lundi, 26 novembre 2012
AH, LES PETITS OISEAUX ! (1)
Pensée du jour :
"MUR" N°10
« Quand, pour la première fois du monde, l'homme se dressa sur ses pattes de derrière, encore tout chiffonné du plissement hercynien, et jeta un oeil hébété sur la nature environnante, il commença par bâtir ses villes à la campagne pour être plus près des lapins, des mammouths, des ours blancs et autres mammifères dont il était obligé de se nourrir. Il n'y avait en effet, si loin qu'il regardât, ni marchand de vin, ni charcutier; pas une boulangerie-pâtisserie, pas une boucherie hippophagique ».
ALEXANDRE VIALATTE
Mais je ne suis pas un ornithologue, moi ! Adressez-vous à OLIVIER MESSIAEN ! Un oiseau ? Mais je suis infoutu de l’identifier, que ce soit par son ramage ou par son plumage, c’est vous dire. Si, à la rigueur, je peux vous dire que l’oiseau qui, s’étant nourri et désaltéré tout le jour dans les « Marais », se précipite au-devant de la rangée de fusil qui l’attendent de pied ferme au pied de la « Garenne », quand le jour commence à baisser, que l’oiseau, disais-je, est une grive.
Mais est-ce une « draine » ? Une « litorne » ? Une « musicienne » ? Une « mauvis » ? Ou alors, une grive « à ailes rousses », « dorée », « à gorge noire », « de Naumann », « obscure » ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Pour jalonner cette note, des photos de ces neuf espèces de grives, dans l'ordre de leur nomination.
Chez les corbeaux, famille bien connue des croasseurs et des anticléricaux (mais qui est-ce qui salue encore, d’un « croâ, croâ » claironnant et bien ajusté, l’apparition soudaine d’une soutane noire, devenue rarissime dans nos rues, les curés préférant désormais le gris muraille pour se confondre avec le paysage, tels de vulgaires animaux mimétiques, tel le remarquable phasme, pour échapper à je ne sais quel châtiment que les abus de l’Eglise Romaine appellent à faire tomber dru sur leurs épaules ?).
Bon, le cas du Grand Corbeau est vite réglé, puisqu’il a à peu près disparu. Qui peut se vanter d’avoir entendu le si élégant et si raffiné praak-praak doucement émis du fond de sa gorge délicate ? Soit dit en passant, c’est un des rares oiseaux à maîtriser, en voltige aérienne, la figure dite du looping. Et qu’on ne me ramène pas la bête humaine, quoique goélandiforme, de RICHARD BACH pseudonymisée Jonathan Livingstone.
Je reviens à mes corbeaux (croâ, croâ) : allez me dire au premier coup d’œil si c’est un freux, une corneille, un choucas. Le chocard et le crave, c’est plus facile. Pour le premier, il faut prendre de la hauteur, beaucoup de hauteur : il faut le voir sur certains sommets finir les miettes laissées par de drôles de créatures lourdement chaussées. Il faut aussi et surtout le voir dans ses séances époustouflantes de voltige aérienne le long de parois vertigineuses. De toute façon, il est le seul dans la famille à avoir le bec jaune. Quant à l’autre, avec son bec rouge (enfin presque), je l’aurais sûrement repéré si j’en avais vu un. Mais il est comme le curé en soutane, il se fait rare.
Donc je ne suis pas ornithologue. Cela ne m’empêche pas de bien m’amuser en lisant des ouvrages traitant des oiseaux. Pas parce que les spécialistes feraient de l’humour au lieu de faire de la science, non : juste à cause de leurs transcriptions des chants d’oiseaux.
Le réservoir des onomatopées qu’ils produisent semble inépuisable, à croire qu’il est placé juste en dessous du tonneau sans fond, pour recevoir tout ce que les Danaïdes ont été condamnées à y déverser sans fin, au futile motif qu’elles avaient zigouillé (toutes sauf une) les cinquante fils d’Aegyptos la nuit de leurs noces.
La mythologie précise que les crimes eurent lieu après. Seul Lyncée en réchappa, parce qu’il n’avait pas osé faire sauter le bouchon du goulot de la vierge Hypermnestre. Les 49 autres profitèrent honteusement de l’irrésistible somnolence à laquelle bien des hommes cèdent, après, pour leur enfoncer en plein cœur la longue épingle que le fourbe Danaos avait fournie à chacune pour qu’elle la dissimule dans sa chevelure. Moralité, sauf exception, la femme est sans pitié, contrairement à ce qu’une vaine opinion colporte complaisamment.
Reste des tombereaux entiers d’onomatopées, supposées par d’estimables scientifiques traduire en sonorités françaises les sons plus ou moins mélodieux que le gosier de tout oiseau est en mesure de produire. Il va de soi que la marge d’erreur sera non négligeable, due à l’irréductible part de subjectivité liée à la réception de la sensation auditive.
Le bon peuple n’a aucune idée de la subtilité, de l’ingéniosité et de l’imagination quasiment poétique qu’il faut déployer pour traduire, en général, n’importe quel bruit, et en particulier, pour les ornithologues, le chant des oiseaux de nos campagnes, de nos montagnes et de nos riantes cités.
Pour traduire en trek-trek ce qu’il entend au voisinage de l’outarde canepetière, en un nasal et monocorde quin-quin-quin le signal émis par le torcol foumilier, en une alternance de croo-croo et de touissik produits lors de la croule par la bécasse des bois. Pour rendre avec exactitude et minutie le son presque batracien (un karrac-karrac-karrac-kirri-kirri-kirri-krèc-krèc-krèc) de la rousserolle turdoïde.
LE DISQUE DE BERNARD FORT EST SORTI EN 1997
Le monde du volatile sauvage est un trésor inépuisable, où la merveille voisine avec la surprise, où le chef d’œuvre tient l’étonnant par la main.
Voilà ce que je dis, moi.
09:33 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, alexandre vialatte, littérature, poésie, humour, musique, olivier messiaen, musique contemporaine, oiseau, ornithologie, grive, corbeau, croâ-croâ, curé, soutane, église catholique, richard bach, jonathan livingstone le goéland, mythologie grecque, tonneau des danaïdes, onomatopée, bernard fort
mardi, 24 avril 2012
DU MONTAIGNE ? COMBIEN DE TRANCHES ?
Je préviens tout de suite, MONTAIGNE, ça va venir, mais pas tout de suite. Patience et longueur de temps, comme on dit.
Bon, je ne vais pas la ramener et faire le fier, car il n’y a pas de quoi, mais un jour, j’ai hardiment décidé de me colleter avec les Essais de MONTAIGNE. Je ne dirai pas que c’est un Everest. Je dirai plutôt que c’est une île, voire un archipel situé à quelque distance du continent, et que pour faire la traversée, il faut accepter de se mettre à l’eau et de faire le voyage. Et il se trouve qu’un jour, j’ai décidé de m’embarquer pour de bon.
Ce n’est pas un Everest, parce que pour l’Everest, les choses sérieuses commencent à 6000 mètres. Bien trop haut pour MONTAIGNE, qui n’aime guère quitter le plancher des vaches, si ce n’est pour monter à cheval. Ne parlons pas d’archipel. Je comparerais plutôt les Essais avec la carcasse du bœuf de boucherie : il y a les morceaux nobles : filet, aloyau, rumsteack, …, et les morceaux ignobles (désolé, c’est le contraire de noble ; bon, disons : « moins nobles » pour les amateurs d’euphémisme) : plat de côte, paleron, jarret …
Chez MONTAIGNE, on va dire qu’il y en a pour tous les goûts, qu’il y a à boire et à manger, qu’il y a les pleins et les déliés, les hauts et les bas, les jours avec et les jours sans. Il y a les essais tout petits, et puis il y a les essentiels. Et puis il y a l’éléphantesque chapitre 12 du Livre II, faussement intitulé « Apologie de Raimond Sebond » (174 pages à lui tout seul, en Pléiade).
En fait, c’est une très longue visite de ce qui, sur terre, tend à prouver que tout est relatif, à commencer par l’homme, comparé aux animaux, dont les performances, réelles ou fantasmées, y sont longuement vantées. Cette variété est d’autant plus délicate à saisir que mon essentiel à moi ne sera pas forcément celui de mon voisin. Il y a les petites choses, et puis il y a les grandes.
Et puis je vais vous dire autre chose : il y a les bondieuseries de passages obligés, les extraits « lagardémichardisés », « les cannibales », « de l’institution des enfants », « des coches ». La « tête plutôt bien faite que bien pleine » (je signale d’ailleurs que la phrase continue par « et qu’on y requît tous les deux », contrairement à ce que le lycéen moyen a d’habitude enregistré). Ça, c’est, en quelque sorte, le MONTAIGNE congelé, et réchauffé au four à micro-ondes.
« Des coches », parlons-en. Monsieur GENDROT (des manuels GENDROT et EUSTACHE) m’avait collé l’explication de texte. Je n’y avais strictement rien compris. Mais rien entravé, que dalle, que pouic. Et pour cause : le chapitre en question parle de tout sauf des « coches », mais ça, je l’ai su bien après. Les ai-je maudits, ces « coches » ! Pourtant, j’avais l’impression d’être normal, je vous jure.
Et puis ne nous voilons pas la face : il y a la langue, la grammaire, l’orthographe. Oh, MONTAIGNE ne s’affolait pas du tout, pour l’orthographe. Il ne s’embêtait pas, quand il voulait écrire « à cette heure », ça donnait « asteure », voire « asture ». Même VOLTAIRE, 200 ans après, écrivait le même mot différemment à quelques pages de distance. Reste que la langue du 16ème siècle, si on ne peut pas dire que c’est de l’ancien français (« Ha, Galaad, este vo ce ? – Sire ce sui je » ou « Au departir, andui son mornes », ça, c'est du 12ème siècle), ça reste ardu.
D’autant qu’il y a aussi les phrases. Important, les phrases. Contournées, ondulantes, sinusoïdales. Et il faut bien reconnaître que ça réclame un entraînement, une habitude. Quand on en manque, il se peut qu’arrivé au bout d’une, il faille revenir au début. La raison en est horriblement simple : c’est que nos phrases à nous, de nos jours d’aujourd’hui, sont désespérément simples, d’une platitude effrayante, d’une petitesse abyssale. Nos phrases privilégient le segment de droite, et le plus court possible, voire le point.
L’onomatopée, l’apocope font régner leur terreur : il faut élaguer, raccourcir, on vous dit. Pas de longueur : 140 signes au maximum. Pourquoi croyez-vous que les jeunes ne lisent plus les romans de BALZAC ? Des longueurs, on vous dit. Dès qu’on ajoute à la proposition principale une subordonnée relative, ça commence à s’agiter nerveusement dans les rangs. Quand on entre dans les complétives et les circonstancielles, on ne peut plus compter sur personne. Alors je ne vous dis pas la panique d’horreur d’affolement quand une participiale pointe une oreille. Et je n’ai même pas abordé le subjonctif imparfait.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, société, langue, montaigne, les essais de montaigne, éverest, apologie de raimond sebond, langue française, france, culture générale, orthographe, voltaire, ancien français, balzac, onomatopée, apocope, syntaxe, grammaire