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lundi, 20 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : CHARLIE MENSUEL

 Je parlais de la page 1 de la revue Charlie mensuel, celle où se trouve le sommaire de chaque numéro.

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Gag rigolo (le gars photographié derrière son trépied demande à la statue de prendre différentes poses pour la photo) signé "Le grand Guedin's studio" (N° 70 : Dingues studio ?). Le témoin a fini par renoncer.

Cette page du sommaire, qui n’est a priori pas faite pour être regardée en elle-même, s’orne en effet d’un dessin (rarement une photo) presque toujours réalisé pour les besoins de la cause (il y a des exceptions : Herriman, Dubout, gravure ancienne, …), autrement dit un dessin où la place du sommaire proprement dit est prévue et ménagée. 

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Remarquable dessin d'un nommé Monimoto (N° 92).

On y voit toute sorte de styles, d’imaginations. Ce sont parfois des dessins un peu bâclés, comme si Wolinski avait demandé ce service dans l’urgence à un copain.

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Celui qui donne ces dessins formidables (N° 108) signe Michelangeli.

Parfois, ce sont au contraire des pages très travaillées, presque comme des œuvres à part entière. Le défi, quoi qu’il en soit, est celui que relève constamment tout maquettiste de presse : la liberté règne, quoiqu'avec une contrainte précise, ce qui donne des pages tantôt très aérées (N° 51, un Japonais), tantôt surchargées jusqu'à l'étouffement (N° 60, Carali, je crois, bien qu’il signe Bill). Le tout étant de placer, bien lisible, le programme des réjouissances. Le menu du jour, si vous voulez. On est en plein dans l'art baroque : la déco plutôt que la structure. La volute, plutôt que l'architecture.

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Là, c'est le grand Golo (N° 122) des loubards : dessin un peu "sale", bourré de sons et d'onomatopées, qui privilégie l'expressivité.

On trouve des habitués : Willem, qui vous torche en moins de deux sa planche aux cases minuscule, Guitton, l’échappé d’Actuel, éternel baba cool, Nicoulaud, qui dépannait sans doute Wolinski quand il n'y avait personne, Cathy Millet.

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Ce dessin est signé Mériaux (N° 141). Je le trouve intéressant, quoique décoratif.

Pour cette dernière, je me demande si c’est la même que la directrice de la revue Art press. Si c’est elle, elle a aussi pondu La Vie sexuelle de Catherine M., cet éloge de la partouze qui donne autant envie de faire l’amour que les poissons d’Ordralfabétix donnent envie de les manger. 

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Ils ont baisé. Je ne suis pas "psy", mais il ne m'étonnerait pas que la femme, à commencer par son sexe, suscite quelque inquiétude chez le Alain (N° 148) qui signe cette planchette.

On trouve aussi, parmi les dessinateurs du sommaire, de parfaits inconnus, des signatures illisibles et même des anonymes. On regrette parfois beaucoup de ne pas savoir qui est là (le joli gag du N° 115, ci-dessous).

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J'aimerais bien savoir à qui on doit ce pot de fleurs qui rate sa cible, et cette page au dessin très léché. Ça ressemble un peu à Honoré, mort lui aussi le 7 janvier 2015.

J’ignore qui est Omez (N° 43). Et puis apparaissent ici et là des noms connus : Barbe (N° 54, voir ici le 15 juillet), Joost Swarte (N° 63, 82) ; Copi (N° 78) ; Veyron (N° 126). Bref, tout se passe comme si Wolinski, l’ordonnateur, se demandait à chaque fois comment il pourrait bien remplir sa page 1.

Ce Charlie-là, sauf erreur, s'est éteint au numéro 152 (septembre 1981, il n'a pas supporté longtemps l'élection de Mitterrand). Georges Dargaud a bien tenté une résurrection en avril 1982, avec Mandryka en "Rédac-chef", mais le cœur (ou l'esprit) n'y était plus.

Wolinski est mort le 7 janvier, à côté de Cabu, Maris et les autres. Une preuve que ce qui reste d'un homme, quand il n'est plus là, c'est bien ce qu'il a fait.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 10 juillet 2015

ROLAND TOPOR : PHOTOMATON

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ROLAND TOPOR : PHOTOMATON

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Voir présentation au 8 juillet.

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mercredi, 08 juillet 2015

ROLAND TOPOR : PHOTOMATON

Parmi les multiples façons dont s’est manifesté le génie singulier de Roland Topor, il en est une, mineure si l’on veut, en tout cas méconnue (sauf erreur de ma part) : la série qu’il avait intitulée « Photomaton », juste parce qu’il avait besoin, pour la réaliser, d’une de ces cabines qu’on trouve dans les gares. 

Ou plutôt qu’on trouvait : l’artiste opérait du temps où, pour se faire tirer la bobine, il fallait attendre que la machine ait déroulé les quatre flashes de rigueur. Ensuite, on montait une garde vigilante, quoique paradoxale, devant le trou de sortie des photos, pour interdire à qui que ce fût de jeter un œil sur le résultat, alors même que tout le monde pouvait voir en direct l'original de la personne portraiturée. 

Bien des gens ont tiré de la machine des instants d’amusement, parfois désopilants. On est sans doute nombreux à s’y être donné du bon temps, avec la copine, ou bien entre copains, en bande, je devrais dire « en tas ». C’était bien avant la rage du « selfie ». 

Topor, lui, s’est ingénié à construire de courtes historiettes en quatre moments, correspondant aux quatre photos prises par la machine. Le principe est directement emprunté à la technique du découpage telle qu’on la pratique dans la bande dessinée. Ou plutôt comme ce que les Américains appelaient « comic strips » (devenu « comix » par apocope), ces bandes de quatre (ou un peu plus) images quotidiennes qu'on trouvait dans les journaux.

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La série Photomaton, publiée en son temps par Charlie mensuel, montre la capacité de son esprit à se plier à la contrainte formelle pour manifester à sa façon son goût de l’absurde, du cocasse et du facétieux. Il faut l’avoir vu, sur un plateau de télévision réunissant des gens très sérieux, se mettre à quatre pattes et faire le tour du studio en poussant des cris de cochon. Rien de tel ici. 

Appelons cela plutôt des gags : l’histoire vaut par son quatrième et dernier moment, qui se doit d’être spirituel, comme le « concetto » d’un sonnet italien. La série « Photomaton » est inégale, évidemment, ni plus ni moins que toute série. Topor a cependant laissé là quelques bijoux d’humour. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 05 juillet 2015

CABU ET L'EDUCATION SEXUELLE

A propos de la Grèce, on peut écouter l'entretien qu'Arnaud Leparmentier a eu avec Thomas Piketty, qu'on trouve sur lemonde.fr. 

Et ICI (durée 25'35", - augmentée de la publicité très niaise, mais ceci est un pléonasme, même s'agissant des pubs les plus subtiles ou les plus tordues).

Bien que Leparmentier soit horripilant, à sans arrêt couper la parole à l'invité. Tous ces gens qui veulent montrer qui est le chef sont pathétiques.

Piketty se livre à une démonstration éclatante de l'aveuglement dogmatique des institutions économiques (FMI), des institutions financières et des institutions politiques européennes à commencer par l'éléphant Merkel dans le magasin de porcelaine. 

Et Piketty fait des propositions qui ont au moins l'apparence du bon sens. Comme il le dit, les responsables européens, en même temps qu'ils incarnent un massif déni de démocratie, sont des apprentis sorciers, qui prennent le risque de faire couler tout le navire européen.

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On trouve cette planche dans Charlie mensuel, avril 1975.

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Deux filles qui se papouillent le museau, une religieuse "enseignant" les choses du sexe : une synthèse de l'époque, en quelque sorte.

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On sent combien toute la délicieuse poésie lyrique et les élans mystiques du sentiment amoureux jaillissent du cours d'éducation sexuelle. Vous aurez noté la goutte à la lippe inférieure de Catherine.

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samedi, 20 juin 2015

JE PENSE À CABU

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Je donne ici quelques illustrations tirées de cette revue imprimée en 1975 (elle coûtait 12 francs, je l’ai vue à 19 € sur un site de livres d’occasion). On y apprend par exemple la raison de l'antimilitarisme viscéral de Cabu (il a quand même passé 27 mois en Algérie, de quoi expliquer). 

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On y voit un Reiser gentiment moqueur de ce grand dadais de Duduche qui éprouve éternellement des sentiments pour la fille du proviseur (mais qui plonge l’œil dans son décolleté (bien qu'elle soit en « col Claudine » !) sur le dessin de couverture, voir ci-dessus). 

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On y retrouve aussi et surtout l'énorme canular que Cabu avait monté avec une bande de potes dans sa ville natale de Châlons-sur-Marne, à l’occasion de « l’épreuve sportive la plus bête du monde » (Strasbourg-Paris à la marche), qui passait par là chaque année au mois de juin. C'était en 1959.

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La fine équipe, tous déguisés, se pointe dans les rues deux heures avant le premier marcheur, « à l’heure de la sortie de la messe ». Ils font même une caravane publicitaire ornée d’affiches « prêtées par une copine pharmacienne » (dragées Fuca, maigrir). Cabu est à vélo. Le N° du dossard de Gros Schmitt (ODÉ-84-00, on est en 1959) est celui de l'horloge parlante.

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Le « marcheur », le « concurrent » s’appelle donc Gros-Schmitt (117 kg). On le fait passer pour Gilbert Roger, le champion de l’épreuve à l’époque. Je cite Cabu : « Régulièrement, Gros Schmitt s’effondre, et on le remonte avec un cric ! Les gens ne sont pas étonnés : pour eux, il a déjà fait 330 kilomètres … ». Cette histoire de cric !!! Les gens qui ne se doutent de rien !!! En plus, ils se font offrir le champagne en s'arrêtant devant un bistrot. Certains trouvent le champion plus gros que l'année précédente : « Oui, mais il a deux heures d'avance », répond quelqu'un.

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Le changement de trombine du bistrotier entre les deux dessins !...

Gros Schmitt demande « un bain de pieds à une petite vieille », si possible avec des pétales de roses trémières, ou a défaut du caca de chat, « si vous en avez ». Et Cabu conclut : « Ce jour-là, j’ai compris qu’on pouvait aller très loin pour mystifier les gens … ». 

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Un canular à connotation rabelaisienne : voir les farces pendables que Panurge fait subir aux Parisiens (le guet, par exemple) et aux Parisiennes (on trouve ça dans Pantagruel).

Mais on peut penser aussi aux énormes canulars imaginés par Jules Romains dans Les Copains, où un faux curé prononce en chaire un sermon gratiné qui heurte les chastes oreilles des paroissiennes, tout en leur suggérant des idées (Ambert), et où un faux Vercingétorix a pris la place de la statue (en étalant ses superbes attributs sur le bronze du cheval), puis bombarde les officiels et la population d'injures et de légumes (Issoire).

Merci, Cabu, de nous avoir fait partager de pareils moments. 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 03 juin 2015

UN COUP DE CHAPEAU

Aujourd’hui, cessons un moment de « faire suer le burn-out ». Offrons-nous un moment de détente, avec Aristide Bruant. (cliquez pour entendre). Je trouve cette chanson délicieusement cynique.BRUANT JAUNE.jpg

 

1.

Hier, c'était l'enterrement
De ma pauvre belle-maman.
Un' femm' qu'avait tout's les vertus;
Hélas, nous ne la reverrons plus !
Comm' ell' avait plus d'soixant' ans,
On attendait ça d'puis longtemps;
L'matin, on est v'nu la chercher
Et puis en rout', fouette cocher !…
Le vent soufflait je ne sais d'où,
Trou la la itou (bis);
Le soleil dorait l'horizon
Et zon, zon, zon.
Nous marchions d'un air décidé,
Gai, gai, gai la rira don dé
Et nous marchions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

2.
BRUANT FOU.jpgPrès de moi dans les premiers rangs
S'avançaient les proches parents;
Sous la douleur se laissant choir
Et pleurant tous dans leurs mouchoirs.
Soudain, l'un d'eux s'approche de moi
Et me dit d'un ton plein d'émoi :
« Vraiment, du ciel nous sommes maudits ! »
Tout en pleurant, j'lui répondis :
« Oui, monsieur, je suis comme un fou.
Trou la la itou (bis);
Ça fait un vide à la maison
Et zon, zon, zon.
De pleurs je suis tout inondé,
Gai, gai, gai la rira don dé. »
Et nous pleurions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

3.BRUANT ZIZI.jpg
Il commençait à se faire tard
Quand t'nous arrivâmes à Clamart
Nous entrions quéque temps après
Dans un jardin planté de cyprès.
Les hommes pleuraient en sanglotant,
Les femmes sanglotaient en pleurant.
Gendres, neveux, cousins, p'tits-fils
Entonnaient le De Profondis.
Comme on la descendait dans le
Trou la la itou (bis);
Chacun disait une oraison
Et zon, zon, zon.
En criant comme un possédé,
Gai, gai, gai la rira don dé;
Et nous chantions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

BRUANT DES ROSEAUX.jpg4.
A la sortie, v'là qu'les parents
Prennent d'assaut les restaurants,
Pour se consoler un p'tit brin,
On fit v'nir cinquant' litr's de vin.
Quand t'les cinquant'litres fur'nt bus,
On en fit rev'nir encore plus.
Si bien qu'au moment d'se quitter,
I y avait pus moyen d's'acquitter.
Tout le monde avait bu comme un
Trou la la itou (bis);
On avait son petit pompon
Et zon, zon, zon.
Quand t'votr' crampon s'ra décédé,
Gai, gai, gai la rira don dé;
Faudra l'enterrer comm' ça,
Larifla, fla, fla.

 

Note : Tous les zoziaux appartiennent évidemment à la famille, plus nombreuse qu'on ne croit, des « bruants » : « jaune », « fou », « zizi » et « des roseaux ». Et en prime, le sapeur Camember est heureux de vous chanter sa romance : « Petits voiseaux ».

PETITS VOIZEAUX.jpg

 

mardi, 14 avril 2015

ENNEMIS PUBLICS 1 (MH et BH)

Oui, je vais de nouveau parler de Michel Houellebecq. Mais pas que. Vous êtes prévenus. 

1/4 

2008 ENNEMIS PUBLICS.jpgJe m’étais pourtant juré que jamais je n’ouvrirais un livre sur la couverture duquel figure le nom honni d’un histrion qui se fait passer, successivement ou en même temps, pour philosophe, cinéaste, homme d’action, journaliste et autres métiers menant autant que possible jusqu’aux plateaux de télévision. J’allais oublier qu’il s’est couvert de gloire en Libye, dont on peut croire qu’il est un peu à l’origine du chaos qui y règne aujourd’hui. Je veux parler de monsieur Bernard-Henri Lévy. 

Ce monsieur, j’applaudissais à chaque fois qu’on le voyait couvert de la crème de la tarte (cliquer pour 1'22") dont l’orna à plusieurs reprisesBHL 1 ENTARTE.jpg Noël Godin, alias « l’entarteur », alias « Le Gloupier » (l’onomatopée « gloup », je suppose, érigée en identité), dont une mémorable en 1985 (ou 1986 ou 1988, ça dépend des sources), scène où le masque du philosophe tombe pour montrer la violence du personnage quand on ose porter atteinte à sa majesté, immortalisée dans une séquence que Desproges se fait ensuite un plaisir de commenter pour Michel Denisot. Ci-contre dans un "Salon du livre", sauf erreur.

J’ai également savouré à sa juste valeur virtuelle la présence virtuelle d’un BHL virtuel sur le plateau virtuel de l’émission virtuelle d’Henri Chapier « Les Grands Cerveaux de l’Histoire » : cette séquence croquignolette, qui finit très mal pour l’histrion aux chemises blanches amidonnées, figure dans une remarquable bande dessinée de Chanoinat, Georges Lautner et Castaza. Le père des Tontons flingueurs s’est mis de la partie pour apposer sur le logo de l’entreprise son label de loufoquerie foutraque et de cruauté joyeuse. 

Au cours de l’émission, Henri Vidal-(Chapier), énamouré, interroge béatement son grand homme, Bernard Jacques-(Lévy), qui lui répond toujours avec la certitude de celui que le moindre doute au sujet de sa valeur n’effleure strictement jamais. Malheureusement, quand l’émission prend fin, le grand homme prend sur le crâne un élément du décor du plateau : un énorme cerveau en plâtre. Il est écrabouillé. Quelqu’un conclut avec bon sens : « Les mauvaises langues diront qu’il est mort par là où il a péché ». Le titre de cette BD ? On achève bien les cons (2004, comme quoi la BD est impuissante sur le réel, sinon) ! BD réjouissante, comme on voit. Malgré tout. 

CASTAZA BHL 2.jpg

S’il n’y avait eu sur la couverture du livre que le nom de Bernard-Henri Lévy, j’aurais fait comme pour toutes ses autres publications : je l’aurais laissé, bien fermé, reposer en paix sur l’étal du libraire, éternellement. Mais voilà, au-dessus de ce nom figurait celui de Michel Houellebecq. Le livre date de 2008. Son titre : Ennemis publics (Flammarion / Grasset). 

Je ne me suis quand même pas précipité : j’ai attendu, pour l’ouvrir, qu’un ami me le prête. Mais, surprise, j’ai été assez intéressé pour faire la dépense : j’aime bien dans ces cas-là griffonner ce qui me vient à la lecture et souligner ceci ou cela, ce que je me serais interdit dans un livre non mien. 

Ennemis publics résulte d’un pari étrange : le projet de publication d’un livre contenant la correspondance que les auteurs ne se mettent à échanger que parce qu’ils savent qu’elle sera publiée. Ce livre, s'il n'est pas artificiel (y a-t-il des livres naturels ?), est donc le produit d'un artefact (d'où ma réticence, d'ailleurs).  Le statut des interlocuteurs s’en trouve évidemment modifié : chacun des deux écrit des lettres à l’autre, certes, mais forcément avec, à l’horizon, le futur public des lecteurs. C’est sûr : les compères ne perdent jamais de vue cette perspective. Le contenu de ce qu’ils écrivent s’en ressent. 

Je vous dis tout de suite ce qu’il en est : Michel Houellebecq ressort de la confrontation moins sympathique que je n’aurais souhaité, alors que Bernard-Henry Lévy en ressort moins antipathique que je n’aurais voulu. Un tout petit peu moins : n’exagérons pas. C’est que, entre la décision prise d’entreprendre ce travail commun (dans un restaurant, si j’ai bien compris) et la publication du livre, six mois se seront écoulés, vingt-huit lettres auront été échangées au total : le temps d’aller un peu au-delà de la question « Bonjour, ça va ? » qu’on pose sans attendre de réponse, surtout mauvaise. 

On ne s’engage pas dans un tel travail sans que les idées qu’on avait au départ se complexifient tant soit peu en cours de route. En se complexifiant, elles prennent des nuances qu’on n’envisageait pas au préalable. Le contraste violent du noir et du blanc sur la photo s’atténue et se charge de dégradés de gris qu’on n’apercevait pas en restant à distance.

J’imagine que c’est une sorte de règle du jeu : deux personnages publics pratiquent ici une mise en scène de soi. Mais on verra que la tonalité de l’un n’a rien à voir avec la tonalité de l’autre, même s’ils affirment essayer d’établir des passerelles : l’impression dominante, au sortir du livre, reste celui d’une distorsion. Une distorsion peut-être existentielle. Peut-être aussi due au caractère artificiel de toute la démarche.

Ce qui les sépare n'est jamais dit, c'est un signe. Il y a du mondain (du parisien ?) là-dessous. Du consentement. Peut-être de la connivence.

Voilà ce que je dis, moi. 

mardi, 10 mars 2015

A BAS LES STEREOTYPES !

Il est urgent d’en finir avec les stéréotypes.

 

Les journaux dénoncent à longueur de pages cette ignoble verrue qui transforme le nez si typique de la République en ignoble appendice tuberculeux, avec laquelle on proclame en très haut lieu (François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem et consort) que l'on va s'empresser d'en finir par les moyens les plus expéditifs. Il était temps.

 

On apprend, à la veille de Noël dernier (Le Monde daté 19 décembre 2014), que « la délégation aux droits des femmes du Sénat dénonce les jouets stéréotypés ». Et tout le monde (enfin presque) est d’accord pour appeler à la libération de l’infernal carcan qui enserre l’existence des femmes, des hommes et des animaux (« Les animaux sont des êtres humains comme les autres », disait la déjà défunte Brigitte Bardot) dans les hideux « stéréotypes sexués ». Plus personne (enfin presque) ne veut s’entendre rebattre les oreilles avec des petits garçons qui seraient faits pour les petites voitures et des petites filles pour les petites poupées.

FEMINISME 19 12 2014.jpg

Le Monde, 19 décembre 2014.

Elles ont raison : il faut dénoncer.

On ne dénonce jamais assez : c'est un principe.

 

Il faut en finir une fois pour toutes – pour en finir une fois pour toutes avec la « domination masculine » (Pierre Bourdieu) – avec les stéréotypes de « genre », si possible dès la Maternelle, en inculquant dans les jeunes cerveaux le principe sacro-saint de l’égalité entre les garçons et les filles, par exemple au moyen d’un ABCD qui les prédisposera à admettre que les premiers ne sont pas supérieurs aux secondes (ce dont personne ne doute), et convaincra les secondes de ne pas se laisser faire (ce qui s'observe depuis quelques siècles). Grâce à Dieu, à la statistique et à la sociologie progressiste, la société remédie heureusement à cette maladie.

 

À la limite, ils pourront choisir leur sexe tout à fait librement, une fois arrivés à maturité (c'est bien connu : un destin cruel pesait jusqu'à présent sur les individus en les assignant à un rôle sexuel fondé sur la seule présence arbitraire entre leurs cuisses, à leur naissance, d'un petit cylindre de chair flasque ou d'une fente ouverte sur on ne sait quelles profondeurs obscures).

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Don Quichotte, au secours !

Il y a encore des moulins à vent à combattre !

Ah bon ? On vous fait bouffer de la musique contemporaine au-delà du raisonnable pour vous faire entrer dans le crâne que l’extrême dissonance et les intervalles les plus inouïs constituent le fin du fin de la cuisine musicale qui se concocte dans les laboratoires de la modernité (ils appellent ça, sans doute, la « mélodie » d’avant-garde, voir ici même du 24 février au 4 mars) ?

 

Eh bien de la même façon, on vous gavera, à longueur de médias, à profondeur de journée, à hauteur d'homme et à épaisseur d'esprit, de l’idée que la France se doit d’instaurer la parité intégrale des hommes et des femmes, dût-on pour y parvenir triturer en tout sens la carte électorale et révolutionner le mode de scrutin : si la société tarde ou résiste, le coup de force légal (juste un nouveau règlement administratif) y pourvoira. L'abolition des stéréotypes, tout comme celle des privilèges, un certain 4 août 1789, « sera le genre humain » : elle est d'ores et déjà sur la bonne voie. Même si, y compris parmi les abolitionnistes, semblent se manifester quelques résistances.

 

Rien de mieux en effet, pour se convaincre qu'il subsiste des obstacles à la disparition des stéréotypes sexués, que d’assister, le 8 mars (avant-hier), à la manifestation qui a eu lieu place Bellecour à Lyon, pour célébrer la journée internationale du droit des femmes, et qui prétendait illustrer brillamment, spectaculairement et fastueusement la fin des stéréotypes, comme on le constate ci-dessous.

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(Le Progrès, 9 mars 2015) 

 

C'est-y pas mignon ! Elles adhèrent toutes au PS ? Ou bien à la Manif pour tous ? Faudrait savoir.

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D'un côté, les femmes en rose !

 

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De l'autre, les hommes en bleu !

 

DRAGEES ROSES.jpgLes fabricants de dragées de baptême ont encore deDRAGEES BLEUES.jpg beaux jours devant eux ! C'est à la Manif pour tous qu'on doit bien rigoler !

 

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 06 mars 2015

NATURE MORTE

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PANIER VIDE.JPG

C'est comme pour les lotions capillaires, les crèmes anti-rides et les régimes amaigrissants : il y a la photo "avant", et puis il y a la photo "après". Même si on ne sait jamais dans quel ordre elles ont été prises en réalité.

mercredi, 18 février 2015

QU'EST-CE QU'UN AEGAGROPILE ?

Cette chronique ne parlera de rien. Parce que je n’ai pas le temps de penser. On ne pense pas sans avoir du temps. A moins d’avoir l’esprit très vif. Comme le rat, ou les chansonniers. Et aussi le cheval d’Elberfeld qui calculait les racines carrées. Le rat, lui, démonte les engrenages quad ils l’empêchent d’arriver jusqu’au lard. Il flaire les pièges. Il a des moustaches qui le renseignent, très sensibles de l’extrémité. Les chansonniers, eux, n’en ont pas : ils ont l’habitude, qui compense. Mais l’homme moyen ne pense pas très vite ; il n’a ni moustache ni réflexe, sa pensée a besoin du temps. Et aussi d’un certain obstacle autour duquel elle s’agglomère, qu’elle essaie de digérer ; qui l’arrête, la provoque. Elle se forme comme les « moutons » sous le lit de la grand-mère dans une maison bourgeoise : de brimborions agglutinés ; de poussières venues d’un peu partout, dans un endroit inaccessible ; de temps qui passe et de balai qui ne passe pas.

 

Comme les moutons et les aegagropiles (j’aime bien parler des aegagropiles ; ils font chercher dans le dictionnaire et il n’y a pas de plus grande volupté ; on y prend un plaisir extrême) ; les aegagropiles se forment dans l’intestin des animaux qui se lèchent les poils : le chat, la chèvre, le cheval. Ces poils se collent dans l’intestin autour de quelque calcul ou de quelque grain de sable. Ils finissent par former des boules. Des concrétions brillantes. Parfois énormes, et le cheval en crève. Le philosophe aussi ; plus lentement : à force de se lécher les poils il forme des pensées énormes ; il en meurt ; mais plus tard d’autres les utilisent, on les retrouve dans le commerce ; on en joue au billard ; ses disciples en font en matière synthétique ; en plastique jaune ou en papier mâché ; qui ont autant de succès que ceux du maître.

 

Alexandre Vialatte,

Chroniques de La Montagne,

19 octobre 1965.

 

Mon ami Gilles m’avait montré, dans le temps, un de ces objets : bizarre, doux au toucher, léger, velu et apparemment indestructible tant il était dur. Cela sortait de l’estomac d’un veau, vous savez, un de ces animaux élevés en batterie, qui s’ennuient tellement qu’ils lèchent le voisin de leur langue râpeuse. La boule en question (il n’avait pas prononcé le mot « aegagropile »), faite de poils, de matières diverses et de sécrétion, avait l’aspect d’un galet assez rond, brunâtre, un peu aplati, d’une dimension capable de remplir une large main.

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Ça m’avait laissé pantois.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : le dictionnaire indique l'orthographe "égagropile".

 

dimanche, 15 février 2015

ÇA FAISAIT LONGTEMPS

De l'art et de l'élégance avec lesquels Alexandre Vialatte fait exploser les niaiseries qui planent avec autorité dans l'air du temps.

 

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J’aimerais apporter en étrennes, à tous les lecteurs de La Montagne, de nouvelles preuves de l’existence de Dieu et de plusieurs appartements vacants. Quels sont, en effet, les premiers besoins de l’homme ? Dieu et un appartement libre. Et d’ailleurs on ne peut pas trouver d’appartement si Dieu ne s’en mêle pas plus ou moins. L’inconfort gagne tous les jours. Nous ne vivons plus à la belle époque où le progrès n’avait pas encore supprimé les agréments, les commodités et jusqu’aux conditions de la vie. L’air de nos rues tue le rat, affaiblit le basset, et asphyxierait le sergent de ville si on ne le juchait sur des tours de bois blanc. L’eau de nos rivières empoisonne le poisson et nos mers salissent le baigneur. Nos solitudes sont envahies.

 

Nos oreilles assourdies, notre pain trafiqué, nos cigarettes cancérigènes, notre corps comprimé par la foule, nos rues bouchées par les autos, nos autos arrêtées par les autres autos, et nous cherchons vainement un toit. Si nous voulons en trouver un, il faut que la Providence s’en mêle.

 

Aussi devons-nous remercier deux fois Minou Drouet qui nous apporte de nouvelles preuves de l’existence d’une divinité qui est si nécessaire par elle-même et pour trouver un appartement. Elle en a eu la révélation en regardant Greta Garbo sur son écran de télévision.

 

« S’il n’y avait pas d’autres preuves de l’existence de Dieu, a-t-elle noté dans son journal intime, Greta Garbo suffirait à la prouver. » Et, en effet, on est saisi d’admiration comme devant une chose impossible, devant ces yeux qui ont fait tourner tant de têtes, ces pieds qui ont fait tant de kilomètres, ces mains qui ont gagné tant de millions, ce pouce qui s’oppose aux autres doigts comme chez l’homme et les grands singes, à l’exclusion de toute autre espèce de vertébrés, de sorte qu’ils peuvent prendre des chèques, allumer des cigarettes blondes, mettre du sucre dans une tasse et faire tout comme une grande personne ; ces poumons qui entretiennent l’oxygénation du sang ; ce cœur qui fonctionne sans moteur à la façon d’une pompe aspirante et foulante ; cet estomac qui digère le caviar, la truffe, le whisky, les cocktails, et tous les aliments d’une façon générale, par inspiration naturelle, sans que personne lui ait jamais appris ; ces membres inférieurs qui permettent à l’ensemble de progresser à la surface du sol sans le secours d’aucune mécanique, grâce à un ensemble de muscle, de nerfs et d’articulations si adroitement agencés qu’on en est comme dans le ravissement ; et cet équilibre du corps qui assure aux grandes actrices, aux caissiers, aux comptables, et même à l’homme, pour dire les choses en gros, la possibilité de marcher verticalement qu’on demanderait à la carpe, au mille-pattes ou au grabataire. C’est ainsi que Greta Garbo prouva Dieu à Minou Drouet par les merveilles de sa nature.

 

On se demande ce qu’eût dit Minou si elle avait vu l’éléphant. Et le tatou. Et les tatusiens. Qui mangent sans dents ! Et la grande tatusie. Et le gypaète barbu. Et tous ces animaux que Dieu créa en cachette pour échapper aux réflexions des grandes personnes. L’écrevisse, le homard ; et le grand singe à fesses bleues qui traverse l’Afrique en large en se rattrapant par la queue à la cime des palétuviers ! Et l’Auvergnat ! qui est moins agile, mais plus têtu. Et la mercière de rues pluvieuses ! qui vit de la vente d’un lacet brun tous les dix ans. Et Fantômas ! … Tout est merveille de la nature. (…)

 

Alexandre Vialatte,

 

Chroniques de La Montagne,

 

15 janvier 1967.

samedi, 14 février 2015

ÇA FAISAIT LONGTEMPS

Le temps qu’il fera cette semaine ne sera pas toujours celui qu’on attendrait. Meilleur qu’on ne pourrait le craindre, il sera souvent moins bon qu’on ne pourrait l’espérer. Le thermomètre descendra dans certaines sous-préfectures jusqu’à des chiffres qui flatteraient des villes beaucoup plus importantes, voire des capitales étrangères. Le savoir-vivre empêchera d’en tirer vanité. La calvitie étant envin vaincue, comme il appert de la lecture de la plupart des journaux du matin et du soit, les chauves auront gros intérêt à laisser repousser leurs cheveux pour éviter les sinusites ; ils s’attacheront à garder les pieds secs en utilisant des taxis, en mettant des snow-boots, ou même tout simplement, quand la distance n’est pas trop grande, en traversant la chaussée sur les mains.

Alexandre Vialatte,

Chroniques de La Montagne,

6 février 1962.

samedi, 07 février 2015

ÇA C’EST UN HOMME

Non, ce titre ne renvoie pas à Manuel Valls. Car lui, l'homme au menton en avant, sa spécialité, c’est de jeter des pavés. Je veux dire « dans la mare ». Prenez le dernier épouvantail qu’il a brandi sous le nez des Français dans l’espoir de faire croire, dans les quartiers défavorisés, qu’il pense à eux. Nuit et jour. « Apartheid », qu’il dit.

 

Manuel Valls n'est qu'un fauteur de guerre : c’est sûrement le mot qu’il fallait prononcer pour développer la haine des habitants de ces quartiers contre l’Etat français et le reste de la population. Et il fait d’une pierre deux coups, avec le message contenu dans cette petite bombe verbale que je décrypte ainsi : « Honte sur vous, Français, de pratiquer chez vous aujourd’hui ce système que vous avez dénoncé violemment avant-hier quand il sévissait en Afrique du Sud ».

 

L’emploi du mot apartheid, en plus de s’apparenter à la fois à l’effet d’une flamme sur un baril de poudre et à une entreprise de culpabilisation de masse des Français, relève tout simplement du mensonge. Je connais un seul pays au monde qui pratique l'apartheid, depuis la libération de Madiba (surnom de Nelson Mandela en Afrique du Sud) par Frederik de Klerk : c’est Israël, qui pratique impunément, au quotidien, la négation du peuple palestinien.

 

En France, parlez d’inégalités criantes, de déni de justice ou autres chefs d’accusation, tant que vous voulez, mais d’apartheid, il n’y a point, monsieur Valls. L’usage que vous avez fait du terme est proprement indigne (de même que le mot « ghetto », que son abus ressassé a vidé de son sens). Et le pire, c’est que vous l’avez utilisé dans une pure opération de com’.

 

Excellente illustration de ce que sont devenus le discours, le personnel et l’action politiques aujourd’hui en France : de la camelote publicitaire. Dont les "éléments de langage" ressemblent furieusement à des coups de klaxon. Concert d'avertisseurs sonores : un résumé de la vie politique en France. 

 

On pourrait à bon droit affubler Manuel Valls (avec ses collègues) du patronyme du célèbre OSS 117 : Bonnisseur de la Bath, un nom qui, traduit de l’argot, donne : « Vous nous la baillez belle, monsieur le premier sinistre ». Cette veulerie n’a rien à envier à celle d’un certain Nicolas S., de ministre mémoire (« Casse-toi pauvre…, Kärcher, les magistrats comme des boîtes de petits pois, etc. »).

 

Gageons qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de s'inspirer de l’attitude d’un homme qui mérite au superlatif le nom d'homme, et dont on ne parle pas assez. J’aime assez quelques livres de l’écrivain, sans toutefois les placer dans mon panthéon personnel. Mais ce que j’admire le plus, chez ce bonhomme, c’est son parcours, cahoteux et chaotique certes, mais noble dans la trajectoire. On y trouve une ascension de l'Everest, un passé de révolutionnaire, un passé d'ouvrier, une passion pour l'Ancien Testament, des livres, ... Il s’appelle Erri de Luca. C’est un Napolitain.

 

Je ne veux pas résumer sa vie : l’encyclopédie en ligne lui consacre une notice assez fournie. Juste évoquer les dernières péripéties en date de son existence. Quand on parle de Bure (déchets nucléaires), de Notre-Dame-des-Landes (aéroport), de Sivens (barrage), on a une idée du champ dans lequel elles se déroulent. On appelle ça les GPU (Grands Projets Inutiles).

 

Le GPU contre lequel s'est élevé Erri de Luca est à coup sûr le plus gros (prévision de 26 milliards d’euros d’argent public) : c’est le tunnel Lyon-Turin. Il a rejoint les contestataires du Val de Susa (côté italien) pour une raison précise, qui n’est pas la folie de la démesure du projet, qui pourtant se suffirait à elle-même.

 

La raison est scientifique et technique, et concerne la santé publique. Car ce que ne crient pas sur les toits les promoteurs du tunnel, c’est que la roche, côté italien, est composée, entre autres, de pechblende. Il faut savoir que c’est en analysant un fragment de pechblende que les Curie ont mérité le Nobel de chimie en 1903 : c’est de là que vient l’identification de quelques charmants éléments, comme polonium, radium, etc. Passons sur la poussière d’amiante crachée par les percements exploratoires. Pas besoin de longs discours : on a compris. Si l’on veut empoisonner le Val de Susa, et toute sa population avec, creusons !!

 

Le problème, c’est que la compagnie chargée du percement a eu connaissance de propos qu’Erri de Luca a tenus dans les médias : « Je reste persuadé que ce projet est une entreprise inutile et je continue à penser qu’il est juste de la saboter ». Plainte au pénal. Le procès se tient en ce moment à Turin, un tribunal qui ne rigole plus dès qu’il s’agit du tunnel.

 

En attendant son procès, Erri de Luca a pris le temps d’écrire un opuscule (La parole contraire). J’extrais quelques phrases : « Si j’avais employé le verbe "saboter" dans le sens de la dégradation matérielle, après l’avoir dit je serais allé le faire » ; « Si je suis déclaré coupable de mes paroles, je répéterai le même délit en criminel endurci et récidiviste ». Moi j’appelle ça avoir de la tenue.

 

Ça, c'est un homme ! Ça s'appelle se tenir debout ! Ça c'est de la dignité. Sans esbroufe. Des questions, monsieur Valls ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : l'idée de ce billet m'a été fournie par le petit article (Le Canard enchaîné, 4 février) de l'excellent Jean-Luc Porquet, qui n'a plus l'ami Cabu pour l'illustrer. Il n'a pas fini de me manquer, celui-là, nom de dieu.

 

lundi, 02 février 2015

OUI PAPA !

photographie,humour

Photo prise ces jours-ci quelque part en Nouvelle Zélande.

samedi, 24 janvier 2015

WILLEM, CHARLIE ET LES ECOLOGISTES

Je me refuse à parler de "liberté d'expression", de "provocation", de "blasphème", d' "offense à Mahomet", qui sont des formules toutes faites plus ou moins vidées de leur substance : je voudrais que tout le monde admette une fois pour toutes que chaque citoyen français

 

A LE DROIT DE SE MOQUER DE TOUT.

 

NULLE OPINION NE DOIT CONSTITUER UN DELIT. 

 

Et ce droit est sans limite : l'univers des mots n'a jamais fait et ne fera jamais couler le sang. Cessons de confondre le monde du langage (l'arbitraire du signe, Saussure, signifiant/signifié, tout ça) et le monde de la réalité matérielle (pour Saussure le "référent" : le signifié, disons, pour faire clair, le mot "chien" n'a jamais mordu aucun facteur).

 

Il est honteux d'assimiler quelque parole que ce soit (fût-ce l'incitation à la haine raciale) à un acte, fût-il "en puissance". Le vrai démocrate érige une muraille infranchissable entre, d'une part, le verbe, et d'autre part, la croyance au verbe. Entre la Lettre et l'Esprit de la Lettre. Le vrai démocrate met la Lettre à distance. Il la soumet à examen. 

 

Il est démocratiquement très inquiétant que, sous couvert de respect et de tolérance (et puis quoi, encore ?), des gens par ailleurs instruits confondent la mot avec la chose. Il devrait être interdit d'interdire de prononcer certains mots par crainte de voir certaines choses se produire réellement. Pantagruel le dit à Panurge (Tiers Livre, XX) : « Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées ».

 

A elle toute seule, la croyance que le mot porte intacte, dans le sens que lui accorde un pauvre dictionnaire particulier et partisan, la VÉRITÉ pure et sans tache, cette croyance est porteuse de mort. Restons vivants : enseignons la polysémie aux affolés dangereux qui restent prosternés au pied de la Lettre.

 

La pénalisation de quelque parole que ce soit, l'interdiction de quelque opinion que ce soit, la condamnation de l'auteur de quelque déclaration que ce soit sont des insultes à la démocratie. Une saloperie pourvoyeuse de haine. Supprimons le délit d'opinion du Code Pénal.

 

 

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Willem doit être un peu asocial : cette infirmité lui a sauvé la vie. Il déteste en effet les conférences de rédaction. Il aurait dû théoriquement se trouver avec les autres. Je ne sais pas quel est aujourd’hui son état d’esprit. Quels sont ses états d’âme (s’il en a une, ce dont il n’est sans doute pas persuadé). Comment il pense à ses copains disparus. Willem est le dernier survivant des "anciens". Aussi précieux désormais qu'un monument historique.

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En révisant mes vieux Charlie Hebdo, je suis tombé sur cette page parue le 3 juillet 1972 (n°85). Et je trouve épatant et incroyable que, dans la même revue, aient pu écrire et dessiner des gens aussi dissemblables et opposés que ce Hollandais qui estropie le français dans la joie et la bonne humeur, et des gens comme Cabu, cet écolo précoce, et Pierre Fournier, l’oublié, tué il y a bien longtemps par le surmenage imposé par la gestion du destin de La Gueule ouverte. Un intransigeant de l’écologie, lui.

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C’est peut-être à Fournier que Willem répondait dans la page que j’essaie de restituer ici, découpée tant bien que mal pour les besoins de la cause. On a compris : l’écologie, ce n’est carrément pas son truc.

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Mais le plus génial dans cette page, selon moi, sous le coup de griffe caricatural donné aux purs et durs de la nature, c’est tout de même la prophétie qu’elle contient.

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Car pensez-y, les débats sur le réchauffement climatique tournent autour de quoi, en définitive ? Rien d’autre que l’avance des pays développés sur les pays en développement, en termes de progrès technique et de confort matériel. Ou alors l'inverse : le retard de ceux-ci sur ceux-là.

 

Enfin ça, c'est la phraséologie officielle, surtout chez les tiers-mondistes et autres O-N-G-istes soucieux de « porter secours aux déshérités de la planète ». Je précise que je n'ai rien contre les déshérités de la planète. J'ai juste envie de vivre ma vie le mieux possible. Mon égoïsme foncier n'est pas pire que celui des milliards d'autres humains.

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« Dans dix ans nous aurons te dépassé », dit le personnage. Dix non,  quarante, c'est sûr.

Suivez mon raisonnement, il sera simple. Les pays pauvres veulent du développement pour rejoindre les pays déjà développés. Donc ils veulent de la croissance économique.

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Donc les pays pauvres veulent de l’énergie pour faire marcher des industries et pour produire et vendre des biens. Pour s'enrichir et améliorer leur sort.

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Donc les pays pauvres veulent du réchauffement climatique. Puisque l'énergie pour faire marcher des industries, c'est précisément ce qui a produit le réchauffement climatique. C’est mathématique.

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Le pire, c’est qu’au nom de la justice et de l’égalité, ils y ont droit. Nous ne pouvons pas leur refuser, si nous croyons que notre façon de faire est un modèle. Nous sommes coincés. L'humanité est dans la nasse.

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C’est rassurant : quand tous les pays du monde seront développés, le monde sera mort. Bon, c’est vrai, Willem se trompe dans sa conclusion : les anciens pays pauvres seront aussi morts que les riches.

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La marque de la voiture rappellera quelque chose à certains. Nul doute qu'ils seront sensibles à l'ironie de Willem. Peut-être même que ça les amusera.

Mais si cette page de 1972 n’explique pas tout, elle explique un peu du monde tel qu’il se présente aujourd’hui à nos yeux émerveillés et terrifiés. Bon courage aux négociateurs de Paris-Climat-2015, la conférence qui doit avoir lieu en décembre prochain..

 

Bon courage à l'humanité.

 

Voilà ce que je dis moi.

vendredi, 23 janvier 2015

CABU, CHARLIE ET JACQUES CHANCEL

Cabu aura au moins eu une satisfaction avant d’être assassiné : Jacques Chancel a disparu de la circulation le 23 décembre. Pendant quinze jours, cette idée lui a peut-être paru plaisante et tenu compagnie. Oh c’est vrai qu'il n'était pas méchant. Bien sûr, il avait le trait féroce, mais il n'était pas du genre à s'en prendre à la personne dont il combattait le personnage public. Peut-être la mort de Chancel lui a-t-elle remis en mémoire une page qu'il avait consacrée il y a bien longtemps à l'unanimement célébré défunt. En tout cas, voici le compte rendu qu’il faisait de l’émission « Radioscopie » du 21 juin 1972 dans le Charlie Hebdo du 10 juillet suivant.

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Manouche semble préfigurer la présence picoleuse de Charles Bukowski sur le plateau d'Apostrophes de Bernard Pivot. Ce qui saute à la figure, le moins qu’on puisse dire, c’est que Cabu n’aimait pas celui qu’il appelait « monsieur l’archiprêtre Chancel ».

 

Peut-être à cause de l’onctuosité ecclésiastique du personnage qu'il s'était composé. Peut-être à cause du patelin du ton de moine hypocrite dont il ne se départait jamais.

 

C'est assez fort frappé, je trouve.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : j'ai essayé de limiter les dégâts dans la reproduction de la page : la liberté selon Cabu (mais aussi, Wolinski, Reiser, Willem, Gébé, ...) s'exerçait aussi dans la disposition de ses croquis. Et le format de Charlie Hebdo n'avait pas grand-chose à voir avec le 21x29,7 du scanner. Désolé. J'espère que ça reste néanmoins un peu lisible.  

 

mercredi, 21 janvier 2015

WOLINSKI SUITE

Une pensée aujourd'hui pour les régicides du 15 janvier 1793. Et puis ne soyons pas chien : une pensée aussi pour Louis Capet, monté à l'échafaud le 21 janvier suivant.

Oui, une pensée pour la période de l'histoire de France qui a installé durablement la coupure.

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Wolinski en 1970. C'est après l'interdiction d'Hara Kiri Hebdo sur ordre de Raymond Marcellin que s'instaure ce débat confus (et tellement daté) sur la confusion entre "politique" et "pornographique". J'ai oublié les détails. Wolinski ne pouvait pas louper ça. Aujourd'hui, j'ai l'impression que plus rien n'est politique. Et que le pornographique est devenu la normalité.

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Cette série de six dessins est tirée de la page 2 du n°2 de Charlie Hebdo, paru le lundi 30 novembre 1970. On me dira ce qu'on voudra, bien sûr, c'est dessiné à la va-vite et à la diable, mais il y a du génial là-dedans.

Wolinski avait fait paraître la bande ci-dessous, sans doute en 2006, suite à l'incendie des locaux de Charlie Hebdo (déjà un attentat !). Je n'ai ni la date, ni le support. Je profite de ce que Le Monde (daté 9 janvier) l'a republiée. Toute la "philosophie" de Wolinski est là, je crois.

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Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 18 janvier 2015

POUR REISER, HOMME LIBRE

CABU, WOLINSKI, REISER ET LES AUTRES (2)

 

REISER, LE DROIT DE SE MOQUER DE TOUT

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11 novembre 1976

 

 

Je crains que les mots « liberté d’expression » ou « laïcité » soient devenus de simples déguisements dans la bouche de ces hauts-parleurs médiatiques que sont les responsables politiques, en tête desquels on trouve deux présidents de la République, l’ancien et le nouveau-eau-eau : Nicolas Sarkozy et François Hollande.

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27 janvier 1975

J’avoue que voir Balladur défiler pour Cabu à Paris le 11 janvier m’a fait un effet pathétique. Vraiment, le monsieur est d’une magnanimité, d’une générosité à couper le souffle. Effacer, pardonner ainsi les centaines de dessins où Cabu l’a croqué en Louis XV perruqué, au port de tête majestueux, à l’attitude toute de raideur et de dédain, voituré dans sa chaise à porteur par des larbins endimanchés. Votre Majesté est trop bonne, vraiment !

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1976

C’est que, pour Charlie Hebdo, la pratique de la liberté d’expression reposait sur un socle unique : le droit de se moquer de tout et de tous. D’égratigner l’image de tous ceux qui se prennent au sérieux. Ou qui se sont rendus odieux. Pour ça, je crois que Reiser reste encore sans égal. Le plus féroce, c’était lui. 

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1974

Ce qui ne veut pas dire que Cabu hésitait à forcer le trait et à y aller de sa vacherie. Il avait un sens aigu de la dérision. Mais sa méchanceté ne franchissait jamais une ligne invisible. J’appellerais ça, volontiers, une forme de pudeur.

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1975

Reiser, lui, fonçait. Pas de ligne invisible. Il dessinait des bites, des chattes, des trous du cul, au repos, en action, dans toutes sortes de positions. Des féministes ridicules, des hippies grotesques, des homosexuels, des musulmans, tout y passait. Là où Cabu semblait retenir son trait, reculait devant ce que tout le monde appelle la « vulgarité », Reiser lâchait la bride à sa monture. Il la laissait, comme on dit, « s’emballer », avec délectation. Reiser se permettait de se moquer de tout. Non sans une certaine tendresse parfois, mais se moquer. Et se moquer vraiment de tout.

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1974

Maintenant, qu’est-ce qui différencie les deux compères de la génération suivante de Charlie, les Charb, Luz, Riss ? Du Charlie de Philippe Val, vous savez, l’arriviste qui, ayant goûté au pouvoir, s’est dit que oui, somme toute, le néo-ultra-libéralisme n’avait décidément pas que des mauvais côtés ?

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1974

Et pourquoi ai-je un jour cessé d’acheter Charlie Hebdo ? Il me semble que c’est parce que les grands anciens (Gébé, Reiser, Cabu, Wolinski, Cavanna, Delfeil de Ton et même Siné), ne se contentaient pas de mordre et de s’opposer. Ils avaient, comment dire, le « trait existentiel ». Ils portaient une idée, celle de la société dans laquelle ils auraient aimé vivre. 

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La « pensée » de leurs dessins émanait d’une analyse et d’un regard sur le monde qui avaient une profondeur. Ils véhiculaient une utopie, si vous voulez (« stop-crève » pour ceux qui se rappellent Cavanna, pour Reiser l’énergie solaire dans une société plus ou moins libertaire, l'an 01 pour Gébé, etc.). Je me demande si ce n’est pas ça précisément qui manquait au dernier Charlie Hebdo : le souffle et la profondeur d'une pensée véritable. Et l’équipe, même avec Bernard Maris, en restait un peu trop au constat. Et puis franchement, je ne peux m’empêcher de trouver les dessins d’une assez grande médiocrité. Je suis désolé d’oser le dire : Reiser et Cabu, eux, ils avaient du style

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1974

Que voulez-vous, je n’aime certes pas le Front National, mais dessiner sur la double page centrale un étron gigantesque censé représenter Marine Le Pen, je trouve que c’est une analyse pour le moins sommaire, schématique, rudimentaire. C'est finalement très bête. Aussi bête qu'une justice expéditive. On n’évacue pas un problème réel et complexe simplement en tirant la chasse d’eau. Virtuelle, la chasse d'eau, évidemment.

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Pareil avec l’Islam. Au fait, j’ai un aveu à faire : je ne comprends pas la couverture du n°1178, vous savez, le dernier, celui à propos duquel on trouve partout des affichettes portant « Désolé, plus de Charlie ». Je ne comprends pas que tout le monde brandisse comme un trophée un dessin d’une aussi terrible ambiguïté. « Tout est pardonné », je veux bien, mais qui pardonne ? A qui ? Et le barbu enturbanné qui y va d’une petite larme, qui est-ce ? Mahomet, vraiment ? Bon, on va me dire que je cherche la petite bête.

 

Reiser, lui, avait la grossièreté subtile et percutante. Pourquoi a-t-il eu cette idée idiote de mourir de maladie ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 12 janvier 2015

POUR CABU

CABU, WOLINSKI, REISER ET QUELQUES AUTRES (1)

 

Cabu se serait bien marré. Non : Cabu serait tombé sur le cul, les yeux écarquillés, frappé d'incrédulité, hurlant de rire, et se serait pincé pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Netanyahou, Abbas, Merkel, Cameron, Hollande, Lavrov, Renzi et un tas de puissants et d'autres huiles politiques défiler, graves et déterminés, « tous ensemble, tous ensemble », derrière la banderole qui proclamait « Je suis Charlie ». Enorme. 

J'ai quand même du mal à imaginer sincères tous ces puissants de la terre derrière la banderole portant le titre d'un journal qui s'était donné pour mission de dézinguer toutes les "grandes figures", en effigie, s'il vous plaît. Ou si vous préférez, de leur tirer dessus à balles métaphoriques. 

J'espère seulement que le sursaut grandiose des Français par millions aura des prolongements dans la réalité concrète. Cela n'est pas gagné d'avance (se rappeler l'élection d'un escroc avec 82% des voix en 2002 pour empêcher l'élection d'un facho). Le problème, c'est qu'il va falloir réfléchir un peu. Essayer de faire converger des analyses de la situation. On appellerait cette fiction l'unité nationale. C'est ça qui n'est pas gagné.

 

Cabu est mort. Assassiné. Pas par un de ses propres « beaufs ». Pas non plus par une de ses propres badernes plus ou moins galonnées, celle nommée « adjudant Kronenbourg ». Mais par les balles d'un cinglé en état d'ébriété avancée, shooté à l'alcool du fanatisme religieux, plus puissant et destructeur qu'une caisse de grenades défensives (vous savez, les quadrillées) dégoupillées. Ces types-là, en tuant Cabu, ils viennent de m'arracher une partie de moi-même. J'exagère à peine.

 

Cabu est mort. Cette phrase, dans sa simplicité brutale, n’est pas entrée dans mon cerveau. Pas encore. Mais je sais qu’il va bien falloir qu’il s’y fasse, mon cerveau. Mais il va falloir qu'il fasse un effort pour se dire une fois pour toutes que non, ce vieux compagnon de route dont il a suivi tout le parcours, pas depuis le début, mais pas loin, ne posera plus jamais dans la presse libre les balises de ses dessins au trait acéré.

 

Cabu, je l’ai découvert dans Pilote. Facile : Le Grand Duduche est inscrit dans l’architectonique de la Bande Dessinée française, au même titre que le Beauf, le sergent Kronenbourg et la Fille du Proviseur. Ah, la Fille du Proviseur !...

 

Cabu était antimilitariste et pacifiste intégral. Il avait le droit : c’était cohérent avec le reste de sa vie. Je ne le suivais pas là-dessus. Aujourd’hui, les humanitaires, ces pacifistes revisités par le besoin pressant de sauver le monde, se font couper la tête.

 

Sans se rendre compte que l’existence de toutes les « ONG » et autres myriades d’associations humanitaires tient compagnie et fait escorte à l’accroissement de la violence et de la guerre dans le monde, puisqu’elles n’empêcheront jamais les dévastations et les cruautés.

 

Dans le même temps, grâce à leurs interventions, les dictateurs les plus cruels peuvent commettre tous les crimes qu’ils veulent en se disant que les conséquences de leurs actes seront (tant bien que mal) adoucies et corrigées par le travail de tous ces gens au si bon cœur, qui sont l'avatar contemporain de ceux que Lénine appelait les « Idiots Utiles ».

 

Et les Etats qui forment l’introuvable « communauté internationale » se voient, par ce même travail, débarrassés des charges et des devoirs qui leur incomberaient si les ONG et les « humanitaires » n’existaient pas.  Comme si, entre les ONG et les bourreaux, s’était installée une assez intéressante division du travail.

 

Tout ça pour dire que ce qui me reste de Cabu n’est pas, et loin de là, l’ensemble de ses positions. Ce qui me reste, c’est d’abord la virtuosité et la férocité de son trait, additionnées de la pertinence percutante de ses légendes et dialogues. Ce qui me reste, c'est l'œuvre de ce dessinateur de presse à la créativité infatigable et à la trajectoire impeccable. Ce qui me reste, c'est son talent. Non, ce qui me reste, à vrai dire, c'est son génie. Dans son genre, certes, mais j'insiste : son génie.

 

C’est la base de la caricature : saisir l’essentiel d'un caractère, d'une silhouette, d’un ridicule, d’un personnage public, d’un type d’homme, puis le grossir jusqu’à obtenir la plus grande puissance d’impact. Dans ce domaine, le regard et la main de Cabu, depuis Hara Kiri et Pilote jusqu’à Charlie Hebdo et Le Canard enchaîné, sont uniques, et à leur manière, insurpassables. Regardez l'effet mahousse qu'a eu son dessin de Mahomet (en 2006 si je me souviens bien).

 

Et puis franchement, Cabu, c’est un peu d’abord mon histoire à moi. Je l’ai donc découvert dans Pilote. Je ne me rappelle plus grand-chose de son époque Hara Kiri. J’ai suivi son travail quand il travaillait pour Hara Kiri Hebdo, puis, à partir de la mort de De Gaulle en 1970 (« Bal tragique à Colombey »), dans Charlie Hebdo

 

Sans adhérer, j’étais sensible à sa façon de parler de la réalité, peut-être le recul ironique, peut-être l’insolence et l’irrespect. Peut-être encore une certaine façon de récuser l’autorité des autorités.

 

Et puis Cabu, pour moi, c’est aussi un goût pour la musique qui tombe exactement en résonance avec le mien. Cabu était capable de vous chanter par cœur au débotté « Mam’selle Clio » ou « Le débit de l’eau » (ai-je besoin de préciser qu'on parle de Charles Trenet ?). De s’enthousiasmer pour Cab Calloway, bon, c’est du grand orchestre comme je n’aime pas trop le jazz, mais c’est du swing, et ça swingue.

 

Et puis Cabu, j’avais adoré certaines pages. Me vient à l’esprit le canular que cette bande de copains de Châlons-sur-Marne avait monté à l’époque du Strasbourg-Paris à la marche. Un type, suivi par quelques entraîneurs, encourageurs et amis, s’était présenté un peu en avance sur l’horaire prévu dans les rues de la ville. La blague avait consisté à se faire offrir le champagne et autres gourmandises par un cabaretier de la ville, particulièrement renommé pour son avarice. Le marcheur s'appelait Georges Schmitt. Cabu organisait. L'histoire se passait en 1959. Schmitt l'évoque dans un article de L'Union L'Ardennais du 25 novembre 2011.

 

Bref, ce que j’apprécie chez Cabu, fidèle tout au long de son existence à certaines préoccupations, c’est sa haine de la suffisance et de la bêtise, de l’arrogance et de la puissance, du pouvoir installé et de la bureaucratie déconnectée de toute réalité. C’est une question d’attitude générale face au monde tel qu’il est. Je garde de lui le souvenir d’un infatigable poseur de questions (toujours « à quoi ça sert ? » passe avant « comment ça marche ? »). Un peu de philosophie, que diable, avant de tomber à genoux pour s'extasier devant les prouesses de la technique.

 

Cabu ne sera pas remplacé. Je suis français. Je suis en deuil.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

samedi, 10 janvier 2015

POUR CHARLIE HEBDO

IN MEMORIAM

 

Frédéric Boisseau, Agent d’entretien.

Franck Brinsolaro, Policier du Service De La Protection (SDLP).

Jean Cabut, Dessinateur.

Elsa Cayat, Psychanalyste et Chroniqueuse.

Stéphane Charbonnier, dit Charb, Dessinateur et Directeur de CH.

Philippe Honoré, Dessinateur.

Bernard Maris, Economiste et journaliste.

Ahmed Merabet, Policier.

Mustapha Ourrad, Correcteur.

Michel Renaud, ex-Chef de cabinet du maire de Clermont Ferrand, Organisateur d’une exposition de dessins de Cabu, à qui il rapportait ses œuvres à ce moment précis.

Bernard Verlhac, alias Tignous, Dessinateur.

Georges Wolinski, Dessinateur. 

 

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Je n’aime pas trop le Niagara de larmes de crocodile qui vient de se déverser sur les douze morts de Charlie Hebdo. Chez les alligators, surtout les gros responsables, on a le cuir épais, l'œil sec, et l'on a appris par cœur les « éléments de langage », et l'on s'est entraîné à les proférer avec l'air de la conviction et l'œil humide les plus authentiques.

 

CHARLIE HEBDO 361 1978.jpg

Cabu, n°361 de Charlie Hebdo, 1977.

Beaucoup de gens disent tout bas, et parfois même tout haut, qu’avec leurs provocations, les agitateurs de Charlie Hebdo « l’ont bien cherché », ce qui traduit sans doute l’arrière-pensée que, somme toute, ils « l’ont bien mérité ».

CHARLIE HEBDO 380 1978.jpg

Wolinski, n°380 de Charlie Hebdo, 1978. Cécile Duflot avait trois ans.

La vérité oblige à dire que le Charlie Hebdo de Philippe Val (celui de 1992), après avoir convenablement enrichi ses actionnaires (Philippe Val, Cabu, Bernard Maris, et deux ou trois autres), le journal ne se vendait plus assez pour assurer les fins de mois et faire vivre toute une équipe.

CHARLIE HEBDO REISER.jpg

In memoriam Reiser (mort en 1983).

Tout le monde sent bien que quelque chose de gravissime vient de se produire, mais qu’est-ce qu’un journal que plus personne ne lit ? Pour avoir du succès, il faut : 1-Avoir quelque chose à dire. 2-Le dire avec talent. 3-Renifler l'air du temps. On me dira ce qu'on voudra : Cabu, Wolinski et Reiser, non seulement ils avaient les trois, mais en plus, dans leur genre, ils avaient du génie.

CHARLIE H 2 NOV 2011.jpg

Je ne sais même pas qui est l'auteur de ce dessin.

Ça avait bien changé. Qu'est-ce qu'on parie que, une fois retombé le flot émotionnel de solidarité, après le brandissement pathétique et impuissant de forêts de bougies et de crayons, Charlie Hebdo ne tardera pas à quitter les "unes" de la presse nationale ? Et j'entends déjà l'épitaphe murmurée par les crocodiles entre leurs crocs : « Bon débarras ! ». Qu'est-ce qu'un symbole, face à la réalité concrète et brutale d'un acte ?

Pour que le symbole symbolise, il faut une réalité réelle derrière.

Tout ce qui me reste, c'est le minuscule hommage que je peux rendre ici à trois dessinateurs, trois clowns qui ont marqué leur temps en portant sur lui leur œil pertinent, rigolard et pointu.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 09 janvier 2015

POUR CHARLIE HEBDO

Ma pile de Charlie Hebdo (attention, la première série 1970-1981, avec le n°1, un peu amoché, sur le dessus, avec le dessin de Gébé).

Une idée géniale, il vaut mieux en être l'inventeur que le repreneur, le trouveur que l'épigone, le créateur que le suiveur. Il vaut mieux en être l'origine que la continuation.

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IN MEMORIAM

Frédéric Boisseau, Agent d’entretien.

Franck Brinsolaro, Policier du Service De La Protection (SDLP).

Jean Cabut, Dessinateur.

Elsa Cayat, Psychanalyste et Chroniqueuse.

Stéphane Charbonnier, dit Charb, Dessinateur et Directeur de CH.

Philippe Honoré, Dessinateur.

Bernard Maris, Economiste et Journaliste.

Ahmed Merabet, Policier.

Mustapha Ourrad, Correcteur.

Michel Renaud, Organisateur d’une exposition à Clermont-Ferrand d’une exposition de dessins de Cabu, à qui il rapportait ses œuvres.

Bernard Verlhac, alias Tignous, Dessinateur.

Georges Wolinski, Dessinateur.

 

Je dois beaucoup à Charlie Hebdo. Je dois beaucoup, en particulier, à Cabu. A force de le fréquenter depuis si longtemps, il était devenu comme un compagnon de route.

Des fascistes nous ont déclaré la guerre.

Je ne crie pas de slogans. Je ne suis pas Charlie. Je ne suis pas Cabu. Ce que je sais, c'est que la mort de Cabu a soudain creusé un gros trou dans ma mémoire et dans ma vie.

Même si lui ne l'a jamais su, aujourd'hui je suis en deuil. 

jeudi, 08 janvier 2015

MODIANO PRIX NOBEL

 CABU,

CHARB,

HONORÉ,

MARIS,

TIGNOUS,

WOLINSKI,

MICHEL RENAUD (directeur de cabinet du maire de Clermont-Ferrand, il venait juste rendre à Cabu les dessins qu'il avait exposés dans sa ville)

DEUX POLICIERS, DONT UN AHMED,

UN AGENT DE MAINTENANCE,

UN AGENT D'ENTRETIEN,

ELSA CAYATTE, PSYCHANALYSTE.

 

 

C'ÉTAIT CHARLIE HEBDO.

 

 

C'EST LA GUERRE.

 

IL VA FALLOIR SE DÉFENDRE CONTRE LES FASCISTES, SURTOUT QUAND ILS SONT MUSULMANS.

 

 

 

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Que cela ne nous empêche pas de continuer à exister. Je poursuis donc mon petit propos sur notre dernier prix Nobel de littérature.

 

2/2

 

 

Et le discours qu’il a prononcé à Stockholm n’est pas fait pour dissiper ce sentiment d’étrangeté. Selon l’auteur couronné, par exemple, le,  rôle des romanciers se définit ainsi : « Sous leur regard, la vie courante finit par s’envelopper de mystère et par prendre une sorte de phosphorescence qu’elle n’avait pas à première vue mais qui était cachée en profondeur. C’est le rôle du poète et du romancier, et du peintre aussi, de dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouvent au fond de chaque personne ». C’est sûr, Modiano est un écrivain du ténu.

 

Mais ce que je retiens de préférence dans les passages cités dans Le Monde daté 9 décembre 2014, c’est ce qu’il dit de la rédaction de ses romans. Il commence par avouer – ça commençait à se savoir depuis ses passages chez Bernard Pivot – qu’il a « des rapports difficiles avec la parole. (…) un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral ».

 

Et quand on visionne le film de la prestation devant le nombreux public en grande tenue réuni pour l’occasion à Stockholm, on se convainc aussitôt que l’individu est nettement plus à l’aise dans le face à face solitaire avec la page blanche que dans les salamalecs où les pouvoirs se donnent en spectacle. Modiano, tout emprunté, y est presque touchant de maladresse.

 

Quand même, « plus doué pour l’écrit que pour l’oral », je trouve que c’est bien envoyé, à destination de tous les « romanciers » familiers des « tournées de promo », et rompus à toutes les acrobaties oratoires des plateaux de radio et télévision. Je pense au médiatique, à l’horripilant, mais d’une redoutable loquacité, Emmanuel Carrère, dont j’ai vainement essayé de massacrer Le Royaume, il y a peu. Mais je ne me faisais pas d’illusion.

 

Carrère n’est d’ailleurs pas le seul à « bien parler » de ses propres écrits : j’ai entendu un certain Laurent Gaudé parler de son dernier livre. C’est très curieux, de sa bouche ne cessent de tomber des expressions comme « mon projet », « mon travail ». Au sujet d’Haïti, sujet de son bouquin, il n’a posé le pied à Port-au-Prince qu’après que son « projet » eut été structuré dans les détails.

 

Son voyage sur place était destiné au remplissage des cases de la « structure » mise en place au moyen de « chair vivante » et d’ « âme humaine ». Une belle variante « littéraire » du néo-colonialisme des armées de généreuses ONG bourrées de bonnes intentions qui ont mis le chaos dans l’organisation sociale haïtienne après le séisme qui a détruit Port-au Prince. Je reviens à mon sujet.

 

La trajectoire d’écriture que Modiano décrit pour son propre compte est plus instructive que ce coup de griffe donné sans en avoir l’air par sa patte de velours. Commencer un roman se fait toujours dans le découragement : « Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route ». L’idée est on ne peut plus juste : le vrai romancier crée sa route en écrivant.

 

C’est pourquoi il ajoute que, tenté de recommencer à zéro pour orienter différemment ses pas : « Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route ». On peut s’amuser, juste après, de la comparaison avec la conduite automobile sur verglas par temps de brouillard épais, l’idée reste juste : Modiano, quand il écrit, cherche son chemin, et c’est en le cherchant qu’il l’invente. J’appelle ça, oui, vraiment, la littérature.

 

Sur le corps central du livre, Modiano demeure muet. C’est là sans doute que quelque chose se passe dont l’auteur lui-même ne saurait parler. Ce n’est pas qu’il dévoilerait ainsi un secret de fabrication : ce serait simplement écrire le livre une seconde fois. Car l’auteur ne sait pas lui-même ce qui se passe dans ce qu’il écrit. Il met en place une sorte de machine dont il ignore en partie la façon dont elle fonctionne. Le lecteur en personne, quand il relit un livre favori (pour moi, c’est, entre beaucoup d’autres, L’Iris de Suse, de Jean Giono), ne lit pas deux fois le même ouvrage.

 

C’est quand il va bientôt achever son roman que Modiano a une étrange affirmation. Comme une classe dissipée la veille des grandes vacances, le livre semble échapper à l’emprise de celui qui l’écrit pour prendre sa liberté : « Je dirais même qu’au moment où vous écrivez les derniers paragraphes, le livre vous témoigne une certaine hostilité dans sa hâte de se libérer de vous ». Et l’auteur souffre alors, pendant un temps d’une sorte de « baby-blues », comme une femme après l’accouchement : « Vous éprouvez à ce moment un grand vide et le sentiment d’avoir été abandonné ».

 

C’est d’ailleurs l’insatisfaction d’avoir vu sa créature lui échapper qui pousse le romancier à écrire le suivant. Les livres, ainsi, se succèdent et s’accumulent, finissant par former ce que les autres appelleront une « œuvre », mais qui, pour Patrick Modiano, ne dessinent que la trajectoire d’ « une longue fuite en avant ». J’adore cette idée romanesque qui fait de l’écrivain, il s’en faut de peu, le personnage d’un roman potentiel.

 

Du discours du prix Nobel de littérature 2014, je retiendrai une dernière chose, qui me semble apposer sur la littérature de Modiano la marque de l’authenticité. Selon lui, l’écrivain manque de « lucidité et de recul critique (…) vis-à-vis de l’ensemble de ses propres livres ». Chaque fois qu’il attaque un roman, celui-ci « efface le précédent, au point que j’ai l’impression de l’avoir oublié ». Et il est étonné au bout du compte de voir surgir comme malgré lui « les mêmes visages, les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes phrases ». Au point qu’il a l’impression d’avoir tissé « une tapisserie dans un demi-sommeil ». La littérature du demi-sommeil, c’est exactement l’impression ressentie à la lecture de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, son dernier opus.

 

Pour conclure, j’ajoute qu’il est réjouissant de visionner les images (youtube/comité Nobel), pour voir l’immense silhouette longiligne de l’écrivain en train de se décarcasser pour surmonter, comme encombré de sa personne, sa répugnance à s’exprimer à l’oral.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

jeudi, 18 décembre 2014

SAINT FIACRE HOLLANDE

Je recycle, en le remaniant tant soit peu, un billet paru il y a bien longtemps. Pensez, c’était au temps où la France était encore gouvernée par le nabot épileptique, frénétique et caractériel qui a précédé François Hollande. Le même nabot qui n’a qu’un rêve : succéder à son successeur. Autrement dit, faire de son successeur son prédécesseur.

 

Et son vaincu, en espérant le faire vite oublier en le renvoyant au passé. Il se voit déjà posant pour les caméras, en tenue de brousse, avec sa botte de cuir sur le crâne du buffle, en arborant sa carabine Auguste Francotte chambrée en 600 Nitro Express (balle de 58 g.). On me dira que comparer Hollande à un buffle, moi qui le vois autrement, ... Et que, pour un tel humain, les 10,2 g. du 357 magnum sont amplement suffisants.

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On voit bien qu'il a encore quelques plumes à perdre.

A cette époque, j’avais encore la faiblesse et la naïveté de me gausser du cheptel politique dont les journalistes se disputent le privilège de monter si volontiers en épingle la moindre rumination, le moindre meuglement, jusqu’à la moindre émanation méthanisée qui sort de leur anus. Depuis, j’ai compris qu’il était vain de moquer, de brocarder, de prendre la chose à la plaisanterie. Ces petites gens ne me font décidément plus rire, à force de faire semblant de savoir et de pouvoir.

 

Je m’inspirais d’une sorte de bible : La Fleur des Saints, d’Omer Englebert (éditions Albin Michel).

 

**************

 

Curieusement, l’histoire raconte que Fiacre Hollande (pas encore "saint", et pour cause) est né en Irlande, et qu’il est mort en Seine-et-Marne, en un lieu qui lui était probablement prédestiné et qu'on avait donc spécialement aménagé pour l'accueillir, puisqu’il s’agit de la commune bien connue de Saint-Fiacre-en-Brie, où l'on montre encore sa tombe. 

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Il y a été enterré autour de 670 de notre ère. Après une vie déréglée (il fut appelé « le tombeur de ces dames »), il décida pour se racheter de passer la fin de sa vie dans un lieu retiré et de se consacrer au recueillement, au jeûne, à la continence, à la mortification, à la pénitence. En un mot, à toutes sortes de macérations. Il n'est pas sûr qu'il ne se soit jamais flagellé.

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J'aime bien ce dessin de Dubouillon.

C'est ainsi que saint Fiacre Hollande, grâce à Saint Faron – lui-même fils d’une biche, d’où, évidemment, vient notre « faon Faron », dont la célébrité a atteint la Côte d’Azur puisqu’on a donné son nom à une montagne qui domine le port de Toulon – fut autorisé à devenir ermite en forêt de Brie. On ne sait comment grandit sa renommée.

 

Toujours est-il qu’il reçut des visiteurs, qu’il remerciait en priant pour eux, et en distribuant consolations et bons conseils (je n’invente rien). Il lui arrivait de les guérir. C'est même resté dans les annales des médecines parallèles : le pèlerin qui, s'asseyant sur la pierre où le saint s'était lui-même assis pendant toutes ses années d'ermitage, y posait ses hémorroïdes avec suffisamment de piété, se voyait immédiatement guéri de son mal, qu'on appela pour cette raison le « mal de saint Fiacre Hollande ». Les archives n'en disent pas plus.

 

Il nourrissait en cas de besoin les pèlerins des légumes de son jardin, souvent des haricots, qui faisaient ses seules délices, et qui portent encore son nom. Surtout, il savait parler aux gens : toujours suave, toujours caressant, presque tendre, il atteignait ses auditeurs au fond de leur cœur, imperméable aux propos de quelques vilains jaloux qui ne se privaient pas de brocarder ses défauts. Ils se moquaient de son élocution d’ancien bègue ou du format de son abdomen, deux tares indignes du rôle de guide charismatique auquel il prétendait. Lui se défendait en soutenant que, s'il n'était ni orateur, ni éloquent, c'était par un choix délibéré : « Je veux rester normal ».

 

Heureusement, Fiacre Hollande était au-dessus de cette bave crapaudale, et allait son chemin vaillamment. Si certains lui auraient vu les manches de lustrine et le « rond de cuir » dont Courteline et Maupassant ont fait le symbole de la bureaucratie fin-de-siècle, il se voyait quant à lui sur la plus haute marche du podium électoral.

 

Malheureusement, un journal d’opposition déterra une malheureuse affaire où un de ses ancêtres, Quintianus Hollandus, avec lequel il offre d'ailleurs une ressemblance de visage tout à fait spectaculaire (voir la gravure d’époque, ci-dessous), avait fait torturer celle qui devint plus tard sainte Zita Trierweiler. Cette affaire lui coûta le poste de consul. Mais il se vengea en faisant mieux : il se fit sacrer roi de France.

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La preuve, c’est qu’Anne d’Autruche, cette reine bien connue pour sa gloutonnerie, eut recours à ses miracles en 1637. Son vœu d'avoir enfin un enfant mâle fut exaucé : elle régurgita par le fondement un certain Louis, 14ème du nom, qui devait acquérir par la suite une certaine renommée. En remerciement, une médaille du saint ne quitta jamais le cou de Louis, l'heureux père de p'tit Louis.

 

C’est d’ailleurs de cette curieuse circonstance que s’autorisa Monsieur Sauvage qui, en 1640, investit dans une compagnie de taxis, qu’il baptisa « voitures de Saint-Fiacre », tout ça parce qu’elles étaient attachées à l’hôtel de Saint-Fiacre, rue Saint-Antoine. Omer Englebert ajoute, p. 282, que « les fiacres étaient tirés par un vieux cheval désabusé, que conduisait un cocher haut-perché, armé d’un fouet, surmonté d’un gibus ». Un « vieux cheval désabusé » ! Omer Englebert écrit parfois comme Alexandre Vialatte.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : il va de soi que la plupart - ou presque - des données figurant dans cette note ont été puisées aux sources les meilleures et les plus sûres.

 

dimanche, 06 juillet 2014

VOUS REPRENDREZ DU VIALATTE ?

VIALATTE ORNITHO RYNQUE.jpgAllez, encore un peu d’Alexandre Vialatte. Toujours tiré de Profitons de l’ornithorynque (Julliard, 1991). L’admirable très long paragraphe qui suit constitue la moitié (approximativement) de la chronique intitulée « Eva Peron » (La Montagne, 12 avril 1960), et recueillie par la grande amie de l’auteur, Ferny Besson.

 

Le ciel est gris, la conjoncture est molle, la civilisation s’affaisse comme un soufflé. Autrefois on vantait l’art d’un film, maintenant on vante son prix de revient ; autrefois on parlait du talent d’un poète, maintenant de la marque de son auto ; autrefois on habitait des maisons. C’étaient des endroits faits pour l’homme qui procuraient à chaque activité le paysage qui lui était naturel ; les oignons séchaient au grenier, le vin mûrissait à la cave, la mauvaise marche du perron cassait la jambe au visiteur insupportable, les rats avaient un champ raisonnable mais limité pour faire rouler les noix sur le plancher du grenier entre la malle en poil de chèvre et l’ombrelle de la bisaïeule ; le saucisson pendait à la solive,les enfants trouvaient aisément quelque niche naturelle pour jouer à Guignol ; on savait où mettre ses souliers, sa pipe, son grand-père, son vélo. Maintenant il n’y a plus de maisons, mais des taudis ou des chambres d’hôtel, et ce placard nu, cette tombe, ce désert de la soif, bref cette aventure saharienne qu’on a appelée H.L.M., où l’homme meurt de claustrophobie, par un record du paradoxe, au sein d’un vide illimité. J’ai vu un rat de quatre cent dix grammes y périr en une heure quatorze sur un sol en fibrociment. D’ennui. De dégoût. D’écœurement. De solitude métaphysique. Je l’ai vu maigrir progressivement, perdre ses joues, pencher la tête, fermer les yeux, raidir les pattes. Est-ce raisonnable ? On vous explique que ces surfaces arides sont très faciles à balayer ; plus fort : qu’il n’y a même pas à le faire ! Mais l’homme passe-t-il sa vie à ne pas balayer ? Victor Hugo écrivait-il ses Mémoires pour qu’ils soient faciles à épousseter ? Ou même ses Odes ?... C’est une logique qui dépasse mes moyens. Mais après tout … j’ai vu un homme vendre une règle à calcul en expliquant qu’elle était faite d’une matière imperméable ! J’ai même vu acheter cet engin par des mères de famille nombreuse qui ne descendaient jamais sous l’eau, même en scaphandre, et qui ne s’en serviraient jamais, même une fois revenues au soleil. Après quoi on peut tout admettre. Et cependant je persiste à penser qu’on achète des logements afin de les habiter et non de ne pas les balayer. Sinon on achèterait un trottoir en asphalte. Et d’ailleurs on se lasse vite de ne pas balayer. C’est un plaisir qu’on épuise en deux jours. L’homme, qui n’est pas plus bête qu’un autre (pas moins non plus) (mais enfin pas plus), s’aperçoit vite, au demeurant, qu’il y a bien plus à balayer sur une surface parfaitement lisse, où les rainures n’absorbent rien, que sur un plancher raviné par les ans. On ne devrait construire que du vieux. En prévoyant l’espace vital des choses qui réclament de la place, du temps, des soins et de la piété : le vin qui veut vieillir, le fromage qui veut vivre, et la grand-mère qui veut le manger. Les mettra-t-on au frigidaire ? à l’hôpital ? Quelle indécence ! Voilà pourtant où va la civilisation. Elle ne vit plus qu’en état de guerre. Dès qu’un homme d’Etat parle de paix, on sait que c’est pour lui faire la guerre. Il y a toujours quelque Corée, quelque Tibet ou quelque Irak [tiens, déjà en 1960] où on la garde à la glacière ; c’est la guerre froide ; ou alors sur le coin du fourneau ; c’est la guerre tiède ; on la retire à moitié, on la remet, on l’enlève, on la réchauffe un peu ; plus elle est vieille, meilleure elle est, comme le civet ; quand elle réduit, on lui ajoute un petit oignon, un verre de vin, un brin de laurier, un filet d’eau bouillante, et ça se remet à faire des bulles. Voilà pourtant la vie que nous menons. La civilisation est couverte de plaies. Qu’on entretient en les grattant ; comme l’eczéma.

 

Est-ce que c'est pas bien tapé, ça ?

 

Voilà ce que je dis, moi.