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lundi, 14 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

A DRAPEAU.jpg

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

9/9 

Du dégoût de l'humanité.

La dérision qui fait naître Dada en février 1916 au Cabaret Voltaire à Zürich est la même que celle de l'obus de 120 capable d’enfouir une section entière dans les tranchées de Verdun. Comme un mimétisme, si vous voulez : les moyens d’expression collent comme une seconde peau au contenu du discours que tient l’époque. C’est l’époque qui parle le langage du terrorisme et de la technique. La technique au service de la terreur. Le slogan du 20ème siècle, c’est : « Détruisons ! L’humain n’est rien ! Restent les sciences de la matière : l’humanité n’a plus rien à faire dans le paysage ». Dans les sciences des choses, le vibrant du vivant de l’homme est devenu un intrus. La technique, la société, les arts, diffusent le même message : l’homme est mort. Mais si ce sont des hommes qui le formulent, ce message, ce sont de pareils hommes qui s'y opposent de toutes leurs forces. Quelle sera l'issue ?

Alors la dérision, ça se reconnaît à quoi ? Je répondrai d’abord : ça se reconnaît au dérisoire de l’œuvre. Je me rappelle une « Biennale d’art contemporain », à Lyon, cette manif impulsée par un certain Thierry Raspail, au cours de laquelle étaient exposées de telles œuvres à la « Sucrière », ce bâtiment industriel auquel on a fait subir à grands frais une reconversion « Kulturelle ». Dans une des salles, on avait mis, contre les murs, des quadrilatères plus ou moins réguliers (j’ai oublié en quelle matière) posés diversement de biais, diversement ajourés de trous de diverses tailles et formes. J’imagine que l’installation était censée faire réfléchir le visiteur à la notion de verticalité, d’espace normé, d'architecture, de centre de gravité et toute cette sorte de choses : il fallait « interroger », « déranger », « dépayser ». Cela vaut-il seulement la peine de s'arrêter pour réfléchir ? Je ne sais même pas pour quelle raison j'encombre ma mémoire de cette toute petite crotte.

On peut voir une variante du dérisoire dans l’infantilisation ludique : imaginez,SUCRIER BALLONS.jpg toujours à la Sucrière, une salle entièrement remplie de ballons de baudruche, qu’il s’agit pour le visiteur de traverser.

Ou alors imaginez un camion-benne amené en marche arrière tout en haut de la Montée de la Grande-Côte, libérant au signal des milliers de balles de ping-pong. Ah, le pied, les copains ! Ça au moins, c’est jouissif ! De quoi satisfaire "Homo festivus festivus" (Philippe Muray). Des plaisirs de grand gosse. Retour au bac à sable : l'enfance de l'art !

Stade oral ! Stade anal ! Stade de France !

ANSELMO 2.jpgEt dites-vous que quand on n’est pas dans le dérisoire ou le ludique, on n’est pas loin de l’insignifiant : je pense à cette "œuvre" de Giovanni Anselmo : un parallélépipède de granite de section carrée, sur lequel un fil de cuivre accroche vaguement une plaque de la même roche, pour voir insérée, entre les deux granites, une scarole ou une laitue (la carte du restau indique sans doute "selon arrivage") de la plus grande fraîcheur. Je n'ai pas identifié l'espèce de limaille, à la base. C’est sûrement bourré de significations complexes qui devraient obtenir, du visiteur invité à brouter en supposé herbivore, qu' « il se pose des questions ». Je le dis : ce sont des subtilités auxquelles j’ai cessé définitivement de m’intéresser. Je ne me laisse plus « interpeller » aussi facilement. Loin de virer végétarien, de carnivore, je pourrais passer carnassier.

BEUYS 4 PAPIER.jpgMais ce n’est pas fini : quand on quitte l’insignifiant, c'est souvent pour entrer dans le farcesque et le gag, quand ce n'est pas l'insultant, ce que j’appelle le « foutage de gueule ». Les exemplesGILARDI 0 PIERO.jpg fourmillent, j’en ai souvent cité. Il y a aussi les tenants du grand « n’importe quoi », variante "mainstream" du foutage de gueule : un cône de papiers froissés (Joseph Beuys), une chaise taillée dans un tronc de bois brut (Piero Gilardi), un empilement de fripes (Boltanski, dans l’exposition récente « Take me, I’m yours »), ART FEMINISTE 3.jpgl’extraction du Tampax usagé (nom de l’"artiste" non retrouvé), le Tunnel vagin (Chhiba Reshma, 2013 et, BARBIE.jpgplus indirectement, Anish Kapoor, Versailles, 2015), la Barbie [ou Ken] crucifiée (Marianela Perelli), le cheval suspendu avec toute la tête prise dans le mur (Maurizio Cattelan), l'inénarrable "conférence des micros"dada,dadaïsme,cabaret voltaire,bataille de verdun 1916,mac lyon thierry raspail,musée d'art contemporain lyon,la sucrière,philippe muray festivus festivus,élisabeth lévy,giovanni anselmo,joseph beuys,piero gilardi,tampax,anish kapoor,barbie crucifiée,marianella perelli,maurizio cattelan,dominique blais,piss christ andrès serrano,gilles barbier,sophie calle,pierre buraglio,césar baldiccini,louis cane,wim delvoye,lucio fontana,michel journiac,calzolari,bertrand lavier,piero manzoni,vincent mauger,jean-luc parant,michel butor,pascal rouet,luciano fabro,michel parmentier,dimitri tsykalov,françois curlet art conceptuel spaghetti,do it yourself,michel houellebecq,paul jorion,élections régionales,marine le pen,front national,françois hollande,nicolas sarkozy,manuel valls,marion maréchal-le pen,jean-marie le pen(Dominique Blais), le Piss Christ (Andrès Serrano), la BARBIER 3.jpgmanif "pieds au plafond" (Gilles Barbier = l'humanité marche sur la tête), la série desBURAGLIO 1 PIERRE GAULOISES BLEUES.jpg « Dormeurs » (Sophie Calle), les centaines de paquets de gauloises bleues (Pierre Buraglio), le cube compressé de drapeaux français (César Baldiccini, dit César), le panneau de croix roses peintes (Louis Cane), les cochons tatoués (Wim Delvoye), les fentes dans le carton peint (Lucio Fontana), les fantaisies sur le « genre » (Michel Journiac), la moitié basseCALZOLARI 5.jpg d'une femme nue dans une jupe rouge retournée (Pier Paolo Calzolari), l’appareil photo LAVIER 1 BERTRAND.gifrepeint (Bertrand Lavier, quelle idée géniale !), la merde en boîte (Piero Manzoni), la nef d’église remplie de papiers froissés (Vincent Mauger), les boules et les yeux (Jean-Luc Parant, une coqueluche de Michel Butor), le tableau code-barre (Pascal Rouet), une presqu'île italienne suspendue au plafond par la pointe (Luciano Fabro), les « stripes » du drapeau américain (Michel Parmentier), les pastèques sculptées en têtes de mortTSYKALOV 10.jpg (Dimitri Tsykalov = on va se fendre la pastèque jusqu'à ce que mort s'ensuive), … je m’arrête là, la catastrophe n’en finirait pas. C'est là que m'est venue cette formule, sûrement bête et injuste : « Tous aux abris ! Il pleut des cons ! ».

Mais c'est sûrement moi qui n'ai rien compris à l'extrême richesse que constitue ce fourmillement d'idées, de tendances, de trouvailles ! L'humanité dans le maelström incessant qui la fait progresser par "essais et erreurs". Pour moi, c’est là qu'on voit l'avancée du désert sur les anciennes terres de culture. Qui parmi les vivants est en mesure de dire ce qu'il faudra retenir de tout ça ? Et pourquoi ? Tout ça est finalement épuisant, comme les moulins à vent contre lesquels se bat Don Quichotte.

MOURAUD TANIA THIS IS IT.jpgIl y a aussi cette étonnante école dont les membres ne se donnent pas pour but d’élaborer des formes artistiques, et se contentent d’en définir au préalable les conditions d’existence. Ils appellent ça l’ « art conceptuel » : il suffit alors de « penser », et les mots peuvent alors supplanter l’œuvre. Que dis-je : les mots deviennent en soi des œuvres, en lettres capitales sur le mur (ci-contre "How can you sleep ?", Tania Mouraud, Saint-Fons, Centre d’arts plastiques, 2004) : quelle furieuse audace ! La question existentielle ! L'urgence !

Il peut être recommandé d’apprendre à manier le tube de néon (ci-contre François Curlet : "Art conceptuel spaghetti", démerdez-vous), pour charger celui-CONCEPTUEL 3.jpgci d’un « message » qui permettra au spectateur d’imaginer la forme que l’idée aurait pu donner, si l’artiste s’était donné la peine. L'art conceptuel produit des œuvres virtuelles. Le visuel réduit au rôle de tremplin. Un avatar du "do it yourself" : démerde-toi, mais sans le mode d'emploi Ikéa. On a, à chaque confrontation avec de telles « innovations », l’impression que ça y est, pour ce qui est des moyens et des contenus de l’expression, l’humanité est désormais en train de gratter et de réduire en poudre les os de son propre squelette. 

Conclusion.

Qu’est-ce que ça me dit, tout ça ? Juste quelque chose qui ne me fait pas plaisir : l’humanité semble à bout de souffle, comme si elle n'avait plus rien à dire. Et ce n’est pas de la faute des artistes, qui ne peuvent évidemment s’abstraire du vide de plus en plus sidéral que l’époque actuelle ne cesse de produire (vide que l'islam a décidé d'entreprendre de combler à sa manière, c'est-à-dire à tout prix coûte que coûte). L’art est aujourd’hui dans le même état que la nature, dans le même état que la société, dans le même état que la civilisation. Et je ne m’en réjouis pas. 

L’avantage, dans mon effort pour dire que le roi, cette fois, est définitivement nu, c’est que personne ne pourra me dire que je pèche par ignorance : même si je ne suis pas un familier des discours et autres abstractions répandus à propos de l’art, tout ce discours savantasse qui se profère dans les milieux spécialisés, le lecteur sans parti pris reconnaîtra peut-être que mon petit laïus est relativement documenté, étayé et argumenté, et ne résulte pas d’un coup de tête, d’un mouvement d’humeur, de partis pris ou de jugements péremptoires et incultes. 

C'est sûr que j'ai ma lecture personnelle des choses : j'ai mis bout à bout une somme d'expériences sensorielles qui me sont propres, une somme aussi de lectures. Je me revendique spécialiste de rien du tout. Mon petit laïus s'est peu à peu construit sur les décombres d'un monde que mon regard captait au fur et à mesure que je vivais, de plus en plus effaré, accablé, abasourdi, un monde auquel j'ai longtemps adhéré parce que je voulais y croire, jusqu'à ce que je sois obligé de reconnaître que non, ce n'était plus possible. Un monde dans l'avenir duquel il m'est aujourd'hui difficile d'espérer. J'en suis réduit à croiser les doigts pour bénir les petits qui sont venus, viennent et viendront après moi. Je veux espérer, envers et contre tout. J'aimerais tant que ...

Comme dit Michel Houellebecq quelque part (Interventions ?) : l’individu de notre époque est une entité désormais vide de substance. Et les milliards d’êtres qui grouillent à la surface de la Terre forment une humanité errant sans autre but que de survivre. Et j’espère que Paul Jorion se trompe, quand il nous explique que le pire est devant nous. 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : j'aurais pu intituler cette petite série de billets "manifeste catastrophiste". Pour parler très franchement, j'aimerais que cette catastrophe reste à jamais dans les limbes de la virtualité. 

dimanche, 07 décembre 2014

L’ART CON AU MUSÉE

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J'ai décidé de ne plus parler d' « Arcon », mais d'appeler les choses par leur nom. Je parlais de Jeff Koons, homme d'affaires. Chef d'entreprise. Dans l'industrie, où l'on sous-traite beaucoup, il paraît qu'on appelle ça un « donneur d'ordre ». Je trouve que ça lui va bien.

 

Toujours est-il que c’est cet « artiste » qui, après avoir envahi Versailles de ses « Balloons » et autres homards, se voit célébré par le Centre Pompidou, qui consacre une grande « rétrospective » à toute l’œuvre du grand homme. D’après le directeur de l’institution, Jeff Koons et toutes ses équipes (si, si !) se sont comportés en grands « professionnels ». Je n'en doutais mie. Toutes mes félicitations néanmoins.

BALLOON DOG 3 VERSAILLES.jpg

Il paraît que c’est l’ « artiste » le plus cher du monde. Grand bien lui fasse. Mais pourquoi vouloir à tout prix être considéré comme un artiste ? Andy Warhol nous avait en son temps fait le même coup, alors que toute l’industrie warholienne repose sur son envie dévorante de gagner beaucoup d’argent. Ce qui n’était pas totalement le cas de Marcel Duchamp, son grand-père artistiquement génétique. S'il n'était pas dénué d'esprit de lucre (dame, il faut bien vivre !), du moins ne l'affichait-il pas de façon aussi ostentatoire (« décomplexée » serait plus dans l'air du temps).

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Wim Delvoye : "œuvre" sortie de sa machine à caca (Cloaca).

Jeff Koons est encore plus cynique qu’Andy Warhol. Au départ, cet étudiant  doué pour les chiffres et les opérations boursières se présente sur le marché du travail comme un « trader ». Ce qui, en anglais, signifie « commerçant ». Son métier ? Courtier (« adviser » ?) en matières premières sur la place de Wall Street. Je ne sais pas si l'image ci-dessous est en mesure de confirmer cette assertion de l'encyclopédie en ligne. Si la dame, après tout ne fait que son métier d'actrice porno, qu'en est-il du métier du monsieur ? Il n'a visiblement pas toujours sous-traité les tâches de réalisation. Sa façon de mettre la main à la pâte, peut-être ?

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C'est bourré de concepts ? Fallait le dire !

 

Au moment où il se dit que le marché de l’art offre des perspectives incomparables de spéculations financières fabuleuses, ce n’est pas que l’art l’intéresse, c’est qu’il a des idées à vendre. S’il se lance dans l’art, c’est juste parce qu’il y voit un « vecteur privilégié de merchandising ». C’est tout. C'est lui qui le dit.

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Un monochrome avant la lettre d'un nommé Alphonse Allais.

Il se souvenait qu’Andy Warhol lui-même avait acheté l’idée de la « Campbell Soup » à une copine galeriste. Pour faire du pognon avec un truc qui ne dépasse pas le niveau "Arts Déco". Mais Warhol n’avait pas d’idées, et il fallait amorcer la pompe. C'est lui qui disait que c'est trop difficile, de peindre. Koons, lui, il en a, des idées. Le premier « coup » de Jeff Koons, c’est évidemment la Cicciolina, l’actrice porno, qu’il va même jusqu’à épouser. Et la rédemption, ça marche ! Tout le monde marche. 

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On me dira qu’il y a eu un marché de l’art dès qu’il y a eu civilisation. On me dira que les milieux de l’art, dès le premier moment de leur existence, ont connu les opportunistes les plus éhontés, les plus cyniques. On me dira que les plus grands artistes ont eu besoin des puissants, de leur « protection », de leur argent pour « laisser libre cours à leur art ».

 

Certes, je ne dis pas que c’est faux. Simplement, je trouve horriblement moche d'en être arrivé à une civilisation capable de donner honte à quelques-uns d'y appartenir. Et d'en être un produit. Peut-être un déchet.

 

Quelle est, en dernière analyse, dans le corpus hautement signifiant d'une contemporanéité progressiste soucieuse, de ce fait, d'exprimer, dans ses visions fulgurantes, l'âme future de l'humanité, la fonction sémiologique des prouesses amoureuses, supposées ou réelles, de Jeff Koons ? 

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Maurice Tillieux adorait l'art contemporain.

Faudra-t-il considérer ses éjaculats sur la face extasiée (?) de la Cicciolina comme l'insémination prémonitoire d'un avenir radieux dans le ventre d'une modernité qui attendrait d'enfanter on ne sait quel monstre ?

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Certains "concepts" sont comme le camembert. Quand ils sont trop mûrs : ils coulent.

Les activités de ce petit monsieur, sûrement un excellent homme d'affaires, ne cherchent même pas à se donner le prétexte de « faire de l’art ». Seulement de l’argent. Le reste est une histoire de « Storytelling ». Et de « merchandising ». Mais il prétend mordicus au statut d'artiste.

 

Au royaume des « Bonnisseurs de la Bath » (= "bonimenteurs", c'était le patronyme donné à OSS 117 par son inventeur Jean Bruce), les Koons, McCarthy, Delvoye, Hirst et compagnie sont rois.

 

A voir ce dont sont grosses les prémonitions de l'avenir radieux, je ne suis pas près de quitter les rangs des diplodocus et des ptérodactyles : j'aime bien comprendre ce qu'on me dit quand on s'adresse à moi. Et j'en ai assez des bonimenteurs.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : à part Gaston Lagaffe (Franquin, Le Géant de la gaffe, p. 51) et Libellule (Maurice Tillieux, Popaïne et vieux tableaux), je précise que j'ai trouvé les illustrations en errant et tâtonnant sur la "toile".

 

mercredi, 29 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »

On me dit que je caricature et généralise quand je parle des Puissants, des Décideurs, des « élites dévoyées ». Eh bien demandez donc à l'éditorialiste du Monde de ne plus me traiter de "crétin". Qu'il retire ses propos et qu'il fasse des excuses. On a sa dignité : il n'avait qu'à pas commencer. Et puis d'abord, c'est celui qui le dit qui l'est.

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Mais voyons, monsieur, « élites dévoyées », il ne faudrait pas généraliser. Il ne faudrait surtout pas que les « élites dévoyées » se sentent stigmatisées. On en arriverait vite, rendez-vous compte, au « Tous pourris ! » qui « fait le jeu du Front National », n’est-ce pas. Le problème, c’est que je caricature, mais à peine. Eh bien ce n’est pas l’Editorial du Monde du 22 octobre (Place Vendôme, le créateur et les crétins) qui me convaincra du contraire. Au contraire.

 

Quand un homme ne sait plus quoi faire de son argent, comme je le disais, il le jette par les fenêtres. Il fait comme les pays pauvres ou en guerre (de préférence les deux), qui jettent dehors, et de préférence à la mer, toutes leurs populations superflues. Cela donne quelque chose qui s’appelle « N’importe quoi ». Et j’ajoute : « Pourvu que ça fasse de la mousse ». Surtout s’il trouve un Décideur complaisant, d’accord avec lui pour décréter : « Tout est permis », et à apposer sa signature au bas de l'autorisation. Plus qu'à poser le "plug anal" en pleine place Vendôme.

 

Les gens situés à proximité plus ou moins immédiate des bureaux sur lesquels on pose les papiers sur lesquels les « décideurs » sont invités à apposer le graffiti ou l’arabesque à l’encre de leur signature par des larbins distingués qui sortent des Grandes Ecoles, ces gens, dis-je, composent un potager et une faune qui, à force de grandir dans des serres séparées et d'être conservés dans des bocaux bien à l’abri du « plein champ » où prospère l'épaisse rusticité du « vulgum pecus », se font de celui-ci une idée aussi virtuelle que les images des jeux vidéo grâce auxquels ils prennent quelques moments de détente, entre deux stress insoutenables, là-haut, tout en haut de l’échelle.  

 

Puissants (détenteurs de l’argent privé) et Décideurs (détenteurs de la signature publique) ont donc adopté ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’Art et de la Culture en matière de contestataires, réfractaires, insoumis, dissidents, marginaux, déviationnistes, provocateurs, immoralistes, subversifs, anticonformistes, anarchistes et j'en oublie sûrement.

 

Il est convenu dans le cahier des charges qu'il faut être dérangeant, déstabilisant pour ces étranges bestioles appelées « les gens », dont on décrète qu'ils sont pris dans des routines morales, lieux communs intellectuels, idées toutes faites et autres stéréotypes qu'il s'agit de faire voler en éclat, pour les rendre à la pureté de ... de quoi, au fait ?

 

C'est fou, quand on y pense, le nombre de gens de Spectacle et d'Art qui ont pour but d'agir sur le spectateur, le plus souvent en le mettant mal à l'aise, en l'obligeant à se remettre en question, en le tourneboulant, désorientant, abasourdissant. Comme on est à Lyon, j'ajoute "badibulguant". Tous ces gens sont d'un altruisme terrifiant et dévastateur. Jamais les "bonnes intentions" n'ont commis pareils dégâts. C’est à qui dénichera son Poseur de Bombes personnel, qu’il comblera de ses bienfaits s’il consent à poser celles-ci dans son musée personnel.

 

Damien Hirst et Jeff Koons se tirent la bourre pour savoir qui sera le mieux coté. Les nouveaux académiques pontifiants Daniel Buren ou Bertrand Lavier jouent les fripons, sans doute pour faire plus jeunes. Anish Kapoor s’en donne à cœur joie au Grand Palais, sans doute pour ne pas empiéter sur les plates-bandes versaillaises de Takeshi Murakami. Dans le fond, Paul McCarthy, dans ce paysage, fait figure de « Petit Bras » (je suis en cela d’accord avec monsieur Dagen, du Monde, si j’ai bien lu).

 

On a compris que, quoi qu’il arrive, aucun artiste digne de la Modernité ne saurait advenir sur le Marché de l’Art s’il ne commet aucune profanation. Il arrive que Puissants et Décideurs tolèrent qu'il se contente de proposer du "Jamais Vu", mais même le "Jamais Vu" doit rester exceptionnel.  Car le sacrilège et le blasphème sont des laissez-passer magiques. Du « Piss-Christ » d’Andres Serrano à la Crucifixion d’une femme par Bettina Rheims, par exemple.

 

Et l’ « artiste », le commanditaire et le mécène sont aux anges quand l’œuvre exposée a la joie ineffable et le bonheur sans mélange de se faire vandaliser. Quand l'artiste est arrivé à appuyer sur le bon bouton, celui de la fureur vindicative des "Crétins", qui n'attendaient que cette occasion pour passer à l'action. Quand l'étincelle de la provocation a remonté toute la longueur de la mèche, jusqu'au tonneau de poudre. 

 

Si le scandale n’est pas au rendez-vous, c’est que la mèche de la bombe était mouillée. HernaniPelléas, Le Sacre, Ubu, Déserts, tous les directeurs de salles rêvent de ces échauffourées merveilleuses, de ces émeutes ébouriffantes, de ces soulèvements délicieux, de ces batailles épiques en smokings et robes de soie dont on parle encore cent ans après, et plus.

 

« Encore raté », s’écrie alors, rageur, ce colonel Olrik de l’Art Contemporain, « mais je reviendrai, je me vengerai, je l’aurai, mon scandale ». Le scandale est désormais un investissement ; faire scandale est un but de guerre : tout doit être pensé pour l’atteindre, et d’abord le thème. La religion, le sexe sont des « créneaux porteurs ». Il y a aussi le caca : successeur de Piero Manzoni et de sa « Merda d’artista » (1961), Wim Delvoye s’est illustré avec sa féconde série (2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2009) des « Cloaca » et autres « machines à caca ». Il a aussi tatoué des cochons, et même le dos d'un certain Tim Steiner, dont la peau, qui a été vendue 150.000 euros en 2008, sera définitivement acquise par son acheteur à la mort de son porteur et possesseur. Furieusement excitant, n'est-il pas vrai, très chère ?

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais comme les œuvres d’art et expositions, les pièces de théâtre et spectacles de danse dont les médias parlent le plus sont ceux qui portent l’étendard de la « Transgression ». C’est au metteur en scène qui « transgressera » le plus, le mieux et le plus radicalement : la concurrence est impitoyable. Cette vogue a gagné la mise en scène d’opéra. Au point d'en être devenue d'un terrible conformisme. Je donne même une idée : le fin du fin serait de dénuder sur scène des très vieilles et des très vieux, des très laids et des très obèses, que sais-je, des très fous sortant de l'asile et des très dangereux évadés de prison, bref la fine fleur de ce qui se fait en matière d'apparences repoussantes. Le pied, je vous dis pas !

 

La parole est au « transgresseur » : acteurs à poil sur la scène pour un oui ou pour un non, défécations et mictions, corps dénudés couverts d’on ne sait quelles déjections et autres contenus de poubelle. Aujourd’hui, c’est bien simple, un jeune n’arrive à rien s’il ne transgresse pas. Sinon, il sera considéré comme anormal.  C’est un principe hors duquel il ne saurait trouver le salut.

 

Qu’on se le dise : la transgression est devenue la norme. Les gens normaux sont devenus inadmissibles. Il n'est plus normal d'être normal. Une bonne partie de la Culture actuelle crie : « A bas les gens normaux ». C'est bien simple, ils sont atteints d'un insupportable « conservatisme », quand ils ne sont pas carrément des « réactionnaires », des « crétins », des « fachos ». La Révolution des valeurs est en marche qui, tel Saint Jean-Baptiste annonçant la venue du Messie, nous prépare à la « post-humanité ». Amen.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mercredi, 19 juin 2013

ORWELL N'AIME PAS DALI

 

SANDER 22 PÂTISSIER.jpg

PÂTISSIER, PAR AUGUST SANDER

 

***

George Orwell donc. Et pas dans le maître-livre qui l’a propulsé au rang de superstar de la science-fiction. Je trouve personnellement que 1984, un chef d’œuvre, évidemment, est plus alambiqué, plus complexe et plus allégorique que La Ferme des animaux.

 

Nous sommes d'accord : 1984 va incomparablement plus loin et plus profond, et son propos ne se limite pas finalement au stalinisme qu'il dénonçait explicitement (l'expression « Big Brother » comme pastiche de photographie,august sander,littérature,george orwell,1984,arts,peinture,salvador dali,la ferme des animaux,animal farm,ben,jeff koons,wim delvoye,cicciolina,andré breton,surréalisme,avida dollars,éditions ivréa,encyclodédie des nuisances« Petit père des peuples »). Et puis de toute façon, j’ai envie de parler d’un autre aspect de l'activité de l'auteur, plus proche du journaliste qu’il fut.  George Orwell a écrit des centaines de textes de natures très diverses. Ivréa et L’Encyclopédie des nuisances ont publié une partie non négligeable de ceux-ci, sous le titre Essais, articles, lettres. Une édition chronologique.

 

Quatre forts volumes. Environ 2000 pages. Je regarde ça, et je me reprends à espérer – oh non, pas dans l’humanité, rassurez-vous, simplement dans le courage et la ténacité d’éditeurs qu’on peut dire, pour le coup, indépendants. Je veux dire : libres. Et pour être en mesure de se dire libre, il faut avoir assez de coffre pour sacrifier quelque chose de soi. C’est Michel Noir, ancien maire de Lyon, qui déclarait : « Il vaut mieux perdre une élection que perdre son âme ». Une phrase qui a de la gueule, ne serait-ce que parce qu’elle est rare. Editeur peut être un beau métier, si l’on fait ce qu’il faut pour que ça le soit et le reste.

 

Alors évidemment, il n’est pas question de résumer ici 2000 pages, à moins que le résumé ne tienne sur 2000 pages. Non, je voudrais juste donner une idée de ce qu’on peut y trouver, en évoquant tel ou tel sujet que George Orwell a abordé à l’occasion. Tiens, pourquoi pas L’immunité artistique : quelques notes sur Salvador Dali, qui date de 1944 ?

 

J’aime bien quand quelqu’un de l'envergure aquiline de George Orwell, planant dans les hautes couches de l'atmosphère, repère soudain au ras du sol un charogne à sa mesure et plonge de tout son bec et de toutes ses griffes sur ce vil escroc qui a réussi à faire croire qu’il révolutionnait la peinture. Je passe sur « Avida Dollars » (anagramme de S. D.) dont André Breton l’a habillé pour l’hiver. Reconnaissons-lui une vraie créativité si vous voulez, mais seulement jusqu’en 1935, dans le cadre du groupe surréaliste.

 

Après, il a juste fait du pognon, du pognon et encore du pognon. J’exagère sans doute, mais pas tant que ça. Le soin qu’il apportait à la mise en scène de soi-même (il se déclarait lui-même narcissique) me le rend tout à fait antipathique. C’est ce qui parvient peut-être à gâter la perception que je peux en avoir, même si, quoi qu’il en soit, il me semble qu’il a fait naufrage dans l’incongru et le tape-à-l’œil, dont il a fait commerce, en produisant à tire-larigot des images pieuses d'un nouveau genre, quasiment sulpiciennes à force d'être parfaitement léchées.

 

Orwell aborde Dali d’un point de vue un peu voisin, puisqu’il le regarde sous un angle moral, comme le laisse entendre le titre ci-dessus (qui n’est pas la traduction de l’original). Il relève son goût marqué pour « la perversité sexuelle et la nécrophilie », le « thème excrémentiel », note que Dali « se targue de ne pas être homosexuel », et conclut : « … mais à part cela, il semble détenir la plus belle panoplie de perversions dont on puisse rêver ». On ne saurait être plus net dans le reproche.

 

Enfin, quand je dis « reproche », tout cela est formulé (pour le moment) sans jugement : pour Orwell, qui se veut davantage objectif que moralisateur, les faits parlent d’eux-mêmes, et il n’a pas besoin d’en rajouter, même si la morale, ici, est le critère : « L’obscénité est un sujet dont il est très difficile de parler en toute sincérité. Les gens ont trop peur soit de paraître choqués, soit de paraître ne pas l’être, pour être en mesure de définir les rapports entre l’art et la morale ». Il écrit ça en 1944, et il meurt en 1949. Il n’a pas eu la chance d’admirer le gobelet d’urine de Ben (1962), la scène de pénétration de la Cicciolina par Jeff Koons (1992) ni la machine à merde de Wim Delvoye (2000).

 

En fait, le commentaire d’Orwell est suscité par la parution de l’ « autobiographie » (on ne sait pas trop) de Dali The Secret Life of Salvador Dali. L’artiste s’y vante de certaines dépravations, de certains actes sadiques et autres turpitudes. Je dirai qu’il « en remet ». Et le commentaire d’Orwell montre que, s’il avait été médecin, il aurait été célèbre pour la qualité de son diagnostic : il met le doigt là où ça fait mal. Il sait que les saloperies révélées par Dali dans le bouquin peuvent tout aussi bien être réelles que fictives. Ce qui porte un nom : complaisance dans le sordide.

 

Voici, in extenso, le paragraphe que je crois névralgique de l'étude d'Orwell : « Ce que revendiquent en fait les défenseurs de Dali, c’est une sorte d’immunité artistique. L’artiste doit être exempté des lois morales qui pèsent sur les gens ordinaires. Il suffit de prononcer le mot magique d’ « art », et tout est permis. Des cadavres en décomposition avec des escargots qui rampent dessus, c’est normal ; donner des coups de pied dans la tête des petites filles, c’est normal ; même un film comme L’Âge d’or [où l’on voit une femme en train de chier, selon Henry Miller] est normal. Il est également normal que Dali s’en mette plein les poches pendant des années en France, puis détale comme un rat aussitôt que la France est en danger. Dès lors que vous peignez assez bien pour être consacré artiste, tout vous sera pardonné ». Ce paragraphe, est-il utile de le préciser, me réjouit au plus haut point. Au passage, les lecteurs un peu assidus de ce blog auront goûté à sa juste valeur la répétition du mot « normal ».

 

Il dit encore quelques petites choses intéressantes : « Il est aussi antisocial qu'une puce. Il est clair que de tels individus sont indésirables, et qu'une société qui favorise leur existence a quelque chose de détraqué ». Et même des choses assez drôles : « Si vous dites que Dali, tout en étant un brillant dessinateur, est une sale petite fripouille, on vous regarde comme si vous étiez un sauvage. Si vous dites que vous n'aimez pas les cadavres en putréfaction, et que les gens qui aiment les cadavres en putréfaction sont des malades mentaux, on en déduit que vous manquez de sens esthétique ».

 

Sans se gargariser de formules brillantes, c'est avec sobriété qu'Orwell assène les coups de son bon sens sur la tête du reptile.

 

Voilà ce que je dis, moi.