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dimanche, 25 octobre 2015

MA PETITE HISTOIRE DES RELIGIONS

Pas plus qu’on ne trouve sur Terre de peuple dépourvu de musique, on n’en trouve qui ne vénère (ou n’ait vénéré) une entité située en dehors ou au-dessus de la condition de simple mortel. Dans l’invraisemblable fatras des millions de croyances, l’Europe est le seul endroit du monde où se soit organisée ce que Marcel Gauchet appelle la « sortie de la religion » (Le Désenchantement du monde). Il dit même que c’est le propre du christianisme. Cette exception interroge. 

Pour mon compte, voici comment je raconte l’histoire. Je préviens le lecteur que je ne m’embarrasse pas de subtilités et que mon intention n’est pas d’entrer dans la complexité des choses. C’est assez dire que, en ce qui me concerne, la question est simple et le problème résolu depuis longtemps. Je ne suis pas athée, je ne suis pas agnostique : en définitive, je me fiche éperdument de la question de savoir s’il y a un dieu ou non.

Pour moi, cette question est archaïque, arriérée, démodée, dépassée, obsolescente, obsolète, passée, périmée, prescrite, rebattue, retardataire, rétrograde, vieillotte, vieille (liste alphabétique complète des synonymes de "désuet" dans la Rolls des dictionnaires de synonymes : le Bertaud du Chazaud, Quarto Gallimard).

Disons-le : la question m'est indifférente. Je la considère comme une perte de temps, voire une manière d'interdire le "bien-vivre". Pour moi, la perte de la religion constitue une avancée formidable, un perte qui s'est opérée par étapes, dont chacune marque un Progrès dans l'évolution de l'esprit humain : animisme, polythéisme, monothéisme, ont préparé l'avènement du monde sans dieu.

Remarquez, c’est peut-être ça, l’athéisme. Le milieu familial était pourtant éminemment favorable. : du côté paternel de la famille, des croyants par convention sociale, par tradition. On respecte la soutane, je veux dire l'uniforme et l'institution. Du côté maternel, des croyants par conviction profonde, entre un grand-père pétri d'une foi intense, un oncle prêtre au charisme époustouflant et une famille longtemps engagée dans l'action catholique. 

A cet égard, je ne suis pas un héritier. Je me souviens encore comme si c'était hier : j'avais six ou sept ans. Je revois le visage bouleversé, effaré de la Sœur qui me faisait le catéchisme, brave femme de la congrégation de Marie Auxiliatrice, à Lyon (c’était rue Ney, la petite salle avait un vitrail pour fenêtre, et donnait sur une cour arborée), quand je lui ai dit que je ne comprenais pas, mais alors complètement pas, comment un homme qui était mort puisse redevenir vivant. Mon esprit ne pouvait l'admettre.

Déjà un foutu rationaliste, très tôt désencombré. Le visage tout à fait décomposé, elle avait fiévreusement recommencé, tentant de renouer le fil de son discours. A la fin, elle m’avait posé une question du genre : « Et maintenant, ça va ? ». Je n'avais pas envie qu'elle recommence, alors je l’avais rassurée. Elle s’était bien gardée de me demander si j’étais sincère ou non : son soulagement faisait tellement plaisir à voir. Elle avait rétabli l'ordre dans ses pensées. Je ne voulais pas la contrarier.

« Homo sapiens » apparaît il y a 200.000 ans (environ). C’est autour de 100.000 ans qu’on trouve les premières tombes et les premiers rites funéraires. C'est dans ce moment que je vois le surgissement décisif de la « conscience » et des premières interrogations sur ce qui se passe (peut-être) après la mort. La première religion est là, dans la réponse à la première question : « Brüder, überm Sternenzelt, muss ein lieber Vater wohnen », chante Beethoven à la fin de la Neuvième. Une pensée somme toute primitive. Ce qui a permis l'émergence de la conscience ? Je n'en sais rien. Probablement une conformation nouvelle du cerveau ? Une "couche" plus élaborée du cortex ?

La première religion est la première manifestation observable de la conscience. Elle est une possibilité offerte par l’évolution biologique décisive ouverte par la station debout, le talon, le pouce opposable, le bassin le plus propre à porter la colonne vertébrale, donc le plus apte à la bipédie, le développement de l’encéphale vers l’arrière. La première religion est une opportunité liée à l'évolution de l'espèce humaine en direction de ce qu'elle est aujourd'hui. Une opportunité saisie par homo sapiens, le plus "évolué" jusqu'à ce jour de tous les êtres vivants.

Je passe sur ce qui caractérise les croyances primitives, l’animisme et tout le bataclan des esprits recelés par les choses, par les animaux, par le cosmos, par les morts. Je crois que le record en la matière est détenu par le « Shintô » japonais, qui voyait un « kami » dans chaque pierre, dans chaque ruisseau, et qui fait du « ciel » un faubourg plus peuplé que la surface de la terre.  

Je passe sur la distinction qu’il faudrait faire entre les différentes façons de croire, les différentes institutions que l’homme a élaborées pour les pérenniser, les différentes atrocités que la plupart des religions ont infligées à ceux qui avaient eu le tort d’en adopter d’autres. Le vrai croyant est persuadé de détenir LA VÉRITÉ. La seule, l'ultime, la suprême. Le problème, c'est qu'il n'est pas le seul à penser ça.

Il n'y a pas place pour deux VÉRITÉS absolues. Entre vrais croyants de deux dieux différents, c'est forcément, inéluctablement la guerre. L’œcuménisme est une illusion, un mensonge, une preuve de frilosité dans la foi. Si j’étais catholique par foi (et pas seulement par culture), je lancerais une croisade contre les infidèles. J'élèverais des bûchers. Je conduirais la guerre sainte. Je tuerais au nom de mon dieu à moi. J'abrogerais l'Edit de Nantes. J'ordonnerais la Saint-Barthélémy. L'intolérance radicale est l'âme de la foi. La tolérance en montre l'abandon.

Ma bible à moi a été écrite par Georges Brassens. Elle commence par ces mots : « Mourir pour des idées, l’idée est excellente. Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eue ». Je n'ai pas failli mourir, mais, comme Tonton Georges, je n'ai pas eu l'idée non plus. Etant entendu que, par commodité, je range toute croyance sous l’étiquette fourre-tout des « idées ». Et vice-versa. 

On peut citer aussi Cioran : « En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé … Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes » (c’est l’incipit du Précis de décomposition). Il a raison. 

Le problème d’une idée n’est pas dans l'idée même, mais dans l’adhésion qu’elle suscite chez celui qui l'a : quand on adhère à une idée, on fait corps avec elle. S’en prendre à elle, c’est attaquer la personne qui la professe, parce qu’elle s’y confond, s’y identifie. Il y a coalescence. Un peu de distance entre soi et l’idée, autrement dit un peu de tiédeur (et même beaucoup) dans la croyance : voilà la solution. Le remède est dans le circuit de refroidissement. Car la croyance est un moteur à explosion.

Ce qui m’occupe ici, ce n’est pas le contenu des croyances, mais leur évolution dans le temps. Je dirai donc que je tiens ce qui s’est passé en Europe chrétienne dans les cinq siècles passés - la grande déchristianisation - pour un Progrès décisif de l’esprit humain. S'il y a Progrès, il réside dans le passage de la croyance dans le pouvoir des choses, à l'invention d’un Panthéon où chaque dieu est spécialisé. Puis dans le passage de ce polythéisme au monothéisme : attribuer à un dieu unique la création du monde. 

Le dernier Progrès se situe au moment où La Fontaine peut écrire cette maxime fameuse devenue proverbe : « Aide-toi : le ciel t'aidera ! », qui signe désormais la méfiance de l'homme envers la divine providence. Où l’homme se dit qu’après tout, il n’a pas besoin de la béquille religieuse, et qu’il est capable, en s’appuyant sur la raison, de se débrouiller tout seul. La raison est un outil tellement perfectionné que ça devrait pouvoir aller. Un croyant me dira que cette confiance (cette croyance) dans la raison est démesurée, outrecuidante et vouée à l’échec. Il n’aura pas complètement tort. La bêtise scientiste a fait assez de dégâts. Il y a aussi des rationalistes fanatiques. 

La confiance dans la raison doit donc elle-même se montrer mesurée. Pour tout dire, elle doit faire preuve de tiédeur. Il lui faut un circuit de refroidissement, car la raison ne comprend pas tout, n'explique pas tout. Je laisse quant à moi le mystère où il est, de même que je laisse soigneusement intacts, sans angoisse, les points d'interrogation. Il est des questions qui n'ont pas de réponse. La recherche personnelle, oui, la quête, d'accord, mais la réponse à tout prix aux questions existentielles : NON !

Là encore, l’adhésion enthousiaste (ceux qui veulent à tout prix coller une réponse après le point d'interrogation) se révèle catastrophique. Je pense ici au courant « transhumaniste » qui rêve de marier l’homme et la machine. Dans tous les cas, l’adhésion enthousiaste est mauvaise conseillère. 

Pire : elle rend aveugle. Comme l’amour, mais en pire. 

J’ai donc Foi dans la Raison, mais une Foi corrigée, modérée, refroidie par le doute. Un doute qui me fait penser à cette géniale nouvelle ("Le Crack") de Paul Fournel, dans Les Athlètes dans leur tête (Ramsay, 1988) où il évoque la façon dont Jacques Anquetil, le champion magnifique (« ... qui était en machine l'homme le plus beau, le plus élégant qu'ait jamais compté un peloton ... »), concevait le vélo : « L'ensemble surmonté d'une tête de chef d'entreprise masochiste, sadique, rusé, gentil ; avec le pouvoir d'aller chercher si profond au bout de soi et de ses forces, avec, enfin, un trait de caractère que je n'ai jamais eu et que je n'aurai jamais : un certain dégoût pour la bicyclette et une tendance très accusée à la laisser au garage plutôt que de s'entraîner ». "Un certain dégoût" pour la religion qu'il professe, c'est ce que devrait éprouver tout curé. Tout croyant. Ce qui s'appelle être raisonnable. La possibilité d'une sagesse. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 26 juin 2012

BICYCLETTE, DOPAGE ET LITTERATURE

Résumé : ce n’est pas la peine de chercher l’exception : dans le peloton du Tour de France, celui qui ne se dope pas, c’est l’aiguille (si j’ose dire !) dans la botte de foin : on ne peut pas le trouver.

 

 

Le cyclisme (professionnel, mais aussi amateur, et très tôt) est donc le monde de la triche organisée et systématique, où les sportifs, s’ils veulent « percer », sont obligés de se procurer hors de leur organisme des « ressources » impossibles à trouver au-dedans. JACQUES ANQUETIL ne disait pas autre chose : « Il faut être un imbécile ou un faux jeton pour s’imaginer qu’on peut courir 265 jours par an sans stimulants ». Il comparait lui-même ses cuisses et ses fesses à « des écumoires ».

 

 

Je signale que LANCE ARMSTRONG, avec ses sept victoires dans le Tour de France, risque dans peu de temps de s’en voir privé, si les poursuites engagées par les instances sportives américaines aboutissent (le coureur est un gros lobby à lui tout seul).

 

 

Il semble qu’elles aient assez de « biscuits » pour conclure, si j’en crois L’Equipe (eh oui, ça m’arrive aussi !), qui sous-titrait récemment un article : « L’Agence américaine antidopage détient les preuves absolues que Lance Armstrong fut un terrifiant tricheur ». Pourquoi « terrifiant » ? Parce tout le milieu a été lâche et complice, et qu’il a si longtemps fermé les yeux ?

 

 

Le déjà nommé ANTOINE VAYER s’étonnait (?), en 1998, que l’équipe Festina au grand complet arrivât groupée, quasiment « en ligne », et « bouche fermée » au sommet de je ne sais plus quel col impossible. Il dit d’ailleurs de ce genre de coureurs : « Plus ils roulent, plus ils récupèrent ».

 

 

C’était le rêve d’André Marcueil, le personnage créé par ALFRED JARRY pour Le Surmâle, où cinq cyclistes, sur une quintuplette, font la course (de 10.000 milles) avec une locomotive, aidés par la « perpuetual motion food » (l'aliment du mouvement perpétuel) du bon Dr Elson. ALFRED JARRY fut un précurseur en matière de dopage. Il faudra que j’en parle un de ces quatre.

 

 

Il faut savoir que le taux d’hématocrite dans le sang (proportion des globules rouges) diminue dans les efforts longs et intenses, ce qui rend un sportif impropre à toute performance s’il ne se repose pas pour le reconstituer (eh oui, j’ai essayé de me documenter, mais je ne vais pas vous bassiner avec les données).

 

 

Au cours de toutes les affaires de dopage qui jalonnent la compétition cycliste depuis bientôt quinze ans, j’ai vu passer de temps en temps un article de PAUL FOURNEL, qui regrettait profondément les saloperies qu’on faisait au cyclisme et qui ternissaient son image, mais qui n’a jamais, pour son compte, renoncé à l’amour du vélo. Et on le comprend bien volontiers. Mais son bouquin Les Athlètes dans leur tête date (1988) d'avant l'arrivée de l'EPO, qui donne au pire canasson des ailes de crack.

 

 

Il fait dire à son ANQUETIL (des propos rapportés comme répétés à ses plus proches), dans son dernier livre : « Je crois bien que je n’aime pas, que je n’ai jamais aimé, que je n’aimerai jamais le vélo ». Dans la nouvelle qu’il lui consacre, il fait dire à son narrateur, parlant du vrai crack : « … un trait de caractère que je n’ai jamais eu et que je n’aurai jamais : un certain dégoût pour la bicyclette et une tendance à la laisser au garage plutôt que de s’entraîner ». Mais ce qui est sûr, c’est que FOURNEL, qui aime le vélo, est carrément baba devant le champion qui porte le nom de JACQUES ANQUETIL.

 

 

C’est qu’avec FOURNEL, on a vraiment l’impression d’être dans le bonhomme qui agite les jambes sur sa bicyclette, d’être au fin milieu du peloton, avec les amabilités diverses qui se déversent pendant une course : on ne voit pas pourquoi les mecs seraient muets, mais le spectateur se demande toujours : « Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se dire ? ».

 

 

Dans Les Athlètes dans leur tête, je passe sur « La Course en tête », où le Portugais dont il est question fait le vide autour de lui, à cause d’une trajectoire erratique, et dangereuse pour ses voisins, surtout dans les sprints finaux. Une nouvelle qui commence par : « Il en va souvent ainsi des cyclistes : les plus malicieux manquent de cuisses et les plus cuissus manquent de malice. Ce Portugais était très cuissu ». A cause de l’ellipse, on dirait du VIALATTE.

 

 

 La nouvelle finit par : « … il avait eu la sensation fugitive que le Portugais n’était pas vraiment mécontent de voir arriver cette bordure de trottoir en plein dans sa figure, à la vitesse d’une dernière gifle de béton ». Là, je ne peux pas dire qu’on dirait du VIALATTE, mais je me demande si VIALATTE n’aurait pas aimé écrire une phrase comme ça.

 

 

J’aime bien la nouvelle « Gregario » (le troupeau de l’équipe, au service exclusif de la vedette). A cause de quelques phrases, peut-être. Le gregario parle d’Yvon, le sprinter : « C’est lui qui fait rentrer l’argent dans l’équipe, c’est lui qui lève les bras sur la ligne pour qu’on puisse lire « Salami-Store » sur son maillot, à la télé, dans les journaux. Dans notre équipe, on roule pour du saucisson ». Il n’y a pas à dire : PAUL FOURNEL prend le monde tel qu’il est. Il n’en cache rien, il ne se fait aucune illusion, mais il « y va », comme on dit. C’est un choix. Ce n’est pas le mien, mais là, je respecte, parce qu’il sait écrire.

 

 

Je passe très rapidement sur « Méticuleux », canular montrant le gars qui se la joue, mais qui n’a plus envie que d’une chose : se taper la cloche dans une bonne auberge, après avoir fait semblant de partir pour l’Izoard. Je passe aussi sur « La forme », qui raconte la bonne journée (il arrive 30ème de l’étape) d’un basique qui s’étonne d’être encore dans la course. Aujourd’hui, « il était monté comme dans une chanson (…). Le revêtement rendait bien, les boyaux sifflaient juste, il passait en danseuse sans à-coups… ».

 

 

PAUL FOURNEL, on ne  dira pas le contraire, aime et connaît le vélo.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Le meilleur reste à venir.


 

lundi, 25 juin 2012

JACQUES ANQUETIL ET LE DOPAGE

Voilà, PAUL FOURNEL a enfin concrétisé un vieux rêve : consacrer tout un livre à une des idoles de son âge enfantin, qui s’appelle JACQUES ANQUETIL. Le livre s’appelle Anquetil tout seul (Seuil, 16 €). Ce n’est pas un gros livre : 150 pages. Je ne l’ai pas encore lu. Je ne sais d’ailleurs pas si je le lirai, parce que, franchement, ANQUETIL, hein …

 

 

Pourquoi je dis que c’est un « vieux rêve » ? Parce que le bouquin sur le cycliste me fait irrésistiblement repenser à un autre livre du même PAUL FOURNEL : Les Athlètes dans leur tête, paru en 1988. C’est un recueil de nouvelles. L’ensemble est absolument délicieux. Vingt-deux histoires très courtes qui racontent toutes un moment particulier, peut-être décisif, dans la vie d’un sportif de haut niveau, cycliste, perchiste, haltérophile, skieur, enfin toute la panoplie.

 

 

On m’apprendrait que PAUL FOURNEL a une préférence marquée pour le vélo qu’on ne m’étonnerait pas : pas moins de six récits le mettent en scène. Des miettes pour les autres sports, mais des miettes à grignoter sans hésiter.

 

 

Car ce qui est bien, dans les sports racontés par l’auteur, c’est la manière, l’attitude, le style, si on veut : à la fois amusée, un peu distante et en même temps pleine d’affection (ne parlons pas d’amour) pour les activités sportives et pour ceux qui les pratiquent : « … car le sport était une des plus belles choses que l’homme ait inventée pour toucher les hommes ». Si ça, ce n’est pas une déclaration d’amour, moi je suis un Nambikwara converti au bouddhisme option mahayana.

 

 

Moi, le vélo, je n’ai rien contre, à condition de ne pas abuser. Depuis le scandale de 1998 sur le Tour de France (d’où vient le célèbre « à l’insu de mon plein gré » du regretté RICHARD VIRENQUE : est-ce de lui ou des Guignols de l’info ?), je lis dans les journaux les chroniques d’ANTOINE VAYER, un spécialiste qui prouve le dopage par la puissance mécanique développée (calculée en watts).

 

 

FREDERIC PORTOLEAU, son confrère, définit ainsi la puissance : « La notion de puissance est assez simple à comprendre. Pour un système mécanique en rotation comme un pédalier, la puissance est égale au produit du couple moteur, lié à la force appliquée sur les pédales, par la fréquence de rotation (vitesse). Un coureur en très grande forme qui dispose d’un fort potentiel physique va mettre un grand braquet et tourner vite les jambes: sa puissance sera élevée.»

 

 

ANTOINE VAYER donne les précisions suivantes : « Comment procède-t-on ? Comme vous, devant votre télévision : on enclenche le chronomètre au point de départ précis référencé pour les principales difficultés du Tour 2009 et on l’arrête au sommet. Nos mesures tiennent compte de paramètres abscons mais tout à fait scientifiques comme, entre autres, la surface frontale, le coefficient de roulement, le pourcentage de la pente, la densité moyenne de l’air ».

 

 

PORTOLEAU et VAYER, eux, ils se fichent donc pas mal de l’analyse d’urine, de la prise de sang et de tous les efforts dépensés (c’est le mot !) pour y trouver les traces de substances prohibées par la noble « charte déontologique » du sport : ils analysent les performances du coureur. Ils collectent toutes les données chiffrées possibles, enfin tout ce qui peut se chiffrer par l’observation des faits.

 

 

C’est quand la course est terminée que le travail commence : on applique alors sur toutes les données collectées une grille qui permet de déterminer la puissance développée par le coureur au cours de l’étape. PORTOLEAU et VAYER arrivent à la conclusion que le maximum auquel puisse arriver un athlète normalement constitué est une puissance développée de 410 watts, sachant que le coureur du dimanche correctement entraîné est capable de développer entre 200 et 250. A partir de 410, il y a objectivement dopage.

 

 

Pour le Tour 2011, voici ce que dit ANTOINE VAYER : « C’est 23 coureurs à 31 km/h de moyenne dans la pente finale de Super-Besse à 5,75 % de dénivelée, derrière Rui Costa, le vainqueur qui revient d’une suspension pour usage de Méthylhexanamine. C’est une foultitude d’Eddy Merckx côté potentiel athlétique qui mène la bande 2011 à 41,32 km/h de moyenne horaire après neuf étapes (quel cru !). ».

 

Dimanche 19 juillet 2009, lors de l'ascension vers Verbier, ALBERTO CONTADOR a établi un record de vitesse : il a parcouru les 8,5 km de montée (7,5 % de pente moyenne) en 20 min 55. Jamais un coureur du Tour n'avait grimpé aussi vite. Selon ANTOINE VAYER, dans Libération, le coureur espagnol aurait eu besoin d'une VO2 max (consommation maximale d'oxygène) de 99,5ml/mn/kg pour produire cet effort. C’est rigoureusement impossible pour quelqu’un qui a un peu étudié la physiologie humaine. Et ça fait une puissance développée de 506 watts !!!

 

 

Et il fait semblant de s’étonner que, dans le col de la Croix, ce ne soient pas moins de 80 coureurs qui grimpent à 393 watts ! HORNER, à Mûr-de-Bretagne, développe « 453 watts pendant 4’16’’ dans la côte finale », c’est-à-dire un VO2 max de 87,5. Mais HORNER « s’est cassé le nez derrière huit coureurs "anaérobies" plus puissants à 515 watts » (cinq cent quinze ! à comparer aux 150 de monsieur tout le monde) ; « ils auraient au-delà de 95 » de VO2 max.

 

 

Le vélo est une chose merveilleuse, à condition d'en sortir.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Promis, demain, je reviens à la littérature, à ANQUETIL, à PAUL FOURNEL.

 

 

 

 

 

samedi, 30 juillet 2011

DE LA PROPRETE DANS LE TOUR DE FRANCE

Le Tour de France est enfin fini. Ils ont fini par visiter « la plus belle avenue du monde », qu’on se le dise.

 

 

C’est génial, le Tour de France : c’est une vraie légende, c’est entendu. Depuis 1903 exactement. Au passage, je signale que, si une étape de 250 km est considérée aujourd’hui comme quasiment inhumaine, les cyclistes de 1903 étaient des surhommes. Pensez : seulement six étapes, dont la première, Montgeron – Lyon, fait 471 km. Et les vélos n’étaient pas les mêmes : plus de onze kilos (aujourd’hui, moins de sept).

 

 

Alors la légende, il y a ceux qui la font vivre, qui la propagent et la perpétuent. Ceux-ci se divisent deux groupes : les gros lards qui mangent leur casse-croûte sur le bord de la route, autrement dit les spectateurs, on pourrait aussi bien dire les « croyants » : ils vont comme à la messe. Les autres, ce sont tous ceux qui ont intérêt à ce que la légende perdure et se renforce : organisateurs, journalistes sportifs, cyclistes. Car plus elle perdure, plus ça leur rapporte.

 

 

Et puis il y a ceux qui ne peuvent pas supporter la farce de cet héroïsme en mie de pain, et qui se postent dans la côte du col des Montets pour que les coureurs aient bien le temps d’entendre les injures qu’ils leur décochent, au risque de prendre des coups de la part des fanatiques rangés le long de la route. C’est évidemment au dopage que je pense.

 

 

Alors, dopés ou pas dopés, les coureurs ? La réponse est claire : dopés, mon général ! Et CABU a raison de les dessiner avec plusieurs seringues plantées dans le dos. Et cela dès les débuts de la compétition. Les frères PELISSIER donnent la recette du « pot belge » au journaliste ALBERT LONDRES dès les années 1920. Son livre Les Forçats de la route paraît en 1924. Il paraît même qu’on utilisait un mélange à base de café et de strychnine (poison de formule C21 H22 N2 O2, stimulant à très faible dose).

 

 

Et pendant un demi-siècle, il valait mieux ne pas crier trop fort que le dopage était une honte : une nette majorité de gens était favorable à l’usage de substances capables d’ « aider » le sportif. DE GAULLE lui-même s’en fichait éperdument. La seule chose qui comptait pour lui, c’était la Marseillaise à l’arrivée. JACQUES ANQUETIL disait : « Laissez-moi tranquille. Tout le monde se dope. Pour savoir si je me dope, il suffit de regarder mes fesses et mes cuisses : de véritables écumoires. ». C’est à se demander pourquoi, aujourd’hui, le dopage est devenu un scandale inadmissible. Et punissable.

 

 

Allez, je m’offre une petite parenthèse sur JACQUES ANQUETIL, le crack des cracks. « Le crack », c’est le titre d’une délicieuse petite nouvelle qu’on trouve dans Les Athlètes dans leur tête, de PAUL FOURNEL (éditions Ramsay, 1988). L’action se passe à Yssingeaux. On est dans les critériums d’après Tour, « ces épuisantes et lucratives balades ».

 

 

Mais quelque chose cloche. « Il était livide, les yeux bordés de noir, les lèvres blanches. » L’équipier est aussi catastrophé que les organisateurs : « le grand Jacques », dans cet état pitoyable ! Lamentable ! Il est convenu que Jacques abandonnera discrètement, conduit par lui jusqu’à son hôtel. Il n’a jamais tant transpiré. Il vacille sur son vélo. Les gars du peloton viennent à tour de rôle contempler l’épave.

 

 

Mais à 500 mètres du but fixé, « je sentis son souffle et il vint se placer à ma hauteur. Je n’oublierai jamais le regard qu’il me lança : un regard glacé, tranchant, plein. Et il me posa cette question ahurissante : T’as pas deux sucres ? ». « Bien entendu, je ne le revis qu’après l’arrivée. Il gagna le critérium après avoir offert un festival au peloton médusé. Il volait. » La conclusion n’est pas triste : « Tout le monde apprit ce jour-là que le vrai crack, c’est celui qui est capable de cuver en pédalant une cuite à coucher un bataillon. Je m’en doutais déjà. ». PAUL FOURNEL est fondu de vélo. Je ferme la parenthèse.

 

 

Suite et fin au prochain numéro.