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mardi, 17 avril 2012

QUE C'EST BEAU, UNE CARABINE !

De là vient sans doute mon attrait pour les armes à feu en général. Dans le placard du grenier, parmi d’autres objets abandonnés, il y avait par exemple une boîte en carton assez déglinguée. Dans la boîte, un curieux objet en bois de forme allongée, mince d’un côté et muni, de l’autre d’une sorte de couvercle monté sur charnières, et qu’on ouvrait en appuyant sur un bouton-pression à la surface quadrillée. Quelque chose dépassait du couvercle, à travers un orifice minutieusement ménagé : c’était la crosse.

 

 

Le pistolet s’extrayait aisément de cet étui. Pas n’importe quel pistolet : un Mauser C 96, calibre 7,62, sans doute rapporté par le grand-oncle général, à son retour d’Allemagne en 1945. Seul dans le grenier, je jouais avec l’arme – je  ne m’en vante pas, je raconte juste, j’avais douze ou treize ans – à tirer la culasse vers l’arrière, dans un bruit complexe, à constater l’absence de munitions, à la relâcher, à actionner la détente. J’ai encore dans l’oreille le bruit métallique, très sec, produit par le chien se rabattant.

 

 

 

MAUSER PIST.jpg

 

Où est aujourd’hui cet objet ? Mystère. C’était une arme d’autant plus fascinante que, fixée par une rainure métallique à la crosse du pistolet, l’étui devenait la crosse très commode d’une carabine puissante. Bref, on a les jeux qu’on peut, quand on est gamin.

 

 

Oui, je l’avoue, je trouve de la beauté dans une belle arme. Qu’on le veuille ou non, l’homme a investi dans la conception d’un mécanisme savant autant d’ingéniosité qu’un graveur a mis à rendre, sur sa plaque métallique la complexité du dessin d’un artiste. Tout ça pour dire que mon goût pour les armes à feu, c’est d’abord une question d’héritage.

 

 

Tiens, à propos d’héritage, cette carabine « PAUL REUSS », du nom d’un artisan installé à Stuttgart (encore un butin de guerre, dira-t-on), au calibre invraisemblable (8,15 x 46 R), il n’est pas beau, son mécanisme à bloc basculant et levier de sous garde ? La détente, si je me souviens bien, était difficile à régler, il fallait se méfier, elle était sèche.  

 

 

La plus belle, cependant, était sans conteste une carabine « Mannlicher-Schönauer » de calibre 8 x 60 magnum, arme autrichienne de très belle facture, avec son fût long orné à son extrémité d’une meule de bois de chamois. Elle comportait un barillet intérieur façonné de manière extraordinaire. Avec celle-là, on a intérêt à avoir une épaule solide.  

 

 

Bref, j’arrête sur le sujet. D’autant plus que je ne suis pas collectionneur, et que toutes ces armes ont disparu dans la nature lors d’un cambriolage resté comme un traumatisme familial. Envolée, l'armurerie. Envolés, les tableaux. Mais bon, je ne veux pas remuer.

 

 

Inutile de dire que je ne m’étais pas privé de m’en servir abondamment auparavant, de ces deux armes. Et que j'ai passé de longues heures à les démonter et à les remonter minutieusement, ce qui m'a permis de me familiariser avec leur habileté de conception, la qualité de leur fabrication, et finalement la beauté de la chose. 

 

 

A ce sujet, je ne comprends pas les gens qui collectionnent des armes dites « démilitarisées », c’est-à-dire dans le canon desquelles on a foré des trous pour être sûr d’éviter les tentations. Cela me fait penser aux tribulations d’Octave, dans l’Armance de Stendhal : il est amoureux de sa cousine, mais il refuse de l’épouser, car il serait alors obligé d’avouer qu’il est impuissant. La honte. Stendhal appelait cela, à l’italienne, le « babilanisme ». Quelle femme aimerait un eunuque ?

 

 

Je reviens à la chasse, pour un souvenir particulier, situé dans la plaine de la Bourbre, entre les « marais » et la « garenne ». A l’époque où il y avait des grives en abondance (c'était avant les pesticides et autres friandises), les hommes, en fin d’après-midi, s’alignaient à distance les uns des autres, sur la « route du haut », dos à la « garenne », attendant que les oiseaux, s’étant désaltérés dans la rivière, viennent s’abriter dans le bois touffus pour la nuit.

 

 

C’est un coup à prendre, ce n’est pas très difficile : l’oiseau arrive dans votre direction, en ligne droite, il suffit de tirer un peu devant lui pour toucher. Ensuite, c’est aux chiens de se débrouiller. Il n’y a pas beaucoup de viande, sur la grive, mais c’est absolument délicieux. Mais que ce soit un lièvre, un faisan ou une grive, attention aux petits plombs, quand vous dégustez.

 

 

Je ne m’attarde pas sur le grand-oncle, chasseur infatigable devant l’éternel, qui montait à l’assaut du coq de bruyère sur les hauteurs dominant Champagny-en-Vanoise, et qui accomplissait allégrement dans la journée ses 2000 ou 3000 mètres de dénivelé. La dernière fois qu’il s’est livré à cette « passion », il avait environ quatre-vingt-cinq ans. Pour dire le caractère du bonhomme : inflexible.

 

 

Il était accompagné de ses trois chiens : je me souviens surtout de Brake, le griffon Korthals, que j’adorais, et de Zoum, le magnifique et ombrageux setter irlandais. J’ai longtemps gardé la parure, qu'on dit en forme de lyre, des plumes caudales d’un petit tétras qu’il avait sans doute tué au bois de la Roche, sur les pentes inférieures du mont Jovet.

 

 

J’aimais le suivre quand il partait errer dans les « marais », parmi les plantations d’osier, les broussailles, les champs de maïs, les haies à franchir. Il avait le coup de fusil infaillible.

 

 

Voilà, tout ça pour dire que, sans donner raison aux militants de l’extrême chasse qui forcent la loi pour occuper la point de Grave, le col de l’Escrinet ou la baie de Somme, je comprends encore moins les extrémistes qui voudraient interdire la chasse, je ne comprends pas qu’ils ne comprennent pas et n’acceptent pas que des individus trouvent simplement du plaisir dans les loisirs qu’ils pratiquent, qu’il s’agisse du spectacle de la corrida ou de l’ouverture de la chasse.

 

 

Je mets dans le même sac tous ceux qui s’érigent en FLICS des plaisirs des autres, et qui affirment péremptoirement : ce plaisir-là doit être interdit, vous n'avez pas le droit de l'éprouver  : corrida et chasse, c’est entendu, mais aussi tabac, alcool, sexe, etc. Et qui veulent imposer, somme toute, leur intégrisme. Je les trouve louches et suspects, et au surplus insupportables, tous ces policiers et gendarmes sans uniforme qui s’attaquent aux plaisirs des autres, qui ne supportent pas les plaisirs des autres.

 

 

Qui s’insurgent contre le fait qu’on puisse trouver du plaisir au spectacle d’un beau combat entre un homme et un taureau. Du plaisir à marcher dans un espace naturel avec un fusil à la main. Je ne suis même pas sûr qu'ils aiment ça, le plaisir.

 

 

Tous ces gens qui s’en prennent au fait que d’autres qu’eux éprouvent un plaisir dans une activité qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne supportent pas, qu’ils veulent interdire, ils ont le nœud coulant à la main, et le resserrent autour du cou de notre espace de liberté en personne. Le tableau d’une telle société future, où la vie personnelle de chacun serait escortée d’une liste copieuse d’interdictions, de vetos et de prohibitions, est tout simplement effrayant.

 

 

GENEVIEVE GAILLARD et MURIEL MARLAND-MILITELLO, députées, ont paraît-il déposé une proposition de loi tendant à interdire la corrida sur tout le territoire français. Je note que l’une porte bien son nom militaire (le militant est un militaire sans uniforme), mais que, malheureusement pour les deux élues, la corrida vient d’être inscrite au patrimoine culturel immatériel de la France.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

lundi, 26 décembre 2011

PARLONS DU GENERAL RENE CHAMBE

Le Général René Chambe n’a pas toujours été Général, mais il a toujours été Chambe. Pour tout dire, il est né avec Chambe noué autour du cou. Tare ou privilège, bavoir, plastron ou gilet pare-balles, le fait est là. Au fait, c’était peut-être tatoué sur la face intérieure de sa boîte crânienne.  C’était en 1889. A Lyon, la ville aux « trois fleuves » : le Rhône, la Saône, le Beaujolais. Enfin, il faudrait plutôt dire : un fleuve, une rivière et un robinet. L’important, c’est que ça reste quelque chose de triple. 

 

Car René Chambe eut du triple dans sa vocation : il a passé sa vie à voler, à chasser, à écrire. Ce pourrait être un condensé de son existence. Si l’on ajoute qu’il eut trois enfants, on aura presque tout dit. Presque, car ce furent trois filles. Il n’a jamais laissé paraître qu’il en fût déçu en quoi que ce soit. Au contraire. Mais il va de soi que le nom de la lignée s’interrompit de ce côté. Qu’on se rassure, son frère Joseph prit le relais pour assurer la tâche. 

 

Il est vrai que la règle de transmission du nom a été tant soit peu bousculée dans des temps pas très anciens, pour remédier, s’il n’est pas trop tard, à la disparition inquiétante de la foule des patronymes français  tombés  en déshérence par l’épuisement ou la paresse génésique de certaines familles et le malthusianisme induit par la filiation patrilinéaire (après une phrase comme ça, j’ai envie de dire : « Vous avez vu le travail ? »). Pour le dire simplement : de nombreux noms de famille ont fini en queue de poisson. Ce n’est pas comme en Chine, où 4 patronymes trustent 80 % des individus, au bas mot un milliard de gens. 

 

Pour ce qui est de la guerre, le Général René Chambe a fait plus que le nécessaire. Parti simple troufion dans la cavalerie, il a, comme on dit, « gravi les échelons » jusque tout en haut de l’échelle. Je dirai qu’à cet égard, il s’est comporté en véritable aristocrate républicain, si cette expression a un sens, et avec un panache personnel certain qui l’a conduit, dans la remontée de la botte italienne par les Alliés en 1944, à  enlever ses barrettes de colonel pour faire le coup de feu avec la troupe. 

 

René Michel Jules Joseph Chambe est « engagé volontaire » dans la « cavalerie légère » le 9 octobre  1908 avec le matricule 413. Il a alors dix-neuf ans. Son père est mort en 1902. Il avait alors treize ans. Il est incorporé au « 10ème Hussards » (Tarbes). Il est brigadier le 25 février 1909, sous-officier le 28 septembre 1910. Voici l’avis du commandant d’unité pour le 1er semestre 1911 : « Sous-officier intelligent, actif. A toujours montré dans son service le plus grand zèle et le meilleur esprit. D’une santé délicate au début, s’est maintenant beaucoup fortifié. Il a toujours fait preuve d’une grande énergie. S’est très bien comporté aux manœuvres de 1910 ». 

 

Sur quoi le chef de bataillon conclut : « Très bon sous-officier. Intelligent, très zélé. Monte vigoureusement (ou rig-). Très bonne tenue. Peut faire un très bon officier ».  Après l’école de Saumur, il est sous-lieutenant (= officier) et « dragon ». 

 

Pour ce qui est du « républicain », il fut loyal, mais je ne suis pas trop sûr qu’il ait eu la fibre. Sa belle-sœur se vantait d’avoir fait partie des « Croix-de-Feu » du Colonel de La Roque (6 février 1934). Lui-même assista dans les années 1970, m’avait-on dit, à un rassemblement d’un groupe dénommé « Charles Martel », qui n’est pas précisément une organisation de gauche. Mais enfin, il y a aussi des républicains authentiques à droite. 

 

Enfin, Altitudes (1935), un de ses romans, fut préfacé par Paul Chack,  dont le signe particulier est d'avoir été exécuté à la Libération comme « collaborateur ». De lui, j'avais adoré la lecture de Ceux du Blocus (la guerre sous-marine en Adriatique), et de quelques autres. Inutile de dire qu'Altitudes fut réédité en 1947 sans la préface.  René Chambe n’est donc pas de gauche, ce n’est rien de le dire. En revanche, comme patriote, il est rigoureusement irréprochable et absolument inattaquable.  Je ne juge pas : c’est comme ça. 

 

Chaque fois que sa patrie (on ne sait plus bien ce que c’est aujourd’hui) fut en guerre, il a bien payé de sa personne. A deux reprises. Et pas à l’arrière, mais « au front ». La « Grande Guerre », il la commence dans la cavalerie. Ou plutôt, il faudrait dire « cavalerie à pied », si j’en juge par quelques dessins (René Chambe dessinait fort bien) réalisés dans les tranchées. Ils sont datés, de sa propre main, de janvier 1915, « d’après nature », comme le mentionne l’artiste. 

 

L’un montre le genou d’un cadavre allemand qui émerge de plus en plus  d’un talus, à cause de la pluie, et que les hommes appellent Camembert. « Pourquoi Camembert, demande R. C. ? – Parce qu’il coule ! » Plaisanterie militaire typique. Au cours de mon service militaire, j’ai croisé un sergent Quin. Tous les appelés se sentaient obligés, en le nommant quand ils étaient entre eux, de dire : « Quin, dit Villebreu ». C’est ça, une plaisanterie militaire. Et je ne dirai pas un mot du « père cent », antique humour, si le militaire est capable d’humour.  

 

Les autres dessins sont tout aussi gais, mais les cadavres représentés sont tous allemands ! L’un montre un espace de champ labouré limité par deux lignes de barbelés, au premier et à l’arrière-plan. Entre les deux, des cadavres face contre terre. Le crayon est d’une précision extraordinaire. C’est intitulé : « Croquis d’après nature, pris à 40 mètres des tranchées allemandes occupées par un régiment saxon (Infanterie N° 56) ». 

 

Un troisième dessin laisse émerger, en haut de la paroi de la tranchée, une paire de solides brodequins militaires. On est toujours en janvier 1915. « Ces deux pieds vous frôlent le visageIls sont là depuis septembre. » Un homme répond à la question de R. C. (je reproduis scrupuleusement) : « C’est quand on a creusé les tranchées… Les Allemands tiraient... On avait pas le temps… Depuis … on a essayé de le sortir, mais il est vieux… "Ça tombait de partout". Alors on n’y touche pas. Et puis, "il ne sent pas" ». C’est du vécu. René Chambe a donc tâté des tranchées, c'est incontestable. 

 

Dès que l’aviation de chasse se constitue, il se débrouille pour y être rattaché. C’est fait en 1915, à la M. S. (pour Morane-Saulnier, le fabricant des appareils) 12, au Commandant De Rose. Pour l’instant, seuls deux avions allemands ont été abattus, la « guerre aérienne » est très loin d’être d’actualité. Il y a sur la base de jeunes officiers et sous-officiers. L’avion comporte une place pour le pilote et une pour l’ « observateur », toujours armé d’une carabine. On ne sait jamais. 

 

Les lecteurs de ce blog savent que je suis un amateur des « plus belles histoires de l’oncle Paul », qui paraissaient dans Spirou. Or voilà-t-il pas que dans le n° 1410, du 22 avril 1965, pour le cinquantième anniversaire de l’événement, l’ « oncle Paul » braque son lorgnon sur la M. S. 12 en général, et sur quelques membres de l’escadrille en particulier. Ils ont nom Navarre  et Pelletier-Doisy, dit « Pivolo », pilotes, Chambe et ROBERT, observateurs armés. 

 

Le 1er avril, René Chambe et Pelletier-Doisy décollent, mais rentrent bredouilles, tandis que le tandem Navarre-Robert a abattu un « Aviatik ». Ils ne se tiennent pas pour battus et décollent aux aurores le lendemain. René Chambe, à coups de carabine (chargeur de 4), va percer le réservoir de l’ « Albatros » qu’ils ont rencontré, couper un câble de commande, casser le tableau de bord. L'autre est obligé d'atterrir, et dans les lignes françaises ! 

 

Bref, c’est une victoire aérienne, la quatrième de cette guerre, qui lui vaut un peu plus tard la Légion d’Honneur (« a donné la mesure de son sang-froid et de son audace, etc … »). Une goutte d’eau dans cet océan du désastre européen et humain que fut la première guerre mondiale (voir quelques notes précédentes et mon blog « kontrepwazon », catégorie « monuments aux morts »). 

 

L’écrivain René Chambe racontera cette époque dans quelques livres, dont l’intéressant Au temps des carabines. Il a aussi consacré un ouvrage à Guynemer, marqué par le ton épique et volontiers lyrique qu’il affectionne quand la bravoure et le panache du soldat français sont de la partie. Sous sa plume, les termes d’ « honneur », de « chevaleresque » tombent tout naturellement sur le papier. Un ton que certains trouveront aujourd’hui suranné, voire obsolète. On peut aussi lire avec intérêt Dans l’Enfer du ciel ou L’Escadron de Gironde. René Chambe sait raconter, je vous le garantis. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Il y aura une suite.