lundi, 21 mars 2016
GEORGES PEREC : LA DISPARITION
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C’est curieux, n’est-ce pas, l'exceptionnelle biographie de Georges Perec par David Bellos m’a donné envie de rouvrir plusieurs livres de et sur l’écrivain. Parmi ceux-ci, le moindre n’est pas La Disparition, le désormais célébrissime lipogramme en « e », que les gens informés ont, paraît-il, beaucoup lu.
Le plus curieux dans l’affaire, c’est que le procédé est aujourd’hui très célèbre, mais qu’il n’a plus jamais, sauf erreur, donné lieu à la naissance d’un livre aussi digne d’attention. En littérature, La Disparition occupe la même place que « ptyx » dans le sonnet de Mallarmé, un « hapax » (du grec « une seule fois »). Disons-le : le roman de Perec, d’après ce que je sais (mais je peux me tromper) n’a rien de connu qui puisse lui être comparé. Comme si l’auteur avait tué le genre en lui donnant naissance.
J’ai donc relu La Disparition, ce roman de trois cents pages conçu et écrit avec une visible jubilation à partir de ce que le romancier s’est à lui-même interdit : la lettre la plus fréquente de la langue française. Un tour de force. Mieux, je dirai un numéro d’équilibriste. Ou plutôt de contorsionniste. On ne se lance pas, en effet, un tel défi sans s’exposer aux rudes nécessités de la langue. En français, se priver du « e », c’est réduire drastiquement la richesse du vocabulaire : une gageure.
Inutile de le nier : ça oblige à des acrobaties sans nom, je veux dire que Perec est évidemment obligé de tricher avec la langue, et même avec l’histoire (avec sa grande hache) : « Au nom du salut public, un Marat proscrivit tout bain, mais un Charlot Corday l’assassina dans son tub » (p.13). « Charlot Corday », il fallait oser. Je l’avoue, en tombant sur la trouvaille, j’ai bien rigolé. Et je dirai que c’est un peu le problème du livre tout entier : il fait souvent rire ou sourire (pourquoi le nier ?), mais on le prend rarement au sérieux.
Car c’est un livre bourré de clins d’œil faits au lecteur invité à devenir une sorte de complice. Par exemple, quand je tombe sur « l’arbin », « l'oisir », « sa vision qui l’hantait », « sarbacan », « bousins » (pour bouseux), je dis pourquoi pas. Je veux bien sourire encore, face à « un fort migrain », « aux cordons vocaux », « tout allait à vau-l’iau », « la mail-coach, un vrai guimbard », « Ah ! Moby Dick ! Ah maudit Bic ! ». A propos de Moby Dick, Perec se permet de résumer à sa façon lipogrammatique le chef d’œuvre de Melville. Je retiens ceci : « Puis, au haut du grand mât, il plantait, il clouait un doublon d’or, l’offrant à qui saurait voir avant tous l’animal » (mais, sauf erreur, Achab enfonce le doublon d’un coup de masse, sans le clouer).
Allez, j’accepte encore de m’amuser, avec « Blanc ou l’Oubli d’Aragon », « il s’agissait, dit-il, d’un rond portant au mitan un trait droit, soit, si l’on voulait, d’un signal s’assimilant à l’indication formulant la prohibition d’un parcours », « Trois chansons du fils adoptif du Commandant Aupick » (vous avez compris ce qu’il y a à comprendre : Blanche ou l’Oubli, le sens interdit, Charles Baudelaire).
J’apprécie aussi, à l’occasion, d’enrichir mon vocabulaire : je ne connaissais pas « baralipton » (je ne suis pas très fort en syllogismes), « avaro » (la tuile !) et quelques autres. Mais je me dis que l’auteur attige, qu’il en rajoute quand il écrit : « mais pour qui j’urai alors d’avoir un amour constant », « nous avions naquis », ou « la coruscation d’un automnal purpurin ». Soyons honnête : il m’est arrivé de me laisser prendre au récit, en des moments qui ne sont pas trop rares, heureusement. Georges Perec est excellent quand il fait oublier la contrainte formelle. Mais la plupart du temps, elle reste là, sous votre nez, à vous narguer, trop visible et parfois laborieuse.
Cette contrainte, il la formule d’ailleurs explicitement :
« Mais, plus tard, quand nous aurons compris la loi qui guida la composition du discours, nous irons admirant qu’usant d’un corpus aussi amoindri, d’un vocabulariat aussi soumis à la scission, à l’omission, à l’imparfait, la scription ait pu s’accomplir jusqu’au bout.
Abasourdis par l’inouï pouvoir marginal qui, contournant la signification tabou, la saisit pourtant, la produit pourtant par un biais subtil, la disant plus, l’ultradisant par l’allusion, l’association, la saturation, nous garantirons, lisant, la validation du signal sans tout à fait l’approfondir.
Puis, à la fin, nous saisirons pourquoi tout fut bâti à partir d’un carcan si dur, d’un canon si tyrannisant » (p.196).
On pense évidemment à la célèbre histoire d’Edgar Poe La Lettre volée, où Dupin, ce précurseur de Sherlock Holmes, grâce à la subtilité de son raisonnement, perce le secret et déjoue la machination du ministre qui voulait du mal à une grande dame. Je laisse de côté les savantes considérations, célèbres parmi les intellos, que Jacques Lacan a posées sur la nouvelle de Poe. L’idée, c’est que les gens ne remarquent pas, en général, ce qui leur crève les yeux. Comme l’écrit Perec : « Oui, fit Savorgnan, disons qu’Anton tout à la fois montrait mais taisait, signifiait mais masquait » (p.111).
Révéler un secret tout en le taisant, tout le paradoxe qui court dans l’œuvre de Georges Perec est là.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 09 novembre 2012
VOUS AVEZ DIT LACAN ? (2)
Pensée du jour :
"SILHOUETTE" N°7
« L'homme est un étrange animal. Ses activités sont charmantes. Les spécialistes voient en lui une espèce d'insecte sautillant. Il fonde des villes, il dans se jerk, il sonde les mers, il chante en choeur et il boit à la ronde, il se coiffe au caranaval de chapeaux en papier. De temps en temps, il détruit la Bastille pour construire des prisons moins belles mais plus nombreuses, il tue ses rois pour avoir un empereur et le remplacer par un monarque, il adore la Raison, il se repaît de chimères, il massacre ses prisonniers. En un mot, il est libre, égal et fraternel ».
ALEXANDRE VIALATTE
Résumé : on a compris, j’espère, qu’il y a une recette pour me faire monter la moutarde et pour que je prenne en grippe le coupable, c’est, comme on dit, de « ramener sa science ». Certains disent plus simplement : « Celui-là, il la ramène ». Ipso facto, on a compris que la prose de JACQUES LACAN n’est pas ma tasse de thé. C’est qu’avec le « vulgum pecus » auquel j’appartiens, le « maître »(que ROUDINESCO appelle parfois « Sa Majesté », du moins il me semble) sait faire preuve d’un dédain souverain.
Mais je crois, après lecture de la biographie d’ELISABETH ROUDINESCO, que LACAN a vite compris que ce dédain était un moyen de se poser en seigneur. En un mot, comme le dit l’auteur, LACAN est avant tout un SEDUCTEUR (de femmes, de disciples, …). Or le séducteur est celui qui a par-dessus tout besoin de s’ériger en objet de désir.
Il semble avoir adopté la maxime prêtée à CESAR : « Plutôt le premier dans mon village que le second à Rome », et la démarche induite par la logique du « tout seul », pourvu que ce soit « à la tête ». Ce qui l’a conduit à se couper de toutes les organisations et autorités professionnelles, pour fonder sa propre institution. Il est ainsi sûr de rester sans rival. Dans cet ordre d’idées, ajoutons sa hantise du plagiat : se considérant (sans doute à juste titre, bien qu’il ait « emprunté » quelques-unes de ses idées de départ) comme un inventeur, il redoutait d’être dépossédé de ce titre, au cas où des petits malins auraient eu l'idée d'un pillage en règle.
Toute sa virtuosité passe dans la tactique adoptée pour se faire désirer. Se faire désirer par qui ? LACAN, pour sa part, a réussi à mettre nombre de femmes dans son lit. Il n’est ni le premier, ni le dernier : un homme qui sait s’y prendre en fait autant, ou mieux. Et puis somme toute, ça le regarde, ainsi que les femmes qui ont bien voulu. Mais là où il a été très fort, et peut-être un génie, c’est qu’il a réussi à mettre nombre de disciples dans son séminaire. Et ça, c’est beaucoup plus impressionnant que les conquêtes féminines. Comment devient-on chef d'école ?
C’est aussi assez drôle, dans le livre, de suivre (de pas trop près) les trajectoires de frôlement, d’entrecroisement et d’interaction de tous les poissons plus ou moins gros qui évoluent dans le bocal parisien de l’intelligentsia intellectuelle et artistique des années 1930. Sur la paranoïa, par exemple, il est probable que LACAN a reçu une part de ses idées de SALVADOR DALI.
Ce qui est sûr, c’est qu’il a fréquenté les surréalistes, et qu’il s’est lié d’amitié avec le peintre ANDRÉ MASSON, l’auteur (entre autres) de l’emblème de la revue Acéphale, de GEORGES BATAILLE, un antirationaliste passionné de pulsions et de passions primitives, dont la compagne (SYLVIA BATAILLE) devint celle de JACQUES LACAN.
Passons rapidement sur une coquille marrante qui figure à la page 271 de mon exemplaire : « … la toute-puissance de l’analyste, placé en position d’interprètre dans la relation transférentielle ». De là à la position dite « du missionnaire », il n’y a qu’un pas, que je me garderai de franchir, pour garder intacte la réputation de sérieux qui est celle de ce blog. Est-ce une facétie ? Un lapsus ?
Alors finalement, quel portrait de JACQUES LACAN trace l’ouvrage d’ELISABETH ROUDINESCO ? Elle ne fait à coup sûr pas partie des dévots de l’Eglise lacanienne (certains disent la secte), où certains sont tombés dans le culte de l'idole. Mais elle reconnaît tous les apports dont il a enrichi la doctrine freudienne, en n’hésitant pas à s’opposer frontalement à des institutions (on n’imagine pas le continent que ça représente) qui, à ses yeux, avaient tendance à figer, voire à momifier la pensée du fondateur de la psychanalyse.
Elle essaie de faire le départ entre les lumières et les ombres. Et le résultat est bon. Du côté de ces dernières, je compte évidemment le style, même si des gens très compétents en la matière m’ont affirmé que la pensée de LACAN repose avant tout sur un effort de précision et d’exactitude. Je veux bien.
Un style au vocabulaire, disons, courant (à part les concepts élaborés par lui), mais à la syntaxe inspirée du MALLARMÉ le plus alambiqué, voire le plus obscur. Pour ceux qui ne connaissent pas, ça donne des phrases qu’il faut relire plusieurs fois pour en discerner la construction grammaticale, les relations entre les parties, en un mot ce que ça peut bien vouloir dire. C’est un choix, évidemment.
L’obstacle de l’obscurité, devait-il se dire, est une condition de la naissance du désir de comprendre : à l’amateur de faire l’effort d’entrer dans son système de pensée (puisque système il y a, selon ROUDINESCO), pour comprendre le raffinement et la profondeur de l’agencement des concepts mis en place par le « maître ». On se dit qu’il y a du gourou chez cet homme. Eh bien, son obscurité pour initiés, qu'il la garde !
Voilà ce que je dis, moi.
Tant pis, je comptais finir ici, mais ce sera pour demain.
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lundi, 19 décembre 2011
PETITE HISTOIRE DU DESASTRE (2)
Résumé : je ne vois que ce que je sais, et je ne fais que ce que j’ai appris (proverbe telugu).
La transparence a disparu lorsque les peintres ont cru dur comme fer saisir le monde « tel qu’il était », au moment où il était. Autrement dit, l’illusionnisme a été à son comble quand il a changé de camp. Avant, les peintres savaient qu’ils étaient des prestidigitateurs, qu’ils étaient capables de faire apparaître la nature dans le salon, sur le mur en face de la cheminée. On les admirait pour ça. On peut appeler ça de l’humilité (voire de l’orgueil). Ou de la lucidité.
Et puis les photographes sont arrivés, l’index appuyé sur un bouton, qui ont confisqué la transparence à leur unique profit et usage. Alors, les peintres se sont drapés dans leur dignité, bouffis d’orgueil. Ils sont devenus opaques. Leur personne a commencé à compter. La vitre est devenue un écran. Qu’est-ce que la photo leur laissait ? Du coup, les impressionnistes ont attiré l’attention sur la façon d’appliquer les couleurs, et fait de l’artiste un personnage, au prétexte qu’ils introduisaient sur la toile le MOMENT. Ah, le moment !
Alors c’est vrai, ils avaient des arguments à faire valoir. Et des arguments techniques, s’il vous plaît. Assumés. Mine de rien, ils ont jeté à la poubelle la ligne, la surface, le modelé, le dégradé. C’est vrai, ça, quand tu regardes Le Bassin d’Argenteuil, de CLAUDE MONET, mais que tu le regardes de vraiment près, tu ne vois plus rien. Rien que des taches de couleur séparées les unes des autres. La peinture a divorcé du dessin. Pourquoi croyez-vous qu’on les a méprisés, quand on a vu ce qu’ils faisaient ? Pour l’unique raison qu’ils balançaient l’Académie comme un détritus.
Certains ont ensuite appelé ça « divisionnisme ». Je veux bien. Moi, je dirais volontiers que les impressionnistes ont inventé le PIXEL. L’impressionnisme est l’ancêtre du numérique en image. C’est lui qui a ouvert la voie. Et je ne parle pas de SEURAT : jetez seulement un œil, mais de très près, sur Un Dimanche d’été à la Grande-Jatte ou sur Le Cirque, vous m’en direz des nouvelles. Mais c’est un extrémiste, on a même appelé ça « pointillisme », à force d’être pointilleux.
Donc de près, vous ne voyez aucun « sujet ». Pour le distinguer, il faut prendre un peu de recul. C’est là que la transparence se recompose, c’est là qu’on a la Seine, l’ombrelle, la meule, la cathédrale de Rouen. Les impressionnistes, finalement, ils n’ont pas rompu avec la nature. Seulement avec l’Académie. Alors même que c'est une peinture savante, peut-être seulement un peu plus « scientifique ».
Ça veut dire une chose : les impressionnistes ne cherchent pas à rendre « la chose, mais l’effet qu’elle produit » (ça c’est MALLARMÉ qui l’a dit, autour de 1860, pour dire que ça remonte). Non la chose, mais l'effet. Elle est là la rupture. Ils intellectualisent, quoi. Ben oui, c’est qu’une peinture comme celle-là, il faut du raisonnement pour y parvenir.
On est en route vers l’abstraction. Je ne dis pas pour aimer les impressionnistes, puisque tout le monde les aime, mais pour les comprendre, il faut de la pensée. Contrairement à ce qu’on pense, ça demande un effort. Et à l’arrivée, finablement (comme on disait chez moi), ils ne sont pas si épastrouillants qu’on le dit.
En délaissant le modelé, le dégradé, la ligne, les impressionnistes ont eu l’impression de casser la vitre qui s’interposait encore entre l’œil et la nature. En fait, ils ont posé la première pierre d’un mur de séparation. Celui sur lequel le Capitaine Haddock se casse le nez dans Les 7 boules de cristal.
L’effet principal de l’impressionnisme sur la manière de peindre est de rompre avec le continu de la nappe de couleur, qui avait prévalu jusqu’à eux. Ce que certains appellent « décomposition lumineuse ». Et dans le fond, ce n’est pas grand-chose. Je sais qu’il y a des précédents, mais ça reste disséminé ici ou là. Après les impressionnistes, cette manière s’impose et se généralise. Irréversible. C’est une vraie catastrophe, qui s’est appelée plus tard « modernité ».
On peut dire que le peintre impressionniste hésite encore à sauter le pas. Il met un pied dans le sable mouvant de la rupture (le divisionnisme), mais il garde l'autre dans la glèbe grasse de la tradition (la représentation du réel). J'aime bien donner dans la métaphore bien lourde, de temps en temps. C'est rigolo, non ? C'est aussi ce qui fait de tous les amoureux de la peinture impressionniste des aventuriers timorés, des explorateurs en pantoufle, des révolutionnaires conservateurs.
Aimer la peinture impressionniste, c'est, dans le fond, ne pas s'opposer à la « marche vers la modernité », tant que celle-ci ne fait pas « table rase du passé ». C'est « aller vers l'ombre » sans « lâcher la proie ».
Car dans la modernité, au diable la transparence et l’illusion. C'est fini. Adieu, veaux, vaches et tout ce qui va avec. Qu’on se le dise : l’artiste devient un homme libre. Il a su « s’affranchir » de la réalité. Même que ANTONI TAPIES a publié un livre intitulé La Réalité comme art. Il s’est montré capable de « transgresser » le « pacte » de la représentation.
Il prend sa toile pour ce qu’elle est : une toile, une page blanche, sur laquelle il peut projeter n’importe quoi. C’est là que la peinture devient sa propre fin. L’impasse, quoi. « Une impasse sans issue dont on ne peut sortir, oui, chef ! », déclare l’inspecteur Crouton dans le magnifique Libellule s’évade, BD de MAURICE TILLIEUX. L’artiste est artiste parce qu’il a décidé que c’était comme ça. Il fait ce qu’il veut. Il est libre, Max. La toile est devenue un but en soi, le mur du fond, l’horizon bouché, l’absence d’au-delà. L’artiste y projette sa dimension restreinte.
Alors, vous avez CEZANNE avec sa Sainte-Victoire découpée en quadrilatères, vous avez DERAIN, qui schématise en couleurs unies un paysage avec sa perspective, mais sans son volume (La Côte d’Azur près d’Agay), vous avez BRAQUE, et les cubes de ses Maisons à l’Estaque. Bref, vous avez toute la MODERNITÉ. Et ça se passe après la rupture et la décomposition impressionnistes.
Une fois que vous avez « déconstruit » la méthode, que vous l’avez pulvérisée et réduite à ses composantes, les artistes vont pouvoir piocher dans cette sorte de bibliothèque, en extraire un élément, et faire carrément de cet élément un style, qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Par exemple, FERNAND LEGER parle des lignes, formes et couleurs comme des « trois grandes quantités plastiques ». Eh oui, c’est comme ça qu’on parle.
Ça peut être la géométrie perpendiculaire (MONDRIAN), la ligne courbe (GEORGES MATHIEU ou CY TWOMBLY, vous savez, celui du tableau « souillé » par le baiser amoureux d’une visiteuse, à Saint-Etienne, il me semble), le dessin (les gribouillons enfantins de DUBUFFET), la surface (par exemple SIMON HANTAÏ), la couleur (MARC ROTHKO, YVES KLEIN), la matière (ANTONI TAPIÈS). On n’en finirait pas.
KAZIMIR MALEVITCH a pu peindre Carré blanc sur fond blanc. Même qu’il a appelé ça « suprématisme ». PIERRE SOULAGES a pris le contrepied en appliquant du noir sur du noir. Il paraît (on me l’a dit) que c’est très très fort. Si on le dit, ce n’est pas moi qui vais contredire.
Et ne me parlez pas de PABLO P., l’opportuniste en chef de la peinture moderne, qui payait ses restaurants en signant la nappe pour la plus grande joie du patron. Ce despote cynique gardera toujours à mes yeux les traits et le nom que le même MAURICE TILLIEUX lui a donnés dans Popaïne et vieux tableaux (la suite du précédent) : OBLAP OSSAPIP (très jolie trouvaille). PABLO P. n’est finalement qu’un grossier éjaculateur : de la vitalité à en être malade, mais pas de morale. Exactement comme un certain DSK.
Et encore heureux êtes-vous si vous êtes épargné par l’œuvre qui exige la participation du spectateur ; ou bien l’œuvre d’ « art brut » (les productions des fous, mais aussi de GASTON CHAISSAC) ; ou encore l’œuvre d’ « art pauvre » (KOUNELLIS, MARIO MERZ, PIERO MANZONI).
Une mention spéciale pour MANZONI, oui, celui-là même qui a rempli, en 1961, des boîtes de conserve avec sa propre merde, boîte que des « amateurs » ont achetées, même qu’aux dernières nouvelles, 50 ans après, ils ont un souci à cause de l’oxydation du métal, et que je leur souhaite bien du plaisir.
Je leur suggère de se mettre à table, avec un ouvre-boîte, une tartine de pain, et un couteau pour étaler. Après avoir regardé la date de péremption. On ne sait jamais. La merde peut avoir tourné. Pourvu que la direction des fraudes et l’agence de santé des aliments ne viennent pas y mettre leur nez. D’ici qu’ils les obligent à partager.
Remarquez, je dis du mal, mais c'est une question d'époque. Car c'est en 1962 que BEN (VAUTIER) a exposé un gobelet de son urine. On a fait mieux depuis, avec je ne sais plus qui et sa "machine à déféquer".
Mentionnons pour mémoire l’œuvre de JOSEPH BEUYS, l’artiste qui incorpore à ses oeuvres toutes sortes de matériaux organiques (jusqu’aux poils et rognures d’ongles).
Bref, comme disait GEORGES POMPIDOU : « Passées les bornes, y a plus de limites ».
Voilà ce que je dis, moi.
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