jeudi, 04 avril 2013
DE L'INNOVATION EN ART
CECI EST UN LUGER P 08, DONT IL FAUT IMAGINER LA JAMBE DE LA CULASSE QUI SE PLIE QUAND LE COUP PART, COMME SI ELLE ETAIT DOTEE D'UN GENOU
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Parenthèse inaugurale : Cahuzac ? Ben si, parlons-en, puisque ça mousse partout, ça pique les yeux, irrespirable. Je suis frappé par un truc : tout le monde est étonné. Moi je me souviens du Tour de France : tout le monde débarque sur la Lune quand les dopés sont pris la main dans le sac. Résultat ? Le Tour de Flandre vient d'avoir lieu, Fabian Cancellara l'a gagné, saluons la performance de ce pur sportif ! Réécoutez les commentaires : c'est exactement ça. Cahuzac, donc ? Même tabac. Peloton des coureurs du Tour de France et peloton des grenouilles dans le grenouilloir politique de France sont régis par une même loi, qui a nom : OMERTA. Et ce n'est pas le pétage de plomb de Gérard Filoche chez Michel Field, qui est fait pour me rassurer sur le problème de fond.
Deuxième remarque : tout le monde s'extasie (pardon : se scandalise) : « Mon dieu, il a menti, c'est un menteur, il a menti à tous ses confesseurs ! ». Mais vous savez comment c'est : faute avouée est à moitié pardonnée. Un mensonge en France n'a rien à voir avec le statut du parjure aux Etats-Unis. On oubliera. Comme si le gros plan sur le mensonge permettait à Cahuzac d'occulter son acte de tricherie, disons le mot : son délit. Cahuzac a publiquement avoué qu'il est un délinquant. Voilà ce qu'il ne faudrait pas oublier.
Moralité : le soupçon s'étend à tout le peloton ? Eh bien tant pis pour les honnêtes !!! Ils n'avaient qu'à pas être là !
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Abordons pour finir l’autre face de l’extrémisme démocratique. Après j’arrête.
Nous évoquions le naufrage de la définition, cette chose désuète qui ne servait qu’à distinguer quelque chose appelé « œuvre d’art » de toute autre réalité. Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? Le nœud du problème, quoi : si l’on ne peut se mettre d’accord sur la définition du beau, c’est qu’il n’y en a plus, disparue noyée dans l’infinité des interminables controverses et contestations liées au triomphe de la subjectivité. Pourquoi, quand je dis : « Ceci est beau, ceci est laid », y a-t-il toujours quelqu'un pour me reprendre : « Tu ne peux pas dire ça : dis plutôt : "J'aime, j'aime pas" ». Eh bien non, Elisabeth, je persiste et signe.
L’interdiction de la définition, qui interdit le jugement (c'est peut-être à ça qu'elle sert, l'interdiction), revient finalement à une porosité générale de toutes les notions, de toutes les distinctions entre ce qu’une chose est et ce qu’elle n’est pas. Quand « l’un est l’autre », cela s’appelle l’indifférenciation. Or, il est bon de le dire : l'indifférenciation consiste à tout mettre dans le même sac de nœuds de vipères lubriques.
Car une définition ne sert qu’à une chose : établir des différences. Sans définition exacte et précise des termes, Carl von Linné n’aurait pas pu établir les fondements de la botanique. Soit dit en passant, qu’est-ce que c’est, la botanique ? C’est un classement des végétaux : les feuilles, sur la tige, sont-elles « alternes », « opposées », « connées », « opposées-décussées », « verticillées » ? Le sommet du limbe foliaire est-il « aigu », « acuminé », « apiculé », « mucroné » ou « obtus » ? La découpure du limbe est-elle « palmatifide », « palmatipartite » ou « palmatiséquée » ? Tous ces mots descriptifs ne vont pas sans une définition bien sentie et bien balancée.
En gros, définir est une façon de se repérer dans l’infinie variété du vivant. En posant des mots sur des choses. Ça simplifie la vie. Mais quand on est seul à mettre un mot sur une chose, le mot ne sert pas à grand-chose. Voyez le petit fripounet surréaliste Magritte, mais qui a su se rattraper dans l’attrape-gogo publicitaire. Ce n’est pas le destin, c’est la loi. Pour ne pas rester seul, il faut donc se mettre d’accord sur les mots et leur définition.
Les arts dits « contemporains » ont, depuis, disons, 1900, promu une autre façon de procéder. Je propose d’appeler ce processus « singularisation ». Oh, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais ce qui s’est mis en place accompagne comme une ombre le progrès des techniques connu sous le nom d’ « innovation ». Ah, l’innovation ! Le maître-mot ! Le 20ème siècle est celui de l’innovation majuscule !
L’innovation est le moyen par excellence de se faire un nom. Les artistes ont piqué le truc aux scientifiques et aux techniciens. Les tiroirs marqués « Michel Ange » ou « Léonard » étant définitivement occupés, il fallait en effet trouver autre chose. Le monde de l’art s’est donc tourné, pour que ses tenants aient une petite chance de se singulariser, vers ce qu’a offert le 20èmesiècle technique : l’innovation permanente et tous azimuts.
Ne parlons pas des précurseurs. Evoquons le plus brièvement possible le père de tous les chercheurs d’innovations, Marcel Duchamp, non pas pour ses « ready mades » (pour une fois), mais pour son Nu descendant un escalier, qui n’est rien d’autre qu’une application picturale de la chronophotographie inventée par Etienne-Jules Marey (ci-contre et ci-dessous) ou Edward Muybridge (juste avant le cinéma).
Même remarque pour sa Mariée traversée par des nus, vite, et pour son Jeune homme triste dans un train. C’est sûr que, pour les titres, Duchamp a eu du génie : il a compris que le plus important est de jouer comme des gosses. Et de poser, sur n’importe quelle chose, n’importe quel mot : TOUT est bon. Et le plus grand écart apparent est forcément le meilleur. Les dadaïstes, les surréalistes et, à leur suite, la publicité, n’ont eu aucun scrupule à déplacer le curseur du mot à la chose, et inversement. A l’arrivée, ça fait gloubiboulga. Beaucoup de gens trouvent même ça poétique. Le plus fort, c'est qu'on ne les met pas en taule.
L’innovation, c’est le fin du fin. C’est même devenu la fin des fins. Un but en soi. Le Graal ultime. C’est la condition pour émerger de la masse. L’innovation par excellence, le prototype et l’archétype de l’innovation appartient encore à Marcel Duchamp, le paresseux infatigable, et consiste à désigner : vous prenez un objet, et vous en faites une œuvre (les bien connus ready mades). Ce n’est pas pour rien qu’il a d’ailleurs inventé l’ « objet-dard ». Pour faire bonne mesure, il a inventé la feuille de vigne femelle (un moulage, à n'en pas douter).
Les mots du langage, avec Marcel Duchamp, ont pris possession des territoires du visible. La grande confusion.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 03 avril 2013
DE LA DEFINITION DE L'ART
CECI EST UN SUPERBE REVOLVER KORTH, CALIBRE 357 MAGNUM
(la cartouche de marque SJ, avec sa balle de 10,20g blindée, a des performances remarquables, en particulier la puissance d'arrêt)
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Extrémisme démocratique, ai-je dit. Est-ce grave, docteur ? Pour parler franchement, je n’en sais rien, mais je crains le pire. Au moins, dites-nous en quoi ça consiste. Je vais essayer. L’extrémisme démocratique découle de ces trois lois : « Tout est beau. Tout est de l’art. Tout le monde est artiste ». Qui répondent à la même double question, trois fois posée : « Qu’est-ce qui est … ? / Qu’est-ce qui n’est pas … ? ». Tout tourne donc autour de l’épineuse question de la définition.
Vous l'avez remarqué : les termes qui désignent les arts se sont emplis d’une infinité de définitions nouvelles. Ainsi a-t-on progressivement appelé « musique » toutes sortes d’arrangements nouveaux des sons autrefois musicaux, toutes sortes de mauvais traitements infligés aux vieux instruments pour leur faire cracher leurs poumons (je n'ai pas dit "glavioter leurs éponges"), pour finir par faire entrer dans la catégorie « musique » tout ce que le monde réel est capable de produire de sonore.
Tout bruit (y compris les éructations et flatuosités qui accompagnent si dignement les repas les plus solennels) est potentiellement musical : tout dépend de ce que l’artiste en fera. La liste des matériaux utilisables en musique est devenue aussi longue qu’il y a de sons dans l’univers. Sans parler des sons artificiels ou synthétiques. John Cage n’a-t-il pas composé une pièce pour « piano-jouet » (la désopilante, écroulante Suite for Toy Piano, 1948) ?
JE N'AI RIEN INVENTÉ (je ne me permettrais pas) : LE PETIT JOHN CAGE, CLOWN DÉGUISÉ EN ADULTE RAISONNABLE, INTERPRÈTE LUI-MÊME, EN CONCERT, SA "SUITE FOR TOY PIANO"
IRRESISTIBLE, IS'NT HE ?
On a collé l’étiquette « roman », « poème », « littérature » sur toutes sortes de productions faites au moyen de mots assemblés de diverses manières. On a collé l’étiquette « art » sur des cailloux, des bouts de ficelle, des urinoirs, des poubelles. Voilà où on en est depuis déjà quelques décennies : « Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’en est pas ? ». Plus personne n’en sait rien. Plus personne, c’est-à-dire tout le monde. C’est ça, l’extrémisme démocratique.
Archimède clamait : « Donnez-moi un point fixe, et je soulève l’univers ». C’était fort bien vu. Seulement le problème, dans l’art actuel, c’est qu’il n’y en a plus aucun, de point fixe. Aussi longtemps que 100 % de la population sont convaincus que la Terre, centre de toute la création, est plate, que Dieu existe à n’en pas douter (la preuve, c’est qu’on tue en son nom), que le Roi est sacré, pas de problème : la définition coule de source. Elle s’impose. Dieu et le Roi peuvent dormir tranquilles.
Le problème survient dès le moment où vous accordez à l’individu la première parcelle de libre-arbitre, fût-elle la plus infime. Tant que l’homme est un « sujet », ça roule, Raoul. S’il devient « autonome », c’est là que les Athéniens s’atteignirent, que les Satrapes s’attrapèrent, que les Perses se percèrent. Le Grand Inquisiteur des Frères Karamazov l’a dit assez clairement : l’homme n’est pas fait pour la liberté, et n’a rien de plus pressé que de venir la déposer aux pieds d’un Maître qui le guide et, le guidant, le rassure, le protège et le valorise.
Tant que la définition des mots et des choses émane du Maître, à l’aise, Blaise : elle est homogène, compacte et ne souffre nulle discussion. Le monde a une figure, et les artistes sont là pour, chacun à sa manière, la figurer. Dit autrement : la célébrer.
Tant que la Vérité vient du Très-Haut, glisse, Régis. Le Très-Haut et le Roi donnent sa figure au monde que les artistes représentent. C’est d’ailleurs ça qu’on a appelé « l’art figuratif ». Et si l’art figuratif a disparu depuis le début du 20ème siècle, c’est bien qu’il y avait un problème avec la figure du monde, et avec sa définition. L’art abstrait a peut-être quelque chose à voir avec la mort de Dieu. Peut-être même avec la mort de l’homme. Une idée à creuser, non ?
Tant que les hommes ont été d’accord sur le tracé de la limite entre la réalité et l’art, facile, Mimile : être artiste est un métier qui s’apprend, patience et longueur de temps, et tout ça. Mais quand Antoni Tàpies est autorisé à écrire un livre intitulé La Réalité comme Art, rien ne va plus, trouducu. Si l’un est l’autre, où est passée la définition (voir le livre d’Elisabeth Badinter, justement intitulé L’un est l’autre) ? Fini, a pu, la définition. Parce que, s’il est vrai qu’il y a de « l’un dans l’autre », il est terriblement faux de soutenir que « l’un est l’autre », autre façon de soutenir que « tout est dans tout ».
L’amorce d’un débat au sujet de la définition survient-elle ? C’en est fini de la belle homogénéité, de la sainte unanimité, de la bienheureuse harmonie, du consensus universel. Soyons clair et net :
« Kaput, la définition = kaput, le sens ».
Qu’est-ce qui n’est pas de l’art ? Plus personne ne sait. Si tout son est « musical », tout matériau et tout geste « artistique », tout mot « littéraire », on ne sait plus à quel saint se vouer, parce que, des saints, il n’y en a plus. Faut-il les faire revenir pour autant ?
La définition a quelque chose à voir avec la notion d’immunité : la défense immunitaire d’un « soi » se met en route dès lors qu’elle repère un « non-soi » qui s’approche dangereusement. La définition, c’est la même chose. Elle dit : « Ceci est … / Ceci n’est pas … ».
Notons en passant que l’agonie de la définition coïncide (très grosso et surtout très modo) avec l’apparition du SIDA, qui est précisément une maladie de l’immunité. Il y a de la contamination dans l'air. Un contamination de ce qu'il y a d'humain dans l'homme. Sale temps pour la planète humaine.
Curieux endroit, pour parler du SIDA, vous ne trouvez pas ?
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 01 avril 2013
DE L'ART DE SE FAIRE DU LARD
CETTE ADMIRABLE SILHOUETTE EST CELLE D'UN BORCHARDT C93, DE CALIBRE 7,65 mm, PEUT-ÊTRE LE PREMIER PISTOLET AUTOMATIQUE (ON ADMETTRA QUE LA CULASSE "EN GENOU" EST UN PEU ENCOMBRANTE)
ON PEUT NOTER QUE JACQUES TARDI, DANS SON EXCELLENT ADIEU BRINDAVOINE, S'EST CORRECTEMENT DOCUMENTÉ (VOYEZ LA CROSSE ADAPTABLE)
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Parenthèse inaugurale : Merci à toi, François (non, pas toi, Hollande), d'avoir hier bien voulu oindre l'humanité souffrante de ton onctueuse BENEDICTION TURBIDE ET MORBIDE. Fermez la parenthèse.
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Parenthèse postinaugurale : Qu'on ne compte pas sur moi, en ce premier jour d'avril, pour verser dans la consternante coutume qui consiste à célébrer le poisson, de façon très généralement tartignole, et ce, pour la raison qu'elle donne à ma bave l'odeur et la consistance du crapaud, et m'interdit d'atteindre la blanche colombe. Fermez la parenthèse.
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La grande parenté de l'art et de la science au vingtième siècle, elle n'est nulle part ailleurs que là : l'hyperspécialisation de quelques individus sur un secteur hyperparticulier de la "recherche".
CECI EST LE CRENEAU EXCLUSIF DU PETIT PIERRE SOULAGES
TOUS NOS COMPLIMENTS AU BAMBIN ET A SES PARENTS
Voire le monopole absolu exercé par un seul individu sur un article qu'il est absolument le seul à fournir. Un article si possible « original », avec vue imprenable sur la mer. Un artiste a délimité un champ de la « recherche » sur lequel il s'est arrogé tous les droits de propriété.
L'AIRE DE JEU CONSENTIE PAR SON PAPA ET SA MAMAN AU CHARMANT BAMBIN NOMMÉ DANIEL BUREN
Les exemples pullulent. Le noir ? C'est Pierre Soulages. La rayure verticale de 8,7 cm ? Daniel Buren. L’horizontale ? Michel Parmentier.
Le monochrome bleu ? Yves Klein (ci-dessus SE 191, SE voulant dire "sculpture éponge"). Le carrelage blanc à joint noir (voir plus bas) ? Jean-Pierre Raynaud. Le quadrilatère mou ? Claude Viallat. Le slogan blanc sur fond noir ? Ben Vautier. La compression et l’expansion ? César Baldiccini, dit modestement et en toute simplicité César. Le totem en tranche napolitaine ? Bernard Pagès. On n’en finirait pas.
EMPREINTES DE L'EPONGE DE L'ESPIEGLE ET PRIMESAUTIER CLAUDE VIALLAT
La contrepartie de la chose peut se comparer à ce qui est arrivé à Louis de Funès à force de grimaces irrésistibles : jouer les tragiques lui a toujours été formellement interdit (comme je m'interdis ici une digression pourtant prometteuse). On n’imagine pas Bernard Pagès (ci-dessous) faisant une Vénus réaliste ; Soulages du vert ou du rose ; Buren (horresco referens) des rayures horizontales ; Klein du bicolore ; Raynaud du carrelage noir à joint blanc ; tout comme ça. Ils n’ont pas intérêt à sortir de leurs rails, sous peine de ne plus être identifiés. De retourner au néant, pour ainsi dire.
"IL EST PAS CHOU, MON TOTEM ?", DEMANDE BERNARD PAGÈS
Cela veut dire une chose : aujourd’hui, un artiste a réussi quand son nom vient comme un automatisme à la simple vue de n’importe laquelle de ses œuvres. Exactement ce qui se passe pour la virgule ou les trois bandes sur les chaussures de sport, ou pour la pomme croquée sur un ordinateur ou un disque des Beatles.
Eh oui, une part importante de la production « contemporaine » (ça date déjà) fonctionne ni plus ni moins que comme une marque commerciale. La rayure de Buren n’est rien d’autre qu’un vulgaire « logo ». Buren est ce qu'on appelle en publicité un « créatif » (j'ai les lèvres gercées, sans ça, je vous jure, je pouffe). J'aimerais que quelqu'un puisse me dire que ce n'est pas vrai.
"LE MONDE EST UNE SALLE DE BAINS", DECLARE JEAN-PIERRE RAYNAUD
Cela veut dire aussi que chaque artiste a fait des recherches avant d’entamer sa « recherche » : on appelle ça des « enquêtes marketing ». Chacun, au moment de se lancer, se rase tous les matins en priant : « Mon Dieu, Seigneur, aujourd’hui, donne-moi L’IDÉE ! ». Ce qu’il faut au publicitaire au moment de lancer sa campagne pour les pâtes Codbarzilla ou le fromage Caprice des Vieux, c’est exactement ça : une « idée ».
Conclusion : dans l'art du vingtième siècle,
L'IDÉE A ÉLIMINÉ LE STYLE.
L’artiste, dès lors débarrassé de l'ennuyeuse question du long travail sur la matière, et l'ayant remplacé avantageusement par de la « pensée », du « concept », devient le développeur de sa propre idée, qu’il décline sous toutes les formes possibles, et qu'il sous-traite à des tâcherons. De même, le rat de laboratoire, atteint d’une myopie irrécupérable, creuse la part de fromage qui lui est dévolue, sans s’occuper des cris et chuchotements du compartiment voisin, juste occupé de sa propre survie.
Le propre de ces démarches est précisément que Klein a fait breveter son bleu, Buren ses rayures, Raynaud ses carreaux blancs, Soulages son noir, Viallat son éponge, Bernard Pagès son totem, Robert Combas (ci-contre) son style BD sale, suivis par des cohortes d’artistes, qui se sont mis à faire la queue au guichet de l’INPI pour déposer leur marque, éviter de se faire piquer leur trouvaille, et toucher les bénéfices. Faire de l'art est aujourd'hui une entreprise comme les autres : après avoir eu L'IDEE, il faut savoir la "gérer". Autrement dit : lui faire cracher du cash.
L'atelier de l'artiste est devenu une entreprise. Celui qui se proclame artiste est un simple propriétaire. Comme tel, il s'est mué en rentier jaloux de ses droits. C'est ainsi que le déplorable Daniel Buren, après avoir conçu un couvercle pour le parking souterrain Place des Terreaux à Lyon, a intenté un procès à des fabricants lyonnais de cartes postales qui avaient le culot de vendre LEURS photos de SON couvercle SANS lui payer aucun droit d'auteur. Le tribunal l'a heureusement débouté. Mais c'est un signe. Avis à tous les couvercles.
Quelque chose d’essentiel a vraiment, définitivement disparu du paysage, mais quoi ?
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui auraient compris que la photo d'arme à feu qui chapeaute le présent billet a quelque rapport avec l'orientation de son propos ont acquis quelque droit aux félicitations du jury.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, pistolet, arme à feu, borchardt, calibre, jacques tardi, bande dessinée, adieu brindavoine
dimanche, 31 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN COLT MODELE 1911, CALIBRE .45 (= 11,43 mm)
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ÇA, C'EST DE LA BIOCHIMIE, ET RIEN D'AUTRE
Et voilà où je voulais en venir : l’histoire des arts nous a légué les noms de quelques génies, entourés de quelques épigones, petits maîtres et seconds couteaux, les appellations de diverses écoles, les lieux de nombreux styles, et tout ça fut peu à peu synthétisé et organisé selon une tentative de cohérence qu’on a appelée « HISTOIRE DE L'ART ».
ALORS QUE ÇA, C'EST DE LA BIOLOGIE CELLULAIRE, ET RIEN D'AUTRE
Et puis est arrivé le 20ème siècle. Soudain, il se passe dans les arts ce qui se passe dans les sciences : « Un se divise en deux, et puis on recommence » est devenu la loi suprême. Cela s'appelle prolifération par scissiparité. Quoi, un processus cancéreux ? Je vous laisse la responsabilité de vos propos.
Dans les sciences, vous voulez un exemple ? Un jour (pas si lointain) naquit la biologie, ou « science du vivant ». Regardez maintenant le nombre infernal de toutes les spécialités qui s’y rattachent et en découlent : biologie générale, animale, végétale, comparée, cellulaire, moléculaire, appliquée, biochimie, microbiologie, agrobiologie, chronobiologie, … J’en oublie, mais j’arrête.
ET QUE ÇA, C'EST DE LA MICROBIOLOGIE
La discipline-mère s’est dédoublée, subdivisée, fragmentée, compartimentée, au point que deux biologistes de spécialités différentes ne se comprennent pas, parce qu’ils parlent de choses différentes, et que le territoire sur lequel leurs activités respectives s’exerce devient de plus en plus exigu à mesure que la discipline s’approfondit et devient pointue. Demandez à la pointe de l'aiguille de mesurer sa surface au sol !
ICI, ON A DE LA BIOLOGIE MOLECULAIRE
(JE NE SAIS PAS SI VOUS SUIVEZ : J'IMAGINE QUE C'EST UNE QUESTION D'ECHELLE)
En gros, la conclusion, c'est que, plus on entre dans les moindres détails, plus petit est le nombre de ceux qui parlent la même langue. C'est une niaiserie de dire que nul aujourd'hui ne saurait prétendre avoir le début du commencement d'une vue d'ensemble. Pas seulement parce que l'ensemble est trop complexe, mais aussi parce que la compartimentation des savoirs atteint des sommets.
LE PETIT DOMINIQUE BLAIS A FAIT PLAISIR A SON PAPA ET A SA MAMAN EN PROPOSANT CETTE "INSTALLATION" PLEINE DE SENS, D'ESPRIT, DE DISTANCE CRITIQUE, D'HUMOUR ET D'A-PROPOS
Eh bien en art, c'est la même chose : chaque artiste, après une formation générale, s'ingénie à se mitonner une hyperspécialisation qui lui assure le monopole, dans son petit laboratoire, sur le petit lopin qu'il a réussi à isoler du reste. Où il accepte a priori d'être le seul à parler sa langue. Dans la science comme dans l'art, donc, le territoire du chercheur et de l'artiste est passé, en surface au sol, du palais du Louvre à un F2 à Aubervilliers. La pointe de l'aiguille, ici, s'appelle « originalité ».
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui percevraient une connexion entre le Colt montré au début et le sujet de cette note manifesteraient une sournoiserie exécrable, mais parfaitement fondée.
samedi, 30 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN MAUSER C96, CALIBRE 7,63, LAME-CHARGEUR ENGAGEE
(mais, si je peux me permettre, le magasin ne peut accueillir que 6 cartouches, pas 10)
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La littérature ne voulut pas être en reste, et tous les expérimentateurs en culottes courtes s’y sont mis pour arriver « prem’s » (comme on ne dit plus dans les bacs à sable). Le premier à dégainer a été un gamin qui faisait « proust ! » dans sa culotte, sorte de dégagement gazeux produit par le pot d'échappement d’un préadolescent, censé évoquer la phrase, sous sa forme la plus étirée, la plus diffuse, la plus abstruse.
PREMIERE PAGE DES FRAGMENTS DE FINNEGAN'S WAKE DU PETIT JAMES JOYCE PARUS EN 1962 CHEZ GALLIMARD
Le petit James Joyce s’est senti « interpellé quelque part au niveau du vrai cul », et n’eut de cesse que d’avoir rivé son clou au chétif « musicien de la langue française », grâce à un Ulysse qui mettait à la torture la logique chronologique et spatiale du récit romanesque. Hermann Broch, encore enfant à l’époque des faits, usa de cette arme imparable dans Les Somnambules, où le récit éclate, quoique différemment. Tous les gamins qui écrivaient n'avaient qu'une idée en tête : régler son compte à la logique, exterminer la syntaxe, en finir avec la pensée en tirant à bout portant, au gros calibre, sur son expression.
EXPERIENCE DADAÏSTE DU PETIT HUGO BALL : UN GRAND BRAVO A SES PARENTS !
Les poètes ? Même tabac. C’est parti dans tous les sens. Passons rapidement sur les Dada (ci-dessus). Vous avez le Saint John Perse, ample, rythmé à l’antique, noble, presque pompeux. Vous avez le Guillevic, le faussement simple, qui se veut tout proche des gens simples, autrement dit prolétariens. Vous avez le Char, renouvelant la mission du Victor Hugo, vous savez, au-dessus des passions, au-dessus des partis, quasiment un poète présidentiable.
CECI EST UN CHARMANT BARBOUILLAGE DU PETIT JEAN-MICHEL BASQUIAT (7 ANS)
Mais chez les poètes, vous avez aussi le Ponge qui parle de l’éponge comme personne avant lui. Vous avez les pages très "aérées" d'André du Bouchet. Vous avez le Bonnefoy qui pose le labyrinthe de ses énigmes ampoulées. Vous avez le Cadou du lyrisme qui coule et qui souffre. Vous avez le détestable Prévert qui dégouline le dégueulis de son altruisme humanitaire. Pardon, je rectifie, il fallait lire "l'abominable Prévert". Bref, en poésie, vous avez tout et n’importe quoi.
CECI EST UNE DELICIEUSE COMPRESSION DE DRAPEAUX FRANÇAIS, DU PETIT CESAR BALDICCINI, DIT, TRES MODESTEMENT, CESAR (5 ANS)
Les arts plastiques ? Je ne vais pas trop développer, parce que je me suis déjà assez pesamment appesanti. Il y a les adeptes du trait, les affidés du sale, les fanatiques de la couleur seule, les thuriféraires des objets bruts, pauvres, corrigés, refaits, lacérés, égratignés. Il y a les défenseurs du sable, les avocats des cailloux et du bois, les sympathisants des taches, les zélateurs des vastes nappes colorées, les partisans du geste pictural, les militants de l’épaisseur de la matière, les prophètes de l’expansion ou de la compression, les soldats des effets d’optiques, les fidèles de la boursouflure, les inconditionnels de la géométrie, etc. Bref, dans les arts visuels, vous avez tout et n’importe quoi.
CECI EST L'OEUVRE DU PETIT MARTIN BARRÉ (8 ANS), QUI PORTE SI BIEN ET SI "COMPLÈTEMENT" SON NOM !
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui discerneraient une intention dans la photo inaugurale de ce billet montreraient qu'ils ont l'esprit mal tourné, mais qu'ils possèdent un bon discernement.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, pistolet, arme à feu, art contemporain, littérature, marcel proust, james joyce, hugo ball, dada, dadaïsme, finnegan's wake, ulysse, hermann broch, les somnambules, poésie, poètes, saint john perse, guillevic, rené char, jean-michel basquiat, césar, martin barré
vendredi, 29 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN BROWNING CALIBRE 7,65 DE LA MANUFACTURE DE HERSTAL, BELGIQUE
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Ce billet s'adresse à ceux qui savent ce que c'est qu'une partition de musique :
UNE PARTITION DE MUSIQUE, VOILÀ CE QUE C'EST
CECI EST LE BWV 849 : JE NE FERAI A PERSONNE L'INJURE DE PRÉCISER DAVANTAGE
Tout le monde est d’accord, n’est-ce pas ? Les arts ont subi au 20èmesiècle une révolution décisive. Un coup d’Etat permanent, d’ailleurs. La Transgression majuscule et perpétuelle, Philippe Muray le déplorait déjà, est devenue un mode de vie. Tout ce qui peut être transgressé doit l’être.
Et tout ça du seul fait d’une marmaille déchaînée, de toutes les petites classes lancées contre tous leurs profs, toutes leurs écoles, tous les principes hérités de papa-maman, et même de pépé-mémé, et cela du seul fait qu'ils sont hérités. L'héritage, voilà l'ennemi. Les morpions qui ne cessent de débarquer sur la planète, ce qu'ils veulent, c'est être des pères et des mères sans avoir été d'abord fils et filles de quelqu'un. Il veulent être l'origine. Le morveux d'aujourd'hui se proclame ancêtre. Fondateur. De quoi ? Mais de soi-même, bien sûr ! Ne rien devoir à personne.
La sagesse voudrait que tout un chacun se convainque que, désormais, représenter le monde, les hommes, les choses est tout à fait impossible. Et pourtant, un petit village gaulois ne se résigne pas.
Comme chantaient les Olivensteins en 1979 : « Euthanasie papy ! Euthanasie mamy ! Vot’calvaire est fini ! Fini !», variante punk nihiliste du plus connu, organisé, chenu et prolétarien : « Du passé faisons table rase ! ». Début de la grande vague des boutonneux qui déboulent dans le champ visuel des vieux éberlués, tétanisés, bientôt ratatinés. Que dis-je, une vague : un raz de marée, un tremblement de terre, un tsunami. L'engloutissement de l'Atlantide !!!
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT GEORGES APERGHIS (11 ANS)
En musique, ce fut d’abord un sale gosse du nom de Wagner, avec sa mélodie et sa progression harmonique continues, bientôt suivi par la cohorte des merdeux : les petits Debussy, Zemlinsky, Satie, Scriabine, sans oublier le dernier vieux bébé Liszt, qui se font un plaisir de désarticuler les codes, sans toutefois que ça soit inécoutable.
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT KARLHEINZ STOCKHAUSEN (8 ANS)
(sur un air de : "Il était un petit navire !")
Mais ils furent bientôt suivis par le trio infernal des loupiots iconoclastes de Vienne (les garnements Schönberg, Berg et Webern, ce dernier bien puni, le 15 septembre 1945, par Raymond Norwood Bell, soldat américain qui avait pour mission de faire respecter le couvre-feu, et qui lui a donc tiré dessus sans sommation : a-t-on idée, à huit ans, de fumer le cigare, de nuit, juste pour épastrouiller les copains ? Et surtout en présence de Raymond Norwood Bell ?).
BRAVO AU PETIT HORACIO VAGGIONE (6 ANS) POUR SES INNOVATIONS DANS L'ECRITURE DE LA MUSIQUE (ici, L'Art de la mémoire n° 2)
Les mêmes mauvais coeurs qui se sont réjouis de la brutale disparition de ce fanatique atonal, sériel et dodécaphonique qu'était Anton von Webern, et à qui l'on ne saurait d'ailleurs donner complètement tort, ont proposé à Pierre Boulez de fumer un cigare, un soir de couvre-feu, après un concert dans les ruines de Sarajevo, mais ça n'a pas marché : Raymond Norwood Bell était à la retraite. De quoi nourrir quelques regrets.
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT EDGAR VARÈSE (7 ANS)
Je passe sur Stravinsky, Boulez, Stockhausen, pour arriver à Pierre Schaeffer qui, après-guerre, décréta que tous les sons, onomatopées, clapotis, rugissements, borborygmes, gargouillements, bref, que tous les bruits, naturels ou fabriqués étaient une musique aussi authentique que tous les autres sons. Plus fort encore que Schönberg, l’égalitarisme absolu de tout ce qui s’entend. C’est bien connu : « Passé les bornes, y a plus de limites ! ».
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT IANNIS XENAKIS (5 ANS)
Toutes sortes de vaisselles ont été mises à contribution, toutes sortes de tortures infligées aux instruments connus, toutes sortes d’objets déposés sur les cordes des pianos de concert, toutes sortes de matériels électroniques ont été inventés pour déformer les sons, mais aussi les masquer, produire, amplifier, pulvériser, réduire, couper, recoller, rabouter, et Dieu sait quoi encore. Grâce à l’électricité, l’électronique, l’informatique, tout est devenu possible.
CECI EST UNE PARTITION DU PETIT GIACINTO SCELSI (10 ANS)
Tout est donc possible. C'est un certain Nicolas Sarkozy qui doit être content : c'était son slogan en 2007 (« Ensemble, tout devient possible ! »).
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui verraient une corrélation entre l'illustration introductive et le propos ici tenu ne montreraient que deux choses : qu'ils ont du mal à dissimuler la noirceur de leurs intentions, et que celles-ci ne sont pas infondées.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, arme à feu, pistolet, browning, calibre, musique, jean-sébastien bach, clavier bien tempéré, prélude et fugue, fugue, partition, révolution, coup d'état, philippe muray, euthanasie, tsunami, georges aperghis, wagner, debussy, erik satie, scriabine, liszt, stockhausen, schönberg, berg, webern, pierre boulez, stravinsky, pierre schaeffer, iannis xenakis, giacinto scelsi, nicolas sarkozy
mardi, 17 avril 2012
QUE C'EST BEAU, UNE CARABINE !
De là vient sans doute mon attrait pour les armes à feu en général. Dans le placard du grenier, parmi d’autres objets abandonnés, il y avait par exemple une boîte en carton assez déglinguée. Dans la boîte, un curieux objet en bois de forme allongée, mince d’un côté et muni, de l’autre d’une sorte de couvercle monté sur charnières, et qu’on ouvrait en appuyant sur un bouton-pression à la surface quadrillée. Quelque chose dépassait du couvercle, à travers un orifice minutieusement ménagé : c’était la crosse.
Le pistolet s’extrayait aisément de cet étui. Pas n’importe quel pistolet : un Mauser C 96, calibre 7,62, sans doute rapporté par le grand-oncle général, à son retour d’Allemagne en 1945. Seul dans le grenier, je jouais avec l’arme – je ne m’en vante pas, je raconte juste, j’avais douze ou treize ans – à tirer la culasse vers l’arrière, dans un bruit complexe, à constater l’absence de munitions, à la relâcher, à actionner la détente. J’ai encore dans l’oreille le bruit métallique, très sec, produit par le chien se rabattant.
Où est aujourd’hui cet objet ? Mystère. C’était une arme d’autant plus fascinante que, fixée par une rainure métallique à la crosse du pistolet, l’étui devenait la crosse très commode d’une carabine puissante. Bref, on a les jeux qu’on peut, quand on est gamin.
Oui, je l’avoue, je trouve de la beauté dans une belle arme. Qu’on le veuille ou non, l’homme a investi dans la conception d’un mécanisme savant autant d’ingéniosité qu’un graveur a mis à rendre, sur sa plaque métallique la complexité du dessin d’un artiste. Tout ça pour dire que mon goût pour les armes à feu, c’est d’abord une question d’héritage.
Tiens, à propos d’héritage, cette carabine « PAUL REUSS », du nom d’un artisan installé à Stuttgart (encore un butin de guerre, dira-t-on), au calibre invraisemblable (8,15 x 46 R), il n’est pas beau, son mécanisme à bloc basculant et levier de sous garde ? La détente, si je me souviens bien, était difficile à régler, il fallait se méfier, elle était sèche.
La plus belle, cependant, était sans conteste une carabine « Mannlicher-Schönauer » de calibre 8 x 60 magnum, arme autrichienne de très belle facture, avec son fût long orné à son extrémité d’une meule de bois de chamois. Elle comportait un barillet intérieur façonné de manière extraordinaire. Avec celle-là, on a intérêt à avoir une épaule solide.
Bref, j’arrête sur le sujet. D’autant plus que je ne suis pas collectionneur, et que toutes ces armes ont disparu dans la nature lors d’un cambriolage resté comme un traumatisme familial. Envolée, l'armurerie. Envolés, les tableaux. Mais bon, je ne veux pas remuer.
Inutile de dire que je ne m’étais pas privé de m’en servir abondamment auparavant, de ces deux armes. Et que j'ai passé de longues heures à les démonter et à les remonter minutieusement, ce qui m'a permis de me familiariser avec leur habileté de conception, la qualité de leur fabrication, et finalement la beauté de la chose.
A ce sujet, je ne comprends pas les gens qui collectionnent des armes dites « démilitarisées », c’est-à-dire dans le canon desquelles on a foré des trous pour être sûr d’éviter les tentations. Cela me fait penser aux tribulations d’Octave, dans l’Armance de Stendhal : il est amoureux de sa cousine, mais il refuse de l’épouser, car il serait alors obligé d’avouer qu’il est impuissant. La honte. Stendhal appelait cela, à l’italienne, le « babilanisme ». Quelle femme aimerait un eunuque ?
Je reviens à la chasse, pour un souvenir particulier, situé dans la plaine de la Bourbre, entre les « marais » et la « garenne ». A l’époque où il y avait des grives en abondance (c'était avant les pesticides et autres friandises), les hommes, en fin d’après-midi, s’alignaient à distance les uns des autres, sur la « route du haut », dos à la « garenne », attendant que les oiseaux, s’étant désaltérés dans la rivière, viennent s’abriter dans le bois touffus pour la nuit.
C’est un coup à prendre, ce n’est pas très difficile : l’oiseau arrive dans votre direction, en ligne droite, il suffit de tirer un peu devant lui pour toucher. Ensuite, c’est aux chiens de se débrouiller. Il n’y a pas beaucoup de viande, sur la grive, mais c’est absolument délicieux. Mais que ce soit un lièvre, un faisan ou une grive, attention aux petits plombs, quand vous dégustez.
Je ne m’attarde pas sur le grand-oncle, chasseur infatigable devant l’éternel, qui montait à l’assaut du coq de bruyère sur les hauteurs dominant Champagny-en-Vanoise, et qui accomplissait allégrement dans la journée ses 2000 ou 3000 mètres de dénivelé. La dernière fois qu’il s’est livré à cette « passion », il avait environ quatre-vingt-cinq ans. Pour dire le caractère du bonhomme : inflexible.
Il était accompagné de ses trois chiens : je me souviens surtout de Brake, le griffon Korthals, que j’adorais, et de Zoum, le magnifique et ombrageux setter irlandais. J’ai longtemps gardé la parure, qu'on dit en forme de lyre, des plumes caudales d’un petit tétras qu’il avait sans doute tué au bois de la Roche, sur les pentes inférieures du mont Jovet.
J’aimais le suivre quand il partait errer dans les « marais », parmi les plantations d’osier, les broussailles, les champs de maïs, les haies à franchir. Il avait le coup de fusil infaillible.
Voilà, tout ça pour dire que, sans donner raison aux militants de l’extrême chasse qui forcent la loi pour occuper la point de Grave, le col de l’Escrinet ou la baie de Somme, je comprends encore moins les extrémistes qui voudraient interdire la chasse, je ne comprends pas qu’ils ne comprennent pas et n’acceptent pas que des individus trouvent simplement du plaisir dans les loisirs qu’ils pratiquent, qu’il s’agisse du spectacle de la corrida ou de l’ouverture de la chasse.
Je mets dans le même sac tous ceux qui s’érigent en FLICS des plaisirs des autres, et qui affirment péremptoirement : ce plaisir-là doit être interdit, vous n'avez pas le droit de l'éprouver : corrida et chasse, c’est entendu, mais aussi tabac, alcool, sexe, etc. Et qui veulent imposer, somme toute, leur intégrisme. Je les trouve louches et suspects, et au surplus insupportables, tous ces policiers et gendarmes sans uniforme qui s’attaquent aux plaisirs des autres, qui ne supportent pas les plaisirs des autres.
Qui s’insurgent contre le fait qu’on puisse trouver du plaisir au spectacle d’un beau combat entre un homme et un taureau. Du plaisir à marcher dans un espace naturel avec un fusil à la main. Je ne suis même pas sûr qu'ils aiment ça, le plaisir.
Tous ces gens qui s’en prennent au fait que d’autres qu’eux éprouvent un plaisir dans une activité qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne supportent pas, qu’ils veulent interdire, ils ont le nœud coulant à la main, et le resserrent autour du cou de notre espace de liberté en personne. Le tableau d’une telle société future, où la vie personnelle de chacun serait escortée d’une liste copieuse d’interdictions, de vetos et de prohibitions, est tout simplement effrayant.
GENEVIEVE GAILLARD et MURIEL MARLAND-MILITELLO, députées, ont paraît-il déposé une proposition de loi tendant à interdire la corrida sur tout le territoire français. Je note que l’une porte bien son nom militaire (le militant est un militaire sans uniforme), mais que, malheureusement pour les deux élues, la corrida vient d’être inscrite au patrimoine culturel immatériel de la France.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : armes, pistolet, mauser c 96, carabine, carabiner paul reuss, mannlicher-schönauer, chasse, geneviève gaillard, muriel marland-militello