lundi, 18 novembre 2019
L'ARCON, MAFIA DE BAC A SABLE
Le trop connu Ben Vautier.
L'Arcon, c'est les sales gosses qui font la loi, exactement comme ce qui se passe dans tous les territoires où circule la drogue. Il se passe dans le domaine de l'art, dans la société actuelle, un phénomène qu'on pourrait rapprocher de ce qui se passe dans certaines banlieues pourries,
Le minimalisme zen de Martin Barré, qui porte bien son nom.
où ce sont les jeunes générations qui imposent leur loi aux plus âgés, je veux dire aux gens normaux, parce que c'est leur commerce illicite qui est le principe organisateur des forces actives des lieux,
Une fente (parmi d'autres) de Lucio Fontana.
et qu'il vaut mieux pour les braves gens ne pas mettre de bâtons dans les roues à tous ceux qui participent à la « chaîne de valeur » (comme disent les distingués économistes).
Art conceptuel spaghetti.
François Curlet.
Les rôles sont distribués un peu de la même manière, du cerveau qui finance (quelle différence entre le mécène et le "parrain" ?) et qu'on ne voit jamais, jusqu'aux petites mains en bout de chaîne (quelle différence entre le critique d'art et le dealer ?). La différence de l'Arcon avec les produits illicites qui empuantissent l'esprit de ceux qui s'y adonnent et garnissent les poches des commanditaires,
Mai 1961, l'indémodable Merda d'artista (Artist's shit, il paraît que l'hermétisme du métal des boîtes ainsi confectionnées souffre du passage des ans : dans quel état sont-elles aujourd'hui ?).
Piero Manzoni.
c'est que le commerce de l'art contemporain est tout à fait autorisé, voire encouragé par toutes les autorités administratives au nom de la "culture", et très bien vu de toutes les élites les plus cultivées, qui se précipitent en grande tenue aux vernissages pour s'y faire photographier.
Autre merde d'artiste, obtenue cette fois par gonflette.
Paul McCarthy (qui avait fait un truc dans le même genre, en vert, sur la place Vendôme à Paris).
Une autre différence est que, dans les deux milieux, la terreur qui règne parmi tous ceux qui ne sont pas, à un titre ou à un autre, inscrits dans le cercle des bénéficiaires et des parts de marché ne s'exerce pas de la même manière : dans les milieux de la drogue, on le voit régulièrement dans les journaux, les affaires se règlent brutalement à coups de plomb ou autre.
Un tas de papiers froissés du Suisse Joseph Beuys, le pape d'une tendance d'art dont j'ai heureusement oublié l'appellation.
Dans les milieux de l'art, cela se passe de façon beaucoup plus feutrée, on dira plus "civilisée" : d'un côté la secte des thuriféraires, qui a ses entrées dans toutes les officines médiatiques sans cesse à l'affût de l'événement ;
La corbeille à papiers de Vincent Mauger.
de l'autre, l'immensité des plèbes ignares qui ne comprendront jamais rien, et qu'on laisse d'un air dédaigneux patauger dans la grossièreté de leur esprit épais. L'élite n'a rien à voir avec le vulgaire.
Une des pastèques sculptées de Dimitri Tsykalov, animateur d'activités périscolaires en milieu éducatif.
A noter qu'au sein de celle-là, il n'est pas si rare d'assister à des flingages en règle entre coteries concurrentes : l'écurie Damien Hirst n'a rien à voir avec la bande à Jeff Koons, même si leurs guéguerre ne laisse jamais de morts sur le terrain.
Take me.
La friperie de Christian Boltanski : on n'apportait pas son manger, mais on pouvait partir habillé (si l'on peut dire).
Finalement, Reiser n'a pas si tort que ça de parler d' « Art rigolo » (voir hier, ici même), car ce qui se passe entre bandes rivales de malfrats qui se disputent des "territoires" fait des dégâts concrets infiniment pires que le spectacle dérisoire de gens qui se prennent pour le dessus du panier.
L'univers "salle de bains" de Jean-Pierre Raynaud.
Dans les milieux de l'art contemporain, qu'on se le dise, c'est toujours
POUR DE RIRE.
***
Note : la sélection ci-dessus est d'un arbitraire absolu et assumé. J'ai bien dit "sélection". J'ai bien dit "arbitraire". J'ai bien dit "assumé".
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art contemporain, arcon, critiques d'art, revue art press, catherine millet, catherine francblin, avant-gardes, ben vautier, martin barré, lucio fontana, françois curlet, art conceptuel, merda d'artista, piero manzoni, paul mccarthy, joseph beuys, vincent mauger, dimitri tsykalov, christian boltanski, reiser, art rigolo, jean-pierre raynaud
dimanche, 30 juin 2019
VARÈSE AVAIT TOUT COMPRIS
IL N'Y A PAS DE MUSIQUE SANS SONS,
MAIS IL Y A DES SONS SANS MUSIQUE.
Précision : j'ai pris Varèse pour faire le titre, mais il va de soi que le propos de ce billet s'adresse à tous les compositeurs du 20ème siècle, et même au-delà, aux autres artistes. L'idée générale est la suivante : pour avoir une idée de l'état moral de la civilisation actuelle et du soi-disant "Progrès" qui la guide et l'anime, regardez les œuvres des artistes, et écoutez les œuvres des compositeurs de musique savante.
***
Pelléas et Mélisande-1907, Le Sacre du printemps-1913, Désert-1954 : Claude Debussy, Igor Stravinsky, Edgar Varèse. Autant de scandales éclatés dans la France de la première moitié du 20ème siècle. Fontaine-1917, c’est l'urinoir signé R. Mutt, alias de Marcel Duchamp. Et vlan, encore un scandale. Merda d’artista-1961, c’est Piero Manzoni. Le gobelet d’urine, c’est je ne sais plus qui. Cloaca (la machine à faire caca), c'est Wim Delvoye en 2000. Derniers scandales en date : le « Vagin de la reine », d’Anish Kapoor à Versailles, les « Tulipes » de Jeff Koons, le « plug anal » de Paul Mc Carthy au milieu de la place Vendôme, j’arrête là.
Au théâtre, à l’opéra, on ne compte plus les metteurs en scène qui ont « dépoussiéré » les œuvres majeures du répertoire à coups d’attentats contre les « routines » d’un public « paresseux » et « encroûté », pour « nettoyer les écuries d’Augias » ou « faire souffler un vent nouveau » (rayer la mention inutile). Tiens, dans le Don Giovanni donné ces temps-ci à Strasbourg, Leporello met du poison dans les plats, Donna Anna jette du vin à la figure du séducteur et le Commandeur devient barman : vous le sentez, « l'air frais et vivifiant » ?
Dans le domaine esthétique tout entier, l’histoire du 20ème siècle est jalonnée par les pierres blanches des scandales. Les milieux artistiques, qu’on disait conservateurs, se sont mis au goût du jour et ont adopté le langage cérébral qui convient pour donner à toutes sortes de nouveautés le poids de l’intellect. On s’est mis à idolâtrer les avant-gardes et à guetter l’inouï et le jamais vu. Tous les arts sont touchés par ce phénomène, mais je parlerai ici principalement du domaine musical.
Les beaux esprits qui se font des piquouses à l’air du temps, et tombent dans tous les panneaux pour avoir l’air bien informés, en tirent argument pour en conclure que, quand une œuvre est novatrice, elle commence par « heurter les sensibilités », mais finit toujours par devenir un « classique », sur le refrain : « On s’habitue à tout ». C'est parfois vrai, mais loin d’être la règle (tiens, pour voir si vous le trouvez « classique », essayez la "première" de Déserts de Varèse (27'15") en 1954, et accrochez-vous, je parie que le Sacre de Stravinsky prendra des airs de Mozart. Frank Zappa admirait Varèse).
Ce qui est amusant, c'est que Varèse, qui avait peut-être prévu l'accueil "festif", se débrouille pour qu'il y ait par épisodes plus de bruit sur la scène que dans la salle.
Et le public, dans tout ça ? Eh bien le public, lui, dans sa plus grande partie, est resté sur place. Pendant que les arts (musique, peinture, etc.) montaient dans le TGV et prenaient la voie rectiligne et scintillante de la modernité, le public en restait au pas mesuré du laboureur à sa charrue, derrière son cheval, les sabots dans la glèbe. Et la technique ne l’a pas aidé, on peut le dire, à accélérer l’allure, contrairement à ce qu’on pourrait penser a priori.
Car la technique au 20ème siècle, en plus de donner des moyens révolutionnaires aux compositeurs (qui se sont jetés dessus comme des prédateurs affamés : onde Martenot, Theremine, magnétophone, sampler, etc.), a apporté au public tout ce qu’il fallait pour entretenir son naturel conservatisme esthétique. D’abord la radio, puis la télévision, qui caressent forcément l’auditeur dans le sens du poil ; mais aussi la conservation (enregistrement) et la reproduction (disques) de la musique en train de se faire : ça paraît inconcevable aujourd’hui, mais il fallait auparavant sortir de chez soi pour entendre de la musique, ou alors la pratiquer soi-même pour en faire à la maison.
Du coup, la musique en train de se donner en concert en direct a perdu de sa prégnance et de sa surface commerciale (je ne parle pas du rap). Ce qu’on appelle « musique contemporaine » est devenu une option parmi cent cinquante autres, puisque, grâce à la technique, toutes les musiques sont devenues « contemporaines ».
Et par la vertu des moyens de reproduction, toutes les musiques ont acquis les vertus domestiques de la consommation individuelle, voire solitaire, pour ne pas dire égoïste. Et les étiquettes (on pourrait dire « compartiments », « cases », « ghettos », …), dans les rayons « musique » de la FNAC, se sont mises à proliférer et se multiplier. Pierre Bouteiller avait mis un "s" à "musique" quand il dirigeait l'antenne musicale publique (ceci pour dire que l'élite intellectuelle se fait volontiers la messagère de tout ce qui voudrait la voir morte et en enfer).
Pour ce qui est des musiques savantes, je veux parler des avant-gardes, tout ce beau monde a décidé d’oublier le grand public et d’en revenir à la bonne vieille doctrine de « l’art pour l’art » : moi l’artiste, moi le compositeur, j'oublie que la musique est faite pour être entendue et appréciée par des oreilles humaines, je suis désormais l'explorateur des possibles, l’expérimentateur des formes, le chercheur en blouse blanche, je combine et fabrique au fond de mon laboratoire, j’en sors pour offrir mes trouvailles au monde, et tant pis pour les mélomanes, qui n’ont qu’à me suivre, s’ils ne sont pas trop fossilisés dans une tradition paralysante. Une petite élite d’amateurs préoccupés de « vivre avec leur temps », ça me suffira.
Aparté : j’ai longtemps fait partie de ces gens-là. Je n’en éprouve ni honte ni fierté : cela fut. Cela n'est plus. J'en ai gardé de fort rares prédilections. Mais le plus souvent, je suis obligé de fermer les écoutilles, en me demandant pourquoi les compositeurs modernes et d'aujourd'hui ont banni de leurs préoccupations l'intention de procurer à leurs auditeurs une émotion musicale. Comme s'il était interdit désormais au public d'éprouver du plaisir, et pourquoi pas, de la jouissance. Dans l'immense majorité de sa production, la musique contemporaine déteste le plaisir. (ajouté le 5 juillet)
Le grand public a réagi avec bon sens et à-propos : il a déserté les salles, se disant qu’on ne paie pas son billet d’entrée pour se faire marcher sur les tympans par des bataillons de sons chaussés de bottes à clous (ou inversement, pour chercher dans une botte de foin trois pets inodores qui se courent après). Les directeurs de salles et programmateurs de concerts ont fini par comprendre. En sadiques modérés, ils ont adopté la stratégie du sandwich : une tranche de Stockhausen entre une Quatrième de Beethoven et une Ouverture de Mozart, convaincus qu’à la longue le public s’y fera : « Nous avons les moyens de vous faire aimer la contemporaine » (dit - presque - le SS "Papa Schulz"-Francis Blanche dans Babette s'en va-t-en guerre).
Mais globalement, disons-le, le grand public a résisté à ce qu'il n'arrivait pas à comprendre. C'est un fait : pour entrer dans la musique contemporaine, il faut quelques clés. En particulier, il ne faut pas ignorer que la musique a quelque chose à voir avec le mouvement de l'histoire. Il faut se faire une idée des grandes "problématiques" touchant la tonalité, la mélodie, les timbres, les instruments, la notion d'œuvre (pièces aléatoires de Boucourechliev et autres), l'auditoire (cf. le célèbre 4'33" de Jogn Cage) et autres fantaisies théoriques.
Or le grand public n'avait pas une vue très claire des bouleversements intervenus dans la réalité globale du monde. L'époque, et donc la musique étaient radicalement nouvelles. Quelques révolutions bien réelles avaient eu lieu, changeant de fond en comble les conditions de l'existence et des productions esthétiques. Que peut-on chanter, que peut-on écrire, après deux guerres mondiales, après la bombe atomique, après Auschwitz ? Sûrement pas l'adagio d'Albinoni. L'histoire était passée par là.
En vociférant contre le compositeur qui, selon lui, massacre la "musique", le grand public se trompe de cible (idem en peinture : "Un gamin de cinq ans en ferait autant") : c’est contre l’époque capable d'engendrer de tels monstres, que devraient s’élever les récriminations. Bizarrement, l'auditeur supporte aisément la réalité générale dans laquelle il vit, mais hurle contre des objets esthétiques qui n'en sont que les produits.
Il faut s'en convaincre : la musique contemporaine a tout compris du temps dans lequel elle est composée : elle porte très naturellement les clameurs politiques, les tumultes guerriers, les misères noires, les drames affreux, le chaos sensoriel et l'anarchie conceptuelle qui ont pris les commandes de l'humanité. Il n'y a plus des sons proprement musicaux et spécifiquement organisés sortis d'instruments fabriqués pour ça.
Tous les sons sont devenus égaux, y compris ceux qu'on appelait "bruits" avant que Pierre Schaeffer n'en fasse des "objets musicaux". Par exemple, j'avais assisté à une répétition où les jeunes violonistes, obéissant à Ivo Malec, devaient frapper (pas trop fort, mais "a tempo") le bois de l'instrument avec le bois de l'archet ("Musique nouvelle", Lyon, 1981). Bien des compositeurs sont arrivés à faire pire. Le 20ème siècle ne pouvait pas espérer mieux pour le domaine musical que ce champ de batailles.
La musique faite au 20ème siècle, qui porte tous les bruits et toutes les fureurs du monde, ressemble trait pour trait au siècle où elle a vu le jour (oui, je sais qu'on est au 21ème). Pleine de vacarmes, d'horreurs et de tortures sans précédent, elle est en parfaite adéquation avec lui. C'est l'attitude face au siècle qui doit façonner l'attitude face aux arts, et c'est encore loin d'être le cas. Comme s'il y avait une césure entre les deux. A moins que l'auditeur ne vive dans une bulle protectrice.
Berg, Schönberg, Prokofiev, Partch, Ligeti, Stockhausen, Boulez, Gubaidulina, Barraqué, Schwarz, Xénakis, Penderecki, Nancarrow, Zimmermann, Webern, Boucourechliev, Cage, Berio, Kagel, Greif et tous les autres, ils ont tout compris au siècle, et ils ont composé la musique qui entrait le plus fort en résonance avec lui. Et le grand public, sans même s'en rendre compte, étranger à toutes ces musiques de son temps, vit hors de son propre siècle.
Le grand public n’a pas compris que s’il juge insupportable beaucoup de la musique contemporaine, c’est parce que c’est le siècle qui est insupportable, et que la musique ne fait que l'exprimer. Alors que lui, grand public, qui veut continuer à supporter l'existence, continue à vivre comme si étaient réunies comme avant toutes les conditions pour vivre harmonieusement. Le grand public a mis la tête dans le sable. Les tumultes, les rages, les catastrophes peuvent bien se déchaîner, le grand public se déchaîne quant à lui contre les œuvres qui, dans leur forme ou dans leur contenu, le mettent face à cette réalité sauvage.
Le monde est enragé, mais « la vie continue ». La réalité peut devenir atroce, mais il faut pouvoir continuer à dormir le cœur en paix et à passer des repas tranquilles. Et si, pour mon compte personnel, je déteste une majeure partie de ce qui se fait en musique savante aujourd’hui, c’est parce que je l'inclus dans le tableau d'ensemble. Je sais que notre temps est de moins en moins présentable et habitable (ce qui ne m'empêche pas de jouir de ma petite existence).
J’ai une fois pour toutes cessé d’adhérer à l’ignoble fiction du « Progrès », et cette antipathie va aussi, bien évidemment, aux œuvres qui en sont le fruit. Je coupe le son lorsque viennent les « mercredis de la contemporaine » sur France Musique, sauf en de très rares occasions où, en pleine célébration du culte des sons, du bruit et de la fureur, je vois se dessiner le visage d’une vraie mélodie qui me susurre à l’oreille : « Non, tout n’est pas perdu ».
Voilà ce que je dis, moi.
***
Quelques phrases d'un baratin que j'avais pondu ici même le 9 décembre 2015. Je n'ai guère progressé.
Qui adhère avec enthousiasme à l’époque, est logiquement gourmand d’art contemporain, de musique contemporaine. Qui est rebuté par l’art contemporain, en toute logique, devrait diriger sa vindicte contre l’époque dont celui-ci est issu, et non pas seulement contre l'art qu'elle produit..
L’art contemporain découle de son époque. Tout ce qui apparaît minable dans l’art contemporain découle logiquement du minable de l’époque qui le produit. Ce n’est pas l’art qui pèche : c’est l’époque. Nous avons l’art que notre époque a mérité. Quand la laideur triomphe, c’est que l’époque désire la laideur.
Mais si l’on admet que c’est l’époque qui produit cet art déféqué, c’est moins l’art qui est à dénoncer que l’époque qui l’a vu et fait naître, tout entière.
Mais il y a une certaine continuité. Ajouté le 9 août 2019.
09:00 Publié dans MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, edgar varèse, stockhausen, france musique, france musique, claude debussy, pelléas et mélisande, igor stravinsky, le sacre du printemps, varèse déserts 1954, marcel duchamp, ready-made, merda d'artista, jeff koons, paul mc carthy, wolfgang amadeus mozart, don giovanni, art contemporain, arcon, pierre bouteiller, john cage, boucourechliev, pierre schaeffer, traité des objets musicaux
mercredi, 29 octobre 2014
UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »
On me dit que je caricature et généralise quand je parle des Puissants, des Décideurs, des « élites dévoyées ». Eh bien demandez donc à l'éditorialiste du Monde de ne plus me traiter de "crétin". Qu'il retire ses propos et qu'il fasse des excuses. On a sa dignité : il n'avait qu'à pas commencer. Et puis d'abord, c'est celui qui le dit qui l'est.
Mais voyons, monsieur, « élites dévoyées », il ne faudrait pas généraliser. Il ne faudrait surtout pas que les « élites dévoyées » se sentent stigmatisées. On en arriverait vite, rendez-vous compte, au « Tous pourris ! » qui « fait le jeu du Front National », n’est-ce pas. Le problème, c’est que je caricature, mais à peine. Eh bien ce n’est pas l’Editorial du Monde du 22 octobre (Place Vendôme, le créateur et les crétins) qui me convaincra du contraire. Au contraire.
Quand un homme ne sait plus quoi faire de son argent, comme je le disais, il le jette par les fenêtres. Il fait comme les pays pauvres ou en guerre (de préférence les deux), qui jettent dehors, et de préférence à la mer, toutes leurs populations superflues. Cela donne quelque chose qui s’appelle « N’importe quoi ». Et j’ajoute : « Pourvu que ça fasse de la mousse ». Surtout s’il trouve un Décideur complaisant, d’accord avec lui pour décréter : « Tout est permis », et à apposer sa signature au bas de l'autorisation. Plus qu'à poser le "plug anal" en pleine place Vendôme.
Les gens situés à proximité plus ou moins immédiate des bureaux sur lesquels on pose les papiers sur lesquels les « décideurs » sont invités à apposer le graffiti ou l’arabesque à l’encre de leur signature par des larbins distingués qui sortent des Grandes Ecoles, ces gens, dis-je, composent un potager et une faune qui, à force de grandir dans des serres séparées et d'être conservés dans des bocaux bien à l’abri du « plein champ » où prospère l'épaisse rusticité du « vulgum pecus », se font de celui-ci une idée aussi virtuelle que les images des jeux vidéo grâce auxquels ils prennent quelques moments de détente, entre deux stress insoutenables, là-haut, tout en haut de l’échelle.
Puissants (détenteurs de l’argent privé) et Décideurs (détenteurs de la signature publique) ont donc adopté ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’Art et de la Culture en matière de contestataires, réfractaires, insoumis, dissidents, marginaux, déviationnistes, provocateurs, immoralistes, subversifs, anticonformistes, anarchistes et j'en oublie sûrement.
Il est convenu dans le cahier des charges qu'il faut être dérangeant, déstabilisant pour ces étranges bestioles appelées « les gens », dont on décrète qu'ils sont pris dans des routines morales, lieux communs intellectuels, idées toutes faites et autres stéréotypes qu'il s'agit de faire voler en éclat, pour les rendre à la pureté de ... de quoi, au fait ?
C'est fou, quand on y pense, le nombre de gens de Spectacle et d'Art qui ont pour but d'agir sur le spectateur, le plus souvent en le mettant mal à l'aise, en l'obligeant à se remettre en question, en le tourneboulant, désorientant, abasourdissant. Comme on est à Lyon, j'ajoute "badibulguant". Tous ces gens sont d'un altruisme terrifiant et dévastateur. Jamais les "bonnes intentions" n'ont commis pareils dégâts. C’est à qui dénichera son Poseur de Bombes personnel, qu’il comblera de ses bienfaits s’il consent à poser celles-ci dans son musée personnel.
Damien Hirst et Jeff Koons se tirent la bourre pour savoir qui sera le mieux coté. Les nouveaux académiques pontifiants Daniel Buren ou Bertrand Lavier jouent les fripons, sans doute pour faire plus jeunes. Anish Kapoor s’en donne à cœur joie au Grand Palais, sans doute pour ne pas empiéter sur les plates-bandes versaillaises de Takeshi Murakami. Dans le fond, Paul McCarthy, dans ce paysage, fait figure de « Petit Bras » (je suis en cela d’accord avec monsieur Dagen, du Monde, si j’ai bien lu).
On a compris que, quoi qu’il arrive, aucun artiste digne de la Modernité ne saurait advenir sur le Marché de l’Art s’il ne commet aucune profanation. Il arrive que Puissants et Décideurs tolèrent qu'il se contente de proposer du "Jamais Vu", mais même le "Jamais Vu" doit rester exceptionnel. Car le sacrilège et le blasphème sont des laissez-passer magiques. Du « Piss-Christ » d’Andres Serrano à la Crucifixion d’une femme par Bettina Rheims, par exemple.
Et l’ « artiste », le commanditaire et le mécène sont aux anges quand l’œuvre exposée a la joie ineffable et le bonheur sans mélange de se faire vandaliser. Quand l'artiste est arrivé à appuyer sur le bon bouton, celui de la fureur vindicative des "Crétins", qui n'attendaient que cette occasion pour passer à l'action. Quand l'étincelle de la provocation a remonté toute la longueur de la mèche, jusqu'au tonneau de poudre.
Si le scandale n’est pas au rendez-vous, c’est que la mèche de la bombe était mouillée. Hernani, Pelléas, Le Sacre, Ubu, Déserts, tous les directeurs de salles rêvent de ces échauffourées merveilleuses, de ces émeutes ébouriffantes, de ces soulèvements délicieux, de ces batailles épiques en smokings et robes de soie dont on parle encore cent ans après, et plus.
« Encore raté », s’écrie alors, rageur, ce colonel Olrik de l’Art Contemporain, « mais je reviendrai, je me vengerai, je l’aurai, mon scandale ». Le scandale est désormais un investissement ; faire scandale est un but de guerre : tout doit être pensé pour l’atteindre, et d’abord le thème. La religion, le sexe sont des « créneaux porteurs ». Il y a aussi le caca : successeur de Piero Manzoni et de sa « Merda d’artista » (1961), Wim Delvoye s’est illustré avec sa féconde série (2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2009) des « Cloaca » et autres « machines à caca ». Il a aussi tatoué des cochons, et même le dos d'un certain Tim Steiner, dont la peau, qui a été vendue 150.000 euros en 2008, sera définitivement acquise par son acheteur à la mort de son porteur et possesseur. Furieusement excitant, n'est-il pas vrai, très chère ?
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais comme les œuvres d’art et expositions, les pièces de théâtre et spectacles de danse dont les médias parlent le plus sont ceux qui portent l’étendard de la « Transgression ». C’est au metteur en scène qui « transgressera » le plus, le mieux et le plus radicalement : la concurrence est impitoyable. Cette vogue a gagné la mise en scène d’opéra. Au point d'en être devenue d'un terrible conformisme. Je donne même une idée : le fin du fin serait de dénuder sur scène des très vieilles et des très vieux, des très laids et des très obèses, que sais-je, des très fous sortant de l'asile et des très dangereux évadés de prison, bref la fine fleur de ce qui se fait en matière d'apparences repoussantes. Le pied, je vous dis pas !
La parole est au « transgresseur » : acteurs à poil sur la scène pour un oui ou pour un non, défécations et mictions, corps dénudés couverts d’on ne sait quelles déjections et autres contenus de poubelle. Aujourd’hui, c’est bien simple, un jeune n’arrive à rien s’il ne transgresse pas. Sinon, il sera considéré comme anormal. C’est un principe hors duquel il ne saurait trouver le salut.
Qu’on se le dise : la transgression est devenue la norme. Les gens normaux sont devenus inadmissibles. Il n'est plus normal d'être normal. Une bonne partie de la Culture actuelle crie : « A bas les gens normaux ». C'est bien simple, ils sont atteints d'un insupportable « conservatisme », quand ils ne sont pas carrément des « réactionnaires », des « crétins », des « fachos ». La Révolution des valeurs est en marche qui, tel Saint Jean-Baptiste annonçant la venue du Messie, nous prépare à la « post-humanité ». Amen.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal le monde, arts, art contemporain, front national, paul mccarthy place vendôme, france, société, damien hirst, jeff koons, daniel buren, bertrand lavier, anish kapoor, takeshi murakami versailles, piss christ andres serrano, bettina rheims, colonel olrik, piero manzoni, wim delvoye, merda d'artista, delvoye cloaca, machine à caca, tim steiner
mardi, 26 mars 2013
DE L'ENFANTIN EN ART
Nous avons vu qu’en musique, le monde, au 20ème siècle, est devenu une gigantesque cour de récréation, avec ses bacs à sable, ses coins « marelle » et ses mares aux canetons qui se prennent pour des cygnes. Mais les arts visuels, non seulement n’ont rien à envier aux arts de l’oreille, mais peuvent à juste titre leur en remontrer, même avec handicap au départ.
Car pour être juste, le petit merdeux (mettons, non, quand même, pas Boulez, Dutilleux ou Stockhausen, dont la statue intouchable trône désormais au milieu du paysage des « valeurs reconnues », mais Brice Pauset ou Ondrej Adamek, heureusement inconnus, mais que ça n’empêche pas d’avoir accès aux salles de concerts et aux antennes que Jean-Pierre Derrien, le snobinard de France Musique, Arnaud Merlin ou Anne Montaron sont toujours prêts à leur ouvrir, pardon pour la longue parenthèse, on reprend son souffle) qui s’exerce à faire du vent avec un aspirateur ou du tonnerre avec des casseroles, ne s’adresse en général qu’à un public très clairsemé, comme le fait entendre le nombre impair des mains qui claquent à la fin, ou tout disposé à tourner le bouton du poste dès la première menace proférée.
Alors, les arts visuels, maintenant. Ce n’est pas la première fois que je me penche avec une sincère tendresse et un intérêt non dissimulé sur les jeux turbulents des garnements qui parcourent en tout sens la cour de récréation de l’ « art contemporain ».
C’est chaque fois, pour mon esprit amolli par la déliquescence d’une civilisation finissante, une occasion de se rafraîchir dans une authentique jouvence, et pour ma sensibilité saturée des mille sensations dont l’assaille un univers urbain jamais avare de sollicitations séduisantes, de se replonger dans les vivifiantes sources matricielles de l’émotion esthétique la plus pure. Et je me dis, tout pénétré d’une évidence quasi biblique : « Ah oui, elle sort bien de la main des enfants, la Vérité ! ».
Je dirais même que le 20ème siècle artistique a fait entrer l’humanité dans un âge paradisiaque, que j’appellerai
« L’ÂGE DE L’ENFANCE DE L’ART »,
et qui n’est pas un paradis perdu, mais un paradis retrouvé, que dis-je : reconquis au nez de Dieu lui-même. Quand on regarde un enfant bassouiller (Balzac aurait dit « rabouiller ») dans une flaque d’eau pour faire traverser cet Atlantique à son paquebot de papier, on se dit que c’est lui qui a raison, que c’est lui qui mérite de guider l’univers sur la voie du salut.
Une bonne partie de la population qui se range d’elle-même en ordre de bataille derrière l’étendard de l’ « art contemporain » a donc fait triompher, tout au long du 20ème siècle, « l’esprit d’enfance ». Mais on me demandera ce que c’est, l’esprit d’enfance.
L’esprit d’enfance ? C’est la fraîcheur de l’attitude face aux matières qui constituent le monde naturel ou synthétique, de la plus triviale et brute à la plus noble et quintessenciée. C’est les trésors d’ingéniosité déployés pour associer le plus originalement possible des objets n’ayant rien à voir ensemble (« La poésie, c’est quand les mots se rencontrent pour la première fois », disait le vieil Algonquin, Tatanka Ohitika, alias "Rêve de la pierre sacrée").
L’esprit d’enfance ? C’est l’inépuisable capacité d’émerveillement devant les inépuisables beautés qu’offre la vie de l’homme (et de la femme) jusque dans ses détails les plus familiers et intimes. C’est l’art qui se dissimulait dans le moindre de nos objets les plus quotidiens, et que le gamin qui veille au fond de chaque « artiste contemporain » sait spontanément élever à la dignité d’œuvre d’art.
L’esprit d’enfance ? C’est finalement l’indéfectible et inaliénable pouvoir que possède l’enfant, de transmuter le vil plomb de la réalité en or massif imaginaire par la seule magie de la désignation : « Ceci est de l’art ».
N’est-il pas beau, ce délicieux caprice de l’enfant qui, quand il était môme chargeait ses poches (et celles des ses parents) de toutes sortes de cailloux au simple motif qu’ils brillaient, et qui, parvenu à l’âge où rester enfant résulte d’un choix mûrement réfléchi, décide que la roue voilée de sa bicyclette devient une immortelle œuvre d’art dès lors qu’elle est dûment assujettie au tabouret quadrupède qui fut celui du grand-père au coin de la cheminée. La Vérité dégouline de la main de l'enfant enfin resté enfant.
La commune d’Achères, aux environs de Paris, était connue au 19ème siècle pour abriter les plus vastes « champ d’épandage » pour l’ « engrais humain », alors collecté par les « vidangeurs au tonneau ». Le complexe légumier d’Achères s’est enfin, au 20ème siècle, démocratiquement étendu à tout l’espace humain disponible, transformé par la magie de l’ « esprit d’enfance », en un seul gigantesque, démesuré
CHAMP D'EPANDAGE ARTISTIQUE.
La réalité tout entière est devenue le réceptacle accueillant pour toutes les trouvailles, inventions, découvertes et expériences généreusement offertes à l’humanité par une foule de grands enfants qui s’amusent comme des fous à rivaliser d’imagination esthétique. C’est seulement à cette condition que l’humanité restera « à la pointe de la modernité ».
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, portugal, lisbonne, arts, musique, peinture, arts plastiques, boulez, dutilleux, stockhausen, jean-pierre derrien, arnaud merlin, anne montaron, musique contemporaine, joseph beuys, ben vautier, art contemporain, marcel duchamp, ready made, merda d'artista, piero manzoni