile, quelque chose d’infiniment ridicule, futile et désespéré.
Ce n’est plus « les Français parlent aux Français » (vous savez, pom-pom-pom-pom, radio-Londres, PIERRE DAC, les « messages personnels »), c’est « les savants parlent aux savants ». Or, comme tout le monde fait semblant de ne pas le savoir, de même qu’en 1940, le nombre de « Résistants » s’élevait à environ 0,01 % de la population, de même les éditions Gallimard font-elles payer les maigres subsides qu’elles versent aux savants savantissimes dont elles utilisent les services pour la Pléiade, par les acheteurs de leurs volumes ainsi bodybuildés au clenbutérol chlorhydrate ou à la nandrolone phénylpropionate.
A propos du monument de PROUST, je disais donc qu’il n’y a pas que le nombre de pages : il y a aussi la dimension de l’ensemble, la stature morale dinosaurienne de l’objet, qui le fait unanimement appartenir aux chefs d’œuvre du patrimoine littéraire mondial, stature qui se mesure aux kilomètres de rayons qu’occupent les épais ouvrages que des gens extrêmement savants ont consacrés à l’ouvrage. Tout ça est bien fait pour impressionner.
Remettre l’ouvrage sur l’ouvrage sur le métier semble d’ailleurs être une constante de la mission universitaire. La société en mouvement commande la production de travaux, de mémoires, de thèses, de publications multiples, qui n’ont pour but que d’effacer de la mémoire universelle les travaux, mémoires, etc... précédents.
Et tout ça s’empile dans les réserves des bibliothèques justement nommées « universitaires », sans jamais en sortir, jusqu’au jour où un incendie, comme cela s’est produit à Lyon dans la nuit du 11 au 12 juin 1999, fasse partir en poussière et fumée entre 300.000 et 400.000 volumes. Qui l’a déploré ? Qui s’en souvient ?
Le problème, avec l’irruption de l’informatique dans le domaine du savoir, c’est que plus personne n’a le droit d’oublier le plus petit détail. C’était déjà plus ou moins le cas, mais s’il m’est arrivé d’être en « correspondance » avec des gens comme PAUL GAYOT (Collège de ’Pataphysique) ou RENÉ RANCŒUR (pape de la « Bibliographie de la France » dans la Revue d’Histoire Littéraire de la France, alias RHLF), il n’y a jamais eu, d’eux à moi, cette manifestation d’autorité imposée, semble-t-il, par l’irréfutabilité de la référence informatique, mais la belle courtoisie humaniste et manuscrite, que la dite référence élimine sans violence, mais impitoyablement. Appelons ça un totalitarisme « soft ».
L’informatique a donc débarqué, elle règne incontestablement, moyennant quoi, le « plus petit détail » est noyé sous des cataractes niagaresques de « données », entre lesquelles il est quasiment impensable d’espérer accéder à quelque chose qu’on pourrait appeler, par exemple, la « vérité ».
PROUST, maintenant. Ben oui, quoi, ça intimide, PROUST, on n’ose pas dire quoi que ce soit de négatif, par peur de passer pour un moins que rien, un minus qui ne comprend pas la beauté et la grandeur de l’entreprise. Le risque a de quoi faire réfléchir, non ? Si vous voulez mon avis, on a tort. Il y a une différence notable entre ce qu’il « faut savoir » (Lagarde et Michard pour le lycéen, mais aussi, dans le fond, tous les bouquins qui paraissent dans la série bêtement intitulée POUR LES NULS) et ce qu’on aime en réalité. Moi, j’essaierai de m'en tenir au deuxième principe (si c’en est un).
Par exemple – il me semble l’avoir déjà dit – j’ai en très grand respect les œuvres de BALZAC ou DIDEROT, mais je ne suis jamais arrivé à renoncer à mon goût pour le San Antonio de FREDERIC DARD ou le Maigret de GEORGES SIMENON. Même chose en musique : ma mémoire laisse voisiner sans bisbille aucune l’Etude opus 25 n° 11 de CHOPIN ou le quatuor opus 132 de BEETHOVEN, avec Belle belle belle, de CLAUDE FRANÇOIS ou Les Funérailles d’antan de GEORGES BRASSENS. Disons que j’ai la mémoire culturelle plus pommelée, plus bigarrée, plus mosaïquée, plus losangée qu’un costume d’Arlequin, et n’en parlons plus.
Il ne faut pas faire comme VICTOR HUGO, qui dit, parlant de SHAKESPEARE : « Quand je visite un génie, j’entre chapeau bas ». Non, non, Victor, il ne faut pas oublier d’exister, quand on est face à un monument majeur du génie humain, et il ne faut pas taire, en même temps qu’on avoue quelles en sont les parties qui nous touchent, celles qui nous laissent indifférent, quitte à passer pour un béotien parmi les idolâtres.
« Un béotien parmi les idolâtres » : les amateurs de formules ne pourront pas me reprocher de leur avoir fait perdre leur temps.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre. Promis, demain, le train arrive en gare de PROUST, quelques minutes d’arrêt, vérifiez la fermeture des portières, attention au départ, tûuut.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel proust, à la recherche du temps perdu, bibliothèque de la pléiade, pierre clarac, france, littérature, patrimoine, garamond, rabelais, université, pierre dac, gallimard, bibliothèque universitaire, paul gayo, rené rancoeur, revue d'histoire littéraire de la france, balzac, diderot, san antonio, frédéric dard, maigret, georges simenon, chopin, beethoven, claude françois, georges brassens, victor hugo, shakespeare
mardi, 22 mai 2012
CATECHISME LIBERTIN
Tiens, ces quelques épisodes consacrés à FRANÇOIS RABELAIS m’ont donné envie de retourner à quelques petites choses agréables que j’ai laissées de côté depuis trop longtemps. Je vais vous parler, aujourd'hui et demain, d'une femme particulière. On me dira que toutes les femmes sont particulières.
Je répondrai qu'à ce compte-là, tous les hommes aussi seraient eux-mêmes particuliers, c'est-à-dire des individus, ce qui est loin d'être encore prouvé, puisque, à l'époque de la statistique triomphante et du sondage tout puissant, on ne raisonne même plus par nombre, mais par quantité, par pourcentage et par masse.
On ne connaît pas assez ANNE-JOSEPHE TERWAGNE, plus connue sous le nom de THEROIGNE DE MERICOURT, cette pasionaria de la Révolution qui a peut-être servi de modèle à la femme du premier plan dans le tableau de DELACROIX, La Liberté guidant le peuple. J’ai bien dit « peut-être », parce que le tableau date de 1830, soit treize ans après sa mort. Drôle de vie que la sienne, franchement.
Agitée, instable, comme on voudra. De sa Belgique natale jusqu’à Naples, puis à Paris, où elle participe à la prise de la Bastille, elle n’a pas froid aux yeux. Elle porte sabre et pistolet pour aller déloger de Versailles « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Elle retourne à Liège, se fait emprisonner par les Autrichiens, revient à Paris.
Elle est finalement prise à partie par des femmes qui, non contentes de l’accuser politiquement, la dénudent et la fessent en public. C’est ce qui lui permettra sans doute d’éviter la guillotine : parce qu’avant même d’être jugée (la Terreur bat son plein), elle fut mise dans un asile de fou, où elle passa ses vingt-trois dernières années, nue dans sa cellule à s’asperger d’eau froide. Je schématise. Paix à son âme.
Je voulais en venir à ceci : THEROIGNE DE MERICOURT n’est probablement pas l’auteur de ce Catéchisme libertin qu’on lui prête, mais vous savez qu’on ne prête qu’aux riches, enfin c’est ce qu’on dit. Ce petit ouvrage instructif, sympathique et distrayant est publié en 1791 ou 1792 suivant les sources. Il expose sans trop de pudeur mais avec esprit, en quelque sorte, le « cahier des charges » des putains parisiennes.
Voici le texte de la « prière » dédicatoire placée au début :
« Oraison à Sainte Magdeleine, à lire avant le catéchisme. Grande Sainte, Patronne des Putains, fortifiez mon esprit, et donnez-moi la force de l’entendement, pour bien comprendre et retenir tout le raffinement des préceptes contenus dans ce Catéchisme : faites qu’à votre exemple, je devienne, dans peu, par la pratique, une Garce aussi célèbre dans Paris que vous l’étiez dans toute la Judée, et je vous promets, comme à ma divine Patronne et Protectrice, de donner mes premiers coups de cul en votre honneur et gloire. Ainsi soit-il. »
Voici un mot de « l’abbé Couillardin » dans sa préface dédiée à Madame l’Abbesse de Montmartre :
« Agréez, Madame, comme une offrande légitimement due, le sacrifice que je vous fais de deux pollutions [faut-il expliquer ?] complètes, et que je jure de réitérer chaque jour en votre honneur et intention ; c’est un tribut qu’on ne peut refuser au souvenir de vos charmes, dont j’ai tant de fois éprouvé l’empire, surtout dans ces moments d’ivresse et d’abandon général où vous vous plaisiez à les exhiber dans l’état de pure nature. Quelle motte ! Quel con ! Quel fessier plus attrayant que le vôtre ! Vous voir, vous trousser, vous foutre et décharger n’était que l’instant de l’éclair au coup de tonnerre. »
Autant dire que l’abbé Couillardin, si on l’en croit, était un éjaculateur précoce. L’auteur procède par « Demandes » et « Réponses ». En voici un exemple, qui en dira long à la fois sur la subtilité du propos et sur l’attitude théâtrale que certains prêtent aux femmes – à tort ou à raison, je m’empresse de le préciser :
« DEMANDE. La putain qui procure de la jouissance à l’homme, peut-elle s’y livrer avec tous, sans s’exposer à altérer son propre tempérament ?
REPONSE. Il est un milieu à tout : il serait très imprudent à une putain de se livrer avec excès au plaisir de la fouterie : une chair flasque et molle serait bientôt le fruit de ce désordre ; mais il est un raffinement de volupté qui tient à la volupté même, et dont une adroite putain doit faire usage. Une parole, un geste, un attouchement fait à propos, offre à l’homme l’illusion du plaisir ; il prend alors l’ombre de la volupté pour la volupté même ; et comme le cœur est un abîme impénétrable, la putain consommée dans son art remplit souvent, par une jouissance factice, les vues luxurieuses de l’homme, qui se contente de l’apparence. Les femmes étant plus susceptibles et plus propres que tout autre à ce genre d’escrime, il dépend d’elles de donner le change à l’homme. » Qu'on se le dise : jouir tout le temps est nuisible à la densité et à la tenue des chairs. Et pan dans les gencives des anarchistes de 1968, avec leur "jouir sans entraves".
Loin de moi l’idée de généraliser le propos à toutes les femmes, qui ne sont pas toutes, aux dernières nouvelles, de la profession, mais les mânes de GEORGES BRASSENS ne m’en voudront pas de citer Quatre-vingt-quinze pour cent : « Les « encore », les « c’est bon », les « continue » Qu’elle crie pour simuler qu’elle monte aux nues, c’est pure charité (…) C’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire. ».
Cette dernière phrase est, je crois bien, le seul reproche grammatical qu’on puisse adresser à Tonton GEORGES : qu’est-ce donc qui lui a pris de faire la liaison (en "t") entre « croie » (subjonctif présent) et « un amant » ? Craignait-il de froisser l’oreille de l’auditeur ignorant ? Bon, on me dira que le péché est véniel au regard de tout le reste, et j’en conviens évidemment. Va, mon enfant, ego te absolvo.
On me dira aussi que je m’éloigne de mon sujet, que je digresse. A cela je répondrai – excusez du peu – par cette petite citation tirée des Mémoires d’outre-tombe (XXXIX, 10, soyons précis) du grand CHATEAUBRIAND : « Lecteurs, supportez ces arabesques ; la main qui les dessina ne vous fera jamais d’autre mal ». Autrement dit, digresser n'est pas agresser. J'adopte le mot "arabesque", plus élégant et euphonique que "digression".
Mais rassurez-vous, dès demain je reviens à mes putains parisiennes et à ce Catéchisme libertin, supposé être leur bible, l’alpha et l’oméga de ce qu’elles doivent savoir, le compendium de leurs compétences et le promptuaire de leurs aptitudes au métier. Qu'on se le dise : ça ne rigole pas.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 21 mai 2012
DU RABELAISISME GARGANTUESQUE
Décidément, je n'y peux rien. Incorrigible : derrière le masque solennel et majestueux des toges des cérémonies officielles, je vois la trogne de Bérurier. Il m'est impossible de concevoir le philosophe ou le penseur abîmés dans le sérieux de leurs abstractions sublimes autrement que vêtus du nez rouge de l'Auguste et chaussés de pataugas de quarante centimètres. Chaque fois que j'ai été confronté à un jury, je me suis efforcé de les imaginer assis sur la cuvette de leurs WC. Je vous assure que ça relativise.
C'est ce vent-là (pardon pour le rapprochement) qui oriente ma girouette dans la direction du FRANÇOIS VILLON de : « Je suis François, dont il me poise, Né de Paris près de Pontoise, Et de la corde d'une toise Saura mon col que mon cul poise ». Le « col » n'est pas si éloigné du cul. Qu'est-ce qu'une pensée sans le corps ? C'est maigre, décharné, inconsistant. C'est aussi pour ça que je regarde vers BEROALDE DE VERVILLE et son Moyen de parvenir. Et donc, bien entendu, vers RABELAIS, qui fait figure de seigneur et maître sur le territoire où la plus haute culture n'est pas l'ennemie de la bonne vie.
Il n’y a pas que Panurge, dans RABELAIS. Dans l’ordre généalogique, si l’on peut dire (car R. est friand de généalogie, et de la plus réjouissante, je vous garantis), il y a d’abord Grandgousier, dont on ne peut faire mentir le nom, comme bien vous vous doutez. Mais pour la paillardise aussi, on est servi.
« En son âge viril épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos [un roi païen, à l’époque, d’où « parpaillot »], belle gouge et de bonne trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux dos, joyeusement se frottant leur lard, tant qu’elle engraissa d’un beau fils et le porta jusqu’à l’onzième mois. » Eh oui, encore un legs de RABELAIS : ah, la « bête à deux dos », quelle trouvaille ! C'est quand même mieux que la position du missionnaire.
L’histoire des onze mois que dure la grossesse, c’est aussi histoire de broder des fantaisies : RABELAIS en déduit juridiquement la légitimité des enfants nés onze mois après la mort du mari : « Moyennant lesquelles lois, les femmes veuves peuvent franchement jouer du serrecropière [besoin de traduire ?] à tous envis et à toutes restes [à toute berzingue et à tout va], deux mois après le trépas de leurs maris ». On ne se demande plus pour quelle mystérieuse raison l’adjectif « rabelaisien » est passé dans la langue.
Et l’auteur ajoute même : « Je vous prie par grâce, vous autres, mes bons garçons, si parmi elles vous en trouvez qui vaillent qu’on se débraguette, montez dessus et me les amenez. Car, si au troisième mois elles engraissent, leur fruit sera héritier du défunt ; et, une fois la grossesse connue, qu’elles poussent hardiment outre, et vogue la galère, puisque la panse est pleine ! – comme Julie, fille de l’empereur Octave [Auguste], ne s’abandonnait à ses « tambourineurs » sinon quand elle se sentait grosse, pour la raison que le navire ne reçoit son pilote que premièrement il ne soit calfaté et chargé ». Elle est pas belle, la vie, quand on la comprend de cette façon ? Si ce n’est pas ça, le jovial, j’y perds mon latin et mon grec. Je vous assure qu’on ne trouve pas ça dans Lagarde et Michard.
Il ne faut évidemment pas oublier la tripaille. « De ces gras bœufs, avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille et quatorze pour être à mardi gras salés, afin qu’au printemps ils eussent bœuf de saison à tas pour, au commencement des repas, faire commémoration de salures et mieux entrer en vin ». « Entrer en vin », parfaitement.
Et Gargamelle a de l’appétit, vous pouvez m’en croire, et elle mange, ce jour-là, tant et plus, malgré les conseils de modération de Grandgousier son époux : « Nonobstant, ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux bussards et six tupins. O belle matière fécale qui devait boursoufler en elle ! ». Qu’on se le dise, RABELAIS n’a pas peur d’appeler les choses par leur nom.
La naissance de Gargantua ne manque pas d’originalité non plus. Les sages femmes se précipitent aux cris de Gargamelle : « et, la tâtant par le bas, trouvèrent quelques pellauderies d’assez mauvais goût, et pensaient que ce fût l’enfant ; mais c’était le fondement qui lui escapait, à la mollification de l’intestin droit, que vous appelez le boyau cullier, pour avoir trop mangé de tripes, comme nous avons déclaré ci-dessus ».
Une vieille lui fait boire une potion tellement astringente que le col se ferme hermétiquement, ce qui pousse l’enfant à traverser successivement la matrice, la veine creuse, le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules, à prendre alors « à main gauche », comme on dit, et à sortir par l’oreille du même côté (« l’oreille senestre »). « Soudain qu’il fut né, ne cria pas comme les autres enfants "Mies ! Mies !", mais à haute voix s’écriait : "A boire ! A boire !" ».
Et le père, entendant son fils vociférer à tous les diables, le baptise au moment même : « Il dit :"Que grand tu as !". Ce qu’entendant, les assistants dirent que vraiment il devait avoir par cela le nom de Gargantua, puisque telle avait été la première parole de son père à sa naissance ». Et RABELAIS ajoute : « Et si ne le croyez, que le fondement vous escappe ! ».
Je passe sur l’enfance, l’adolescence, la vêture, les « chevaux factices » de Gargantua, pour en venir au chapitre 13 : « Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul ». C’est, dit-il à son père, « le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expédient qui jamais fut vu ».
On peut dire qu’il aura tout essayé : le « cachelet de velours d’une damoiselle », le « chaperon » d’une autre, qu’il trouve tous deux d’une « volupté bien grande » ; des « oreillettes de satin cramoisi », « mais la dorure d’un tas de sphères de merde qui y étaient m’écorchèrent tout le derrière ; que le feu de Saint Antoine brûle le boyau cullier de l’orfèvre qui les fit et de la damoiselle qui les portait ».
Après le cache-col et le bonnet de page, il fiente derrière un buisson et, trouvant un « chat de mars », l’essaie, « mais ses griffes m’exulcérèrent tout le périnée ». Le lendemain, il essaie avec les gants de sa mère, parce qu’ils sont « bien parfumés ». Il passe ensuite en revue divers végétaux, du fenouil à la feuille de courge en passant par la sauge et la laitue.
A retenir : évitez la consoude, parce qu’elle donne la colique « la caquesangue de Lombard, dont je fus guéri en me torchant de ma braguette ». Il faut savoir que ce qu’on appelait la braguette était une pièce à part entière, saillant par-devant, du vêtement masculin, retenue à celui-ci par des attaches. Gargantua essaie ensuite les draps, la couverture, les rideaux, un coussin, un tapis : « En tout je trouvai de plaisir plus que n’ont les rogneux quand on les étrille ».
Passons sur quelques autres moyens (il en cite quand même au total 57, j'ai compté), et venons-en au fin du fin, au nec plus ultra, à l’excellent, au supérieur. Après avoir digressé en récitant des vers qu’il a ouï « réciter à dame grand que voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire », Gargantua revient, à l’invitation de son père, à son « propos torcheculatif ». Auparavant, une mention particulière au chapeau de poil, « car il fait très bonne abstersion de la matière fécale ».
« Mais, concluant, je dis et maintiens qu’il n’y a tel torchecul que d’un oison bien duveté, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Et m’en croyez sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique tant par la douceur d’icelui duvet que par la chaleur tempérée de l’oison, laquelle facilement est communiquée au boyau culier et autres intestins, jusqu’à venir à la région du cœur et du cerveau.»
Je terminerai cet épisode rabelaisien juste au moment où les choses se gâtent à cause de la dispute imbécile que les fouaciers de Lerné font à ceux du pays de Gargantua, qui déclenchera la colère du roi Picrochole et sa guerre contre les forces du géant (dont il aura à se repentir, disons-le tout de suite). « Picrochole », c'est la bile amère (BOBY LAPOINTE le dit bien : « Ma mère est habile, mais ma bile est amère »).
Pendant que les premiers événements se produisent en Touraine : « Or laissons-les là et retournons à notre bon Gargantua qui est à Paris, bien ardent à l’étude des bonnes lettres et exercices athlétiques, et le vieux Grandgousier, son père, qui après souper se chauffe les couilles à un beau, clair et grand feu et, attendant que grillent des châtaignes, écrit au foyer avec un bâton brûlé d’un bout dont on escharbotte le feu, faisant à sa femme et famille de beaux contes du temps jadis ».
Les lycéens, vous verriez s’ils s’y mettraient, à la lecture, s’ils trouvaient ça dans Lagarde et Michard. Mais chut ! Retirons-nous sur la pointe des pieds. Ce sera tout pour aujourd’hui.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 20 mai 2012
POUR EN FINIR AVEC PANURGE
Oui, c’est sûr, Panurge est un sale gosse. Capable, simplement pour s’amuser, de poser un étron frais dans la capuche d’un maître ès-arts (universitaire). Capable de précipiter sur les soldats du guet, dans une rue en pente de la Montagne Sainte Geneviève, un tombereau qui mettait « tout le pauvre guet par terre comme porcs ». Capable, toujours avec le guet, de répandre sur le sol, avant leur passage, une bonne traînée de « poudre de canon », et d’y mettre le feu au bon moment, pour les voir déguerpir, croyant avoir le diable à leurs trousses.
Connaissez-vous la « tarte bourbonnaise », recette de Panurge ? Tous les ingrédients sont renommés pour leur puanteur : de l’ail (?), des résines de galbanum et d’assa fetida, du castoreum (même genre de production glandulaire que le putois). Il mélange tout ça avec des étrons chauds et de la « sanie de bosses chancreuses ». Puis il répand le contenu sur le pavé.
Résultat ? « Toutes ces bonnes gens rendaient leur gorge devant tout le monde (…) et en mourut dix ou douze de peste, quatorze en furent ladres [lépreux], dix-huit en furent pouacres [galeux], et plus de vingt et sept en eurent la vérole ».
Il va prélever les puces et les poux chez les gueux, va se placer, pour la messe, au milieu des femmes, et se sert d’une sarbacane pour les leur jeter dans le cou. Il pose la main sur l’épaule de gens très bien habillés après se l’être enduite de « vieille huyle », pour tacher irrémédiablement les vêtements aux endroits les plus visibles. Bref, une horreur, ce type.
« Fin de compte, il avait (…) soixante et trois manières de recouvrer argent ; mais il en avait deux cent quatorze de le dépenser, hormis la réparation de dessous le nez ».
Il faut lire le chapitre 19 de Pantagruel, qui raconte « comment Panurge fit quinaud l’Anglais, qui arguait par signes » : sorte de duel à coups de gestes des mains, relativement difficile à suivre, du fait de la langue, mais où l’on saisit que les principaux arguments de Panurge ont quelque chose à voir avec le grotesque et l’obscène. De toute façon, il paraît clair que ce chapitre n’est clair pour personne. Des gens très savants ont posé sur ce chapitre le fruit quintessencié et circonstancié de leurs cogitations éminentes, sans pour autant faire avancer le schmilblick.
Mais Panurge n’est pas seulement celui qui déclare sa flamme à une dame en lui déclarant : « Madame, sachez que je suis tant amoureux de vous que je n’en peux ni pisser ni fienter ». Il est aussi celui qui fait des miracles.
Epistémon, le bon compagnon, a eu la tête coupée (« la coupe testée », dit RABELAIS) dans le carnage que Pantagruel fait parmi les géants armés de pierres de taille, qu’il massacre en se servant de leur chef Loup Garou comme d’une massue. Tout le monde se lamente, sauf Panurge, qui s’écrie : « Enfants, ne pleurez goutte. Je vous le guérirai aussi sain qu’il fut jamais ».
Aussitôt dit, aussitôt fait : « Ce disant, prit la tête et la tint sur sa braguette [ah, la braguette de Panurge !], afin qu’elle ne prît vent ». Mais les autres doutent fort. Alors Panurge : « Si je ne le guéris, je veux perdre la tête ; laissez ces pleurs et m’aidez ».
« Adonc, nettoya très bien de beau vin blanc le col et puis la tête, et y synapisa de poudre de diamerdis, qu’ils portait toujours en une de ses poches ; après les oignit de je ne sais quel onguent, et les ajusta justement, veine contre veine, nerf contre nerf, spondyle contre spondyle, afin qu’il ne fut torticolly (car telles gens il haïssait de mort) [allusion au cou tordu des cafards et autres faux dévots]. Cela fait, lui fit à l’entour quinze ou seize points d’aiguille afin qu’il ne tombât derechef, puis mit à l’entour un peu d’un onguent qu’il appelait ressuscitatif.
Soudain Epistémon commença à respirer, puis ouvrir les yeux, puis bâiller, puis éternuer, puis fit un gros pet de ménage. »
Voilà une autre des nombreuses faces de Panurge : il ressuscite les morts (pas n’importe lesquels quand même). Juste après, on a droit au récit qu’Epistémon fait de ce qu’il a vu « de l’autre côté », en particulier une pléiade de puissants de l’antiquité qui, dans l’au-delà, exercent de modestes métiers d’artisans, façon burlesque d’imiter les célèbres descentes aux Enfers d’Ulysse dans l’Odyssée et d’Enée dans l’Enéide.
Alors, les moutons, me dira-t-on ? Ils arrivent, il leur faut le temps. L’épisode se trouve au début du Quart Livre. Le navire qui transporte Pantagruel et toute la compagnie croise la route d’un autre qui rentre en France, avec une cargaison de moutons que le marchand Dindenault a achetés. Qu’est-ce qui lui prend, à Dindenault, de traiter Panurge de « tête de cocu » et de bouffon ?
On ne sait pas. Toujours est-il que Panurge se tourne vers ses amis et leur murmure : « Vous allez voir ce que vous allez voir ». Et il se met à marchander avec l’autre pour lui acheter une de ses bêtes. Dindenault vante longuement sa marchandise pour faire monter le prix. L’affaire se fait, à prix d’or, et Panurge saisit son mouton et, tout à trac, le jette à la mer.
Dès lors, « tous les autres moutons, criant et bêlant en pareille intonation, commencèrent soi jeter et saulter en mer, à la file ». Le marchand essaie de retenir sa marchandise, saisit un mouton par sa laine, mais se fait entraîner, comme les « bergers et moutonniers » qui étaient sur le bateau. Et Panurge, avec un aviron, les empêche gaillardement de remonter à bord.
Voilà. Il y aurait encore beaucoup à dire de ce personnage énorme et hors norme, mais bon, on ne va pas y passer le réveillon. Il faut savoir quand même qu’à partir du début du Tiers Livre, et jusqu’au Cinquième et dernier, toutes les aventures qui arrivent à la petite bande d’amis sont suspendues à la question posée par Panurge à Pantagruel : « Dois-je ou non me marier ? ».
Et que le mot final de la quête sera donné par la « Dive Bouteille » : « Bois ! ». Soit. Choquons les verres et humons le pyot en hommage à « MAÎTRE FRANÇOIS » (qui n'est pas le même que celui chanté par GEORGES BRASSENS, il fallait bien que je lui fasse une place ici, à Tonton GEORGES).
Car s'il est sûr que les oeuvres de RABELAIS s'ouvrent sur ce vers ô combien célèbre : "Pour ce que rire est le propre de l'homme", elles se terminent, pour ainsi dire (Cinquième Livre, 45), par : "Et ici maincterons [pour ce mot, je donne ma langue au chat] que non rire, mais boire est le propre de l'homme".
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 19 mai 2012
CE SALAUD DE PANURGE !
Ce qui est étonnant, concernant RABELAIS, c’est la force des traces qu’il a laissées. Prenez Panurge, ce personnage tout à fait extraordinaire, qui est resté dans le langage à cause d’une histoire de moutons. Or, il faut attendre le Tiers Livre (des faits et dicts héroïques du bon Pantagruel, c’est le titre complet) pour découvrir l’aventure. Je corrige après vérification : c'est même dans le Quart Livre, c'est-à-dire le quatrième.
En réalité, ses exploits commencent dès le premier épisode (Pantagruel, je vous épargne le titre complet, mais on est content d’y découvrir « feu M. ALCOFRIBAS, abstracteur de quinte essence »). La rencontre se fait au chapitre 9 (« Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel il aima toute sa vie »). Il faut savoir que « Panurge », c’est du grec (πανουργια = aptitude à tout faire) ; traduisons : capable de tout (et de n’importe quoi).
Et c’est vrai, qu’il est capable de tout. L’entrée en scène de Panurge, c’est d’abord celle du mauvais garçon, qui aurait été promis à la corde et aux « fourches patibulaires » si RABELAIS n’avait pas mis Pantagruel sur son chemin. Et puis il a bourlingué : il répond aux premières questions de son futur protecteur en pas moins de 13 langues (dont certaines hautement fantaisistes, il est vrai).
Ce que je préfère, dans l’arrivée de Panurge, ce sont les épouvantables farces auxquelles il se livre. Passons sur la façon dont il échappe aux Turcs, qui voulaient le faire rôtir à la broche. Passons sur les innombrables poches dont son habit était garni, et dans lesquelles il mettait tout ce qui lui servait à couper les bourses, et autres tours pendables.
Attardons-nous un peu sur la mauvaise blague qu’il joue à un prêtre qui va dire sa messe : sous prétexte de l’aider à s’habiller, il en profite pour coudre ensemble l’aube, l’habit et la chemise. Devant l’assistance, au moment de l’ « ite missa est », voulant enlever l’habit, il se retrouve tout nu, « montrant à tout le monde son callibistris, qui n’était pas petit sans doute » (inutile, je crois, de traduire le mot).
« Et le monde demandait pourquoi est-ce que les fratres avaient la couille si longue ». Panurge répond : « Ce qui fait la couille des pauvres béats pères, c’est qu’ils ne portent point de chausses foncées [munies d’un fond], et leur pauvre membre s’étend en liberté à bride avalée et leur va ainsi triballant sur les genoux, comme font les patenôtres [chapelets de luxe pendant à la ceinture] aux femmes ».
Dans le même genre, Panurge prend un malin plaisir à « accoupler » dans la rue hommes et femmes en train de converser, au moyen d’hameçons introduits dans le tissu des vêtements, pour que, au moment où ils se séparent, les robes des femmes se déchirent. Il prend un malin plaisir à faire perdre contenance aux femmes au moyen d’un miroir, pendant la messe, car, disait-il : « il n’y avait qu’un antistrophe [= contrepèterie] entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse ».
Capable de jeter dans le dos des femmes assez de poil à gratter (« alun de plume ») pour qu’elles se déshabillent en pleine rue, Panurge se précipite alors pour offrir de les couvrir de son manteau (« comme homme courtois et gracieux »).
Panurge est aussi un excellent prestidigitateur : « Et quand il changeait un teston ou quelque autre pièce, le changeur eût été plus fin que Maître Mouche si Panurge n’eût fait évanouir à chaque fois cinq ou si grands blancs [grosses pièces], visiblement, ouvertement, manifestement, sans faire lésion ni blessure aucune, dont le changeur n’en eût senti que le vent ». Redoutable.
Son habileté manuelle est telle qu’il peut impunément tromper les vendeurs d’indulgences (les « pardons ») : « en leur baillant le premier denier, je le mis si souplement qu’il sembla que ce fût un grand blanc ; ainsi d’une main je pris douze deniers, voire bien douze liards ou doubles pour le moins, et de l’autre trois ou quatre douzains ». Vous avez dit « moral » ? C’est la même habileté qu’il met à crocheter portes et coffres. Mais ce qui est sûr, pour ce qui est de l’argent, c’est qu’il a les mains percées.
L’un des plus magnifiques tours que joue Panurge reste la vengeance qu’il tire d’une dame de Paris qui a refusé ses avances. Un jour où elle a mis ses plus beaux et riches vêtements, il se débrouille pour récupérer la substance odorante d’une chienne en chaleur, substance qu’il répand sur toute la dame en lui offrant un poème, une fois à l’église. « Panurge n’eut achevé ce mot que tous les chiens qui étaient en l’église accoururent à cette dame, pour l’odeur des drogues qu’il avait épandu sur elle ».
Il se retire dans une chapelle pour observer la suite : « ces vilains chiens compissaient tous ses habillements, tant qu’un grand lévrier lui pissa sur la tête, les autres aux manches, les autres à la croupe ; les petits pissaient sur ses patins, en sorte que toutes les femmes de là autour avaient beaucoup à faire à la sauver ». Panurge jouit, comme on pense, du spectacle, disant : « Je crois que cette dame-là est en chaleur, ou bien que quelque lévrier l’a couverte fraîchement ».
Elle est évidemment obligée de quitter l’église et de rentrer chez elle, poursuivie par « six cent mille et quatorze chiens à l’entour d’elle ». Et même une fois à l’abri dans sa maison, les chiens viennent de partout pisser devant la maison, au point que leur urine finit par former une rivière (« qui de présent passe à Saint Victor »).
Il faut bien sûr évoquer le chapitre où « Panurge enseigne une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris ». Comme, dit-il, « les callibistrys [sexes] des femmes de ce pays sont à meilleur marché que les pierres », il suffira, pour faire des murs inexpugnables, d’empiler les sexes féminins, en ayant soin de commencer par les plus grands et de finir par les petits, « puis faire un beau petit entrelardement (…) de tant de braquemarts enroidis qui habitent dans les braguettes claustrales ».
Ce sera tout pour aujourd’hui. C’est-y pas beau, RABELAIS ?
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 18 mai 2012
ELOGE DE MAÎTRE RABELAIS
Comme promis (« Compromis, chose due », disait COLUCHE en parlant des femmes), aujourd’hui, j’attaque Maître FRANÇOIS, alias ALCOFRIBAS NASIER. Bien sûr, que c’est RABELAIS. Que puis-je dire, au sujet de RABELAIS ? Si je disais que j’ai l’impression que j’ai du rabelais qui me coule dans les veines, je ne serais pas très loin de la vérité, mais ce ne serait sans doute pas très bon pour ma réputation (quoique …).
Pourquoi ? Mais à cause de la réputation de grand buveur devant l’éternel, qu’il traîne depuis toujours, pas complètement à tort, probablement. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas sa lecture qui vous empêchera de passer à l’éthylomètre avant de prendre le volant. Tout ça pour dire que parmi les auteurs français que ma prédilection m’a amené à cultiver de préférence aux autres, je l'avoue aujourd'hui, c’est RABELAIS qui vient en tête.
En confidence et par parenthèse, je peux vous dire aussi que celui qui vient en queue s’appelle PIERRE CORNEILLE, mais ça, c’est dû à la longue malédiction qui a poursuivi ce malheureux génie depuis un épouvantable Cinna étudié en classe de 5ème, sous la férule de Monsieur LAMBOLLET, au lycée Ampère. J’imagine que c’était au programme. Je vous jure, Cinna à douze ans, il y a de quoi être dégoûté des mathématiques. Euh, j’ai dit une bêtise ?
« Prends un siège, Cinna, et assieds-toi par terre, Et si tu veux parler, commence par te taire ». Non, je déconne, ce n’est pas Auguste qui dit ça à Cinna, c’est nos esprits mal tournés d’élèves mal élevés qui brodaient. Forcément, c’est ça qui m’est resté. Mais ça doit être du genre de la « pince à linge » des Quatre Barbus et de la 5ème symphonie de BEETHOVEN.
Si, j’ai quand même retenu « Je suis maître de moi comme de l’univers », parce que je vous parle d’un temps où l’on apprenait par cœur. Je crois bien que c’est dans la bouche d’Auguste. Mais CORNEILLE m’a collé à la semelle gauche (il paraît que ça porte bonheur !), parce que plus tard, j’ai dû me farcir Sertorius, et puis Suréna, et ce traumatisme, franchement, je ne le souhaite à personne. Et je n’ai rien dit d’Agésilas et d’Attila : « Après l’Agésilas, hélas, mais après l’Attila, holà ! ». Même que ce n’est pas moi qui le dis, c’est BOILEAU, alors.
Résultat des courses, il m’est resté un automatisme : de même que Gaston Lagaffe éternue dès qu’on prononce le mot « effort », de même, dès que j’entends le nom de CORNEILLE, je bâille. Bon je sais, la blague est un peu facile, mais avouez qu’il fallait la faire, celle-là, et c’est d’autant plus vrai que ce n’est pas faux. Et puis si, par-dessus le marché, ça désopile la rate, on a rien que du bon.
Mais foin des aversions recuites – et injustes comme sont toutes les vendettas, et je ne vais pas passer ma vie à assassiner CORNEILLE qui, après tout, ne m’a jamais empêché de vivre, malgré des dommages monumentaux à mon égard, pour lesquels je n’ai jamais reçu d’intérêts –, revenons à RABELAIS.
Le portrait ci-dessus est donné pour celui de RABELAIS en 1537. Il tranche avec tout ce qu'on connaît, et l'on est pris de doute. Pourtant, je me rappelle la collection de portraits accrochés dans un des bâtiments de La Devinière, la maison natale : beaucoup ressemblaient à l'officiel, de plus ou moins loin, il est vrai. Mais quelques-uns étaient de la plus haute fantaisie, faisant parfois de l'auteur une sorte de nègre.
Je ne vais pas refaire mon chapitre sur Lagarde et Michard, avec leur damnée tendance à tout tirer vers le sérieux, le pontifiant et l'asexué, bref, le SCOLAIRE (« ce qu’il faut savoir »), mais il est sûr que si on veut jouir de RABELAIS, c’est dans le texte qu’il faut aller. Et pour y aller, j’espère qu’on m’excusera, il faut avoir envie de jouir. C’est un aveu. Tant pis. J’espère qu’à mon âge, il ne me coûtera pas trop cher.
RABELAIS ? C’est ma respiration. C’est mon espace vital. C’est comme un socle. Je n’y peux rien, ça s’est fait malgré moi, comme ça, sans que j’y prête la main, c’est certain. RABELAIS m’a appris une chose : la JOIE est le centre nerveux, le cœur et le muscle de l’existence. Tout le reste est résolument secondaire, accessoire, décoratif, facultatif, marginal, subsidiaire, superfétatoire et, disons le mot, superflu. Ce que je trouve chez RABELAIS me ramène toujours à la JOIE.
Il serait d’ailleurs peut-être plus exact de dire que j’ai satisfait dans RABELAIS ce besoin d’éprouver la JOIE. C’est ce même genre de besoin vital qui m’a rendu récemment jubilatoire, proprement et absolument, la lecture de Moby Dick. Mais c’est vrai, je ne sais pas encore tout, et je ne suis pas sûr d’en savoir plus « quand fatale [sonnera] l’heure De prendre un linceul pour costume » (Le Grand Pan, GEORGES BRASSENS).
C’est sûr, MONTAIGNE me touche, mais c’est un homme qui s’écoute. Beaucoup de passages plaisants, c’est sûr (je me suis efforcé d’en indiquer à plusieurs reprises ici même), mais il y a à mon goût trop de gravité chez MICHEL EYQUEM, petit châtelain de Montaigne. En comparaison, RABELAIS, je vous jure, existe concrètement, jovial et fraternel. Dès qu’il vous aperçoit, il vous invite à sa table. C’est une tout autre vision de l’humanité.
Une humanité qui converse gaiement autour d’une table couverte de plats ventrus et de flacons vermeils. Une humanité qui parle de la vraie vie, poétique et réelle, qui est forcément celle de tout homme. Poétique, parce que tout homme rêve et que tout rêve est poétique. Réelle, parce que lire les livres de RABELAIS est une excellente recette pour apprendre à renoncer sans regret à devenir maître du monde. Il y a tout ça, dans l’œuvre de FRANÇOIS RABELAIS.
Voilà ce que je dis, moi.
Et ce n'est pas fini.
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lundi, 14 mai 2012
ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE (fin)
Restons encore un peu en compagnie de MONTAIGNE, dans les Essais et dans sa "librairie".
On trouve, au chapitre « De l’ivrognerie » (Livre II), en dehors d’un certain nombre de considérations très sages (MONTAIGNE est quelqu’un qui tient par-dessus tout à rester mesuré), une histoire digne d’être retenue.
De l’ivrognerie.
Et ce que m’apprit une dame que j’honore et prise singulièrement, que près de Bordeaux, vers Castres où est sa maison, une femme de village, veuve, de chaste réputation, sentant les premiers ombrages de grossesse, disait à ses voisines qu’elle penserait être enceinte si elle avait un mari. Mais, du jour à la journée croissant l’occasion de ce soupçon et en fin jusques à l’évidence, elle en vint là de faire déclarer au prône de son église que, qui consentirait à reconnaître ce fait en l’avouant, elle promettait de le lui pardonner, et, s’il le trouvait bon, de l’épouser. Un sien jeune valet de labourage, enhardi de cette proclamation, déclara l’avoir trouvée, ayant bien largement pris son vin, si profondément endormie près de son foyer, et si indécemment, qu’il s’en était pu servir sans l’éveiller. Ils vivent encore mariés ensemble.
Elle est pas mignonne, l’histoire ? Une variante, en quelque sorte, de la chanson « Emmener sa femme au champ pour la…bourer ». « Qu’il s’en était pu servir ». Et on nous raconte que ce furent des époques puritaines ? Qu’est-ce que c’est que cette fable ? J’ai plutôt l’impression que le puritanisme a rarement été aussi actuel (le puritanisme est copain comme cochon, comme l’avers avec le revers, avec tout ce qui porte l’étiquette X).
Le passage suivant est beaucoup plus moral, mais il jette un drôle de jour sur la façon dont nous (moi le premier) nous extasions au-dessus du berceau d’un nouveau-né. N’y a-t-il pas quelque ressemblance avec ce que nous faisons devant le chiot ou le chaton que la chienne ou la chatte a mis bas quelque temps avant ? MONTAIGNE parle, quant à lui, de « guenon ». Sûr que ça fait plus exotique.
Chapitre VIII : De l’affection des pères aux enfants. (A madame d’Estissac.)
Comme, sur ce sujet de quoi je parle, je ne puis recevoir cette passion de quoi on embrasse les enfants à peine encore nés, n’ayant ni mouvement en l’âme, ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent rendre aimables. Et ne les ai pas soufferts volontiers nourris près de moi [d’où le recours à la nourrice]. Une vraie affection et bien réglée devrait naître et s’augmenter avec la connaissance qu’ils nous donnent d’eux ; et lors, s’ils le valent, la propension naturelle marchant quant et [du même pas que] la raison, les chérir d’une amitié vraiment paternelle ; et en juger de même, s’ils sont autres, nous rendant toujours à la raison, nonobstant la force naturelle. Il en va forcément au rebours ; et le plus communément nous nous sentons plus émus des trépignements, jeux et niaiseries puériles de nos enfants, que nous ne faisons après de leurs actions toutes formées, comme si nous les avions aimés pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes.
« S’ils le valent » : au moins c’est clair, le sentiment paternel est loin d’être naturel, comme le bruit s’en est colporté depuis JEAN-JACQUES ROUSSEAU (que cela n’a jamais empêché de mettre à l’Assistance les enfants qu’il a eus avec THERESE LEVASSEUR), et comme le montre ELISABETH BADINTER dans L’Amour en plus (1980). Est-ce que c’est MONTAIGNE qui est un salopard ? Est-ce que c’est nous qui sommes fondus gaga ?
Ce qui m’impressionne ici, c’est qu’il attend pour se faire une opinion que l’enfant ait assez grandi pour montrer aux yeux de tous quelle forme allait prendre l’être en devenir qu’il était exclusivement au départ. Nous, qui vivons à une époque qui se met à plat-ventre devant l’enfant, à l’époque de l’ « enfant au centre du système », de l’enfant-roi, ne pouvons plus guère, me semble-t-il, comprendre un tel propos.
Le plus drôle, c’est que nous nous chagrinons, plus tard, de l’écart éventuel entre l’enfant espéré et l'être accompli. MONTAIGNE, lui, n’attend rien de précis. Il attend de voir ce que ça va donner, le gamin. HANNAH ARENDT ne dit pas autre chose, dans La Crise de la culture, quand elle conteste radicalement qu’il existe un quelconque « monde de l’enfance », qui serait autonome, et insiste sur la nécessité de ne voir dans un enfant qu'un être humain en devenir. Rien de moins, certes, mais rien de plus.
Il y a bien du ridicule dans le seul fait d'avoir pensé qu'il fallait absolument que les instances internationales signassent une mirifique "Déclaration des Droits de l'Enfant". Tiens, mettez-y le nez ici, pour voir, et vous comprendrez pourquoi les Français ont rejeté la Constitution Européenne : il faut une formation juridique au moins de bac + 12 pour s'y retrouver, et rien que pour arriver jusqu'au bout.
Mais il est vrai que MONTAIGNE ignorait tout de ce qu’est un « marché », découpé en divers « segments » (5-9 ans, 9-12 ans, etc.), la consommation, et tous les objets qui se proposent en permanence d’irriguer notre besoin de bonheur, ce qui est de toute évidence un progrès incommensurable.
Voilà ce que je dis, moi.
Ce sera tout pour cette fois.
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dimanche, 13 mai 2012
ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE
Allez, encore une petite louche de MONTAIGNE, du qu’on ne trouve pas dans le sacralisé « Lagarde et Michard ». Vous voulez que je vous dise ? Il faut être handicapé de la littérature pour être nostalgique de ça. Ça, qui vous apprenait ce qu’il faut savoir, et qui vous dégoûtait par avance de ce que, peut-être, vous auriez eu envie de découvrir.
Mais enfin, si c'est notre jeunesse, il y en a que la nostalgie remplit. Vous avez dit nostalgie ? Pas moi, en tout cas. Je ne me tourne pas vers le passé au motif qu'il figurerait le temps où j'étais heureux (quelle blague!), mais je vois le présent, et je pressens l'avenir, et je vois que tout ça n'est guère encourageant. Mais je m'interdis de désespérer les « générations montantes ». Je leur souhaite quand même bon courage. Et lucidité, si l'envie leur en prend.
Moi, j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’exception en seconde, première et terminale, j’ai nommé PIERRE SAVINEL. Entre autres travaux d'érudition, il a traduit La Guerre des Juifs, de FLAVIUS JOSÈPHE (Editions de Minuit). Entre parenthèses, je ne comprends pas que les manuels de français, de deux choses l'une, expurgent les textes, ou alors les choisissent vierges de toute « impureté » (= sexe et pipi-caca).
Remarquez que l'esprit mal tourné de l'adolescent moyen est parfois en mesure d'ajouter du piment dans les plats les plus fades. Prenez, dans Lagarde et Michard XVIIIème, l'extrait intitulé « Poétique des ruines » (DIDEROT), c'est page 222, et lisez-le en ayant bien soin de remplacer le mot "ruines" par le mot "fesses", et vous verrez que la substitution ne manque ni de sel, ni de pertinence, comme nous l'avions réjouissamment testé à l'époque.
Expurgé ? Si vous prenez, dans Lagarde … 16ème siècle l’extrait de la bataille de l’abbaye de Seuillé (RABELAIS, Gargantua, 27), vous aurez bien les détails concernant l'amour des moines pour le vin (mais aussi leur lâcheté), mais aucun élève n’a jamais lu : « Si quelqu’un gravait [grimpait] en un arbre, pensant y être en sûreté, icellui de son bâton empalait par le fondement ».
« Empalait par le fondement, m’sieur, qu’est-ce que ça veut dire ? – Euh, … tout ce que je peux vous dire, c’est que ça doit faire assez mal ». Il faut savoir que le dit bâton est le manche qui sert à porter la croix aux processions (« long comme une lance, rond à plein poing et quelque peu semé de fleurs de lys, toutes presque effacées »), bâton dont le moine Frère Jean des Entommeures (= des Ravages) a fait une arme de destruction massive. En plus de les éveiller, ça enrichirait le vocabulaire des jeunes, ainsi que la polysémie du mot « fondement ».
"EUH... JE PEUX VOUS DIRE QUE ÇA DOIT FAIRE ASSEZ MAL"
Quant au choix des extraits, je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut focaliser l’attention des adolescents sur le croustillant ou le scatologique, d’abord parce qu’il n’y en a pas partout, et loin de là. Mais les dits adolescents se feraient une idée moins solennelle, dévitalisée et scolaire de la littérature si l’on ne s’interdisait pas de jeter un œil sur, précisément, ce qui intéresse l’adolescence au premier chef.
Ils seraient peut-être plus nombreux à ouvrir des « classiques ». Tout se passe comme si les concepteurs de manuels étaient convaincus que la littérature était coupée de la vie, alors qu’elle en est une des émanations les plus authentiques (« les plus scientifiques », disait même le père JEAN CALLOUD, qui raffolait des chocolats de chez BONNAT). Tout se passe comme s’ils n’avaient pas compris ce qu’est la littérature, comme s’ils ne l’aimaient pas.
C’est vrai qu’une chape de pudeur semble s’être abattue sur l’expression du croustillant et du sale à partir du 17ème siècle. Voir pour cela, dans Carmen de MERIMEE, ce que recouvre la formule « et le reste », dans la bouche de Don José parlant de la femme qu’il aimait, formule qui saute à pieds joints sur les nombreux détails sur lesquels s'attardaient STENDHAL, MERIMEE ou FLAUBERT dans leur Correspondance. Et ce serait la même chose, si on lisait correctement RACINE ou DIDEROT. Croyez-vous que CORNEILLE ne savait pas ce qu’il disait, en écrivant : « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » ?
On me dira que c’est pour ça que ma prédilection va à Maître FRANÇOIS RABELAIS, à son jeu de mots sur « à Beaumont le Vicomte » (contrepèterie facile), à une recette de Panurge (« une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris », Pantagruel, 15), au lion qui ordonne au renard de remplir de mousse la « blessure » que la vieille vient de se faire entre les jambes (croit-il), et tout une pallerée de belles histoires. On me le dira, et j’en conviendrai. On me dira peut-être aussi que je ferais mieux de parler de RABELAIS, ce en quoi on aura tout à fait raison. C’est une très bonne idée. J’y songe. Promis, je vais m’y mettre.
En attendant cet heureux jour, contentons-nous, pour aujourd’hui, de quelques paragraphes rigolos et sympathiques tirés des Essais. Le premier est très gentil, et prouve que le cheval était inconnu en Amérique avant l’arrivée des Blancs.
Chapitre XLVIII : Des destriers.
Ces nouveaux peuples des Indes, quand les Espagnols y arrivèrent, estimèrent, tant des hommes que des chevaux, que ce fussent ou Dieux ou animaux, en noblesse au-dessus de leur nature. Aucuns, après avoir été vaincus, venant demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l’or et des viandes, ne faillirent d’en aller offrir autant aux chevaux, avec une toute pareille harangue à celle des hommes, prenant leurs hennissements pour langage de composition et de trêve.
N'EST-CE PAS, QUE C'EST BEAU ?
Le second est un peu plus « costaud ». Il paraît que les Américains « tamponnent », alors que les Français « essuient ». Je vous laisse juges.
Chapitre XLIX : Des coutumes anciennes. [Sur la volatilité des modes.]
Ils mangeaient comme nous le fruit à l’issue de table. Ils se torchaient le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles) avec une éponge ; voilà pourquoi SPONGIA est un mot obscène en Latin ; et était cette éponge attachée au bout d’un baston, comme témoigne l’histoire de celui qu’on menait pour être présenté aux bêtes devant le peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires [aux toilettes] ; et, n’ayant autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston et éponge dans le gosier et s’en étouffa. Ils s’essuyaient le catze [le cul] de laine parfumée, quand ils en avaient fait : « At tibi nil faciam, sed lota mentula lana. »
Traduction du latin : « Je ne te ferai rien [mais pour te punir de ton insatiable avarice, quand j’aurai lavé mes mains] ma mentule (ma verge) t’ordonnera de la lécher », comme quoi d'anciens adolescents peuvent regretter de ne pas avoir fait assez de latin (j’ai restitué les derniers vers de l’épigramme de MARTIAL, qu’on a tort de ne pas faire lire, je vous assure que c’est excellent pour l’imagination).
Tiens, ça me fait penser à cette stèle qu’on peut voir au Musée Gallo-Romain de Lyon, au dos de laquelle figure ce graffiti gravé (en latin, évidemment) : « Je ne baise pas, j’encule ». C’était le très discret, assez petit et très charmant, très classique, mais très correct et sûrement très chaste Monsieur AUDIN qui me l’avait fait découvrir. Il m’avait surpris, le brave homme. Comme quoi le graveleux n’est pas forcément incompatible avec la pruderie qu’une vaine apparence a posée sur le visage.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, montaigne, essais, lagarde et michard, nostalgie, pierre savinel, la guerre des juifs, flavius josèphe, éditions de minuit, sexe, pipi-caca, diderot, rabelais, gargantua, frère jean des entommeures, moines, adolescence, jean calloud, carmen, mérimée, stendhal, flaubert, racine, corneille, françois rabelais, essais de montaigne
lundi, 30 avril 2012
MONTAIGNE, ON S'EN PAIE UNE TRANCHE ?
Aujourd'hui, comme promis, ce sera du juteux, du qu'on n'étudie pas au lycée, ça c'est sûr, même que c'est bien dommage, non plus que le chapitre 26 du Tiers Livre de RABELAIS, qui fait un tour exhaustif de toutes les sortes de « couillons », liste qui se termine par « couillon hacquebutant, couillon culletant ». Mais il est entendu que RABELAIS est beaucoup plus porté sur la chose que MONTAIGNE, comme on va le voir.
Les Essais de MONTAIGNE sont composés de trois livres. Je ne vais pas vous embêter avec des considérations lourdes et pontifiantes. Juste ceci : le Livre I comporte 57 chapitres (environ 300 pages type Pléiade), le Livre II, 37 (450 pages) et le Livre III, 13 (330 pages). Comme si la pompe avait mis du temps à s’amorcer : des petites notes pour commencer, de vrais petits livres pour finir. C’est progressivement qu’il s’est pris au jeu.
Aujourd’hui, juste quelques paragraphes rigolos, sur la femme, le genre d’animal qu’elle est, et ce qu’elle doit être dans le mariage. On ne trouve évidemment pas ce genre d’extraits, non plus, dans le Lagarde et Michard. C’est bête, parce que je suis sûr que ça encouragerait les adolescents à lire MONTAIGNE.
Rien que pour l’idée rassurante qui leur dirait que les idées qui leur viennent quand ils regardent les filles, non seulement sont normales, mais que les filles et les femmes, pour ce qui est du désir et de la connaissance des choses de l’amour, les battent à plate couture. Parce que c’est vrai qu’un garçon, jusqu’à un âge, ce n’est, sur ce plan, qu’un gros niais. Et il y a fort à parier que le verbe « déniaiser » a été inventé pour les garçons. Enfin pas que.
Livre I, Chapitre XXX : De la moderation [l’auteur parle des relations entre le mari et la femme].
Je veux donc, de leur part, apprendre ceci aux maris, s’il s’en trouve encore qui y soient trop acharnés ; c’est que les plaisirs mêmes qu’ils ont à l’accointance de leurs femmes, sont réprouvés, si la modération n’y est observée ; et qu’il y a de quoi faillir en licence et débordement, comme en un sujet illégitime. Ces enchériments deshontés que la chaleur première nous suggère en ce jeu, sont, non seulement indécemment, mais dommageablement employés envers nos femmes. Qu’elles apprennent l’impudence au moins d’une autre main. Elles sont toujours assez éveillées pour notre besoin. Je ne m’y suis servi que de l’instruction naturelle et simple.
Mai 1968, avec son « Jouir sans entraves », n’est pas encore passé par là. On a compris : madame MONTAIGNE se contentait de ce que MICHEL EYQUEM lui donnait. Et il lui donnait peu. « Qu’elles apprennent l’impudence d’une autre main ». C’est une question qui le tarabuste, parce qu’il y revient plus tard.
Livre III, Chapitre V : Sur des vers de Virgile. [Où il est un peu question des vers de Virgile, mais aussi et surtout d’autre chose.]
Pour MONTAIGNE, le mariage doit découler de la raison et non du désir personnel, surtout du désir amoureux. Il est pour les mariages décidés en dehors des personnes, parce que c’est d’abord une convention sociale.Il n’est pas question de se laisser aller au plaisir conjugal : « Une femme honnête n’a pas de plaisir », dit la chanson de JEAN FERRAT. Enfin, on parle ici d’il y a 450 ans, il ne faut pas l’oublier.
Aussi est-ce une espèce d’inceste d’aller employer à ce parentage vénérable et sacré les efforts et les extravagances de la licence amoureuse, comme il me semble avoir dit ailleurs (voir ci-dessus). Autrement dit, le mariage est chose trop noble pour y mêler le plaisir.
L’intéressant vient : Il faut, dit Aristote, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur qu’en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors des gonds de raison. Ce qu’il dit pour la conscience, les médecins le disent pour la santé : qu’un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu altère la semence et empêche la conception ; disent d’autre part, qu’à une congression [coït] languissante, comme celle là est de sa nature, pour la remplir d’une juste et fertile chaleur, il s’y faut présenter rarement et à notables intervalles, [« afin qu’elle saisisse avec avidité les dons de Vénus et qu’elle les cache plus profondément » c'est en latin] (Virgile, Géorgiques). Je ne vois point de mariages qui faillent plutôt et se troublent que ceux qui s’acheminent par la beauté et désirs amoureux. Il y faut des fondements plus solides et plus constants, et y marcher d’aguet ; cette bouillante allégresse n’y vaut rien.
On a compris. D’ailleurs il dit quelque part qu’il « s’accointe » avec sa femme juste avant de sombrer dans le sommeil, le soir. On ne peut pas dire que ça rigolait. Comme homme, MONTAIGNE devait être passablement ennuyeux. Il pose même la question : combien de fois par jour ? La reine d’Aragon, dit-il, préconise six « rapports » par jour, mais le grand législateur grec de l’antiquité parle de trois par mois. On devine où va la préférence de MONTAIGNE.
Quel mauvais ménage a fait Jupiter avec sa femme qu’il avait premièrement pratiquée et jouie par amourettes ? C’est ce qu’on dit : Chier dans le panier pour après le mettre sur sa teste.
Pour lui, c’est certain, la femme est par nature un animal lubrique. Et ça commence très tôt, chez les fillettes et jeunes filles. Tiens, toujours dans le même chapitre :
Nous les dressons des l’enfance aux entremises de l’amour : leur grâce, leur attifure, leur science, leur parole, toute leur instruction ne regarde qu’à ce but. Leurs gouvernantes ne leur impriment autre chose que le visage de l’amour, ne fût qu’en le leur représentant continuellement que pour les en dégoûter.
Autrement dit, les filles ne pensent qu’à ça. Le péché d’Eve n’est pas loin. Vient alors une anecdote.
Ma fille (c’est tout ce que j’ay d’enfant) est en l’âge auquel les lois excusent les plus échauffées de se marier ; elle est d’une complexion tardive, mince et molle, et a été par sa mère élevée de même d’une forme retirée et particulière : si qu’elle ne commence encore qu’à se déniaiser de la naïveté de l’enfance. Elle lisait un livre français devant moi. Le mot de « fouteau » s’y rencontra, nom d’un arbre connu [hêtre] ; la femme qu’elle a pour sa conduite, l’arrêta tout court un peu rudement, et la fit passer par-dessus ce mauvais pas. (…) Mais, si je ne me trompe, le commerce de vingt laquais n’eût su imprimer en sa fantaisie, de six mois, l’intelligence et usage et toutes les conséquences du son de ces syllabes scelerées [scélérates], comme fit cette bonne vieille par sa réprimande et interdiction.
Et ce passage, alors ? Mon oreille se rencontra un jour en lieu où elle pouvait dérober aucun des discours faits entre elles sans soupçon : que ne puis-je le dire ? Nostredame ! (fis-je) allons à cette heure étudier des phrases d’Amadis et des registres de Boccace [auteur de contes « libres »] et de l’Arétin [auteur d'oeuvres érotiques] pour faire les habiles. Il n’est ni parole, ni exemple, ni démarche qu’elles ne sachent mieux que nos livres : c’est une discipline qui naît dans leurs veines, [« et Vénus elle-même les a inspirées », Virgile], que ces bons maîtres d’école, nature, jeunesse et santé, leur soufflent continuellement dans l’âme ; elles n’ont que faire de l’apprendre, elles l’engendrent.
« Une discipline qui naît dans leurs veines », parfaitement. Enfer et damnation, j’aurais dû m’en douter. C’était donc ça. Les filles savent tout. Les garçons sont des niais. Et ce n’est pas la mixité qui a changé les choses, puisqu’elle les a aggravées.
Voilà ce que je dis, moi.
09:01 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, montaigne, rabelais, tiers livre, essais de montaigne, lagarde et michard, de la modération, jean ferrat, sexe, plaisir, devoir conjugal, femme