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dimanche, 17 juin 2012

VIE DU MASQUE MORTUAIRE

Je voudrais aujourd’hui faire l’éloge du masque mortuaire.

 

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FELIX MENDELSSOHN-BARTHOLDI

 

J’ai déjà longuement parlé des monuments aux morts de la guerre de 1914-1918, même si c’était dans un précédent blog (kontrepwazon, 82 articles thématiques, s’il vous plaît, cliquez dans la colonne de gauche). J’ai évoqué beaucoup plus brièvement mon intérêt pour les cimetières : savez-vous qu’il y a de nombreuses tombes d’émigrés russes de 1917 dans celui de Menton ?

 

 

Il est vrai que lorsque j’ai visité, leurs grilles étaient passablement rouillées et leurs inscriptions peu aisées à déchiffrer. Remarquez qu’avec la vague des mafias russes qui s’installent sur la Côte d’azur, on pourrait se dire que ces gens-là viennent pour entretenir les tombes, non ?

 

 

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LE GRAND VICTOR H 

 

Tout ça pour dire que je ne suis pas obsédé par la mort, mais que je suis intéressé par les infinies manières dont les humains se la représentent. Tiens, je crois bien que c’est à Menton, au cimetière situé en haut d’une colline, ce monument en marbre élevé, par des parents désespérés, à leur fille morte dans la fleur de l’âge, et qui figure un cercueil dont le couvercle se soulève jusqu’au ciel, et laisse échapper – métaphore de l’âme de la jeune femme – la forme d’un corps féminin, sublimé par l’amour des parents. Spectaculaire et excessif. Cela signifie simplement qu’ils avaient du pognon pour prouver publiquement à tout un chacun combien leur amour était magnifique.

 

 

S’agissant de la mort, il faut quelque chose, c’est certain, mais point trop n’en faut, quand même, j’espère qu’on en conviendra. On n’est pas en Sicile, avec les pleureuses stipendiées et les deuils spectaculaires. La Corse, il est vrai, n’est pas mal non plus.

 

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A PROPOS DE CORSE, LE VRAI MASQUE EST-IL CELUI-CI ?

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OU CELUI-CI ?

(les deux se donnent pour authentiques)

 

Le Colomba de Mérimée offre de telles scènes, en particulier quand l’héroïne se fait la « voceratrice », dans la maison des Pietri, à la mort du père, dont le cadavre est simplement étendu sur une table en bois, avec les gens du village autour.

 

 

« Non, je ne pourrais pas composer cela d’avance, mon frère. Je me mets devant le mort, et je pense à ceux qui restent. Les larmes me viennent aux yeux et alors je chante ce qui me vient à l’esprit. » Et quand arrivent les Barriccini, qu’elle suspecte d’avoir assassiné son père, qui accompagnent le préfet, elle entre dans une transe prophétique : « Mais bientôt, reprenant sa ballata, elle reprit avec une nouvelle véhémence : l’épervier se réveillera, il déploiera ses ailes, il lavera son bec dans le sang ». C’est sûr, MERIMEE a dessiné les caractères de deux femmes intraitables : Colomba et Carmen.

 

 

Car c’est Colomba qui manipule son frère (« Ors’Anton »), devenu trop continental, et oublieux des « saines » traditions de l’île (la vengeance, en l’occurrence). La preuve de la puissance de Colomba, c’est qu’à la fin de son chant funèbre –  une véritable harangue, en fait – le village présent dans la maison met dehors le préfet et la famille Barriccini, pendant que « deux ou trois jeunes gens mirent précipitamment leur stylet dans la manche gauche de leur veste, et escortèrent Orso et sa sœur jusqu’à la porte de leur maison ».

 

 

Magnifique scène, qui nous rappelle que le spectacle de la mort, ce sont les vivants qui le mettent en scène, sans doute pour eux-mêmes. Forcément pour eux-mêmes. Tiens, à quand ça remonte, l’habitude de prendre l’empreinte exacte du visage du mec étendu sur son lit de mort ? Ça ne doit pas être très ancien, sinon, on en aurait retrouvé dans les tombes des Romains. C’est sûr qu’ils avaient de très bons sculpteurs, et que le savoir-faire, ensuite et peut-être, s’est perdu.

 

 

Alors, plutôt que de se fatiguer à vouloir reproduire au ciseau sur la pierre les traits de la personne, on s’est dit qu’il serait moins coûteux et moins difficile de faire appel au plâtrier-peintre du coin et, par moulage, d’obtenir un décalque parfait de son visage, qui serait alors à même de « passer dans l’éternité ».

 

 

Ces paroles sont d’ailleurs celles qu’HECTOR BERLIOZ fait, au finale de Roméo et Juliette, chanter par la voix de basse de Frère Laurent, qui, après sa découverte des cadavres, raconte les détails de l’histoire aux Capulet et aux Montaigu, atterrés : « Et je venais sans crainte Ici la secourir, Mais Roméo, trompé Dans la funèbre enceinte, M’avait devancé pour mourir sur le corps de sa bien-aimée ; Et presque à son réveil, Juliette informée de cette mort qu’il porte, En son sein dévasté, du fer de Roméo S’était contre elle armée, Et passait dans l’éternité quand j’ai paru ».

 

 

J’ai beau me dire que c’est idiot, je regretterai toujours qu’on n’ait pas prélevé le masque mortuaire de Roméo et Juliette. Comment se fait-il que la municipalité de Vérone n’ait pas encore mené les recherches nécessaires, et surtout ne les ait pas encore découverts, coûte que coûte, pour exposer en bonne place ces glorieuses « reliques » ? Puisque c'est comme ça, je me contenterai du masque de BERLIOZ.

 

 

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Le masque mortuaire, quoi qu’il en soit, semble être né au moment où l’humanité à cessé de croire en l’immortalité de l’âme, et a commencé à exiger des preuves concrètes de sa propre survie. Enfin, c’est une hypothèse. Mais je ne la trouve pas nulle. Et j’attends dès maintenant la révolte des féministes : rendez-vous compte, dans la petite centaine de clichés collectés sur internet, un seul masque mortuaire se présente comme féminin. C’est « l’Inconnue de la Seine ». Tous les autres, TOUS, sont des hommes. Infernal, non ?

 

 

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ALORS, QU'EN DITES-VOUS ? 

 

C’est sûr que l’Inconnue de la Seine, est de toute beauté. Qu’un employé de la morgue où fut apporté son cadavre (elle est morte de tuberculose en 1875, mais la légende, née en 1900, raconte qu’elle fut repêchée dans la Seine après s’y être jetée), ait eu l’idée de prendre l’empreinte de son visage est tout simplement géniale. Et ce masque eut tellement de succès qu’il fut reproduit à d’innombrables exemplaires, pour être accroché dans les ateliers d’artistes. Avouez qu’on comprend pourquoi : n’est-ce pas une œuvre d’art ?

 

 

C’est comme œuvres d’art qu’il faut regarder un masque mortuaire. En fin de compte, toute sculpture d’une tête humaine n’est-elle pas en soi un masque mortuaire ? Est-ce du fétichisme ? Je n’en sais rien. Et ça m’est égal. Ce qui importe, c’est tout ce qui me vient, à la vue de l’empreinte qui fut prise sur le visage de BEETHOVEN après sa mort : j’entends l’adagio sostenuto (appassionato e con molto sentimento) de la sonate opus 106, au bas de la partition de laquelle BEETHOVEN écrivait cette phrase extraordinaire : « Maintenant, je sais écrire ».

 

 

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Ce qui compte, pour bien apprécier un masque mortuaire, c’est de se dire qu’il exprime l’authenticité de la personne. Ce n’est peut-être pas pour rien, que celui qui fut prélevé sur le visage d’ANDRÉ GIDE me fait irrésistiblement penser à la momie de RAMSÈS II. N’y a-t-il pas quelque chose de la vieille momie chez ANDRE GIDE ? Cela n’engage évidemment que moi, bien entendu.

 

 

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N'EST-CE PAS FRAPPANT ?

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 13 mai 2012

ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE

Allez, encore une petite louche de MONTAIGNE, du qu’on ne trouve pas dans le sacralisé « Lagarde et Michard ». Vous voulez que je vous dise ? Il faut être handicapé de la littérature pour être nostalgique de ça. Ça, qui vous apprenait ce qu’il faut savoir, et qui vous dégoûtait par avance de ce que, peut-être, vous auriez eu envie de découvrir.

 

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Mais enfin, si c'est notre jeunesse, il y en a que la nostalgie remplit. Vous avez dit nostalgie ? Pas moi, en tout cas. Je ne me tourne pas vers le passé au motif qu'il figurerait le temps où j'étais heureux (quelle blague!), mais je vois le présent, et je pressens l'avenir, et je vois que tout ça n'est guère encourageant. Mais je m'interdis de désespérer les « générations montantes ». Je leur souhaite quand même bon courage. Et lucidité, si l'envie leur en prend.

 

 

Moi, j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’exception en seconde, première et terminale, j’ai nommé PIERRE SAVINEL. Entre autres travaux d'érudition, il a traduit La Guerre des Juifs, de FLAVIUS JOSÈPHE (Editions de Minuit). Entre parenthèses, je ne comprends pas que les manuels de français, de deux choses l'une, expurgent les textes, ou alors les choisissent vierges de toute « impureté » (= sexe et pipi-caca).

 

 

Remarquez que l'esprit mal tourné de l'adolescent moyen est parfois en mesure d'ajouter du piment dans les plats les plus fades. Prenez, dans Lagarde et Michard XVIIIème, l'extrait intitulé « Poétique des ruines » (DIDEROT), c'est page 222, et lisez-le en ayant bien soin de remplacer le mot "ruines" par le mot "fesses", et vous verrez que la substitution ne manque ni de sel, ni de pertinence, comme nous l'avions réjouissamment testé à l'époque.

 

 

Expurgé ? Si vous prenez, dans Lagarde … 16ème siècle l’extrait de la bataille de l’abbaye de Seuillé (RABELAIS, Gargantua, 27), vous aurez bien les détails concernant l'amour des moines pour le vin (mais aussi leur lâcheté), mais aucun élève n’a jamais lu : « Si quelqu’un gravait [grimpait] en un arbre, pensant y être en sûreté, icellui de son bâton empalait par le fondement ».

 

 

« Empalait par le fondement, m’sieur, qu’est-ce que ça veut dire ? – Euh, … tout ce que je peux vous dire, c’est que ça doit faire assez mal ». Il faut savoir que le dit bâton est le manche qui sert à porter la croix aux processions (« long comme une lance, rond à plein poing et quelque peu semé de fleurs de lys, toutes presque effacées »), bâton dont le moine Frère Jean des Entommeures (= des Ravages) a fait une arme de destruction massive. En plus de les éveiller, ça enrichirait le vocabulaire des jeunes, ainsi que la polysémie du mot « fondement ».

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"EUH... JE PEUX VOUS DIRE QUE ÇA DOIT FAIRE ASSEZ MAL"

Quant au choix des extraits, je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut focaliser l’attention des adolescents sur le croustillant ou le scatologique, d’abord parce qu’il n’y en a pas partout, et loin de là. Mais les dits adolescents se feraient une idée moins solennelle, dévitalisée et scolaire de la littérature si l’on ne s’interdisait pas de jeter un œil sur, précisément, ce qui intéresse l’adolescence au premier chef.

 

 

Ils seraient peut-être plus nombreux à ouvrir des « classiques ». Tout se passe comme si les concepteurs de manuels étaient convaincus que la littérature était coupée de la vie, alors qu’elle en est une des émanations les plus authentiques (« les plus scientifiques », disait même le père JEAN CALLOUD, qui raffolait des chocolats de chez BONNAT). Tout se passe comme s’ils n’avaient pas compris ce qu’est la littérature, comme s’ils ne l’aimaient pas.

 

 

C’est vrai qu’une chape de pudeur semble s’être abattue sur l’expression du croustillant et du sale à partir du 17ème siècle. Voir pour cela, dans Carmen de MERIMEE, ce que recouvre la formule « et le reste », dans la bouche de Don José parlant de la femme qu’il aimait, formule qui saute à pieds joints sur les nombreux détails sur lesquels s'attardaient STENDHAL, MERIMEE ou FLAUBERT dans leur Correspondance. Et ce serait la même chose, si on lisait correctement RACINE ou DIDEROT. Croyez-vous que CORNEILLE ne savait pas ce qu’il disait, en écrivant : « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » ?

 

 

On me dira que c’est pour ça que ma prédilection va à Maître FRANÇOIS RABELAIS, à son jeu de mots sur « à Beaumont le Vicomte » (contrepèterie facile), à une recette de Panurge (« une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris », Pantagruel, 15), au lion qui ordonne au renard de remplir de mousse la « blessure » que la vieille vient de se faire entre les jambes (croit-il), et tout une pallerée de belles histoires. On me le dira, et j’en conviendrai. On me dira peut-être aussi que je ferais mieux de parler de RABELAIS, ce en quoi on aura tout à fait raison. C’est une très bonne idée. J’y songe. Promis, je vais m’y mettre.

 

 

En attendant cet heureux jour, contentons-nous, pour aujourd’hui, de quelques paragraphes rigolos et sympathiques tirés des Essais. Le premier est très gentil, et prouve que le cheval était inconnu en Amérique avant l’arrivée des Blancs.

 

 

Chapitre XLVIII : Des destriers.

 

 

Ces nouveaux peuples des Indes, quand les Espagnols y arrivèrent, estimèrent, tant des hommes que des chevaux, que ce fussent ou Dieux ou animaux, en noblesse au-dessus de leur nature. Aucuns, après avoir été vaincus, venant demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l’or et des viandes, ne faillirent d’en aller offrir autant aux chevaux, avec une toute pareille harangue à celle des hommes, prenant leurs hennissements pour langage de composition et de trêve.

 

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N'EST-CE PAS, QUE C'EST BEAU ? 

 

Le second est un peu plus « costaud ». Il paraît que les Américains « tamponnent », alors que les Français « essuient ». Je vous laisse juges.

 

 

Chapitre XLIX : Des coutumes anciennes. [Sur la volatilité des modes.]

 

 

Ils mangeaient comme nous le fruit à l’issue de table. Ils se torchaient le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles) avec une éponge ; voilà pourquoi SPONGIA est un mot obscène en Latin ; et était cette éponge attachée au bout d’un baston, comme témoigne l’histoire de celui qu’on menait pour être présenté aux bêtes devant le peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires [aux toilettes] ; et, n’ayant autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston et éponge dans le gosier et s’en étouffa. Ils s’essuyaient le catze [le cul] de laine parfumée, quand ils en avaient fait : « At tibi nil faciam, sed lota mentula lana. »

 

 

Traduction du latin : « Je ne te ferai rien [mais pour te punir de ton insatiable avarice, quand j’aurai lavé mes mains] ma mentule (ma verge) t’ordonnera de la lécher », comme quoi d'anciens adolescents peuvent regretter de ne pas avoir fait assez de latin (j’ai restitué les derniers vers de l’épigramme de MARTIAL, qu’on a tort de ne pas faire lire, je vous assure que c’est excellent pour l’imagination).

 

 

Tiens, ça me fait penser à cette stèle qu’on peut voir au Musée Gallo-Romain de Lyon, au dos de laquelle figure ce graffiti gravé (en latin, évidemment) : « Je ne baise pas, j’encule ». C’était le très discret, assez petit et très charmant, très classique, mais très correct et sûrement très chaste Monsieur AUDIN qui me l’avait fait découvrir. Il m’avait surpris, le brave homme. Comme quoi le graveleux n’est pas forcément incompatible avec la pruderie qu’une vaine apparence a posée sur le visage.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.