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dimanche, 26 mai 2013

VOUS AVEZ DIT PRESSE DE GAUCHE ?

 

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Avertissement liminaire : comme le Petit Poucet du conte semait des cailloux blancs sur son chemin, je sème, dans mes billets d'aujourd'hui et de demain, des photos de titres prélevés dans le journal Libération. L'explication de la chose sera donnée demain.

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L’un des signes qui ne trompent pas sur le fait qu’il n’y a plus de gauche en France, c’est la presse. Quand je dis « plus de gauche », ça veut dire qu’il n’existe plus de force politique s’attaquant de front à la structure même de la société marchande, et non pas les tentatives plus ou moins velléitaires à aménager sur les marges des conditions un peu moins injustes pour les populations. 

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Disons, pour parler clair, que la gauche révolutionnaire a définitivement disparu : le capitalisme a gagné. Il ne s’agit même pas de le reconnaître : les faits sont là. Et c’est radical et définitif. Jusqu’à sa disparition, l’URSS a donné l’illusion (à ceux qui fermaient les yeux sur le sordide de la réalité alors produite, et sur l'absence totale de communisme "vrai" dans la patrie même du communisme, régie en réalité par un féroce capitalisme d'Etat) qu’il pouvait en être autrement, mais depuis la chute du mur, « tout est consommé », comme a dit un homme plus célèbre que connu (initiales JC).

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« Exeunt » les luttes ouvrières, quoi que puissent en dire quelques groupuscules d’extrême gauche (PC, LO, LCR, …). Ce qui a désormais pris la place des forces politiques qui voulaient autrefois mettre à bas le système capitaliste (« appropriation privée des moyens de productions », pour parler le Marx dans le texte), c’est ce que j’appellerai la « gauche de gouvernement », ou « gauche responsable ». 

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Ben oui, dès lors que la gauche accepte de gérer le système tel qu’il est, elle est obligée d’en accepter les règles et les structures, et de se contenter d’en modifier quelques aspects marginaux, comme l’a amplement démontré en son temps François Mitterrand en baissant brusquement pavillon en 1983 (le « tournant de la rigueur »).

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La presse a suivi. Le Monde, le navire amiral, le journal « de référence », à travers la neutralité, aussi affichée que professionnelle, de sa « ligne éditoriale », laisse voir en filigrane une corde faisant vibrer davantage d’harmoniques à bâbord qu’à tribord (si c’est pas bien dit, ça ! Ça vaut presque le maire de Champignac, pas vrai ?). 

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Certains diront que l’esquif « de référence » a progressivement dérivé, en laissant d’abord apparaître, dans ses colonnes, les cours de la bourse, puis en accordant un peu de place à la photo, puis à la publicité, et puis de plus en plus, allant parfois jusqu'à faire croire que les articles servent de support et de commentaires aux photos et aux publicités. Moralité : il faut bien vivre.

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Les journaux essaient (de plus en plus désespérément), de suivre les « goûts » de leur lectorat. Pour survivre, Le Monde s’est donc laissé grignoter. Il en est même arrivé à vendre (en date du samedi 24 mai 2013) les pleines pages 4, 5, 6 et 7 à Samsung pour promouvoir son nouveau « Galaxy S4 » (« Quoi ? Y a un nouveau Galaxy ? », voix suraiguë de Coluche, évidemment). La quantité d’information, je veux dire la vraie, dans Le Monde a donc beaucoup maigri ; elle n’a pas disparu.

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POUR COMPRENDRE CELUI-LÀ, IL FAUT SAVOIR QUI ETAIT LE "MIME MARCEAU"

Le Monde est encore un journal. Frustrant, décevant, exaspérant par rapport à ce que ça pourrait, mais un journal. Pas comme Libération, dont sont tirés les titres ici présents.

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Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 23 août 2012

LA METHODE VIALATTE 2/5

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Pensée du jour : « Janisson [personnage d'un roman de Jean-Claude Sordelli] mène une petite vie, plus seul qu'un croûton de pain tombé derrière une malle dans un grenier de chef-lieu de canton ».

Alexandre Vialatte

 

***

 

Résumé : pour faire l'éloge de la digression, je parlais d’un cactus mexicain et de son principal alcaloïde : peyotl, objet d’un rituel chez les Tarahumaras, et la mescaline, devenue, comme tous les psychotropes chez les occidentaux, une drogue, avec accoutumance et dépendance. Car la civilisation occidentale, en même temps qu'elle constitue pour le monde le poison violent qu'elle lui a inoculé de force, a inventé quelques moyens chimiques de lui échapper  tout en en exprimant la vérité foncière.

 

La drogue dure est la vérité ultime de la civilisation occidentale. 

 

On voit les effets de ce cactus sur l’esprit faible (mais malin) d’un petit escroc occidental des années 1970, nommé Carlos Castaneda, passé avec armes et bagages sous l'emprise du supposé sorcier Yaqui Don Juan Matus, comme il le raconte dans un livre qui m’a, au moins un temps, fasciné : L’Herbe du diable et la petite fumée (éditions Soleil Noir, la suite (interminable) se trouve chez Gallimard, l’herbe du diable étant, je crois me souvenir, le redoutable datura). J'en suis redescendu.

 

Car l’auteur a très bien su récupérer armes et bagages pour transformer ses expériences initiatiques et hallucinatoires (« Don Juan, ai-je vraiment volé ? », demande-t-il après avoir atterri) en retombées sonnantes et trébuchantes, aussi longtemps qu’il fut à la mode. S’il est mort, au moins est-il mort riche. 

Revenons au peyotl, ce petit cactus. C’est après avoir absorbé un peu de son principal alcaloïde que Jean-Paul Sartre écrivit Les Séquestrés d’Altona (1959), pièce dans laquelle un des personnages apparaît récurremment sur scène en vociférant : « Des crabes ! Des crabes ! ». Ceci pour traduire l’hallucination qui ne le quitta plus guère après cette ingestion de mescaline (car c’était elle). Il voyait, dit-on, des homards autour de lui quand il marchait aux Champs Elysée. Moralité : sans crabe, pas d'existentialisme. Quel dommage que Sartre ait rencontré la mescaline ! 

On a compris pourquoi il a cette gueule hallucinée de crapaud désordonné et fiévreux. Et on comprend pourquoi tout Sartre est ennuyeux. C’est péremptoire, je sais. Mais j'ai été membre fondateur d'un "club des péremptoires". Cela tombe bien. La même drogue produisit de tout autres effets, et combien plus admirables, chez Henri Michaux.   

 

Pour revenir à mon sujet, j’ajouterai donc, et c’est de la pure logique, que la digression fleurit où elle est semée, et que, jusqu’à plus ample informé, le pommier ne pond aucun œuf avant d’y avoir été obligé. Peut-être même encore après. La chose reste à confirmer. L’association d’idées, dans ce qu’elle a de plus arbitraire, personnel, soudain et momentané, est la règle souveraine de la digression. 

 

C’est vrai, vous avez des gens uniquement préoccupés de l’unité, de la cohérence, de l’homogénéité de ce qui sort de leur plume. Des obsédés de la ligne droite, de la vue d'ensemble et du but à atteindre. La ligne droite qui explique le monde, la vue qui le synthétise, et le but qui le résout. Même qu'après, vous avez l'impression d'avoir tout compris. Des aveuglés de la totalisation.

 

Eux, ils écrivent de gros traités ou bien de grands romans. Ils sont guidés par les principes de tiers-exclu et de non-contradiction. Ils n'ont qu'une seule idée en tête, dont aucune adventicité parasite ne saurait les distraire ou les détourner. Ils sont en mission. Ils veulent tout dire. "Epuiser le sujet", l'expression est révélatrice. 

 

A eux les grandes constructions. Je ne crache pas dessus, loin de là, car ça peut produire des chefs d’œuvre inoubliables : Guerre et paix (Tolstoï), Traité de l’argumentation (livre génial et profondément humaniste de Chaïm Perelman, dommage qu’il décourage les non-spécialistes, car il se lit comme on boit du petit lait (dont je parle en connaisseur), pour moi, c'est de la littérature), L’Homme sans qualités (Musil), La Recherche du temps perdu, et autres monuments monumentaux, que le notaire du Poitou stocke sur ses rayons, au lieu de les ouvrir.

 

C’est comme quand vous voyagez. Il y a ceux qui ne tolèrent de voir le monde que derrière les vitres d'une bétaillère de 80 têtes, et il y a ceux qui ne voudraient pour rien au monde se confier à autre chose que leur caprice. Je suis de ces derniers. 

 

Les Japonais ne sauraient, pour venir voir la Joconde, se déplacer qu’en masses compactes et métronomisées, selon un agenda millimétré au quart de poil, où même les moments de « liberté » octroyés sont dûment inscrits par le tour-opérateur. Et il ne s’agit pas de sortir du cadre et de l’itinéraire. Ça ne plaisante pas.

 

Je préfère quant à moi annoncer à ma petite famille, un jour de 1989, sur l'herbe du camping Amsterdamsebos (ci-dessus), que l'année prochaine, on ira en Roumanie. Comment ? Par où ? Combien de temps ? Avec quels points de chute ? On aura bien le temps de voir, que diable, quand on sera sur place. C'est vrai que cette manière de faire comporte quelques inconnues, quelques imprévus, quelques incidents. Ah ça, c'est sûr qu'il faut savoir ce qu'on préfère. 

 

Car il faut bien dire que les voyages qui vous font « faire » la Turquie ou la Grèce en 10 jours, l'oeil sur la montre et le doigt sur le déclencheur photographique, tout comme les grands plans d'ensemble, les grandes constructions, les grandes explications définitives du monde (façon Kant), les grandes idées pour le transformer (façon Marx), et pour tout dire, les systèmes qui vous livrent le monde clé en main, tout le monde n'est pas fait pour. Je connais des allergiques. 

 

Et que, face au voyage entièrement packagé et acheté prêt à l'emploi, comme face à l’énormité des ambitions encyclopédiques et totalisantes, appauvrissantes et accumulatrices, mesquines et simplificatrices, face à ces laboratoires où l’homme expérimente son absence ou sa destruction, il y a place pour le fragment, l'anecdote, le détail concret, la musarderie, le nez au vent, le chatoiement de la lumière dans le sous-bois. La vie.

 

Bref, il y a place pour Alexandre Vialatte (le voilà !), ses frères, ses cousins, sa parentèle. J'ai tendance à me sentir de cette famille. Il y a place pour la flânerie : sans but et curieuse de tout. Flânerie n'est pas vide ou désoeuvrement. Oui, appelons ça la vie. Quoi, au ras des pâquerettes ? Bien sûr. A quelle altitude croyez-vous vivre ? Relisez la dernière phrase des Essais de Montaigne : « Si avons-nous beau monter sur des eschasses, car sur des eschasses encores faut-il marcher de nos jambes. Et au plus eslevé throne du monde si ne sommes assis que sus nostre cul ». Parfaitement, c'est la dernière phrase. 

 

Ce n'est pas du haut d'un char d'assaut à touristes que vous aurez pu, un jour, comme ça, poser votre vélo sur le talus d’un chemin des « marais », et vous asseoir à penser à rien. La Bourbre est juste là. Et puis vous regardez quelques feuilles mortes, à deux mètres. Ça bouge, ma parole. Bizarre. Quelque chose grabote en dessous. Ça crisse. Vous ne rêvez pas. Et puis elle apparaît, la taupe, elle est sortie de ses souterrains pour varier le menu, elle en a assez, du sempiternel ver de terre.

 

Vous vous souviendrez même longtemps, dans la chair de vos doigts, de la défense acharnée qu'elle vous a opposée, quand l'idée saugrenue vous a pris de la capturer. Un conseil : méfiez-vous des dents. Même les griffes ne sont pas à négliger. 

 

Alors je demande quelle théorie scientifique, quel système philosophique, quelle conclusion sur le sens de la vie ou l'existence de Dieu voulez-vous tirer de ça. Pas lerche ! Contentez-vous  de saisir l'instant, voilà. Ce n'est pas Imanuel Kant qui peut se vanter d'avoir observé une taupe in vivo. En tout cas, il n’en fait pas état dans Critique de la raison pure. Selon moi, il a tort. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.