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mercredi, 23 décembre 2015

ÉDUCATION : LE PROGRÈS FAIT RAGE !

Allons, tout va de mieux en mieux en France.

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Cette fois, ça se passe dans l’Education Nationale.

Tout le monde s’était gaussé, il y a quelque temps, du baragouin pédagogiste qui faisait du ballon un « référentiel bondissant », de la piscine un « milieu aquatique profond standardisé », du badminton une « activité duelle de débat médiée par un volant », du kayak une « activité de déplacement d'un support flottant sur un fluide » et des parents d’élèves des « géniteurs d’apprenants », même si cette dernière formule apparaît davantage comme une blague, caustique mais parfaitement ajustée, de Régis Debray. 

Mais le Progrès ne saurait s’arrêter en si bon chemin. On en trouve un exemple probant dans le billet d’Offshore (cliquer colonne droite : "blogs à visiter") du 19 décembre. Son auteur a lu une chronique de Jean-Paul Brighelli dans Le Point, qui évoque certains effets de la dernière réforme des collèges éructée par madame Belkacem et sa cohorte de crânes d’œuf sur les pratiques des enseignants. Ce n'est pas une raison pour acheter Le Point.

Quant à Brighelli, je n'avais pas été épastrouillé par sa Fabrique du crétin, malgré la justesse de l'analyse. Au motif que tout ce que les praticiens du métier d'enseignant peuvent dire, leurs paroles sont inopérantes, impondérables, et à jamais vaines. La machine avance, mue par on ne sait trop quel carburant. Le "bon sens" a beau s'insurger aussitôt qu'on entreprend de l'éviscérer, la machine avance.

La « réforme » en question a inventé des EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) qui visent à abattre les cloisons qui compartimentent abusivement les disciplines et les empêchent de "communiquer". Il ne pourra plus en être ainsi, grâces soient rendues aux innovateurs de la pédagogie. 

Voici ce qu’écrit Philippe Nauher (une variante de Erehwon ?) dans Offshore :

« Ainsi évoque-t-il la mise en place des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Et de nous dégoter un bijou de transversalité proposé le 10 novembre dernier par un énergumène de l'académie de Lyon, afin de lier littérature et SVT. Voici l'intitulé : 

"Madame Bovary mangeait-elle équilibré ? Vous analyserez le menu proposé à son mariage, en expliquant en quoi ce sommet de la gastronomie normande ne satisfait pas les exigences d'une alimentation saine et respectueuse de l'environnement». 

"Madame Bovary mangeait-elle équilibré ?" Il fallait oser. J'invite le lecteur à découvrir dans Offshore quelques sujets "interdisciplinaires" gratinés improvisés vite fait sur le gaz par l'auteur.

On me dira ce qu'on veut, voilà du sérieux dans les nouvelles façons d'aborder (d'exécuter) la littérature. Ça intimide. De quoi clouer le bec à tous les ennemis de l’innovation pédagogique ! 

Attention, Najat, j'arrive. Accroche-toi au pinceau, j’enlève l’échelle ! 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 30 mars 2015

IL N’Y A PAS DE "SCIENCE ÉCONOMIQUE"

2/2

Je parlais de l'infirmité des pompeusement nommées « Sciences Humaines », qui ne portent le nom de sciences que par abus de langage. L'expression porte probablement le stigmate de son origine : le scientisme, cette croyance absolue dans le pouvoir de la science de résoudre tous les problèmes de l'humanité, imprégna jusqu'au coeur la moindre fibre de la seconde moitié du 19ème siècle.

Flaubert l'a personnifié sous les traits du pharmacien Homais, dont il a fait le masque de la bêtise satisfaite, la bêtise de « celui qui sait ». Parlant de je ne sais plus qui, Clémenceau disait joliment : « Il sait tout, mais rien d'autre ». Flaubert a tout compris : Bouvard et Pécuchet, me semble-t-il, ayant fait le tour du savoir encyclopédique, reviennent humblement pour finir à la tâche que s'assignaient les moines copistes du moyen âge.  

Les « sciences molles » (le Collège de 'Pataphysique les appelle plus justement les « Sciences Inexactes », par opposition aux « Sciences Exactes », dites dures qui, elles, s'efforcent à l'exactitude) se sont empressées de se ranger sous cette bannière, qui leur conférait une dignité dont elles n'auraient jamais osé rêver sur leurs seuls mérites. 

Sans pouvoir toutefois effacer le stigmate que constitue l'adjectif qualificatif "humaines" : quand on est obligé d'ajouter l'adjectif, c'est que son absence porterait à confusion. Quand on entre dans une « Faculté des Sciences », aucun doute sur les disciplines qu'on y enseigne, d'où l'absence d'adjectif. 

Mais tout le monde a laissé faire, par pitié envers les « Sciences Humaines », ces cousines disgraciées, qu'on invite de temps en temps, le dimanche, parce qu'il faut bien se montrer un peu magnanime avec le pauvre monde. Ainsi l'habitude a été prise, et j'imagine que le 20ème siècle n'a jamais voulu, osé ou pu rétablir la vérité. Monsieur Homais est entré au Collège de France et à l'Académie Française. Il fait autorité. Alors même qu'il faudrait peut-être renommer les « Sciences Humaines » les Sciences Fausses.

Car le vice rédhibitoire dont souffrent les « Sciences Humaines », c’est précisément l’Homme, avec ses désirs, ses calculs, son hypocrisie et sa sincérité, ses manœuvres, ses intérêts particuliers, ses audaces et ses peurs, ses haines et ses amours, ses constructions comme ses destructions, bref, sa LIBERTÉ. C'est-à-dire ce dont sont démunies les forces aveugles et déterminées de la nature. 

Non, l’économie n’est définitivement pas une science. Je n’énonce pas une énormité obscène : écoutez pour vous en convaincre l’émission de Dominique Rousset, le samedi sur France Culture. Quel que soit le thème choisi (dans l’actualité), vous les entendez, au bout d’un temps plus ou moins long, se chamailler. Deux économistes ne seront jamais entièrement d'accord.

Je rêve de les voir un jour en venir aux mains et, pourquoi pas, s'entretuer, pour qu'on s'amuse un peu. Vous imaginez, un combat à la loyale, à l'épée, « sur le pré », entre John Maynard Keynes et Milton Friedman ? Mais ils ne sont pas assez fous pour cela : ils se disent qu'un tel spectacle tuerait la poule aux œufs d'or, le « métier ». Il faut rester "digne", et pour cela, courtois et bien élevé. Propre.

Leurs désaccords n'en sont pas moins irréductibles. Ceci pour une raison très simple : l'étiquette "économiste" dissimule en règle très générale une tout autre personne que celle qui se donne pour spécialiste de ceci, expert en cela, capable d'assener (si, si, sans accent, c'est légal !) à toute la population du public terrorisé les certitudes absolues qu'il a acquises dans le domaine dont il se déclare le maître.

Cette personne est celle du militant politique. Les théories sur lesquelles ces gens s'appuient sont l'exact reflet du système politique dans lequel ils rêvent de les appliquer. En gros, sur le ring où ils s'affrontent, ça donne John Maynard Keynes contre Milton Friedman. Traduction : l'intérêt général contre les intérêts privés. Marx contre le Capital, si vous préférez.

Un économiste neutre est aussi crédible que ma sœur en monstre du Loch Ness. Il n'y a pas d'économie a-politique, mais des modèles d'organisation sociale qui s'affrontent : où faut-il placer le point d'équilibre entre les intérêts particuliers et l'intérêt supérieur du corps social dans son entier ? A qui et à quoi donner la priorité ? L'entrepreneur ou la collectivité ? L'efficacité économique ou la justice sociale ? Quand commence l'accaparement de la richesse ? Comment une société décide-t-elle de la façon dont elle veut vivre ?

Soit dit en passant, la logique à l'oeuvre dans le système actuel, et qui tend à imposer sa volonté aux Etats, elle est limpide : mettez en face le chiffre toujours plus impressionnant des pauvres qui ont besoin des Restos du cœur ou des Banques alimentaires pour survivre et le chiffre toujours plus astronomique des fortunes amassées par le centile des plus riches de la planète. Cela vous donne une idée de la montée irrésistible de l'Injustice. Or on sait que l'injustice produit immanquablement, à plus ou moins long terme, la violence. 

Pas d'économiste objectif, donc : une théorie économique ne peut faire autrement que d'être au service de l'idée qu'on se fait de la société. Vous pouvez aisément vérifier. S’ils sont, en gros, d’accord sur le constat (il suffit de lire les journaux, les statistiques du chômage, les fermetures d’usines, …), dès qu’on aborde l’analyse des causes ou les propositions de solutions, rien ne va plus. Il m’est arrivé d’entendre des disputes homériques entre les quatre « scientifiques » invités par Dominique Rousset. J’ai fini par les abandonner à leur triste sort. Pas d'économie sans choix de société. D'où leurs disputes interminables.

Imagine-t-on se disputer ainsi deux physiciens évoquant l’existence du « boson de Higgs », dont le LHC du CERN a apporté la preuve (deux vrais spécialistes du climat évoquant le « réchauffement climatique » feront très bien l’affaire) ? Et tout le monde est d'accord pour traiter d'hurluberlu indépassable ce « scientifique » arabe (ou musulman, je ne sais plus, peut-être les deux) qui vient de décréter que la Terre est plate. Résumons : il y a des acquis irréfutables de la Science. Il n'y a pas de preuve définitive en économie.

Si l'économie était une science, un consensus finirait par s’établir entre « experts », exactement de la même manière que s’est établi le consensus des milliers de scientifiques du GIEC sur le climat, après la recension faite de l'intégralité de la littérature scientifique consacrée au sujet. Je compte pour rien les vociférations du gouverneur de Floride, Rick Scott, qui interdit aux fonctionnaires de son administration de prononcer l’expression « réchauffement climatique » (Le Monde, 24 mars), et autres élucubrations des « climatosceptiques ». 

A ce propos, on peut cliquer sur le lien avec l'article : je conseille vivement la vidéo - 2'07" - désopilante : il faut voir quelques sénateurs américains se payer une bonne tranche de rigolade aux dépens du gars interrogé, tout propre sur lui et souriant, tournant autour de la formule taboue, mais complètement emberlificoté dans le ridicule à cause de la consigne reçue de ne pas la prononcer. 

Malheureusement, si l'économie n'est pas une science, trop de gens riches et puissants ont intérêt à ce que tout le monde le croie quand même, malgré tous les démentis que leur inflige la réalité. Avec l'appui de quelles complicités les « Usurpateurs » (titre du dernier livre de Susan George sur le même sujet, voir ici même, 17 mars) ont-ils réussi à imposer dans les esprits l'expression "Prix Nobel d'économie", au mépris pur et simple des volontés testamentaires d'Alfred Nobel ? Le testament instaure cinq prix (Physique, Chimie, Médecine, Paix, Littérature), pas un de plus. C'est ce que Bernard Maris dénonce en p. 15 de Houellebecq économiste, livre polémique, c'est certain, mais tout à fait salutaire et nécessaire. 

Voire indispensable. Et peut-être même utile. « Économiste sérieux » est un oxymore. La seule spécialité de l'économiste : l'enfumage. 

Voilà ce que je dis, moi.  

mardi, 18 février 2014

DELIRIUM, DE PHILIPPE DRUILLET (2/4)

Bon, j’avais commencé à parler de Philippe Druillet, je crois. Qui avait commencé dans la Bande Dessinée, mais qui, après avoir fait « exploser les codes » (comme il est de bon ton de dire), a touché à divers domaines connexes, et même étrangers à l’univers des vignettes, des planches et des bulles (« phylactères », par abus de langage mais pour montrer qu’on est « initié », quoique les phylactères soient tout de même autre chose).

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EN VOILÀ UN, DE PHYLACTERE, UN VRAI. ALBRECHT DÜRER Y A PEINT (EN 1508) : NE M'OUBLIE PAS ("UN PETIT FORGET ME NOT POUR MON ONCLE MARTIN, UN PETIT VERGISS MEIN NICHT POUR MON ONCLE GASTON, PAUVRE AMI DES TOMMIES, PAUVRE AMI DES TEUTONS", IL Y AVAIT LONGTEMPS QUE JE N'AVAIS PAS CITÉ GEORGES BRASSENS).

Par exemple, après avoir fait de la photo, il a travaillé un temps pour la cristallerie Daum, à concevoir des sculptures portant fièrement sa griffe. Avec succès, semble-t-il. Il se trouve que Daum ne m’est pas tout à fait étranger, puisqu’il m’est arrivé de « craquer » pour un objet produit par la maison, quand je voulais faire un joli cadeau. Il est vrai que pour certains objets, il est nécessaire de se mettre à plusieurs porte-monnaie, car la courbe des prix (comme celle du chômage) a vite tendance à se perdre du côté de l’infini.

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ÇA, C'EST LE PAPILLON SCULPTÉ PAR UNE ARTISTE JAPONAISE POUR LA MAISON DAUM. ADMIRONS SA FAÇON D'ATTRAPER LA LUMIERE.

Druillet n’est pas le seul à avoir migré de la BD vers autre chose. Quoi qu’on dise, la BD reste fondamentalement un art mineur, et la très estimable ambition de gens comme Philippe Druillet ou Enki Bilal de lui donner des lettres de noblesse comparables aux œuvres picturales consacrées par leur suspension aux cimaises des musées, exige qu’ils quittent l’univers des histoires racontées en images pour des disciplines plus traditionnelles, plus dignes, plus reconnues. Ce n'est pas ma faute si la BD est confinée dans des "musées" spécialisés.

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"GUERRIER", ÉDITÉ PAR LA MAISON DAUM.

LÀ C'EST SÛR, ON RECONNAÎT LA PATTE DE PHILIPPE DRUILLET.

La preuve aussi, c’est que leurs BD étaient de moins en moins des BD. J’ai admiré le travail de Bilal, après sa somptueuse et époustouflante « Trilogie Nikopol » (La Foire aux immortels, La Femme piège, Froid équateur), mais ensuite, avec Le Sommeil du monstre, j’ai eu du mal. Quant à 32 décembre, (et son double Trente-deux décembre) j’ai été largué, et du coup, j’ai laissé Rendez-vous à Paris dans les bacs des librairies spécialisées.

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Mais il faut dire que Bilal, en compagnie du scénariste Pierre Christin (Valérian ...), avait commis auparavant ce radical chef d'œuvre absolu que constitue Partie de chasse qui, dès 1983, anticipe sur le délabrement prochain de l'Empire Soviétique. Partie de chasse ? Saisissant. Un monument historique de la Bande Dessinée moderne, qui ne me fait pas regretter d'avoir été longtemps un adepte de cet "art mineur". Philippe Druillet lui-même, dans son bouquin, s'insurge contre le fait que Pierre Christin, un génie pourtant du scénario de Bande Dessinée, n'ait jamais reçu le Grand Prix d'Angoulême. Entièrement d'accord.

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AH ! LE VASSILI ALEXANDROVITCH TCHEVTCHENKO INVENTÉ PAR PIERRE CHRISTIN POUR PARTIE DE CHASSE ! VOUS M'EN DIREZ DES NOUVELLES !

Druillet, quant à lui, a créé un personnage désormais célébrissime (parmi les amateurs) : Lone Sloane. J’ai marché avec assez d'enthousiasme dans la combine, et j’ai continué à suivre avec Vuzz,  Urm le fou et divers autres titres. Mais quand est sorti le premier volume de Salammbô, j’ai freiné des quatre fers.

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C'EST SÛR, DRUILLET POSSEDE UN SENS AIGU DES PROPORTIONS ET DE L'ARCHITECTURE MONUMENTALE

Je n’y peux rien, pour moi, la BD résulte d’un compromis, d’un équilibre entre d’une part la narration d’une histoire (un « scénario ») et d’autre part son découpage en autant d’images que l’auteur (l’ « artiste je veux bien, à la rigueur) le juge approprié. Pour dire les choses autrement, il ne faut pas confondre "art" et "art appliqué". Dit encore autrement, il ne faut pas confondre "œuvre d'art" et "objet d'art". Sans parler de l' "objet dard" (Marcel Duchamp, ci-dessous).

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Avec Salammbô, on dira ce qu’on voudra, je me retrouve face à des tableaux, certes magnifiques, mais en route, j’ai perdu la narration de l'histoire, et ce qui est plus grave, j’ai aussi perdu Flaubert. Une variante, en quelque sorte, de la double peine.

 

Mais un Flaubert qui, soit dit en passant, avec son respect maniaque de la langue, de la phrase, du rythme, du mot, n'envisageait pas une seconde qu'un illustrateur, quelque doué qu'il fût, osât poser dans les marges de ses récits les étrons de ses images (pardon pour le terme).  Je ne nie pas l’énormité, l’originalité, peut-être la beauté du travail, mais je n’entre pas dans l’édifice. J'admets que ce puisse être une infirmité. Mais en peignant les images splendides que le livre de Flaubert lui inspire, je n'aime pas du tout que Druillet se permette de venir piétiner et violer mon propre imaginaire.

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DRUILLET VOIT AINSI LA PREMIERE PAGE DE SALAMMBÔ. (VOUS SAVEZ : "C'ETAIT A MEGARA, FAUBOURG DE CARTHAGE, DANS LES JARDINS D'HAMILCAR..."). MOI JE DIS : POURQUOI PAS ?  ET JE REPONDS : "MAIS BON !".

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 13 mai 2012

ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE

Allez, encore une petite louche de MONTAIGNE, du qu’on ne trouve pas dans le sacralisé « Lagarde et Michard ». Vous voulez que je vous dise ? Il faut être handicapé de la littérature pour être nostalgique de ça. Ça, qui vous apprenait ce qu’il faut savoir, et qui vous dégoûtait par avance de ce que, peut-être, vous auriez eu envie de découvrir.

 

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Mais enfin, si c'est notre jeunesse, il y en a que la nostalgie remplit. Vous avez dit nostalgie ? Pas moi, en tout cas. Je ne me tourne pas vers le passé au motif qu'il figurerait le temps où j'étais heureux (quelle blague!), mais je vois le présent, et je pressens l'avenir, et je vois que tout ça n'est guère encourageant. Mais je m'interdis de désespérer les « générations montantes ». Je leur souhaite quand même bon courage. Et lucidité, si l'envie leur en prend.

 

 

Moi, j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’exception en seconde, première et terminale, j’ai nommé PIERRE SAVINEL. Entre autres travaux d'érudition, il a traduit La Guerre des Juifs, de FLAVIUS JOSÈPHE (Editions de Minuit). Entre parenthèses, je ne comprends pas que les manuels de français, de deux choses l'une, expurgent les textes, ou alors les choisissent vierges de toute « impureté » (= sexe et pipi-caca).

 

 

Remarquez que l'esprit mal tourné de l'adolescent moyen est parfois en mesure d'ajouter du piment dans les plats les plus fades. Prenez, dans Lagarde et Michard XVIIIème, l'extrait intitulé « Poétique des ruines » (DIDEROT), c'est page 222, et lisez-le en ayant bien soin de remplacer le mot "ruines" par le mot "fesses", et vous verrez que la substitution ne manque ni de sel, ni de pertinence, comme nous l'avions réjouissamment testé à l'époque.

 

 

Expurgé ? Si vous prenez, dans Lagarde … 16ème siècle l’extrait de la bataille de l’abbaye de Seuillé (RABELAIS, Gargantua, 27), vous aurez bien les détails concernant l'amour des moines pour le vin (mais aussi leur lâcheté), mais aucun élève n’a jamais lu : « Si quelqu’un gravait [grimpait] en un arbre, pensant y être en sûreté, icellui de son bâton empalait par le fondement ».

 

 

« Empalait par le fondement, m’sieur, qu’est-ce que ça veut dire ? – Euh, … tout ce que je peux vous dire, c’est que ça doit faire assez mal ». Il faut savoir que le dit bâton est le manche qui sert à porter la croix aux processions (« long comme une lance, rond à plein poing et quelque peu semé de fleurs de lys, toutes presque effacées »), bâton dont le moine Frère Jean des Entommeures (= des Ravages) a fait une arme de destruction massive. En plus de les éveiller, ça enrichirait le vocabulaire des jeunes, ainsi que la polysémie du mot « fondement ».

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"EUH... JE PEUX VOUS DIRE QUE ÇA DOIT FAIRE ASSEZ MAL"

Quant au choix des extraits, je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut focaliser l’attention des adolescents sur le croustillant ou le scatologique, d’abord parce qu’il n’y en a pas partout, et loin de là. Mais les dits adolescents se feraient une idée moins solennelle, dévitalisée et scolaire de la littérature si l’on ne s’interdisait pas de jeter un œil sur, précisément, ce qui intéresse l’adolescence au premier chef.

 

 

Ils seraient peut-être plus nombreux à ouvrir des « classiques ». Tout se passe comme si les concepteurs de manuels étaient convaincus que la littérature était coupée de la vie, alors qu’elle en est une des émanations les plus authentiques (« les plus scientifiques », disait même le père JEAN CALLOUD, qui raffolait des chocolats de chez BONNAT). Tout se passe comme s’ils n’avaient pas compris ce qu’est la littérature, comme s’ils ne l’aimaient pas.

 

 

C’est vrai qu’une chape de pudeur semble s’être abattue sur l’expression du croustillant et du sale à partir du 17ème siècle. Voir pour cela, dans Carmen de MERIMEE, ce que recouvre la formule « et le reste », dans la bouche de Don José parlant de la femme qu’il aimait, formule qui saute à pieds joints sur les nombreux détails sur lesquels s'attardaient STENDHAL, MERIMEE ou FLAUBERT dans leur Correspondance. Et ce serait la même chose, si on lisait correctement RACINE ou DIDEROT. Croyez-vous que CORNEILLE ne savait pas ce qu’il disait, en écrivant : « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule » ?

 

 

On me dira que c’est pour ça que ma prédilection va à Maître FRANÇOIS RABELAIS, à son jeu de mots sur « à Beaumont le Vicomte » (contrepèterie facile), à une recette de Panurge (« une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris », Pantagruel, 15), au lion qui ordonne au renard de remplir de mousse la « blessure » que la vieille vient de se faire entre les jambes (croit-il), et tout une pallerée de belles histoires. On me le dira, et j’en conviendrai. On me dira peut-être aussi que je ferais mieux de parler de RABELAIS, ce en quoi on aura tout à fait raison. C’est une très bonne idée. J’y songe. Promis, je vais m’y mettre.

 

 

En attendant cet heureux jour, contentons-nous, pour aujourd’hui, de quelques paragraphes rigolos et sympathiques tirés des Essais. Le premier est très gentil, et prouve que le cheval était inconnu en Amérique avant l’arrivée des Blancs.

 

 

Chapitre XLVIII : Des destriers.

 

 

Ces nouveaux peuples des Indes, quand les Espagnols y arrivèrent, estimèrent, tant des hommes que des chevaux, que ce fussent ou Dieux ou animaux, en noblesse au-dessus de leur nature. Aucuns, après avoir été vaincus, venant demander paix et pardon aux hommes, et leur apporter de l’or et des viandes, ne faillirent d’en aller offrir autant aux chevaux, avec une toute pareille harangue à celle des hommes, prenant leurs hennissements pour langage de composition et de trêve.

 

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N'EST-CE PAS, QUE C'EST BEAU ? 

 

Le second est un peu plus « costaud ». Il paraît que les Américains « tamponnent », alors que les Français « essuient ». Je vous laisse juges.

 

 

Chapitre XLIX : Des coutumes anciennes. [Sur la volatilité des modes.]

 

 

Ils mangeaient comme nous le fruit à l’issue de table. Ils se torchaient le cul (il faut laisser aux femmes cette vaine superstition des paroles) avec une éponge ; voilà pourquoi SPONGIA est un mot obscène en Latin ; et était cette éponge attachée au bout d’un baston, comme témoigne l’histoire de celui qu’on menait pour être présenté aux bêtes devant le peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires [aux toilettes] ; et, n’ayant autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston et éponge dans le gosier et s’en étouffa. Ils s’essuyaient le catze [le cul] de laine parfumée, quand ils en avaient fait : « At tibi nil faciam, sed lota mentula lana. »

 

 

Traduction du latin : « Je ne te ferai rien [mais pour te punir de ton insatiable avarice, quand j’aurai lavé mes mains] ma mentule (ma verge) t’ordonnera de la lécher », comme quoi d'anciens adolescents peuvent regretter de ne pas avoir fait assez de latin (j’ai restitué les derniers vers de l’épigramme de MARTIAL, qu’on a tort de ne pas faire lire, je vous assure que c’est excellent pour l’imagination).

 

 

Tiens, ça me fait penser à cette stèle qu’on peut voir au Musée Gallo-Romain de Lyon, au dos de laquelle figure ce graffiti gravé (en latin, évidemment) : « Je ne baise pas, j’encule ». C’était le très discret, assez petit et très charmant, très classique, mais très correct et sûrement très chaste Monsieur AUDIN qui me l’avait fait découvrir. Il m’avait surpris, le brave homme. Comme quoi le graveleux n’est pas forcément incompatible avec la pruderie qu’une vaine apparence a posée sur le visage.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

mercredi, 25 janvier 2012

ALORS, GORGON OU ZOLA ?

EPISODE 2

 

 

Je passe rapidement sur Pot-Bouille, sorte de La Vie mode d’emploi avant l’heure. Le « projet », évidemment, n’a rien à voir avec celui de GEORGES PEREC. On voit le jeune Octave Mouret avant son irrésistible ascension sociale, passer comme un ludion d’un étage à l’autre de cet archétype de l’immeuble bourgeois haussmannien, au gré de ses conquêtes féminines. L’idée est assez rigolote.

 

 

 

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PHOTO PRISE PAR ZOLA (EXPO 1900 ?)

 

 

 

On voit la société qui occupe la scène (l’escalier principal) et la société qui reste en coulisse (l’escalier de service). Je me rappelle qu’au 5 de la rue Valentin-Haüy, l’escalier principal était recouvert jusqu’au dernier étage d’un superbe tapis rouge, solidement maintenu en place, à chaque marche, par une tringle de cuivre ou de laiton, et que l’escalier de service ouvrait dans la cuisine.

 

 

On fait connaissance avec Mme Josserand, personnage superbe, peut-être le foyer romanesque. On renifle les remugles qui montent de la cour, décrite comme un pur fantasme d’énorme poubelle. Mais on se lasse vite de quelques obsessions lexicales : « débâcle », « débandade », « massacre » (qu’on retrouve constamment aussi dans Au Bonheur des dames).

 

 

***

 

 

Au Bonheur des dames me rase passablement. La seule chose qui retient mon attention, c’est l’ensemble des observations d’ordre économique touchant l’essor du commerce de grande distribution, comme naissance d’une industrie tout entière fondée sur la production et la consommation de marchandises. Voilà quelque chose de lucide et moderne.

 

 

On y voit le petit artisan Bourras, qui sculpte amoureusement ses pommeaux de parapluie, se faire balayer impitoyablement par les entreprises qui produisent en grande série des objets standardisés et sans grâce, dans une logique d’accumulation et d’empilement. Tout cela est très juste, y compris la perte de l’amour du travail bien fait.

 

 

C’est d’autant plus juste que le projet de l’ambitieux Octave Mouret est de réduire la femme en esclavage. Pour moi, ce livre, qui n’est pas un bon roman, est en revanche un excellent documentaire, qui n’a rien perdu de son actualité. Tout ce qui y est romanesque est comme un dahlia artificiel dans un bouquet de roses fraîches.

 

 

Ce qui est difficile à supporter, là encore, c’est l’intention démonstrative, le schématisme des situations et des personnages, à commencer par le conte de fées qui clora le roman : Denise Baudu, petite employée héroïque qui élève ses deux frères, tapera dans l’œil d’Octave Mouret, qui la suppliera de l’épouser. Commencée avec les excavateurs, l’histoire se termine dans le sirop.

 

 

Ce qui est proprement insupportable, en cours de route, ce sont les trois visites éprouvantes, épuisantes, ennuyeuses, assommantes, etc. que l’auteur inflige sans pitié au lecteur, au fur et à mesure qu’Octave Mouret installe, dans le paysage économique en général et urbain en particulier, le triomphe du commerce industriel. Trois fois un interminable tour du propriétaire qui ne nous épargne aucun détail.

 

 

***

 

 

Ensuite, entrons dans Le Ventre de Paris. Franchement, qui peut considérer ce livre comme un chef d’œuvre de la littérature ? La littérature selon ZOLA est une entreprise. Si l’on veut, une entreprise picturale : il s’agit de composer un tableau. Attention, un tableau complet. Un tableau littéraire, si l’on veut, mais un tableau scientifique. On ne plaisante pas. La différence entre ZOLA et FLAUBERT, c’est que celui-ci efface méticuleusement les traces de son travail, alors que celui-là laisse les ficelles bien visibles.

 

 

Un détail est à prendre en compte : les Halles de Paris, ce sont celles de VICTOR BALTARD. Il faut garder ça présent à l’esprit pendant la lecture, qui en sort un peu sauvée par ce filigrane, cette perspective virtuelle. Qu’est-ce qui m’a rasé, dans ce livre ? Je le dis tout de go : la conception purement théorique et démonstrative de la trame. On sent l’esprit de système à l’œuvre.

 

 

 

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HALLES DE BALTARD

 

 

 

Je passe sur les accumulations de boustifaille, petit 1, les légumes, petit 2, les volailles, petit 3, les poissons, et le reste défile à l’avenant. Si, quand même, je garde la scène où les femmes qui bavassent ont percé à jour le bagnard évadé dans le personnage de Florent, au milieu de l’odeur puante des fromages. Bon, d’accord, c’est rigolo. Mais ZOLA, ayant eu l’idée de son roman, développe tout ça avec une application scolaire horripilante.

 

 

Florent et Gavard sont si peu crédibles en républicains comploteurs et insurrectionnels que le retour de Florent au bagne est comme inscrit sur sa figure. Sa naïveté est si éclatante que, même comme outil romanesque, elle ne tient guère la route. Et le Gavard qui exhibe tout fiérot son pistolet devant les femmes ! Les ficelles du romancier sont trop grosses. L’intrigue finit par apparaître comme un simple prétexte à l’exposé documentaire.

 

 

Un beau personnage, cependant : la charcutière Lisa Macquart, dont on pressent que l’auteur la « sent » mieux. La belle Normande, future Mme Lebigre (le cafetier), fait à ce personnage symbolisant la satisfaction et la majesté de la réussite, un pendant honorable. Ne parlons pas de toute la symbolique assenée par ZOLA autour du gras et du maigre. C’est simplement épais.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre. Une fois, pas plus.