dimanche, 31 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN COLT MODELE 1911, CALIBRE .45 (= 11,43 mm)
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ÇA, C'EST DE LA BIOCHIMIE, ET RIEN D'AUTRE
Et voilà où je voulais en venir : l’histoire des arts nous a légué les noms de quelques génies, entourés de quelques épigones, petits maîtres et seconds couteaux, les appellations de diverses écoles, les lieux de nombreux styles, et tout ça fut peu à peu synthétisé et organisé selon une tentative de cohérence qu’on a appelée « HISTOIRE DE L'ART ».
ALORS QUE ÇA, C'EST DE LA BIOLOGIE CELLULAIRE, ET RIEN D'AUTRE
Et puis est arrivé le 20ème siècle. Soudain, il se passe dans les arts ce qui se passe dans les sciences : « Un se divise en deux, et puis on recommence » est devenu la loi suprême. Cela s'appelle prolifération par scissiparité. Quoi, un processus cancéreux ? Je vous laisse la responsabilité de vos propos.
Dans les sciences, vous voulez un exemple ? Un jour (pas si lointain) naquit la biologie, ou « science du vivant ». Regardez maintenant le nombre infernal de toutes les spécialités qui s’y rattachent et en découlent : biologie générale, animale, végétale, comparée, cellulaire, moléculaire, appliquée, biochimie, microbiologie, agrobiologie, chronobiologie, … J’en oublie, mais j’arrête.
ET QUE ÇA, C'EST DE LA MICROBIOLOGIE
La discipline-mère s’est dédoublée, subdivisée, fragmentée, compartimentée, au point que deux biologistes de spécialités différentes ne se comprennent pas, parce qu’ils parlent de choses différentes, et que le territoire sur lequel leurs activités respectives s’exerce devient de plus en plus exigu à mesure que la discipline s’approfondit et devient pointue. Demandez à la pointe de l'aiguille de mesurer sa surface au sol !
ICI, ON A DE LA BIOLOGIE MOLECULAIRE
(JE NE SAIS PAS SI VOUS SUIVEZ : J'IMAGINE QUE C'EST UNE QUESTION D'ECHELLE)
En gros, la conclusion, c'est que, plus on entre dans les moindres détails, plus petit est le nombre de ceux qui parlent la même langue. C'est une niaiserie de dire que nul aujourd'hui ne saurait prétendre avoir le début du commencement d'une vue d'ensemble. Pas seulement parce que l'ensemble est trop complexe, mais aussi parce que la compartimentation des savoirs atteint des sommets.
LE PETIT DOMINIQUE BLAIS A FAIT PLAISIR A SON PAPA ET A SA MAMAN EN PROPOSANT CETTE "INSTALLATION" PLEINE DE SENS, D'ESPRIT, DE DISTANCE CRITIQUE, D'HUMOUR ET D'A-PROPOS
Eh bien en art, c'est la même chose : chaque artiste, après une formation générale, s'ingénie à se mitonner une hyperspécialisation qui lui assure le monopole, dans son petit laboratoire, sur le petit lopin qu'il a réussi à isoler du reste. Où il accepte a priori d'être le seul à parler sa langue. Dans la science comme dans l'art, donc, le territoire du chercheur et de l'artiste est passé, en surface au sol, du palais du Louvre à un F2 à Aubervilliers. La pointe de l'aiguille, ici, s'appelle « originalité ».
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui percevraient une connexion entre le Colt montré au début et le sujet de cette note manifesteraient une sournoiserie exécrable, mais parfaitement fondée.
dimanche, 18 décembre 2011
MON HISTOIRE DU DESASTRE EN PEINTURE (1)
Résumé : je disais donc que regarder, ce n’est pas réciter ce que les yeux ont appris. Cette belle phrase est un proverbe tchouvache ou oudmourte, je ne sais plus ; si vous me dites que c’est tchouktche, je me tais. Mais après tout, il est possible que ce soit un proverbe narikurava. Mon vieux proverbe bantou des familles, qui m’a déjà rendu bien des services, disait : « Le touriste ne voit que ce qu’il sait ». Ce qui veut dire la même chose.
Qu’est-ce que c’est, un tableau, au bout du compte ? Une surface quadrangulaire de dimensions variables, enduite de substances colorées. Je jure que je n’invente rien. C’est madame Foncoutu qui me l’a dit. Mais ça ne dit pas grand-chose. Madame Coutufon ajoute alors qu’on pourrait comparer ça à une fenêtre. Ben oui, quoi, il y a un cadre, et quand on ouvre à deux battants, on voit un paysage. Merci mesdames.
C’est vrai qu’une fenêtre ouverte, c’est fait justement pour ne pas être vu. C’est même pour ça qu’on l’a inventée. Autrement dit, elle n’existe que pour qu’on ne la voie pas. On ne regarde pas la fenêtre, on regarde par la fenêtre. C’est bête, mais ça reste vrai, même aujourd’hui. Qui est une époque compliquée.
Un tableau, c’est une fenêtre ouverte sur une infinité de choses. Un bouquet de fleurs opulent, une crucifixion, un visage, un déjeuner sur l'herbe, des Noces de Cana, des pommes et une bouteille, une ville, Napoléon au champ de bataille d’Eylau, des arbres dans une vallée, une montagne, Vénus endormie, des gens qui jouent de la musique, une chaise, une Tour de Babel, une vache, plusieurs vaches, que sais-je : un troupeau de vaches.
Sur fond de verdure. Avec au premier plan à droite une paysanne en robe colorée et en sabots, l’aiguillon à la main, conduisant au pré toutes ces bêtes à cornes. Pour faire couleur locale. Monsieur Prudhomme le verrait bien dans son salon, sur le mur face à la cheminée. Mme Prudhomme estime que les verts de la prairie jureraient avec les tentures et le tapis. M. Prudhomme plisse le front en regardant Mme Prudhomme, finit par opiner et se faire une raison.
Ç’aurait été pourtant bien, cette grande fenêtre ouverte sur la vie champêtre, la rudesse des travaux, la sincérité de la nature, le cycle des saisons. Ah, l’air pur de la campagne s’engouffrant en bourrasques virtuelles sous la lourde armoire en noyer, faisant trembler les deux bergères Louis XVI en bois laqué et soulevant les rideaux cramoisis ! Cette transparence de vitre apportant la fraîcheur des odeurs candides au milieu de la tiédeur moite et du bien-être confortable !
D’accord, j’arrête. C’était juste pour montrer que je peux le faire. J’ai squatté un instant le cerveau de M. Prudhomme. Celui du poème de VERLAINE : « Il est grave : il est maire et père de famille ».
Ce n’est quand même pas complètement faux, ce qu’il pense, le père Prudhomme : depuis que les peintres peignent des tableaux, leur effort a longtemps consisté à faire apparaître, dans un cadre finalement étroit, une portion d’une réalité qui, naturelle ou non, reste paradoxalement absente, car je rappelle que dans un atelier de peintre, il n’y a en général pas beaucoup de vraies vaches.
Ce qui compte alors, pour la vitre du tableau, c’est la transparence. C'est ce qu’on appelle « réalisme ». Ou « illusion de la transparence », comme on dit dans les écoles. Car c’est une transparence qui se travaille, qui se fabrique. La vitre, il faut la rendre invisible.
Ce travail n’est pas à la portée du premier venu. Demandez au petit BUONAROTTI. Son prénom ? MICHEL-ANGE. Tiens, regardez-le se crever la paillasse à piler péniblement ses pigments dans son mortier, pour le compte de son maître, le grand GHIRLANDAIO. Celui de Florence et de la chapelle Sixtine.
Il a treize ans. C’est lui qui va chercher les cafés et les cigarettes, et qui balaie l’atelier. Ça dure jusqu’à ce que le maître l’autorise à passer le premier enduit. En même temps, il aura eu tout loisir pour observer et écouter. C’est ça, le métier : avant qu’il sorte, il faut du temps pour qu’il entre. C’est pas demain la veille, le Moïse et le mur du fond de la Sixtine.
Alors voilà, pour fabriquer de la transparence, c’est une longue patience. Cela s’appelle perspective, ligne, surface, forme, modelé, matière. Mais aussi ombre et lumière, avec leurs façons d’aller ensemble, les couleurs avec tous leurs mariages et tous leurs dégradés possibles, bref, tout ce qu’on appelle la technique. Beaucoup préféraient le mot « métier ». De toute façon, « technique », en grec, ça veut dire « art », allez vous y retrouver.
La technique, c’est tout ce qu’il faut maîtriser pour faire croire que c’est vrai – ce qu’on appelle très bêtement le « réalisme » (vous savez : « Il ne lui manque que la parole », « On dirait qu’il va aboyer », et autres fadaises). On appellerait ça « illusionnisme » si on était raisonnable.
Tous ces trucs, quand vous les aviez au bout du doigt, vous pouviez y aller. Que ce soient des scènes sacrées, paysannes, guerrières ou familières, que ce soit du gibier, du poisson ou du bétail, que ce soient des palais ou des masures, le Grand Canal de Venise ou les falaises d’Etretat, si vous maîtrisiez les outils mentionnés plus haut, vous aviez les moyens de tout faire, et l’argent rentrait. L’argent de la transparence.
Qu’est-ce qui a opacifié la fenêtre ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Comment se fait-il qu’un jour, les peintres ont cessé de regarder le monde à travers leur toile ? Et qu’ils se soient mis à regarder leur toile ? Et à se regarder dans leur toile ? Parce que c’est ça, qui s’est passé : la toile est devenue la scène du peintre en personne. Pourquoi, je n’en sais rien de sûr. J’ai mon idée, vous vous en doutiez.
Un jour, la toile du peintre a cessé d’être transparente. Comme si la fenêtre se refermait. Pour expliquer ça, je ne vois rien de mieux que le Capitaine Haddock. C’est dans Les 7 boules de cristal, à la page 14. Il ouvre la porte de la « buvette », et se fracasse le nez sur un mur. On peut dire deux choses. Soit : « Le réel est brutal ». Soit : « L’illusion est à son comble ». Ça revient au même.
Qui a fait ça, et quand ça s’est passé, c’est sans doute assez facile. Mais ça reste paradoxal. Ben oui, j’ai l’impression que la fenêtre est devenue un mur au moment même où on commençait à croire que la vitre en personne tombait, pour laisser place à la réalité brute et vivante. Ça se passe à peu près au moment où les gars ont commencé à sortir de leurs ateliers pour aller peindre dans la nature. « Il faut peindre sur le motif », ils disaient, EUGENE BOUDIN et quelques autres.
Il est là, et il est gros, le paradoxe : la toile prend le premier rôle au moment même où elle est supposée porter la réalité extérieure en personne. Bon, c’est vrai, pas mal de gens ont noté que ça se passe à peu près au moment de l’explosion du marché de la photographie. Pour ce qui est de restituer le réel, la photographie, yapafoto, comme disent les Japonais. Impossible de rivaliser, pour le peintre. Même pas la peine d’essayer.
C’est donc bizarrement en rencontrant la nature en direct que les peintres ont perdu la transparence. A cause de la photographie, probablement. A cause aussi de leurs sensations. Ben il faut les comprendre. Quand tu es dans ton atelier, la nature, tu l’imagines, tu la reconstruis, au final tu la fabriques. La meule de foin, quand tu la vois sous ton nez, ce n’est pas pareil.
Parce que voilà, les sensations, c’est le matin ou le soir. C’est en pleine lumière ou à contre-jour. Il fait beau ou il pleut. Enfin, on n’a que des emmerdes. Ce n’est jamais pareil. C’est pour ça que MONET aligne les meules de foin en série. A cause des sensations. Même chose pour les Cathédrales de Rouen. C’est pour coïncider avec les différents moments. Voilà, en gros, comment ça s’est passé. Je résume.
Voilà ce que je dis, moi : qui m'aime, à suivre.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, peinture, artiste, peintre, société, histoire de l'art, art contemporain, claude monet, michel-ange, chirlandaio, chapelle sixtine, moïse, eugène boudin