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jeudi, 15 juillet 2021

HUMEUR DU MOMENT

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HUMEUR DU MOMENT

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dimanche, 12 avril 2020

IL N'Y A PAS QUE LE CONFINEMENT

BANDE DESSINÉE : QUELQUES RÉPLIQUES MÉMORABLES

***

1 - MAURICE TILLIEUX (Gil Jourdan)

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Les Cargos du crépuscule.

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Libellule s'évade.

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Libellule s'évade.

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Libellule s'évade.

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L'Enfer de Xique-Xique. On constate que l'inspecteur Crouton (Annibal de son prénom) est un contributeur généreux de répliques mémorables, Libellule n'étant que l'auteur de plein de jeux de mots débiles.

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L'Enfer de Xique-Xique (si Libellule rit, c'est qu'une grenade au gaz hilarant a été lancée par erreur sur les fugitifs. Le juge militaire va se venger : le journal titrera le lendemain : « Au cours d'une tribunal-party en cent relances, un espion gagne un séjour de 10.000 ans dans l'enfer de Xique-Xique »).

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L'Enfer de Xique-Xique (les deux vignettes se suivent, Gil Jourdan vient de placer quelques balles dans le réservoir d'eau).

dimanche, 17 novembre 2019

REISER ET L'ARCON

En 1977, Reiser publiait (sans doute dans Charlie Hebdo) une grosse page de dessins pour rendre compte de sa visite à la dixième Biennale de Paris. Pour lui, les œuvres présentées ne relevaient pas de ce que j'ai appelé "l'Arcon (temporain)", mais de

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ce qui révèle l'attitude du bonhomme face à beaucoup d' "inventions" de la "modernité" triomphante, dans lesquelles il ne voyait que des concrétisations grandioses et minables de la BÊTISE.

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Je me rappelle, au cours de la visite d'une ancienne Biennale d'Art à Lyon (Halle Tony Garnier), avoir vu une petite collection de sacs en plastique transparent cloués à une planche verticale : dans chacun des sacs flottait un petit poisson anciennement vivant, et ça puait, et ça puait (il faisait très chaud). Des histoires comme ça, je pourrais en raconter des tonnes, étant donné le nombre de ces expositions visitées dans une vie antérieure.

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Vignette ci-dessus : ce ne sont pas seulement les "bourgeois" qui viennent "phosphorer" devant leurs œuvres, mais également les critiques d'art patentés, payés pour étaler dans des revues faisant autorité (Art press, bien sûr) des morceaux de prose extraordinaires de comique (involontaire ?) à force de cérébralité abstruse et de créativité non-sensique (j'ai conservé quelques témoignages de proses particulièrement "intéressantes"). J'ajoute qu'à mon avis, les "artistes" se fendent moins la gueule qu'ils ne se prennent très au sérieux. Ils attendent fiévreusement, en réalité, qu'un intellectuel reconnu vienne plaquer sur leur "travail" l'estampille "philosophique" qui le validera.

Est-ce bien de l'art "rigolo" ? On a le droit de ne pas être aussi indulgent. Son spectateur a bien l'air rigolard, mais ceux qui se marrent à se secouer la bedaine, y compris sous son crayon, ce sont les "artistes" eux-mêmes (pardon, il faut dire "artistes-plasticiens" : où va se nicher la prétention ?). La réaction de Reiser est celle – qu'on me pardonne cet archaïsme indigne – du bon sens populaire.

Elle me fait immanquablement penser à celle de Libellule (ci-dessous), personnage de BD (Maurice Tillieux), dans Popaïne et vieux tableaux. Ce gars dont la culture est des plus rudimentaire essaie d'apprendre vite fait sur le gaz, en prévision de l'opération prévue pour le soir, comment il convient de parler d'art contemporain.

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Autre personnage d'artiste contemporain imaginé par Maurice Tillieux (dans Carats en vrac) : son atelier sur les toits de Paris vient d'être traversé par la R8 Gordini des bandits en fuite.

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Dans mon billet du 19 juillet dernier, je faisais état d'une Chronique de La Montagne où Alexandre Vialatte renvoyait la musique contemporaine qu'il avait sans doute entendue peu avant à l'incompressible catégorie des BRUITS.

Reiser de son côté, renvoie les bousilleurs de l'art à une autre catégorie, beaucoup plus vaste et indéfinie, la catégorie dont le centre est partout et la circonférence nulle part, je veux dire celle du "N'IMPORTE QUOI". C'est très bien vu et tout aussi pertinent. 

Je m'en tiens pour ma part à ma catégorie de "l'Arcon" qui, selon moi, apporte une précision au concept de "n'importe quoi", tout en rejoignant les intentions de Reiser : les tâcherons et besogneux de "l'art contemporains" sont avant tout des militants du FOUTAGE DE GUEULE.

Je l'ai déjà dit ici (j'ai la flemme de chercher, mais c'est à de multiples reprises, ça finit par être fatigant) : chez les tenants victorieux de l'art contemporain (je veux dire les imposteurs qui ont les faveurs des milliardaires : "n'importe quoi pourvu que ça rapporte"), ce qui compte le plus, ce n'est pas la valeur proprement artistique de l'œuvre produite, ce n'est pas l'effet sur la sensibilité des spectateurs, c'est l'IDÉE qui sous-tend cette œuvre, c'est la théorie qui lui sert de soubassement, c'est le terreau conceptuel qui lui sert de nutriment, c'est la substance intellectuelle qui l'enrobe, et qui finit par l'introduire dans le paysage des gens ordinaires, auxquels ils s'impose (en rhétorique, on appelait ça l'argument d'autorité). Reiser lui-même le dit.

LA TECHNIQUE ET L'IDEE.jpg

« Depuis ces individus, il ne s'agit plus de se rendre maître d'une technique mise au service de visions personnelles, il s'agit d'avoir des idées vendables. » C'est ce que j'écrivais ici le 19 juillet 2019 à propos de "musique contemporaine".

Ce qu'écrit ci-dessus Reiser pour se marrer (quoique), ce n'est ni plus ni moins que la théorie formulée avec le plus grand sérieux, au début du vingtième siècle, par Marcel Duchamp, devenu le pape, l'ancêtre, l'inspirateur de tout ce qui s'est fait plus tard en matière d'art contemporain. Plus besoin de se donner un mal de chien pour apprendre à maîtriser des outils techniques pour s'efforcer de produire des effets esthétiques capables de toucher la sensibilité des spectateurs. Il suffit d'avoir l'idée que nul n'a eu le toupet d'avoir avant vous.

Ce n'est ni plus ni moins que la sacralisation de l'innovation, qui répand ses ravages partout dans le monde actuel : dans l'économie, dans la technique et jusque dans le fonctionnement des sociétés et les relations entre les gens.

J'en reviens toujours là : le vingtième siècle, en soi inhumain, a fait sortir les activités humaines des plus nobles bornes de la raison humaine.

REISER ET L'ARCON

En 1977, Reiser publiait (sans doute dans Charlie Hebdo) une grosse page de dessins pour rendre compte de sa visite à la dixième Biennale de Paris. Pour lui, les œuvres présentées ne relevaient pas de ce que j'ai appelé "l'Arcon (temporain)", mais de

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ce qui révèle l'attitude du bonhomme face à beaucoup d' "inventions" de la "modernité" triomphante, dans lesquelles il ne voyait que des concrétisations grandioses et minables de la BÊTISE.

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Je me rappelle, au cours de la visite d'une ancienne Biennale d'Art à Lyon (Halle Tony Garnier), avoir vu une petite collection de sacs en plastique transparent cloués à une planche verticale : dans chacun des sacs flottait un petit poisson anciennement vivant, et ça puait, et ça puait (il faisait très chaud). Des histoires comme ça, je pourrais en raconter des tonnes, étant donné le nombre de ces expositions visitées dans une vie antérieure.

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Vignette ci-dessus : ce ne sont pas seulement les "bourgeois" qui viennent "phosphorer" devant leurs œuvres, mais également les critiques d'art patentés, payés pour étaler dans des revues faisant autorité (Art press, bien sûr) des morceaux de prose extraordinaires de comique (involontaire ?) à force de cérébralité abstruse et de créativité non-sensique (j'ai conservé quelques témoignages de proses particulièrement "intéressantes"). J'ajoute qu'à mon avis, les "artistes" se fendent moins la gueule qu'ils ne se prennent très au sérieux. Ils attendent fiévreusement, en réalité, qu'un intellectuel reconnu vienne plaquer sur leur "travail" l'estampille "philosophique" qui le validera.

Est-ce bien de l'art "rigolo" ? On a le droit de ne pas être aussi indulgent. Son spectateur a bien l'air rigolard, mais ceux qui se marrent à se secouer la bedaine, y compris sous son crayon, ce sont les "artistes" eux-mêmes (pardon, il faut dire "artistes-plasticiens" : où va se nicher la prétention ?). La réaction de Reiser est celle – qu'on me pardonne cet archaïsme indigne – du bon sens populaire.

Elle me fait immanquablement penser à celle de Libellule (ci-dessous), personnage de BD (Maurice Tillieux), dans Popaïne et vieux tableaux. Ce gars dont la culture est des plus rudimentaire essaie d'apprendre vite fait sur le gaz, en prévision de l'opération prévue pour le soir, comment il convient de parler d'art contemporain.

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Autre personnage d'artiste contemporain imaginé par Maurice Tillieux (dans Carats en vrac) : son atelier sur les toits de Paris vient d'être traversé par la R8 Gordini des bandits en fuite.

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Dans mon billet du 19 juillet dernier, je faisais état d'une Chronique de La Montagne où Alexandre Vialatte renvoyait la musique contemporaine qu'il avait sans doute entendue peu avant à l'incompressible catégorie des BRUITS.

Reiser de son côté, renvoie les bousilleurs de l'art à une autre catégorie, beaucoup plus vaste et indéfinie, la catégorie dont le centre est partout et la circonférence nulle part, je veux dire celle du "N'IMPORTE QUOI". C'est très bien vu et tout aussi pertinent. 

Je m'en tiens pour ma part à ma catégorie de "l'Arcon" qui, selon moi, apporte une précision au concept de "n'importe quoi", tout en rejoignant les intentions de Reiser : les tâcherons et besogneux de "l'art contemporains" sont avant tout des militants du FOUTAGE DE GUEULE.

Je l'ai déjà dit ici (j'ai la flemme de chercher, mais c'est à de multiples reprises, ça finit par être fatigant) : chez les tenants victorieux de l'art contemporain (je veux dire les imposteurs qui ont les faveurs des milliardaires : "n'importe quoi pourvu que ça rapporte"), ce qui compte le plus, ce n'est pas la valeur proprement artistique de l'œuvre produite, ce n'est pas l'effet sur la sensibilité des spectateurs, c'est l'IDÉE qui sous-tend cette œuvre, c'est la théorie qui lui sert de soubassement, c'est le terreau conceptuel qui lui sert de nutriment, c'est la substance intellectuelle qui l'enrobe, et qui finit par l'introduire dans le paysage des gens ordinaires, auxquels ils s'impose (en rhétorique, on appelait ça l'argument d'autorité). Reiser lui-même le dit.

LA TECHNIQUE ET L'IDEE.jpg

« Depuis ces individus, il ne s'agit plus de se rendre maître d'une technique mise au service de visions personnelles, il s'agit d'avoir des idées vendables. » C'est ce que j'écrivais ici le 19 juillet 2019 à propos de "musique contemporaine".

Ce qu'écrit ci-dessus Reiser pour se marrer (quoique), ce n'est ni plus ni moins que la théorie formulée avec le plus grand sérieux, au début du vingtième siècle, par Marcel Duchamp, devenu le pape, l'ancêtre, l'inspirateur de tout ce qui s'est fait plus tard en matière d'art contemporain. Plus besoin de se donner un mal de chien pour apprendre à maîtriser des outils techniques pour s'efforcer de produire des effets esthétiques capables de toucher la sensibilité des spectateurs. Il suffit d'avoir l'idée que nul n'a eu le toupet d'avoir avant vous.

Ce n'est ni plus ni moins que la sacralisation de l'innovation, qui répand ses ravages partout dans le monde actuel : dans l'économie, dans la technique et jusque dans le fonctionnement des sociétés et les relations entre les gens.

J'en reviens toujours là : le vingtième siècle, en soi inhumain, a fait sortir les activités humaines des plus nobles bornes de la raison humaine.

mardi, 09 avril 2019

GRAND DÉBAT ...

... OU GRANDE IMPOSTURE ?

Très fort, Macron ! Bravo l'artiste ! Les gilets jaunes, on peut dire qu'il les a eus à l'usure. C'est vrai qu'il y a mis de l'énergie, mais il en est venu à bout. Pour l'énergie, il faut le reconnaître, il en a à revendre. Tenir le crachoir pendant six ou huit heures face à des centaines de maires d'un peu partout en France et répondre aux questions, il faut le faire. Emmanuel Macron a donc amplement payé de sa personne pour ... pour quoi, au fait ? Ben, en fait, on n'en sait rien, finalement. Tout ça pour ça ? Après le bouillonnement des idées, la bouillie indigeste de leur « restitution » par le premier ministre : on peut compter sur lui (et sur le président) pour tordre les idées dans le sens qui l'arrange. Soyons sûrs que la montagne du Grand Débat accouchera de quelques petites crottes très présentables.

Qu'est-ce qu'ils voulaient, au départ, les gilets jaunes ? Finir le mois sans trop de casse, et sans trop de rouge sur le compte en banque. Cela veut dire, pour des politiques un peu responsables : agir sur la situation économique des gens qui ont un travail qui nourrit de plus en plus mal les individus et les familles. Ils ne demandaient pas le pactole, ils ne le demandent toujours pas, d'ailleurs. Vouloir finir le mois avec le feu vert de la banque n'est pas une revendication. Vouloir finir dans le vert n'est pas un sujet de débat, grand ou petit.

Je veux révéler ici le secret du raisonnement d'Emmanuel Macron au moment où la « crise des gilets jaunes » a éclaté : c'est comme si j'étais là, dans sa tête. Notre jeune et fringant président s'est dit :

« POUR LES FAIRE TAIRE, DONNONS-LEUR LA PAROLE ! ».

Je l'ai entendu de mes oreilles mentales, je vous jure ! Sauf que, dans la formule ci-dessus, le pronom "les" ne renvoie pas aux mêmes personnes que le pronom "leur". "Les" (COD : complément d'objet direct), c'est les Français gilets jaunes, "leur" (COS : complément d'objet second), c'est les Français pas gilets jaunes. En français ordinaire : pour étouffer la voix de ceux qui contestent, donnons la parole à ceux qui croient encore à la pureté du régime démocratique à la Macron (sous-entendu : qui ont encore assez de moyens pour y croire, comme le montre la sociologie des participants). En encore plus clair : faisons semblant de donner la parole à toute la nation, ça fera toujours assez de chahut pour que les cris des gilets jaunes se perdent. Reformulé, ça donne : 

« POUR FAIRE TAIRE LES GILETS JAUNES, DONNONS LA PAROLE AUX CITOYENS "POSITIFS". » 

Qu'est-ce que c'est, en définitive, le "Grand Débat National" ? Une belle entreprise de noyade : vexé d'être remis en question par quelques pouilleux et sans grade (150.000 au plus fort ?), Emmanuel Macron veut à tout prix "sortir du problème par le haut". Il met douze millions d'euros dans l'entreprise pour appeler à la rescousse toutes les bonnes volontés qui ont quelque chose à dire tout en estimant qu'elles ne sont pas écoutées. Résultat : toutes participations étant comptées, on arrive à un total de 1.500.000 personnes qui ont apporté leur contribution à ce Grand Débat National. Enfoncés, les Gilets Jaunes.

Cela ne fait pas lourd par rapport aux 44.000.000 de Français dont le nom figure sur les listes électorales, mais c'est déjà un nombre respectable. C'est vrai, c'est bien vrai, c'est tout à fait vrai, sauf que le Macron a réussi, avec son Grand Débat, à créer un événement que personne n'attendait ni ne demandait. Le Grand Débat correspond assez bien à la définition de l'amour selon le psychanalyste Jacques Lacan : « Aimer, c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas ». 

Car le Grand Débat n'a pas concerné les Gilets Jaunes. Parce qu'il n'était pas fait pour satisfaire les Gilets Jaunes, mais pour noyer les Gilets Jaunes. L'entourloupe est magistrale.

Là où il est très fort, c'est que l'initiative du Grand Débat, dont l'auteur de l'idée est inconnu à ce jour, a mis en branle une énorme machine administrative (des institutions et des commissions "ad hoc") dont les médias dans leur ensemble se sont vus contraints de rendre compte de la marche jour après jour. En clair et en français : Macron a fait du grand spectacle. Le Barnum du Grand Débat. La noyade, c'est ça.

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C'est dans Popaïne et vieux tableaux, cette bande dessinée remarquable du grand Maurice Tillieux (les plus beaux accidents de voiture de toute la bande dessinée, hormis celui de sa IBN MAH ZOUD2.jpgSplendeur Ibn-Mah-Zoud, roi du pétrole daltonien aux 52 épouses, au volant de la turbotraction dessinée par Franquin dans Vacances sans histoires), que le détective Gil Jourdan déclare cette vérité définitive : « Où cache-t-on mieux un livre que parmi d'autres livres ? », en parlant du registre où Stéphane Palankine, le gros trafiquant de drogue, tient une comptabilité précise de ses affaires. Macron tient le même raisonnement : où cache-t-on mieux des idées gênantes que parmi un déluge d'idées (excellentes, bonnes, mauvaises, anodines ou fantaisistes) ? Noyons donc. Et ce déluge-là a duré bien plus de quarante jours et quarante nuits. Mais ça a à peu près marché. Bon, c'est vrai, quelques idées-forces persistent à émerger, mais l'essentiel, ce qui a servi de base au départ, est maintenant oublié.

L'essentiel ? La situation concrète de la masse des gens qui ont un travail et qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Et ça, ça n'a pas changé, et ce n'est pas près de changer. Là, c'est la double page de Gotlib sur le Biaffrogalistan qu'il faut convoquer (ci-dessous première et dernière bande, c'est dans la Rubrique-à-brac tome 4, page 366 de l'intégrale), pour dire l'efficacité des paroles sur la réalité. Le Grand Débat National aura eu surtout des vertus incantatoires.

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A noter : la taille du message dans la troisième vignette et dans l'avant-dernière. Le ressassement médiatique fait disparaître le message de la conscience.

La réalité du désastre, quant à elle, est intacte.

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Tout ça veut dire une seule et unique chose : Macron, tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire (voir mon papier du 1 octobre 2017).

Macron, c'est la parole verbale. La réalité concrète des gilets jaunes a miraculeusement disparu. Enfin, c'est ce qu'il aimerait bien.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 26 février 2016

LA VIE MODE D'EMPLOI

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Le logo de POL a été dessiné par Perec. L'actuel est tiré de La Vie mode d'emploi (p.566).

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Il figure « la position que l'on appelle au go le "Ko" ou "Eternité"». Georges Perec était grand amateur du jeu de go.

***

La lecture de la formidable biographie de Georges Perec par David Bellos m’a donné envie de rouvrir La Vie mode d’emploi, que j’avais lu il y a fort longtemps (Hachette-P.O.L., 1978). Je ne regrette pas. Le livre peut impressionner a priori par son gigantisme, avec ses 600 pages (il y a pire), mais aussi du fait de sa conception et de sa construction. 

Mais La Vie mode d’emploi, en dehors du colossal défi formel (bi-carré latin orthogonal d'ordre 10 + polygraphie du cavalier), repose sur une énigme : la mort de Percival Bartlebooth a-t-elle été voulue, prévue, anticipée par Gaspard Winckler ? Bizarre, car quand on a retrouvé le corps du milliardaire devant le 439ème puzzle (voir note : quid des 61 restants ?) sur lequel il était penché, Winckler était déjà mort depuis deux ans. D’ailleurs, quelle obscure raison aurait eu l’artisan de se venger du milliardaire au service exclusif duquel il travaillait ? Mystère. 

Bref, comment se fait-il qu’au moment de poser la dernière pièce du puzzle, Bartlebooth se soit retrouvé avec dans la main un W, alors que « le trou noir de la seule pièce non encore posée dessine la silhouette presque parfaite d’un X » (p.600) ? Winckler, le virtuose de la petite scie, le génie du découpage des images en 750 morceaux, a-t-il été assez diaboliquement habile pour que son riche client, à un moment donné, s’engage sur une fausse piste dans la reconstitution de l’image ? 

Est-il logiquement possible, lesté d’une telle mauvaise intention, d’anticiper l’erreur que commettra le joueur au moment précis où il devrait poser le fatal W, qui lui reste sur les bras ? Et cet autre moment précis (le même ?) où il a posé sans réfléchir ce X tout aussi fatal, sans se rendre compte qu’il se fermait toute possibilité d’achever le puzzle ? 

Est-il possible d’imaginer, pour un même puzzle, deux stratégies strictement parallèles, mais dont l’une conduirait au succès, et l’autre, issue d’un cerveau démoniaque, serait capable d’attendre l’ultime moment du jeu pour mettre avec brutalité le joueur en face de son échec ? Winckler fut-il une sorte de Satan, capable de prévoir que le cœur de Bartlebooth cesserait de battre à cet instant ? A-t-il, oui ou non, prévu que le joueur, à l’instant décisif, opterait pour la solution qui le conduisait infailliblement à l’impasse ? On ne le saura jamais. 

On a compris, en tout cas, que Bartlebooth et Winckler sont les deux protagonistes de l’histoire. Tous les autres, très nombreux et divers (voir en fin de volume la liste de « quelques-unes [107] des histoires racontées dans cet ouvrage ») quel que soit le nombre de pages qui leur sont consacrées dans le roman, sont des personnages secondaires. Leur fonction est de faire diversion : n'en parlons pas, bien que la couverture porte "Romans", là où l'on attend le singulier, en temps ordinaire. La Vie mode d’emploi est un livre qui dissimule son vrai sujet sous la plus épaisse couche de fictions que j’aie jamais vue. Comme le dit Gil Jourdan : « Où cache-t-on mieux un livre que parmi d’autres livres ? » (Maurice Tillieux, Popaïne et vieux tableaux).

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Perec dit : "Où cache-t-on mieux une histoire que parmi d'autres histoires ?". Jamais un romancier n’a engagé son lecteur sur autant de fausses pistes (on pense aux 1001 Nuits, ou à Manuscrit trouvé à Saragosse, bien qu’ici, le mode d’emboîtement des histoires soit différent). Le vrai sujet ? Mais voyons c'est tout simple : la vie et la mort. Qu'est-ce que c'est, la vie qu'on vit ? Qu'est-ce que c'est la mort qui nous attend ?

Jamais le lecteur n’a été bombardé d’autant d’aventures individuelles capables de le détourner de cette ligne directrice du récit. Jamais il n’a eu une telle impression d’éparpillement, vous savez, cette impression qui vous prend quand vous venez d'ouvrir la boîte et que vous vous trouvez face au tas formé par l’amoncellement des pièces du puzzle. Il n'est pas interdit de penser que Georges Perec a conçu La Vie mode d'emploi à la manière dont il voit son Winckler élaborer ses puzzles. Car il y a dans son dispositif narratif quelque chose d'aussi diabolique que dans les découpures de l'artisan. Et le lecteur, face au roman, se trouve un peu dans la même position que Bartlebooth face aux puzzles qu'il a commandés. Comme la souris guettée par le chat. Alors : Perec sadique ?

A cet égard, il faut s’arrêter sur le chapitre LXX : « Chaque puzzle de Winckler était pour Bartlebooth une aventure nouvelle, unique, irremplaçable. Chaque fois, il avait l’impression, après avoir brisé les sceaux qui fermaient la boîte noire de Madame Hourcade et étalé sur le drap de sa table, sous la lumière sans ombre du scialytique, les sept cent cinquante petits morceaux de bois qu’était devenue son aquarelle, que toute l’expérience qu’il accumulait depuis cinq, dix ou quinze ans ne lui servirait à rien, qu’il aurait, comme chaque fois, affaire à des difficultés qu’il ne pouvait même pas soupçonner » (p.413). A chaque fois, donc, tout reprendre à zéro. 

Si l'on remonte au chapitre XXVI, on trouve l'exacte formulation du projet de Bartlebooth : « Imaginons un homme dont la fortune n'aurait d'égale que l'indifférence à ce que la fortune permet généralement, et dont le désir serait, beaucoup plus orgueilleusement, de saisir, de décrire, d'épuiser, non la totalité du monde - projet que son seul énoncé suffit à ruiner - mais un fragment constitué de celui-ci : face à l'inextricable incohérence du monde, il s'agira alors d'accomplir jusqu'au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible » (p.156).

Le plan tracé par le milliardaire Bartlebooth pour cadre de son existence est simple : attiré par rien de ce qui pousse ordinairement les hommes (« l’argent, le pouvoir, l’art, les femmes, n’intéressaient pas Bartlebooth. Ni la science, ni même le jeu », p.157), il a décidé de, au sens propre, ne rien faire. Mais pour passer le temps qu’il lui reste à vivre, de consacrer dix ans à (mal) acquérir la technique de l’aquarelle, puis de courir les mers pendant vingt ans, servi par son majordome Smautf, et de peindre 500 ports du monde sur papier Whatman (papier particulièrement grené). 

Chaque « marine », une fois envoyée à Winckler, devient un puzzle après avoir été collée sur « une mince plaque de bois » et savamment découpée à la petite scie. Bartlebooth a projeté, une fois revenu à Paris, de consacrer les vingt années suivantes à reconstituer les puzzles. Le comble sera atteint lorsque, par un procédé chimique, les découpures de chaque aquarelle auront été colmatées, le papier reconstitué (« retexturé »), la feuille décollée de son support, puis lorsque l’aquarelle, retournée au lieu où elle fut peinte, aura été purement et simplement effacée et le papier rendu à la blancheur de sa virginité. Comment effacer jusqu'à la moindre des traces de son passage sur terre ? Voilà qui nous rapproche de La Disparition, non (lipogramme en "e") ?

Et voilà comment cinquante ans de vie auront été passés. Quel plan ! Ou plutôt : quel « mode d’emploi » ! Cinquante ans de vie qui se referment sur le vide. Ce n’est pas pour rien que le nom même de Bartlebooth est formé, en partie, de l’incroyable Bartleby, ce personnage d’Herman Melville qui finira par se laisser mourir, indéfectiblement fidèle à sa maxime : « I would prefer not to », "j'aimerais mieux pas", et qui a tant fasciné Georges Perec. L'autre partie étant formée sur le Barnabooth de Valery Larbaud, l'écrivain que Robert Mallet qualifie de « mystificateur passionné de vérité ». L'expression irait tout aussi bien à Perec.

Dire que le livre, après avoir été longuement mûri, a été écrit en dix-huit mois ! Comme s’il coulait de source. Quel tour de force ! 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : je vois quand même un petit problème. De 1925 à 1935, Bartlebooth s'est initié à l'art de l'aquarelle ; de 1935 à 1955, il parcourt le monde et peint 500 "marines" ; de 1955 à 1975, il reconstitue les images "éparpillées par petits bouts façon puzzle" (Bernard Blier dans Les Tontons flingueurs). Alors je pose la question : étant donné qu'une "marine" tombe toutes les quinze jours (pendant 20 ans à raison de 25 - approx - par an) ; étant donné qu'un puzzle est reconstitué en quinze jours (pendant 20 ans à raison de 25 - approx - par an), comment se fait-il que, en ce « vingt-trois juin mille neuf cent soixante-quinze », Bartlebooth, au moment où il meurt, n'en soit arrivé qu'au quatre cent trente-neuvième puzzle, alors qu'il devrait s'être attaqué, en toute logique, au dernier ? Comment expliquer ce retard de Bartlebooth sur son propre programme ? Sauf erreur, David Bellos n'évoque pas la question dans son impeccable biographie.

Si je compte bien, il manque soixante et une fois quinze jours. Trente mois et demi. Cent vingt-deux semaines. Huit cent cinquante-quatre jours. Erreur de calendrier ? Facétie biscornue ? Ou c'est moi qui débloque ? Je n'arrive pas à me l'expliquer rationnellement. Et je me l'explique d'autant moins que l'auteur précise qu'en 1966, ce « fut une des rares fois où il n'eut pas assez de deux semaines pour achever un puzzle » (p.421). Je sais bien que "plus un corps tombe moins vite, moins sa vitesse est plus grande" (Fernand Raynaud), mais quand même ! Quelque chose m'a-t-il échappé ? Quelqu'un a-t-il l'explication ? Georges Perec nous a-t-il joué un tour de cochon ?

dimanche, 13 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

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LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

8/9 

De la science et de la dérision dans les arts.

En musique, il ne s’est plus agi d’offrir à l’auditeur une nourriture capable de combler son appétit d’élévation ou de plaisir esthétique, mais de lui assener le résultat aride de cogitations savantes. Il s’est agi de le ramener sur le banc de l’école pour qu’il subisse les coups de la férule magistrale d’un maître supérieurement intelligent, qui le considère en priorité comme un être inachevé, qui reste à former, à éduquer, à dresser selon les nouvelles normes, elles-mêmes constamment changeantes (nécessité pour tout maître qui tient à rester le maître). 

L'artiste s'est voulu penseur. Il s'est fait intellectuel. Il se servait de son intelligence pour procurer un plaisir : il faut désormais qu'il montre, d'abord et avant tout, son QI. Le plaisir suivra, mais comme une simple éventualité. L'artiste, aujourd'hui, a déserté le sensoriel : c'est un cérébral, doué pour l'abstraction. Dans l'œuvre musicale ou plastique, s'il reste quelque chose pour les sens de la perception, c'est accessoire, ou alors c'est involontaire, ou alors c'est accidentel. Eventuellement une provocation.

Musique et arts plastiques ont abandonné la perspective de la réception sensorielle des œuvres et sont devenus des produits 100% jus de crâne. De même qu'on a pu art contemporain,musique contemporaine,peinture,musique,art abstrait,bande dessinée,maurice tillieux,gil jourdan,popaïne et vieux tableaux,alfred jarry,linteau minutes de sable mémorial,l'art pour l'art,pierre boulez,karlheinz stockhausen,denis vasse,violence et dérision,psychanalyse,l'ombilic et la voix,james joyce,ulysse joyceparler d' "art abstrait" à propos de peinture, on devrait pouvoirart contemporain,musique contemporaine,peinture,musique,art abstrait,bande dessinée,maurice tillieux,gil jourdan,popaïne et vieux tableaux,alfred jarry,linteau minutes de sable mémorial,l'art pour l'art,pierre boulez,karlheinz stockhausen,denis vasse,violence et dérision,psychanalyse,l'ombilic et la voix,james joyce,ulysse joyce désigner le monde sonore ainsi créé par l'expression "musique abstraite" (quelle que soit la validité du terme "abstrait"). J'aimais beaucoup entendre André Boucourechliev parler de Beethoven, qu'il mettait résolument "über alles", mais sa musique (Les Archipels, Quatuor à cordes, même joué par les Ysaÿe) refuse toujours obstinément de franchir les paupières de mes oreilles.

La meilleure preuve, c’est que, en musique tout comme dans les arts plastiques, la production des œuvres a dû s’accompagner de commentaires filandreux, d’éclaircissements opaques, de conférences à bourrer le crâne, parfois copieux comme des livres, pour expliquer aux ignorants les intentions de l’artiste. L'artiste est devenu, en même temps qu'il élaborait des formes esthétiques, le théoricien de sa propre démarche. Il s'est mis en devoir de construire toute la théorie préalable à son œuvre. Et il ne s'est pas privé d'en assener les coups sur la tête de son futur public, l'obscurité du propos étant sans doute un gage de sa hauteur de vue. Je laisse bien volontiers, quant à moi, comme Libellule dans Popaïne et vieux tableaux (Maurice Tillieux), sans honte, sans regret et sans me laisser intimider, toutes les "hauteurs de vue" me passer loin au-dessus de la comprenette. Je n'ai pas vérifié l'exactitude de la citation.POPAÏNE 9.jpg

De l’aveu même de l'artiste, donc, son œuvre ne se suffit plus à elle-même, puisqu’il s’agit, en même temps qu’elle est fabriquée, d’en élaborer l’exégèse complexe et complète. L'artiste devient son propre herméneute : on n'est jamais trop prudent. Il faut que le public, en même temps qu'il accueille l'œuvre, ait en main la seule interprétation / justification juste qu'il convient d'en faire. Alfred Jarry était à la fois infiniment plus modeste et, à juste titre, infiniment plus fier : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots » ; et plus loin : « ... il n'y a qu'à regarder, et c'est écrit dessus ». Conception certes un peu théologique de l'écrivain et de l'acte d'écrire, mais somme toute préférable. Cela n'en fait pas pour autant un écrivain populaire, un écrivain "à succès", capable de pondre les "best sellers" à la chaîne.

Voilà : les arts, au 20ème siècle, sont des arts sans sujet et sans destinataire. Un art de grands savants hautains fait pour de pauvres ignares. Une nouvelle – et étrange – mouture, en quelque sorte, de « L’Art-pour-l’art », liée exclusivement au "bon plaisir" de l'auteur (le "choix du roi"). Peinture et musique sont devenues intransitives. Peinture et musique ont pris acte du fait que ce ne sont plus les hommes qu’il convient de servir, mais les choses. Voilà : peut-être le cœur du réacteur de la question se situe-t-il dans cette direction : il faut servir les choses, non les hommes. Tant pis pour ces derniers : laissons la bride sur le cou aux lois de la nature, elles se chargeront de la besogne d'élimination. C’est l’univers des choses qui commande. Les hommes n'ont plus voix au chapitre.

Les artistes sont devenus de modernes "abstracteurs de quintessence", des expérimentateurs de matière seulement matérielle sans plus aucune perspective humaine, de quelque densité de sens virtuels "a posteriori" qu'ils voudraient la charger. Ils se sont livrés à des expériences cérébrales, après avoir échafaudé des hypothèses, dont les œuvres ainsi produites avaient pour mission de confirmer la validité. Rien de plus efficace pour évincer la notion de goût esthétique, cet archaïsme auquel il faut être au moins réactionnaire pour se référer. Non mais, vous avez dit « subjectivité », « goût esthétique », « émotion musicale » ? A-t-on idée d’ainsi aller fouiller les « Poubelles de l’Histoire », fussent-elles celles de l'art ? Soyons sérieux, c'est-à-dire définitivement « Modernes » ! Du passé faisons table rase.

Comme la nature pour les sciences exactes, peinture et musique (je veux dire les couleurs et les sons) sont devenues des proies pour la connaissance objective : de même que l’astrophysicien cherche de quoi sont faits l’univers, les astres, les comètes, peintre et compositeur partent en explorateurs dans les univers des arts visuels et sonores, explorations dont ils espèrent rapporter quelque pépite, de même que les spationautes d’Apollo XI avec leurs échantillons de la matière lunaire. 

Pour qu’il y ait « science exacte », il faut supprimer l’intervention de l’homme. Pour avoir une vision claire du déroulement des mécanismes, il faut exclure l'homme, sous peine d’artefacts qui fausseraient l’expérience. Semblable révocation de l’humanité vivante, au 20ème siècle, dans le laboratoire des « artistes plasticiens » etart contemporain,musique contemporaine,peinture,musique,art abstrait,bande dessinée,maurice tillieux,gil jourdan,popaïne et vieux tableaux,alfred jarry, linteau minutes de sable mémorial,l'art pour l'art, des compositeurs : on fait des assemblages improbables, des précipités jamais tentés, on fait voisiner des substances incompatibles, juste pour voir ce que ça va donner. Ah, faire de la musique une science exacte, une pure mathématique abstraite, entièrement intelligente, entièrement artificielle, et surtout coupée de ce maudit monde des sens de la perception : le rêve de Pierre Boulez. 

Le lecteur se dira que j'exagère d'exagérer, que j’abuse d'abuser, que je généralise de généraliser, que je mets tout le monde dans le même sac. Je l’admets bien volontiers. Je sais bien qu’il ne faut pas les mettre tous dans le même panier, qu’il y a des « Justes », heureusement, comme il y a eu des « Justes » en Europe pendant la terreur nazie. Les Justes dont je parle ici ont eu le mérite, sans pour autant se retirer hors de leur temps, de résister à l’entreprise généralisée de déshumanisation des œuvres humaines. Je ne vais pas faire la liste : pour l'heure, je me la garde. J'imagine que chacun a la sienne.

Qu’est-ce qu’ils ont fait, ces héros, pour figurer dans cette sorte de panthéon que je me suis constitué ? Ou plutôt, de quoi se sont-ils abstenus ? A quoi ont-ils résisté ? Dit autrement : qu’est-ce que je leur reproche, à la fin, à tous les foutriquets de l’art contemporain, de la musique contemporaine ? J’ai tourné et retourné la question dans tous les sens. J’ai fini par arriver à synthétiser tous mes reproches dans un seul vocable : la DÉRISION. La même dérision, quoique dans le symbolique, que ces "marmites" tout à fait concrètes et sanglantes faisaient pleuvoir sur l’humanité blottie dans les piètres abris des tranchées à partir de 1914. 

Je n’aime pas les grands mots, pleins de vent, pleins de vide et d’inconsistance. Je n’aime pas les grands mots, parce que, trop souvent, ils servent de nez rouges et de masques à des mensonges peinturlurés en vérités. Je crois cependant, en profondeur, que ce qui a tué l’humanité de l’homme au 20ème siècle s’appelle la dérision. La dérision concrète, la dérision symbolique, la dérision métaphorique, la dérision que vous voulez, mais … la dérision, quoi. Après tout, ce n'est même pas un "grand mot".

Mais c'est peut-être la raison, tout bien considéré, de la distance que j'ai prise avec toute la mayonnaise qui s'est accumulée autour de cette "Pataphysique" qui m'avait si longtemps attiré : il y a en effet une grande dérision à soutenir le principe de « l'identité des contraires ». Je considère que l'identité des contraires est, tout bien considéré, l'idéologie dominante qui chapeaute tout le 20ème siècle. Il faut être singulièrement dans le déni de l'humanisme pour penser que "tout se vaut". J'ai fini par choisir. Or, choisir, c'est éliminer. Moi, je choisis l'humanisme et les Lumières. Il n'y a pas de mythe de rechange pour sauver l'humanité.

Je pense ici à Denis Vasse, un jésuite qui peut se vanter d'avoir marqué, fût-ceart contemporain,musique contemporaine,peinture,musique,art abstrait,bande dessinée,maurice tillieux,gil jourdan,popaïne et vieux tableaux,alfred jarry,linteau minutes de sable mémorial,l'art pour l'art,pierre boulez,karlheinz stockhausen,denis vasse,violence et dérision,psychanalyse,l'ombilic et la voix,james joyce,ulysse joyce très temporairement, mon parcours (lire L'Ombilic et la voix, ce « roman » (c'est faux, bien sûr, mais) extraordinaire, qui raconte la "naissance" d' "Hector", enfant autiste), qui avait intitulé son séminaire de 1978 au Centre Thomas More, au couvent de La Tourette (oui, celui du Corbusier), « VIOLENCE ET DERISION ». Il y parlait de psychanalyse, mais de façon vaste et percutante. Et à voir l'ensemble du siècle, il me semble qu'on peut généraliser. Le 20ème siècle, qu'on se tourne vers l'économie, vers la politique ou vers les arts, est le grand siècle de la DÉRISION à l'encontre de l'homme (je vois finalement beaucoup de dérision dans cette oeuvre de James Joyce devenue intouchable à force de sacralité moderniste : Ulysse).

Pas étonnant que le 20ème siècle soit en même temps, le grand siècle de la VIOLENCE. Et en ce début de nouveau siècle, ça ne semble pas près de s'arranger.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 12 juin 2015

HONORÉ SOIT DEBUSSY 1

1/2

Parmi les risques que la « société moderne » fait courir aux hommes, il en est un, non négligeable, encouru spécialement par l’amateur de musique en général, d’opéra en particulier. Il faut accepter de vivre dangereusement. Ce risque s'appelle « le metteur en scène ». 

Bien que le si distingué Renaud Machart, dans un article de 2008 (mercredi 27 août) pour Le Monde, montre son dédain pour l’idée (« …on ne compte plus les articles ayant dénoncé la "dictature" présumée du metteur en scène. »), il faut bien dire que les exemples ne manquent pas de spectacles bousillés, massacrés, assassinés par le décret d’un homme à qui on a donné le pouvoir de tenir sur l’œuvre représentée un discours où il peut enfin lâcher la bride à ses lubies les plus invraisemblables. 

Banalité de dire que l'opéra est un spectacle total, et que la jouissance du spectateur découle (ou non) du rapport entre ce qu'il voit et de qu'il entend. Qu'en advient-il quand, par exemple, dans Carmen, il voit, au lieu de la fabrique de cigare et de la caserne des dragons (d'Alcala) attendues, d'un côté un bordel, de l'autre un commissariat de police ? Eh bien c'est simple, il se demande si le concepteur n'a pas « le couvercle de la lessiveuse complètement fêlé ». Il voudrait suggérer que Carmen est moins une femme éprise de liberté qu'une simple pute qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Avis aux féministes.

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Maurice Tillieux, Libellule s'évade.

De gauche à droite : Libellule, Gil Jourdan, Inspecteur Crouton.

Renaud Machart, dans son article, envoie bouler d'une pichenette condescendante le livre de Philippe Beaussant (qualifié de "pamphlet", ce qu'il est à moitié), La Malscène (2005), qui s'en prend à la toute-puissance capricieuse du M.E.S. dans les maisons d'opéra. C'est vrai que le bouquin n'est pas très bon, et n'évite pas balourdises et truismes. Certes, l'auteur dit sa colère, mais il ne va pas au bout de son ire : « Je ne citerai aucun nom : ni de metteurs en scène, ni d'interprètes, ni de chefs d'orchestre » (p. 20). Pusillanimité tout à fait regrettable, derrière le paravent d'un prétexte fallacieux (l'ennui). Il n'empêche que c'est un vrai sujet (de mécontentement).

Je veux bien que monsieur M.E.S. se soit fait sa petite idée sur la signification profonde du Chevalier à la rose, mais pourquoi met-il une mitraillette dans les mains d’un des chanteurs au troisième acte ? Et dans Cosi fan tutte, est-il bien nécessaire, au lever de rideau, cet immense bar américain, avec ses tabourets surélevés ? Et Dorabella et Fiordiligi en mini-bikinis, sur une plage, accrochées à leur téléphone portable ? Et l’Austin-Healey poussée sur la scène à je ne sais plus quel moment ? 

Le si prudent Philippe Beaussant évoque quelques cas particulièrement gratinés : « Hercule en treillis », Jules César « entouré de SS en casaque noire », Orphée (de Gluck) « costumé en clown, avec sa balle rouge sur le nez et les sourcils circonflexes », Siegfried « en salopette sur un terrain vague, devant sa caravane crasseuse, son fauteuil au bras cassé et sa bassine sale », Don Giovanni sautant Donna Anna à en faire péter les ressorts du sommier (contresens, puisque, selon la dame elle-même, le violeur potentiel n'a pas "consommé", au très grand soulagement de Don Ottavio : « Ohimé, respiro »). Beaussant est peut-être en colère, mais qu'est-ce qu'il est gentil ! Ou alors il a mis du bromure dans sa testostérone ! J'ai envie de crier : vas-y ! ose ! des noms ! des noms !

Il parle pourtant très juste : « On me dépouille de ce que j'aime. On me le casse. Non seulement on me le vole (Orfeo, c'est à moi, Les Noces, c'est à moi, c'est à moi, Pelléas, c'est à moi ; exactement comme c'est à chacun de vous), mais sous mes yeux on le disloque, exprès ; on l'abîme, pour me faire mal  ». Il se laisse pourtant déposséder sans se venger : quelle grandeur d'âme ! Vrai seigneur ou bien, plus simplement, gros matou qui s'est châtré les griffes (comme un Don Ottavio de la critique) ? 

Vous dites ? C’est de l’ « actualisation » ? De la « modernisation » ? Il faut « dépoussiérer » ? Ah bon. S’il faut actualiser … Moi j’appellerais plutôt ça la prétention de quelqu’un qui « tient un discours », voire qui prêche son prône du haut de sa chaire, sur une œuvre si possible célébrissime,  sur laquelle il a tout loisir de poser enfin sa patte et pouvoir dire ce que cette œuvre lui suggère, sans se demander, d’une part, ce qu’elle porte en elle-même et, d’autre part, si son imaginaire ne va pas à l’encontre du mien. Qu'il me l'impose, cela devient du sadisme.

Mais voilà : je ne suis pas masochiste.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 07 mai 2013

UN MICHEL AUDIARD DE LA BD

 

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AH, LE BRAVE PANDORE ! ON LE TROUVE DANS LES CARGOS DU CREPUSCULE.

(A propos de pandores : "Moi je bichais, car je les adore Sous la forme de macchabées", c'est de ?)

C’est bien connu, pour faire une bonne chanson, le plus important, c’est l’adéquation entre, d’une part, ce que raconte le texte et, d’autre part, la musique qui l'enrobe. Dit autrement, il faut que le propos épouse intimement les moyens mis en œuvre pour le transmettre. 

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UN "BOBBY" COMME ON N'EN FAIT PLUS, FACE A UN VRAI BANDIT

(Admirons le contre-jour bien londonien de Maurice Tillieux.)

Tout le monde le sait : il n’existe pas de recette pour cela. Ça tient plutôt du bricolage alchimique. Inutile de dire que ça ne se rencontre pas tous les jours. C’est l’exception. On peut même dire que ça tient du miracle.

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GIL JOURDAN, LIBELLULE ET L'HÔTELIER STUPEFAIT

Par exemple, Georges Brassens était capable d’attendre des années avant d’être pleinement satisfait. Au point qu’Antoine Pol, l’auteur du texte de la belle chanson Les Passantes, lui demanda en vain de la lui faire entendre, et mourut (en 1971) sans la connaître, juste parce qu’elle n’était pas encore tout à fait au point aux yeux du musicien. Brassens en conçut du remords, paraît-il.

 

Au cinéma, c’est pareil. Prenez Les Tontons flingueurs. On peut se demander pourquoi il y a encore aujourd’hui plein de gens qui connaissent les dialogues par cœur, et qui vous sortent au débotté : « La bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer » ou : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire ». Ça veut juste dire que Les Tontons flingueurs en sont un, de miracle. 

 

Dans la Bande Dessinée, c’est le même tabac. J’ai parlé de Silence, de Didier Comès, un OVNI. La BD, c’est un peu comme le cinéma : ce qui compte, c’est l’ensemble. Une bonne histoire, un beau trait, des dialogues pour faire mousser, et c’est dans la poche. 

 

Et parfois, dans ces réussites de la BD, émerge – comme un pic au-dessus de la mer de nuages – LA réplique. Celle qui fait mouche. Qu’on se le dise, il n’y a pas que Michel Audiard dans la vie, avec son inépuisable : « Les cons, ça ose tout, etc. ».

 

CELEBRATION 3.jpgJe voudrais ici offrir une de ces célébrations (ci-contre) dont l’éditeur Robert Morel s’était fait le héros, le héraut et le champion, une célébration autour de quelques vignettes mémorables qui méritent, pour cette raison, de passer à la postérité, agrandies, encadrées dans du doré mouluré, suspendues au mur du salon en vue de contemplations béates au long des soiréesCELEBRATION RM.jpg d’hiver, pour la satisfaction de l’âme et l’hygiène de l’esprit.

 

Je donnerai ici un coup de chapeau à Maurice Tillieux, le virtuose de l’accident de voiture, dont le crayon a engendré Gil Jourdan. Gil Jourdan en soi est totalement inintéressant, c’est le détective privé impavide, le chevalier sans peur et sans reproche, au brushing et au nœud papillon aussi impeccables après qu’avant la bagarre.

 

Il serait d’une fadeur insondable, si Tillieux n’avait eu l’idée de lui adjoindre Libellule, le cambrioleur (par ailleurs spécialiste du « calembour bon ») qui ouvre un coffre-fort rien qu’en le regardant ou en soufflant dessus, et surtout l’inspecteur Crouton, l’inénarrable policier à la moustache improbable. 

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FRANCHEMENT, EST-CE QUE ÇA NE VAUT PAS LE MEILLEUR AUDIARD ?

Dans le premier épisode, Libellule s’évade, Crouton a coffré Libellule, mais Jourdan le fait évader pour ouvrir le coffre d’un gros trafiquant. Crouton se lance à sa poursuite, mais au détour d’un chantier, il atterrit dans un fût de goudron, ce qui nécessitera une vingtaine de kilos de beurre pour nettoyer le costume, et lui attirera le mépris de la hiérarchie. Cela pour mettre en appétit.

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Crouton sera à plusieurs reprises le porte-parole de l’Esprit en personne. Dans le même épisode, par exemple, il doit s’embarquer pour l’Italie, pour surveiller un trafiquant de drogue, et voici ce que ça donne.

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Sur le « Volturno », il a bien du mal à se faire prendre au sérieux (c'est pour être gentil) : lancé dans sa poursuite, après avoir bousculé quelques passagers, il est confronté au « pacha », ce qui permet à Tillieux de livrer quelques pépites. 

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PERSONNELLEMENT, C'EST LA REPLIQUE DE LA DAME QUE JE PRÉFÈRE

Dans L’Enfer de Xique-Xique, il se propose de cambrioler la « Légation de Massacara », mais il « tombe » mal, comme on le voit.

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Mais Tillieux ne confie pas ses pépites au seul Crouton. Les militaires du Massacara ne sont pas oubliés dans la distribution des répliques, que ce soit lors du « procès » qui envoie les héros au bagne ou lorsque le capitaine, coupable d’une remarque désobligeante sur son président (à propos des gaz hilarants), s’y fait lui-même envoyer.

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IL FAUT DIRE QUE "LIBELLULE" (ALIAS DE GEORGES PAPIGNOLLES) A ABSORBÉ DU GAZ HILARANT, NORMALEMENT RÉSERVÉ AU PUBLIC ASSISTANT AUX DISCOURS DU PRESIDENT BIEN-AIMÉ

J’ai donné à la présente note la solide escorte de vignettes à retenir, tirées principalement de Libellule s’évade, Popaïne et vieux tableaux, La Voiture immergée et L’Enfer de Xique-Xique. Une mention spéciale, cependant, pour la réplique du gendarme des Cargos du crépuscule, proposée en ouverture.

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Faire du Michel Audiard, ça peut être jouissif, mais il ne faut pas oublier que Maurice Tillieux, en plus, fait les dessins. Alors franchement, Monsieur Tillieux, merci pour tout.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 22 décembre 2011

B. D. DANS L'EAU : MAURICE TILLIEUX

Suite et fin.

Résumé : MAURICE TILLIEUX, le créateur de Gil Jourdan, est un cinglé de bagnoles.

Mais la véritable trouvaille de TILLIEUX, ce sont deux personnages dont on ne retrouve nulle part les équivalents. J’ai nommé Libellule (surnom d’André Papignolles, dont les doigts ouvrent les coffres-forts rien qu’en soufflant dessus) et l’inspecteur Crouton (une merveille de policier doté d’une moustache rousse qui dépasse le poids maximum autorisé). Sans eux, on n’a plus que l’enquête sèche du détective.  

Vous avez forcément remarqué que Tintin, à lui tout seul, est triste à mourir. En tout cas, il n’est pas sympathique. Aucun gag à attendre de sa part. Pas la plus petite pointe d’humour. Le héros de l’histoire n’est pas fait pour être drôle. Pourquoi croyez-vous qu’HERGÉ lui adjoint les Dupondt, Archibald Haddock, le capitaine au long cours et Tryphon Tournesol, le savant lunaire ? On pourrait encore citer l’infernal Abdallah, Séraphin Lampion, des assurances Mondass, la divine Bianca Castafiore, « rossignol milanais » gazouillant jusqu'à plus soif son : «  Ah je ris de me voir si belle en ce miroir ». 

Eh bien c’est la même chose avec Libellule et Crouton, à ceci près qu’ils apparaissent dès la première aventure de la série « Gil Jourdan ». C’est même la première image du premier album : Libellule s’évade. Avec la suite et la fin de l’aventure dans Popaïne et vieux tableaux, je le tiens pour le meilleur de la série. Pour une raison très simple : TILLIEUX a peaufiné les répliques jusque dans les recoins. Je vous préviens, si tout ça vous paraît bien plat, c’est juste parce que c’est sorti de son contexte, et que vous n’avez pas les images.

Les meilleures sortent de la bouche de l’inspecteur Crouton. Libellule, c'est le gros lourd qui sort au kilomètres des blagues épaisses comme l'Encyclopédie de Diderot. La première réplique de Crouton figure au centre de la cinquième planche. Il vient d’être semé par la voiture de Gil Jourdan, déguisé en taxi, qui a pour seule intention de faire évader Libellule, l’as des coffres-forts. 

Crouton entame sur les trottoirs un 400 mètres haie, qui le fait atterrir dans un fût de goudron. L’ouvrier du chantier, perplexe et compatissant, lui demande : « Vous êtes tombé dedans ? ». Crouton, dégoulinant de liquide noir, répond, sublime : « Non ! J’y habite !!! ».

Bredouille et penaud devant son supérieur, celui-ci lui demande : « Somme toute, vous êtes dans une impasse ? – Une impasse sans issue dont on ne peut sortir. Oui, chef ! ». C’est-y pas mignon ? Et je ne parle pas de la note de frais de vingt kilos de beurre pour enlever le goudron du costume de Crouton : « Vingt kilos de beurre sur un crouton, pouah, c'est du gaspillage !!! ».

Muté aux stupéfiants après son exploit, Crouton doit partir en mission en Italie. Son nouveau chef lui demande : « Parlez-vous italien ? ». Réponse de Crouton, je n’invente rien : « Je n’en sais rien, chef, je n’ai jamais essayé ».

Nouvelle poursuite sur le bateau italien, qui finit devant le commandant. Crouton a eu le temps de faire des dégâts. Une femme apparaît : « C’est lui ! Il a jeté une bouteille de lait à la tête de la mère de mon enfant ». Un homme : « Il m’a frappé au visage avec les pieds ».

Crouton est remis à la police italienne : « Ai-je l’air d’un fou ? Je vous le demande ! ». Réponse du flic : « Le commissaire en décidera ». Bon, c’est vrai, ce n’est pas encore signé MICHEL AUDIARD, mais je trouve ça bien.

Enfin, MAURICE TILLIEUX n’aime pas la peinture contemporaine. Il lui règle son compte à plusieurs reprises. C’est Libellule qui ouvre les hostilités : tombé dans un atelier sous les toits, il lance au peintre, avant de s’esbigner pour éviter de recevoir en pleine figure le pot de peinture rouge que celui-ci lui jette à la figure : « Dites, c’est joli ce que vous faites ! Si vous y pensez, gardez m’en un kilo avec le sens dans lequel ça doit être mangé ! ».

Ça continue dans le château, entre le chef des trafiquants et le bandit qui lui procure la drogue. Le premier montre fièrement sa galerie d’art : « Savez-vous que ces hommes ont travaillé cinquante ans et plus pour arriver à ça !! – Zut ! On ne le dirait pas ! ».

On terminera ce panorama sur deux vignettes montrant Libellule aux prises avec les notions d’art contemporain qu’il est obligé d’ingurgiter. Il faut dire qu’il doit remplacer Oblap Ossapip à la grande réception du châtelain trafiquant et amateur d’art : « La peinture surréaliste crée une relation immédiate de l’homme avec lui-même ».

Et juste après : « Non mais, mon pote ! Faut lire ça ? Tu prends de la couleur, tu la colles sur une toile, et ça devient sans rire : "Le caractère ésotérique et sublime de son essence désintègre l’homme et le recrée dans sa totalité" ». Je suis assez d’accord avec Libellule : l’art contemporain est ce qu’il est, mais la sauce de langage qui sert à lui donner du « sens », et plus sûrement à le vendre, vaut son pesant de caca d’oie.

 Je ne reviens pas sur Oblap Ossapip (remis à l’endroit, ça donne palbo pipasso), dont j’ai parlé il y a quelques jours, à propos, justement, de l’art contemporain. Son remplacement par Libellule donne lieu à deux pages savoureuses, où TILLIEUX se paie la fiole, principalement, des « amateurs », tous des snobs, selon lui, prêts à avaler toutes les fadaises intellos qu’on leur vend, par exemple sous le nom de « pré-néo-progressisme » (dans la bouche du critique Adhémar de Lamarche de Lescalier de Lacave). 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 21 décembre 2011

B. D. DANS L'EAU: MAURICE TILLIEUX

Attention, ce billet ne s’adresse qu’à des amateurs. Des vrais. C’est de BANDE DESSINEE qu’il s’agit. La Bande Dessinée, c’est pour moi comme la potion magique pour Obélix : je suis tombé dedans quand j’étais petit. Trois hebdomadaires se disputaient ce qu’on n’appelait pas encore le « marché » : Tintin, Spirou, et plus tard, Pilote, avec son « pilotorama » central.

 

Vous avez évidemment compris le titre : B. D. dans l'eau ? Mais parce que ça fait des BULLES, voyons !  

 

J’achetais scrupuleusement mon « hebdomadaire illustré » au magasin de journaux de la place Croix-Paquet. J'achetais les albums chez le monsieur du péristyle de l'Opéra. S’il y en avait 150 publiés dans l'année, c’était le maximum. Aujourd’hui, la BD a changé de planète : 1.500 albums par an. A l’époque, l’amateur pouvait acheter TOUTE la production. 

 

Ceux qui ont fréquenté les WC du 7, quai Lassagne, au fond de l’étroit  couloir à droite, la porte en face de la chaudière, se souviennent qu’il valait mieux, en cas de besoin, passer avant quelqu’un, car pour passer après, ça risquait de mal se passer, vu la hauteur de la pile des Tintin qui s’élevait sur la petite table contre la fenêtre. Je salue les très rares privilégiés qui ont connu cet auguste lieu. 

 

Et vous pouviez toujours protester. On savait quand on entrait, personne n’aurait pu prévoir quand on sortirait. Il était donc prudent d’anticiper. Au risque de faire patienter le suivant au-delà du raisonnable. Il ne faut jamais être le suivant. JACQUES BREL nous a suffisamment prévenus.     

 

J’étais fasciné par Timour, moins par Le Chevalier blanc, Monsieur Tric ou Prudence Petitpas. Mais je ne perdais aucune « histoire de l’oncle Paul ». A l’époque où le « jeu des mille francs » sélectionnait ses candidats à coups d’enveloppes qu’on trouvait en résolvant une énigme, j’eus mon heure de gloire à la table familiale en répondant du tac au tac à une question de ROGER LANZAC : « A quoi devait servir le fardier de CUGNOT ? ». Cette gloire fut aussi imméritée qu’éphémère : j’avais lu la réponse dans une « histoire de l’oncle Paul ». Ah, vous pensiez que je vous la donnerais, la réponse. Eh bien, détrompez-vous. Ça se mérite. 

 

Je pourrais parler des aventures de Blake et Mortimer, ou d’Alix et Enak. Pour Tintin et Milou, Spirou et Fantasio, Astérix et Obélix, il y a trop de monde sur le créneau. Et c’est bien connu, je n’aime pas Lafoule. Sébastien Lafoule. Vous connaissez sûrement : « Etourdie, désemparée, je reste là, Quand soudain, je me retourne, il se recule, Et Lafoule vient se jeter entre mes bras » (je cite de mémoire, pardon pour les approximations). Je ne peux pas blairer Lafoule. 

 

Je vais parler de Gil Jourdan. Le héros du grand MAURICE TILLIEUX. Je sais, en ces temps de féminisme affûté, triomphant et moderne, ce genre de personnage est complètement racorni, si ce n’est carbonisé. Il y eut, dans le temps, le « Virginien ». Tout le monde a oublié ce héros de OWEN WISTER, qui fut pourtant le prototype du cow boy blanc, blond, aux yeux bleus, sans peur et sans reproche, et toujours propre sur lui. 

 

Les versions actuelles du Virginien s’appellent Alpha (version CIA, dont les trois premiers albums sont une petite merveille de scénario), Largo Winch (version « le milliardaire justicier », une variante de « j’ai même un ami juif, le problème c’est qu’il est très riche ») ou Larry B. Max (version « redresseur de torts fiscaux », à qui le téléphone de charme de Gloria Paradise coûte des fortunes). Le blanc blond aux yeux bleus se porte encore très bien. 

 

Gil Jourdan n’est pas un Virginien, c’est un licencié en droit. Il n’a pas froid aux yeux, son costume et son brushing sont toujours impeccables, et il survit à tout. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il faut chercher l’intérêt : plus stéréotypé, tu meurs. L’intérêt, je le vois d’abord dans les bagnoles, et les diverses mésaventures dans lesquelles MAURICE TILLIEUX les plonge, et parfois au sens propre. 

 

A tout seigneur tout honneur, la Facel Vega de La Voiture immergée. Il y en avait une qu’on trouvait souvent garée sur le quai Lassagne. Une gueule de fauve à la gueule ouverte, qu’on retrouve dans L’Ouragan de feu, de JACQUES MARTIN, dans le camp des méchants, mais je parlerai des « Lefranc » une autre fois. 

 

Il y a la Dauphine des Cargos du crépuscule. Il y a la Dino (Ferrari) de Carats en vrac, et surtout l’hallucinante course à laquelle les deux malfrats et le héros se livrent sur les toits des immeubles parisiens, et qui finit dans le monte-charge de l’immeuble en face. Il y a le magnifique accident du Gant à trois doigts, avec Crouton et Libellule en places arrière et en responsables du crash. Enfin bref, MAURICE TILLIEUX est un peu dingue de bagnoles. Mais il n’y a pas que ça. 

 

Il y a aussi les scénarios. Par exemple, je ne sais pas comment TILLIEUX a pu imaginer le meurtre que voici. L’arme du crime ? Des puces. Vous simulez des travaux sur une conduite de gaz, sur le trottoir. Vous introduisez les puces dans la maison, après vous être assuré que la victime porte un pull en synthétique. Vous actionnez le gaz. La victime, attaquée par les puces, veut enlever son pull. L’électricité statique fait tout péter. Bon, c’est vrai, je trouve aussi que c’est tiré par les cheveux. 

 

Qu’on se le dise, TILLIEUX aime bien tirer ces cheveux-là. Dans Les Cargos du crépuscule, il imagine un médecin qui greffe sur un malfrat emprisonné des muscles de sauterelles géantes, qui permettent son évasion spectaculaire. Dans Pâtée explosive, son savant fou a inventé un rayon qui transforme en chaleur et lumière celui qui a mangé de sa nourriture spéciale. Des horreurs ! 

 

Et puis, il y a des lieux formidables. Dans La Voiture immergée, c’est la Tour du Prieur, tout au bout du Pas-du-Malin (huit kilomètres : « Tombez pas en panne », dit le gendarme ; ben si, ils tombent justement en panne). Dans Les Cargos…, déjà cité, il y a ce cimetière de bateaux plus glauque et lugubre qu’au naturel. Dans Surboum pour quatre roues, ce sont les Causses et la rivière transformée en torrent, en bas dans la vallée. Et ce bagne sans barbelés, au milieu du désert de Xique-Xique ! Grandiose. Et cette improbable « abbaye des moines rouges » ! On pourrait dire comme Superdupont à propos des pâtes françaises : « 98 % : rien que du bon ; 2 % : sel ». 

 

Bref, MAURICE TILLIEUX soigne ses décors, s’il est parfois un peu léger sur le scénario. On ne croit pas deux minutes à celui du Chinois à deux roues (le héros en maillot de corps dans l’Himalaya), mais les effets se succèdent sans mal, et on suit. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Suite et fin demain.

lundi, 19 décembre 2011

PETITE HISTOIRE DU DESASTRE (2)

Résumé : je ne vois que ce que je sais, et je ne fais que ce que j’ai appris (proverbe telugu).

 

 

La transparence a disparu lorsque les peintres ont cru dur comme fer saisir le monde « tel qu’il était », au moment où il était. Autrement dit, l’illusionnisme a été à son comble quand il a changé de camp. Avant, les peintres savaient qu’ils étaient des prestidigitateurs, qu’ils étaient capables de faire apparaître la nature dans le salon, sur le mur en face de la cheminée. On les admirait pour ça. On peut appeler ça de l’humilité  (voire de l’orgueil). Ou de la lucidité.

 

 

Et puis les photographes sont arrivés, l’index appuyé sur un bouton, qui ont confisqué la transparence à leur unique profit et usage. Alors, les peintres se sont drapés dans leur dignité, bouffis d’orgueil. Ils sont devenus opaques. Leur personne a commencé à compter. La vitre est devenue un écran. Qu’est-ce que la photo leur laissait ? Du coup, les impressionnistes ont attiré l’attention sur la façon d’appliquer les couleurs, et fait de l’artiste un personnage, au prétexte qu’ils introduisaient sur la toile le MOMENT. Ah, le moment !

 

 

Alors c’est vrai, ils avaient des arguments à faire valoir. Et des arguments techniques, s’il vous plaît. Assumés. Mine de rien, ils ont jeté à la poubelle la ligne, la surface, le modelé, le dégradé. C’est vrai, ça, quand tu regardes Le Bassin d’Argenteuil, de CLAUDE MONET, mais que tu le regardes de vraiment près, tu ne vois plus rien. Rien que des taches de couleur séparées les unes des autres. La peinture a divorcé du dessin.  Pourquoi croyez-vous qu’on les a méprisés, quand on a vu ce qu’ils faisaient ? Pour l’unique raison qu’ils balançaient l’Académie comme un détritus.

 

 

Certains ont ensuite appelé ça « divisionnisme ». Je veux bien. Moi, je dirais volontiers que les impressionnistes ont inventé le PIXEL.  L’impressionnisme est l’ancêtre du numérique en image. C’est lui qui a ouvert la voie. Et je ne parle pas de SEURAT : jetez seulement un œil, mais de très près, sur Un Dimanche d’été à la Grande-Jatte ou sur Le Cirque, vous m’en direz des nouvelles. Mais c’est un extrémiste, on a même appelé ça « pointillisme », à force d’être pointilleux.  

 

 

Donc de près, vous ne voyez aucun « sujet ». Pour le distinguer, il faut prendre un peu de recul. C’est là que la transparence se recompose, c’est là qu’on a la Seine, l’ombrelle, la meule, la cathédrale de Rouen. Les impressionnistes, finalement, ils n’ont pas rompu avec la nature. Seulement avec l’Académie. Alors même que c'est une peinture savante, peut-être seulement un peu plus « scientifique ».

 

 

Ça veut dire une chose : les impressionnistes ne cherchent pas à rendre  « la chose, mais l’effet qu’elle produit » (ça c’est MALLARMÉ qui l’a dit, autour de 1860, pour dire que ça remonte). Non la chose, mais l'effet. Elle est là la rupture. Ils intellectualisent, quoi. Ben oui, c’est qu’une peinture comme celle-là, il faut du raisonnement pour y parvenir.

 

 

On est en route vers l’abstraction. Je ne dis pas pour aimer les impressionnistes, puisque tout le monde les aime, mais pour les comprendre, il faut de la pensée. Contrairement à ce qu’on pense, ça demande un effort. Et à l’arrivée, finablement (comme on disait chez moi), ils ne sont pas si épastrouillants qu’on le dit.

 

 

En délaissant le modelé, le dégradé, la ligne, les impressionnistes ont eu l’impression de casser la vitre qui s’interposait encore entre l’œil et la nature. En fait, ils ont posé la première pierre d’un mur de séparation. Celui sur lequel le Capitaine Haddock se casse le nez dans Les 7 boules de cristal.

 

 

L’effet principal de l’impressionnisme sur la manière de peindre est de rompre avec le continu de la nappe de couleur, qui avait prévalu jusqu’à eux. Ce que certains appellent « décomposition lumineuse ». Et dans le fond, ce n’est pas grand-chose. Je sais qu’il y a des précédents, mais ça reste disséminé ici ou là.  Après les  impressionnistes, cette manière  s’impose et se généralise. Irréversible. C’est une vraie catastrophe, qui s’est appelée plus tard « modernité ».

 

 

On peut dire que le peintre impressionniste hésite encore à sauter le pas. Il met un pied dans le sable mouvant de la rupture (le divisionnisme), mais il garde l'autre dans la glèbe grasse de la tradition (la représentation du réel). J'aime bien donner dans la métaphore bien lourde, de temps en temps. C'est rigolo, non ? C'est aussi ce qui fait de tous les amoureux de la peinture impressionniste des aventuriers timorés, des explorateurs en pantoufle, des révolutionnaires conservateurs.

 

 

Aimer la peinture impressionniste, c'est, dans le fond, ne pas s'opposer à la « marche vers la modernité », tant que celle-ci ne fait pas « table rase du passé ». C'est « aller vers l'ombre » sans « lâcher la proie ».

 

 

Car dans la modernité, au diable la transparence et l’illusion. C'est fini. Adieu, veaux, vaches et tout ce qui va avec. Qu’on se le dise : l’artiste devient un homme libre. Il a su « s’affranchir » de la réalité. Même que ANTONI TAPIES a publié un livre intitulé La Réalité comme art.  Il s’est montré capable de « transgresser » le « pacte » de la représentation.

 

 

Il prend sa toile pour ce qu’elle est : une toile, une page blanche, sur laquelle il peut projeter n’importe quoi. C’est là que la peinture devient sa propre fin. L’impasse, quoi. « Une impasse sans issue dont on ne peut sortir, oui, chef ! », déclare l’inspecteur Crouton dans le magnifique Libellule s’évade, BD de MAURICE TILLIEUX. L’artiste est artiste parce qu’il a décidé que c’était comme ça. Il fait ce qu’il veut. Il est libre, Max. La toile est devenue un but en soi, le mur du fond, l’horizon bouché, l’absence d’au-delà. L’artiste y projette sa dimension restreinte.

 

 

Alors, vous avez CEZANNE avec sa Sainte-Victoire découpée en quadrilatères, vous avez DERAIN, qui schématise en couleurs unies un paysage avec sa perspective, mais sans son volume (La Côte d’Azur près d’Agay), vous avez BRAQUE, et les cubes de ses Maisons à l’Estaque. Bref, vous avez toute la MODERNITÉ. Et ça se passe après la rupture et la décomposition impressionnistes.

 

 

Une fois que vous avez « déconstruit » la méthode, que vous l’avez pulvérisée et réduite à ses composantes, les artistes vont pouvoir piocher dans cette sorte de bibliothèque, en extraire un élément, et faire carrément de cet élément un style, qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Par exemple, FERNAND LEGER parle des lignes, formes et couleurs comme des « trois grandes quantités plastiques ». Eh oui, c’est comme ça qu’on parle.

 

 

Ça peut être la géométrie perpendiculaire (MONDRIAN), la ligne courbe (GEORGES MATHIEU ou CY TWOMBLY, vous savez, celui du tableau « souillé » par le baiser amoureux d’une visiteuse, à Saint-Etienne, il me semble), le dessin (les gribouillons enfantins de DUBUFFET), la surface (par exemple SIMON HANTAÏ), la couleur (MARC ROTHKO, YVES KLEIN), la matière (ANTONI TAPIÈS). On n’en finirait pas.

 

 

KAZIMIR MALEVITCH a pu peindre Carré blanc sur fond blanc. Même qu’il a appelé ça « suprématisme ». PIERRE SOULAGES a pris le contrepied en appliquant du noir sur du noir. Il paraît (on me l’a dit) que c’est très très fort. Si on le dit, ce n’est pas moi qui vais contredire.  

 

 

 

Et ne me parlez pas de PABLO P., l’opportuniste en chef de la peinture moderne, qui payait ses restaurants en signant la nappe pour la plus grande joie du patron. Ce despote cynique gardera toujours à mes yeux les traits et le nom que le même MAURICE TILLIEUX lui a donnés dans Popaïne et vieux tableaux (la suite du précédent) : OBLAP OSSAPIP (très jolie trouvaille). PABLO P. n’est finalement qu’un grossier éjaculateur : de la vitalité à en être malade, mais pas de morale. Exactement comme un certain DSK.

 

 

Et encore heureux êtes-vous si vous êtes épargné par l’œuvre qui exige la participation du spectateur ; ou bien l’œuvre d’ « art brut » (les productions des fous, mais aussi de GASTON CHAISSAC) ; ou encore l’œuvre d’ « art pauvre » (KOUNELLIS, MARIO MERZ, PIERO MANZONI).

 

 

Une mention spéciale pour MANZONI, oui, celui-là même qui a rempli, en 1961, des boîtes de conserve avec sa propre merde, boîte que des « amateurs » ont achetées, même qu’aux dernières nouvelles, 50 ans après, ils ont un souci à cause de l’oxydation du métal, et que je leur souhaite bien du plaisir.

 

 

Je leur suggère de se mettre à table, avec un ouvre-boîte, une tartine de pain, et un couteau pour étaler. Après avoir regardé la date de péremption. On ne sait jamais. La merde peut avoir tourné. Pourvu que la direction des fraudes et l’agence de santé des aliments ne viennent pas y mettre leur nez. D’ici qu’ils les obligent à partager.

 

 

 

Remarquez, je dis du mal, mais c'est une question d'époque. Car c'est en 1962 que BEN (VAUTIER) a exposé un gobelet de son urine. On a fait mieux depuis, avec je ne sais plus qui et sa "machine à déféquer".

 

 

Mentionnons pour mémoire l’œuvre de JOSEPH BEUYS, l’artiste qui  incorpore à ses oeuvres toutes sortes de matériaux organiques (jusqu’aux poils et rognures d’ongles).

 

 

Bref, comme disait GEORGES POMPIDOU : « Passées les bornes, y a plus de limites ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.