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vendredi, 07 décembre 2012

LIBEREZ-VOUS, MESDAMES : FUMEZ !

Pensée du jour :

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AUTRE IDEE DE LA BEAUTE SELON LUCIEN CLERGUE

 

« Je vous cèderais volontiers ma place, malheureusement, elle est occupée ! ».

 

GROUCHO MARX

 

 

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EDWARD BERNAYS, donc, et personne d’autre. EDWARD BERNAYS, que le magazine Life, en son temps, a désigné comme l’une des personnes les plus influentes du 20ème siècle. EDWARD BERNAYS, injustement maintenu dans un obscur cagibi du purgatoire des célébrités. 

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JOSEPH GOEBBELS, INITIATEUR DE LA "PROPAGANDASTAFFEL"

A LA DEMANDE DE SON MENTOR

Il s’agit bien de lui, et les notes que ce blog lui consacre ne visent qu’à réparer une sorte d’injustice : oui, il est temps de rendre justice à un homme dont les travaux ont brillamment inspiré des communicants aussi renommés et efficaces que JOSEPH GOEBBELS, ADOLF HITLER et JOSEPH STALINE, qui avaient sur leur table de chevet le maître-ouvrage du maître : Propaganda ou comment manipuler l’opinion en démocratie (éditions Zones-La Découverte, 2007, 141 p., 12 euros, c’est quasiment donné, et ça fait tomber quelques peau de "soss" devant les yeux qui en avaient).

 

 

Si je reformule le sous-titre, ça donne quelque chose comme : « Comment faire adhérer sans contrainte les masses aux discours d'un homme au pouvoir, et jusqu'aux folies d'un dictateur ». En regardant bien, on constate que c'est le principe qui régit tous les gouvernements actuels.

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UN AMI DE L'HUMANITE QU'ON NE PRESENTE PLUS

Je vous explique : comme sa mère s’appelle ANNA FREUD, sœur de SIGMUND, et que son père est le frère de MARTHA BERNAYS, qui se trouve être l’épouse du dit SIGMUND, il devient à sa naissance neveu au carré d’un certain SIGMUND FREUD, l’écrasant papa d’une grosse bête appelée « Inconscient » et de tout ce qui se trouve dedans quand on la dissèque. Il est d’ailleurs sympa avec son neveu, le grand FREUD : il lui dédicace un exemplaire de son Introduction à la psychanalyse. Et le neveu, il va y mettre le nez, et pas qu’un peu. 

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En 1929, le président du consortium des producteurs de tabac, futur gros client de son officine, lui dit : « Comme les femmes ne peuvent pas fumer en public, nous perdons la moitié d’un énorme marché. Pouvez-vous faire quelque chose ? ». EDWARD BERNAYS répond : « Laissez-moi y réfléchir ». Puis il demande : « M’autorisez-vous à chercher du côté de la psychanalyse ? – Mais œuf corse ! Ne vous gênez pas ». Rappelons qu'à l'époque, la femme qui fume sur un trottoir est traitée de pute, ni plus ni moins.

 

 

Ni une ni deux, il se précipite chez ABRAHAM A. BRILL, un des premiers grands psychanalystes des Etats-Unis, non pas pour s’étendre sur un quelconque divan, mais pour poser une question au savant : « Que représente la cigarette pour la femme ? ». La réponse fuse : « Le pénis ! ». C’est clair, net et précis. Autrement dit la berdouillette, le scoubidou, la merguez (ou chipolata, au point où on en est), le cigare à moustaches, la bistouquette. En trois mots comme en cent : la BITE, la PINE, le CHIBRE.

 

 

EDWARD BERNAYS ne se démonte pas pour autant, c’est un esprit pratique. Il a un gros client, et le client, surtout le gros, est roi. Alors il a l’idée du siècle : le symbole de l’Amérique, c’est le cadeau fait par la France à l’occasion de son centenaire (celui des Etats-Unis !). J’ai nommé le chef d’œuvre d’AUGUSTE BARTHOLDI. J’ai nommé la statue de La Liberté éclairant le monde (inaugurée en 1886). 

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Deuxième étape dans l’élaboration du message : la torche que tient la Liberté est incandescente, le bout de la cigarette allumée est incandescent. Il faudrait être stupide pour ne pas faire le rapprochement, avouez ! Qui plus est, la Liberté, qu’elle guide le peuple ou qu’elle éclaire le monde, c’est une Femme, regardez DELACROIX. Concluez vous-même : EDWARD BERNAYS a sa campagne de « public relations » en poche, c’est comme si c’était fait. 

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LÀ, ELLE GUIDE LE PEUPLE.

C'EST BIEN UNE FEMME, SELON TOUTE APPARENCE.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

P.S. DERNIERE MINUTE : nous apprenons une triste nouvelle :

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Adressons donc nos très sincères condoléances à l'U.M.P., et surtout à son "président autoproclamé".

 

mercredi, 18 janvier 2012

CHERIE, J'AI RETRECI LA DEMOCRATIE !

Résumé : je chante, en m'appuyant sur son petit bouquin (Propaganda, éditions Zones-La Découverte, 12 euros), les louanges d’EDWARD BERNAYS, l’inventeur de la manipulation des foules et de la propagande comme seul moyen de gouvernement « démocratique » dans les sociétés de masse.

 

 

***

 

 

C’est au pays de la « libre Amérique » qu’a été adopté, en 1791, le mythique « premier amendement », interdisant au Congrès de prescrire ou proscrire en matière de religion, d’expression, etc. BERNAYS, c’est le moins qu’on puisse dire, juge que la liberté c’est très bien, à condition qu’elle soit « organisée ». Je ne dis pas qu’il a forcément tort. Je regarde.

 

 

Il énumère les multiples associations, les multiples organes de presse, les multiples salons organisés à Cleveland, etc., pour dire que les opinions se forgent dans une infinité de lieux, circulent le long d’une infinité de canaux. Mais pour dire aussi que chaque individu appartient à plusieurs cercles.

 

 

Il conclut : « Cette structure invisible qui lie inextricablement groupes et associations est le mécanisme qu’a trouvé la démocratie pour organiser son esprit de groupe et simplifier sa vie collective ».

 

 

Simplifier la vie collective : c’est une obsession. EDWARD BERNAYS aime l’ordre, qu’on se le dise. Tiens, quand il cite NAPOLEON, c’est ceci : « Savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose ». Il aurait fallu dire ça à GEORGE W. BUSH, avant qu’il exporte ses caprices en Afghanistan et en Irak.

 

 

BERNAYS prône donc la douceur pour atteindre le même but. Ne pas assener, ne pas forcer, ne pas prendre de front. Mais insinuer, suggérer, et avant tout, comprendre. En gros et pour résumer : comprendre qui est le suiveur de qui, pour, en dernier ressort, agir sur le groupe par celui que les autres suivent. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le domaine d’activité du groupe (politique, religion, commerce, etc.), c’est la structure qui organise le groupe.

 

 

Déjà et d’une, il veut réhabiliter le beau mot de « propagande » : « tout effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière ». C’est dommage que ce joli terme ait pu être pris en mauvaise part, par suite de circonstances malheureuses ou détestables. Franchement, qu’y a-t-il de plus noble que le prosélytisme, cette démarche qui consiste à essayer d'embrigader un voisin, puis dix, etc. ?

 

 

De toute façon, sa thèse est claire : « Ce qu’il faut retenir, c’est d’abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu’au bout du compte, elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats ». L’aspect militaire ne lui fait pas peur.

 

 

Au contraire, je dirais qu’il n’est pas pour lui déplaire. D’un certain point de vue, on ne peut pas lui donner tort : quoi de plus carrément organisé qu’une armée ? Mais si cette manipulation, c’est du militaire sans uniforme, et muni seulement d’armes « non létales », ça reste des armes. Si c’est de la police politique (ou de la « police secrète ») sans coercition directe, sans torture, ça reste de la coercition.

 

 

EDWARD BERNAYS passe en revue ce qui est aujourd’hui passé dans les programmes de toutes les écoles de communication, mais qui n’était pas encore établi comme « objet de savoir » au début du 20ème siècle. Il reconnaît, par exemple, sa dette envers WALTER LIPPMANN en ce qui concerne les « relations publiques ». C’est TROTTER et LE BON qui ont déniché la notion de « mentalité collective », foncièrement différente de la mentalité individuelle.

 

 

BERNAYS est de ceux qui pensent que l’individu, par principe, n’agit pas de sa propre initiative, mais suit forcément un leader : « C’est là un des principes les plus fermement établis de la psychologie des foules ». Si le leader est absent, le stéréotype prend sa place et son rôle. Ce n’est pas difficile, une foule, comme psychologie. Ce n’est pas un cortex cérébral, c’est une moelle épinière (seule nécessaire, selon EINSTEIN, pour marcher au pas).  

 

 

Tiens, un joli morceau : « La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce sont les désirs humains. Ce n’est qu’en s’attachant à les sonder que le propagandiste parviendra à contrôler ce vaste mécanisme aux pièces mal emboîtées que forme la société moderne ». La publicité est là tout entière, y compris celle pour la politique.

 

 

Finalement, tout ce que BERNAYS aborde dans son bouquin est devenu aujourd’hui d’une effroyable banalité. C’est devenu « naturel ». C’est devenu la couleur de nos murs, celle que nous ne voyons même plus. Mais ce paysage qu’il compose chapitre après chapitre a fort peu à voir avec la démocratie. Sur la démocratie même, il ne se prononce pas. C’est un pragmatique : il fait avec ce qu’il a.

 

 

Son raisonnement a quand même de quoi faire froid dans le dos : « La voix du peuple n’est que l’expression de l’esprit populaire, lui-même forgé pour le peuple par les leaders en qui il a confiance et par ceux qui savent manipuler l’opinion publique, héritage de préjugés, de symboles et de clichés, à quoi s’ajoutent quelques formules instillées par les leaders ». Dans un tel système, n’est-ce pas, pas besoin d’un dictateur.

 

 

Au sujet de la politique, il cite l’Anglais Disraeli : « Je dois suivre le peuple. Ne suis-je pas son chef ? ». Et ajoute : « Je dois guider le peuple. Ne suis-je pas son serviteur ? ». C’est certain, BERNAYS est un subtil. Mais que pensez-vous de ça : « Il est en effet incompréhensible que les hommes politiques ignorent les procédés commerciaux mis au point par l’industrie » ?

 

 

Je vais rassurer le cadavre d’EDWARD BERNAYS, et lui dire que le temps a largement comblé cette lacune. De toute façon, comme il est mort en 1995, à l’âge canonique de 103 ans, il a eu largement le temps de jouir de l’évolution des choses, et de se féliciter d’avoir apporté à celle-ci une contribution plus que généreuse.

 

 

Bon, j’en ai assez dit sur EDWARD BERNAYS, le trop méconnu bienfaiteur de l’Amérique triomphante en particulier, et du monde capitaliste moderne en général. Si vous ne le connaissiez pas, il y en a assez, je crois, pour vous dégoûter du personnage.  

 

 

Accessoirement, il est bon de se souvenir que l’un des premiers lecteurs attentifs de Propaganda s’appelait JOSEPH GOEBBELS, l’inventeur de la « Propaganda Staffel », de si heureuse mémoire au sein du régime mis en place par un certain ADOLF HITLER. Il est bon de se souvenir aussi que STALINE ne fut pas non plus un trop mauvais élève de BERNAYS.

 

 

Il est bon de savoir que le régime hitlérien, fondé, entre autres, sur la propagande, s’inspire de ce Satan capitaliste américain nommé  EDWARD BERNAYS. J’ai dit, dans des billets précédents, que, par certains aspects, le sang qui coule dans les veines de nos si beaux régimes démocratiques « irréprochables » (terme de SARKOZY) n’est pas aussi éloigné qu’on le voudrait de celui qui a nourri l’organisme hitlérien. N’y a-t-il pas ici quelques éléments de preuve ?

 

 

Vous comprenez peut-être pour quelle raison il y a chez moi quelque chose qui dit, avec les personnages des romans de MICHEL HOUELLEBECQ : « Je n’aime pas ce monde-là ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

 

mardi, 17 janvier 2012

CHERIE, QUI MANIPULE-T-ON, CE SOIR ?

Résumé et sommaire : la démocratie s’est inspirée des totalitarismes. En douceur, elle s’est imprégnée de totalitaire sur plusieurs points : eugénisme, abrutissement télévisuel, contrôle des populations par toutes sortes de moyens : caméras, puces électroniques, facebook, téléphones portables, G. P. S., etc.
 

Etre manipulé, c’est donc être gouverné sans le savoir. Etre gouverné sans savoir par qui. Sans savoir comment. Sans s’en rendre compte. On me dira que les Allemands sous Hitler et les Russes sous Staline savaient qu’ils étaient gouvernés. Ô combien. Et qu’ils auraient souhaité l’être moins, sans doute.
 

Mais remplacez la police politique et la délation par l’œil des caméras de surveillance et l’oreille des puces électroniques (pour ne rien dire des puces RFID), le résultat sera aussi vigoureux, mais aura été obtenu en douceur, s’il vous plaît. On a éliminé la violence des procédés, mais on arrive quand même au résultat souhaité. Avec l’adhésion des populations, s’il vous plaît.
 

Cette adhésion n’est pas le moins intéressant, car elle montre que la police n’est plus seulement une force extérieure visible de coercition, mais loge aussi à présent dans une case de toutes les têtes individuelles. Dans un tel système, la police a été intériorisée. Chacun porte en lui-même son flic. Comme le téléphone et l’ordinateur, la police est devenue portable. On la porte sur soi. On la porte en soi.
 

Et ça n’a pas grand-chose à voir avec ce que la psychanalyse appelle le « surmoi », tu sais, ce paquet d'interdit que l'éducation a pour mission de te transmettre dès ton âge le plus tendre, paquet qui sert à t'occuper les mains de l'esprit pour t'empêcher de faire n'importe quoi. La police intérieure n’érige pas seulement des proscriptions, mais aussi des prescriptions.

Ça veut dire qu'elle te dit ce que tu dois faire. Des choses que tu as l'impression d'avoir envie de les faire, mais que c'est rien que des obligations. Mais des obligations que tu t'es même pas rendu compte qu'elles sont entrées en toi, et que tu sais encore moins comment.
 

L’une des caractéristiques du régime totalitaire, selon Hannah Arendt, c’est le règne des polices secrètes, polices politiques etc. Il paraît qu'il y a en Syrie, aujourd'hui, pas moins de sept services faits pour ça, dont les attributions se chevauchent pour qu'ils puissent se faire concurrence et se surveiller plus commodément.

Regardez l’Angleterre en 2011, les émeutes, les pillages. Eh bien la police en est toujours à courir après les pillards, à les identifier, à les condamner sévèrement. Grâce aux caméras. Vous me direz que ce n’est pas bien de piller. Mais ce n’était pas bien vu non plus de dire du mal de Staline. Du moins de son vivant.
 

Nous sommes en démocratie, oui. Quelque chose me dit pourtant que si l’on voulait regarder d’assez près (et sans passion, s’il vous plaît) les points de ressemblance entre notre monde merveilleux et certaines caractéristiques de l’hitlérisme et du stalinisme, ceux-ci seraient moins honnis des manuels d’histoire, et notre monde merveilleux serait moins ovationné. Que se passerait-il si les gens commençaient à se dire : « l’esprit d’Hitler est en nous » ? Ça ferait une sacrée Pentecôte, vous ne croyez pas ? Et sans les langues de feu de l’Esprit Saint.
 

C’est la raison de l’ambiguïté foncière de Beauvois et Joule. Tenus par leur rigueur « scientifique » à ne pas sortir de leur champ, ils ne font qu’effleurer cette question. Pourtant, il y a peu de chances que Beauvois et Joule ignorent le nom et l’œuvre d'Edward Bernays, père fondateur de la manipulation des foules.

Qui connaît cet immense bienfaiteur de la « démocratie » américaine ? 

 

« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans les sociétés démocratiques. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays ».
 

Voilà ce qu’il dit, Edward Bernays. En 1928. C’est exactement le premier paragraphe de son livre Propaganda. Ce neveu devenu américain de Sigmund Freud a su mettre à profit la découverte principale de son tonton (l’inconscient), et s’en servir pour élaborer sa théorie pour « la manipulation consciente (…) des masses ».

 

Une réussite de Bernays est d'avoir, lors d'une campagne pour le compte de la marque de cigarettes Lucky Strike, amené la masse des Américaines à fumer, y compris sur et à commencer par la voie publique. Parce que zut, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que les hommes qui ... Je propose en passant de restituer, chaque fois qu'il est utilisé, à la place du terme tout innocent de publicité, le mot propagande, plus franc et plus près de la réalité manipulatoire. Dites-vous ça chaque fois que le mot publicité apparaît sur l'écran de la télé.

 

La question à laquelle s’est efforcé de répondre Bernays se situe en amont de celle que je me posais hier ici même : si 60.000.000 de Français (environ, ne chipotons pas) étaient vraiment libres, quel miracle faudrait-il imaginer pour qu’ils désirent et décident, au même moment, de faire la même chose que tout le monde (supermarché, plage, télévision, …), comme ça se passe dans la réalité ?

On imagine bien le tableau : si, au même moment, 60.000.000 de désirs et de décisions différents surgissent, émanant d’individus parfaitement autonomes et libres, ça ne va pas tarder à être le chaos. Pour Bernays, c'est clair : la liberté est une facteur de risque, car elle amène le chaos. Ça va partir dans tous les sens, comme dans un mouvement brownien. Ça va devenir rapidement « ingérable », comme on dit. A côté de ce cataclysme, l’anarchie ressemblerait à de la natation à peu près synchronisée. Il a donc fallu l’inventer, le miracle.

Parce que, précisément, ce n’est pas un miracle. Ou, dit autrement, c’est un miracle minutieusement conçu et fabriqué. Par Edward Bernays. Le sous-titre de son Propaganda, est « Comment manipuler l’opinion en démocratie » (éditions Zones-La Découvertes, 2007, 12 euros). L’auteur a le mérite de la franchise, et n’y va pas par quatre chemins. Ce n’est pas un aveu naïf. C’est la proclamation claire et nette d’une doctrine explicite. Edward Bernays entend être utile à son pays, et pour cela à faire triompher son idée du Bien.

« Théoriquement, chaque citoyen peut voter pour qui il veut. (…)Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d’organisation et de direction, la dispersion de leurs voix entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusionLe gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. » Cela s’appelle limiter les risques de centrifugation. 

Dire que la lecture de ce petit livre (100 pages + la préface) est instructive ne dirait pas grand-chose. Le projet de l’auteur ne souffre pas l’ambiguïté : il s’agit de prescrire « un code de conduite sociale standardisé », d’user de « techniques servant à enrégimenter l’opinion ».
 

Pour que ça fonctionne, « la société accepte de laisser à la classe dirigeante et à la propagande le soin d’organiser la libre concurrence ». C’est-y pas merveilleux ? Chaque terme compte : « …organiser la libre concurrence … ». Il s’agit de mettre un peu d’ordre dans la loi de la jungle. En contournant au passage ceux qui sont élus pour écrire les lois.

Voilà ce que je dis, moi.

 

A finir, si vous le voulez bien.

vendredi, 13 janvier 2012

DIS-MOI QUI TE MANIPULE

Je l’ai déjà dit ici, la Bande Dessinée forme une part non négligeable de l’humus sur lequel l’Egopode podagraire ou le Centranthe rouge, bref, la mauvaise herbe que je suis, a poussé. « C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe », dit quelqu’un de bien. Je suis resté Egopode podagraire ou Centranthe rouge, bon gré mal gré.

 

 

Dans les rares séries B. D. actuelles où mes circuits trouvent encore un peu de sève pour alimenter leur course alentie (on dirait du Verlaine, vous ne trouvez pas ?), il s’en trouve une qui emporte l’unanimité de mon suffrage, c’est la série Alpha.

 

 

Bien sûr, pas pour le surhumain cornichon vaguement courge qui vient à bout de tout sans être défrisé (c’est la loi du genre). Mais pour des scénarios impeccablement construits, qui réjouissent l’esprit du lecteur presque autant que le scénario inoubliable du Retournement, roman de VLADIMIR VOLKOFF (1979), que vous avez sûrement lu.

 

 

Parmi les épisodes, on trouve l’histoire d’une arnaque diaboliquement vicieuse visant à assassiner le président des Etats-Unis en personne. Un Irlandais nationaliste (engagé dans l'I. R. A. ?) rentre paisiblement chez lui, découvre sa famille assassinée. Le cadavre d’un agent de la C. I. A. laissé sur place laisse penser que ce sont les Américains qui ont fait le coup. L’Irlandais est convenablement aiguillé (et aiguillonné) par des salopards vers une vengeance impitoyable à l’encontre du grand responsable, qui ressemble ici à GEORGE W. BUSH.

 

 

Sauf que le coup a été monté par le patron des services secrets de Sa Majesté, qui aimerait bien venger ainsi la mort tragique de son fils, précisément en Irlande. Il échoue au dernier moment, grâce au héros, évidemment. Inutile de dire que l’Irlandais devait exploser en même temps que la voiture généreusement offerte par les salopards. Pas de traces, chez les salopards.  

 

 

Le procédé utilisé par les barbouzes anglais porte le label d’origine contrôlée MANIPULATION. Il se résume à une question : comment faire que  quelqu’un obéisse à un ordre en croyant accomplir sa seule volonté ? Comment l’amener à adhérer au désir qu’un autre a eu à sa place ? Comment lui faire prendre à son insu la décision qu’un autre a prise à sa place ?

 

 

 

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Messieurs BEAUVOIS et JOULE (JEAN-LEON BEAUVOIS et ROBERT-VINCENT JOULE, que j’abrègerai en B. & J.) ont publié un intéressant petit livre en 1987 (ce n’est pas un perdreau de l’année, mais moi non plus, donc …), qui s’intitule précisément Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens.

 

 

C’est un livre de « psychologie sociale » qui acclimate sur le sol français une théorie qui a vu le jour sur le sol américain : la théorie de « l’engagement ». Acclimatation réussie, semble-t-il : 250.000 exemplaires vendus.

 

 

La théorie postule quelque chose de central : quand le colonel du régiment fait un discours sur les méfaits de l’alcool et de la drogue, c’est sûr qu’aucun bidasse ne va le contredire, mais c’est sûr aussi que chacun va continuer comme si rien ne s’était passé. En revanche, si vous arrivez à obtenir d’une personne qu’elle traduise en acte effectif, même minime, une décision qu’elle accepte de prendre, cette action aura tendance à perdurer dans le temps. Le discours est inefficace à long terme, au contraire de l'acte effectif.

 

 

Ce qui est rigolo, ici, c’est de penser aux vieux manuels de philo, qui étaient traditionnellement structurés selon la dichotomie « la pensée » / « l’action », et qu’on a tous, à une époque, appris que la pensée précède (et domine) l’action. L'hypothèse des auteurs est que ceci est un mythe aimablement colporté par une tradition, disons « humaniste ».

 

 

B. & J. soutiennent en effet que la persuasion (discours oral) est par nature inefficace. C’est, dans leurs termes, la méthode « cognitiviste », traditionnelle, qui s’adresse au cerveau, à la raison, à la compréhension, à l’intelligence, et qui suppose que l’esprit commande, selon la vieille image qu’on se fait de la liberté humaine (priorité à la pensée). Cette méthode ne vaut rien.   

 

 

Car si vous voulez que des choses changent en réalité, il vaut mieux essayer d’obtenir des actes de la part des personnes, parce que celles-ci se sentiront beaucoup plus engagées (elles auront fait). La méthode est ici « comportementale » (ça, c'est bien américain), et repose sur l’idée que l’individu est davantage dans ce qu’il fait que dans ce qu’il pense (priorité à l’action).

 

 

Ça va même plus loin, puisque les auteurs montrent que plus l’action réalisée a coûté à l’individu (parce qu’elle allait à l’encontre de ses convictions), plus celui-ci fera un effort mental et réarrangera ses propres convictions pour qu’elles reviennent en cohésion avec l’acte accompli. En clair : si vous réussissez à lui faire accomplir un acte auquel il n'adhère pas, vous réussirez ipso facto à le faire changer d’avis. La manipulation est là.

 

 

 

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Quelqu’un qui fait quelque chose qui lui coûte provoque en lui-même une dissonance, comme une fissure intérieure qui le rendrait rapidement schizophrène s’il n’y mettait bon ordre : il est plus facile de changer la conviction que d’effacer l’acte déjà accompli. A ce stade, on peut donc se dire que la manipulation a réussi son coup.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.