dimanche, 11 août 2024
DES GROS MOTS ... 1/4
... « SPÉCIAL JEUNESSE »
(loi du 16 juillet 1949).
La censure veillait. Attention, les auteurs qui se lançaient dans la littérature illustrée consacrée au divertissement, à l'instruction et à l'édification morale de la jeunesse devaient légalement se soumettre à tout un tas de contraintes imposées par le législateur, soucieux de ne laisser imprégner les jeunes cerveaux que par de hautes préoccupations morales et intellectuelles. Pollutions interdites, à commencer par les nocturnes. Pervertisseurs de la jeunesse, attention à vos fesses.
Ces conditions spéciales ont amené les dessinateurs de bandes dessinées à user de divers détours, ruses, opérations de contournement, dans le but d'éviter les foudres légales. C'est ainsi qu'on a vu fleurir sous le crayon, la plume ou le pinceau des artistes un certain nombre d'éléments figuratifs supposés à même de restituer la rage, la crudité ou la violence des propos.
Cela donne des bulles assez particulières, où l'on voit tour à tour des points d'exclamation et d'interrogation (on se demande pourquoi), des tourbillons, des flèches, des cumulo-nimbus orageux, et puis toutes sortes de signes plus ou moins expressifs ou caractérisés. Jusqu'ici, pas grand-chose à ajouter (ci-dessous, Maurice Tillieux, dont les quatre volumes de l'Intégrale Gil Jourdan n'ont quasiment pas contribué à ma collecte).
Certains bédéastes se mettent cependant à oser davantage.
Tête de mort, épée, ça prend tournure. Ça, c'est Peyo, l'inventeur des Schtroumps.
Franquin lui-même se laisse volontiers aller à une certaine violence verbale — quoique seulement dans des phylactères "iconiques" — : c'est dans les aventures de Spirou et Fantasio. En attendant mieux ... et en plus "imagé" !!! Le meilleur est à venir.
A suivre.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, humour, phylactères, bulle bd, maurice tillieux, andré franquin, aventures de spirou et fantasio
mardi, 18 février 2014
DELIRIUM, DE PHILIPPE DRUILLET (2/4)
Bon, j’avais commencé à parler de Philippe Druillet, je crois. Qui avait commencé dans la Bande Dessinée, mais qui, après avoir fait « exploser les codes » (comme il est de bon ton de dire), a touché à divers domaines connexes, et même étrangers à l’univers des vignettes, des planches et des bulles (« phylactères », par abus de langage mais pour montrer qu’on est « initié », quoique les phylactères soient tout de même autre chose).
EN VOILÀ UN, DE PHYLACTERE, UN VRAI. ALBRECHT DÜRER Y A PEINT (EN 1508) : NE M'OUBLIE PAS ("UN PETIT FORGET ME NOT POUR MON ONCLE MARTIN, UN PETIT VERGISS MEIN NICHT POUR MON ONCLE GASTON, PAUVRE AMI DES TOMMIES, PAUVRE AMI DES TEUTONS", IL Y AVAIT LONGTEMPS QUE JE N'AVAIS PAS CITÉ GEORGES BRASSENS).
Par exemple, après avoir fait de la photo, il a travaillé un temps pour la cristallerie Daum, à concevoir des sculptures portant fièrement sa griffe. Avec succès, semble-t-il. Il se trouve que Daum ne m’est pas tout à fait étranger, puisqu’il m’est arrivé de « craquer » pour un objet produit par la maison, quand je voulais faire un joli cadeau. Il est vrai que pour certains objets, il est nécessaire de se mettre à plusieurs porte-monnaie, car la courbe des prix (comme celle du chômage) a vite tendance à se perdre du côté de l’infini.
ÇA, C'EST LE PAPILLON SCULPTÉ PAR UNE ARTISTE JAPONAISE POUR LA MAISON DAUM. ADMIRONS SA FAÇON D'ATTRAPER LA LUMIERE.
Druillet n’est pas le seul à avoir migré de la BD vers autre chose. Quoi qu’on dise, la BD reste fondamentalement un art mineur, et la très estimable ambition de gens comme Philippe Druillet ou Enki Bilal de lui donner des lettres de noblesse comparables aux œuvres picturales consacrées par leur suspension aux cimaises des musées, exige qu’ils quittent l’univers des histoires racontées en images pour des disciplines plus traditionnelles, plus dignes, plus reconnues. Ce n'est pas ma faute si la BD est confinée dans des "musées" spécialisés.
"GUERRIER", ÉDITÉ PAR LA MAISON DAUM.
LÀ C'EST SÛR, ON RECONNAÎT LA PATTE DE PHILIPPE DRUILLET.
La preuve aussi, c’est que leurs BD étaient de moins en moins des BD. J’ai admiré le travail de Bilal, après sa somptueuse et époustouflante « Trilogie Nikopol » (La Foire aux immortels, La Femme piège, Froid équateur), mais ensuite, avec Le Sommeil du monstre, j’ai eu du mal. Quant à 32 décembre, (et son double Trente-deux décembre) j’ai été largué, et du coup, j’ai laissé Rendez-vous à Paris dans les bacs des librairies spécialisées.
Mais il faut dire que Bilal, en compagnie du scénariste Pierre Christin (Valérian ...), avait commis auparavant ce radical chef d'œuvre absolu que constitue Partie de chasse qui, dès 1983, anticipe sur le délabrement prochain de l'Empire Soviétique. Partie de chasse ? Saisissant. Un monument historique de la Bande Dessinée moderne, qui ne me fait pas regretter d'avoir été longtemps un adepte de cet "art mineur". Philippe Druillet lui-même, dans son bouquin, s'insurge contre le fait que Pierre Christin, un génie pourtant du scénario de Bande Dessinée, n'ait jamais reçu le Grand Prix d'Angoulême. Entièrement d'accord.
AH ! LE VASSILI ALEXANDROVITCH TCHEVTCHENKO INVENTÉ PAR PIERRE CHRISTIN POUR PARTIE DE CHASSE ! VOUS M'EN DIREZ DES NOUVELLES !
Druillet, quant à lui, a créé un personnage désormais célébrissime (parmi les amateurs) : Lone Sloane. J’ai marché avec assez d'enthousiasme dans la combine, et j’ai continué à suivre avec Vuzz, Urm le fou et divers autres titres. Mais quand est sorti le premier volume de Salammbô, j’ai freiné des quatre fers.
C'EST SÛR, DRUILLET POSSEDE UN SENS AIGU DES PROPORTIONS ET DE L'ARCHITECTURE MONUMENTALE
Je n’y peux rien, pour moi, la BD résulte d’un compromis, d’un équilibre entre d’une part la narration d’une histoire (un « scénario ») et d’autre part son découpage en autant d’images que l’auteur (l’ « artiste je veux bien, à la rigueur) le juge approprié. Pour dire les choses autrement, il ne faut pas confondre "art" et "art appliqué". Dit encore autrement, il ne faut pas confondre "œuvre d'art" et "objet d'art". Sans parler de l' "objet dard" (Marcel Duchamp, ci-dessous).
Avec Salammbô, on dira ce qu’on voudra, je me retrouve face à des tableaux, certes magnifiques, mais en route, j’ai perdu la narration de l'histoire, et ce qui est plus grave, j’ai aussi perdu Flaubert. Une variante, en quelque sorte, de la double peine.
Mais un Flaubert qui, soit dit en passant, avec son respect maniaque de la langue, de la phrase, du rythme, du mot, n'envisageait pas une seconde qu'un illustrateur, quelque doué qu'il fût, osât poser dans les marges de ses récits les étrons de ses images (pardon pour le terme). Je ne nie pas l’énormité, l’originalité, peut-être la beauté du travail, mais je n’entre pas dans l’édifice. J'admets que ce puisse être une infirmité. Mais en peignant les images splendides que le livre de Flaubert lui inspire, je n'aime pas du tout que Druillet se permette de venir piétiner et violer mon propre imaginaire.
DRUILLET VOIT AINSI LA PREMIERE PAGE DE SALAMMBÔ. (VOUS SAVEZ : "C'ETAIT A MEGARA, FAUBOURG DE CARTHAGE, DANS LES JARDINS D'HAMILCAR..."). MOI JE DIS : POURQUOI PAS ? ET JE REPONDS : "MAIS BON !".
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, philippe druillet, délirium, éditions les arènes, phylactères, cristallerie daum, enki bilal, la foire aux immortels, la femme piège, froid équateur, le sommeil du monstre, 32 décembre, festival de bd angoulême, pierre christin, valérian, partie de chasse, vuzz, urm le fou, flaubert, salammbô