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lundi, 04 juillet 2016

AU FOND DES OUBLIETTES

Je peste assez régulièrement contre les politiciens qui persistent à plonger depuis des décennies la France dans des réalités qui ne sont que bourbiers marécageux. Et je supporte d'autant moins leur hypocrisie quintessentielle qu'ils passent leur temps à brandir bien haut l’étendard purement fictionnel des principes et des « valeurs » de la « République ». 

Or je viens de tomber sur quelques citations qui m’ont donné l’impression de me retrouver en terrain connu, dans une atmosphère soudain fraternelle. Jugez plutôt : « Républicains, oui, nous le sommes. Et c’est pour cela justement que, dans certaines figures barbouillées de mensonge et d’effroi, nous refusons de reconnaître l’austère visage jacobin. La République, ça ? Allons donc ! la République, cette puante macédoine de faisans, de mendiants, de prévaricateurs ? … L’héritage des "grands ancêtres", ce refuge de la combine, de l’injustice, de l’impunité ? Ah, messieurs, vous voulez rire ! ». Rudement bien tapé, et en plein milieu de la cible ! Et avec le style, s’il vous plaît ! Cette plume porte des griffes au bout de son génie. 

Ceci est écrit en 1934, figure dans Pavés rouges, ouvrage d’un auteur qui ne figure même pas dans Le Nouveau dictionnaire des auteurs – pour dire si les pouvoirs en place ont tenu grandes ouvertes les oubliettes de l’histoire pour un homme jugé si indésirable que, au moment de la Libération, il a été condamné à mort, avant que sa peine soit commuée, sans doute à la demande de François Mauriac, en travaux forcés à perpétuité. 

Quel est ce danger public ? Ce « traître à la patrie » ? Il s’appelle Henri Béraud. Disons-le : un grand écrivain. Un des grands scandales, une forfaiture, une injustice commise par l’histoire officielle de la littérature telle qu'elle s'est écrite au second vingtième siècle. Qu’avait-il fait, Henri Béraud, pendant la guerre, pour mériter une telle vindicte de la part des vainqueurs ? On se dit que ça devait être très grave : collaboré avec les nazis, pour le moins. Il a bien failli finir comme Paul Chack, cet authentique nazi français, dont je garde pourtant bon souvenir de quelques livres dans la veine héroïque (Ceux du blocus, Hoang Tham, pirate, La Bataille de Lépante), et qui a fini fusillé au fort de Montrouge. 

Henri Béraud ? Vraiment rien à voir. Tiens, la preuve, il allait jusqu’à écrire, après la défaite de 1940 : « Une douleur qui n’a point de nom frappe notre peuple. A cette heure, les restes de tous les chevaliers et de tous les paysans de France ont tressailli sous la terre. Ceux qui pendant vingt siècles ont fait ce pays entendent sur leurs ossements frapper le pas lourd de l’étranger … Je pense à tous ceux qui, saoulés de paroles vaines, ont osé souhaiter la victoire de nos ennemis, sans songer, les malheureux, que cette victoire les chargera des chaînes les plus pesantes et les mieux rivées ». Si ce n'est pas d'un patriote, cette envolée, alors moi je suis chèvre. C'est que lui, Béraud, il a connu la boue, les rats et les poux des tranchées. La mort, il l'a vue de près. Et la guerre lui a volé sept ans de sa vie (« sept ans de caserne », dira-t-il).

Et en plein 1942, même pas peur, il récidive : « Si devant l’Allemagne en armes et sûre de sa force, vous trahissez vos morts en penchant des fronts d’esclaves, l’Allemagne haussera les épaules et n’aura pour vous que mépris. Tiens-toi droit ! disions-nous à nos fils. Un Français de 1942 doit être Français et rien que Français … Nous voulons des Français debout … Debout, camarade, et tiens-toi droit ! ». Non mais vous vous rendez compte ? Dire ça en face à l'occupant ? Est-il sérieux de l’accuser d’ « intelligence avec l’ennemi » ? Non seulement ça a du style, mais il fallait oser ! J'appelle ça « Avoir de la gueule ».

Allez, je crache le morceau : je tire ces citations de l’excellente (quoique non sans faiblesses) biographie d’Henri Béraud par Jean Butin (Henri Béraud, Horvath, 1979). La mise au placard de cet auteur majeur de la première moitié du 20ème siècle permet de faire oublier en même temps qu’il fut un immense journaliste-reporter, à l’égal d’Albert Londres, dont il était l’ami, qui a donné son nom à la plus belle récompense dont rêvent les journalistes en France. Il n’y a pas de « prix Henri Béraud ». Et ça permet de faire oublier qu’on lui doit le prix Goncourt de 1922 (Le Vitriol de lune). En littérature aussi, c'était quelqu'un. Mais que peut un individu face à la doxa de l'opinion dominante ?

On peut lui reprocher diverses peccadilles, comme celle d’avoir été antisémite, mais qui ne l’était pas, à l’époque ? Aujourd'hui c'est tellement mal vu que tout le monde est philosémite ! Ce n’est pas Henri Béraud qui a écrit Bagatelles pour un massacre. Mais s’il n’aimait pas les juifs, il détestait aussi cordialement les Anglais (qui se sont pourtant fait massacrer dans la Somme en 1916). Ah oui, il avait encore le tort d’aimer Pétain. Comme à peu près 40.000.000 d’autres Français du temps. Il avait sûrement plein d'autres défauts. Ceux qui avaient fait les bons choix lui ont fait payer l'addition ... et au-delà.

Mais pour en parler plus à fond, je dois laisser la parole à mon ami Solko, qui sait par cœur tout son Béraud, jusque dans le moindre détail.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 26 décembre 2011

PARLONS DU GENERAL RENE CHAMBE

Le Général René Chambe n’a pas toujours été Général, mais il a toujours été Chambe. Pour tout dire, il est né avec Chambe noué autour du cou. Tare ou privilège, bavoir, plastron ou gilet pare-balles, le fait est là. Au fait, c’était peut-être tatoué sur la face intérieure de sa boîte crânienne.  C’était en 1889. A Lyon, la ville aux « trois fleuves » : le Rhône, la Saône, le Beaujolais. Enfin, il faudrait plutôt dire : un fleuve, une rivière et un robinet. L’important, c’est que ça reste quelque chose de triple. 

 

Car René Chambe eut du triple dans sa vocation : il a passé sa vie à voler, à chasser, à écrire. Ce pourrait être un condensé de son existence. Si l’on ajoute qu’il eut trois enfants, on aura presque tout dit. Presque, car ce furent trois filles. Il n’a jamais laissé paraître qu’il en fût déçu en quoi que ce soit. Au contraire. Mais il va de soi que le nom de la lignée s’interrompit de ce côté. Qu’on se rassure, son frère Joseph prit le relais pour assurer la tâche. 

 

Il est vrai que la règle de transmission du nom a été tant soit peu bousculée dans des temps pas très anciens, pour remédier, s’il n’est pas trop tard, à la disparition inquiétante de la foule des patronymes français  tombés  en déshérence par l’épuisement ou la paresse génésique de certaines familles et le malthusianisme induit par la filiation patrilinéaire (après une phrase comme ça, j’ai envie de dire : « Vous avez vu le travail ? »). Pour le dire simplement : de nombreux noms de famille ont fini en queue de poisson. Ce n’est pas comme en Chine, où 4 patronymes trustent 80 % des individus, au bas mot un milliard de gens. 

 

Pour ce qui est de la guerre, le Général René Chambe a fait plus que le nécessaire. Parti simple troufion dans la cavalerie, il a, comme on dit, « gravi les échelons » jusque tout en haut de l’échelle. Je dirai qu’à cet égard, il s’est comporté en véritable aristocrate républicain, si cette expression a un sens, et avec un panache personnel certain qui l’a conduit, dans la remontée de la botte italienne par les Alliés en 1944, à  enlever ses barrettes de colonel pour faire le coup de feu avec la troupe. 

 

René Michel Jules Joseph Chambe est « engagé volontaire » dans la « cavalerie légère » le 9 octobre  1908 avec le matricule 413. Il a alors dix-neuf ans. Son père est mort en 1902. Il avait alors treize ans. Il est incorporé au « 10ème Hussards » (Tarbes). Il est brigadier le 25 février 1909, sous-officier le 28 septembre 1910. Voici l’avis du commandant d’unité pour le 1er semestre 1911 : « Sous-officier intelligent, actif. A toujours montré dans son service le plus grand zèle et le meilleur esprit. D’une santé délicate au début, s’est maintenant beaucoup fortifié. Il a toujours fait preuve d’une grande énergie. S’est très bien comporté aux manœuvres de 1910 ». 

 

Sur quoi le chef de bataillon conclut : « Très bon sous-officier. Intelligent, très zélé. Monte vigoureusement (ou rig-). Très bonne tenue. Peut faire un très bon officier ».  Après l’école de Saumur, il est sous-lieutenant (= officier) et « dragon ». 

 

Pour ce qui est du « républicain », il fut loyal, mais je ne suis pas trop sûr qu’il ait eu la fibre. Sa belle-sœur se vantait d’avoir fait partie des « Croix-de-Feu » du Colonel de La Roque (6 février 1934). Lui-même assista dans les années 1970, m’avait-on dit, à un rassemblement d’un groupe dénommé « Charles Martel », qui n’est pas précisément une organisation de gauche. Mais enfin, il y a aussi des républicains authentiques à droite. 

 

Enfin, Altitudes (1935), un de ses romans, fut préfacé par Paul Chack,  dont le signe particulier est d'avoir été exécuté à la Libération comme « collaborateur ». De lui, j'avais adoré la lecture de Ceux du Blocus (la guerre sous-marine en Adriatique), et de quelques autres. Inutile de dire qu'Altitudes fut réédité en 1947 sans la préface.  René Chambe n’est donc pas de gauche, ce n’est rien de le dire. En revanche, comme patriote, il est rigoureusement irréprochable et absolument inattaquable.  Je ne juge pas : c’est comme ça. 

 

Chaque fois que sa patrie (on ne sait plus bien ce que c’est aujourd’hui) fut en guerre, il a bien payé de sa personne. A deux reprises. Et pas à l’arrière, mais « au front ». La « Grande Guerre », il la commence dans la cavalerie. Ou plutôt, il faudrait dire « cavalerie à pied », si j’en juge par quelques dessins (René Chambe dessinait fort bien) réalisés dans les tranchées. Ils sont datés, de sa propre main, de janvier 1915, « d’après nature », comme le mentionne l’artiste. 

 

L’un montre le genou d’un cadavre allemand qui émerge de plus en plus  d’un talus, à cause de la pluie, et que les hommes appellent Camembert. « Pourquoi Camembert, demande R. C. ? – Parce qu’il coule ! » Plaisanterie militaire typique. Au cours de mon service militaire, j’ai croisé un sergent Quin. Tous les appelés se sentaient obligés, en le nommant quand ils étaient entre eux, de dire : « Quin, dit Villebreu ». C’est ça, une plaisanterie militaire. Et je ne dirai pas un mot du « père cent », antique humour, si le militaire est capable d’humour.  

 

Les autres dessins sont tout aussi gais, mais les cadavres représentés sont tous allemands ! L’un montre un espace de champ labouré limité par deux lignes de barbelés, au premier et à l’arrière-plan. Entre les deux, des cadavres face contre terre. Le crayon est d’une précision extraordinaire. C’est intitulé : « Croquis d’après nature, pris à 40 mètres des tranchées allemandes occupées par un régiment saxon (Infanterie N° 56) ». 

 

Un troisième dessin laisse émerger, en haut de la paroi de la tranchée, une paire de solides brodequins militaires. On est toujours en janvier 1915. « Ces deux pieds vous frôlent le visageIls sont là depuis septembre. » Un homme répond à la question de R. C. (je reproduis scrupuleusement) : « C’est quand on a creusé les tranchées… Les Allemands tiraient... On avait pas le temps… Depuis … on a essayé de le sortir, mais il est vieux… "Ça tombait de partout". Alors on n’y touche pas. Et puis, "il ne sent pas" ». C’est du vécu. René Chambe a donc tâté des tranchées, c'est incontestable. 

 

Dès que l’aviation de chasse se constitue, il se débrouille pour y être rattaché. C’est fait en 1915, à la M. S. (pour Morane-Saulnier, le fabricant des appareils) 12, au Commandant De Rose. Pour l’instant, seuls deux avions allemands ont été abattus, la « guerre aérienne » est très loin d’être d’actualité. Il y a sur la base de jeunes officiers et sous-officiers. L’avion comporte une place pour le pilote et une pour l’ « observateur », toujours armé d’une carabine. On ne sait jamais. 

 

Les lecteurs de ce blog savent que je suis un amateur des « plus belles histoires de l’oncle Paul », qui paraissaient dans Spirou. Or voilà-t-il pas que dans le n° 1410, du 22 avril 1965, pour le cinquantième anniversaire de l’événement, l’ « oncle Paul » braque son lorgnon sur la M. S. 12 en général, et sur quelques membres de l’escadrille en particulier. Ils ont nom Navarre  et Pelletier-Doisy, dit « Pivolo », pilotes, Chambe et ROBERT, observateurs armés. 

 

Le 1er avril, René Chambe et Pelletier-Doisy décollent, mais rentrent bredouilles, tandis que le tandem Navarre-Robert a abattu un « Aviatik ». Ils ne se tiennent pas pour battus et décollent aux aurores le lendemain. René Chambe, à coups de carabine (chargeur de 4), va percer le réservoir de l’ « Albatros » qu’ils ont rencontré, couper un câble de commande, casser le tableau de bord. L'autre est obligé d'atterrir, et dans les lignes françaises ! 

 

Bref, c’est une victoire aérienne, la quatrième de cette guerre, qui lui vaut un peu plus tard la Légion d’Honneur (« a donné la mesure de son sang-froid et de son audace, etc … »). Une goutte d’eau dans cet océan du désastre européen et humain que fut la première guerre mondiale (voir quelques notes précédentes et mon blog « kontrepwazon », catégorie « monuments aux morts »). 

 

L’écrivain René Chambe racontera cette époque dans quelques livres, dont l’intéressant Au temps des carabines. Il a aussi consacré un ouvrage à Guynemer, marqué par le ton épique et volontiers lyrique qu’il affectionne quand la bravoure et le panache du soldat français sont de la partie. Sous sa plume, les termes d’ « honneur », de « chevaleresque » tombent tout naturellement sur le papier. Un ton que certains trouveront aujourd’hui suranné, voire obsolète. On peut aussi lire avec intérêt Dans l’Enfer du ciel ou L’Escadron de Gironde. René Chambe sait raconter, je vous le garantis. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Il y aura une suite.