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mardi, 31 janvier 2012

ET LA GORGONE EST ZOLA

Je sais, mon titre ne veut strictement rien dire. Voulant garder "gorgon" (à cause de "zola", évidemment, je sais, c'est très bête), je ne pouvais quand même pas évoquer le personnage ainsi nommé des Loups de Rougecogne, de la série « Chevalier Ardent », la BD de FRANÇOIS CRAENHALS. Et puis allez, embrayons, on n'a pas que ça à faire.

 

 

Pourquoi je veux garder "gorgon", vous me direz ? C'est très simplement un hommage à une campagne publicitaire, il y a quelques années, pour je ne sais plus trop quoi, qui affirmait péremptoirement qu'EMILE ZOLA n'était pas un fromage italien. Cela reste évidemment à démontrer.

 

 

 

EPISODE 4

 

 

Dans La Curée, ZOLA trouve un sujet qui lui convient, parce que j’ai l’impression qu’il est aussi fasciné que dégoûté par la personnalité de Saccard (Aristide Rougon). Ce petit employé à la Mairie, bien servi par le hasard du poste qu’il occupe, découvre les projets secrets de transformation de la capitale. Ayant épousé Renée, il devient un terrible prédateur, décidé à tout dévorer pour faire fortune. Il y a de l’ogre chez Saccard. Il y en a sans doute aussi chez ZOLA lui-même. Cette parenté donne réellement vie au personnage central et à ceux qui l’entourent.

 

 

Je veux bien que ce livre soit une dénonciation des pratiques spéculatives et immobilières d’une bande de vautours qui se sont abattus sur Paris à la suite du coup d’Etat de LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE et des grands travaux lancés celui-ci et le baron HAUSSMANN. Mais franchement, la narration est si bien menée, tellement goulue que je soupçonne l’auteur d’admirer profondément, mais sans le dire, ces personnalités hors du commun.

 

 

Le livre est très solide. Au centre, le trio Saccard, René, Maxime. On voit défiler une pléiade de seconds rôles bien ficelés, dont le moindre n’est pas Larsonneau, le complice de Saccard. Pour le contraste, ZOLA mise sur le vieux père, grave, de Renée, et sur Sidonie, sœur de Saccard.

 

 

La mayonnaise de l’atmosphère générale prend remarquablement : l’auteur peint à merveille une société de stuc et de dorure, au rayonnement extraordinaire, mais construite sur un vide béant. Saccard est un équilibriste menacé de faillite et de poursuites judiciaires. Mais tout le monde ici est plus ou moins équilibriste.

 

 

***

 

 

Avec La Conquête de Plassans, ZOLA montre de quoi il est capable, quand il veut bien. Je lui conseillerais volontiers de s’engager dans cette voie, à l’avenir. Voilà du beau travail. Sur fond de lutte entre les camps bonapartiste et légitimiste, on assiste au tissage de sa toile par l’araignée elle-même, méthodique et sournoise, en la personne de l’abbé Faujas.

 

 

C’est l’histoire d’un beau complot ecclésiastique pour faire triompher une influence aux dépens d’une autre, sur la ville. Il y a Monseigneur Rousselot, l’abbé Fenil, l’abbé Surin. J’aime toujours autant la subtilité raffinée de ZOLA dans le choix des noms de ses personnages (un abbé est montré comme bête à manger du foin, l’autre comme prêt à suriner). Un beau tableau d’ambitions, de manies, d’arrière-pensées, de calculs, de haines : guère de chrétienté dans tout ça.

 

 

Côté politique, on a aussi les deux clans : Péqueur (voir Pecqueux dans Germinal), le sous préfet un peu raté, bonapartiste de surcroît, face à Rastoil le légitimiste, autour du jardin « neutre » de Mouret, où Faujas fait son ascension arachniforme. Il y a le salon vert de Mme Rougon, autre terrain « neutre ».

 

 

Une des réussites du roman est la progression respective de trois personnages : François Mouret, Marthe, sa femme, et l’abbé Faujas. Marthe est prise peu à peu d’une véritable passion religieuse qui la fait se remettre entièrement entre les mains de l’abbé. Une passion dont on verra qu’elle est aussi tout à fait terrestre : « Je vous aime, Ovide », déclare-t-elle à Faujas, qui peut se dire que la partie est gagnée.

 

 

Et François Mouret dans tout ça, me direz-vous ? C’est simple : plus l’abbé Faujas grandit, plus il diminue (vous savez, c’est dans la logique de l’inscription du « retable d’Issenheim », de MATHIAS GRÜNEWALD, qu'on peut voir au musée Unterlinden de Colmar : « Illum oportet crescere, me autem minui », dit Saint Jean-Baptiste en pointant l'index sur celui qui doit grandir).

 

 

Après être devenu étranger dans sa propre maison, il sera jeté chez les fous. La folie de Mouret est pour moi une faiblesse romanesque, dont ZOLA avait peut-être besoin pour amener l’incendie final de la maison. Toujours cette obsession : ce n’est plus de l’hérédité, c’est de la doctrine. L’auteur avait-il vraiment besoin de le faire marcher à quatre pattes dans sa cellule des Tulettes ?

 

 

***

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 25 janvier 2012

ALORS, GORGON OU ZOLA ?

EPISODE 2

 

 

Je passe rapidement sur Pot-Bouille, sorte de La Vie mode d’emploi avant l’heure. Le « projet », évidemment, n’a rien à voir avec celui de GEORGES PEREC. On voit le jeune Octave Mouret avant son irrésistible ascension sociale, passer comme un ludion d’un étage à l’autre de cet archétype de l’immeuble bourgeois haussmannien, au gré de ses conquêtes féminines. L’idée est assez rigolote.

 

 

 

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PHOTO PRISE PAR ZOLA (EXPO 1900 ?)

 

 

 

On voit la société qui occupe la scène (l’escalier principal) et la société qui reste en coulisse (l’escalier de service). Je me rappelle qu’au 5 de la rue Valentin-Haüy, l’escalier principal était recouvert jusqu’au dernier étage d’un superbe tapis rouge, solidement maintenu en place, à chaque marche, par une tringle de cuivre ou de laiton, et que l’escalier de service ouvrait dans la cuisine.

 

 

On fait connaissance avec Mme Josserand, personnage superbe, peut-être le foyer romanesque. On renifle les remugles qui montent de la cour, décrite comme un pur fantasme d’énorme poubelle. Mais on se lasse vite de quelques obsessions lexicales : « débâcle », « débandade », « massacre » (qu’on retrouve constamment aussi dans Au Bonheur des dames).

 

 

***

 

 

Au Bonheur des dames me rase passablement. La seule chose qui retient mon attention, c’est l’ensemble des observations d’ordre économique touchant l’essor du commerce de grande distribution, comme naissance d’une industrie tout entière fondée sur la production et la consommation de marchandises. Voilà quelque chose de lucide et moderne.

 

 

On y voit le petit artisan Bourras, qui sculpte amoureusement ses pommeaux de parapluie, se faire balayer impitoyablement par les entreprises qui produisent en grande série des objets standardisés et sans grâce, dans une logique d’accumulation et d’empilement. Tout cela est très juste, y compris la perte de l’amour du travail bien fait.

 

 

C’est d’autant plus juste que le projet de l’ambitieux Octave Mouret est de réduire la femme en esclavage. Pour moi, ce livre, qui n’est pas un bon roman, est en revanche un excellent documentaire, qui n’a rien perdu de son actualité. Tout ce qui y est romanesque est comme un dahlia artificiel dans un bouquet de roses fraîches.

 

 

Ce qui est difficile à supporter, là encore, c’est l’intention démonstrative, le schématisme des situations et des personnages, à commencer par le conte de fées qui clora le roman : Denise Baudu, petite employée héroïque qui élève ses deux frères, tapera dans l’œil d’Octave Mouret, qui la suppliera de l’épouser. Commencée avec les excavateurs, l’histoire se termine dans le sirop.

 

 

Ce qui est proprement insupportable, en cours de route, ce sont les trois visites éprouvantes, épuisantes, ennuyeuses, assommantes, etc. que l’auteur inflige sans pitié au lecteur, au fur et à mesure qu’Octave Mouret installe, dans le paysage économique en général et urbain en particulier, le triomphe du commerce industriel. Trois fois un interminable tour du propriétaire qui ne nous épargne aucun détail.

 

 

***

 

 

Ensuite, entrons dans Le Ventre de Paris. Franchement, qui peut considérer ce livre comme un chef d’œuvre de la littérature ? La littérature selon ZOLA est une entreprise. Si l’on veut, une entreprise picturale : il s’agit de composer un tableau. Attention, un tableau complet. Un tableau littéraire, si l’on veut, mais un tableau scientifique. On ne plaisante pas. La différence entre ZOLA et FLAUBERT, c’est que celui-ci efface méticuleusement les traces de son travail, alors que celui-là laisse les ficelles bien visibles.

 

 

Un détail est à prendre en compte : les Halles de Paris, ce sont celles de VICTOR BALTARD. Il faut garder ça présent à l’esprit pendant la lecture, qui en sort un peu sauvée par ce filigrane, cette perspective virtuelle. Qu’est-ce qui m’a rasé, dans ce livre ? Je le dis tout de go : la conception purement théorique et démonstrative de la trame. On sent l’esprit de système à l’œuvre.

 

 

 

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HALLES DE BALTARD

 

 

 

Je passe sur les accumulations de boustifaille, petit 1, les légumes, petit 2, les volailles, petit 3, les poissons, et le reste défile à l’avenant. Si, quand même, je garde la scène où les femmes qui bavassent ont percé à jour le bagnard évadé dans le personnage de Florent, au milieu de l’odeur puante des fromages. Bon, d’accord, c’est rigolo. Mais ZOLA, ayant eu l’idée de son roman, développe tout ça avec une application scolaire horripilante.

 

 

Florent et Gavard sont si peu crédibles en républicains comploteurs et insurrectionnels que le retour de Florent au bagne est comme inscrit sur sa figure. Sa naïveté est si éclatante que, même comme outil romanesque, elle ne tient guère la route. Et le Gavard qui exhibe tout fiérot son pistolet devant les femmes ! Les ficelles du romancier sont trop grosses. L’intrigue finit par apparaître comme un simple prétexte à l’exposé documentaire.

 

 

Un beau personnage, cependant : la charcutière Lisa Macquart, dont on pressent que l’auteur la « sent » mieux. La belle Normande, future Mme Lebigre (le cafetier), fait à ce personnage symbolisant la satisfaction et la majesté de la réussite, un pendant honorable. Ne parlons pas de toute la symbolique assenée par ZOLA autour du gras et du maigre. C’est simplement épais.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre. Une fois, pas plus.