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mardi, 28 mars 2017

OBSOLESCENCE PROGRAMMÉE ?

littérature,philosophie,modernité,günther anders,l'obsolescence de l'homme,progrès techniqueGÜNTHER ANDERS : L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME

(Tome II, éditions Fario, 2011). 

Le texte qui suit n’est pas un texte, mais un collage de citations picorées, dans un scrupuleux ordre chronologique d'entrée en scène, dans la petite vingtaine de pages de l’introduction de L’Obsolescence de l’homme (tome II), intitulée « Les trois révolutions industrielles ». Le texte a été écrit en 1979, soit il y a près de quarante ans. Dire qu’Anders est un penseur radical est un euphémisme. Le bouquin aligne l'examen de vingt-huit "obsolescences" (des apparences aux machines et à la méchanceté, en passant par les idéologies, l'anthropologie philosophique et l'histoire) repérées par l'auteur et dûment analysées de la fin des années 1950 à 1979 (il est mort en 1992, à l'âge de quatre-vingt-dix ans). Il s'agit de restituer à l'humain d'aujourd'hui l'abjection de l'état dans lequel l'avancement de la technique l'a plongé en lui faisant croire que là étaient son génie, sa dignité et son avenir. La mission que s'assigne Anders est celle d'arracher le masque : celui dont s'affuble la future extinction de l'humanité, sous le nom de "progrès technique".

Mais dire qu’il annonce la catastrophe finale qui doit détruire l’humanité, comme me le disait quelqu’un récemment, c’est n’avoir pas compris le sens de sa démarche. Günther Anders n’annonce rien : il ne fait que décrire à sa façon le monde tout à fait présent qui est le sien.

Son interprétation des faits, en particulier tout ce qu’il dit de l’emprise de la technique et des machines sur notre vie, ne fait aucune concession à un quelconque optimisme. Il le dit lui-même, il n’y a pas d’issue : ce qu’il reproche à Ernst Bloch, c’est précisément qu’ « il n’a pas eu le courage de cesser d’espérer » : phrase extraordinaire et, on le comprend, inacceptable.

Il a fait de l’exagération du trait une méthode parfaitement assumée (on trouve ça dans le tome I). Est-ce que cela disqualifie toute sa démarche ? Je n’en crois rien : trop d’éléments de son analyse trouvent quarante ans après leur confirmation dans notre réalité. Qu’on en juge par ce qui suit. Pour que tout cela reste un peu digeste, j’ai divisé ma petite sélection des propos en deux épisodes. On notera en passant quelques remarques (clonage, cassettes, ...) qui datent le temps où le texte fut écrit.

 

Episode I. 

C’est une caractéristique de la situation actuelle que la légion des machines existantes tende finalement à constituer une seule mégamachine et ainsi, à fonder le "totalitarisme du monde des choses."

Ce ne sont pas à proprement parler les produits eux-mêmes qui jouent le rôle de moyens de production, mais l’acte même de consommer – un fait véritablement honteux, puisque notre rôle, à nous les hommes, se limite dès lors à veiller, en consommant des produits (que nous devons encore, par-dessus le marché, payer) à ce que la production suive son cours.

Ce qui peut être fait doit être fait. C’est de la technique que viennent les impératifs moraux d’aujourd’hui ; et ceux-ci ridiculisent les postulats moraux de nos aïeux, pas seulement ceux de l’éthique individuelle, mais aussi ceux de l’éthique sociale.

Puisqu’il en va ainsi, nous vivons – depuis trente ans déjà – dans une époque où nous travaillons en permanence à la production de notre disparition.

L’obsolescence d’Ernst Bloch, qui s’est opposé au simple fait de prendre en compte l’événement Hiroshima, a consisté dans sa croyance – aboutissant presque à une forme d’indolence – selon laquelle nous continuons à vivre dans un "pas-encore", c’est-à-dire dans une "pré-histoire" précédant l’authenticité. Il n’a pas eu le courage de cesser d’espérer, ne serait-ce qu’un moment. Peu importe qu’elle se termine maintenant ou qu’elle dure encore, notre époque est et restera la  dernière, parce que la dangereuse situation dans laquelle nous nous sommes mis avec notre spectaculaire produit, qui est ainsi devenu le signe de Caïn de notre existence, ne peut plus prendre fin – si ce n’est pas l’avènement de la fin elle-même.

Je pense à deux d’entre eux [deux bouleversements] : au fait monstrueux que l’homme est pu se transformer en homo creator et à celui, pas moins inouï, qu’il ait pu se transformer lui-même en matière première, c’est-à-dire en homo materia.

Il existe maintenant des processus et des éléments de la nature qui n’existeraient pas si nous ne les avions pas créés.

La transformation de l’homme en matière première a commencé à Auschwitz.

Je ne sais pas si l’on a déjà cloné des gènes humains. Mais comme nous savons que l’impératif actuel est : "Ce qu’on peut faire, on doit le faire", ou : "Ce qui est faisable est obligatoire", ce qui n’est pour l’instant encore qu’une possibilité est déjà là aujourd’hui comme un présage qui nous coupe le souffle.

Note : Ernst Bloch (1885-1977), philosophe allemand, a écrit, entre autres, Le Principe espérance.

jeudi, 12 décembre 2013

UNE MUSIQUE POUR SPECIALISTES

 

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FRAGMENT DE SEQUENZA III

J’en étais resté à conspuer la littérature et la musique « de laboratoire », dont sont férus tant d’adeptes de la « Modernité ». 

Je me demande même si ce n’est pas la « Modernité » en soi qui a fini par me rebuter : j’ai déjà dit ici le mal que je pensais des Sequenze (pour écouter Sequenza III, cliquez ici : 8 minutes de rigolade garanties) de Luciano Berio. Même chose pour ce que les artistes, depuis une quarantaine d’années, se complaisent à appeler – précisément – des « performances » (je sais, je sais, ça vient de l’anglais, ça ne veut pas dire la même chose).

A propos de performance, je me souviens d’un spectacle inénarrable, superbement gratiné dans le genre, vu au Centre d’Art Plastique de Saint Fons, alors dirigé par un véritable apôtre en la matière (J.-C. G), homme terriblement sympathique au demeurant. 

 

Imaginez une baignoire solidement fixée au plafond avec un individu dedans, poussant à intervalles irréguliers de petits glapissements, pendant qu’un liquide jaunâtre goutte par la bonde mal fermée, qu’une comparse va lentement déposer de petits tas de sable aux coins d’un quadrilatère, et qu’un autre, en uniforme de varappeur, fait le tour de la salle sans mettre un pied au sol. Les murs avaient été préparés en vue de l’acrobatie. Si quelqu'un peut m'expliquer ...

 

La « Modernité », en démocratisant à tout va la création, en autorisant ainsi tous les charlatans à vendre en salade leurs potions vendues comme des panacées, qu’il s’agisse de musique, de peinture ou de littérature, la « Modernité » a inauguré l’ère de l’esbroufe, de l’épate et du n’importe quoi. 

 

Impossible pour un public non initié de faire le départ entre les gens « sérieux » (au nombre desquels, malgré les apparences, je compte Luciano Berio) et ces batteurs d’estrade et autres cabotins. Et je ne parle pas du snobisme qui fournit à la « Modernité » des adeptes qui se piquent de figurer dans toutes les avant-gardes, et qui promeuvent par bêtise ou par calcul les derniers gadgets à la mode qui font fureur dans les salons des « branchés ».

 

Ce qui fait, résultat des courses, que, d’une part, les compositeurs sérieux et savants se sont retirés bien à l’abri des murs de leurs laboratoires, et d'autre part ont oublié, tout simplement, l’auditeur. Ils ont élaboré, dans leurs cornues et leurs athanors de plus en plus compliqués et tarabiscotés, des univers sonores qui n’étaient plus faits pour provoquer émotions et plaisir chez l’auditeur, mais pour répondre à des programmes quasiment scientifiques.

 

Que leur musique plaise à quelqu’un semble être devenu le cadet des leurs soucis. Pourvu que leurs œuvres ainsi conçues recueillent l’estime et l’admiration du petit cercle de leurs confrères, ainsi que de quelques privilégiés, voilà leur bonheur « samsufi ». Ce qui compte avant tout, c'est d'être reconnus par leurs pairs.

 

J’imagine que des auditeurs soucieux de paraître « au courant » n’ont rien de plus pressé que de se sentir flattés qu’on leur propose des œuvres d’accès difficile : peut-être s’enorgueillissent-ils de paraître comprendre ce qui se passe. Après tout, depuis Balzac et même avant, on sait que la vanité aime à se nicher parfois de façon surprenante. 

 

Mais je me dis aussi que lorsque les sons entendus offusquent l’oreille qui les reçoit, lorsqu’ils sont ressentis par elle comme une langue inconnue, voire comme une forme d’agression, il y a peut-être une raison objective à cela. Que se passe-t-il donc dans ces œuvres musicales où l’auditeur se sent intimement tenu au collet et menacé par plus imposant que lui ? Qu’est-ce qui les différencie d’œuvres plus « classiques » (certains diront plus « conventionnelles ») au niveau de la réception ? Cette question m’intrigue et me turlupine (de cheval) depuis longtemps.

 

La réponse n’est pas évidente. Les adeptes de la Modernité pointeront son aspect éminemment « culturel » (c'est comme entre sexe et genre, la plaisanterie bien connue). Je veux dire qu’ils traiteront de préjugés et de stéréotypes les « attachements excessifs » aux musiques (aux « codes ») héritées du passé. Ils accuseront peut-être les industries de diffusion et de reproduction musicale (radio, disque, …) de distribuer dans les oreilles ces codes d’un conformisme épouvantable. 

 

Mais je finis par me demander s’il n’y a pas dans beaucoup de « musiques contemporaines » (disons expérimentales, dissonantes, violentes, …) une attitude d’INTIMIDATION chez des artistes qui ne cherchent plus principalement à plaire à quelqu’un, mais qui se considèrent davantage comme des spécialistes, maîtres d’une technique qui échappe à celui qui écoute.

 

Des musiques qui se situent plus haut que leurs auditeurs. Devant lesquelles ils sont contraints de se montrer humbles, pour ne pas dire humiliés, l’artiste se présentant comme CELUI QUI SAIT. Celui qui sait domine celui qui ne sait pas. Il y a dans ce fonctionnement une « histoire de pouvoir » (rien à voir avec les fariboles racontées autrefois par le « sorcier » Carlos Castaneda). Juste une histoire de pouvoir. Quasiment politique. 

 

Non que les musiques plus classiques ne fussent parfois diaboliquement savantes (je pense à certaines des Variations Diabelli de Beethoven). Et  techniquement, elles étaient largement hors de portée du vulgum pecus. Mais les compositeurs se souciaient de la réception de leurs œuvres. Ils écrivaient leur musique pour quelqu’un. Ils pensaient à quelqu’un quand ils écrivaient leur musique. Ils étaient déçus, voire mortifiés, quand l’accueil du public, lors du concert inaugural, ne consacrait pas une réussite. Témoin Bizet, quand il vit siffler sa Carmen. Il est mort peu de temps après, sans avoir le temps d'assister au triomphe, aujourd'hui planétaire, de son opéra.

 

Le dodécaphoniste, ce révolutionnaire de laboratoire, se fout éperdument de la façon dont son œuvre sera reçue. Son idée, c’est de composer une œuvre satisfaisante pour son esprit. Il ressemble en cela au mathématicien devant son tableau noir, qui se réjouit d’avoir trouvé une belle formule bien géniale. 

 

Mais à la différence du mathématicien, qui se contente de proposer sa trouvaille aux autres mathématiciens, à travers des revues très spécialisées, voire confidentielles, le dodécaphoniste met son œuvre sur la place publique et somme brutalement les foules de manifester de l'enthousiasme, c'est-à-dire d’apprécier et de comprendre la grandeur et la complexité de son travail.

 

L'insondable bêtise prétentieuse de cette attitude saute aux yeux : il n'a jamais été prévu par Einstein que sa théorie de la relativité (restreinte ou générale) fût comprise par d'autres que le petit nombre de ses pairs. Il y a une espèce de terrorisme culturel à envisager pour la musique dodécaphonique une diffusion aussi large que pour la quarantième de Mozart. On ne peut faire entrer des foules dans un laboratoire. C'est une musique faite par des spécialistes pour des spécialistes, n'en déplaise à Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Jean-Pierre Derrien et Florent Boffard.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 11 décembre 2013

UNE MUSIQUE POUR SPECIALISTES

 

 

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MUSIQUE POUR LABORATOIRE

 

Malgré un siècle de diffusion, la musique sérielle rebute toujours le public ordinaire. Comment se fait-ce ? Que se proposent Jean-Pierre Derrien et Florent Boffard sur l’antenne de France Musique le vendredi matin ? Ni plus ni moins que d’éduquer le peuple jusqu’à ce qu’il n'en puisse plus de résister à tant d'insistance et de sollicitude, et qu'enfin, il consente à aimer le système dodécaphonique inventé au début du 20ème siècle par Arnold Schönberg.

 

Mais je me dis que, si en un siècle on n’y est pas arrivé, c’est qu’il y a quelque chose de plus que la surdité ou le conservatisme du public qui est en cause. Peut-être y a-t-il quelque chose de rédhibitoire dans la musique inventée elle-même. Une limite infranchissable aux oreilles ordinaires et normales. Un noyau dur inassimilable. J'y reviendrai un de ces jours.

 

« Musique contemporaine » donc ? Je me demande si cette étiquette ne sert pas à marquer une frontière : celle du rapport entretenu par chacun à la modernité. A la droite de Jean-Pierre Derrien (voir plus haut) siégeront tous les justes, tous les promis au salut accordé aux héros qui « vivent avec leur temps ». A l’oreille de ceux-là, je me permettrai juste de susurrer ce mot de Cromwell : « Ceux qui épousent leur époque prennent le risque d’être souvent veufs ».

 

A la gauche de Florent Boffard, tous les racornis cramponnés à de vieilles lunes comme sont la mélodie, la consonance ou la sensation de plaisir et d’émotion auditifs, promis aux poubelles de l’Histoire qu’il a adroitement placées sous leurs pas. Ceux-là, je me promets de les encourager à rester sourds aux sirènes de la « modernité », et de ne pas sectionner les quelques racines que le 20ème siècle n’a pas réussi à couper avec les temps anciens.

 

Ces attardés de la préhistoire égarés dans la modernité ressemblent à l’antique caricature des cancres, ceux qui se blottissent au fond de la classe, tout contre le radiateur. Comme le disait un comique des années 1950 – Jacques Bodoin (on peut le voir sur Youtube) – : « C’est là qu’ils s’épanouissent ».

 

Ceux-là ont garni leurs oreilles du même épais bouchon de cire que les marins d’Ulysse avaient mis à l’approche du rocher des Sirènes. Ceux-là, je le dis aux dévoués Derrien et Boffard, sont définitivement perdus pour la science, hermétiques à toute musique expérimentale, à toute innovation en art. Soyons net, voire péremptoire : hostiles à tout progrès.

 

Bon, peut-être. Mais pas complètement sûr. Peut-être douteux. Pour vous dire combien je me suis endurci dans mon épaisseur de bouseux béotien resté les pieds enfoncés dans sa glèbe natale, il m’arrive même d’imaginer que l’hypothèse est complètement fausse, même si ça doit contrarier Jean-Pierre Derrien et Florent Boffard.

 

Et si, après tout, c’étaient les réticents qui avaient raison ? Et si, au contraire des décrets de la « doxa », il était complètement stupide de parler de « Progrès » en musique ? Et s'il y avait quelque imposture à vouer un culte à la déesse « Innovation », quand il s'agit des arts, et de faire d'elle l'arbitre départageant l' « obsolète » et le « vivant » ? Qu’est-ce qui pousse Jean-Pierre Derrien à se prosterner aux pieds de la statue « révolutionnaire » d’Arnold Schönberg ? Je demande qu’au moins on examine ces questions.

 

Je me demande en effet s’il ne s’est pas passé dans la musique la même chose que dans la peinture et la littérature. Finalement, qu’est-ce que c’est, l’abstraction en peinture ? J’y vois pour ma part deux aspects. D’abord – j’en ai parlé –, c’est la disparition du visage de l’homme et du monde des représentations picturales, l’effacement de la figure humaine, et son remplacement par l’exploitation de toutes les possibilités expressives des moyens techniques à la disposition des peintres.

 

Ensuite, c’est l’irruption dans le domaine des arts de l’esprit de système, des grandes théories et doctrines. N’est-il pas révélateur qu’un livre considéré comme l’un des trois chefs d’œuvres littéraires du 20ème siècle soit Ulysse, cet ouvrage improbable où le romancier s’est lancé le défi de placer, outre une foule de contraintes langagières, successivement TOUTES les figures de style. Les spécialistes en ont dénombré une petite centaine. L'Ou.Li.Po. de Queneau et Le Lionnais n'est pas loin.

 

J’ai lu Ulysse en 2009, moi qui ne suis pas spécialiste, et non seulement je n’ai pas cherché à faire cet inventaire, mais je n’ai pas honte d’avouer que ce livre m’a intéressé, sans toutefois me subjuguer. Le côté « performance sportive » attaché aux œuvres proclamées « chefs d’œuvre de la Modernité » me laisse froid. Mais peut-être l'ai-je lu trop tard. J'aurais dû le faire quand la Modernité me laissait encore pantois d'enthousiasme, et ne m'avait pas encore laissé voir son cœur desséché et momifié.

 

L’expérience de laboratoire, en littérature comme en musique, c’est d'abord fatigant.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 28 mars 2013

L'ENFANT SERA LE GENRE HUMAIN

 

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COMBIEN D'ETOURNEAUX DANS LE NUAGE ?

***

Ce traitement de tous à égalité absolue est d’ailleurs conforme à l’évolution de toutes les institutions s’occupant d’enseignement des petits, qui se prétendent « à la pointe de la modernité », et veillent par conséquent à ne surtout distinguer personne, de peur qu'une tête n'émerge au-dessus des autres. On ne sait jamais : le vrai talent peut faire des dégâts collatéraux.

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GIULIO PAOLINI, A PEINE SORTI DU COURS ELEMENTAIRE, MONTRE DES DISPOSITIONS QUI LAISSENT AUGURER LES PLUS BELLES REUSSITES

Les moins doués et les moins persévérants de tous ces gosses pourraient prendre ombrage de se voir relégués à des rangs jugés indignes d’eux.

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QUEL BONHEUR DOIT ÊTRE LE VÔTRE, M. ET MME BORTOLUZZI, D'AVOIR ENFANTÉ VOTRE PETIT FERRUCCIO !

ARRIVEE.jpgSi classement il y a, il ne découlera que de la fatalité qui fait qu’on ne peut citer la liste des noms des valeureux lardons autrement que selon une succession : à de très rares exceptions près (voir ci-contre), l’ordre du discours, fût-ce en compétition, est totalement rétif à l’idée de simultanéité, de cluster, de tir groupé. 

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LE CHARMANT GIOVANNI ANSELMO, NEUF ANS A PEINE, ECRIT ICI LA MERVEILLEUSE FABLE, RENOUVELÉE DE LA FONTAINE : LE GRANIT ET LA LAITUE

L’ordre du discours, enfants ou pas, turbulents ou pas, appartient aux « arts du temps », au même titre que la musique ou le cinéma.

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ON SAIT ICI D'EMBLÉE QUE LE PETIT LOUIS CANE, A PEINE SIX ANS, EST PROMIS AU STATUT PROCHAIN DE GRAND MAÎTRE

De même que l’architecture a besoin d’espace pour se déployer dignement, de même, la parole ne saurait s’inscrire ailleurs que dans une chronologie.

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LES DELICIEUX PIERRE ET GILLES, A PEINE SORTIS DU COURS MOYEN, FONT MONTRE D'UNE BELLE AUDACE CONCEPTUELLE.

L'AMATEUR AUTHENTIQUE EN EST LITTERALEMENT TRANSPORTÉ

On est donc prié de ne voir dans l’ordre d’apparition des noms des minots lauréats nulle expression d’une quelconque préférence, nul établissement d’une hiérarchie.

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SI LE PETIT FELICE VARINI, HUIT ANS, DEUX MOIS ET TROIS JOURS, TIENT TOUTES LES PROMESSES QU'IL FORMULE ICI, TOUS LES ESPOIRS QUE SES PARENTS ONT PLACÉS EN LUI SON DESORMAIS PERMIS

On est avant tout prié de n’y voir que l’effet d’un hasard qui serait du même acabit que celui qui préside à l’appel des jurés dans nos cours d’assises (procédure que je suppose connue de tous).

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LE JURY N'AURAIT GARDE D'OUBLIER L'EXTRAORDINAIRE DEBROUILLARDISE DU REMARQUABLE CY TWOMBLY QUI, DÈS SES QUATRE ANS SONNÉS, SE PREOCCUPE D'ENRICHIR L'HORIZON HUMAIN DE PERSPECTIVES ENCORE INAPERÇUES

L’intention du jury, qui s’exprime par ma voix, est exclusivement de publier officiellement les mérites d’un nombre appréciable de nos plus chères têtes blondes qui ont contribué à enrichir nos regards et nos perspectives d’avenir par leur capacité à nous faire entrevoir celui-ci.

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LE JURY S'EN SERAIT VOULU A MORT, S'IL N'AVAIT DÉCERNÉ UN BREVET D'HONNEUR AU PETIT NASYM, DONT ON REGRETTE DE NE PAS CONNAÎTRE LE NOM DE SON PAPA ET DE SA MAMAN, MAIS QUI SE RECONNAÎTRA, POUR L'EXTRÊME QUALITÉ DE SON TRAVAIL DE SCULPTURE SUR SAVON, EXÉCUTÉ A L'OCCASION DE LA PROCHAINE FÊTE DES MÈRES. LE JURY TOUT ENTIER AJOUTE SA JOIE A CELLE DE LA BIENHEUREUSE MAMAN.

 

LOUÉS SOIENT LES ALLAHS !

 

LOUÉS SOIENT LEURS PROPHÈTES !

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 11 juin 2012

LA POROSITE SUBVERSIVE

Résumé : quand on n’est pas dans la science dure, une vérité qui change n’est plus une vérité. Dans la science, quand la vérité change, c’est qu’elle s’améliore, qu’elle s’approche de l’exactitude par rapport à son objet, même si elle se complique, parce qu’une vérité plus forte remplace une vérité devenue faible.

 

 

Partout ailleurs, pour qu’il y ait une vérité, il faut de la durée. L’idéal étant évidemment l’éternité. Mais voilà, la durée de la vérité s’est raccourcie, le changement impose le nouveau comme autre forme du vrai. Du coup,  la vérité est devenue POREUSE, disparaît dans sa propre précarité, et se laisse contaminer par ce qui n’est pas elle. L’époque actuelle, dans les mœurs, dans les arts, dans les symboles, dans les esprits, s’est mise à évoluer à mort. Pour tout vous dire, l’époque actuelle « change de vrai » comme de chemise.

 

 

C'est ce qui faisait le confort intérieur des esprits, à l'époque de l'absolu de la religion et de la royauté. Mais, tel Zorro, « EINSTEIN est arrivé sans se presser », et il a mis sur le trône la relativité généralisée. Si quelque chose de vraiment vrai, c'est-à-dire d'éternel, avait pu exister auparavant, c'en était définitivement fini. Car si le vrai n'est pas éternel, c'est qu'il n'est pas vrai, qu'il en porte le masque, pas plus. Qu'il y a d'autres vrais, une pluralité de vrais, de la concurrence entre les vrais. Allez savoir à quel vrai vous avez affaire. On ne sait plus à quel vrai se vouer, mon pauvre monsieur.

 

 

Au point que le changement n’a plus du tout besoin de vrai pour être une valeur en soi. Si ça change, c’est qu’il y a  une bonne raison pour cela, de même qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu ». Si ça change, c’est que ce qui est remplacé devait donc être remplacé (et jeté à la poubelle, ou vendu pour presque rien dans un vide-grenier).

 

 

Et l’on s’étonne que les gens soient paumés, et qu’ils aient perdu tout point de repère. C’est le refrain « de mon temps », que j’ai entendu très récemment au grand vide-grenier de la Croix Rousse, dans la bouche d’un monsieur assez âgé, un tantinet exalté, fils de tisseur et ancien propriétaire d’une auto-école, qui vendait des épingles de cravates anciennes. Je me suis éloigné ostensiblement, sans ça, j’y serais encore. « De mon temps, disait-il en substance, il y avait des points de repère,et ce qui était noir n’était pas blanc ».

 

 

Le brave homme n’avait pas complètement tort, en dénonçant les tenues des passants et des exposants, et en les qualifiant de « débraillées ». C’est vrai que les gens n’ont guère aujourd’hui le souci de la qualité de leur « toilette » (mot désuet), et ce n’est pas un problème d’argent. C’était, à sa manière, un éloge de la paroi étanche qui séparait il n’y a pas si longtemps (qu’est-ce que c’est, cinquante ans ?) le dimanche des autres jours de la semaine.

 

 

On se demande quel hurluberlu, aujourd’hui, aurait l’idée bizarre de s’ « habiller en dimanche ». Si, c’est vrai que, plusieurs dimanches de suite, dans le métro, j’ai vu un noir, très grand et très mince, qui tenait religieusement une bible à la main. Disons que, rien qu’à sa façon de la tenir, on voyait qu’il était dans un moment d’intense piété.  

 

 

Eh bien, il était tiré à quatre épingles, costume impeccable, chemise très blanche, cravate, chaussures méticuleusement cirées. Il rejoignait sans doute son assemblée de fidèles, son pasteur, son temple. Mais c’est une exception. La plupart des gens négligent leur apparence vestimentaire, y compris le dimanche.

 

 

Voilà un tout petit exemple de la POROSITÉ qui a gagné nos vies dans la multiplicité de ses aspects. Les parois qui séparaient le dimanche des six autres jours, l’un et l’autre, le même et le différent, qui délimitaient le sens des mots, ont perdu en consistance, en épaisseur, en densité.

 

 

Vous voulez un autre exemple ? Tiens, prenons les âges de la vie, de l’enfance à l’âge mûr. Ne parlons pas du désir de jeunesse et de l’envie de plaire d’une femme, disons « après le retour », vous savez, quand les glandes commencent à se tarir et sécher, une femme qui, pour cela, va couvrir son corps et son visage du masque épouvantable d’un âge qui l’a désertée. N’en parlons pas, parce que c’est trop triste.

 

 

Parlons de ces nombreuses mères de famille qui meurent d’envie de donner à leur propre fille, dès l’âge de 8 ou 10 ans, toute l’apparence d’une femme fatale, d’une séductrice, d’une – comme on dit – « Lolita » (quel archétype a inventé là VLADIMIR NABOKOV ! Quelle prescience ! C'est si rare, un nom propre qui devient un nom commun. Chapeau l’artiste !), parfois aidées en cela par des poussées hormonales précoces très à même d’entretenir la confusion. J’appelle ça la POROSITÉ des âges. Il y aurait d’autres exemples (adolescence prolongée genre Tanguy, infantilisme des adultes et des parents, etc.).

 

 

Je ne sais plus dans quelle émission d’une nommée MIREILLE DUMAS regardée par hasard, j’avais assisté à la mise en scène de la petite, fardée et accoutrée en pute (il n’y a pas d’autre mot), et j’y avais trouvé quelque chose de tragique. L’idée, c’est que dans la fillette, même prépubère (mot qui veut dire « avant les poils », pour ceux qui n’ont pas fait de latin), il y a déjà la jeune fille, la belle adolescente, presque la jeune femme. Pour un peu, on la verrait bien en mère. Et je dis : pourquoi pas en mère-grand ("comme vous avez de grands yeux, mademoiselle !") Disons que c’est une invitation à l’inceste et au viol, et n’en parlons plus.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Allez, on va encore jouer les prolongations.

 

 

dimanche, 29 janvier 2012

CONNAIS-TOI TOI-MÊME, C'EST UN ORDRE !

PREAMBULE VENU DU FOND DES ÂGES

 

(Attention, c'est du lourd !)

 

Madame Coutufon m'a dit avant-hier que « connais-toi toi-même » est le plus célèbre des préceptes que les Grecs avaient gravé sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes.

 

Γνῶθι σεαυτὸν

(= gnôthi séautonn)

 

Madame Coutufon, vous ne le savez peut-être pas, c'est chez elle que j’achète mon beurre demi-sel, mes épinards et mes conserves, me l’a dit, pas plus tard que ce matin : « Un peu de grec dans la conversation, ça vous pose un homme ». Alors je m’exécute. Est-ce que j’en suis plus « posé » pour autant ? Rien n’est moins sûr. J’en suis marri.

 

 DEVELOPPEMENT GRAVE ET PROCESSIONNEL

 

J’ai connu un type, dans le temps, il s’appelait Œdipe. Eh bien, ça lui aurait fait du bien d’au moins passer devant ce foutu temple, et de la voir, cette foutue devise, au lieu d’aller voir cette vieille sorcière, sur son trépied, au fond de sa grotte enfumée. « What a pity ! », s’exclame l’anglais peu au fait de l’orthographe grecque. Ça aurait évité au nommé Œdipe tous les ennuis qu’il a pris sur le paletot par la suite.

 

Ben oui, il se serait posé les bonnes questions : « Qui suis-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? ». Il aurait pris le temps d’y répondre. Au lieu que là, bille en tête, il est parti dans les pires embiernes (comme on disait chez moi) : « Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère ». Il a pris ça pour des ordres, le con ! Alors que c'était le dernier avertissement avant la sanction !

 

Pourtant, le premier commandement du Décalogue (que c’est Dieu qui l’a dit, alors !) le stipule expressément : « Tu ne tueras point », et le vingt-deuxième et demi : « Tu n’épouseras pas ta mère, même si elle te le demande poliment ». En tout cas, c’est pas moi, c’est la Bible. Il faut tout leur dire. 

 

De toute façon, ce type-là, je vais vous dire, je le sentais pas bien. D’abord, il la ramenait sans arrêt. Tu lui voyais les chevilles enfler à vue d’œil. C’est tellement vrai que c’était devenu son surnom (« chevilles enflées »), je te jure que c’est vrai. Va voir la voisine, Madame Etymologie, si tu me crois pas. Et mouche-toi avant de lui parler. Œdipe ? Personne pouvait le piffer, parce qu’on voyait bien que tout ce qu’il voulait, c’était flanquer des complexes à tout le monde. Qu’est-ce qu’il s’en croyait !

 

Le pire, c’est que ça marchait. Et que ça marche encore. Infect, je vous dis. J’ai eu beau en parler à Sigmund, son meilleur pote, rien n’y a fait. Au contraire, Sigmund, ce salaud, il a tout de suite flairé la bonne affaire, et il a illico monté sa boîte, qu’il a appelée « Au Complexe d’Œdipe ». Je te dis pas le succès monstre : il a ouvert une boutique, et tout de suite ça a été l’affluence.

 

Au point qu’il a été obligé d’ouvrir des boutiques en série un peu partout, et de les confier à des gérants – pas toujours bien nets, il faut bien le dire. Et ça a marché du feu de dieu. La boîte principale s’est progressivement scindée en succursales multiples, sous les « raisons sociales » les plus diverses.

 

Ça a d’abord été la succursale « Jung », puis la « Rank » ou « Reik », je ne sais plus, et puis les scissions se sont multipliées, comme n’importe quel groupuscule trotskiste en ordre de marche, et l’on ne compte plus, aujourd’hui les « appellations d’origine » plus ou moins contrôlées. Il y a eu la « Reich », la « Lacan », et tellement d’autres que tu peux pas imaginer ; tout est bon dans le cochon pour appâter le gogo.

 

En fait, Sigmund se démerdait pour instaurer une concurrence acharnée entre toutes ces succursales. Les bisbilles entre « Néo-école freudienne » et « Ecole néo-freudienne », c’était du chiqué, juste pour la galerie, juste pour mettre de l’animation, quoi !  

 

Il mettait de l’huile sur le feu de dieu, et en sous-main, c’est lui qui tirait les marrons du feu de dieu. Un jour, on a appris par les journaux qu’en fait, depuis le départ, une holding appelée « Œdipe et Sigmund », chapeautant l’ensemble du groupe, avait été fondée et astucieusement domiciliée aux îles Caïman, l'empereur du paradis fiscal dans l'empire des paradis fiscaux.

 

La thune qu’ils se font, les gaillards, à se prélasser sur la plage, avec plein de bimbos en pleines formes qui viennent leur caresser le cuir et le reste, et plus si affinités, pendant que leurs milliers de comptes en banque leur crachent du cash sans qu’ils aient à lever le petit doigt pour ça. Ecœurant. Tout ça parce qu’ils ont trouvé l’idée du siècle, allonger sur des milliers de divans des dizaines de milliers de paumés pour qu’ils racontent leur vie. Ces gars-là, ils gagnent des fortunes rien qu’en respirant (réplique piquée à La Vérité si je mens).

 

 

Il y aurait même une affaire « Œdipe et Sigmund », si l’on en croit les révélations fracassantes de Pierre Péan, l’enquêteur justicier bien connu, qui a reçu bien des menaces de mort à cause de ça. Selon lui, la Mafia serait une assemblée d’enfants de chœur, comparée aux réseaux tentaculaires et inextricables de la holding « Œdipe et Sigmund ».

 

Leur spécialité ? Une multinationale du racket. Avec le consentement exprès des victimes, s’il vous plaît. Aucun juge, aucun policier n’a jamais pu apporter la moindre preuve du plus minime délit. Même pas un témoin repenti. Bien mieux et plus efficace que la Scientologie, c'est dire. Soit dit entre parenthèses, il se murmure dans les cercles bien informés que Pierre Péan serait le « ghost writer » du « best seller » de Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole.

 

On s’en souvient, l’intrépide chevalier-philosophe de Caen, et par ailleurs graphomane infatigable (jusqu’à dix gros ouvrages publiés en une seule année !), était parti en guerre contre les moulins à vent de la mystérieuse confrérie. Sans plus de succès au demeurant que Le Livre noir de la psychanalyse, quelques années plus tôt. La puissance de l’hydre est encore telle que rien ne peut en ébrécher la carapace.

 

 

En attendant, on se perd en conjectures sur les motifs d’un succès que rien ni le temps qui passe ne semble devoir amoindrir. Une hypothèse audacieuse a cependant été formulée récemment : et si, après tout, le nommé Œdipe était tout de même passé devant ce foutu temple d’Apollon et avait lu la foutue devise ? Γνῶθι σεαυτὸν ? « Connais-toi toi-même » ? Ce n’est pas impossible. Le temps de vérifier, et je vous tiens au courant.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

On verra si c'est à suivre, cette affaire.