dimanche, 09 décembre 2012
L'HOMME QUI FIT FUMER LA FEMME
Pensée du jour :
QUAND UN AVEUGLE PREND DES PHOTOS, VOILA CE QUE CA DONNE
IL S'APPELLE EVGEN BAVCAR, IL EST NE EN SLOVENIE
(authentique, évidemment, et il sait visiblement ce que c'est, une femme nue !)
« Rien n'est plus étrange que la mer. Elle part, elle vient, repart, revient, elle se berce ; et elle fait des songes. Elle rêve des îles, des ports et des soleils couchants ; au sud, à l'horizon, elle rêve Alexandrie, mirage nacré, impalpable vapeur, jeu d'étincelles ; au nord, houleuse et couleur de hareng, elle rêve de grands clairs de lune, et les phares de la côte anglaise. Elle rêve les jonques et les lanternes vénitiennes, les éponges et les madrépores, elle rêve de tout, elle se nourrit de reflets et se nourrit de coquillages, des baleines mortes et des cadavres de marins ; elle enfante surtout les nuages, formes mouvantes commes les sculptures de Brancusi, qui s'entre-effacent et s'entre-engendrent à la façon des musiques de Mozart : la mer est un sculpteur abstrait ».
ALEXANDRE VIALATTE
Résumé de l’épisode précédent (d'avant-hier, en fait) : le petit EDWARD BERNAYS est devenu grand en écrivant Propaganda (1928), un livre de chevet pour GOEBBELS, HITLER, STALINE, et un « credo » pour tout publicitaire qui se respecte un peu.
SALE ENGEANCE : ÇA MEURT A 103 ANS !!!
Chargé de vendre la cigarette à toute la gent féminine (et pas « gente », qui est un adjectif qualificatif, comme l'ignorent les ignares), il « libère » la femme en établissant un lien entre la « Torch of Freedom » de la Statue de la Liberté et la cigarette allumée, que seront dès lors autorisées à arborer toutes les femmes américaines.
Soit dit en passant, on ne m'enlèvera pas de l'idée que le BOUT DE SEIN joue pour l'imaginaire des hommes un rôle assez voisin de celui du GLAND (selon la psychanalyse) pour l'imaginaire des femmes, et que l'incandescence du bout de la cigarette a quelque chose à voir avec le BOUT DE SEIN, dans l'imaginaire masculin. On nage en plein érotisme, comme on le voit, par exemple avec la photo de la pin-up à poils (de moustache) ci-dessous.
Oui, il faut préciser que la torche que la Liberté tient dans la main droite s’appelle en américain : « Torch of Freedom ». C’est comme ça que la cigarette allumée, délicatement tenue par deux doigts d’une exquise main féminine, devint à son tour la « Torche de la Liberté ». Et vive la métaphore ! Tout est dans la nomination, on vous dit.
Ben oui, il suffit de donner à la chose désagréable le nom adéquat pour faire passer sans douleur la dite chose : appelez donc votre plan de licenciements massifs « Plan de Sauvegarde de l’Emploi », et soudain vous verrez, tout change. On appelle ça la magie de l'EUPHEMISME. VICTOR KLEMPERER a longuement étudié ça sous le règne d’HITLER (dans LTI, la langue du 3ème Reich, une lecture indispensable).
GEORGE ORWELL, avec sa "novlangue" (dans 1984), a lui aussi bien cerné le problème ("l'esclavage, c'est la liberté"). C'est pourquoi on peut se demander si la théorie de SIGMUND FREUD n'a pas nourri indirectement le système hitlérien, à commencer par sa dimension de propagande ? Il y a de quoi se demander, non ? Mais pour revenir à la campagne publicitaire d'EDWARD BERNAYS, ça ne suffisait pas.
Pour que l’événement fasse date, pour que la campagne atteigne efficacement son objectif, il faut frapper les imaginations, il faut que toute la presse en parle, il faut que tout le pays en parle, il faut du spectaculaire et du scandaleux. Et c’est là que le savoir-faire d’EDWARD BERNAYS va faire merveille.
Chaque année, la ville de New York organise une « manifestation-spectacle ». « New York Easter Parade », ça s’appelle. Un événement annuel de portée nationale, qui a lieu depuis 1880. On va stipendier une cohorte d’accortes bougresses artistement vêtues, on va prévenir en douce les photographes et autres journalistes qu’il va se passer quelque chose et qu’ils doivent se tenir prêts.
NEW YORK EASTER PARADE 2012 !!!!! ÇA CONTINUE !!!!
Et le jour du « Easter Sunday » 1929, quand la troupe des jolies femmes sort des sacs à main une cigarette, que chacune la porte à ses lèvres pulpeuses et, comble du culot, en allume l’extrémité, tout est prêt, EDWARD BERNAYS peut dire que sa campagne est un succès et qu’il a mérité son gros chèque. Les images scandaleuses s’étalent en « une » des journaux, de l’Atlantique au Pacifique.
Les femmes peuvent désormais se proclamer « libérées » par la grâce d’une magistrale campagne de publicité. On est en 1929. L’industrie du tabac peut se frotter les mains. « La moitié du ciel » (les femmes, selon MAO TSE TOUNG) va faire pleuvoir les pépètes, pésètes et autres picaillons dans son porte-monnaie largement ouvert sur les profondeurs abyssales des comptes en banque des actionnaires enchantés. Le « marché », en un clic, a tout simplement doublé de surface.
Bon, alors, le lecteur va me dire maintenant : « Mais qu’est-ce qui te permet, blogueur excessif, de considérer EDWARD BERNAYS comme un quasi-génie ? ». Bonne question. Qu’est-ce qu’elle prouve, la campagne pro-tabac de 1929 ? Qu’est-ce qui fait de son auteur un révolutionnaire ? Tiens, juste un avant-goût : le premier paragraphe de Propaganda.
Au moins, on se dit qi'il ne prend pas de gants, EDWARD BERNAYS. Et ça n'est que le tout début de 110 pages qui décoiffent (je ne compte pas la préface). J'attire juste l'attention sur "gouvernement invisible".
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, art, france, société, culture, alexandre vialatte, littérature, humour, edward bernays, propagande, publicité, public relations, goebbels, hitler, staline, communication, statue de la liberté, sigmund freud, victor klemperer, lti, new york, mao tse toung, grammaire, langue française, propaganda
vendredi, 06 juillet 2012
UN PARFUM DE TROISIEME REICH (1)
Bérurier, vous savez, c’est, pour le commissaire San Antonio, comme un alter-ego, mais ce que San Antonio est en propre, jeune premier et séduisant, Bérurier l’est en sale, et le plus souvent répugnant. N’empêche que FREDERIC DARD a élaboré un sacré personnage : gras du bide, la braguette ouverte, c’est lui qui s’arrache les poils du nez et laisse échapper une larme suite à l’opération.
LE "GRAVOS"
Dans Votez Bérurier (Fleuve Noir n° 56, 1964), comme il y a une élection municipale dans le village de Bellecombe, où le commissaire enquête, l’inspecteur, incognito, se porte candidat, et son discours de candidature débute sur ces fortes paroles : « Bellecombais, Bellecombaises… ». L’amateur que je suis raffole de ces petites facéties de l’écrivain, même si l’adjoint de San Antonio se permet de faire passer les messieurs avant les dames, sans quoi l'effet du jeu de mots serait raté. Mais Bérurier n’est pas un homme politique.
Car oui, l’homme politique, élevé dans la langue de bois maternelle et le « politiquement correct », inverse et déclare : « Les Françaises et les Français… ». Le maire de Paris : « Les Parisiennes et les Parisiens… », de Marseille : « Les Marseillaises et les Marseillais… ». Qu’y a-t-il là de politiquement correct, me dira-t-on ?
Eh bien, tout simplement qu'en bonne grammaire, le masculin est « générique », alors que le féminin est « marqué ». On dit aussi : le masculin l’emporte sur le féminin, mais c’est mal vu et C'EST EXACTEMENT ÇA, le politiquement correct : cette formule est une insulte à l’égalité de l’homme et de la femme. Inutile (ou utile au contraire) de dire que l’idée même d’insulte est proprement ridicule.
La pensée choisit peut-être les mots capables de l'exprimer, c'est bien possible, mais aujourd'hui, les mots médiatisés façonnent la pensée des masses. Sinon, je ne comprends pas comment NICOLAS SARKOZY a pu être élu en 2007, pas plus que FRANÇOIS HOLLANDE en 2012. On appelle ça la PROPAGANDE (lisez Propaganda, d'EDWARD BERNAYS, le neveu de SIGMUND FREUD, un des principaux inventeurs de la gestion des populations au vingtième siècle).
VICTOR KLEMPERER, L'HUMBLE ET NOBLE
SCRIBE DE LA LANGUE HITLERIENNE
VICTOR KLEMPERER a écrit un ouvrage mémorable sur la langue du III° Reich : LTI – Notes d’un philologue, paru en 1947 (édition Pocket, collection Agora, n° 202), où LTI signifie, en français, Langue du Troisième Reich (« Lingua Tertii Imperii »). George Orwell, en 1948 (dans le livre plus célèbre que lu 1984), imagina la « Novlangue », autrement dit la réécriture de l’histoire et de la réalité (voir les retouches de photos officielles sous STALINE).
Le point commun de toutes ces conquêtes impériales de la langue de tous, celle que nous parlons, c’est la généralisation de l’euphémisme : on ne dit plus « élève borné » ou « cancre », mais « apprenant à apprentissage différé », car il ne faut plus humilier personne, dans notre société d’égalité (handicapés, femmes, homosexuels, arabes, noirs, juifs et tutti quanti), ce qui est un progrès indéniable et décisif, n’est-ce pas.
Cela veut dire qu’on a le droit d’être con ou salaud (on est en démocratie), mais personne n’a le droit de le dire, sous peine de correctionnelle (on est sous l’œil des miradors et des gardes-chiourme, il paraît que c’est compatible avec la démocratie, si, si !). Il est désormais interdit de porter un jugement. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit encore permis d'exercer son jugement, comme nous l'ont enseigné les LUMIERES.
Mais il faut aussi compter avec la liste toujours plus longue des interdits : le vrai et juste combat des minorités américaines (les noirs, pour tout dire) pour la reconnaissance de leurs droits a abouti paradoxalement à installer une POLICE DE LA LANGUE (on ne dit plus un noir, mais un Africain-Américain, alors même qu'entre eux, les noirs s'interpellent "hey, nigga" ; on ne dit plus un nain, mot affreux, mais une « personne contrariée dans sa croissance verticale »), en attendant la POLICE DE LA PENSEE, qui s’est déjà imposée dans le paysage.
On ne doit plus, aux Etats-Unis, dire "un noir", mais un "africain-américain". Il n'y a plus de "bombardements", mais des "frappes", éventuellement "chirurgicales". Il n'y a plus de "victimes civiles", mais des "dommages collatéraux". On ne parle ni de "rigueur", ni d'"austérité", mais "du sérieux dans la gestion comptable des deniers publics". Je pourrais continuer longtemps.
Attention, mon frère, aux mots que tu prends pour parler des handicapés, des femmes, des homosexuels, des arabes, des noirs, des juifs (surtout des juifs, mais ils sont talonnés, pour ce qui est des moyens de pression) et des tutti quanti.
FRANÇOIS RABELAIS, en son temps, eut des problèmes avec les autorités et la justice, mais jamais pour une histoire de mots : ce sont les idées qui sont ou non porteuses de force, subversive ou non. De nos jours, la police a resserré son étreinte : il ne s’agit plus d’idées subversives – puisque plus RIEN n’est désormais subversif (c’est la société tout entière qui se subvertit elle-même en permanence), du fait même que TOUT est en soi subversif (se prétend tel, ou est célébré comme tel, évidemment). Du coup, le policier et le juge s'en prennent aux mots mêmes.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : san antonio, bérurier, littérature, politique, novlangue, frédéric dard, votez bérurier, fleuve noir, politiquement correct, political correctness, nicolas sarkozy, françois hollande, propagande, edward bernays, sigmund freud, victor klemperer, lti, staline, george orwell, handicapés, femmes, homosexuels, arabes, juifs, noirs, euphémisme, françois rabelais