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mardi, 10 janvier 2012

CHAMPS D'EPANDAGE DES SONDAGES

On sait qu’une des officines centristes se présente à l’élection présidentielle en la personne d’HERVÉ MORIN, dont la « cote » dans les sondages se situe à peu près à 0 % des intentions de vote. La « une » du dernier Canard enchaîné publie un savoureux dessin de LEFRED-THOURON : le conseiller a le sourire en dépiautant le « sondage » : « Ça y est ! Tu dépasses le zéro pour cent ! ». Réponse de MORIN : « C’est mon cholestérol ».

 

 

Eh oui, le sondage, c’est comme le cholestérol : il y en a toujours trop. Mais c’est aussi comme le cholestérol : c’est d’abord et surtout un marché très rentable. Les « sondages », j’en ai déjà parlé. Ceux qui suivent ce blog savent ce que j’en pense.

 

 

 

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Un sondage n’est rien d’autre qu’une crotte pondue par l’anus d’un chien malade sur les champs d’épandage de la démocratie et les trottoirs parlementaires de nos cités. Aussi, en période électorale, les crottes de chiens malades pleuvent-elles sur les gens, alors même qu’ils sont totalement démunis de paracrottes.

 

 

Un sondage, avant d’être une « enquête d’opinion », c’est : « action de sonder, exploration locale et méthodique d’un milieu à l’aide d’une sonde ou de procédés techniques particuliers ». Je ne sais pas si le thermomètre introduit dans le fondement est médicalement assimilé à un sondage. Mais dans les « sondages » qui ont commencé à nous déferler dessus avant la présidentielle, je vois très bien une sorte d’instrument introduit dans le trou-qui-pue de la population pour prendre sa température.

 

 

 

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D’abord, c’est injuste, ce n’est jamais moi qu’on interroge. Il est vrai que je raccroche brutalement au nez du sondeur téléphonique, et que si ça se passe dans la rue, je joue le grand indifférent légèrement hargneux. Vous me direz donc que ceci explique cela. Ah, si vous le dites, … Je veux bien. De toute façon, mes réponses ne sont prévues dans aucune case.

 

 

Ce qui m’épastrouille hautement, c’est qu’en général, les gens se sentent flattés, voire honorés qu’on leur demande leur avis en dehors d’une échéance électorale. Moi au contraire, je trouve toujours profondément humiliante l’introduction d’un thermomètre, quel qu’il soit, dans mes profondeurs intimes. Fussent-elles électorales. Le seul sondage avec lequel je serais un peu d'accord, c'est l'élection elle-même.

 

 

 

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Et puis en face, moi je les plains, ces gens qui errent avec des questionnaires à remplir, en quête de bonnes âmes qui accepteraient de répondre à leurs questions, toutes plus nazes les unes que les autres – ce qu’ils savent parfaitement –, que plus ils en auront rempli, plus ça leur fera des sous. A-t-on idée ?

 

 

Est-ce seulement un métier ? Remarquez qu’il y en a de moins en moins, des gens qui font un vrai métier. Les « jobs » (je ne vois pas d’autre mot) à la mode (caissière de supermarché, auxiliaire de vie scolaire ou sociale, agent des transports payés seulement pour être visibles dans leur uniforme, j’arrête là, on n’en finirait pas) sont-ils des métiers ?

 

 

Quand j’étais étudiant, oui, j’ai fait des « jobs ». Ce n’est pas fait pour durer, ça n’exige aucune vraie formation, c’est mal payé. J’ai tiré des plans à l’ammoniaque dans la cave d’un architecte. J’ai livré des machines à écrire et des photocopieurs. J’ai collé des enveloppes. J’ai vendu des légumes biologiques. J’ai conduit des poids lourds. Bref, j’ai eu des « jobs ».  Une vie d’adulte digne, ce n’est pas ça. Mais la société actuelle est-elle encore faite pour des adultes dignes ?

 

 

Les « enquêteurs d’opinion », oui, je les plains. Ils me font penser à Jérôme et Sylvie, vous savez, les personnages de GEORGES PEREC dans Les Choses. Ils se rêvent en bourgeois dans un intérieur bourgeois comportant le fin du fin du style bourgeois, qui culmine dans le canapé Chesterfield. En attendant, ils errent comme DIOGÈNE, l’âme en peine et précaires, dans des banlieues improbables, à la recherche non d’hommes, mais d’opinions. Non, ce n’est pas un métier.

 

 

Et puis qu’est-ce c’est, cette fantaisie qui leur a poussé dans le crâne comme un champignon hallucinogène (psilocybe mexicana), de s’intituler « instituts » ? Pour s’intituler « institut », d’abord, il faut de la noblesse, il y a de la majesté. Institut Pasteur, Institut de France (quai Conti), Inserm, Institut du monde arabe, tout ça, je veux bien. Mais une entreprise privée qui fait un commerce juteux avec un produit vulgaire appelé « enquête d’opinion », de quel droit, « institut » ? Vous me direz « institut de beauté ». Je sais.

 

 

Un certain monsieur STEPHANE ROZÈS, qui a longtemps dirigé je ne sais plus quelle boîte de sondages (ce n’est rien de plus qu’une « boîte »), continue – c’est ahurissant –, à venir blatérer, gazouiller, babiller ou hennir ses « commentaires de sondages » aussi creux que doctes sur les ondes nationales, avec son articulation suave et consciencieuse de cul de poule de lèche-le-cul-de-la-maîtresse.

 

 

Et ça n’a l’air de choquer personne que le troupeau entier des journalistes politiques, même les plus à cheval sur la déontologie professionnelle, ait fini par admettre comme une évidence qu’un sondage d’opinion constitue une information à parent tiers ! Le sondage comme information ! Alors ça, ça me troue ! Sur quelle planète déshéritée vivons-nous ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 


 

samedi, 07 janvier 2012

EN ATTENDANT "LA BOUGIE DU SAPEUR"

2012 étant une année bissextile, il faut se préparer pour le jour le plus rare, donc le plus cher du calendrier, j'ai nommé le 29 février. Et pour célébrer ce jour futur de la façon la plus digne, je ne vois pas de façon plus digne que d'évoquer un de ces héros obscurs et sans grade que nous a légué l'invincible armée française (invincible tant qu'il n'y a pas de guerre). Ce héros porte un nom ineffaçable : CAMEMBER (http://aulas.pierre.free.fr/chr_cam_03.html), dont la rumeur publique a peut-être d'ores et déjà porté à vos oreilles (et à vos yeux) l'existence, une existence dont on regretterait l'absence si elle n'avait pas existé. 

 

 

UNE PLAIDOIRIE REMARQUABLE

 

 

Camember est sapeur. C’est pour ça qu’on l’appelle « le sapeur Camember ». Il est respectueux de ses supérieurs. A l’occasion, il se montre facétieux, mais trouve parfois plus facétieux que lui, à ses dépens. Si vous ne connaissez pas ce chef d’œuvre, soyez heureux : vous avez de la joyeuseté et de la réjouissance en perspective en 2012.

 

 

Exemple immédiat : un gamin essaie d’atteindre la sonnette d’entrée de l’immeuble. Camember passant par là s’offre à le dépanner. Le gamin remercie : « Quand le pipelet il viendra vous seriez bien aimable d’y dire bonjour de ma part », avant de détaler à toute vitesse. Ça ne manque pas : au moment où le concierge ouvre pour punir le farceur, Camember est obligé de se retourner pour saluer le major Mauve, et reçoit où je pense un coup de balai bien senti, qui envoie par réaction le pied de Camember dans la rotondité du Major. Ça, c’est pour la mise en bouche.

 

 

Le plat de résistance, c’est la plaidoirie du défenseur du sapeur devant le conseil de guerre, où Camember paraît pour insulte à supérieur. C’est l’avocat, qui s'appelle excellemment maître Bafouillet, qui parle : « Messieurs, comme l’a fort bien dit Bossuet, notre maître à tous, il n’est si petit ruisseau qui ne finisse par porter ombrage.

 

 

« Si l’on en croyait l’acte d’accusation qui, de son doigt sévère, nous a plongé sur ce banc d’infamie, messieurs, nous aurions frappé le major Mauve dans l’exercice de ses fonctions… Or, dussé-je faire rougir vos cheveux blancs, ce n’est pas à cet endroit-là que nous avons atteint l’honorable docteur.

 

 

« Alors, messieurs, jetons un voile sur les batailles d’Austerlitz et de Marengo ! Songez à son pauvre père, à ce vieillard octogénaire qui a déjà un pied dans la tombe et qui, de l’autre, a toujours marché dans le sentier de la vertu !

 

 

« Ce n’est pas, messieurs les membres du Conseil, à de vieux singes comme vous et moi qu’on apprend à faire des grimaces et, qu’il le veuille ou non, je vois bien d’ici l’œil du commissaire du gouvernement qui m’écoute et qui rit.

 

 

« La vie, hélas, n’est qu’un tissu de coups de poignard qu’il faut savoir boire goutte à goutte ; et, je le dis hautement, pour moi, le coupable est innocent ! »

 

 

Ceux qui ont quelque lumière au sujet des aventures de Spirou et Fantasio connaissent évidemment le Maire de Champignac, « un orateur de toute première force » (c'est dans Le Prisonnier du Bouddah), qui prononce des discours marqués du sceau de l’éloquence de maître Bafouillet. Je leur ferai un sort prochainement, car ils valent leur pesant de cacahuètes. A la suite de cette émouvante plaidoirie, Camember est acquitté. Voilà un échantillon de ce que sont Les Facéties du sapeur Camember (éditions Armand Colin).

 

 

Il faut que je vous présente le personnage plus en détail. C’est de la BANDE DESSINEE. L'art est mineur, j'en conviens, mais il forme une des briques qui, de guingois ou à bon droit, ont servi à l'dification physique et mentale de mon pauvre individu. François Baptiste Ephraïm CAMEMBER, fils d’Anatole Camember et de Polymnie Cancoyotte,  est né à Gleux les Lure, département de Saône Supérieure, le 29 février 1844. Sa vocation : ne rien faire.

 

 

C’est la raison pour laquelle il se trouvera bien dans l’armée française, comme « sapeur ». Je signale qu’en l’honneur du Sapeur Camember et de cette date de naissance, un journal a été fondé en 1980, qui paraît tous les 29 février : La Bougie du Sapeur. Le numéro 8 devrait donc paraître le 29 février 2012. Restez aux aguets, c’est pour très bientôt.

 

 

Le vrai, et facétieux, père du « Sapeur Camember » s’appelle GEORGES COLOMB qui, pour cette raison prendra le nom de plume de CHRISTOPHE. Il a laissé quatre chefs d’œuvre, dont je n’évoquerai ici que Les Facéties du Sapeur Camember (1896), sachant tout de même qu’il est vital pour la santé mentale et physique de ne rien ignorer de l’anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle, immortelle invention du savant Cosinus, mais aussi de tout savoir de la famille Fenouillard et de Plick et Plock.

 

 

Camember a du bon sens, et du gros. Ainsi, lorsque Cancrelat, qui doit scier le bois du Colonel et se désespère car le tas est vraiment très haut, il le réconforte : « Cancrelat, lui dit-il, tu m’affliges : tu n’as qu’à commencer par un bout, et quand t’arriveras à l’autre, tu seras tout épaté d’avoir fini ».

 

 

Et lorsque le pauvre est arrivé à la moitié, et se plaint que c’est vraiment très long : « S’pèce de moule ! C’est par l’aut’bout qu’il fallait commencer, parce qu’à présent qu’il n’y a plus rien de ce bout ici, il n’te resterait plus rien à faire ». IMPARABLE.

 

 

Une autre fois, le sergent Bitur (ça vaut l’adjudant Kronenbourg de CABU), qui a beaucoup moins de bon sens que Camember, lui « imprime » l’ordre de creuser un trou pour y cacher des ordures. Le sapeur, une fois la mission accomplie, se demande où il va fourrer la terre extraite du trou. Bitur : « Que vous êtes donc plus herméfitiquement bouché qu’une bouteille de limonade ! Creusez un autre trou ! ». Deuxième engueulade : « M’ferez quatre jours pour n’avoir pas creusé le deuxième trou assez grand pour pouvoir y mettre sa terre avec celle du premier ».

 

 

 

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Camember a aussi l’art du compliment délicat. Un peintre a fait le portrait de la colonelle. Le sapeur se croit obligé de corriger « mam’selle Victoire » (servante alsacienne, c’est important de le préciser) qui vient d’émettre un jugement désobligeant sur la peinture, que la Colonelle a entendu : « C’est p’têtre vrai que ce n’est pas joli, joli… Mais avouez que c’est rudement ressemblant ! ».

 

 

Mam’selle Victoire a donc un accent alsacien à couper au couteau. Attention, je n'ai rien contre les Alsciens, mais je suis tout contre les Alsaciennes, ça plaisante pas. Elle appelle Camember « Mossieu Gamempre ». Un jour, à Camember qui cherche son Colonel : « Foui ! Mossieu Gamempre, ché fiens té lé foir… tans son gabinet… il é…grivé ». Persuadé que son cher colonel est mort, il court ameuter la caserne. Après vérification, le Colonel est bien vivant, et fait venir Victoire : « Ch’ai pas tit : "le golonel il est grévé", ch’ai tit : "Le golonel il égrivé… afec une blume quoi !" ».

 

 

Quelle chance vous avez, bande de petits veinards qui ne connaissiez pas Camember, vous allez vous régaler ! Vous découvrirez qu’il sait à l’occasion se comporter en véritable héros militaire, qu’il sauve son Colonel, qui le décore, si c’est pas une preuve, ça. Cancrelat, nommé capitaine des pompiers, « a eu le premier l’idée géniale qui consiste à essayer les pompes la veille de chaque incendie ».

 

 

Camember épouse Victoire qui, à la dernière image, lui a déjà donné huit garçons, pas tout à fait « l’effectif d’une escouade sur pied de guerre ». Peinture ironique et débonnaire d’une vie de caserne désormais disparue.

 

 

On peut considérer GEORGES COLOMB alias CHRISTOPHE comme un ancêtre français de la BANDE DESSINEE, de même que la Suisse a donné à celle-ci RODOLPHE TÖPFFER  (né en 1799) (Les Amours de M. Vieuxbois), l’Allemagne WILHELM BUSCH (les infernaux Max et Moritz), et l’Amérique RICHARD OUTCAULT (Yellow Kid, où apparaît la première bulle en 1896). Total respect !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NOTE A BENNE : A propos de Camember, je signale aux curieux une facétie de MARCEL PROUST dans Du Côté de chez Swann. Au cours d'une soirée très mondaine chez madame de Saint-Euverte, Swann et la princesse des Laumes disent du mal de madame de Cambremer (ex-Mlle Legrandin) : « Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant. - Il ne commence pas mieux, répondit Swann. - En effet cette double abréviation ! ... - C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé aller jusqu'au bout du premier mot. - Mais puisqu'il ne pouvait s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait de finir le premier pour en finir une bonne fois ». Qu'en termes élégants ces vacheries sont dites !

 

 

 

mardi, 22 novembre 2011

DITHYRAMBE AU CACA DE CHIEN

MERCI ET BRAVO A TOUS LES CHIENS ! 

 

Je voudrais me tourner aujourd’hui vers nos frères inférieurs, ces compagnons de nos veilles les plus studieuses comme de nos échappées les plus folâtres, de nos humeurs les plus dyspeptiques comme de nos instants de déréliction les plus pathétiques. Je voudrais m’adresser à eux pour les remercier. 

 

Merci à vous, mes frères inférieurs. Je vous rends grâce. Vous avez accepté de quitter les champs fertiles et les verts pâturages au cours d’un exode rural que nulle autre espèce que la vôtre n’a jamais eue à subir, pour vous enfermer dans des appartements de vingt-cinq mètres carrés avec des individus drôlement moins drôles que les rats des champs, et avec des mollets qu’il vous est interdit de caresser avec les dents quand l’envie vous en prend. 

 

Merci à vous, en particulier, d’avoir gardé de vos campagnes ancestrales la saine et sainte habitude de parsemer les champs de nos trottoirs de vos superbes fleurs d’anus, qui ouvrent leurs corolles généreuses aux semelles de nos chaussures, heureuses de transporter jusque sur nos moquettes épaisses et claires quelques pétales de vos bouquets aux mille senteurs. 

 

Merci aussi à vous, les maîtres de si charmantes créatures, qui n’hésitez pas à partager avec tous les inconnus que vous croisez la si délicate attention qui sort du derrière de vos compagnons à quatre pattes. Je n’hésite pas, en chantant vos louanges, à vous comparer à ces sublimes donateurs de tableaux d’église, tels les glorieux chancelier Rolin,  chanoine van der Paele et Chartreux, dont nous avons conservé les traits par la magie des pinceaux de Jan Van Eyck, dans ses célébrations de la Vierge. 

 

Oui, merci à vous, ô donateurs : vos chiens sont les pinceaux vivants de votre art éternel. Pour être parfaitement exact, je devrais dire qu’ils sont les tubes que l’on presse pour en faire sortir la couleur. Quant aux  trottoirs, ils sont les palettes de votre inépuisable inspiration esthétique, en même temps que la toile qui s’offre à vos élans créateurs. Fidèles, passant et repassant inlassablement chaque jour, renouvelant et mélangeant avec subtilité et audace les pâtes colorées, vous faites apparaître à nos yeux émerveillés des paysages aux tons enchanteurs sortis des culs canins que vous entretenez avec amour. 

 

Ici, cette pincée d’un bistre si subtil, presque éthéré, offerte par la bouche arrière de quelque pékinois pincé et hautain, retrouve, on ne sait comment, la simplicité primitive de ses ancêtres frustes, dont l’esprit jamais ne fut effleuré par l’idée de s’arracher à sa glèbe originaire, à laquelle est intimement attachée la botte paysanne, et dans laquelle elle se ressource à tout moment. 

 

Alors, et alors seulement, la botte citadine se ressouvient de ses racines et pousse, au moment d’écraser l’offrande qui lui est destinée, un profond soupir d’indicible contentement : « Rhââ lovely ! ». 

 

Là, ce monticule de rouge profond, d’un caroténoïde triomphant, voire insolent, tout droit sorti de l’orifice arrogant et puissant d’un dogue allemand de superbe embonpoint, dessine l’ocre éclatant de la falaise des ailleurs qui nous appellent aux éternels voyages, en des incantations mystérieuses et ensorcelantes. 

 

Son « parfum exotique », « qui circule dans l’air et m’enfle la narine » et qui n’est pas sans rappeler (de loin, si possible) celui « des verts tamariniers » (Baudelaire), insuffle sa force au passant trop timide, à la passante apeurée, à l’enfant impressionné, au vieillard effarouché. 

 

Heureux celui qui là, venant aux heures tardives, va prendre des deux pieds assez de souvenirs pour toute une longue soirée d’analyse de l’oeuvre. On l’entendra longtemps, dans la nuit magnétique, manifester son enthousiasme et entonner son cantique d’action de grâce et de bonheur : « Rhââ lovely ! ». 

 

Et quelle extase enfin, quand deux ministres canins, pour le moins plénipotentiaires, croisant à l’improviste leurs humeurs colorectales aux nuances irisées, extraites en grande pompe et en couches alternées de leurs trappes aux immondices, marient la sobriété d’un coloris chatoyant de chocolat au lait aux pressentiments sombres d’un chocolat noir digne d’Hamlet. Vous l'entendez jouir, le spectre d'Hamlet ? Oui ! On entend distinctement : « Rhââ lovely ! ». 

 

Merci à tous les chiens ! Merci à tous leurs maîtres ! Sur cette école d’art appliqué à ciel ouvert, l’humble peintre contemporain prendra modèle, que dis-je, prend d’ores et déjà modèle, et depuis quelque temps, comme on le constate dans la plupart des galeries et musées d’art assez modernes pour flairer, c’est le cas de le dire, les tendances à la mode. 

 

C’est fou ce que l’humble peintre contemporain s’inspire de ses professeurs à quatre pattes pour obturer le vide inspiratoire de la toile blanche tendue sur son cadre, comme un trou à plâtrer. Je propose cette idée à tous les ANDY WARHOL qui s’efforcent de percer, parmi la meute de loups affamés qui peuplent le milieu impitoyable qu’on appelle art contemporain. A condition qu’ils s’efforcent d’acquérir la technique du métier par une discipline appropriée. Reprenons. 

 

On commence par un cours sur l’étalement des matières, selon les deux étapes didactiques désormais bien connues : ouverture commandée du sphincter troufignesque, pour la partie « production », puis étalement proprement dit, pour la partie « mise en forme ». 

 

Cette dernière étape, assez convenue dans son déroulement méthodologique, revêt une infinité d’aspects qui dépendent d’un grand nombre de facteurs, dont j’indique ici les principaux : poids de la personne, longueur et largeur des  semelles, parties de celles-ci qui « entre en contact » avec la matière, sexe de la chaussure. 

 

A cet égard, on ne saurait sous-estimer les possibilités d’exploitation qu’offrent les différences entre, mettons, pour aller vite, le haut escarpin à la Marlène Dietrich ou le léger « trotteur » des dames, d’une part, et d’autre part, les brodequins, mocassins et autres pataugas arborés par les messieurs. Une mention spéciale (et une pensée apitoyée) pour les amateurs, en été, de marche en « tongs », bien que lui, de toute façon, soit obligé de se laver les pieds avant de se mettre au lit. 

 

Pour les cours de couleurs, on n’épiloguera pas, et l’on renverra le lecteur au Vincent Van Gogh des Mangeurs de pommes de terre, au Jean Dubuffet de Paysage blond. L’explication en est simple : la palette du chien, en peinture, ce n’est pas l’arc-en-ciel, loin de là. Elle se limite malheureusement à l’insuffisante variété de son alimentation. Il est excessivement rare et difficile d’obtenir un beau bleu soutenu. Le vert manque de netteté. Quant au jaune, il va souvent de pair avec une liquidité extrême de la matière, très difficile à manier, par définition. 

 

Quoi qu’il en soit, je tenais à rendre cet hommage à la gent canine, si souvent et si injustement décriée par tant de renfrognés, tant de vieux béotiens bougons et de malappris sans culture, sans aucun goût pour les œuvres esthétiques, non seulement assez égoïstes pour se passer de talents picturaux incomparables, mais encore assez outrecuidants pour dénigrer les travaux de recherche désintéressée d’artistes à quatre pattes, uniquement soucieux d’apporter gratuitement un peu de beauté dans l’univers désincarné de nos villes de pierre. 

 

Voilà ce que je dis, moi.