dimanche, 13 octobre 2024
Y AVAIT PAS QUE L'ABBÉ PIERRE !
C'ÉTAIT TOUT LE SYSTÈME !
Je ne suis plus l'anticlérical forcené qui lançait des « Croâ ! Croâ ! » bien sonores dès qu'il apercevait une soutane. Même à cette époque désormais lointaine, je n'étais pas de ceux qui restaient sur le parvis de l'église lors de l'enterrement d'un camarade de travail dont la famille tenait à la cérémonie religieuse.
Mais qu'on se rassure : depuis que la superstition religieuse, dans sa variante catholique, est tombée de moi comme une peau morte (c'était précisément quand j'avais dix-sept ans, un bail), je suis, reste et demeure un mécréant pur et dur, quoiqu'aujourd'hui teinté d'un indifférent vaguement compatissant envers un corps social en voie de décomposition avancée (tiens, les pères maristes retraités ont quitté l'immense bâtiment du Grand Séminaire qu'ils occupaient à Sainte-Foy-lès-Lyon. Reste-t-il des séminaristes ?).
C'est dire que j'ai suivi avec curiosité les justes accusations qui se sont abattues (un peu tard !) sur la mémoire de l'abbé Pierre lorsque quelques-unes des femmes que celui-ci avait approchées de trop près ont décidé de mettre sur la place publique les souillures dont le bon curé s'était rendu coupable à leur égard.
A cette occasion, d'ailleurs, on en a appris de belles sur l'énorme silence complice dont l'institution entière a entouré les faits et gestes impudiques de monsieur Henri Grouès, après en avoir couvert bien d'autres au cours du temps et dans toutes sortes de régions du monde. Au fond, un simple mais puissant réflexe corporatiste que l'on connaît par cœur dans la police, la mafia et le monde du cyclisme (tiens, à propos, coucou Pogacar, tu peux dire comment tu fais pour tout gagner ?), pour ne prendre que quelques exemples.
On sait maintenant pas mal de choses sur les débauches dans lesquelles le monde clérical a pataugé au cours des temps anciens : Rousseau raconte dans Les Confessions comment, jeune homme, il s'est fait draguer par un curé sur la place Bellecour à Lyon, et les Fabliaux du Moyen âge, de même que Les Contes de Canterbury (Chaucer) regorgent de grivoiseries, débauches et entorses au vœu de chasteté. Et plus près de nous, nul n'ignore l'ambiance très homosexuelle qui règne au Vatican (Frédéric Martel, Sodoma : Enquête au cœur du Vatican, Robert Laffont, 2019).
Il se trouve qu'en 1972, le dessinateur Reiser s'est intéressé pour le compte de notre cher Charlie Hebdo à un fait divers qui compromettait la réputation des Lazaristes, respectable congrégation religieuse. On trouve ce qui suit dans le n°92, paru le 21 août 1972.
L'affaire se passe en Normandie. Un curé de par là-bas emmenait des fillettes dans la campagne, les déshabillait pour les photographier en leur faisant prendre des poses suggestives.
Le curé finit en prison, et le commissaire, pour les besoins de son enquête, interroge le directeur des Lazaristes du coin. Reiser imagine à sa guise le contenu possible des échanges entre le policier et le prêtre.
Et Reiser laisse libre cours au flux Hara Kiri qui coule dans ses veines : « Pourquoi l'abbé avait un appareil photo ? — Mais des crayons de couleurs, vous imaginez où il les lui aurait mis ? — Dans le cul ! — Vous avez vite deviné ! — Question de métier ! » répond le flic.
Le commissaire montre alors des photos saisies dans la chambre du curé. Remarque du supérieur : « Y en a une où on voit pas bien. — Les mains sur la table ! », commande le policier, qui sort une petite culotte trouvée dans la même chambre.
L'ecclésiastique renifle et, catégorique, affirme : « Bretonne, neuf ans et demi ! — Mais comment avez-vous pu ... ? — Question de métier ! », réplique tranquillement le Lazariste satisfait au commissaire ahuri.
Petit chef d'œuvre qui permet à Reiser de dépasser le cadre individuel et de mettre en question tout un ordre religieux et, à travers lui, l'ensemble de la gent soutanière.
Je me régale quand j'ouvre un numéro de mon vieux Charlie Hebdo. (je n'ai plus, hélas, ma collection d'Hara Kiri Hebdo). Que ce soit dans les raisonnements souvent très élaborés construits par Wolinski dans ses pages 2 ou ses dialogues de "Monsieur" au bistrot ; les élucubrations poétiques, oniriques et parfois ésotériques de Gébé ; dans le formidable culot ricanant et jubilatoire de Reiser qui balaie sur son passage un tas de tabous ; dans les pages acérées de Delfeil de Ton ; dans les reportages précis et percutants de Cabu dans toutes sortes de milieux, de villes et de bobines qu'il saisit mieux que personne. J'avoue que j'apprécie moins la prose de Cavanna, que je trouve un tantinet bavarde, voire complaisante, mais je ne m'en vante pas.
Ce qui reste, c'est que l'idée Hara Kiri (puis Charlie) a regroupé ce qui se faisait de mieux au début des années 1970 en matière de talents graphiques, de regards pointus ou féroces portés sur l'époque et sur le monde, de dénonciations joyeuses.
Je ne dirai pas qu'ils étaient tous géniaux, mais qu'ils vivaient intensément, qu'ils avaient quelque chose de très fort à dire, et par-dessus tout qu'ils le faisaient avec une santé, une jovialité incomparables : ces mecs-là s'amusaient, rigolaient ensemble, braillaient, se disputaient. Ils ne se contentaient pas de s'insurger, de s'indigner, de se révolter. En un mot : ils VIVAIENT ! Et la revue leur ressemblait comme deux gouttes d'eau.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : abbé pierre, voeu de chasteté, célibat des prêtres, anticléricalisme, religion, henri grouès, jean-jacques rousseau, les confessions rousseau, chaucer, les contes de canterbury, frédéric martel, sodoma enquête au coeur du vatican, éditions robert laffont, bande dessinée, charlie hebdo, reiser, hara kiri, lazaristes, pédo criminalité, cavanna, professeur choron, wolinski, gébé, fournier, delfeil de ton, cabu
dimanche, 18 novembre 2012
BD ET LIBERTE D'EXPRESSION
Pensée du jour :
"SILHOUETTE" N°36
« L'oiseau a quelque chose d'étrange. Il fait des choses extraordinaires : l'urubu nettoie les poubelles, l'agami surveille les poulets,le gypaète est barbu, l'albatros pond des oeufs dont le petit bout est aussi gros que l'autre (et l'autre aussi petit que le premier), la huppe pupule, le milan huite et le rhinocéros barète (encore n'est-ce pas un véritable oiseau) ».
ALEXANDRE VIALATTE
Quand la BD devint « pour adultes » et mensuelle, j’ai encore suivi le mouvement. Ce furent Charlie (mensuel), Métal hurlant, Circus, A suivre, Pilote (mensuel), Fluide glacial (qui paraît toujours, mais bon, je me suis fatigué). Et tout ça depuis le n° 1 jusqu’au dernier (enfin, pas toujours). Ça me fait encore des piles presque jusqu’au plafond, rien qu’avec ce que j’ai gardé, pour vous dire. Il va de soi que j’ai suivi Hara Kiri hebdo jusqu’à l'ultra-célèbre et immortel « Bal tragique à Colombey : 1 mort » (16 novembre 1970), et Charlie hebdo qui lui a immédiatement emboîté le pas, après l'interdiction pour crime de lèse-DE GAULLE.
Je garde une tendresse pour des revues plus éphémères de cette époque, parce qu’elles faisaient souffler un vent de liberté devenu totalement inimaginable aujourd’hui. Personne, à part le ministre de l’Intérieur, n’aurait alors eu l’idée de faire à sa place la police des moeurs ou la police de la pensée : aujourd’hui, les flics de toute obédience (sous couvert d’ "associations" religieuses, sexuelles, raciales…) font régner leur intolérance. Attention, c’est parti pour une petite parenthèse !
Dans les médias (je veux dire tout ce qui est de l’imprimé, du son ou de l’image fixe ou animée), c’est le CURÉ qui a pris le pouvoir et revêtu l’uniforme du FLIC augmenté du Père Fouettard : le CURÉ RELIGIEUX (TOUS les prêtres, imams, rabbins), le CURÉ RACIAL (TOUTES les associations antiracistes), le CURÉ SEXUEL (TOUS les hétérophobes dénonciateurs de « phobies » qu’ils fabriquent pour les besoins de leur « cause », je ne vois pas pourquoi je n’en inventerais pas à mon tour). Quel nouveau PHILIPPE MURAY inventera un anticléricalisme à la hauteur de cette agression de tous les azimuts et de tous les instants ?
Ce n’est plus « Big Brother is watching you » (1984), c’est l’œil omniprésent du « curé punisseur » qui, telle une caméra de surveillance universelle, vous guette à tous les coins de rue pour vous envoyer en correctionnelle si vous avez la mauvaise idée de lever le doigt pour dire ce qui vous semble être de bon sens, par exemple au sujet du mariage et de l’adoption homosexuels.
LA PROPAGANDE DES ANTI-LIBERTÉ A LE VENT EN POUPE :
J'APPELLE ÇA CRIMINALISER LA VIE SOCIALE
(Le Monde, dimanche 18 - lundi 19 novembre 2012)
Une intolérance qui se couvre du manteau de la « tolérance » et du « respect » (GEORGE ORWELL appelait ça la novlangue : « L’esclavage, c’est la liberté »), pourvu qu’ils en soient les seuls bénéficiaires. Une intolérance qui se couvre par ailleurs (mais ça va avec) de l'indispensable tunique de la VICTIME. Et le crime qui crée la victime, aujourd’hui, s’apparente presque toujours à la « discrimination », et concerne le plus souvent les gens à couleur de peau exogène, ou à sexualité marginale, ou encore à religion importée. La race, le sexe, la bondieuserie. Le tiercé gagnant.
COMMENT CROYEZ-VOUS QUE LES "ASSOCIATIONS" (LGBT OU RELIGIEUSES)ACCUEILLERAIENT CETTE COUVERTURE AUJOURD'HUI ?
(décembre 1977)
Je vais te dire : fais un beau mélange de tout ça, et tu as le magnifique couvercle d’un magnifique ORDRE MORAL qui s’abat sur toi pour te cuire à l’étouffée. Même Charlie-Hebdo (attention, celui ressuscité par PHILIPPE VAL en 1992, qui n’a pas grand-chose à voir avec le premier, né en 1970), fait un pet de travers tous les 36 du mois par peur des bombes et des procès, et quand il le fait, la merde n’est jamais bien loin, prête à exploser. C'est bien le signe que des forces de l'ordre (racial, sexuel, religieux) convergent et se coalisent contre l'expression libre, non ? De quel côté est-elle, l'intolérance ?
Ce « meilleur des mondes », PHILIPPE MURAY l’appelait l’ « envie de pénal ». Moi qui n’ai pas la classe du grand PHILIPPE MURAY, je me contente de l’appeler « curé punisseur ». C’est le même uniforme gris. Mais même les nobles imprécations de PHILIPPE MURAY n’ont pas suffi à empêcher le flot malodorant des hordes de gendarmes « antiracistes », « antisexistes », « antihomophobiques », « anti-islamophobiques » de tout submerger.
UNE REVUE PUBLIEE PAR DES FEMMES FEMINISTES (septembre 1978, dessin LIZ BIJL)
COMBIEN DE BOUCLIERS LEVÉS ET DE PROCES, SI C'ETAIT AUJOURDHUI ????
Je reviens à mes revues de BD plus éphémères. Pour dire ce qu'était la liberté d'expression à l'époque, je montre quelques couvertures. Parmi les comètes, je citerai Ah ! Nana ! : 9 numéros, avec la géniale NICOLE CLAVELOUX (ah ! son extraordinaire Alice au pays des merveilles) et l’austère CHANTAL MONTELLIER, un féminisme pas encore coincé dans un intégrisme « genriste » à la JUDITH BUTLER. Je citerai Surprise (5 numéros), publié par le dessinateur actuel de Libé, WILLEM, avec une curieuse BD, Ici, on ne nous voit pas.
Je citerai Mormoil, avec la couverture magnifique du n°3 et sa superbe BRIGITTE BARDOT en prototype, archétype et modèle de l’idiote, croquée par MORCHOISNE, en train de dire : « Mords-moi le quoi ? ». Je citerai Tousse-Bourin, qui a révélé CABANES, Le Canard sauvage, avec DESCLOZEAUX, qui loue aujourd’hui ses services aux chroniques gastronomiques du Monde.
VOUS AVEZ NOTÉ : HONORABLE REVUE DE BANDES DESSINEES EXOTIQUES
Je citerai Piranha, Le Cri qui tue, la revue d’ATOSS TAKEMOTO, qui me permet d’affirmer que j’ai été parmi les premiers lecteurs de mangas publiés en France, longtemps avant que ça s’appelle « manga ». Je citerai enfin Virus, et une pléiade d’autres (Carton, Microbe, Aïe, Le Crobard, on n’en finirait pas, et je ne parle que de ce que j’ai connu), encore plus éphémères.
Ce n’était pas le « bon temps », c’est sûr, et je n’ai pas de nostalgie. J’observe juste une drôle d’inversion des rôles entre le politique et le sociétal : ce qui était politique était tabou aux yeux du pouvoir et toute incartade réprimée, alors que ce qu’on n’appelait pas encore le « sociétal » (autrement dit « les mœurs ») était laissé totalement libre (enfin, quand je dis "totalement", il s'en faut de beaucoup ...).
Aujourd’hui, c’est l’inverse : des hommes politiques et de l’ordre social, vous pouvez dire absolument tout ce que vous voulez, et même n’importe quoi, ça fait comme la pluie sur les plumes du canard (il n’y a plus de politique, il n’y a plus que de la « com », et les « susceptibilités » se sont muées en édredons et matelas pour abriter l'amour-propre devenu invulnérable, parce qu'inexistant, pour cause d'absence radicale de convictions).
Au sujet du « sociétal » (qu’on a cessé d’appeler les « mœurs »), en revanche, l’armée des CURÉS PUNISSEURS (religieux et sexuels et raciaux) se charge de vous fermer la gueule (regardez : même Libé se fait attaquer pour son titre sur BERNARD ARNAULT : « Casse-toi, riche con ! ». Pour une fois qu'ils étaient drôles !).
Moi, j'admire le peuple norvégien pour son attitude exemplaire après les atroces meurtres d'ANDERS BERING BREIVIK, et je vomis les loups qui ont déchiré en effigie RICHARD MILLET après la parution de son brûlot - ANNIE ERNAUX, JEAN-MARIE-GUSTAVE LE CLEZIO et TAHAR BEN JELLOUN venant tout à fait en tête -, ils méritent de retourner se réduire en la bouillie moralisatrice et policière d'où ils n'auraient jamais dû sortir pour empuantir l'air des hommes libres !!!
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : photographie, alexandre vialatte, chroniques de la montagne, littérature, bande dessinée, hara kiri, hara kiri hebdo, charlie hebdo, métal hurlant, circus, à suivre, pilote mensuel, fluide glacial, bal tragique à colombey, de gaulle, humour, ordre moral, propagande, philippe muray, anticléricalisme, religion, intolérance, racisme, homophobie, sexisme, phobie, 1984, novlangue, george orwell, liberté d'expression, inceste, bd, ah nana, nicole claveloux, chantal montellier, brigitte bardot, mormoil, morchoisne, cabanes, desclozeaux, bernard arnault, libération, anders breivik, richard millet, annie ernaux, le clézio, féminisme, homosexualité, philippe val