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lundi, 10 avril 2017

OÙ EST PASSÉE L'HISTOIRE DE FR ... ?

Pourquoi n’est-il plus possible d’évoquer, ne serait-ce qu’en passant, l’effondrement de l’enseignement de l’histoire en France, dans les écoles, les collèges et les lycées, et en particulier de ce qu’on appela « Histoire de France » dans les autrefois, sans passer aussitôt pour le pire des dinosaures ou pour un fieffé réactionnaire ?

Alain Finkielkraut, dans son émission Répliques, n’hésite pas à endosser les deux costumes. Après avoir dézingué – à bon droit – le modernisme historicisant qui règne chez les "historiens français", acquis jusqu'au fond de l'âme à la mondialisation (Le Figaro de je ne sais plus quand), pour cause de dissolution de l’entité France dans un Grand Tout mondialisé, il invite l'historien Patrice Guénifey, qui a l'audace d'évoquer « deux héros français » (c'est quasiment une provocation, le mot "héros" étant tabou chez les historiens "modernistes"), à l’occasion de la sortie de son livre sur Napoléon et De Gaulle.

J.-F. Sirinelli était là pour lui donner la réplique. Guénifey ne cache pas son irritation face à la « haine de soi » (typique, selon lui, des historiens français actuels) manifestée par les (pourtant) Français Boucheron, Jeanneney et toute la cohorte de leurs suiveurs, une cohorte qui domine presque sans concurrence le marché actuel des historiens, comme les économistes ultralibéraux règnent sur l'enseignement de l'économie à l'université. Les "Nouveaux Historiens" sans doute, comme il y eut, en son temps, les "Nouveaux Philosophes".

Le débat fait rage. Les uns ne veulent plus du tout, et à aucun prix, du « roman national », dit aussi « grand récit national » (voir ici même les 15 et 16 février). C’est le clan des historiens « scientifiques » et « modernes ». Dernièrement, ce furent Patrick Boucheron avec ses 122 historiens qui ont pondu une Histoire mondiale de la France, puis Jean-Noël Jeanneney, avec Le Récit national, une querelle française (qu’Eric Zemmour, toujours dans Le Figaro, allonge pour le compte, comme on peut l’imaginer, bien qu'en cette matière il n'y ait pas de K.O.).

Face à eux, les tenants d’une « vieille école », surannée, périmée et forcément hors-circuit, parce qu'il sont soucieux de préserver les quelques bribes d’un patrimoine national que la mondialisation n’a pas encore tout à fait jeté aux poubelles de l’histoire, et qui s’appela longtemps « Histoire de France ». Mais je pose la question : quand la III° République a fondé l’école républicaine, laïque et obligatoire, pourquoi a-t-on inscrit au programme l’histoire de France ?

La réponse me semble assez simple : pour donner à tous les élèves le sentiment d’appartenance au corps unique d’un même pays, et pour ancrer dans leur esprit l’idée que ce dernier, dans lequel ils naissaient, était un « cher et vieux pays » (comme disait de Gaulle en 1960), qui plongeait ses racines jusque dans le monde antique. De plus, cette méthode chronologique, étagée de la plus petite classe à la terminale, avait l’avantage de fixer des points de repère dans le temps (importance de la frise historique affichée dans les classes : 1214, 1360, 1415, etc.) et de donner à comprendre comment tel événement produisait plus ou moins logiquement les événements suivants. 

La visée finale des concepteurs de ce programme n’était donc pas seulement de fonder les connaissances historiques des élèves sur des critères « scientifiques », bien qu’il y eût eu des historiens au 19ème siècle (A. Thierry, A. Thiers, J. Michelet, F. Lavisse, etc.), qui étaient renommés pour leur rigueur et la richesse de leur science. Leur visée finale était éminemment politique, au sens le plus élevé du terme. Il s'agissait de bâtir une conscience nationale. L’ambition était d’une grande noblesse, puisqu’à long terme, il s’agissait de fonder l’unité de toute la population par la plus grande homogénéité possible des connaissances acquises.

Personne n’aurait eu l’idée saugrenue dans ces conditions de parler de « retisser du lien social » ou de favoriser le « vivre-ensemble » par des moyens artificiels ou par l’appel aux émotions et aux bons sentiments : l’école s’en chargeait, du lien social et du vivre ensemble. Il est vrai que la médaille avait un revers : on sortait de l’école pour faire son apprentissage militaire, pour être prêt, au cas où, à « servir la nation ». Il est vrai aussi que 14-18 a montré toute l’horreur qui pouvait découler de ce service. Mais foin de militarisme ou d’antimilitarisme, personne ne peut nier le caractère profondément unitaire induit par le sentiment d’appartenance à une seule et même entité : la France. Et je tiens que ce sentiment d'appartenance ne peut être acquis nulle part ailleurs que sur les bancs de l'école, par un apprentissage lent et constant, sur la durée entière de la scolarité.

Je ne sais pas quelle lubie a saisi les responsables des programmes de l’Instruction Publique, devenue Education Nationale, d’introduire dans les enseignements disciplinaires les derniers acquis « scientifiques » des recherches universitaires, sous prétexte d’améliorer les fondements des connaissances. On a ainsi vu la linguistique générale immiscer son vocabulaire savant dans l’enseignement de la grammaire, au motif que celle qu’on avait enseignée jusque-là était « normative » (sous-entendu : facho). Il ne fallut plus parler de Sujet-Verbe-Complément d'Objet Direct, mais de Sujet-Prédicat. L'homme ordinaire sent bien que ça change tout et que c'est de là que viendra le Salut : il sent souffler le vent du Progrès et de l'Histoire.

En mathématiques, topo identique : maths modernes et théorie des ensembles. Je me rappelle le vieux Mattera, au lycée Ampère (vous savez, celui qui écrasait de son pouce déjà noirci ses mégots sur le mur au-dessous du tableau : eh oui, en ce temps-là les professeurs – ceux qui fumaient – avaient le droit de noircir les poumons des élèves, je pense aussi à l’épaisse fumée de « tabac gris » qui sortait de la pipe de Zilliox, le professeur d'allemand) : « On me demande de vous enseigner les mathématiques modernes, alors je vous enseigne les mathématiques modernes. Notez : a étoile b. – M’sieur, qu’est-ce que ça veut dire, a étoile b ? – J’veux pas le savoir ! » (accent du sud et r roulés). Inutile de dire le dégât qu’un tel enseignement pouvait faire dans les apprentissages. 

Les profs d’histoire ont été embarqués dans le même bateau « scientifique ». C’est toute l’école qui est devenue le réceptacle des progrès dans les connaissances en sciences humaines. On a décidé, pour faire "moderne", d'enseigner la Vérité historique, une Vérité forcément en "progrès", forcément "moderne", forcément "englobante". On a craché sur le "Grand Récit", et plus encore sur le "Roman National".

Autant je comprends une telle démarche quand il s’agit de physique, de chimie ou de « sciences naturelles », autant me semble ahurissante et dommageable la transformation permanente de l’école en champ d’expérimentations diverses, au rythme des « découvertes » des spécialistes de sciences humaines et au gré de directeurs des programmes soucieux d'inscrire les enseignements dans le mouvement même des avancées « scientifiques ». On a accompli ce prodige : plus personne n'est en mesure de s'asseoir à une table afin de se mettre d'accord avec les autres sur ce que recouvre l'expression "socle commun de connaissances". La "négociation" est reine des débats. Ce qui en sort est forcément une cotte mal taillée.

On ne dira jamais assez la dévastation opérée par l’utilisation, sous prétexte de « modernisation », des sciences humaines dans la conception sans cesse renouvelée des programmes. Les responsables, en voulant arrimer les contenus de l’enseignement aux « progrès » dans les « sciences », ont tourné le dos à la mission première de l’école : façonner longuement les esprits des élèves de façon à en faire des citoyens.

En abandonnant cette conception essentiellement politique de la mission finale de l’école, ils ont participé (il va de soi que d’autres facteurs entrent en jeu dans le processus) à la progressive fragmentation de la société en une collection d’individus (c’était la conception thatchérienne, ultralibérale, de la société).

A présent qu'ils ont méthodiquement brisé le vase de la Société, ils peuvent toujours faire semblant d'essayer d'en recoller les morceaux dans des discours farcis de « liens sociaux à retisser », de grands appels pathétiques au « vivre-ensemble » et aux grands sentiments, expressions qui, on l’aura compris, me sortent par les naseaux, tant ils sont des dénégations de la réalité de la situation : sous nos yeux, depuis des dizaines d’années, la réalité de la société se défait chaque jour un peu plus.

Quel homme politique aujourd’hui oserait se faire, à la suite d'un De Gaulle, « une certaine idée de la France », puisque toute idée de la France est par avance noyée dans un océan de mondialite aiguë ? Si la France, en tant qu'entité nationale d'histoire longue, n'existe plus dans l'esprit de la jeunesse, a-t-elle une chance de survivre comme entité politique autonome effective ? Pour qu'une telle chance existe, il faudrait au moins que survivent au sein de son système éducatif, des occasions pour les jeunes générations d'apprendre à croire en cette nation qui a nom France. Mais non, aux yeux des "Nouveaux Historiens", le territoire français est devenu un bac à sable, digne des ébats de bambins définitivement immatures.

L’histoire telle qu’elle se fabrique dans les universités et telle qu’elle s’enseigne dans les collèges et lycées n’est sûrement qu’un facteur parmi beaucoup d’autres de la déliquescence de l'unité nationale, mais il est indéniable qu’elle a participé au processus, en envoyant à la casse le moteur de conscience nationale qu’alimentait un carburant nommé « Enseignement de l’Histoire de France ».

On reste confondu devant la prétention de "sciences" humaines à une "neutralité" de laboratoire. J'ai déjà dit, à la suite de bien d'autres (Bernard Maris, Paul Jorion, ...), quelque chose de l'imposture que constitue celle des économistes à ériger leur discipline en science exacte, alors qu'ils ne sont que des politiciens qui ont revêtu la peau du scientifique pour mieux ravager la bergerie. On a beau se prétendre "simple chercheur", on n'en a pas moins l'ambition de devenir un acteur dans la sphère publique.

C'est la même chose en histoire : à leur manière, sous couvert de neutralité, les historiens modernes, modernistes et modernisateurs, et les professeurs de la discipline, embarqués par force, ne font rien d'autre que de diffuser une vision éminemment idéologique du monde, en même temps qu'ils voudraient imposer une image soigneusement révisionniste de la France (l'un des interlocuteurs de Finkielkraut a même prononcé le mot "négationnisme"). Une vision qui efface la France comme nation particulière.

A leur manière, ces pseudo-sciences dégagent l'odeur nauséabonde d'un fanatisme de basse intensité : tout douceur au dehors, intraitable sur le fond du discours. Patrice Guénifey a bien raison de dénoncer chez eux une sorte de négation de soi et, en définitive, de haine de la France.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 14 mars 2013

MON DERNIER VISAGE APRES LA VIE ?

 

CHARLES TRIPP & ELIE BOWEN.jpg

CHARLES TRIPP & ELIE BOWEN, LE MANCHOT ET L'HOMME-TRONC, DANS LEUR CELEBRE NUMERO

 

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MASQUE MORTUAIRE DE GIOVANNA GASSION, DITE EDITH PIAF, MOULÉ PAR EDWARD A. MINAZZOLI, QUI A AUSSI MOULÉ LA MAIN D'YVONNE CASADESUS

 

Peut-on encore se fier à ces artistes – le plus souvent des sculpteurs – quand ils sont appelés au lit de mort d’une célébrité pour prélever, sur son visage encore intact, comme son identité exclusive, le moulage de ses traits tels que la mort les a figés ?

 

Les morts, c’est l’affaire des vivants. Les « dernières volontés », qu’est-ce que c’est, à tout prendre ? Une concession généreuse de ceux qui restent à quelqu’un qui n’est plus en mesure de formuler quelque volonté que ce soit. Enfin, c’est aussi le dernier moyen qu’a le futur mort de déclencher la guerre ou la paix entre les héritiers présomptifs, mais ça c’est de la satisfaction imaginaire autorisée par la loi, puisque ça précède le grand saut, et que le juge est là pour la faire admettre.

 

Maintenant, le visage du mort, tel qu’il est rendu par le moulage prélevé par un spécialiste juste après le décès ? Normalement, il est incontestable, n’est-ce pas ? Et comme un plâtre est reproductible en nombre, on imagine bien qu’une copie ne saurait être qu’identique à la suivante et à la précédente, comme le voudrait le bon sens.

 

INCONNUE 5.jpgEh bien il n’en est rien. Certes, la règle veut, pour commencer, que le masque ne soit exécuté que pour conserver les derniers traits d’une personne considérable. Mais regardez l’un des masques reproduits à un nombre absolument faramineux d’exemplaires, puisqu’il ornait les murs de tous les ateliers d’étudiants aux Beaux-arts parisiens du 19ème siècle : on l’appelle « L’Inconnue de la Seine », car on ne sait même pas le nom de la noyée. La paix souriante dans laquelle tout le visage baigne a quelque chose d'impressionnant. Comme la fille est jolie, son masque mortuaire n'a pas subi d' "améliorations". Une inconnue, c’est normal : pas d’héritiers, pas de connaissances, pas d’enjeux, rien à embellir.

 

NAPOLEON I 1 BONAPARTE.jpgPrenez maintenant Napoléon : son masque mortuaire le plus courant est d’une grande beauté, montrant un visage fin, presque émacié (ci-dessous). Mais on en trouve un autre, sous ce même nom de Napoléon, et alors là, pardon, mais ce n’est plus le même homme : la figure est grasse, presque bouffie (ci-contre), sans doute plus proche de la vérité du relégué de Sainte Hélène. Quel est le vrai masque, demande alors le ’pataphysicien ?NAPOLEON I 7.jpg

 

Comme le dit Alfred Jarry quelque part, parlant des personnages chez Henri de Régnier : « Que chaque héros traîne après soi son décor (...), cela prouve, sans plus, que l'auteur a retourné ses créatures et mis leur âme en dehors ». Et plus loin : « Et si les personnages se montrent à nous par leurs masques, n’oublions pas que personnage n’a pas d’autre sens que masque, et que c’est le "faux visage" qui est le vrai puisqu’il est le personnel » (La Plume, 1er avril 1903). On ne saurait mieux dire. Entre « faux visage » et « vrai masque », donc, mon cœur balance.

 

LISZT 1 FERENC.jpgLES VERRUES DE FRANZ LISZT - La même aventure touche le grand Franz Liszt : surLISZT 2.jpg l’un, il est affligé de deux verrues "historiques", sur l’autre, un chirurgien bienveillant et habile semble être passé par là avant le moment fatidique, puisqu’il en est soudain débarrassé. Pourtant, au sujet de ses verrues, sur plusieurs portraits photographiques, le musicien  semble, sinon fier, du moins accoutumé. On notera cependant le curieux emplacement de la verrue supérieure, au sommet du nez sur la photo, alors qu'elle se situe en plein front sur le masque. On dira que Liszt avait la "verrue baladeuse". Pardon, maestro.LISZT 5.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ROBESPIERRE 1 MAXIMILIEN.jpgEt quel est le vrai Robespierre mort ? L’homme auROBESPIERRE 2.jpg visage pacifié, presque heureux ? Ou cet autre à la mine sombre ? Je me perds en conjectures. On sait que Robespierre s’est tiré une balle dans la mâchoire quand on est venu l’arrêter : il m’étonnerait fort qu’il eût encore les joues bien lisses quand on lui a décollé la tête du reste du corps le soir du 9 Thermidor.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 17 juin 2012

VIE DU MASQUE MORTUAIRE

Je voudrais aujourd’hui faire l’éloge du masque mortuaire.

 

MASMOR MENDELSSOHN.jpg

FELIX MENDELSSOHN-BARTHOLDI

 

J’ai déjà longuement parlé des monuments aux morts de la guerre de 1914-1918, même si c’était dans un précédent blog (kontrepwazon, 82 articles thématiques, s’il vous plaît, cliquez dans la colonne de gauche). J’ai évoqué beaucoup plus brièvement mon intérêt pour les cimetières : savez-vous qu’il y a de nombreuses tombes d’émigrés russes de 1917 dans celui de Menton ?

 

 

Il est vrai que lorsque j’ai visité, leurs grilles étaient passablement rouillées et leurs inscriptions peu aisées à déchiffrer. Remarquez qu’avec la vague des mafias russes qui s’installent sur la Côte d’azur, on pourrait se dire que ces gens-là viennent pour entretenir les tombes, non ?

 

 

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LE GRAND VICTOR H 

 

Tout ça pour dire que je ne suis pas obsédé par la mort, mais que je suis intéressé par les infinies manières dont les humains se la représentent. Tiens, je crois bien que c’est à Menton, au cimetière situé en haut d’une colline, ce monument en marbre élevé, par des parents désespérés, à leur fille morte dans la fleur de l’âge, et qui figure un cercueil dont le couvercle se soulève jusqu’au ciel, et laisse échapper – métaphore de l’âme de la jeune femme – la forme d’un corps féminin, sublimé par l’amour des parents. Spectaculaire et excessif. Cela signifie simplement qu’ils avaient du pognon pour prouver publiquement à tout un chacun combien leur amour était magnifique.

 

 

S’agissant de la mort, il faut quelque chose, c’est certain, mais point trop n’en faut, quand même, j’espère qu’on en conviendra. On n’est pas en Sicile, avec les pleureuses stipendiées et les deuils spectaculaires. La Corse, il est vrai, n’est pas mal non plus.

 

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A PROPOS DE CORSE, LE VRAI MASQUE EST-IL CELUI-CI ?

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OU CELUI-CI ?

(les deux se donnent pour authentiques)

 

Le Colomba de Mérimée offre de telles scènes, en particulier quand l’héroïne se fait la « voceratrice », dans la maison des Pietri, à la mort du père, dont le cadavre est simplement étendu sur une table en bois, avec les gens du village autour.

 

 

« Non, je ne pourrais pas composer cela d’avance, mon frère. Je me mets devant le mort, et je pense à ceux qui restent. Les larmes me viennent aux yeux et alors je chante ce qui me vient à l’esprit. » Et quand arrivent les Barriccini, qu’elle suspecte d’avoir assassiné son père, qui accompagnent le préfet, elle entre dans une transe prophétique : « Mais bientôt, reprenant sa ballata, elle reprit avec une nouvelle véhémence : l’épervier se réveillera, il déploiera ses ailes, il lavera son bec dans le sang ». C’est sûr, MERIMEE a dessiné les caractères de deux femmes intraitables : Colomba et Carmen.

 

 

Car c’est Colomba qui manipule son frère (« Ors’Anton »), devenu trop continental, et oublieux des « saines » traditions de l’île (la vengeance, en l’occurrence). La preuve de la puissance de Colomba, c’est qu’à la fin de son chant funèbre –  une véritable harangue, en fait – le village présent dans la maison met dehors le préfet et la famille Barriccini, pendant que « deux ou trois jeunes gens mirent précipitamment leur stylet dans la manche gauche de leur veste, et escortèrent Orso et sa sœur jusqu’à la porte de leur maison ».

 

 

Magnifique scène, qui nous rappelle que le spectacle de la mort, ce sont les vivants qui le mettent en scène, sans doute pour eux-mêmes. Forcément pour eux-mêmes. Tiens, à quand ça remonte, l’habitude de prendre l’empreinte exacte du visage du mec étendu sur son lit de mort ? Ça ne doit pas être très ancien, sinon, on en aurait retrouvé dans les tombes des Romains. C’est sûr qu’ils avaient de très bons sculpteurs, et que le savoir-faire, ensuite et peut-être, s’est perdu.

 

 

Alors, plutôt que de se fatiguer à vouloir reproduire au ciseau sur la pierre les traits de la personne, on s’est dit qu’il serait moins coûteux et moins difficile de faire appel au plâtrier-peintre du coin et, par moulage, d’obtenir un décalque parfait de son visage, qui serait alors à même de « passer dans l’éternité ».

 

 

Ces paroles sont d’ailleurs celles qu’HECTOR BERLIOZ fait, au finale de Roméo et Juliette, chanter par la voix de basse de Frère Laurent, qui, après sa découverte des cadavres, raconte les détails de l’histoire aux Capulet et aux Montaigu, atterrés : « Et je venais sans crainte Ici la secourir, Mais Roméo, trompé Dans la funèbre enceinte, M’avait devancé pour mourir sur le corps de sa bien-aimée ; Et presque à son réveil, Juliette informée de cette mort qu’il porte, En son sein dévasté, du fer de Roméo S’était contre elle armée, Et passait dans l’éternité quand j’ai paru ».

 

 

J’ai beau me dire que c’est idiot, je regretterai toujours qu’on n’ait pas prélevé le masque mortuaire de Roméo et Juliette. Comment se fait-il que la municipalité de Vérone n’ait pas encore mené les recherches nécessaires, et surtout ne les ait pas encore découverts, coûte que coûte, pour exposer en bonne place ces glorieuses « reliques » ? Puisque c'est comme ça, je me contenterai du masque de BERLIOZ.

 

 

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Le masque mortuaire, quoi qu’il en soit, semble être né au moment où l’humanité à cessé de croire en l’immortalité de l’âme, et a commencé à exiger des preuves concrètes de sa propre survie. Enfin, c’est une hypothèse. Mais je ne la trouve pas nulle. Et j’attends dès maintenant la révolte des féministes : rendez-vous compte, dans la petite centaine de clichés collectés sur internet, un seul masque mortuaire se présente comme féminin. C’est « l’Inconnue de la Seine ». Tous les autres, TOUS, sont des hommes. Infernal, non ?

 

 

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ALORS, QU'EN DITES-VOUS ? 

 

C’est sûr que l’Inconnue de la Seine, est de toute beauté. Qu’un employé de la morgue où fut apporté son cadavre (elle est morte de tuberculose en 1875, mais la légende, née en 1900, raconte qu’elle fut repêchée dans la Seine après s’y être jetée), ait eu l’idée de prendre l’empreinte de son visage est tout simplement géniale. Et ce masque eut tellement de succès qu’il fut reproduit à d’innombrables exemplaires, pour être accroché dans les ateliers d’artistes. Avouez qu’on comprend pourquoi : n’est-ce pas une œuvre d’art ?

 

 

C’est comme œuvres d’art qu’il faut regarder un masque mortuaire. En fin de compte, toute sculpture d’une tête humaine n’est-elle pas en soi un masque mortuaire ? Est-ce du fétichisme ? Je n’en sais rien. Et ça m’est égal. Ce qui importe, c’est tout ce qui me vient, à la vue de l’empreinte qui fut prise sur le visage de BEETHOVEN après sa mort : j’entends l’adagio sostenuto (appassionato e con molto sentimento) de la sonate opus 106, au bas de la partition de laquelle BEETHOVEN écrivait cette phrase extraordinaire : « Maintenant, je sais écrire ».

 

 

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Ce qui compte, pour bien apprécier un masque mortuaire, c’est de se dire qu’il exprime l’authenticité de la personne. Ce n’est peut-être pas pour rien, que celui qui fut prélevé sur le visage d’ANDRÉ GIDE me fait irrésistiblement penser à la momie de RAMSÈS II. N’y a-t-il pas quelque chose de la vieille momie chez ANDRE GIDE ? Cela n’engage évidemment que moi, bien entendu.

 

 

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N'EST-CE PAS FRAPPANT ?

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 18 janvier 2012

CHERIE, J'AI RETRECI LA DEMOCRATIE !

Résumé : je chante, en m'appuyant sur son petit bouquin (Propaganda, éditions Zones-La Découverte, 12 euros), les louanges d’EDWARD BERNAYS, l’inventeur de la manipulation des foules et de la propagande comme seul moyen de gouvernement « démocratique » dans les sociétés de masse.

 

 

***

 

 

C’est au pays de la « libre Amérique » qu’a été adopté, en 1791, le mythique « premier amendement », interdisant au Congrès de prescrire ou proscrire en matière de religion, d’expression, etc. BERNAYS, c’est le moins qu’on puisse dire, juge que la liberté c’est très bien, à condition qu’elle soit « organisée ». Je ne dis pas qu’il a forcément tort. Je regarde.

 

 

Il énumère les multiples associations, les multiples organes de presse, les multiples salons organisés à Cleveland, etc., pour dire que les opinions se forgent dans une infinité de lieux, circulent le long d’une infinité de canaux. Mais pour dire aussi que chaque individu appartient à plusieurs cercles.

 

 

Il conclut : « Cette structure invisible qui lie inextricablement groupes et associations est le mécanisme qu’a trouvé la démocratie pour organiser son esprit de groupe et simplifier sa vie collective ».

 

 

Simplifier la vie collective : c’est une obsession. EDWARD BERNAYS aime l’ordre, qu’on se le dise. Tiens, quand il cite NAPOLEON, c’est ceci : « Savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose ». Il aurait fallu dire ça à GEORGE W. BUSH, avant qu’il exporte ses caprices en Afghanistan et en Irak.

 

 

BERNAYS prône donc la douceur pour atteindre le même but. Ne pas assener, ne pas forcer, ne pas prendre de front. Mais insinuer, suggérer, et avant tout, comprendre. En gros et pour résumer : comprendre qui est le suiveur de qui, pour, en dernier ressort, agir sur le groupe par celui que les autres suivent. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le domaine d’activité du groupe (politique, religion, commerce, etc.), c’est la structure qui organise le groupe.

 

 

Déjà et d’une, il veut réhabiliter le beau mot de « propagande » : « tout effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière ». C’est dommage que ce joli terme ait pu être pris en mauvaise part, par suite de circonstances malheureuses ou détestables. Franchement, qu’y a-t-il de plus noble que le prosélytisme, cette démarche qui consiste à essayer d'embrigader un voisin, puis dix, etc. ?

 

 

De toute façon, sa thèse est claire : « Ce qu’il faut retenir, c’est d’abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu’au bout du compte, elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats ». L’aspect militaire ne lui fait pas peur.

 

 

Au contraire, je dirais qu’il n’est pas pour lui déplaire. D’un certain point de vue, on ne peut pas lui donner tort : quoi de plus carrément organisé qu’une armée ? Mais si cette manipulation, c’est du militaire sans uniforme, et muni seulement d’armes « non létales », ça reste des armes. Si c’est de la police politique (ou de la « police secrète ») sans coercition directe, sans torture, ça reste de la coercition.

 

 

EDWARD BERNAYS passe en revue ce qui est aujourd’hui passé dans les programmes de toutes les écoles de communication, mais qui n’était pas encore établi comme « objet de savoir » au début du 20ème siècle. Il reconnaît, par exemple, sa dette envers WALTER LIPPMANN en ce qui concerne les « relations publiques ». C’est TROTTER et LE BON qui ont déniché la notion de « mentalité collective », foncièrement différente de la mentalité individuelle.

 

 

BERNAYS est de ceux qui pensent que l’individu, par principe, n’agit pas de sa propre initiative, mais suit forcément un leader : « C’est là un des principes les plus fermement établis de la psychologie des foules ». Si le leader est absent, le stéréotype prend sa place et son rôle. Ce n’est pas difficile, une foule, comme psychologie. Ce n’est pas un cortex cérébral, c’est une moelle épinière (seule nécessaire, selon EINSTEIN, pour marcher au pas).  

 

 

Tiens, un joli morceau : « La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce sont les désirs humains. Ce n’est qu’en s’attachant à les sonder que le propagandiste parviendra à contrôler ce vaste mécanisme aux pièces mal emboîtées que forme la société moderne ». La publicité est là tout entière, y compris celle pour la politique.

 

 

Finalement, tout ce que BERNAYS aborde dans son bouquin est devenu aujourd’hui d’une effroyable banalité. C’est devenu « naturel ». C’est devenu la couleur de nos murs, celle que nous ne voyons même plus. Mais ce paysage qu’il compose chapitre après chapitre a fort peu à voir avec la démocratie. Sur la démocratie même, il ne se prononce pas. C’est un pragmatique : il fait avec ce qu’il a.

 

 

Son raisonnement a quand même de quoi faire froid dans le dos : « La voix du peuple n’est que l’expression de l’esprit populaire, lui-même forgé pour le peuple par les leaders en qui il a confiance et par ceux qui savent manipuler l’opinion publique, héritage de préjugés, de symboles et de clichés, à quoi s’ajoutent quelques formules instillées par les leaders ». Dans un tel système, n’est-ce pas, pas besoin d’un dictateur.

 

 

Au sujet de la politique, il cite l’Anglais Disraeli : « Je dois suivre le peuple. Ne suis-je pas son chef ? ». Et ajoute : « Je dois guider le peuple. Ne suis-je pas son serviteur ? ». C’est certain, BERNAYS est un subtil. Mais que pensez-vous de ça : « Il est en effet incompréhensible que les hommes politiques ignorent les procédés commerciaux mis au point par l’industrie » ?

 

 

Je vais rassurer le cadavre d’EDWARD BERNAYS, et lui dire que le temps a largement comblé cette lacune. De toute façon, comme il est mort en 1995, à l’âge canonique de 103 ans, il a eu largement le temps de jouir de l’évolution des choses, et de se féliciter d’avoir apporté à celle-ci une contribution plus que généreuse.

 

 

Bon, j’en ai assez dit sur EDWARD BERNAYS, le trop méconnu bienfaiteur de l’Amérique triomphante en particulier, et du monde capitaliste moderne en général. Si vous ne le connaissiez pas, il y en a assez, je crois, pour vous dégoûter du personnage.  

 

 

Accessoirement, il est bon de se souvenir que l’un des premiers lecteurs attentifs de Propaganda s’appelait JOSEPH GOEBBELS, l’inventeur de la « Propaganda Staffel », de si heureuse mémoire au sein du régime mis en place par un certain ADOLF HITLER. Il est bon de se souvenir aussi que STALINE ne fut pas non plus un trop mauvais élève de BERNAYS.

 

 

Il est bon de savoir que le régime hitlérien, fondé, entre autres, sur la propagande, s’inspire de ce Satan capitaliste américain nommé  EDWARD BERNAYS. J’ai dit, dans des billets précédents, que, par certains aspects, le sang qui coule dans les veines de nos si beaux régimes démocratiques « irréprochables » (terme de SARKOZY) n’est pas aussi éloigné qu’on le voudrait de celui qui a nourri l’organisme hitlérien. N’y a-t-il pas ici quelques éléments de preuve ?

 

 

Vous comprenez peut-être pour quelle raison il y a chez moi quelque chose qui dit, avec les personnages des romans de MICHEL HOUELLEBECQ : « Je n’aime pas ce monde-là ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.