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vendredi, 15 septembre 2023

DES PERLES COMME ...

... S'IL EN PLEUVAIT.

Oui, je sais, j'écoute un peu trop la radio, mais que voulez-vous, c'est comme ça, et ça fait si longtemps. Dans le brouillard qui s'épaissit et s'approfondit parfois à l'excès, il arrive à mon oreille d'être piquée par l'aiguillon des trouvailles — involontaires en général — de tous ces gens autorisés à causer dans le poste. Autant de bonbons que je laisse au lecteur le soin d'apprécier.

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Entendu sur France Musique hier soir. Benjamin François (ou Arnaud Merlin ?) présente le programme du concert de 20 heures, qui commence par une œuvre de Pouët-Pouët Boulez : « Le Sacre du printemps n'a pas perdu une ride depuis sa création ».

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Sur France Culture, le 6 septembre 2023 à 12 h. 11 environ. On parle d'un film quelconque : « Une actrice qui a eu un accident de voiture et qui a disparu de la circulation ».

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Toujours France Q, le 27 avril 2023 vers 12 h.40 : « Doubler la facture par deux ».

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France Q, 9 septembre vers 7 heures 17, dans la bouche de Quentin Laffay (on est samedi) : « Le Tombereau de Couperin, de Maurice Ravel ». Répété tel quel dans la "désannonce".

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France Culture encore, le 14 août dernier vers 7 heures 03. On parle de migrants et de passeurs, qui se donnent rendez-vous le long de La Canche, fleuve côtier du Pas-de-Calais, par souci de discrétion : « Ils remontent le fleuve jusqu'à la Manche ».

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Philippe Manière, "consultant" en je ne sais quoi (entreprise "Vae Solis" = "Malheur à l'homme seul"), sur France Culture , le 30 janvier 2023 à 8 h. 08 : « Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire ».

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A propos de Carlos Ghosn, le 20 novembre 2018 à 7 h. 02, dans la bouche du journaliste Hakim Kasmi : « Même le Medef se pourfendra d'une lettre ».

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Le 10 octobre 2018, sur France Culture vers 8 heures 20 : « Ces nouveaux députés La République en Marche n'ont pas la rouardise des députés du vieux monde ».

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A SUIVRE .......

samedi, 28 février 2015

MORT DE LA MÉLODIE

1/3

 

Je suis, depuis « ma plus tendre enfance », un gros consommateur de musique. La voracité de mon appétit en la matière, en même temps qu'elle saturait jusqu'à l'exaspération l'espace sonore des gens qui m'entouraient, m’a fait parfois effleurer, parfois côtoyer l’univers des musiciens, parfois même y poser un pied (j’ai chanté pendant plusieurs années dans un ensemble de solide réputation). Certains disent que j’ai écouté la radio ou collectionné les disques de façon déraisonnable. J’avoue : je suis, depuis toujours, fou de musique. Littéralement.

 

J’ai aussi beaucoup fréquenté les lieux où la musique se faisait, et j’ai pratiqué quelques instruments (bugle [j'essayais de copier le sublime solo de Bubber Miley au cornet, dans je ne sais plus quel Duke Ellington précoce, au grand dam du médecin qui avait sa consultation juste au-dessus de ma chambre], guitare, piano, clarinette, … ), jusqu’à ce que je prenne conscience, dans un éclair de lucidité résignée, que, dans la pratique instrumentale, je manifestais une envie et un goût notablement supérieurs au talent effectif que je déploierais jamais dans leur maniement.

 

J’ai donc été forcé de me réfugier, dans un mouvement de retraite déçue et tardive (on ne renonce pas aisément), derrière le rempart d’une névrose aussi mélomaniaque qu’obsessionnelle. Pour dire, c’en est au point que si, en pleine discussion passionnée sur la marche de la planète avec quelques convives, parviennent à mon oreille des échos de l’adagio de la sonate opus 106 ou de l’aria de basse « Mein teurer Heiland » dans la Saint-Jean, mon esprit déserte aussitôt la table, pour s’isoler en compagnie de Ludwig Van ou de Jean-Sébastien.

 

Obsessionnel, c’est bien ce que je me dis, mais que voulez-vous y faire ? C’est sûrement un symptôme, n’est-ce pas ? Je me pose parfois la question de savoir, si l’on me demandait quel est le fil conducteur qui sous-tend mon existence, si ce ne serait pas l’ensemble des sons musicaux qui se sont introduits depuis les origines, en passant par l’oreille, jusqu’aux couches les plus profondes. Inatteignables, même par fracturation hydraulique.

 

Tout ça pour dire que, sans la musique, je serais comme un poisson hors de l’eau. Et que, après d’invraisemblables vagabondages, motivés par une curiosité que j’ai renoncé à comprendre, dans les musiques les plus diverses, les plus exotiques, les plus modernes, les plus hétéroclites et même les plus improbables, j’ai fini par déblayer le terrain de mes choix racinaires. J’ai fini par choisir. Or choisir, c’est éliminer.

 

Du magma sonore où mes oreilles ont depuis toujours traîné leurs guêtres, j’ai donc retiré un petit nombre de formes restées à même de combler mes besoins d’émotion musicale. Et cette décantation opérée par le temps qui passe en a éloigné d’autres désormais inaptes à satisfaire mon attente. Tout m'est resté dans l'oreille, mais filtré. Parmi les filtres qui motivent ce jugement, celui qui vient en premier, loin devant les autres, s’appelle la mélodie. Or c’est là que « ça fait problème » aujourd’hui. Oui, la mélodie.

 

Si l’on excepte la chanson et la pop music (en gros, les « variétés »), j’ai parfois l’impression que la notion même de mélodie a disparu des musiques que toute l’époque actuelle produit. Ecoutez « Les lundis de la contemporaine », d’Arnaud Merlin, le lundi soir ou les « Alla breve » d’Anne Montaron cinq minutes tous les jours, bref, ce qu’on appelle couramment la « musique contemporaine » (Dieu sait que j'en ai bouffé !).

 

Ecoutez une bonne partie de la musique que font les musiciens de jazz aujourd’hui. Ecoutez toutes les musiques qu’on a regroupées sous l’étiquette « Electro » ou « Techno ». Ecoutez du « Rap » ou du « Slam » : à peine si on peut y dénicher, de loin en loin, quelques souvenirs de traces d’une mélodie quelconque. Pour trouver une ligne de notes qui montent et qui descendent, qui soit assez structurée pour procurer une forme musicale à l’oreille. Car toute vraie mélodie est structurée : tout Berlioz en est une preuve éclatante (« Premiers transports que nul n'oublie ! Premiers aveux, premiers serments de deux amants, Sous les étoiles d'Italie ... », l'air de contralto est un modèle).

 

Conséquence de cette disparition : on ne peut plus chanter la musique qui se crée jour après jour. Or j’estime que pouvoir chanter ce que j’ai entendu est une façon de prolonger l’émotion ressentie à l’écoute. Comme si les compositeurs et improvisateurs actuels (depuis les « révolutions » du tout début du 20ème siècle) voulaient priver leurs auditeurs de ce plaisir. Les empêcher de jouir intérieurement du fruit de leur travail et de leur inspiration. Comme s’ils considéraient comme une démagogie méprisable d’imaginer une musique faite tout simplement pour plaire aux gens ordinaires. Comme s’ils n’aimaient pas les gens à qui ils destinent leurs créations.

 

Ils ont cessé de s’appuyer sur des suites de notes chantables par tout le monde. A part dans la chanson et la variété (et encore, pas toujours). Ceux qui se risquent à en écrire malgré tout (Karol Beffa, Olivier Greif, Philippe Boesmans, …), tout en utilisant les moyens modernes du langage musical, font presque figure d’exceptions, de survivants vaguement moisis ou momifiés d’une ère dinosaurienne (quoique de multiples dignitaires se soient inclinés devant le cadavre d'Olivier Greif).

 

Les plus « modernes » et autres « avant-gardistes », considérés comme le fin du fin de la musique, surtout dans la « musique contemporaine », étant ceux qui ne hiérarchisent plus les sons en « musicaux » et « non-musicaux », dans des œuvres où les sons produits par les instruments hérités de l’histoire ne sont plus qu’un cas particulier parmi l’ensemble des sons utilisables, où sont inclus toutes sortes de bruits, même les plus triviaux (le compositeur (!) Brice Pauset aime bien le bruit de l'aspirateur). 

 

C’est pourtant la mélodie qui fait l’âme de la musique, je veux dire de la musique humaine, celle qui se partage, le socle puissant de ce qu’on appelait autrefois la « musique populaire ». Charles Trenet le dit bien : « Longtemps après que les poètes ont disparu, Leurs chansons courent encore dans les rues ». Et ça dépassait le petit univers de la chanson : c’était vrai pour l’opéra, la symphonie, le concerto, etc.

 

Ce qu’on appelait le « thème », ce qui faisait en quelque sorte sa carte d’identité, ce qui permettait de le fredonner à quelqu’un pour le lui faire reconnaître, c’était ça : la mélodie. Eh bien c’est fini : un cataclysme consensuel et silencieux s’est produit au 20ème siècle qui a englouti la mélodie.

 

De l'invention majeure de la musique occidentale, en plus d'être une musique écrite, je veux parler de la gamme par tons, je veux parler de la tonalité, un système établi, dit-on, par Guido d'Arezzo (« Ut queant laxis Resonare fibris Mira gestorum Famuli tuorum ...» = do, ré, mi fa ...), le système qui a produit toute la musique tonale, toute la polyphonie et toute la musique symphonique, bref, tout le patrimoine de la musique européenne, le 20ème siècle a voulu faire table rase.

 

Pour être moderne, il faudrait dire « a remis les compteurs à zéro ». Il se trouve que l'humanité, depuis ses origines, n'a jamais « remis les compteurs à zéro ». On ne recommence jamais la même chose.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mardi, 26 mars 2013

DE L'ENFANTIN EN ART

 Nous avons vu qu’en musique, le monde, au 20ème siècle, est devenu une gigantesque cour de récréation, avec ses bacs à sable, ses coins « marelle » et ses mares aux canetons qui se prennent pour des cygnes. Mais les arts visuels, non seulement n’ont rien à envier aux arts de l’oreille, mais peuvent à juste titre leur en remontrer, même avec handicap au départ.

 

ART PAUVRE 10.jpgCar pour être juste, le petit merdeux (mettons, non, quand même, pas Boulez, Dutilleux ou Stockhausen, dont la statue intouchable trône désormais au milieu du paysage des « valeurs reconnues », mais Brice Pauset ou Ondrej Adamek, heureusement inconnus, mais que ça n’empêche pas d’avoir accès aux salles de concerts et aux antennes que Jean-Pierre Derrien, le snobinard de France Musique, Arnaud Merlin ou AnneCALZOLARI 3.jpg Montaron sont toujours prêts à leur ouvrir, pardon pour la longue parenthèse, on reprend son souffle) qui s’exerce à faire du vent avec un aspirateur ou du tonnerre avec des casseroles, ne s’adresse en général qu’à un public très clairsemé, comme le fait entendre le nombre impair des  mains qui claquent à la fin, ou tout disposé à tourner le bouton du poste dès la première menace proférée.

 

KOUNELLIS 1 IANNIS ART PAUVRE.jpgAlors, les arts visuels, maintenant. Ce n’est pas la première fois que je me penche avec une sincère tendresse et un intérêt non dissimulé sur les jeux turbulents des garnements qui parcourent en tout sens la cour de récréation de l’ « art contemporain ».

 

C’est chaque fois, pour mon esprit amolli par la déliquescence d’uneGILARDI 1 PIERO BIS.jpg civilisation finissante, une occasion de se rafraîchir dans une authentique jouvence, et pour ma sensibilité saturée des mille sensations dont l’assaille un univers urbain jamais avare de sollicitations séduisantes, de se replonger dans les vivifiantes sources matricielles de l’émotion esthétique la plus pure. Et je me dis, tout pénétré d’une évidence quasi biblique : « Ah oui, elle sort bien de la main des enfants, la Vérité ! ».

 

Je dirais même que le 20ème siècle artistique a fait entrer l’humanité dans un âge paradisiaque, que j’appellerai

 

« L’ÂGE DE L’ENFANCE DE L’ART »,

 

BEUYS 2.jpget qui n’est pas un paradis perdu, mais un paradis retrouvé, que dis-je : reconquis au nez de Dieu lui-même. Quand on regarde un enfant bassouiller (Balzac aurait dit « rabouiller ») dans une flaque d’eau pour faire traverser cet Atlantique à son paquebot de papier, on se dit que c’est lui qui a raison, que c’est lui qui mérite de guider l’univers sur la voie du salut.

 

Une bonne partie de la population qui se range d’elle-même en ordre deSORTIR.jpg bataille derrière l’étendard de l’ « art contemporain » a donc fait triompher, tout au long du 20ème siècle, « l’esprit d’enfance ». Mais on me demandera ce que c’est, l’esprit d’enfance.

 

VAUTIER 2.jpgL’esprit d’enfance ? C’est la fraîcheur de l’attitude face aux matières qui constituent le monde naturel ou synthétique, de la plus triviale et brute à la plus noble et quintessenciée. C’est les trésors d’ingéniosité déployés pour associer le plus originalement possible des objets n’ayant rien à voir ensemble (« La poésie, c’est quand les mots se rencontrent pour la première fois », disait le vieil Algonquin, Tatanka Ohitika, alias "Rêve de la pierre sacrée").

 

L’esprit d’enfance ? C’est l’inépuisable capacité d’émerveillementART FEMINISTE 3.jpg devant les inépuisables beautés qu’offre la vie de l’homme (et de la femme) jusque dans ses détails les plus familiers et intimes. C’est l’art qui se dissimulait dans le moindre de nos objets les plus quotidiens, et que le gamin qui veille au fond de chaque « artiste contemporain » sait spontanément élever à la dignité d’œuvre d’art.

 

CONCEPTUEL 2.jpgL’esprit d’enfance ? C’est finalement l’indéfectible et inaliénable pouvoir que possède l’enfant, de transmuter le vil plomb de la réalité en or massif imaginaire par la seule magie de la désignation : « Ceci est de l’art ».

 

N’est-il pas beau, ce délicieux caprice de l’enfant qui, quand il étaitREADY MADE 3.gif môme chargeait ses poches (et celles des ses parents) de toutes sortes de cailloux au simple motif qu’ils brillaient, et qui, parvenu à l’âge où rester enfant résulte d’un choix mûrement réfléchi, décide que la roue voilée de sa bicyclette devient une immortelle œuvre d’art dès lors qu’elle est dûment assujettie au tabouret quadrupède qui fut celui du grand-père au coin de la cheminée. La Vérité dégouline de la main de l'enfant enfin resté enfant.

 

La commune d’Achères, aux environs de Paris, était connue au 19ème siècle pour abriter les plus vastes « champ d’épandage » pour l’ « engrais humain », alors collecté par les « vidangeurs au tonneau ». Le complexe légumier d’Achères s’est enfin, au 20ème siècle, démocratiquement étendu à tout l’espace humain disponible, transformé par la magie de l’ « esprit d’enfance », en un seul gigantesque, démesuré

 

CHAMP D'EPANDAGE ARTISTIQUE. 

MANZONI 3.jpg

La réalité tout entière est devenue le réceptacle accueillant pour toutes les trouvailles, inventions, découvertes et expériences généreusement offertes à l’humanité par une foule de grands enfants qui s’amusent comme des fous à rivaliser d’imagination esthétique. C’est seulement à cette condition que l’humanité restera « à la pointe de la modernité ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 11 mars 2012

C'EST PARTI POUR PATA KOKOKO

DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DES NOTES

 

Pour qu'une nuit du 4 Août perpétuelle règne sur la musique.

 

 

Résumé : les concerts de musique contemporaine ressemblent souvent au bac à sable dans lequel les enfants jouent. 

 

 

Et la maladie musicale commence quand on prend la décision de considérer TOUS les sons comme des sons musicaux, y compris ceux qu’on obtient en frappant le bois du piano avec le doigt ou en frottant l’archet sur les cordes, mais entre le chevalet et le cordier. Et je ne parle pas des bruits de l’usine, de la gare de chemin de fer ou de la circulation automobile. Mais l'homme n'est pas fait pour croire que la dissonance, la stridence, le cri, constituent un milieu où la vie soit possible ou désirable. Et pourtant, je l'ai cru très longtemps.  

 

 

Je me rappelle, il y a longtemps, l'excellent pianiste BRUNO CANINO expliquer doctement (c'était dans les coulisses de l'ancien festival « Musique Nouvelle », longtemps voulu et porté par DOMINIQUE DUBREUIL), qu'on devait légitimement considérer comme de la musique à part entière le son produit par le choc de l'index sur l'ivoire d'une touche, sans pour autant que la note fût produite. Et comme tout le monde, je restais là bouche bée à me laisser bourrer le mou.

 

 

C'est sûr qu'il y a quelque chose de fascinant dans le fait d'être présent au moment de la naissance de quelque chose de Nouveau : l'impression d'être dans le flux du mouvement, en position d'éclaireur, en quelque sorte. Et le groupe des amateurs "éclairés" qui gravite autour de ce Nouveau, qui fonctionne un peu comme une secte, pratique en permanence l'autolégitimation réciproque, dans une espèce de narcissisme enivrant. J'étais enivré. Je trouve aujourd'hui qu'il m'a fallu bien trop de temps pour être dégrisé.

 

 

 

Bien du temps pour me dire qu'il s’agissait surtout, dans la musique contemporaine, d’en finir une fois pour toutes avec l'idée même de différence. En l'occurrence, la différence entre le son musical et le bruit. Ce qui revient à éliminer la différence entre la réalité et l'art. Et beaucoup plus généralement, tout ce qui peut passer pour le marqueur d'une différence.  L'idée, c'est d'abolir. Peu importe ce qui est établi : il faut l'abolir, du seul fait que c'est établi.

 

 

Car, mes bien chers frères, les quelques diplodocus qui persistent à voir et à faire des différences (entre les choses, entre les êtres, entre les sexes, par exemple), ils se laissent leurrer et duper par des apparences trompeuses, ils sont dans l'arbitraire le plus total, qui est évidemment injustifiable, donc à abolir sur-le-champ. Comme le proclamait fièrement le titre d'un film : « L'homme est une femme comme les autres » (1998).

 

 

Pour revenir à ONDREJ ADAMEK, voici le descriptif présenté par ARNAUD MERLIN, de France Musique, pour introduire sa composition(c’est authentique, évidemment) : « [Le compositeur] s’est intéressé au son des gaines électriques qui se trouvent à l’entrée d’air des aspirateurs, lorsqu’on les allume et éteint rapidement ». Quel sérieux ! Et quel comique ! L’auditeur, quelque bonne que soit sa volonté, ne va peut-être pas au concert pour entendre évoquer le bruit de l’aspirateur.

 

 

La peinture contemporaine ne souffre pas d’une autre maladie que la musique : faire de la matière de son art l’objet même de son art. Renoncer à représenter pour mettre au premier plan les couleurs, les lignes, la géométrie, c’est, qu’on le veuille ou non, transformer le salon en atelier ou, si vous préférez, faire manger les invités sur la table de la cuisine.

 

 

La partie transgressive des arts contemporains, elle est là : abattre les murs, abolir les frontières, faire table rase de toute discrimination (au sens d’ « action de distinguer deux choses différentes »). Le dictionnaire a même fait du mot « discrimination » un péché grave. Et en a profité pour le transférer sans prévenir de la sphère intellectuelle, où savoir distinguer les différences est absolument essentiel, au registre moral, où l'on tombe aussitôt dans la marmite de l'enfer américain : « Love it, or leave it » (réentendu avec GEORGE W. BUSH). Tu m'aimes, ou tu me quittes.

 

 

C’est dire que ça ne touche pas seulement les arts, mais les esprits. La non-discrimination est devenue un principe sacré : il est désormais interdit de faire des différences. On comprend que la confusion la plus complète soit devenue la norme. La musique contemporaine ne saurait échapper à la destruction sciemment accomplie des différences. Le "bien" est différent du "mal" ? Cette différence, qu'on se le dise, est en elle-même un mal. Mais dans ce cas, quel est le "bien" qui s'oppose à ce "mal" ?

 

 

Quand ARNOLD SCHÖNBERG invente le dodécaphonisme (début du 20ème siècle), il entend mettre à bas l’injustice que constitue le règne de la TONALITÉ. Le dodécaphonisme sonne comme une moderne « Déclaration universelle des droits des notes » : « Toutes les notes de la gamme naissent libres et égales en droit ».

 

 

ARNOLD SCHÖNBERG décrète à lui tout seul l’abolition des privilèges des tonalités. Il fait sa « Nuit du 4 août ». Fini le règne despotique du Ré Majeur, fini le discrédit dont a toujours souffert le pauvre Si Bémol mineur. Le cubisme en peinture et le dodécaphonisme en musique accomplissent la prophétie de l’Internationale, d’EUGENE POTTIER et PIERRE DEGEYTER : « Du passé faisons table rase ».

 

 

Ce qui n’a pas pu être accompli dans l’ordre politique aura été accompli dans l’ordre esthétique. Il y a de la guillotine, du Robespierre et du Comité de Salut Public dans le dodécaphonisme. Il y a du FOUQUIER-TINVILLE (l'accusateur public de 1793) dans ARNOLD SCHÖNBERG.

 

 

Puisqu'on ne peut pas subvertir l'infrastructure, on va s'en prendre au sens, qui est la superstructure, muette par définition (je ne cite que par commodité quelques vieilles catégories marxistes). Quand les gens ne comprendront plus rien au monde dans lequel ils vivent, on pourra dire que la mission est accomplie, car on pourra faire d'eux ce qu'on veut. Il n'y aura effectivement plus aucun critère de jugement. Il s'agit, en définitive, d'abolir la capacité de jugement de l'individu. 

 

 

La poésie ne reste pas à l’écart de ce joyeux élan destructeur, auquel le mouvement Dada apportera sa touche primesautière en donnant la nouvelle recette du poème : découpez chaque mot d’un article de journal, fourrez-le tout au fond d’un sac, tirez un à un les mots en les inscrivant scrupuleusement au fur et à mesure, et vous avez votre poème.

 

 

Car on ne le dit pas assez : la syntaxe, en faisant régner l’ordre des mots, fait régner la terreur, car elle donne un sens. C’est d’un arbitraire totalement injustifié. Rien que le mot « ordre » aurait dû depuis longtemps faire jeter celui des mots à la poubelle. Après tout, pourquoi le sujet se met-il avant le verbe ? Certains sont même allés plus loin, tel le doux HUGO BALL en 1916 : « te gri ro ro gri ti gloda sisi dül fejin iri » (GEORGES HUGNET, L'Aventure Dada, Seghers, 1971, p. 138).

 

 

Que ce soit dans la poésie, dans la peinture ou dans la musique, le 20ème siècle aura donc été celui, non de la démocratie, mais du démocratisme à tout crin, de l’égalitarisme à toute vitesse, de l’abolition forcenée de toute HIERARCHIE des valeurs. Guillotiner ce qui a l’audace de dépasser. De même que tout individu a autant de droits que tout autre, chacun des éléments d’expression artistique a strictement la même valeur que tout autre.

 

 

Ce qui n’était pas de l’art devient de l’art, celui qui n’était pas artiste devient artiste, il n’y a pas de raison.

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

 

 

vendredi, 09 mars 2012

KROMDA RIPALO PATA KOKOKO

« ARTHUR, TU TRAÎNES SUR PATAKOKOKO »

 

 

Tout le monde civilisé connaît évidemment, j’espère, la chanson chantée par les jeunes éléphants de Célesteville, sous la direction de Cornélius le sage :

 

Patali di rapata,

kromda kromda ripalo,

patapata kokoko.

 

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Pas besoin de mettre la musique, sans doute, tout le monde a ça dans l’oreille. Même que le vieux Cornélius reprend l’inattentif en l’apostrophant : «  Arthur, voyons, tu traînes sur pata kokoko ». On reconnaîtra que ce cantique traditionnel de l’église enfantine vaut celui que chantent en cadence cinq nègres, dans la pirogue où Tintin (Tintin au Congo, p. 35, pour être précis) et le Père Blanc, des Missions Africaines, sont montés :

 

U-élé-u-élé-u-élé

ma-li-ba ma-ka-si.

 

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De patakokoko à la musique contemporaine, vous avez déjà compris qu’il n’y a qu’un pas à franchir, et que telle est bien ici mon intention : le franchir. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.

 

 

ONDREJ ADAMEK était à l’honneur, lundi 5 mars, sur France Musique. Compositeur sympathique, jeune au demeurant, ONDREJ ADAMEK est sûrement quelqu’un de très savant, comme tous les musiciens qui jouent sa musique. Mais il y a dans cette musique quelque chose qui me chiffonne : je vois, comme s’ils étaient devant moi, des gens assis dans des tenues très protocolaires, certes, mais très « chic ».

 

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Ils sont tous sûrement très savants. Comme dans un salon distingué, le soir d’une réception mondaine, ils échangent des propos sensés sur un ton, feutré ou non, mais toujours élégant, en trempant parfois leurs lèvres dans leur coupe de champagne. Nous sommes dans une cérémonie, un concert, comme on dit. Il y a du cérémonial dans tout concert.

 

 

Et ces gens très distingués, au concert, ne parlent pas, mais ils émettent des sons en agissant sur des instruments dits de musique, en soufflant, en frappant, en frottant. Ce qui me saute aux yeux, c’est l'OPPOSITION entre ce que je vois et ce que j’entends. Et ce qui me prend, tout d’un coup, c’est une irrépressible envie de RIRE. La scène m’apparaît soudain du plus haut comique.

 

 

Je vais essayer de transcrire la conversation : « Pouet pouet ! – Chhhh ! – Zing ! – Hin Hin Hin ! – Ouah ? – Prout ! – Cui cui ! – Patakokoko ». Et ça dure un quart d’heure, peut-être même plus. A la fin, tout le monde est à bout d’argument, donc « le combat cessa faute de combattants ». Alors, pour les départager, le public applaudit. Je caricature, évidemment, mais je vous assure que c’est à peu près ça. Ce fut un concert de musique contemporaine.

 

 

Ça me fait penser à une très ancienne bande dessinée de SEMPÉ, où l’on voit, pareil, mais autour d’une table, des messieurs très sérieux, guindés, émettre des onomatopées du genre : « Grimph ! Chlouch ! Flaps ! », et comme ça pendant un bon moment. Tout le monde a la mine grave.

 

 

Jusqu’à ce que l’un d’eux sorte : « Zgrouitch ! ». Là, tout le monde se met à sourire et à applaudir. La dernière image montre des murs de ville couverts de gigantesques affiches vantant les mérites du dentifrice révolutionnaire « Zgrouitch ». L’avant-dernière image de la bande a d’abord montré les dignes messieurs qui sablent le champagne pour fêter la mise au point finale de la campagne publicitaire du dit dentifrice. Voilà.

 

 

La musique d’ONDREJ ADAMEK, c’est l’équivalent d’un dessin humoristique de SEMPÉ : on dirait qu’il s’agit de déclencher le rire de l’auditeur par l’opposition, disons même l’incompatibilité entre, d’une part, le visible, l’immense sérieux et l’incomparable professionnalisme d’une vingtaine de musiciens passés par les plus hautes écoles et les plus prestigieux conservatoires, et d’autre part, l’audible, j’ai nommé le GAG AUDITIF permanent que constituent les sons qu’ils font sortir de leurs instruments. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’ONDREJ ADAMEK serait content d’apprendre qu’il a composé de la musique comique.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.