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dimanche, 02 décembre 2012

C'EST MOI LA SOCIETE PERE NOËL !

Pensée du jour :

POURTRAIT 4.jpg

"POURTRAIT" N°4

« Il semble, d'après les journaux, que l'hiver ait débuté par un froid assez vif. En Slovaquie on signale moins soixante. En Alsace le marc de prune gèle à mi-pente dans l'estomac du cantonnier. A paris il a fait moins quinze ; à Besançon, qui est cependant une ville beaucoup moins importante, on a obtenu mons vingt-huit ! Les Marseillais, pour se vanter, ont de la neige. Le loup ne trouve plus pour se nourrir que quelque vieillard attardé qui a un petit goût d'os sec et de pantalon de velours. C'est une misère épouvantable ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

NOËL HADDON COCA.png

FRANCHEMENT, JE NE SAIS PAS A QUELLE BOISSON PENSAIT HADDON SUNDBLOM POUR DONNER CETTE MINE VERMEILLE A SON PERE NOËL EN 1931

Je ne sais pas depuis combien de temps les rayons de supermarchés sont bourrés à craquer de jouets et cadeaux à donner la nausée. Je ne sais pas vous mais, hors du fait qu’on s’en met plein la lampe avec des bonnes choses, moi, Noël, je redoute (à Roubaix). N’insistons pas. photographie,alexandre vialatte,littérature,humour,noël,père noël,coca-cola,publicité,cadeau,société marchande,fête,jean anouilh,antigone,société,haddon sunblom

 

 

photographie,alexandre vialatte,littérature,humour,noël,père noël,coca-cola,publicité,cadeau,société marchande,fête,jean anouilh,antigone,société,haddon sunblomBon, c'est vrai, toute l'année, c'est la "Société® Père© Noël"™. C'est toute l'année : « Pour l'achat de deux cacaboudins, le troisième gratuit ; dans ce flacon, 25 % offerts ; madame monsieur, nous sommes heureux de vous annoncer que vous avez gagné un séjour aux Seychelles ». Vous avez noté au passage que c'est le séjour, pas le voyage. Mais ça vaut aussi pour le canapé, la montre ou la tablette numérique : « Venez vite chez nous découvrir votre cadeau». Le cadeau ? Un caleçon à ficelle aérodynamique !

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Si, insistons juste pour dire que c’est à Noël que la société marchande surabonde, que le monde de la consommation exubère, que la folie matérielle qui nous possède se déchaîne. Et moi je vais vous dire, ces hommes et ces femmes chargés de paquets parfois volumineux enveloppés dans des papiers rutilants, ils me font l’effet, à la fois, de victimes et de bourreaux. NOËL AUCHAN.jpg

 

NOËL CARREFOUR.jpgDes victimes de l’organisation consommante et consumante qui est celle du monde où nous vivons, mais des victimes aussi de l’enfant déifié, devant lequel le dit monde se prosterne, pour pouvoir mieux en tirer des profits sonnants. L’énorme chantage qui s’exerce sur les adultes engendreurs de chiarres, de morpions, de babouins, de polichinelles et autres merdeux, s’exerce comme un privilège aux approches de l’égout du 25 décembre.

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J'AI COUPÉ LA PHRASE. IL FAUT COMPLÉTER : "(SE FA)IT ENTUBER".

(NOTEZ LES ROIS MAGES QUI FONT DU TRAPEZE A PRIX INCROYABLE)

Accessoirement, ils sont en même temps des bourreaux : quoi de plus humiliant, en effet, pour la personne qui reçoit, que de se voir offrir la chose dont elle rêvait depuis longtemps secrètement, ou au contraire une espèce de cacaboudin qu'elle s'empressera de vendre dès demain sur eBay ? Dans le premier cas, sa dette est inextinguible ; dans l'autre, elle se voit signifier en face le peu d'estime que lui voue le "généreux" donateur.

NOËL CONFORAMA.jpg

Moi, quand Noël approche, j’ai coutume de mettre sur la platine la Passion selon Saint-Jean. Demandez à H., elle vous confirmera. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce parce que, le jour de la naissance du Christ, notre époque a tendance à le recrucifier ? Reste que, plus Noël approche, plus j’ai tendance à penser à Pâques, à la Croix, à la lance, à la mort. Mais mon cas est forcément pathologique. D'autant plus que je ne suis pas croyant. Mais il est vrai qu'on a forcément des restes.

 

NOËL DECATHLON.jpgAh c’est vrai, je mets aussi sur la platine, une fois pas an, La Pastorale des Santons de Provence, mais ce n’est pas pareil : c’est à cause d’YVAN AUDOUARD, qui y joue un ÂNE inimitable. J’aime bien l’AVEUGLE et le BERGER, peut-être parce que ce sont des solitaires ? Allez savoir.NOËL INTERSPORT.jpg

 

Et le Père Noël en rouge vif ! Tout le monde fait mine d’oublier que le rouge de sa pelisse est exactement le même que celui de la publicité pour Coca-Cola, depuis que la firme a demandé à HADDON SUNDBLOM, en 1931, NOËL HADDON SUNDBLOM.jpgde dessiner un Père Noël buvant du Coca, pour que les gamins continuent à en boire pendant l’hiver.NOËL ORANGE.jpg Et que le crétinisme du personnage donne un faux job de quelques heures à quelques désœuvrés qui ont d’ailleurs du mal à faire tenir leur barbe et leur tignasse blanches. 

 

 

NOËL MEDOR.jpg

Non, une fois pour toutes, Noël est la plus grande fête de l’Occident chrétien, marchand et autrefois guerrier, parce que chacun est invité, durant quelques instants, à croire qu’il n’est pas seul sur cette Terre. Qu’il est aimé. NOËL SFR.jpgEt à faire croire aux autres, éventuellement, qu’il les aime. Et que chacun s’accroche à ce « storytelling » comme à une bouée de sauvetage. Peut-être parce que renoncer à être aimé, c’est décidément trop dur ?

 

 

« C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir. » C’est dans l’Antigone de JEAN ANOUILH. Il y a du vrai, non ?

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ALLEZ, N'AGGRAVONS PAS LE PATHETIQUE DE LA CHOSE

Alors : JOYEUX NOËL !!!!

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NB : les slogans et images dont j'ai illustré la présente note proviennent exclusivement des mignons catalogues de marques diverses que j'ai trouvés dans ma boîte aux lettres. Et j'en avais sûrement jeté quelques-uns auparavant (chinois).

 

 

 

samedi, 01 décembre 2012

MOI, SI J'ETAIS L'UMP

Pensée du jour :

MUR 16.jpg

"MUR" N°16

« Quoi de plus beau qu'une rose, un papillon, ou la règle des participes ? Plus on vieillit, plus on aime les fleurs et la grammaire ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

Moi qui ne suis pas politicien (je m’en voudrais !), je suggère aux cadres et militants de l’UMP catastrophés par la haine que se vouent COPÉ et FILLON, haine qui risque de faire couler le bateau, de faire comme les « socialistes » : appeler ces ceux-là ELEPHANTS. Ça, c’est pour commencer.

 

 

Ensuite, je proposerais, si j’étais dans le zoo UMP (à Dieu ne plaise !), d’adopter, pour résoudre le problème, la solution qu’a trouvée la direction du Noorder Animal Park (tiens, c’est drôle, ça se trouve en HOLLANDE !) pour éviter à ses éléphants de s’entretuer.

 

Je vous explique : Htoo Khin Aye est morte. A 31 ans, elle était présidente de l’UMP locale, chez les douze éléphants de ce zoo situé dans la riante cité d’Emmen, aux Pays-Bas. Que s’est-il passé alors ? Eh bien, ça a été la bagarre. Et chez les éléphants, ça ne rigole pas, je vous jure. Deux femelles briguaient le siège présidentiel : Mingalar-oo, la fille légitime de la défunte, a d’abord pris le pouvoir.

ELEPHANT PHOTO.jpg

PAUVRE GAMIN !!!!

Mais Htoo Yin Aye, la doyenne d'âge (pensez, 30 ans et toutes ses dents) ne l’entendait pas de cette oreille : elle les a agitées violemment. Elle a barri très fort. Et au Noorder Animal Park, où l’on n’avait jamais vu ça, ça a été la bousculade générale. Les douze membres de l’UMP éléphantesque locale en sont venus aux trompes, et ont été bien près de donner de la défense contre leurs congénères. La situation est devenue intenable, d’après WEBREN LANDMAN, la biologiste du Parc.

 

 

Eh bien vous savez ce qu’elle fait, la direction ? Elle DONNE les quatre dissidents à qui en voudra. Elle en FAIT CADEAU, de ses éléphants belliqueux. Alors je pose la question : pourquoi l’UMP française n’en ferait-elle pas autant ? Imaginez la petite annonce : « Parti politique d’opposition, très riche en adhérents, cède à qui en voudra, deux dirigeants méchants, GRATUITEMENT ». Je sens que ça va se bousculer au portillon. 

COPE 3.jpg

Vous avez un peu de place dans un coin du salon ? Adoptez JEAN-FRANÇOIS COPÉ. Quelques granulés, une gamelle d’eau, une bonne litière : il n’en demande pas plus. Une sortie le matin, une sortie le soir pour les besoins. Apprenez-lui le caniveau, vous verrez qu’il sera très docile. Seule précaution : une bonne laisse et une muselière sont conseillées. 

FILLON.jpg

Vous avez une niche dans le jardin ? Votre Médor vient de claquer ? Adoptez FRANÇOIS FILLON. Là, plus de muselière : votre propriété est protégée efficacement contre toute tentative d’intrusion malveillante, et vos tableaux, tapis, bibelots précieux sont durablement en sécurité. Un peu d’affection, quelques caresses, quelques croquettes : il n’en demande pas plus.

 

 

Elle est pas belle, ma proposition ? Qu’enfin un homme politique devienne utile ! Qu’enfin, il serve à quelque chose ! L’avenir est à l’homme politique domestique. Adoptez un COPÉ !!! Adoptez un FILLON !!! Votre vie va changer !!!

 

 

Seul problème : je n'ai pas demandé à la SPA si les deux espèces ("espèces de ... !", évidemment) étaient dûment recueillies par eux, en cas de départ en vacances inopiné, ou si l'on se contentait de les faire piquer séance tenante, parce que trop encombrantes.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 28 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (fin)

Pensée du jour :

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"IDEOGRAMME PIETON" N°34

 

« Il faut faire le point de temps en temps.

Où va l'homme ? De plus en plus loin.

Mais il n'y va pas d'un seul coup. Il y va parfois même à regret. Disons qu'il y va par paliers, et de temps à autre par saccades. Avec des pauses, des reculs, des regrets et des temps morts. Il prend le loisir d'examiner ; surtout dans le Sud où la température s'y prête. C'est là qu'est née la civilisation. Et on se demande d'ailleurs ce que peut bien faire l'homme loin de ces mers tièdes où le marbre chaud permet de s'asseoir et de réfléchir ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Supposons que l’ornithologue français discute du Pipit farlouse avec son homologue allemand : il y a tout lieu de douter que ce dernier entende le même psit-piit-piit. Et l’Œdicnème criard, que devient en italien son crou-i-i grinçant ? Certes la question n’est pas susceptible de gâter les relations internationales, d’autant plus que le volatile est d’une correcte laideur, mais je pose la question : « Que devient la Science ? ». Et quid en anglais du bas et rauque krikk-ac’h-ac’h de la Sterne de Dougall ?

OEDICNEME CRIARD.jpg

DIRE QUE CE TYPE VA SEDUIRE UNE FEMELLE POUR SE REPRODUIRE ! ...

(oedicnème veut dire : "jambes gonflées")

 

Et la question est d’autant plus térébrante pour le cerveau ordinaire que, enregistré sur bande magnétique, le dédévoui-tévoui (en français) produit par l’Hypolaïs est, hormis les variantes individuelles, le même dans tous les pays,  encore que l’Hypolaïs, en particulier la Polyglotte, soit une des meilleures imitatrices qui soient. Hormis les variantes individuelles, en effet : je me rappelle un coq enroué, tout juste capable de se réveiller lui-même, un autre incapable de chanter deux fois la même séquence, et un autre encore, qui s'arrêtait à la deuxième syllabe, un velléitaire quoi. Certes, mais le problème global demeure global.

 

 

Je ne demande pas l’impossible. Il ne saurait être question d’unifier les transcriptions du tsip-tseup-tsip-tseup du Pouillot fitis en français, en tchouvache et en uzvarèche (si cher au cœur d’ALEXANDRE VIALATTE). Et pour faire bonne mesure, en serbo-croate. Non, il faut rester raisonnable. Mais est-ce s’inquiéter à tort que de demander ce que devient en javanais, en telugu, en ourdou le doux hennissement du très élégant milan royal, vous savez, le hiou-hiou-hiouou qui charme les oreilles du randonneur ? Ah, on me dit qu’on ne le trouve pas dans ces contrées abandonnées des dieux. N’y pensons plus. 

MILAN ROYAL 1.jpg

LE MILAN ROYAL ? UNE IDEE DE LA VRAIE ARISTOCRATIE.

En quelle langue sont compris les kiouv-kiouv de notre Chouette Chevêche ? Le kooâc rauque et bref de notre Héron Bihoreau ? Le pu-ûp, ce petit cri flûté de notre Grand Gravelot ? Le lulludilulutillilu de l’Alouette lulu ? Les touik-touik étouffés du bécasseau sanderling ? Le ki-ki-ki du pic épeichette (qui ressemble comme deux gouttes d’eau, reconnaissons-le, au ki-ki-ki-ki du faucon crécerelle et au ki-ki-kit de la sterne naine) ?

 

 

Et moi qui m’attendris volontiers sur le pitsiou de la Mésange Nonnette ou sur les fantaisies de la Bergeronnette des Ruisseaux (tantôt un tschizzir aigu et métallique, tantôt un tsétsétsé assez sec, tantôt encore un délicieux tsui liquide et mélodieux), comment ma tendresse va-t-elle s’accomplir dans une traduction mal maîtrisée en ndébélé, en kikuyu, en gagaouze, voire (mais n’imaginons pas le pire) en auvergnat ?

HUNEDOARA 4.jpg

"ET J'AI, DEUX FOIS VAINQUEUR, TRAVERSÉ L'ACHÉRON" (NERVAL)

(LAC DE CINCIS A HUNEDOARA, "Tota neinte", disait le flic qui nous envoyait à Gelari)

Quel Tchaghataï est à même d’attribuer notre célèbre trré trré trré trré à la Fauvette mélanocéphale ? Quel Oudmourte, notre tsic-tsic-tsic-tictic au Bruant des roseaux ? Quel Hottentot, notre krekreûkeurr, vous savez, cette espèce de grognement rauque, au Canard siffleur ? On nagerait dans l’obscurité dans le lac de Cincis à Hunedoara un soir de l’été 1990, ce serait bonnet blanc et corde à nœuds. Ce serait lune de miel et soleil vert. Ce serait jour de gloire et nuit blanche.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 27 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (2)

Pensée du jour :

RUPESTRE 4.jpg

"RUPESTRE" N°4

 

« Il y a aussi les dictionnaires, dernier refuge, suprême bastion du fantastique. Par exemple, cette édition (assez ancienne) de M. Larousse qui supprimait Napoléon. On y trouvait tout simplement : "Bonaparte : général né le tant, mort le tant". M. Larousse était contre l'Empire, il l'avait supprimé d'un trait. C'est un geste assez sympathique, qui prouve de fortes convictions. Il est vrai que Baudelaire n'était pas mieux loti : il avait droit à quatre lignes. Pour compenser, M. Larousse avait dix pages. Peut-être parce qu'il était moins connu ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je signale pour commencer que j'illustre la présente note des photos (ou dessins) correspondant aux 13 pièces (dans l'ordre, s'il vous plaît) qu'OLIVIER MESSIAEN consacre à ses animaux préférés dans son Catalogue d'oiseaux, augmenté de La Fauvette des jardins. CHOCARD DES ALPES (à droite)CHOCARD DES ALPES.jpg

 

 

LORIOT.jpgLORIOT Le bon peuple – ne parlons pas du jeune de banlieue dont l’essentiel de l’occupation consiste à assurer le coefficient d’occupation des cages d’escaliers et le soutien des murs écaillés et branlants de la cité – ne sait donc pas que, quand il entend des piet-piet dans l’aigu, il a affaire à un Traquet oreillard. On ne saurait le lui reprocher.

 

 

Mais saura-t-il mieux reconnaître la Barge à queue noire, en percevant, répétées et mélodieuses, des séries de rédo-rédo ? Ce n’est ni sûr, ni évident. Il voudra peut-être savoir que le kou-î sonore et mélancolique est le propre du Courlis cendré, et que le ouhoump-ouhoump-ouhoump (j’adore quant à moi cette exhalaison convulsive, cette bruyante vibration grave) ne saurait appartenir à nul autre qu’au Butor étoilé. Qui ne resterait ébaubi, voire abasourdi, face au kluit-uit-uit du Chevalier culblanc ? MERLE BLEUMERLE BLEU.jpg

 

 

TRAQUET STAPAZIN.jpgTRAQUET STAPAZINJ’ajoute que l’amateur ne saurait se tromper en attribuant au Cincle plongeur, non seulement le discordant tzett-tzett, mais encore le métallique clink-clink (qui n’est pas sans rappeler quelques souvenirs mitigés à l’électeur français, surtout s’il n’aimait pas SARKOZY), dès qu’il les entend. Le badaud reste pantois et ouvre de grands yeux émerveillés s’il apprend dans la foulée que le Cincle, pour se nourrir (larves de phryganes, nymphes de libellules, coléoptères aquatiques, …), réussit la prouesse de marcher au fond du torrent en se faisant plaquer au fond par la force du courant.CHOUETTE HULOTTEHULOTTE 5.jpg

 

 

ALOUETTE LULU.gifALOUETTE LULU Mais pour ma part, tout au moins en matière d'onomatopées ornithologiques, j’absous bien volontiers les spécialistes qui, le plus souvent bénévolement, consacrent tout ou partie de leurs loisirs à observer, écouter les oiseaux, à collecter toutes sortes de données et d’informations utiles à destination des autres spécialistes. Mais trêve de bavardage, et cessons de nous moquer.

 

 

ROUSSEROLLE EFFARVATTE.jpgROUSSEROLLE EFFARVATTE OLIVIER MESSIAEN est un grand compositeur du 20ème siècle français. Pour apprécier pleinement l’incroyable chef d’œuvre que constitue son Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (il est tout à fait possible de faire abstraction de l’Everest de foi catholique qui habite cet immense compositeur, avec par exemple les trois coups de gong en fa dièse majeur du "thème de Dieu" qui reviennent tout au long de cette composition titanesque de 2000 mesures !). Je n’aime pas tout, c’est sûr. La Turangalîla symphonie (prononcer, paraît-il, Touraneguelila) m’est difficile d’accès. Mais son Catalogue d’oiseaux vous transporte sur ses ailes, légères et puissantes tout à la fois. ALOUETTE CALANDRELLEALOUETTE CALANDRELLE.jpg

 

 

BOUSCARLE.jpgBOUSCARLE Il faut le savoir, OLIVIER MESSIAEN (fils de PIERRE, traducteur de SHAKESPEARE, éditions Desclée de Brouwer), a commencé et fini par la musique, mais il fut ornithologue, et un assez bon pour être considéré comme tel par les gens du sérail. Cela ne l'empêcha pas de savoir très tôt (et par coeur) la partition intégrale de Pelléas et Mélisande, dont il chantait de mémoire, devant ses élèves, tous les rôles, en s'accompagnant au piano. MERLE DE ROCHEMERLE DE ROCHE.jpg

 

 

BUSE 10 VARIABLE.jpgBUSE VARIABLE (photo jan scevcik) Il faut le savoir, il se promenait dans les bois, dans la campagne, dans la montagne – souvent en compagnie de sa future compagne, et interprète de prédilection,photographie,alexandre vialatte,littérature,humour,poésie,musique,olivier messiaen,oiseaux,catalogue d'oiseaux,loriot,yvonne loriod,traquet oreillard,merle bleu,vingt regards sur l'enfant jésus,peter hill,anatol ugorski,nicolas sarkozy YVONNE LORIOD, histoire d’autant plus délectable que le loriot (voir photo au tout début), tout au moins le mâle, j’espère que nulle femelle (loriot, s'entend) ne m'en voudra, est un oiseau magnifique –, pour identifier les chanteurs, mais aussi et surtout pour en noter la musique sur de grandes feuilles de papier réglé (des partitions vierges, quoi). TRAQUET RIEUR TRAQUET RIEUR 2.jpg

 

 

courlis cendré.jpgCOURLIS CENDRÉ MESSIAEN a une affection marquée pour le Merle noir : « Le Merle noir – le plus original et le plus complet mélodiquement des oiseaux chanteurs ». Il ajoute des choses étonnantes : « Comme il n’abandonne jamais ce qu’il a trouvé, à chaque printemps, il reprend les thèmes du printemps précédent, en y ajoutant de nouvelles productions ». On entend bien le « ravi », ce santon qui est en extase devant tout ce qu’il voit. MESSIAEN est en admiration devant le spectacle de la nature. Cet homme est né pour célébrer.

MESSIAEN 4.jpg

Retour au Merle noir : « Ce qui peut caractériser le chant du Merle noir : c’est d’abord son registre médium (il est beaucoup moins aigu que beaucoup d’autres chanteurs) – ensuite sa tonalité colorée, joyeuse, où l’on trouve la tierce majeure, le mode majeur, et même l’hypermajeur (par exemple, do majeur avec un fa dièse) – enfin le sentiment mêlé qui se dégage de ses lignes mélodiques, tantôt moqueuses, ironiques, et d’une exubérante gaieté, tantôt calmes, paisibles, presque solennelles ». J’arrête là. Le Merle noir est devenu une « sonate » pour flûte et piano. FAUVETTE DES JARDINSFAUVETTE DES JARDINS.jpg

 

 

Mais il ne dédaigne aucune espèce. Son Catalogue d’oiseaux en comporte 13. Le pianiste ANATOL UGORSKI y joint La Fauvette des jardins (ci-contre). Mais où qu’on regarde dans la forêt des œuvres du maître, on trouve à tous les coins de rues des références au monde des oiseaux, et il n’y a pas ici la place pour tout énumérer. Et quand il se lance dans la composition d’un opéra, le seul, c’est un  Saint François d’Assise(l’ami des oiseaux), plutôt un oratorio qu'un opéra au demeurant, selon MICHEL FANO. Cela n'empêche pas JOSÉ VAN DAM d'y faire merveille.

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YVONNE LORIOD (LE GRAND AMOUR)

Bon, je ne vais pas ici résumer la vie de MESSIAEN (je ne parle pas de l’œuvre, ce dont je serais bien incapable). Le chrétien, ou plutôt le catholique, ne me dérange pas, bien que sa foi puissante imprègne absolument tout ce qu’il a composé, y compris les œuvres où s’exprime en filigrane un amour tout ce qu’il y a de "terrestre". Le sensuel ne lui fait pas peur. MESSIAEN ET PETER HILL.jpg

 

 

Le curieux lira avec intérêt le formidable et passionnant livre que PETER HILL (ci-contre, en compagnie du vieux maître) et NIGEL SIMEONE lui ont consacré (éditions Fayard, 2008 ; PETER HILL fut un élève passionné de MESSIAEN).

 

 

Comme quoi, les petits oiseaux, ça mène à tout, à condition de ne pas en sortir.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 26 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (1)

Pensée du jour :

MUR 10.jpg

"MUR" N°10

 

« Quand, pour la première fois du monde, l'homme se dressa sur ses pattes de derrière, encore tout chiffonné du plissement hercynien, et jeta un oeil hébété sur la nature environnante, il commença par bâtir ses villes à la campagne pour être plus près des lapins, des mammouths, des ours blancs et autres mammifères dont il était obligé de se nourrir. Il n'y avait en effet, si loin qu'il regardât, ni marchand de vin, ni charcutier; pas une boulangerie-pâtisserie, pas une boucherie hippophagique ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

GRIVE DRAINE.jpgMais je ne suis pas un ornithologue, moi ! Adressez-vous à OLIVIER MESSIAEN ! Un oiseau ? Mais je suis infoutu de l’identifier, que ce soit par son ramage ou par son plumage, c’est vous dire. Si, à la rigueur, je peux vous dire que l’oiseau qui, s’étant nourri et désaltéré tout le jour dans les « Marais », se précipite au-devant de la rangée de fusil qui l’attendent de pied ferme au pied de la « Garenne », quand le jour commence à baisser, que l’oiseau, disais-je, est une grive.

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Mais est-ce une « draine » ? Une « litorne » ? Une « musicienne » ? Une « mauvis » ? Ou alors, une grive « à ailes rousses », « dorée », « à gorge noire », « de Naumann », « obscure » ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Pour jalonner cette note, des photos de ces neuf espèces de grives, dans l'ordre de leur nomination.

 

 

Chez les corbeaux, famille bien connue des croasseurs et desGRIVE LITORNE.jpg anticléricaux (mais qui est-ce qui salue encore, d’un « croâ, croâ » claironnant et bien ajusté, l’apparition soudaine d’une soutane noire, devenue rarissime dans nos rues, les curés préférant désormais le gris muraille pour se confondre avec le paysage, tels de vulgaires animaux mimétiques, tel le remarquable phasme, pour échapper à je ne sais quel châtiment que les abus de l’Eglise Romaine appellent à faire tomber dru sur leurs épaules ?).

 

 

GRIVE MAUVIS.jpgBon, le cas du Grand Corbeau est vite réglé, puisqu’il a à peu près disparu. Qui peut se vanter d’avoir entendu le si élégant et si raffiné praak-praak doucement émis du fond de sa gorge délicate ? Soit dit en passant, c’est un des rares oiseaux à maîtriser, en voltige aérienne, la figure dite du looping. Et qu’on ne me ramène pas la bête humaine, quoique goélandiforme, de RICHARD BACH pseudonymisée Jonathan Livingstone.

 

 

Je reviens à mes corbeaux (croâ, croâ) : allez me dire au premier coupGRIVE MUSICIENNE.jpg d’œil si c’est un freux, une corneille, un choucas. Le chocard et le crave, c’est plus facile. Pour le premier, il faut prendre de la hauteur, beaucoup de hauteur : il faut le voir sur certains sommets finir les miettes laissées par de drôles de créatures lourdement chaussées. Il faut aussi et surtout le voir dans ses séances époustouflantes de voltige aérienne le long de parois vertigineuses. De toute façon, il est le seul dans la famille à avoir le bec jaune. Quant à l’autre, avec son bec rouge (enfin presque), je l’aurais sûrement repéré si j’en avais vu un. Mais il est comme le curé en soutane, il se fait rare.

 

 

GRIVE A AILES ROUSSES.jpgDonc je ne suis pas ornithologue. Cela ne m’empêche pas de bien m’amuser en lisant des ouvrages traitant des oiseaux. Pas parce que les spécialistes feraient de l’humour au lieu de faire de la science, non : juste à cause de leurs transcriptions des chants d’oiseaux.

 

 

Le réservoir des onomatopées qu’ils produisent semble inépuisable, àGRIVE DOREE.jpg croire qu’il est placé juste en dessous du tonneau sans fond, pour recevoir tout ce  que les Danaïdes ont été condamnées à y déverser sans fin, au futile motif qu’elles avaient zigouillé (toutes sauf une) les cinquante fils d’Aegyptos la nuit de leurs noces.

 

 

GRIVE GORGE NOIRE.jpgLa mythologie précise que les crimes eurent lieu après. Seul Lyncée en réchappa, parce qu’il n’avait pas osé faire sauter le bouchon du goulot de la vierge Hypermnestre. Les 49 autres profitèrent honteusement de l’irrésistible somnolence à laquelle bien des hommes cèdent, après, pour leur enfoncer en plein cœur la longue épingle que le fourbe Danaos avait fournie à chacune pour qu’elle la dissimule dans sa chevelure. Moralité, sauf exception, la femme est sans pitié, contrairement à ce qu’une vaine opinion colporte complaisamment.

 

 

Reste des tombereaux entiers d’onomatopées, supposées parGRIVE DE NAUMANN.jpg d’estimables scientifiques traduire en sonorités françaises les sons plus ou moins mélodieux que le gosier de tout oiseau est en mesure de produire. Il va de soi que la marge d’erreur sera non négligeable, due à l’irréductible part de subjectivité liée à la réception de la sensation auditive.

 

 

GRIVE OBSCURE.jpgLe bon peuple n’a aucune idée de la subtilité, de l’ingéniosité et de l’imagination quasiment poétique qu’il faut déployer pour traduire, en général, n’importe quel bruit, et en particulier, pour les ornithologues, le chant des oiseaux de nos campagnes, de nos montagnes et de nos riantes cités.

 

 

Pour traduire en trek-trek ce qu’il entend au voisinage de l’outarde canepetière, en un nasal et monocorde quin-quin-quin le signal émis par le torcol foumilier, en une alternance de croo-croo et de touissik produits lors de la croule par la bécasse des bois. Pour rendre avec exactitude et minutie le son presque batracien (un karrac-karrac-karrac-kirri-kirri-kirri-krèc-krèc-krèc) de la rousserolle turdoïde.

FORT 1 BERNARD.jpg

LE DISQUE DE BERNARD FORT EST SORTI EN 1997 

Le monde du volatile sauvage est un trésor inépuisable, où la merveille voisine avec la surprise, où le chef d’œuvre tient l’étonnant par la main.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

dimanche, 25 novembre 2012

DIS-MOI COMMENT TON COQ CHANTE

Pensée du jour :

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"IDEOGRAMME PIETON" N°49

 

« Le sassafras semble bien être, à première vue, comme le frangipanier ou même le chilognathe, quelque salsifis tropical plus ou moins dicotylédone, impropre à l'alimentation, mentionné quelque part par Bernardin de Saint-Pierre. Connu seulement des pharmaciens. Et fait pour être utilisé à la césure dans quelque poème de Baudelaire en raison de son feuillage palmé, ornemental et disposé en éventail autour d'un stipe ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

COQ 5.gif

 

Très tôt, j’ai été frappé par une bizarrerie : tous les coqs de la Terre se comportent de la même manière. Leur chant est identique, que l’on soit en Europe, en Amérique ou au Japon. Et pourtant, ils produisent des sons qui n’ont rien à voir entre eux. Apparemment. Du moins si l’on regarde leur traduction graphique. Et rien n’est plus curieux que la façon dont les oreilles, dans chaque langue, entendent ce qu’elles sont, dirait-on, seules à entendre de cette façon.

 

 

Des coqs, j’en ai entendu des tas, par exemple quand j’allais avec FRANÇOIS (on nous appelait "les Dupondt") chez le père PIC ou chez JOSEPH et MARIE. Chez ces derniers, c’était pour lancer sur les deux énormes cochons de l’enclos de pierre sèche les petits cailloux les plus aigus possibles, pour le seul plaisir d’entendre les bruits qu’ils faisaient alors : je le dis nettement, on ne peut pas appeler ça des chants.

 

 

Même chose, d’ailleurs, quand ils sentaient qu’on venait pour verser, de l’extérieur, dans leur auge (un évidement creux pratiqué dans l’épaisseur du mur) la marmite de soupe, soupe dans laquelle ils plongeaient les pattes les premières. Le cochon ne chante pas. Il paraît que c’est prouvé. C’est sans doute pour ça qu’on ne lui demande pas de réveiller la basse-cour au lever du soleil et qu’on n’en a jamais mis au sommet de nos clochers d’église, où il aurait pourtant, à coup sûr, fait merveille, n'en doutons pas. J'imagine le tableau, non sans un certain contentement.

 

 

La vache ne chantait pas non plus, le soir, quand on allait, FRANÇOIS et moi, boire le lait bourru, après la traite (c’est là que j’ai appris à traire la vache, soit dit en passant). Mais là, plus de coq, évidemment.photographie,alexandre vialatte,littérature,coq,zoologie,basse-cour,cocorico,campagne,poule,chant du coq,chant,musique,langues,florence foster jenkins,serge gainsbourg,chanson,comic strip,bande dessinée,blake et mortimer,edgard pierre jacobs,ep jacobs,jean graton,michel vaillant, Et s’il est vrai que certaines sopranos chantent pire que des  vaches (il est indispensable d’avoir entendu au moins une fois dans sa vie FLORENCE FOSTER JENKINS), il n’a encore jamais été constaté que l’inverse soit vrai.

 

 

Je ne sais plus où ni quand j’ai nourri un désir de meurtre sur un coq capable de pousser la chansonnette autour de 2 heures du matin. C’était souvent, en tout cas. Je vous jure, on a beau dire que le coq est l’oiseau du matin, qu’il annonce le lever du soleil, j’affirme qu’il n’en est rien. Le coq est un animal imbécile, en général complètement déréglé, dont le chant avance ou retarde sur le lever de soleil d’une façon à rendre cinglé le plus humble des métronomes.

 

 

Il reste que, en ce qui concerne le chant du coq, les langues du monde constituent une belle preuve que la Tour de Babel n’est pas seulement le récit mythique d’un prophète biblique inspiré, mais une réalité tangible et irréfutable. Disons le mot : c’est la cacophonie. Pas un coq issu du peuple coq ne parle la même langue que ses confrères, s’ils ont eu le malheur de naître sous d’autres cieux que lui. C’est même à ça qu’elle sert, la Tour de Babel des gallinacés.

 

 

Soyons un instant sérieux : tout bruit est traduit, en parole ou en écriture, par ce qu’on appelle une « onomatopée ». C’est ce que l’ingénieux et pitoyable SERGE GAINSBOURG a tenté de faire dans sa chanson « Comic strip » : « Shebam », « Pow », « Blop », « Wizz ».

 

 

La Bande Dessinée s’en est donné à cœur joie, avec, par exemple, des « Smack » (= gifle, mais aussi gros baiser qui s’entend) en gros caractères pour souligner la force du coup de poing donné (« I will smack your face », dit le gros Sharkey au professeur Mortimer, dans je ne sais plus quel Blake et Mortimer, peut-être SOS Météores), et des « Sob » (= sanglot) pour exprimer la tristesse du personnage.

 

 

Notons qu’une fois importé dans la Bande Dessinée française, le « Smack » désigne drôlement le bruit du baiser tendrement échangé par les deux amoureux. Certains dessinateurs ont même fait proliférer l’onomatopée sur l’image jusqu’à en faire une marque de fabrique, comme JEAN GRATON dans sa série Michel Vaillant, où l’on ne compte plus les VROARR envahissants (voir ci-dessous). 

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Chaque langue s’ingénie donc à transcrire le chant de SON coq. Passons rapidement sur le « Co Co Co », proféré (peut-être : le sujet est controversé) par le coq chinois, qui ne mérite que d’être mentionné. Plantons un orteil en terre islandaise. Que chante le coq sur son fumier volcanique ? Rien d’autre que « Gaggalagaggalago » (sept syllabes !). Ses cousins scandinaves font des « kuckeliku » en Suède et des « kykkeliky » au Danemark.

 

 

Il est important de noter que, si les coqs hollandais et flamands chantent à coups de « kukeleku », le voisin wallon marmonne un drôle de « coutcouloudjou » : on voit par là que la mésentente qui risque de fracturer la Belgique se glisse jusque dans les détails triviaux de la volaille. Le Roumain nasillonne un drôle de « cucuriguuu », alors qu’en face, le voisin turc susurre ses « U-urru-U ».

 

 

Si l’on s’éloigne de nos parages en direction de l’est, on croisera d’abord le « coucarekou » des coqs russes avant de déboucher, au choix, sur le « kokekoko » des volatiles japonais ou sur l’extravagant « ake-e-ake-ake » des coqs thaïs. A-t-on idée ? Ou encore sur l’acceptable « kukuruyuk » qu’on entend dans la cour des fermes indonésiennes.

 

 

Mais pour clore cette petite revue linguistique des onomatopées gallinaciformes, j’ai gardé l’abracadabrant, le considérable, le déraisonnable chant du coq irlandais. Je le donne comme je l’ai trouvé : à la lettre près. Il consiste en la prononciation distincte d’un impossible : « Mac na hoighe slan ». C’est à n’y pas croire. J’attends qu’on me détrompe. On ne me fera pas croire que des coqs qui poussent à tue-tête des « Mac na hoighe slan » puissent être considérés comme européens.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NB : après avoir un peu fureté sur internet, je constate qu'il s'avère qu'on ne peut faire confiance à personne, et que les transcriptions qu'on y trouve prennent systématiquement (en dehors de quelques classiques aussi constants qu'incontestables et irréfutables) la couleur, la résonance et la consistance de l'imagination de celui qui s'exprime.

 

 

J'en conclus, hélas, que nous en sommes réduits, pour cerner avec un minimum d'espoir d'exactitude le chant du coq, à des conjectures aussi incertaines que celles que font les logiciens qui cherchent, dans la rigueur logique des enchaînements de propositions, des preuves de l'existence de Dieu. JESUS ne dit-il pas : « Je te le dis en vérité : cette nuit-ci, avant que le coq ait chanté, trois fois tu me renieras » ? Alors si JESUS lui-même en personne le dit ...

 

 

samedi, 24 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (3/3)

Pensée du jour :

VERRE 1.jpg

"VERRE" N°1

 

 

« Réponse de l'ami antisémite à ma lettre du 30 décembre. Il n'a rien compris. Avec l'obstination et l'obturation invincibles des sectaires de son école, il me reparle "exclusivement" des deux races (celle de Jésus et celle de Judas), comme si cela avait un sens. Rien à faire. C'est la présence du démon ».

 

LEON BLOY 

 

MONT BLANC VU DE LYON.jpg

SA MAJESTÉ VUE DE LYON

Le roi des souvenirs de montagne, je vais vous dire, cela restera à jamais Sa Majesté le Mont Blanc. Une belle aventure. Pour l’occasion, CHRISTIAN (pas le même qu’hier) s’était joint à nous. Je dis « une aventure », parce que, pour agrémenter la balade, nous avions décidé de faire la traversée jusqu’à l’Aiguille du Midi, donc en passant par le Mont Maudit et le Mont Blanc du Tacul, pourquoi se gêner ?

 

 

Trois « 4000 » dans la foulée, remarquez, c’est assez courant, pour ne pas dire banal aujourd'hui. Mais il est indipensable d'avoir une belle forme. Or, à part CHRISTIAN, nous avions un mois de courses derrière nous. Aujourd’hui, je crois bien que les cordées ont tendance à partir de l’Aiguille du Midi pour finir au Mont Blanc. Je ne sais pas quel est le mieux. Peut-être est-ce pour être de retour dans la journée ? Cela me paraît un peu beaucoup, mais bon.

 

 

En tout cas, ça n’a pas réussi à une dizaine d’alpinistes chevronnés, il y a quelque temps, qui ont reçu sur la tête une avalanche de glace tombée de la face nord du Tacul, qui les a projetés jusqu’au Plan de l’Aiguille, à quelques centaines de mètres  en contrebas. A l’époque, nous faisions dans le « classique » : monter au « Nid d’Aigle » par le TMB, puis direction refuge de Tête Rousse, et enfin, Aiguille du Goûter par l’arête jusqu’au refuge du même nom.

 

 

Je me suis laissé dire qu’au départ, la traversée du Grand Couloir était devenue périlleuse. Mais le plus dur, je crois, c’était que, de Tête Rousse, on voit déjà briller la paroi du refuge du Goûter, environ 700 mètres plus haut. Il n’est pas conseillé de trop regarder au-dessus dans ces cas-là. Mais enfin on y arrive.

 

 

Et au moment où on arrive, il est à peu près 17 heures, et là je vous garantis que le spectacle en vaut la peine : « Ô récompense après une pensée, qu’un long regard sur le calme des dieux ». Bon, c’est vrai que PAUL VALERY écrivait ça à propos de la mer (« toujours recommencée », comme il se doit). Mais là, vous êtes assis face au couchant, vous fumez votre pipe (depuis, j’ai arrêté), vous regardez le soleil qui décline éclairer la mer de nuages en lumière rasante, et vous vous dites que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue. Je n'ai pas pensé à prendre mon appareil photo.

 

 

Ensuite, bien sûr, on n’a pas fini : il faut dormir. Et allez dormir à 3800 mètres : il est conseillé de faire des provisions de dodo en boîte avant de venir. Et je ne parle pas du surpeuplement, dans un lieu prévu pour 80 personnes, et où l’on s’entasse jusqu’à s’assoupir tant bien que mal assis à une table ou sur une marche en bois.

 

 

Heureusement, si l’on peut dire, la nuit sera courte : lever à 2 heures. Il fait encore froid, un temps magnifique, un petit air qui monte de la vallée. Nous sommes prêts les premiers. Le Dôme, le refuge Vallot, avec sa drôle de « porte d’entrée » (si l’on peut dire), l’arête des Bosses proprement dite, et nous voilà au sommet, 1000 mètres accomplis à bonne allure. La montée comme dans un rêve. Et l’arrivée juste au soleil qui se lève à l’horizon.

M CHAÎNE MONT BLANC 1971.jpg

LA VERTE (4122) AU FOND, ESQUISSE DES JORASSES A DROITE, AIGUILLE DU MIDI (3842), MONT BLANC DU TACUL (4248), MONT MAUDIT (4465, PREMIER PLAN)

(pour aujourd'hui, on se contentera des trois premiers, photos prises à ma deuxième ascension, je veux dire plus tard dans le matin)

Bon, je sais qu’aujourd’hui, c’est une armée quotidienne de plusieurs centaines de manifestants (selon les syndicats et selon la police) qui se lance victorieusement à l’assaut de cette montagne qui n’est plus sacrée depuis longtemps, et que l’aventure est devenue une routine, mais je peux vous dire que le spectacle est à la hauteur de l’altitude atteinte. C’est bien simple : vous voyez tout en dessous de vous. Et, encore plus fort, rien au-dessus. Si : au-dessus, il y a l'air libre. Le ciel immense. L'azur à l'infini. On s'en remet, mais ça marque au fer rouge.

 

 

L’Aiguille Verte ? Regardez : on la voit toute petite, au loin. Alors autant ne rien dire des 4000 italiens (hors-champ). Un moment de repos, on grignote, et c’est reparti. Mais : « Vous êtes sûrs que vous allez par là ? ». C’est un type à bonnet et lampe frontale qui demande. « Ben oui ». Direction col de la Brenva, par le Mur de la Côte, déjà touché par le soleil, mais la neige, comme on dit, est « bon dur ».

M MONT BLANC VU DE LA BRENVA.jpg

DEPUIS LA BRENVA, PETIT COUP D'OEIL EN ARRIERE ET SUR LE CÔTÉ ITALIEN

Au col, on se dit que, côté italien, il y a la voie de la « Sentinelle Rouge », et j’ai (aujourd’hui) une pensée pour ETIENNE, qui est mort en la gravissant, la « Sentinelle Rouge ». Ce n’était pas un enfant de chœur, je peux vous dire. Après le col, il faut remonter vers le Mont Maudit. CHRISTIAN donne des signes, mais enfin, ce n’est pas le moment. Il faut ensuite assurer la redescente au nord-est vers le col Maudit : le soleil est plus haut, on fait attention, la neige est molle.

 

 

Mais ce n’est pas fini : il faut encore remonter vers le Mont Blanc du Tacul. On n’arrivera pas au sommet. Il faut redescendre. Par la face nord, vers l’Aiguille du Midi. Dernier obstacle : la rimaye, cette grosse crevasse qui marque la rupture de pente. Pas d’autre moyen que de sauter. En queue de cordée, je saute le premier, assuré par ALAIN, qui fait de même avec CHRISTIAN, puis je m’occupe d’ALAIN. Réception impeccable.

 

 

Il ne reste plus qu’à franchir les 300 mètres (en hauteur) qui nous séparent du téléphérique et de la vallée. Je ne dirai pas que c’est le plus dur, mais alors, je vous jure : la soif de ma vie, c'est là et nulle part ailleurs, et ce n’est pas le filet d’eau de neige mise à fondre dans ma gourde qui pouvait me désaltérer. Même pas la double bière que je m’offre, arrivé au bar. Et nous constatons avec plaisir ou vanité que la file d’attente pour redescendre est divisée en « touristes » et « alpinistes ». Un sorte de hiérarchie des valeurs, si vous voulez. Voilà, ce n’est pas grand-chose. Mais c’est beaucoup.

 

 

Mon expérience de l'alpinisme ne fut certes pas himalayenne, elle ne fut pas de « haut niveau », c'est certain. Ce que le français désignait comme « médiocre », avant que le mot ne devienne franchement dépréciatif (ce qu'il n'était pas au départ), c'est là que je situe mon expérience de la haute montagne. Pour dire le vrai de la chose, de ce médiocre-là, j'ai appris quelques petites choses essentielles.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 23 novembre 2012

QUELQUES PAS DANS LA MONTAGNE (2/3)

Pensée du jour :

RUPESTRE 7.jpg

"RUPESTRE" N°7

(je défie qui que ce soit de trouver l'emplacement du gisement)

« Une chère âme nous visite ... Je ne peux rien dire de plus. Il y a des créatures que Dieu a formées tout exprès pour les envoyer, en temps utile, à ceux de ses amis qu'afflige la tristesse. Elles ont, sans le savoir, la mission de présenter le douloureux miroir où la Face de Jésus est empreinte, et c'est la consolation suprême réservée seulement à quelques-uns ».

 

LEON BLOY

 

 

Des jolies choses que nous avons faites ensemble, ALAIN et moi (je devrais dire « sous sa direction », parce que), j’en garde quelques-unes en mémoire : une belle arête Forbes (le Chardonnet), une Aiguille d’Argentière par le couloir en Y, quelques autres.

CHARDONNET 2.jpg

ARÊTE FORBES, CÔTÉ GLACIER DU TOUR (le soir)

Je me souviens en particulier d’une arête sud du Moine, que nous avions attaquée beaucoup trop bas. Une perte de temps qui aurait pu s’avérer  fatale. Une fois au sommet, à peine le temps de casse-croûter, je ne sais plus par quel côté accouraient les nuages, mais il a fallu nous précipiter dans la voie de descente, accompagnés gentiment par la foudre qui tombait dru, alternativement sur une arête et sur l’autre, pendant que les prises se garnissaient de grésil et que nous enchaînions les rappels rapides, tant bien que mal.

 

 

Il ne faisait pas encore nuit quand nous sommes rentrés au refuge du Couvercle, mais le gardien s’apprêtait à s’occuper de notre cas. Le plus fort, c’est qu’ALAIN a profité de ce qu’il restait de lumière pour redescendre dans la vallée. Malgré les Egralets et la Mer de Glace.

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LES EGRALETS

Et quand, à la nuit complètement tombée, il est arrivé au Montenvers, pas question de prendre le sentier : il a tout bonnement suivi la voie ferrée. Ah c’est sûr, il n’avait vraiment pas envie que sa famille s’inquiète. Quant à moi, qui n’avais plus un sou, c’est le gardien qui, au matin, m’a offert mon petit déj’ : il ne voulait pas me laisser partir le ventre vide.

 

 

Ma plus belle frayeur, cependant, ce n’est pas avec ALAIN que je l’ai vécue. C’était dans le cadre du CAF, un stage basé à La Bérarde, dans l’Oisans (une route intéressante pour y arriver). Je ne me rappelle plus comment s’appelait mon camarade de cordée. Nous faisions l’ascension du Glacier Long, j’étais en tête. Vingt mètres au-dessus du camarade, mon pied gauche ripe. Or, j’avais des crampons à l’ancienne, et aux pointes émoussées (toutes les piques à angle droit, depuis on a trouvé mieux).

GLACIER LONG 2.jpg

GLACIER LONG

Je me cramponne (le cas de le dire) à la pointe de mon piolet et à celle de la dernière dent de mon crampon droit. Je le regarde, le camarade, à vingt mètres en dessous : il me regarde. Si je tombe, sa broche à glace saute, c’est sûr, et on se retrouve en bas. Dans quel état, je le sais, il le sait. Mais je ne pense plus à rien, je suis vide. Nous sommes tout seuls : les autres ont déjà basculé au soleil, par en haut.

 

 

Je vous jure, sur le moment, même pas peur : je sens juste la pointe de mon piolet et la pointe de mon crampon qui m’accrochent à la vie. Je peux le dire : je n’ai que très rarement éprouvé ma propre vie avec autant d’intensité.

 

 

Je pense au « novillo » des arènes de Nîmes face auquel je me suis retrouvé étourdiment (mais c’est vraiment de la rigolade, surtout avec les cornes « emboulées »), et je pense à CLARA, dans une tour un peu écroulée du château d’un petit patelin du Bade Wurtemberg, code postal 7108 (là, c’était plus sérieux, mais autre chose, comme plongeon). Je pense à quelques autres moments. Peut-être ce que le grand photographe HENRI CARTIER-BRESSON appelait « l’instant décisif ». Bon, je suis là pour en parler.

 

 

Mais il n’y a pas que la frayeur, dans la vie. Il y a aussi de belles courses. J’étais à ce moment à Samoëns. On était en août. La pleine lune s’annonçait pour la nuit suivante. CHRISTIAN me dit : « Et si on montait au Buet, assister au lever de soleil ? ». C’est parti mon kiki. A 22 heures, nous voilà à pied d’œuvre.

 

 

CHRISTIAN, il connaît le coin comme sa poche. Ce n'est qu'après qu'il est devenu curé. Le Buet (3109 mètres), par le côté Sixt, c’est de la rando, pas de l’alpinisme. C’est plus compliqué que difficile, à cause de l’itinéraire à trouver, surtout de nuit, comme bien vous pensez. On a du mal à se représenter ça, mais une fois que les yeux se sont habitués à la clarté lunaire, ça marche beaucoup mieux qu’on n’imagine. Les rochers sont, d’un côté, habillés d’une blancheur vague, et de l’autre, tout à fait obscurs. L’ambiance est étonnante.

 

 

Et comme le côté Sixt est orienté (en gros) sud-ouest, ce n’est pas le ciel qui va vous informer de l’écoulement du temps. Et là encore, la récompense vient avec le sommet : certes, pour avoir le massif du Mont Blanc bien en face, il vaut mieux aller au refuge du Lac Blanc (les Jorasses au fond), à La Flégère ou au Brévent.

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TOUTES LES AIGUILLES, DE REPUBLIQUE-CHARMOZ-GREPON JUSQU'AU GOÛTER, EN PASSANT PAR BLAITIERE, PLAN, ET LES TROIS SEIGNEURS DE 4000

(sans doute vu du Lac Blanc, je ne me rappelle plus)

 

Le Buet, c'est plus au nord, mais il n’y a pas à dire, l’arrivée au sommet vous offre d’un seul coup tout ce qui se trouve « de l’autre côté », et quel qu’il soit, « l’autre côté » vous donne quelque chose qui peut difficilement se formuler. C’est non seulement du « panorama », c’est aussi un peu de « monde en plus » qui vous arrive. Et jamais personne ne vous enlèvera ça. Vous mourrez avec.

 

 

Je reviens à ma cordée avec ALAIN. Par rapport au Glacier Long, la longue glissade dans laquelle je l’ai entraîné, c’est du pipi de chat. Et c’est encore mon pied qui ripe, cette fois, mais dans la neige un peu molle qui précède le rocher, au moment d’attaquer l’arête de la Chapelle, dans les Aiguilles Rouges. Nous étions évidemment encordés.

ARÊTE CHAPELLE.jpg

EPAULE SUD, CHAPELLE ET CLOCHER (DANS L'ORDRE)

(tout en haut à droite)

Nous avons atterri dans les pierrailles, pas tout à fait sans dommages, mais pour ainsi dire : si peu que rien. Un accident, c’est intéressant quand c’est déjà un peu grave, sinon on la ferme. Ce n’est pas comme les motards qui, eux, prennent plaisir à se raconter leurs glissades, en se bourrant les épaules à coups de : « Tu te souviens ? ». Je suis rentré la queue basse à la maison. Je m'en voulais.

 

 

En revanche, la traversée Midi-Plan est une jolie course, comme un balcon vertigineux au-dessus de la vallée de Chamonix, qui se termine par un passage au refuge du Requin, pour la pause bière, puis par la Vallée Blanche et la Mer de Glace. C’était un jour de fin juillet. Je me rappelle que le glacier était très « ouvert », et qu’il a fallu contourner je ne sais combien de crevasses avant d’arriver.

 

 

Et nous pensons tous deux en passant que c’est au bord d’une de ces crevasses que se sont arrêtées un jour les traces de ski du grand LIONEL TERRAY (Carnets du vertige). Lui, il a participé à la première de l'Annapurna. Dont un certain MAURICE HERZOG s'est approprié tous les mérites. Et ça ne m'étonne pas : après, il a fait de la politique !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 22 novembre 2012

QUELQUES PAS EN MONTAGNE

Pensée du jour :

MUR 15.jpg

"MUR" N°15

« L'imbécillité sentimentale du Protestantisme, compliquée vaguement des saloperies du Spiritisme, quoi de plus invincible ? ».

 

LEON BLOY

 

 

REFUGE GOÛTER NOUVEAU 3.jpgJe dédie cette note à PATRICK, qui n’était pas alpiniste, mais qui travaillait aux refuges du Club Alpin Français, et qui est mort, le 15 novembre 2011, en tombant de la coursive du nouveau refuge du Goûter, parce qu’il a voulu, en bon professionnel, vérifier le bon fonctionnement d’une pièce qui ouvrait sur un vide insondable. PATRICK, tu manques à tous ceux qui ont eu le bonheur de te connaître.

 

*** 

 

Je ne sais plus en quelle année j’ai fait mon premier « stage » d’alpinisme. C’était à l’UNCM (rebaptisé plus tard UCPA) au centre Jean Bouvier de La-Salle-les-Alpes, un beau cube en béton déguisé en chalet de montagne, isolé au milieu de nulle part. Enfin, quand je dis « nulle part » : à égale distance de deux villages : Le Bez et La-Salle. C’est la vallée de la Guisane, entre le col du Lautaret et Briançon. La Guisane continue après, mais bon, c’est après avoir quitté les altitudes, ce n’est plus intéressant.

 

 

Au bout d’une semaine de pluie obsédante et déprimante, les responsables, voyant les jeunes occuper leur temps à opérer un rapprochement entre les sexes, ont décidé d’envoyer les « stagiaires » faire de l’escalade dans les Calanques. Une semaine de camping à Mazargues. Au soleil. Je suis retourné dans ces deux endroits : méconnaissables !!! Du béton partout !!! Des tours comme aux Minguettes, à Vénissieux. Un raz de marée en dur et en gris !!! C’est le Progrès, on me dit.

 

 

Et les Calanques ! Sormiou, Morgiou, Sugiton ! On y allait à pied. En-Vau, c’était plus loin. Trop loin. Trop près de Cassis, sans doute. Le matin, escalade, l’après-midi, bain de mer, et dans une eau tellement transparente ! ANNE était ma préférée. J’ai beaucoup aimé, quand elle a marché sur un oursin qui paressait sur un rocher. Mais pas facile de lui retirer tous les piquants du talon.

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Eh oui, ça a duré, que voulez-vous. La plage déserte, une cabane où l’on pouvait se procurer un coca ou une bière. Le gars survivait, à l’abri de la foule. Pour voir ça, aujourd’hui, il faut une imagination débordante, une imagination qui tiendrait de l’hallucination. Aujourd'hui, dans les Calanques, ce n'est pas le métro à six heures, mais c'est déjà Carrefour le samedi matin.

CALANQUES 6 MORGIOU.jpg

LES CALANQUES AUJOUD'HUI !!!

Je n’aimais pas le calcaire des Calanques, pour l’escalade. Ni celui du massif des Cerces (c’est ailleurs). Ça fusille le bout des chaussures. Je préférais de loin le bon et franc granit du Moine : le granit ne ment pas. Le calcaire est plus traître. Et puis ce n’est pas la montagne. Mais quelles vacances, mes aïeux ! L’été suivant, ce fut le centre du Tour, arrêt en gare de Montroc-le-Planet. Il y eut encore Les Contamines, et puis je ne sais plus.

 

 

Et surtout, après, j’ai fait équipe avec ALAIN, quelqu’un de sûr et solide. Plus expérimenté aussi. Une cordée, ça s’appelle. Chamonix. Des bambées formidables ! Dans les Aiguilles Rouges. Et puis du nord au sud du massif du Mont Blanc. Oh, on a toujours fait à notre niveau, c’est-à-dire moyen, mais de bien jolies choses quand même. La face sud du Fou ou de l’Aiguille du Midi, la face nord des Jorasses ou le Grand Pilier d’Angle, ce n’était pas pour nous, trop largement au-dessus de nos forces et de nos moyens techniques.

 

 

En haute montagne, il n’est pas conseillé de péter plus haut que son cul. En haute mer, il paraît que c’est pareil. Je me rappelle qu’un jour, nous étions allés exercer nos crampons sur la langue terminale du glacier des Bossons. Un glacier, après une bonne pluie, c’est aussi lisse qu’un miroir. Mais là, comme il avait fait chaud plusieurs jours, la glace était toute crevassée, comme croûteuse. Cela craquait sous nos pas.

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Quelle mauvaise idée il a eue, le brave homme, de venir s’y balader en baskets et torse nu ! Il a évidemment dérapé. Je ne vous raconte pas le tableau de son dos après le dérapage : il a fallu un hélicoptère pour le redescendre. Et ce n’était pas grand-chose : on était tout en bas !

 

 

Enfin, pour trouver le « tout en bas » du glacier d’aujourd’hui, il faut quand même monter plus haut qu’avant. C’est aussi là qu’on le voit, le réchauffement climatique. Sans parler de l’itinéraire pour gagner le refuge du Couvercle à partir de la gare du Montenvers : ce qu’il faut descendre puis remonter du côté des Egralets (on n’appelait pas encore ça « Via Ferrata »).

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LES EGRALETS 

 

Bon, il paraît qu’aucun glacier n’y échappe, même en Himalaya. Et je ne vois pas les Chinois faire comme les Suisses, qui couvrent en été leurs glaciers d’immenses bâches, pour arrêter l’action corrosive du soleil.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

mardi, 20 novembre 2012

L'EFFRAYABLE - ANDREAS BECKER

Pensée du jour :

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"IDEOGRAMME PIETON" N°12

« L'année tire sur sa fin, pourquoi ne pas le reconnaître ? Il serait injuste de ne pas le dire, elle a été mauvaise, mais elle tire sur sa fin ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai lu un premier roman. Parfaitement ! C'est vrai que ça n'arrive pas souvent. Et je ne le regrette pas. Je ne l’aurais sans doute pas lu si je n’avais pas fait la rencontre de l'auteur. A une terrasse de café, bien sûr. Le bonhomme est original et intéressant, je dirai peut-être en quoi, mais éventuellement, ça ne presse pas. Je ne dirai pas la page où je crois l’avoir vu dessiner son autoportrait. En attendant, ne parlons que du livre. Il ressemble à son auteur : original et intéressant.

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Le titre, d’abord : L’Effrayable (sic !), éditions de la Différence. L’auteur : ANDREAS BECKER. J’ai d’ailleurs été surpris de constater l’absence du mot dans une édition tout à fait récente du Grand Robert.

 

 

Mais le mot figure comme de juste dans le Nouveau Larousse Illustré de 1897-1904 (en 7 volumes), assorti de la définition suivante : « Qui est susceptible d’être effrayé, qui s’effraye aisément :"Certaines femmes affectent d’être plus EFFRAYABLES qu’elles ne le sont réellement" ». L’exemple retenu n’est-il pas délicieux ? Finalement, ANDREAS BECKER (né à Hambourg), ressuscite un terme parfaitement conforme à la belle morphologie de notre langue. Saluons. Et saluons les éditions de La Différence, grand éditeur de poésie devant l'éternel.

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Si je dis que je suis arrivé au bout du livre, je sens que ça va faire mauvaise impression. C’est pourtant la vérité, mais dans un sens positif. Je veux dire qu’ANDREAS BECKER ne donne pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans l’espèce de fluide lavasse et fadasse, qui coule tout seul, que des flagorneurs au goût émoussé ou dépravé, ou tout simplement stipendiés ou lâches, qualifient de « style », et qui sert de moyen d’expression à tant de nos écrivains actuels.

 

 

Pour les noms des crétins ou des margoulins qui se font prendre pour des écrivains, je renvoie à l’excellent et salutaire vitriol publié par  PIERRE JOURDE & ERIC NAULLEAU, Ed. Mots & Cie, en 2004, réédité chez Mango en 2008.

 

 

Le livre d'ANDREAS BECKER se mérite. Comme on dit dans le Guide Michelin : « Il est intéressant, (*), il mérite un détour (**) et il vaut le voyage (***) ». Simultanément et à la fois. C’est sûr que, quand on referme le bouquin, on se dit qu’il s’est passé quelque chose. Quelque chose de très fort. Quoi ? Pas facile à dire. Et pour être franc, ce n’est pas facile de parler de ce livre. Disons les choses franchement et simplement : pour commencer, l’obstacle du langage.

 

 

Car l’auteur passe son temps à triturer le vocabulaire (presque pas la syntaxe, si ça peut rassurer et encourager) en pratiquant ce qu’on appelle en bon français le procédé de la « resuffixation », bien connu des praticiens et connaisseurs de l’argot (« cinoche » pour « cinéma »).

 

 

Tenez, vous voulez un exemple ? Prenez les deux premières phrases : « Dans les temps j’ai eu-t-été une petite fille, une toute petite fillasse.

         Je m’appelassais Angélique ».

L’auteur joue carte sur table et annonce la couleur : ce sera comme ça et pas autrement, et ce sera comme ça tout le long.

 

 

Et ce n’est pas une promesse d’ivrogne : il tient parole ! Rien que sur la première page, ce n’est que : « m’inscrissais, jurassé-crachoté, je m’en fichassais, foutassais, faisassais, j’aimassais, je n’avassais jamaissu ce que cela voulait dire : aimasser ». J’arrête, sinon, ça va vous dégoûter. Et ça, je ne voudrais pas. Mais vraiment pas. Parce que, en vérité, je vous le dis : ce livre contient une matière très forte (comme on parle de certaines boissons fermentées, vous savez).

 

 

Comme si l’auteur avait voulu nous mettre, en travers de la vue, un arbre assez gros pour cacher toute une forêt. Mais c’en est au point que je me demande s’il n’a pas fait cette forêt lexicale, extrêmement visible et envahissante, qu’on a l’impression qu’il n’y a que ça à voir, pour cacher un seul arbre. De quelle essence, l’arbre ? C’est une autre paire de manches.

 

 

Toujours est-il qu’en usant et abusant de ses suffixes proliférants, l’auteur a ses raisons. Si je peux me permettre d’en avancer une : sans être le seul suffixe ajouté, le « -asse » est largement majoritaire, pour ne pas dire carrément obsessionnel. Or, en français, on le trouve dans « connasse,pétasse, grognasse, pouffiasse, radasse, chiasse, vinasse, blondasse, fadasse, bécasse, … ». J’arrête. On a compris. Il y aurait un peu de misogynie sous-jacente dans cette dévalorisation, je n’en serais pas autrement surpris.

 

 

Ce qui est sûr, c'est que, d’un bout à l’autre du livre, c’est une obsession du dégoût, de la saleté, de la laideur, de la déchéance et de la déréliction qui court. Le visqueux a une place de choix. Pour dire l’ambiance, la couleur des murs crades. Une ambiance parfaitement concertée et voulue, évidemment. L’auteur veut à tout prix que le lecteur se mette au boulot. Il est certain que, sur le fond, il n’a pas tort, tant l’écrivain français d’aujourd’hui flatte la paresse et le narcissisme du lecteur, dans le satanique esprit de lucre induit et produit par l’époque.

 

 

Mais passons sur le suffixe, qui n’est, tout compte fait, qu’un procédé. Et venons-en au sujet. C’est vrai, ça : de quoi il parle, ce bouquin ? Eh bien pour tout dire, sincèrement, je ne sais pas exactement. Si, bien sûr, je sais qu’on est dans l’Allemagne hitlérienne, avant la guerre et jusqu’à la fin de la guerre, mais aussi après, et même jusqu’à aujourd’hui. Et puis qu’on est aussi parfois en France.

 

 

Le livre s'ouvre sur une cellule : est-ce une prison ? Un asile ? La cave de WOLFGANG PRIKLOPIL, où fut détenue pendant 8 ans NATASCHA KAMPUSCH ? Une personne est enfermée là : est-ce un garçon ou une fille ? Quoi qu'il en soit, son corps sert de déversoir aux appétits d'une autorité (le « dicteur », véritable trouvaille), ou alors Karminol, ou alors un troisième larron. On ne sait pas. Et c'est comme ça jusqu'à la fin. Par ailleurs, la personne enfermée est enchaînée à l'écriture : mais là encore, qui écrit ? On ne sait pas.

 

 

Et je crois qu’il est là, le nerf du livre : l’action se passe partout, à toutes les époques, et tout le monde y passe. Je veux dire que tout le monde dit "JE". Et je crois que ce que veut exprimer ANDREAS BECKER (je ne suis pas dans sa tête), c’est une certaine permanence désespérée de l’existence humaine. Si "JE" est n'importe qui, c'est le chaos. Il n'y a plus de sujets parlants, il n'y a plus que des objets dont on se sert, et des calculs.

 

 

 

Si ANDREAS BECKER a voulu décrire l'état d'une humanité d'avant la civilisation (ou d'après, ce qui n'est pas tout à fait pareil), il a gagné son pari. On est évidemment (entre autres) dans une Allemagne marquée de façon indélébile par l'expérience nazie, par la brutalité inouïe des "libérateurs" russes, puis par la normalisation imposée par la marchandisation de tout. Pour dire (peut-être) que l'horreur nazie est l'aboutissement logique d'un système, et que s'être débarrassé de l'une laisse l'autre (le système qui est le nôtre) totalement intact.

 

 

Si les suffixes posent un problème à la lecture, c’est une autre chose qui pose un problème de compréhension de l’ouvrage. TOUT le livre se déroule sous la présidence du JE. Mais qui est JE ? Impossible de répondre. Je préviens le lecteur : le JE passe par TOUS les personnages, successivement et sans prévenir. C’est un gros travail à fournir, de la part du lecteur qui, à la limite, serait en droit de réclamer une commission sur les droits d’auteur.

 

 

Le "JE" est en effet systématique, mais renvoie systématiquement à un narrateur différent, qu’il faut identifier si l’on veut reconstituer la cohérence de l’action. J’avoue que je n’ai pas tenté de tout reconstituer. C'est un "JE" « éparpillé façon puzzle » (Tontons flingueurs). Qui parle ? Est-ce Angélique ? Ange ? Paul Antoine ? Joachim ? Karminol ? Marie-Mi ? Grospère ? Joju ? José ? Tout le monde est dans tout le monde. Le chaos, je vous dis.

 

 

 

Le roman d’ANDREAS BECKER diffuse et dilue le « moi ». Tout le monde est promu narrateur du monde. Et c’est exactement pour ça que plus personne ne comprend rien au monde tel qu’il est, dans la réalité qui est la nôtre. En cela, ce livre colle à la réalité actuelle du monde (« éparpillé façon puzzle », lui aussi) d'une façon capable de nous en faire saisir le caractère irréductiblement incompréhensible.

 

 

En plus, où se situe l’action ? « Partout » serait évidemment faux. Il y a Palebourg, Siegershaven, d’autres lieux. C’est sûr, le lieu change en fonction du narrateur, mais comme le narrateur change sans arrêt, difficile de s’y retrouver. Ce qui passe, c’est une sorte d’état de sidération, qui est celui de l’enfant confronté à l’horreur innommable et qui, survivant à cette horreur, conserve intact cet état de sidération, qui devient une composante à part entière de sa personnalité. Il y a du psychotique dans la fragmentation universelle qui est à l'oeuvre ici. Je le dis comme je le sens : parvenir à réaliser ce programme est un véritable TOUR DE FORCE littéraire.

 

 

Enfin, l’action. Que dire de l’action ? Et sait-on, à l’arrivée, ce qui s’est passé ? Moi je vais vous dire : au moment de mourir, chacun d’entre nous sait-il ce qui s’est passé ? Non. Cela signifie qu’on ne sait pas exactement la nature et la portée de notre propre existence. Ici c'est la même chose.

 

 

Il y a du viol, de l’écriture (souvent compulsive ou frénétique), de la guerre, du sang et du sperme, de l’enfermement, des portes qui s’ouvrent (un peu) et restent fermées (beaucoup), des orifices qui s’ouvrent dans les deux sens (subir l’intrusion, faire sortir, ingérer, excréter). Il y a de la souffrance qui n’est même pas vécue comme souffrance, mais comme un fait brut devant lequel l'être reste ahuri, abasourdi. C’est vrai ça, pourquoi en rajouter ?

 

 

Pour résumer, il y a des horreurs, des horreurs et des horreurs. On n’en sort pas. C’est tout juste si le lecteur capte le dernier mot du livre : « survivant », pourtant tellement juste. Et pour dire ça, je vais vous dire, il y a un SOUFFLE qui transporte le lecteur : lisez, pour vous en convaincre, le chapitre extraordinaire qui commence à la page 197.

 

 

Ce n’est plus liquide : c’est une sorte de lave croûteuse et brûlante qui pousse devant soi le sens de ce qu’elle déplace et véhicule, et qui dans le même temps le crée et le détruit. Comme une alternative à l'écroulement heurté et rocailleux des mots passés par la chirurgie esthétique, qui marque le récit, partout ailleurs.

 

 

La dilution des JE, l’osmose des OÙ, le chaos des QUOI, l’interchangeabilité des COMMENT et des QUI, tout ça nous pose en fin de compte l’infernale question du POURQUOI. Vous savez, ce sont les catégories pour école de journalisme : « QUIS ? QUID ?UBI ? QUIBUS AUXILIIS ? CUR ? QUOMODO ?  QUANDO ? ». Et à la question du pourquoi, le livre semble (je suis prudent) répondre : « Pour rien ».

 

 

J’arrête là. J'ai été long. Mais je le maintiens : s’il n’y avait pas le suffixe, comme procédé inflationniste et exagérément artificiel, comme « ultima ratio », comme obsession, j’oserais dire que L’Effrayable, d’ANDREAS BECKER, est un GRAND LIVRE. Et le remarquable hommage rendu par un Allemand à notre langue française. Merci, monsieur.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 19 novembre 2012

MAUVAIS GOÛT ET LIBERTE D'EXPRESSION

Pensée du jour :

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"SOUPIRAIL" N°6

 

« On s'occupe beaucoup de gagner du temps. A-t-on raison ? C'est autre chose. Tout le monde sait l'histoire du Chinois qui demandait au policeman le chemin de la gare : "Première à droite, deuxième à gauche, lui répondit le policeman. Mintenant si vous voulez passer par les petites rues, vous pouvez gagner vingt minutes." "Et qu'en ferais-je ? " demanda le Chinois qui se hâta lentement de passer par le plus long ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

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N°418 - 1978

HARA KIRI fut une grande revue du paysage français, de son n°1 (septembre 1960) à son n°291 (décembre 1985). Les moutures suivantes (jusqu'à la sixième !) ne furent que des survivances, d'abord portées par le Professeur CHORON (GEORGES BERNIER), qui s'éteignirent doucement, même si le titre paraît toujours. Les cibles préférées ? Le SEXE, la RELIGION, la RACE.

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CHARLIE HEBDO N°73 - 1972

Enfin pas exactement : je devrais dire tous ceux qui se prenaient très au sérieux sur chacun de ces sujets, autrement dit les militants dans leur ensemble, à commencer par les militants du SEXE (tout ce qui gravite autour du féminisme et de l'indifférenciation sexuelle), les militants de la RELIGION (là, ils s'en donnaient à coeur joie, que ce soit le croissant, la croix ou l'étoile), les militants de la RACE et des grands sentiments antiracistes, tiermondistes et masochistement universalistes. Et principalement sous l'angle de la BÊTISE qui en accompagne les manifestations dans les discours de ceux qui ont accès aux médias.

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N°179 - 1976 

Je me rappelle distinctement la publicité pour Hara Kiri diffusée à la radio (Europe 1) à une époque : « Si vous ne voulez pas l'acheter, eh bien volez-le ! ». C'était gonflé, mais ça ressemblait trait pour trait à l'esprit de la revue. Et puisqu'on parle publicité, c'est à l'équipe d'Hara Kiri qu'on doit ce slogan définitif, qui a le compact, le brillant et le tranchant de la pierre d'obsidienne : « La publicité nous prend pour des cons ! La publicité nous rend cons ! ». 

 

 

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1975

Pour donner une idée de ce que fut le ton Hara Kiri, et surtout ce qui en sépare l’époque de la nôtre, je me propose juste, aujourd’hui, de montrer quelques couvertures du mensuel (1ère et surtout 2ème génération), dans sa version initiale, et dans sa version hebdomadaire, qui s’y est substituée quand il a fallu remplacer dans l’urgence le défunt HKH (Hara Kiri Hebdo), étranglé pour cause de crime de « lèse-général-DE-GAULLE ».

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N°205 1978

 Posez-vous juste la question : combien y aurait-il de procès pour « diffamation, antisémitisme, islamophobie, outrage à la pudeur, incitation à la haine raciale, incitation à l'alcoolisme, incitation à la discrimination,  incitation à la violence, etc ... », si de telles couvertures étaient publiées aujourd'hui ?

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1977 

HKH 94 1970.jpgJ’imagine d’ailleurs que l’équipe de CAVANNA, CHORON et compagnie ont dû sacrément se fendre la pipe en conférence de rédaction, quand la formule assassine est sortie : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». DE GAULLE est mort le 9 novembre 1970. 

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N°203 1978

Or il faut savoir que le 1ernovembre 1970, une boîte de nuit a brûlé à Saint-Laurent-du-Pont (Isère), au milieu de la nuit. Bilan : 146 morts quand même, ce qui n’est pas négligeable et fit donc les gros titres.

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N°1 - 23 NOVEMBRE 1970

Tout le monde aurait oublié le drame si une équipe d’hurluberlus n’avait eu l’idée de mettre en couverture de leur hebdomadaire contestataire une sorte de synthèse des deux événements, dans la formule ramassée désormais immortelle : «  BAL TRAGIQUE A COLOMBEY : UN MORT ».

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1979

Le dernier numéro de la revue Hara-Kiri Hebdo est donc sorti le 16 novembre 1970. L’équipe, pour remplacer aussitôt le titre défunt, se tourna vers le cousin – exclusivement consacré à la bande dessinée – Charlie (mensuel), lui accola le suffixe « hebdo », et le tour fut joué : l’aventure pouvait se poursuivre. On ne changeait rien.

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1980 : COLUCHE CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE DE 1981

L’équipe a pété des flammes pendant une vingtaine d’années. La plupart des membres en sont connus : CAVANNA le rital, REISER, mort trop tôt, GÉBÉ (GEORGES BLONDEAUX), CABU, WOLINSKI, DELFEIL DE TON, WILLEM et, last but not least, GEORGES BERNIER, alias Professeur CHORON. Il y avait aussi un certain PIERRE FOURNIER, qui mérite de rester dans les manuels d’histoire comme fondateur d’une revue fondatrice, j’ai nommé La Gueule ouverte.

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N°416 1978 WOLINSKI

Tous les « écologistes » actuels doivent, qu’ils le sachent ou non, quelque chose, d’une part, à RENÉ DUMONT, et d’autre part à PIERRE FOURNIER. Je salue la mémoire de cet homme, mort brutalement (si je me souviens bien), qui fut un élément moteur dans les débuts de l’écologie (que j’appellerai « combative » plutôt que « militante », une écologie de conviction, et pas encore de parts de marché électoral). Passons.

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N°248 1975 WOLINSKI

Moi, si on me demandait de résumer l’esprit Hara Kiri, je dirais « déconnade et provocation », d’un côté, et de l’autre « imagination et liberté ». J'ajouterais : « transgression», parce qu'à cette époque, le mot avait encore une signification.

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N°335 1977 REISER

L’éteignoir qui s’est abattu depuis deux décennies sur l’expression libre a creusé une sorte de « Fosse des Mariannes » entre les extensions policières (extérieures et intérieures) de notre présent et les effervescences de l’époque Hara Kiri.

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N°242 1975 GÉBÉ

Tout le « mauvais goût », c’est-à-dire tout ce qui a quelque chance de heurter la sensibilité bourgeoise, assimilée au conformisme le plus sourcilleux, constitue la pâture privilégiée de l’équipe Hara Kiri. Je passe sur le cynisme de CHORON, qui a profité de la naïveté des autres en ce qui concerne les affaires pour s’approprier la marque.

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N°303 1976 REISER (EN 2012, IL N'Y A RIEN A CHANGER)

Mais DELFEIL DE TON a raconté quelque part par quels détours malpropres CHORON, dans les débuts, se procurait l’argent nécessaire auprès d’une vieille et riche rombière, séances dont il avait la lucidité de revenir dégoûté. En matière de mauvais goût, CHORON était un connaisseur, un praticien, un expert. J’imagine que c’est à lui qu’on doit les pires « visuels » publiés dans la revue.

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N°266 1975

Le mauvais goût a, par bonheur, été rayé par la « Raison morale » de toutes les tablettes de toutes les publications illustrées offertes à l’appétit des chalands friands, obligés de se rabattre sur les « créneaux spécialisés » et autres ghettos, souvent payants, voire clandestins. Sans doute de façon à retrouver les joies de la transgression, j’imagine.

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N°366 "COMMENTAIRE", SI L'ON VEUT, DE LA VISITE DE SADATE A BEGIN EN 1977

C’est le tableau d’une époque qui fut. Et qui n’est plus. Qu’on se le dise, l’heure est à l’égalité de TOUS devant TOUT. RENÉ GIRARD, dans son analyse de La Violence et le sacré, fait de l'indifférenciation généralisée une étape préalable à la généralisation de la violence. S'il a raison, ça promet ! 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 18 novembre 2012

BD ET LIBERTE D'EXPRESSION

Pensée du jour :

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"SILHOUETTE" N°36

 

« L'oiseau a quelque chose d'étrange. Il fait des choses extraordinaires : l'urubu nettoie les poubelles, l'agami surveille les poulets,le gypaète est barbu, l'albatros pond des oeufs dont le petit bout est aussi gros que l'autre (et l'autre aussi petit que le premier), la huppe pupule, le milan huite et le rhinocéros barète (encore n'est-ce pas un véritable oiseau) ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

 

Quand la BD devint « pour adultes » et mensuelle, j’ai encore suivi le mouvement. Ce furent Charlie (mensuel), Métal hurlant, Circus, A suivre, Pilote (mensuel), Fluide glacial (qui paraît toujours, mais bon, je me suis fatigué). HKH94 1970.jpgEt tout ça depuis le n° 1 jusqu’au dernier (enfin, pas toujours). Ça me fait encore des piles presque jusqu’au plafond, rien qu’avec ce que j’ai gardé, pour vous dire. Il va de soi que j’ai suivi Hara Kiri hebdo jusqu’à l'ultra-célèbre et immortel « Bal tragique à Colombey : 1 mort » (16 novembre 1970), et Charlie hebdo qui lui a immédiatement emboîté le pas, après l'interdiction pour crime de lèse-DE GAULLE.

 

 

Je garde une tendresse pour des revues plus éphémères de cette époque, parce qu’elles faisaient souffler un vent de liberté devenu totalement inimaginable aujourd’hui. Personne, à part le ministre de l’Intérieur, n’aurait alors eu l’idée de faire à sa place la police des moeurs ou  la police de la pensée : aujourd’hui, les flics de toute obédience (sous couvert d’ "associations" religieuses, sexuelles, raciales…) font régner leur intolérance. Attention, c’est parti pour une petite parenthèse !

 

 

Dans les médias (je veux dire tout ce qui est de l’imprimé, du son ou de l’image fixe ou animée), c’est le CURÉ qui a pris le pouvoir et revêtu l’uniforme du FLIC augmenté du Père Fouettard : le CURÉ RELIGIEUX (TOUS les prêtres, imams, rabbins), le CURÉ RACIAL (TOUTES les associations antiracistes), le CURÉ SEXUEL (TOUS les hétérophobes dénonciateurs de « phobies » qu’ils fabriquent pour les besoins de leur « cause », je ne vois pas pourquoi je n’en inventerais pas à mon tour). Quel nouveau PHILIPPE MURAY inventera un anticléricalisme à la hauteur de cette agression de tous les azimuts et de tous les instants ?

 

 

Ce n’est plus « Big Brother is watching you » (1984), c’est l’œil omniprésent du « curé punisseur » qui, telle une caméra de surveillance universelle, vous guette à tous les coins de rue pour vous envoyer en correctionnelle si vous avez la mauvaise idée de lever le doigt pour dire ce qui vous semble être de bon sens, par exemple au sujet du mariage et de l’adoption homosexuels.

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LA PROPAGANDE DES ANTI-LIBERTÉ A LE VENT EN POUPE :

J'APPELLE ÇA CRIMINALISER LA VIE SOCIALE

(Le Monde, dimanche 18 - lundi 19 novembre 2012)

Une intolérance qui se couvre du manteau de la « tolérance » et du « respect » (GEORGE ORWELL appelait ça la novlangue : « L’esclavage, c’est la liberté »), pourvu qu’ils en soient les seuls bénéficiaires. Une intolérance qui se couvre par ailleurs (mais ça va avec) de l'indispensable tunique de la VICTIME. Et le crime qui crée la victime, aujourd’hui, s’apparente presque toujours à la « discrimination », et concerne le plus souvent les gens à couleur de peau exogène, ou à sexualité marginale, ou encore à religion importée. La race, le sexe, la bondieuserie. Le tiercé gagnant.

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COMMENT CROYEZ-VOUS QUE LES "ASSOCIATIONS" (LGBT OU RELIGIEUSES)ACCUEILLERAIENT CETTE COUVERTURE AUJOURD'HUI ?

(décembre 1977) 

Je vais te dire : fais un beau mélange de tout ça, et tu as le magnifique couvercle d’un magnifique ORDRE MORAL qui s’abat sur toi pour te cuire à l’étouffée. Même Charlie-Hebdo (attention, celui ressuscité par PHILIPPE VAL en 1992, qui n’a pas grand-chose à voir avec le premier, né en 1970), fait un pet de travers tous les 36 du mois par peur des bombes et des procès, et quand il le fait, la merde n’est jamais bien loin, prête à exploser. C'est bien le signe que des forces de l'ordre (racial, sexuel, religieux) convergent et se coalisent contre l'expression libre, non ? De quel côté est-elle, l'intolérance ?

 

 

Ce « meilleur des mondes », PHILIPPE MURAY l’appelait l’ « envie de pénal ». Moi qui n’ai pas la classe du grand PHILIPPE MURAY, je me contente de l’appeler « curé punisseur ». C’est le même uniforme gris. Mais même les nobles imprécations de PHILIPPE MURAY n’ont pas suffi à empêcher le flot malodorant des hordes de gendarmes « antiracistes », « antisexistes », « antihomophobiques », « anti-islamophobiques » de tout submerger.

REVUE AH NANA.jpg

UNE REVUE PUBLIEE PAR DES FEMMES FEMINISTES (septembre 1978, dessin LIZ BIJL)

COMBIEN DE BOUCLIERS LEVÉS ET DE PROCES, SI C'ETAIT AUJOURDHUI ????

Je reviens à mes revues de BD plus éphémères. Pour dire ce qu'était la liberté d'expression à l'époque, je montre quelques couvertures. Parmi les comètes, je citerai Ah ! Nana ! : 9 numéros, avec la géniale NICOLE CLAVELOUX (ah ! son extraordinaire Alice au pays des merveilles) et l’austère CHANTAL MONTELLIER, un féminisme pas encore coincé dans un intégrisme « genriste » à la JUDITH BUTLER. Je citerai Surprise (5 numéros), publié par le dessinateur actuel de Libé, WILLEM, avec une curieuse BD, Ici, on ne nous voit pas.

REVUE MORMOIL BARDOT.png 

Je citerai Mormoil, avec la couverture magnifique du n°3 et sa superbe BRIGITTE BARDOT en prototype, archétype et modèle de l’idiote, croquée par MORCHOISNE, en train de dire : « Mords-moi le quoi ? ». Je citerai Tousse-Bourin, qui a révélé CABANES, Le Canard sauvage, avec DESCLOZEAUX, qui loue aujourd’hui ses services aux chroniques gastronomiques du Monde.

REVUE CRI QUI TUE.jpg

VOUS AVEZ NOTÉ : HONORABLE REVUE DE BANDES DESSINEES EXOTIQUES

Je citerai Piranha, Le Cri qui tue, la revue d’ATOSS TAKEMOTO, qui me permet d’affirmer que j’ai été parmi les premiers lecteurs de mangas publiés en France, longtemps avant que ça s’appelle « manga ». Je citerai enfin Virus, et une pléiade d’autres (Carton, Microbe, Aïe, Le Crobard, on n’en finirait pas, et je ne parle que de ce que j’ai connu), encore plus éphémères.

 

 

Ce n’était pas le « bon temps », c’est sûr, et je n’ai pas de nostalgie. J’observe juste une drôle d’inversion des rôles entre le politique et le sociétal : ce qui était politique était tabou aux yeux du pouvoir et toute incartade réprimée, alors que ce qu’on n’appelait pas encore le « sociétal » (autrement dit « les mœurs ») était laissé totalement libre (enfin, quand je dis "totalement", il s'en faut de beaucoup ...).

 

 

Aujourd’hui, c’est l’inverse : des hommes politiques et de l’ordre social, vous pouvez dire absolument tout ce que vous voulez, et même n’importe quoi, ça fait comme la pluie sur les plumes du canard (il n’y a plus de politique, il n’y a plus que de la « com », et les « susceptibilités » se sont muées en édredons et matelas pour abriter l'amour-propre devenu invulnérable, parce qu'inexistant, pour cause d'absence radicale de convictions).

 

 

Au sujet du « sociétal » (qu’on a cessé d’appeler les « mœurs »), en revanche, l’armée des CURÉS PUNISSEURS (religieux et sexuels et raciaux) se charge de vous fermer la gueule (regardez : même Libé se fait attaquer pour son titre sur BERNARD ARNAULT : « Casse-toi, riche con ! ». Pour une fois qu'ils étaient drôles !).

 

 

 

Moi, j'admire le peuple norvégien pour son attitude exemplaire après les atroces meurtres d'ANDERS BERING BREIVIK, et je vomis les loups qui ont déchiré en effigie RICHARD MILLET après la parution de son brûlot - ANNIE ERNAUX, JEAN-MARIE-GUSTAVE LE CLEZIO et TAHAR BEN JELLOUN venant tout à fait en tête -, ils méritent de retourner se réduire en la bouillie moralisatrice et policière d'où ils n'auraient jamais dû sortir pour empuantir l'air des hommes libres !!!

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 17 novembre 2012

BANDE DESSINEE : L'ÂGE D'OR ?

Pensée du jour :

GRILLE 6.jpg

"GRILLE" N°6

 

« Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi) ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

L’un de mes plus beaux souvenirs de bande dessinée n’est pas une image, c’est une phrase : « Ta médiocre beauté ne m’a déjà que trop gâché l’aube naissante ». Ça c’est du texte. CUVELIER 12.jpgEt du littéraire, s’il vous plaît. Pour l’éventuelle élite des amateurs authentiques, je le déclare : la phrase est tirée d’Epoxy, une Bande Dessinée de PAUL CUVELIER, où l’auteur s’en donne à cœur joie avec la mythologie grecque. Mais il s’en donne aussi à cœur joie avec le corps féminin, pour lequel il ne cache pas un penchant irrésistible qui mérite notre sympathie (purement esthétique, s’entend !).CUVELIER P.jpg

 

 

C’est Aphrodite en personne qui s’adresse à l’héroïne de PAUL CUVELIER, dans ce livre où l’action semble se dérouler sous les tropiques, vu la façon dont toutes les femmes sont habillées. Enfin, quand je dis « habillées », c’est une façon de parler. En réalité, c’est une belle œuvre qui offre au dessinateur le prétexte de déclarer son amour aux formes féminines, qu’il représentait, avec une tendresse visible, dans une sorte d’infini de variantes posturales, sans jamais donner prise à la plus légère once de vulgarité.

CUVELIER 3.jpg

EPOXY CHEZ LES AMAZONES, C'EST VIOLENT, MAIS PAS TOUT LE TEMPS 

 

Sans aller jusqu'aux coquineries d'un DANY, qui s'est fait une spécialité du dessin d'humour érotique, je citerai, dans le même genre d'amoureux du corps féminin, le dessinateur TAFFIN, en particulier un fascicule intitulé Fume...c'est du Taffin (Kesselring, 1976). Tout n'est pas très bon, c'est vrai, ça sent son côté gentillet des années 1970, flower power, peace and love (que GOTLIB, me semble-t-il, écrivait d'ailleurs "pisse and love", accompagné de "phoque and chite" dans un des premiers numéros de L'Echo des savanes).

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J'en retire cependant deux images : l'une est un dessin (ci-dessus), l'autre est une photo (ci-dessous). Le dessin semble caresser les contours du personnage. Quant à la photo, elle représente CAROLE LAURE (photographiée par DUSAN MAKAVEJEF) en train de prendre un délicieux bain de chocolat.

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Tout ça pour dire que j’ai été fan de Bande Dessinée. Cela m’a passé, mais pendant longtemps, je me suis shooté à l’hebdomadaire (Spirou, Tintin, plus tard Pilote, au temps de leur splendeur), et à l’album (quand il n’en paraissait pas plus de 150 par an, cela restait dans mes moyens). Tout ce qui sortait, ou à peu près. J’étais « accro », il me fallait ma piquouse sous peine de manque. Maintenant, il en paraît 1500 chaque année, comment voulez-vous ?

 

 

C’était quand la bande dessinée appartenait à la catégorie des « loisirs populaires » (expression à prononcer avec une nuance de mépris, si l’on veut être « à la page »). Le cas ressemble un peu à celui de l’opérette. Car il fut un temps où l’Opéra de Lyon était encore indemne du virus du snobisme culturel et de l’exaltation lyrique de « faire moderne ». 

 

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C’était avant que des « experts » et « spécialistes » de BD autoproclamés de tout poil ne posent leur patte sur ce qui était à leurs yeux un « marché prometteur » et un « créneau porteur » pour donner un petit air « moderne » à tout ça et « faire sortir la BD du ghetto enfantin ». C'était avant que la BD passe du plaisir du « loisir populaire » à la consommation du « loisir de masse ». Passage qu'on peut situer autour de 1980.

 

BDM 1983.jpgPour vous dire, c’était avant que, une fois que le « marché » eut tenu ses promesses, messieurs BERA, DENNI et MELLOT n’entreprennent (c’était en 1979) d’inventorier non seulement tout ce qui paraissait de BD année après année, mais aussi tout ce qui avait paru depuis les origines (1805, d’après eux, avec le Robinson Crusoëd’un certain DUMOULIN, mais je conteste – voir ma note d’hier).BDM 2009.jpg

 

Dans le milieu, tout le monde connaît désormais l’incontournable et indispensable BDM –  véritable bible baptisée « argus officiel » – qui paraît revu et corrigé tous les deux ans, et qui vous donne la « cote » d’absolument tout ce qui a été publié depuis 1805, c’est vous dire le sérieux de cette entreprise florissante.

 

 

Vous apprenez ainsi que si vous avez l’originale du Guêpier de DANIEL CEPPI (1977, Editions Sans Frontières), votre capital est de 30€. Mais il faut savoir que l'album a connu un curieux pic dans les années 1980, puisqu’il est bizarrement monté, pendant un temps, à 600 francs, avant non pas de s’abouser, mais de redevenir normal (voilà que je parle comme un vulgaire HOLLANDE, moi, il va falloir surveiller ça). C’est un exemple parmi des milliers d’autres.

 

 

Moi je m’en fiche, de toute façon : je ne suis pas collectionneur. Ainsi, pour vous dire combien je suis bête, j’avais acheté 150 francs, à la librairie Expérience, une petite échoppe de la rue du Petit David, tenue par ADRIENNE (l'adorable ADRIENNE KRIKORIAN), une édition en sérigraphie de Capitaine Cormorant, de l’immense HUGO PRATT, numérotée et tout, magnifiquement et grassement encrée. Dans le BDM ? Il cote 850€ ! 

PRATT CORMORANT.jpg 

Moi, je l’ai revendu (je ne vous dirai pas combien) pour acheter d’autres nouveautés. Pareil pour les deux Corto Maltese de chez Publicness (respectivement 3000 et 500€). J’étais trop curieux des nouveautés pour collectionner. Plutôt cigale que fourmi, si vous voyez. Le plaisir de découvrir plutôt que le souci de posséder pour accumuler.

 

 

Par-dessus le marché, pour être un bon collectionneur, il faut savoir ce qu’on veut, faire un choix, car il n’y a pas de cumul des mandats possible (vous voyez ce que je veux dire ?), et c’est un métier à plein temps (un « full time job », comme refusent de dire les hommes politiques français, si soucieux de rester pas trop nombreux pour se partager profitablement le gâteau des responsabilités).

 

 

Ce n’est donc jamais le « marché » qui m’a guidé. C’est pour dire combien je suis un être désintéressé. Pas un pur esprit, mais pour ainsi dire, quoi !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 16 novembre 2012

UNE BANDADE DESSINEE ?

Pensée du jour :

AFFICHES 2.jpg

"STRATIGRAPHIE" N°2

 

(16 août 1914) « Une carte du théâtre de la guerre que j'ai sous les yeux ne fait aucune mention de Vaucouleurs et de Domrémy, entre Bar-le-Duc et Nancy. Il eût été à propos et combien patriotique ! de marquer ces deux localités ».

 

LEON BLOY

 

 

TEMPLE 4.jpgBon, avec le capitaine Haddock (voir hier) en bonhomme boule de neige qui débaroule une pente, images qu’on trouve dans Le Temple du soleil (à la page 33, soyons précis), on a compris qu’HERGÉ a « puisé » (pour être gentil) l’idée dans Les Malices de Plick et Plock,PLICK 4.jpg de l’ancêtre CHRISTOPHE qui, sous son vrai nom de GEORGES COLOMB, enseigna sérieusement les sciences naturelles à Paris, après de brillantes études (Normale Sup). C'était au début du vingtième siècle.

 

 

Sous son pseudonyme - CHRISTOPHE -, il écrivit et dessina – moins sérieusement, mais d’un certain côté beaucoup plus sérieusement, puisqu’on en parle encore – quatre chefs d’œuvre de ce qu’on appelait encore « histoires dessinées », j’ai nommé L’Idée fixe du savant Cosinus, La Famille Fenouillard, Les Facéties du sapeur Camember, auxquels s’ajoute le volume déjà cité. Il importe de connaître tout ça par coeur, comme on pense !

COSINUS 2.jpg 

Cosinus était le sobriquet dont quelques malveillants affublèrent le brave Zéphyrin Brioché lorsque, après une enfance batailleuse et fouettée, il devint brillant professeur à l’Ecole des tabacs et télégraphes (aussi vrai que je le dis !!!), une fois sorti de Polytechnique. Sa caractéristique ? En un mot, plus distrait, tu meurs. Cosinus est le parangon du DISTRAIT absolu.

COSINUS 3.jpg 

Mais les gens sont méchants : en fait, disons plutôt que, quand il était absorbé, plus rien d’autre au monde n’existait, comme le montrent les première et dernière vignettes du petit récit ici rapporté. Mais il me vient l’idée que Cosinus mérite une note entière à lui tout seul, de même que Fenouillard. Quant à Camember, je l’ai naguère évoqué ici même (cf. « N’oubliez pas La Bougie du sapeur », 29 février 2012). Ce n'est donc que partie remise.

COSINUS 4.jpg 

Avec ses « histoires dessinées », CHRISTOPHE est resté fidèle au legs du Suisse RODOLPHE TÖPFFER, qui demeure l’inventeur de la forme, avec Histoire de monsieur Jabot ou Les Amours de monsieur Vieux Bois TÖPFFER VIEUX BOIS 1.jpg(et quelques autres), autour des années 1830. On a déniché depuis un Robinson Crusoë d’un certain DUMOULIN, publié en 1805, et que certains n’hésitent pas à qualifier de « première bande dessinée de l’histoire ». 

COSINUS 1.jpg

LE DEFI EST EVIDEMMENT D'APPRENDRE PAR COEUR LE MOT EN ITALIQUES

(je vous le récite quand vous voulez)

Ces 150 gravures formant une « suite narrative », sorties d’on ne sait quelles oubliettes, ne sauraient faire illusion. A ce compte-là, autant qualifier d’ancêtre au carré JEAN-CHARLES PELLERIN, fondateur en 1796 de la société qui portait son nom, et qui est resté dans l’histoire comme l’inventeur des très célèbres « images d’Epinal ». Le temps de la grotte CHAUVET, avec ses bisons et autres lions rupestres, qu’il faudrait considérer  comme les Adam et Eve de toute bande dessinée, n’est pas loin. Mais Néandertal (enfin, à la rigueur, Sapiens Sapiens) auteur de BD, pourquoi pas, après tout ?

EPINAL 1.jpg

PLANCHE SORTIE DES ATELIERS PELLERIN

(dites-moi si ce n'est pas de la bande dessinée, si vous osez!)

On a donc compris que tout emprunt n’est pas qualifiable de plagiat : l’histoire de la musique est pleine d’emprunts, dont un nombre infime méritent qu’on inflige la flétrissure du plagiaire à ce que son infirmité créatrice a eu l’audace de présenter comme nouveau et personnel. Tous les musiciens, tous les peintres, tous les poètes ont rendu hommage à tel ou tel de leurs devanciers.

 

 

La morale de l’histoire ? Dis-moi qui t’a plagié, et je te dirai si tu es un génie. Moi, si un jour MICHEL-ANGE me plagie, je vous assure que je ne dirai rien ! Et ceci n’a rien à voir avec le pur et simple vol d’idées, auquel ont pu se livrer impunément je ne sais quels "BHV" et autres hommes d’affaires, qui ont fait l’erreur de se prendre pour des penseurs, voire des hommes d’action.

 

 

Personnellement, je serais la personne en question, je traînerais en diffamation celui qui a osé me traiter de Bazar de l'Hôtel de Ville. Il y a jurisprudence : le type, sur son quai de gare, quelque part dans le sud, qui a crié face aux CRS : « SARKOZY, je te vois », il en avait quelque part, mais surtout, la correctionnelle l'a purement et simplement relaxé. SARKOZY n'étant (hélas) pas considéré comme une insulte. Reste que je n'aimerais pas du tout être traité de "HOLLANDE".

 

 

On a aussi compris que la Bande Dessinée constitue l’une des bases sur lesquelles se sont édifiés le bric et le broc (pour ne pas dire La Rubrique-à-Brac, merci GOTLIB) de la construction qui me sert de bicoque baroque, intellectuelle et culturelle.

 

 

 

Quelqu’un qui ne connaîtrait rien des "Histoires de l’Oncle Paul" serait dans l’incapacité de comprendre la valeur nutritive de simples « histoires dessinées », quand elles n’ont pas l’invraisemblable prétention d’inventer je ne sais quelle « littérature » innovante, quand elles ne consistent pas à enfermer le lecteur dans d'interminables fantasmes vaguement spatiaux, carrément fantastiques et bourrés d'armes terrifiantes, de véhicules miraculeux, de créatures improbables et de véritables bombes sexuelles en série tenant lieu de personnages féminins.

 

 

 

Je vous parle d'un temps où les raconteurs d' « histoires dessinées » se contentaient de raconter le mieux possible de bonnes « histoires dessinées ». Je vous parle d'un temps où la bande dessinée ne se poussait pas du col et ne se voulait pas plus que, finalement, elle est : une littérature de divertissement à l'usage des plus jeunes. Je vous parle d'un temps où la Bande Dessinée ne cherchait pas à BD plus haut que son QI.

 

 

 

Le triomphe de la BD comme « genre littéraire » a des parfums d'infantilisation rampante des esprits. Je range dans le même « genre » la promotion des jeux vidéo, dans le journal Libération, au rang de rubrique à part entière. Et d'une façon plus générale, je me dis que l'imprégnation des esprits par l'omniprésence obsessionnelle de l'image n'est pas étrangère à la régression de l'état d'adulte à des stades antérieurs. Et c'est un ancien bédéphile averti qui le dit !

 

 

 

Les guetteurs et les prédateurs de « parts de marché » sont devenus légion. Ils ne reculent devant rien pour promouvoir la "valeur culturelle ajoutée" et le caractère définitivement irremplaçable d'une "intellectualité" allant jusqu'à l'artisterie de "salon" (de la BD, cela va sans dire, où les gogos spéculateurs sont priés de faire la queue pour avoir leur petit dessin d'auteur en page de garde). 

 

 

L'imaginaire contemporain est décidément aussi régressif et insatiable que blasé.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 15 novembre 2012

PLICK ET PLOCK CHEZ TINTIN

 

On ne discute plus d’HERGÉ, de nos jours. Le monde entier connaît les aventures de Tintin, reporter au Petit Vingtième. Tout le monde le sait, Tintin et Milou sont des totems adulés dans les villages du Congo, des justiciers détestés dans les gangs de Chicago, d’indéfectibles amis de Tchang dans les solitudes altières du Tibet. Comme on a dit : « Verdun, on ne passe pas ! », on peut dire : « Tintin, on ne touche pas ! ». Et ce n’est pas moi qui vais commencer à débiner la marchandise. 

 

Il y a un culte de Tintin qui, ne le nions pas, s’est répandu à travers le monde. On peut ajouter que certains commerçants avisés ont su mettre à profit la mode des « produits dérivés » pour améliorer l’état de leur compte en banque. A cet égard, je pense qu’on pourrait dire à bon droit que Tintin est le premier « blockbuster » de l’histoire, puisque les premières fusées XFLR-6 vendues dans le commerce (vous savez, le damier rouge et blanc, ça, c’était de la « com ») doivent remonter aux années 1950. Enfin, je n’en sais rien. 

 

Je ne suis certes pas « tintinolâtre », mais je peux me dire à bon droit « tintinophile », ayant, dans le temps, lutté victorieusement contre des individus qui croyaient pouvoir m’en remontrer dans la connaissance des détails. Mais ces temps épiques appartiennent au passé, et j’avoue que le goût du bachotage tintinesque, alors pratiqué en vue de briller auprès de quatre ou cinq obscurs quidams, ne fait plus, depuis longtemps, partie de mes priorités. Je vois désormais les choses avec un certain recul philosophique, et les viscères durablement pacifiées.

 

Cela rend d’autant plus intéressantes certaines « trouvailles » opérées au gré du hasard de lectures diverses. C’est ainsi que, ayant rouvert le volume des Malices de Plick et Plock, de CHRISTOPHE, je suis tombé sur des images qui m’ont ramené aussitôt à HERGÉ. Le volume est beaucoup moins connu que Le Sapeur Camember ou Le Savant Cosinus.

 

Sauf que Plick et Plock, ça a été publié entre 1893 et 1904. Longtemps avant Le Temple du soleil (1949), 13ème épisode de la saga (si l’on fait abstraction de l’assez mauvais épisode soviétique, soi-disant le premier, mais pour moi, ça vaut autant que la 1ère dent de lait tombée de la gencive de la 1èresouris, même si ça n'empêche pas l'édition princeps d'être cotée 35.000 euros, ils sont fous ces Romains).

 

Alors bon, quelque adepte contemporain de l’Eglise de l’Ou.Li.Po. (« Ouvroir de Littérature Potentielle ») plaidera je ne sais quel « plagiat par anticipation » (ils auraient tout aussi bien pu dire « précurseur postérieur » pour désigner le plagiaire), et dira que c’est GEORGES COLOMB (alias CHRISTOPHE) le coupable, et qu’il a piqué l’idée à HERGÉ (né en 1907) en reniflant sa boule de cristal.

 

Je vous explique. Dans Le Temple du soleil, Tintin, Milou, Haddock et Zorrino gagnent le dit temple en traversant les Andes. Sur tout leur parcours, de méchants Indiens tentent de les empêcher d’arriver. Parvenus aux neiges éternelles, ils subissent une avalanche déclenchée par l’éternuement d’Haddock. Pour le ressusciter, Tintin ouvre la bouteille de whisky, qu’Haddock, aussitôt réveillé, avale cul-sec.

Et c’est en poursuivant les lamas (rappelez-vous : « Quand lama fâché, senor, lui toujours faire ainsi. ») qu’il tombe (littéralement) sur les méchants, en se transformant en énorme boule de neige, qui les précipite du haut d’une falaise, alors que sa boule à lui se fracasse sur un rocher. Il l’a échappée belle.

Or on trouve, dans Plick et Plock, la même idée, pas au millimètre près, mais pas loin. Là, c’est Plick qui joue le rôle de la boule de neige, et c’est un « arbre providentiel » qui joue le rôle du rocher, Plock se contentant de jouer le rôle du whisky, puisque c’est lui qui pousse Plick dans la pente neigeuse. Même accident, même pied qui dépasse. Il n’y a pas à s’y tromper : HERGÉ a lu CHRISTOPHE. Mieux : il s’en est souvenu.  

That’s all, folks ! Juste le temps d’ajouter qu’ANDRÉ FRANQUIN s’est lui aussi souvenu de CHRISTOPHE dans une histoire de son Gaston Lagaffe. Gaston, qui a inventé un moyen révolutionnaire de se débarrasser du sapin de Noël sans semer des aiguilles partout (grâce à je ne sais plus quelle colle miraculeuse), se retrouve entièrement couvert des dites aiguilles. Et que c’est au hasard d’une corde pincée de son inénarrable gaffophone qu’il s’en trouve en un instant nettoyé (« Pff ! Gaston s’en sort toujours », lance-t-il à Fantasio ou Lebrac, je ne sais plus).

 

 

Eh bien on trouve un peu la même idée dans Plick et Plock : nos deux gnomes qui n'arrêtent pas de faire des bêtises sont aux prises avec l'électricité statique. L'un reste collé au mur, l'autre se voit recouvert des poils d'un caniche qui vient d'être tondu. Mlles Zig et Zag (souvenir des Voyages en zig-zag du grand RODOLPHE TÖPFFER ?) ne sont pas tombées de la dernière pluie, et d'un bout d'aiguille débarrassent illico les deux garnements. 

 

Longue vie à Tintin (bien qu’il manque carrément d'humour), longue vie à Gaston (parce qu’il est le bienheureux désordre dans une machine trop bien huilée). 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 14 novembre 2012

DES MONUMORTS HUMAINS

Pensée du jour :

RUPESTRE 20.jpg

"RUPESTRE" N°20

 

(lettre à ANDRÉ R., le lendemain de l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, où sont mortes plusieurs grosses pointures féminines de la toute haute société parisienne) : « J'espère, mon cher André, ne pas vous scandaliser en vous disant qu'à la lecture des premières nouvelles de cet événement épouvantable, j'ai eu la sensation nette et délicieuse d'un poids immense dont on aurait délivré mon coeur. Le petit nombre des victimes, il est vrai, limitait ma joie. Enfin, me disais-je tout de même, enfin ! ENFIN ! voilà donc un commencement de justice ».

 

LÉON BLOY

 

 

Résumé : je termine aujourd'hui, à l'occasion du 94ème anniversaire de la fin de la grande catastrophe de 14-18, dont l'Europe n'est pas près d'avoir fini de payer les intérêts, une petite évocation de ces constructions entreprises en 1920 dans les 36.000 communes de France, en l'honneur de leurs 1.700.000 morts.

 

 

Tout en persistant à penser que qualifier ces morts de « héros » est aussi absurde que la guerre qui les a engloutis. Il suffit, pour se rendre compte que c'est une Histoire sans héros (titre d'une BD de DANY), de lire DORGELÈS (Les Croix de bois), BARBUSSE (Le Feu), REMARQUE (A l'Ouest rien de nouveau), JÜNGER (Orages d'acier), augmentés de quelques Français et de quelques Allemands.

 

 

 

En tout cas, faire du 11 novembre une cérémonie militaire, c'est, de la part de la nation, un extraordinaire abandon de souveraineté : l'armée est au service de la nation, et non l'inverse. C'est faire preuve d'un aveuglement presque aussi coupable que, par exemple, le crime commis par le colonel DIDIER, le 8 octobre 1914, sur la personne de JEAN-JULIEN CHAPELANT, qu'il a fait fusiller ligoté à son brancard dressé debout contre un pommier, parce qu'il a eu la mauvaise idée d'échapper, grièvement blessé, aux Allemands.

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LE CHEF MITRAILLEUR CHAPELANT 

 

Le colonel DIDIER l'a fait exécuter pour l'exemple, tenez-vous bien, pour « capitulation en rase campagne ». Il ne faudrait pas confondre la nation avec sa composante armée, surtout depuis qu'elle n'est plus faite de conscrits, mais de professionnels. Qui jugera le colonel DIDIER ? JEAN-JULIEN CHAPELANT s'est montré certainement plus "héroïque" que ce salopard galonné. Qui a intérêt à réduire la nation à l'armée chargée de la défendre ?

 

 

 

J'en reviens aux monuments. Je montre en couverture d’un des albums ci-contre la photo de celui de Pléhédel (22). Cette femme couverte d’un ample capuchon n’a peut-être l’air de rien, mais elle tend le poing d’une façon qui a quelque chose à voir avec le célèbre geste ganté de noir de TOMMIE SMITH et JOHN CARLOS sur le podium du 200 mètres aux Jeux Olympiques de 1968. photographie,littérature,léon bloy,bazar de la charité,europe,france,monument aux morts,première guerre mondiale,guerre 14-18,roland dorgelès,les croix de bois,henri barbusse,le feu,erich maria remarque,à l'ouest rien de nouveau,ernst jünger,orages d'acier,français,allemands,11 novembre,armée française,pléhédel,tommie smith,john carlos,jeux olympiques 1968,picarde maudissant la guerre,paul auban,rené quillivic,bretagne,plouhinec,plozévet,carhaix,fouesnant,pirre fresnay,la grande illusion,boïeldieu,éric von stroheim,aristide maillol,ernest gabard,bande dessinée,dany,histoire sans héros

 

 

 

 

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PLEHEDEL 22

 

En Bretagne, RENÉ QUILLIVIC, né à Plouhinec, privilégia dans les monuments qu’on lui commanda, la figuration du deuil, en montrant un père (Plozévet), une mère (Carhaix), la sienne propre (Plouhinec, ci-dessous), une sœur (Bannalec), tous inconsolables de la perte subie. On lui doit également Fouesnant, Plouyé, Pont-Croix, Saint Pol de Léon, Loudéac, …

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RENÉ QUILLIVIC POUR PLOUHINEC 29

(sa propre mère, la tête inclinée vers - regardez la plaque - combien de noms d'une ville qui comptera environ 4.400 habitants en 1990 ?)

 

J’ai plus de mal à comprendre le choix de certaines communes ou paroisses (rares, heureusement, j’en ai collecté 9 !), dont le choix s’est porté sur un modèle (dont je n’ai pas identifié les promoteurs) qui fait du poilu un jeune homme du beau monde, les jambes noblement croisées, élégamment accoudé à la plaque portant les noms des morts. C’est sûr que celui-ci, comme Boïeldieu (PIERRE FRESNAY) dans La Grande illusion, devait blanchir ses gants avant de se lancer à l’assaut hors de la tranchée (rappelez-vous ce que dit ERIC VON STROHEIM à PIERRE FRESNAY en gants blancs, qui fait semblant de s'évader pour permettre à GABIN de le faire vraiment : « Che fais tirer, Boeldieu ! »). Et ce n’est pas l’ange qui le couronne de lauriers qui est fait pour arranger les choses.

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BEYRIES 40

 

Pour finir sur ce sujet (avant la prochaine fois), il faut quand même parler des quelques grands artistes, comme ARISTIDE MAILLOL, qui eurent parfois l’élégance de travailler gratuitement. MAILLOL poussa cette élégance jusqu'au raffinement généreux, en réalisant gracieusement, dans et pour sa région de naissance, les monuments de Céret, Elne, Port-Vendres et Banyuls.

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OEUVRE D'ARISTIDE MAILLIOL POUR CÉRET 66

 

 Et j’ai rendu hommage, en un autre temps, à ERNEST GABARD, plus récemment à DINTRAT (Montfaucon, 43). Ceux-là ne travaillèrent pas à la chaîne, et ce que nous voyons de leur travail reste – qu’on me passe cette confidence, si c’en est une – émouvant.

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OEUVRE D'ERNEST GABARD POUR JURANÇON 64

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 13 novembre 2012

L'INDUSTRIE DU MONUMENT AUX MORTS

Pensée du jour :

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"POURTRAIT" N°3

 

« Catastrophe inouïe de Messine [30 décembre 1908] entièrement détruite, il y a deux jours, fête des Saints Innocents, par un tremblement de terre, en même temps que Reggio et quelques autres villes ou villages. On évalue à deux cent mille le nombre des morts. Cela commence ».

 

LÉON BLOY

 

Résumé : après un petit tour, dans l’ « île du souvenir », au monument aux morts de Lyon, dans le parc de la Tête d’or, je commençais à évoquer le boom de l’industrie du monument aux morts au cours de la décennie 1920. Des sculpteurs conçurent et élaborèrent plusieurs modèles, que les industriels diffusèrent en plus ou moins grand nombre, en fonction de la demande.

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FOUILLOY 80

 

Au palmarès des modèles les plus demandés, figure le « Poilu au repos» (que j’avais appelé « sentinelle »), qui a été sculpté par ETIENNE CAMUS (né en 1867, impossible de trouver la date de son décès, j'en ai conclu logiquement qu'il est toujours vivant), de Toulouse, et qui figure au sommet, paraît-il, de plusieurs centaines de monuments français.

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COURRIERES 62

 

Au point que les fonderies ont dû s’y mettre à plusieurs pour satisfaire la demande : Tusey (Meuse), Guichard à Castelnaudary, Jacomet (Vaucluse), peut-être Val d’Osne à Paris. Mais on connaît d’autres « poilus » de la même veine, dont celui de CHARLES-HENRI POURQUET (1877-1943).

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SAINT SAUVEUR DE PEYRE 48 

Un autre modèle eut beaucoup de succès : le poilu brandissant une couronne de lauriers, œuvre du sculpteur EUGÈNE BENET. Fondu chez Durenne à Sommevoire (Haute-Marne), il fut peut-être diffusé à 900 exemplaires (« peut-être », le chiffre étant extrapolé à partir d’un nombre non précisé de mairies interrogées).

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CORDELLE 42

 

Le « poilu » qui se dresse fièrement en travers du chemin de l’ennemi, le fusil tenu de façon à lui barrer le chemin de la Patrie, est du déjà cité CHARLES-HENRI POURQUET, sculpture qu’on trouve une peu partout en France (j’en ai 56 dans ma besace). Le « poilu » qui se cabre, à l’arrivée de l’ennemi, en serrant convulsivement son drapeau sur son cœur, a été sculpté par CHARLES BRETON (j’en ai collecté une vingtaine au total).

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ARVILLERS 80

 

Des modèles, j’en citerai encore un autre : le « poilu » en personne, qui fait barrage de tout son corps, les bras en croix, que j’avais baptisé : « On ne passe pas !». C’est sûr que l’exaltation de l’héroïsme n’est pas vraiment ma tasse de thé, et la réflexion qui me vient, au sujet de ces trois modèles, c’est qu’il y eut dans la décennie 1920 une énorme opération de propagande patriotique.

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SAINT-JEURES 43

 

Dans ses travaux sur le monument aux morts de 14-18, ANTOINE PROST montre, entre bien d’autres choses, que le budget municipal fut loin d’être proportionnel à la dimension et à la beauté du monument, et que des communes relativement pauvres eurent à cœur d’ériger une œuvre qui fût à la hauteur de l’idée qu’elles se faisaient de l’hommage à rendre à leurs morts.

 

 

Ce véritable rouleau compresseur était sans doute destiné à faire taire les velléités révolutionnaires qui se faisaient jour dans le peuple en France et en Allemagne. Je rappelle que le mouvement Spartakus (avec les personnalités emblématiques de ROSA LUXEMBURG et KARL LIEBKNECHT) fut écrasé dans le sang en 1919.

 

 

Personnellement, je préfère les monuments aux morts qui mettent en scène (pour ceux qui portent une figure) ceux qui restent, ceux qui continuent à vivre avec la perte d’un ou plusieurs membres de la famille : les parents, les veuves, les enfants. Dans certaines communes, le monument affiche jusqu’à sept fois le même nom. Regardez Maniquerville (76) : trois cent quarante-huit habitants en 1990, douze noms, 2 DESPREZ, 3 LEMAITRE, 2 LEVARAY. Reste cinq.

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MANIQUERVILLE 76

 

La Vie et rien d'autre, on vous dit, avec BERTRAND TAVERNIER.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 12 novembre 2012

MONUMORTS A LA CHAÎNE

Pensée du jour :

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"MUR" N°11

 

« Je méprise profondément ceux qui aiment marcher en rang sur une musique : ce ne peut être que par erreur qu'ils ont reçu un cerveau ; une moelle épinière leur suffirait amplement ».

 

ALBERT EINSTEIN

 

 

Voyez comme le hasard fait bien les choses (en fait le hasard n’y est pas pour grand-chose) : hier je célèbre à ma façon le 11 novembre, en publiant une note sur le monument aux morts de la ville de LyonMONUMORT LYON COULEUR.jpg, dans la petite île du parc de la Tête d’or, et voilà-t-il pas que Le Progrès daté du même 11 novembre donne en pages locales (6ème arrondissement) des nouvelles de sa restauration.

 

 

Tiens, soit dit par parenthèse, c’est très "tendance" de mettre tout dans le même sac : après l'imposture du « mariage pour tous », voici la forfaiture de la « commémoration pour tous », depuis la loi qui fait du 11 novembre la date de commémoration de tous les « morts pour la France ».

 

 

Pourtant, est-ce qu’il est « mort pour la France », le soldat de métier qui tombe en Afghanistan, qui a choisi de risquer de mourir ? Quoi de commun avec le grand massacre de la paysannerie française en 14-18 ? Demandez à un juif s'il peut renoncer à proclamer le caractère UNIQUE de l'holocauste, et vous verrez. C'est du même ordre : la partie massacrée de la population en 14-18 était composée de civils.

 

 

Revenons au Progrès. Non seulement on est tenu au courant de l’avancement des travaux, mais on apprend des choses. D’abord, que la pierre de 1920 était du calcaire, que l’acidité des pluies a vite fait de défigurer, comme l’acné qu’un adolescent perturbé ne cesse de labourer à coups d’ongles.

 

 

Ensuite, que les nouvelles plaques (toujours au nombre de 76) sont en pierre de Hauteville, assez dure pour que les Américains aient eu l’idée de s’en servir pour construire l’Empire State Building. Croisons les doigts. Lyon, à l'époque, a sans doute reculé devant la dépense d'une pierre résistante.

 

 

On apprend aussi que le « temple » – je ne vois pas d’autre mot pour désigner l’ensemble de la construction, soubassement, plaques portant les noms, bas-reliefs, « crypte » à ciel ouvert (!), monument proprement dit – est l’œuvre de TONY GARNIER, qui est aussi l’auteur de la Halle qui porte son nom à Gerland (les anciens abattoirs, où je faisais des livraisons dans d'autres temps) et des "Gratte-Ciel" de Villeurbanne.

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ET MOI QUI DISAIS "QUASIMENT HAUTEUR D'HOMME" !

EN FAIT, C'EST LARGEMENT HAUTEUR D'HOMME

(état après restauration)

 

On apprend enfin que c’est DAVID PENALVA (MOF 1997) qui a été retenu pour graver les 10.600 noms (augmentés de ceux que les historiens ont rétablis dans leurs droits), à la micro-meuleuse, dans cette pierre très dure, à raison de 40 à 50 lettres romaines par jour, qu’il s’est attelé à la tâche pour une première tranche de 2004 à 2005, et que la seconde a débuté en 2007 (j’imagine que la municipalité n’a pas voulu tout engager d’un seul coup et voulait juger sur pièce), pour s’achever en 2014, juste à temps pour fêter le centenaire de la première grande boucherie industrielle de l’histoire.

 

 

Que l’on puisse de nouveau lire distinctement tous les noms des morts, voilà enfin, parmi plusieurs autres moins reluisants (quartier Grolée sinistré, Hôtel-Dieu bradé, …), monsieur le Maire GÉRARD COLLOMB (que j'ai croisé à la glorieuse époque de la "Salle 3"), un acte digne pour lequel les Lyonnais vous devront un minimum de reconnaissance.

 

 

J’en arrive à mon sujet du jour. Dans la décennie 1920, la France a érigé, dans ses moindres patelins, bleds paumés et trous perdus, 36.000 monuments aux morts. Enfin, pas tout à fait, car il faut retrancher les quelques communes qui, n’ayant envoyé au combat aucun de ses hommes ou nul n’y ayant perdu la vie, ont échappé à la règle générale.

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PALAZINGES, SA MAIRIE, SON EGLISE : POURQUOI MOURIR ? ON SE DEMANDE

 

Parmi elles, citons Palazinges (Corrèze, 115 habitants au recensement de 1990), et Les Plans (Hérault, 265 habitants en 1999). Cette dernière municipalité a la particularité de n’avoir eu aucun mort à déplorer, pas plus en 14-18 qu’en 1870 ou en 39-45. Il y en a sûrement d'autres, mais combien ?

 

 

Il a donc fallu que, dans 36.000 conseils municipaux, ait lieu une délibération au sujet du budget à consacrer à cette édification et de la façon dont on allait s’y prendre. Dans pas mal d’endroits bénéficiant de la présence d’un sculpteur (ou tailleur de pierre) local, les gens se sont arrangés pour que leur monument soit unique. La plupart du temps, ce fut vite vu, pour des raisons pécuniaires, et l’on se contenta d’un obélisque, souvent orné d’une palme, d’une croix de guerre ou d’un coq. C’est ce qu’on voit dans l’immense majorité des localités françaises.

 

 

Mais cette flambée d’érections sur la totalité du territoire suscita l’imagination et l’appétit d’un certain nombre d’entrepreneurs avisés, qui virent là un formidable marché potentiel. Se mettant au travail, ils furent rapidement en mesure de proposer un véritable catalogue aux 36.000 maires de la nation, au point qu’on peut vraiment parler d’une industrie du monument aux morts. 

 

 

Ce catalogue comportait différents modèles dus à des sculpteurs professionnels, et ils y étaient déclinés en plusieurs versions, de la fonte de fer ciselée et bronzée (« absolument inaltérable ») à la pierre reconstituée, que les communes choisissaient en fonction du budget alloué et du montant qu’avait rapporté la souscription municipale.

 

 

Et les affaires marchaient du tonnerre de Dieu : « L’âge d’or, mon cher ami, l’âge d’or. Jamais vu ça, depuis les Grecs, depuis les cathédrales.Même ceux qui ont une main de merde ont de la commande. Vous vous rendez compte ? Un monument par village. 35.000 communes pour 300 sculpteurs ! Tout le monde veut son poilu, sa veuve, sa pyramide, ses marbres. On ne fournit pas. La ronde-bosse, le bas-relief, la lettre, tout ça ronfle comme une usine. Mieux que la Renaissance, mon cher, la Résurrection. – Grâce à nos morts. – Ouais, grâce à nos morts, merci à eux ». C’est le sculpteur Mercadot qui dit ça à PHILIPPE NOIRET, dans le poignant La Vie et rien d’autre, de BERTRAND TAVERNIER (1989).

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Il faut avoir vu ce film, tout en lumières vaguement bleues ou grises, en clartés humides ou brumeuses, où NOIRET et SABINE AZEMA font merveille, et où TAVERNIER touche très juste.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

dimanche, 11 novembre 2012

UN TOUR DANS L'ÎLE DU SOUVENIR

Pensée du jour :

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"POURTRAIT" N°1

 

« L'homme se prouve par le chapeau mou, qui le distingue des autres primates. Mais, même prouvé par le chapeau mou, l'homme a beau être réellement homme, l'Italien l'est encore plus que lui. D'abord parce qu'il ajoute des plumes au chapeau mou, des plumes vertes qui font lyrique. Rien n'est plus beau que de le voir se marier dans cette parure ornithologique. En chantant Sole mio. On dirait l'oiseau-lyre. J'ai eu ce bonheur en Italie. C'est un tableau qu'on n'oublie pas ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je ne peux pas laisser passer un 11 novembre sans ajouter mon petit gravier à l'édifice national commémoratif, n'est-ce pas ? J'invite d'abord le lecteur à faire un détour par les albums ci-contre, ne serait-ce que pour marquer le coup, en faisant observer que je me suis arrêté aux communes françaises dont le nom commence par la première lettre de l'alphabet, et que je n'ai inséré qu'une faible partie (139 photos) des 942 images dont je dispose. Je me suis permis d'ajouter un album des photos que j'ai prises au cours de mes pérégrinations en France et autour de Lyon.

 

 

 

GEORGES BRASSENS chante : « Un 22 septembre, au diable vous partîtes, Et depuis chaque année, à la date susdite, Je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous, Mais nous y revoilà, et je reste de pierre, Pas une seule larme à me mettre aux paupières. Le 22 septembre, aujourd’hui, je m’en fous ». J’espère que nul Européen ne cédera à cette tentation du désamour, s’agissant du premier suicide de sa terre natale.

 

 

Car il s’agit bien de la guerre de 1914-1918, et la chanson de BRASSENS n’était qu’un prétexte pour parler à nouveau de la « Grande Guerre », de la « Der des Der », bref, de la Première Guerre Mondiale. Et cette guerre n’a jamais été Un long dimanche de fiançailles (JEAN-PIERRE JEUNET, 2004, avec AUDREY TAUTOU), non, elle fut le premier « long suicide européen ».

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JE N'INVENTE RIEN : JE TIRE CE TABLEAU DE LA REVUE BT2

(n°53, novembre 1973, revue du réseau CELESTIN FREINET)

 

Un suicide intrépidement poursuivi en 1939-1945 (avec une tendance à l’exportation), et probablement en train de se consommer aujourd’hui. L’ironie de l’Histoire est féroce : c’est au moment où elle croit qu’elle va parachever son édification (la « construction européenne ») que l’Europe a sans doute signé son propre permis d’inhumer, et commencé à creuser son propre trou de ses propres mains.

 

 

Et c’est épouvantablement normal : cette Europe-là est un mensonge qui remonte au coït inaugural de ses premiers parents, quand ils l'ont conçue comme un piédestal pour la Grande Privatisation du bien commun (qui portait en France le nom devenu dramatiquement ringard de "Service Public"). Passons.

 

 

Pour revenir à 14-18, nous commémorons aujourd’hui la fin du premier massacre industriel de l’histoire, une énorme broyeuse des enfants mâles de grands pays. Un massacre que GEORGES BRASSENS a célébré à sa manière dans une chanson plus connue que celle ci-dessus. 

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Le journal Le Progrès le fait – de façon assez digne, je dois dire – dans son numéro lyonnais du 9 novembre (dans les pages locales), en citant les noms de l’initiateur et du sculpteur auxquels le quartier de Montchat doit, selon lui, de posséder le premier monument aux morts (il porte 170 noms !). Vous avez dit « premier » ? Mais premier de quoi ? En France ? A Lyon ? Aucune idée. D’ailleurs, peu importe.

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PARC TÊTE D'OR : NOTRE "ÎLE DES MORTS" EST AU MILIEU DU LAC

 

L’important est d’y penser. Rien qu’un jour par an, ce n’est pas beaucoup. Et encore, un petit moment dans la journée. Le monument de Lyon a les dimensions d’un temple. Il fallait bien ça. Il a été élevé à partir de 1920. Il occupe l’intégralité de l’ « île du souvenir », au milieu du lac du Parc de la Tête d’or. Il est en forme de rectangle très allongé. On y accède par un tunnel qui passe sous le lac : il faut descendre des marches, remonter des marches (quand la grille n'est pas fermée, ou alors il y a la nage).

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On commence par faire le tour du « temple », pour prendre conscience - on en est effaré ! - du trou que la guerre a creusé dans la population mâle de la ville : tous les prénoms et les noms ont été gravés méticuleusement, l'un derrière l'autre, sur des plaques qui ceinturent l’espace du monument proprement dit.

 

Pour vous faire une idée, dites-vous, en regardant la photo ci-dessous, que toutes les parties rectilignes extérieures du quadrilatère sont couvertes de noms, quasiment à hauteur d'homme.  De quoi peupler une ville mieux que moyenne.

 

Au total, ce sont 10.600 noms qui figurent ici, et 76 plaques ont été nécessaires. Il faut penser à ces milliers de noms comme à des hommes encore debout. Je vais vous dire : ça ferait du monde aujourd'hui. Et l'histoire du "regroupement familial" ne serait qu'une mauvaise blague, absolument incompréhensible (la remarque s'adresse à ceux qui pensent qu'on peut refaire l'histoire).

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MERCI MALGRE TOUT A GOGOL

 

Je ne sais pas quelle est la pierre qui a servi à fabriquer les plaques, en tout cas, elle est assez friable pour avoir rendu nécessaire une restauration générale qui sera achevée (théoriquement) en 2013 : la plupart étaient devenus illisibles, au point que certains venaient compléter un nom ou un prénom au feutre noir, façon comme une autre, finalement, de rendre hommage à un mort. L'opération aura coûté 800.000 euros aux contribuables lyonnais, si le devis est respecté. La mémoire, ça se paie.

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Pour accéder au monument, il y a encore quelques marches à monter. L’esplanade est vaste. Le « saint des saints » (si l’on veut) du temple est situé dans la partie nord, et se compose de deux parties. Une sculpture représentant des hommes (six, je crois) portant sur leurs épaules un cercueil revêtu d’un long voile (un drapeau ?) qui semble flotter lourdement ; et puis une sorte de crypte : il faut descendre plusieurs marches pour se trouver face à un livre ouvert, protégé par des vitres. Je crois bien, sauf erreur (je ne le jure pas) que les pages portent elles aussi les noms des morts.

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A l’occasion du 11 novembre 2012, j’espère que vous ne m’en voulez pas trop d’avoir proposé cette petite visite dans « l’île du souvenir ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 10 novembre 2012

VOUS AVEZ DIT LACAN ? (fin)

Pensée du jour :

 

« Cette chronique ne cesse de se préoccuper de l'homme, de le poursuivre, de le piéger, de le traquer à travers l'apparence, de chercher à tracer son portrait éternel. Tout au moins son ombre chinoise ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Résumé : le style écrit de JACQUES LACAN, c’est bien connu, est une sorte d’Everest pour un lecteur ordinaire. C’était tout à fait concerté et volontaire de sa part. C’en était au point que même ses collègues psychanalystes le trouvaient illisible, et qu’il a dû, dans certaines circonstances que ROUDINESCO expose, faire un (petit) effort de lisibilité. 

 

L’autre aspect négatif de LACAN que je retiens du livre de ROUDINESCO, c’est le caractère très moyennement sympathique du personnage. L’une des principales raisons est l’obsession de l’argent. L’auteur écrit : « A sa mort, à la différence de Balthazar Claës [drôle de renvoi au personnage de La Recherche de l’absolu (BALZAC), mais la 8ème partie du livre porte précisément ce titre], Lacan était donc richissime : en or, en patrimoine, en argent liquide, en collections de livres, d’objets d’art et de tableaux » (p.514). Richissime ! 

 

Je me rappelle avoir lu dans le temps (dans la revue Actuel, 2ème mouture) un article insolent sur maître LACAN, illustré entre autres d’un dessin le représentant brassant plein de billets de banque dans un grand tiroir ouvert. Il y avait donc du vrai. 

 

Une de ses filles est d’ailleurs, si je me souviens bien, devenue conseil en immobilier, pendant qu’un fils opérait dans la finance. Sa fille préférée, JUDITH, à la suite de je ne sais plus quel micmac, n’a porté son nom que deux ans, intervalle entre la démarche administrative pour avaliser la filiation et son mariage avec le redoutable JACQUES-ALAIN MILLER, dont elle a adopté le patronyme. 

 

Cette richesse énorme, il la devait à son incomparable maîtrise dans la discipline psychanalytique et à l’incontestable (voire incroyable) succès rencontré par son enseignement auprès de différentes générations d’analystes. Les gens (y compris des célébrités parisiennes) se bousculaient à son séminaire. 

 

Mais cette richesse, il la devait aussi à l’une des raisons qui l’ont coupé des autorités de la profession : la durée de la séance. L’IPA (l’association internationale) tenait à des séances uniformément étendues sur trois quarts d’heure. LACAN inventa la « durée variable », autrement dit les séances réduites à quelques minutes à la fin, voire interrompues au bout de quelques instants.

 

On se pose forcément la question de l'escroquerie (ce n'est pas la même chose de recevoir 15 patients et d'en recevoir 60 ou 80 dans la journée ; on pense aux "gagneuses" de Barbès qui épongeaient  autrefois le micheton à la chaîne et à 100 balles). 

 

Une autre raison est à chercher du côté de la certitude absolue qu’il a de son propre génie, et de la confiance infinie qu’il a en lui-même. Plongé dans sa recherche, plus rien d’autre n’existe que celle-ci. On peut se dire que BALZAC ou CÉLINE non plus ne doutaient de rien. 

 

Mais cela peut rendre les relations délicates : LACAN n’hésite pas à réveiller ANDRÉ WEISS en pleine nuit pour le supplier de lui donner la solution de l’énigme que celui-ci lui a posée pendant la soirée (les « trois prisonniers », intéressant, mais je ne vais pas vous embêter avec ça, parce qu’il faudrait encore développer). C’est sûr que cela comporte un aspect fascinant. 

 

Qu’est-ce que je retiens d’autre, de la lecture d’un ouvrage consacré à un homme qui a, en son temps, défrayé la chronique ? J’ai connu un homme (que je suis très heureux d’avoir perdu de vue) qui a croisé LACAN. C’était à l’hôtel Pigonnet (catégorie *****, oui, 5 étoiles), à Aix-en-Provence. 

 

Je n’ai pas retenu toutes les circonstances, mais au moment où il était assis dans le salon de réception, il a vu un monsieur descendre l’escalier, se diriger vers l’Accueil pour je ne sais plus quoi. C’était JACQUES LACAN, et d'une, et il était à poil, et de deux. Ma foi, pourquoi pas ? Quand on est riche et célèbre, on peut se permettre l’excentricité, au motif que le riche est plus libre que le pauvre. 

 

Je retiens encore le fait que, si une foule de gens reconnaissent que LACAN a renouvelé en profondeur la lecture de l’œuvre de SIGMUND FREUD, c’est en bonne partie parce qu’il a énormément travaillé les philosophes (et avec eux) de son temps : HUSSERL, JASPERS, KOYRÉ, KOJÈVE, HEIDEGGER, et d’autres plus anciens, dont HEGEL. 

 

Ce sont ses lectures et échanges philosophiques qui ont nourri ce renouvellement. ROUDINESCO pointe d’ailleurs les trois sources de l’inspiration lacanienne : médicale (c’est un médecin), intellectuelle et artistique (copain de DALI et d’ANDRÉ MASSON, passés par le surréalisme). A cet égard, la biographie de LACAN par ROUDINESCO (je dis ça, moi qui n’ai guère de points communs avec la psychanalyse) est un excellent travail de reconstitution d’une démarche et d’une trajectoire, tant pour la vie que pour l’œuvre du personnage. 

 

J’ajouterai pour finir que ce n’est pas un livre sans faiblesses. Celle que je considère comme principale est dans la composition elle-même. Plus on descend le cours du temps, plus l’exposé perd en esprit de synthèse, et tombe un peu, disons-le, dans l’anecdotique, pour ne pas dire le « people ». Et plus on se perd dans des détails qui s’étalent indûment. 

 

Si je peux avancer une explication : l’auteur est entré dans le circuit parisien organisé autour de LACAN à une certaine époque. Et ce dont elle-même a été témoin direct (ou presque) prend une ampleur que n’ont pas des sources plus anciennes (écrits et entretiens divers). Le synthétique résulte d’un travail de reconstruction a posteriori, comme « en laboratoire », le dilué venant d’un relatif manque de recul, dû à la présence "in vivo". 

 

Et le moment où la biographie donne l’impression de s’effilocher et de tirer en longueur, je le situe quand l’auteur devient elle-même partie prenante. Qu’elle soit entrée dans le jeu n’a rien d’étonnant : elle est la fille de JENNY AUBRY (née WEISS, puis épouse ROUDINESCO, puis ...). Le monde est petit, comme on l’a vu avec DIDIER ANZIEU, le fils de MARGUERITE PANTAINE, qui a, sous le nom d’ « Aimée », servi de marchepied (de paillasson ?) à JACQUES LACAN. 

 

Dernière remarque, inspirée par le dernier chapitre, intitulé « France freudienne : état des lieux ». Impressionnant, franchement. Il y avait la SPP et l’APF (je ne détaille pas, le P est pour "psychanalyse", le F pour Freud), augmentées de l’OPLF et du Collège de psychanalystes. Ce sont des associations professionnelles. Ajoutons l’EFP fondée par LACAN. Je me contente d’énumérer la suite : ECF, AF, CFRP, Cercle freudien, CCAF, EF, FAP, CP, Coût freudien (sic !), GRP, Errata, ELP, Psychanalyse actuelle. 

 

Et moi qui croyais que le pompon de la scission et autres formes de scissiparité était détenu haut la main par les sectes trotskistes ! Quel désappointement ! Je vais être obligé désormais de changer de cible, et sans même avoir à caricaturer : la cible se caricature elle-même !!! Parce que la liste ci-dessus s’allonge dès la page suivante : entre 1985 et 1993, pas moins de « quatorze associations supplémentaires ont vu le jour. Six d’entre elles sont des créations nouvelles, deux sont le résultat de scissions, et six sont des lieux fédératifs » (p. 552). 

 

Vous voulez une image du sac de nœuds ? Une représentation du nœud de vipères ? Du merdier ? De la confusion générale ? De l’imbroglio ? De l’enchevêtrement ? Alors, mieux que les sectes trotskistes, ouvrez la caisse aux psychanalystes, regardez-les grouiller, ... et vous serez servis. 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

jeudi, 08 novembre 2012

VOUS AVEZ DIT LACAN ?

Pensée du jour :

 

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"RUPESTRE" N°1

 

« L'indignation ne saurait en aucun cas être une attitude politique ».

 

TALLEYRAND

(à transmettre à STEPHANE HESSEL)photographie,vulgarisation,denis guedj,jostein gaarder,le théorème du perroquet,le monde de sophie,science,sciences humaines,littérature,balzac,la comédie humaine,psychanalyse,masud khan,passion solitude et folie,la main mauvaise,nouvelle revue de psychanalyse,nouvelles,maurice pons,douce-amère,les saisons,didier anzieu,jacques lacan,élisabeth roudinesco,l'auto-analyse de freud,sigmund freud,le cas aimée,paranoïa,psychose paranoïaque,jacques-alain miller,albert einstein

 

 

 

 

 

Résumé : j’ai beaucoup d’estime pour l’anthropologue, l’historien, le sociologue, bref, pour le spécialiste de « sciences humaines » quand, sans rien céder sur ce qu’il y a de « pointu » dans la doctrine, il parvient à créer une œuvre qui ait des qualités littéraires.

 

 

Je n’en ai guère pour ceux, tels DENIS GUEDJ ou JOSTEIN GAARDER, qui passent par le roman pour faire une sorte de propagande simplificatrice à la "petite semelle" (excusez-moi). Ils ne sont que des intermédiaires entre la discipline et le grand public, des « vulgarisateurs », qui peuvent bien sûr briller sur les plateaux de télévision. Ils vous disent : « Moi je sais. Je vais tout vous expliquer, voyez comme je suis bon ». Mais ils se révèlent à la fois des romanciers infirmes et de piètres professeurs. De plus, cette attitude a quelque chose de toute à fait déplaisant.

 

 

Le vrai savant qui consent à faire entrer son lecteur dans la Science par le biais de la littérature est donc un esprit supérieur. EINSTEIN disait : « Il faut s'efforcer de rendre les choses simples, mais pas plus simples ». Réciproquement, la Science contenue dans la littérature est infiniment supérieure à ces balbutiements de pédagogues empêtrés et de vulgarisateurs à succès, mais aussi supérieure aux plus arides traités austères de science pure.

 

 

S’il en est ainsi, c’est que la dite Science, dans les ouvrages que je privilégie, ceux dont je parle, n’apparaît que comme un élément parmi d’autres dans ce qu’on appelle communément LA VIE. C’est cette science-là que BALZAC a élaborée et transmise dans La Comédie humaine.

 

 

C’est pour ça que je tire mon chapeau à quelques psychanalystes. Tiens, je me rappelle une histoire de cas racontée par un monsieur MASUD KHAN (quelque suspecte que soit sa réputation par ailleurs) dans un numéro de la Nouvelle revue de psychanalyse (n° 24, « L’emprise »), repris dans Passion, solitude et folie (Gallimard, 1985), histoire intitulée La Main mauvaise.

 

 

Sans me rappeler le détail, je me souviens du drame épouvantable vécu par un artiste habité par un fantasme qu’il tâche de transformer en œuvre d’art (y a-t-il un vélo en bois ?), jusqu’au jour où le hasard d’une rencontre féminine le met face à des circonstances et un déroulement d’événements qui ressemblent trait pour trait (et de façon épouvantable) aux forces de son fantasme. J’ai oublié s’il devient fou à la fin, ou quoi.

 

 

Dans mon souvenir, ce récit ne présente guère (en dehors desphotographie,vulgarisation,denis guedj,jostein gaarder,le théorème du perroquet,le monde de sophie,science,sciences humaines,littérature,balzac,la comédie humaine,psychanalyse,masud khan,passion solitude et folie,la main mauvaise,nouvelle revue de psychanalyse,nouvelles,maurice pons,douce-amère,les saisons,didier anzieu,jacques lacan,élisabeth roudinesco,l'auto-analyse de freud,sigmund freud,le cas aimée,paranoïa,psychose paranoïaque,jacques-alain miller références proprement psychanalytiques) de différence avec les ambiances qu’on trouve dans les nouvelles, par exemple, de MAURICE PONS (Douce-amère, Denoël, 1985). MAURICE PONS, parmi les romanciers, est sûrement ce qu’on peut appeler un « petit maître ». Mais parmi les petits maîtres, c’est un bon.

 

 

Pour moi il reste le bel auteur de quelques livres qui ont tracé leur sillage indélébile (il faut le faire, non ?) dans mon imaginaire, au premier rang desquels le lent, lugubre et remarquable Les Saisons. Il y a aussi Rosa et le complètement foutraque La Passion de Sébastien N. (bêtement rebaptisé Le Festin de Sébastien pour sa réédition au Dilettante, une histoire de droits, j'imagine).

 

 

Le héros finit par dévorer une automobile, des sièges à la carrosserie, avant de s’élancer à toute allure sur les routes, carburateur refait à neuf. Mais ça finit mal. Pris en chasse par deux motards : « … il alla s’écraser, la tête en avant, contre un pylône de béton édifié au milieu de la chaussée en prévision de l’éventuel projet du futur tronçon de l’autoroute Moyenvic-Vézelise ». Alors, « une bouillie d’organes et d’ossements se répandit sur la chaussée, mêlée à des fragments d’acier et des débris de tôle ». « A l’aube, les fossoyeurs et les ferrailleurs de Verveine, accourus en hâte, se disputaient ses restes ». Comme foutraque (et comme fantasme), on ne fait pas mieux.

 

 

Je reviens à DIDIER ANZIEU, dont je vantais les mérites hier, pour la lisibilité de L’Auto-analyse de Freud. Il se trouve qu’ELISABETH ROUDINESCO parle de lui dans sa biographie de JACQUES LACAN. Et pour cause : le premier coup d’éclat de celui-ci est la thèse qu’il soutient et publie en 1932 : De la Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (Seuil, 1975, rééd.).

 

 

Je me fiche éperdument de ce qu’y raconte le père du « lacanisme ». Ce qui m’a interpellé, c’est que ce livre traite du cas de MARGUERITE PANTAINE. Car c’est un « cas », au sens psychiatrique. Il se trouve que cette femme, à 38 ans, est allée attendre l’actrice HUGUETTE DUFLOS à son arrivée au théâtre Saint-Georges, qu’elle a sorti de son sac un couteau de cuisine et qu’elle a tenté de l’assassiner. Après quoi elle fut solidement hospitalisée pour paranoïa.

 

 

Dans le livre de LACAN, elle est devenue « Aimée », ou « le cas Aimée ». Le peu que je retiens du livre, c’est que LACAN refuse de faire résulter la folie d’ « Aimée » d’un désordre organique. Pour lui, la folie est une composante « comme les autres » de l’existence, une donnée possible de la vie humaine (je simplifie). Et, dit-il, si tout le monde est potentiellement fou, tout le monde n’a pas la liberté de le devenir. Je trouve l’idée passionnante.

 

 

D’autant plus passionnante qu’il se trouve que MARGUERITE PANTAINE est la mère de DIDIER ANZIEU. C’est ce que la biographie de LACAN m’a appris. DIDIER ANZIEU qui est devenu ensuite un des plus importants psychanalystes français. Ces circonstances ont quelque chose d’éminemment romanesque, ne trouvez-vous pas ?

 

 

D’autant que, d’après ROUDINESCO, LACAN s’est assez mal conduit avec « Aimée », et qu’il s’est servi d’elle plus qu’il n’a eu le souci de sa santé mentale. Il s’en est servi, plus qu’il ne l’a servie, comme d’un tremplin professionnel inespéré. Aux yeux d’ « Aimée » : « … il lui avait volé son histoire pour construire une thèse. Quand il devint célèbre, elle en fut dépitée et sentit resurgir en elle un fort sentiment de persécution. Jamais elle ne lui pardonna de ne pas lui avoir restitué ses manuscrits » (p.257).

 

 

Et, après la mort du maître, ROUDINESCO eut beau intervenir auprès du tout-puissant exécuteur testamentaire de LACAN, son gendre JACQUES-ALAIN MILLER, pour faire rendre à DIDIER ANZIEU, le fils de MARGUERITE, les cahiers rédigés par celle-ci pendant son enfermement à l’asile, le gendre ne daigna même pas répondre. Ce dédain constitue une signature morale. Avec quelque chose d'une odeur infamante. Une odeur de faux-cul. Et de cynisme racinaire.

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VOUS AVEZ DIT JACQUES-ALAIN ?

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 08 octobre 2012

DANS LES PROFONDEURS DU REFLET

Pensée du jour : « L'eau du bénitier résout tous les maux de l'humanité crédule ».

PROVERBE VATICANAIS

 

 

Résumé : j'ai la faiblesse, comme des milliards de Japonais devant la Joconde, d'aimer actionner, convulsivement, le déclencheur de mon appareil photo. Mon attention s'est portée, à une époque, sur les richesses insoupçonnées du reflet complexe. Que je me suis mis à mitrailler.

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Car dans le fond, ce paysage urbain où foisonnent les miroirs, des miroirs que des milliers de magasins tendent obligeamment aux passants, particulièrement aux passantes, est en soi un piège destiné à se refermer sur les gens, considérés comme une simple clientèle payante. Bien sûr, en passant, tout le monde ou presque jette un œil sur l’image que la vitrine lui renvoie de lui-même. Le verre est une invention satanique. La toile d'une araignée vorace.

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Je serais taliban ou salafiste (ou georgebushiste), je ferais, en bon intégriste, une grande "nuit de cristal", étendue à TOUT ce qui reflète. Il faudrait même punir les mares aux canards, à cause du ciel qu'on voit dedans, c'est vous dire jusqu'où j'irais si j'étais croyant. 

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Mais j’ai l’impression, à force de voir les gens marcher devant les immenses baies vitrées de l’école de danse en face de chez moi, que le regard des femmes est quasiment aimanté par ce qu'elles voient d'elles-mêmes dans le miroir, alors que les hommes y sont davantage indifférents. Imaginez si elles étaient en niqab : les risques de damnation de leur âme seraient réduits à néant. Ce serait un indéniable progrès, non ?

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LA PAIRE DE SEINS EST EN PAPIER

Je galèje. Mais il est vrai que, statistiquement, la femme est plus sensible à son image. Les psys ont dit tant de choses du narcissisme féminin. Mais surtout, la pression sociale sur l'humanité femelle est si forte, quand il s'agit de se montrer en public, qu'elle se sent obligée d'entourer son apparence de toutes sortes de soins et de précautions, l'humanité femelle ! Des soins et précautions devant son miroir, précisément.

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CETTE PHOTO, IL M'A FALLU REGARDER ATTENTIVEMENT, POUR LA VOIR

 

Certains reflets me sont même apparus comme des puits de poésie et de rêverie sans fond, éminemment composites, pour ne pas dire incompréhensibles, car faits d’une tranche de vue directe entre deux tranches de vue reflétée (ci-dessus). Comme si le reflet avait un effet multiplicateur sur la réalité banale, en étendant le champ de ses possibles, en ouvrant dans son dos des lignes de fuite insoupçonnées.

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Ce qui m’a bien intéressé dans tout ça, c’est que ça m’a fourni l’occasion de me poser la question, non pas abstraite et philosophique, mais tout à fait concrète : « Qu’est-ce qui est réel ? ». Je me suis bien gardé, vous pensez bien, de répondre à la question. Pour la simple raison que le reflet duplique le réel. Mais il ne fait pas que le dupliquer : il l'inverse, il le modifie, il le virtualise. Il le bouleverse. Il le fausse. Il brouille les pistes. Le reflet poétise, voire déréalise le monde réel.

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LE FANTÔME DE L'OPERA ? NON, UNE VITRINE CARDIN

Qu'est-ce qui arrive du réel dans notre conscience ? Je suis sûr que, quelque part en-deçà de la conscience, pas très loin dans la mémoire, cette énigme visuelle que constitue, finalement, le reflet, s’installe comme chez elle et, en plus de ses bagages, pose ses conditions après avoir posé ses paysages complexes dans lesquels le passant, parfois jusqu’au désespoir, cherche la trace de sa présence dans ce monde (trace de présence qu'il n'est pas près d'y trouver). Dites-moi, ce ne serait pas philosophique, par hasard, tout ça ?

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C'EST DOMMAGE : JE NE SAIS PLUS A QUELLE ADRESSE HABITE CE REFLET

Ces images, forcément imprimées quelque part, ne façonnent-elles pas la conscience hors de tout contrôle de celle-ci ? A son insu ? A peine a-t-on parfois une chance d'entrapercevoir le fantôme du photographe (ci-dessous).

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AUTOPORTRAIT DU FANTÔME EN EPISODE DE VISIBILITÉ

Pour l'anecdote, je l'avoue, j'ai fait développer et tirer mes photos par l'intermédiaire de la FNAC, qui fait dans l'industriel. Mais qui avait aussi, à l'époque, un code d'honneur : un photo ratée n'était pas facturée (c'était le bon temps), et portait une pastille auto-collante ainsi libellée : "photo non facturée".

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Qu'est-ce que j'en ai fait, des photos ratées !!! J'en étais venu à me rengorger quand, venant chercher mes clichés dans le service compétent, je voyais que 32 photos sur 36 portaient la dite pastille qui me dispensait 32 fois de payer les tirages. Mine de rien, j'en ai fait, des économies ! Surtout que les pastilles étaient devenues aisément détachables.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 07 octobre 2012

DE LA PROFONDEUR DU REFLET

Pensée du jour : « Et encore, qu'il y a une grande différence entre une statue et une photographie ; c'est que presque toujours, le modèle qui a servi à faire la statue ne veut pas et ne peut pas être reconnu, tandis que la photographie nous représente une personne vivante, que l'on peut avoir, ou tout au moins voir pour de l'argent, et qui est à vendre ou à louer des pieds à la tête.

          Ainsi, la photographie donne publiquement la preuve qu'une personne humaine peut être avilie, le savoir, et, néanmoins, sourire ».

 

ALAIN 

 

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Je ne suis pas photographe. Je prends seulement des photos. Comme tout le monde. Il m’arrive, de loin en loin, de réussir un portrait à peu près potable. Il y a déjà quelque temps, je me suis pris de passion pour les reflets.

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Attention, pas le reflet de bas étage, le reflet bas de gamme, le reflet de solderie. Non, moi, je veux le reflet d’élite, le reflet compliqué, le reflet savant. Or il faut le savoir, pour un esprit simple comme le mien, le reflet savant est compliqué à trouver. Je ne joue pas sur les mots : c’est vrai.

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QUATRE NIVEAUX DE GRILLE, QUI DIT MIEUX ?

(vous pouvez vérifier)

Le reflet, chez moi, ç’a été une crise. Mettons que ça a duré un an, à tout casser. Un an à écumer les vitrines de la ville, les paradoxes et les énigmes visuels qu’elles offraient. Creuser l'idée du reflet m'a donné l'occasion d'amener au jour, au sein même de la platitude du réel, quelque chose d'une part mystérieuse ayant à voir avec le rêve. C'est du moins ce qui m'a intéressé, dans l'affaire.

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 Car on ne se doute pas des mille-feuilles optiques proposés, au regard de qui veut bien les percevoir, par les sites dont regorge le centre-ville marchand des grandes cités.

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Le reflet a commencé assez bêtement, place des Jacobins, quand j’ai repéré un toutou à sa mémère (voir tout en haut) derrière la porte d’un magasin. Je me suis dit que je tenais une piste : ce chien traversé par les lignes des joints du carrelage, ça m’a plu. Alors j'ai continué.

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VOUS AVEZ DÉJÀ ASSISTÉ A UN LEVER DES SOLEILS ?

(le troisième, il faut vouloir le voir)

La suite n’a été qu’une histoire de marche à pied, je dirai même d’errance, de jour comme de nuit, par beau temps comme par temps gris. Avec des succès divers. J'ai la faiblesse de penser que quelques clichés au moins ne sont pas trop ratés, quant au regard (ne parlons pas de la technique).

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Ce ne sont donc pas des photos de photographe : je ne suis qu'un utlisateur de la technique, je me suis contenté de marcher, de regarder, de m’arrêter et d’appuyer sur le bouton. Je n’ai pas cherché à « faire œuvre », et pour cause. Quant à introduire des trucages, encore eût-il fallu que je le pusse. J’ai juste essayé de creuser dans le tas de réel que j'avais jusque-là regardé sans voir (ou vu sans regarder).

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KIOSQUE PLACE BELLECOUR

(avant les travaux)

 

Du coup, le réel se revêt d'une pellicule énigmatique, sur laquelle viennent s'aplatir toutes les strates de la profondeur de champ (augmentée comme par magie de tout ce qui se situe en arrière de l'objectif), mieux que si on écrasait un insecte entre deux plaques de verre pour observer le résultat au microscope. L'intérieur du lieu fait irruption dans l'extérieur, et inversement. Une synthèse de la complexité, quoi.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Il y aura une suite. A demain.