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vendredi, 02 août 2024

DRÔLE DE SCÈNE DE MÉNAGE

Voici une petite scène conçue par l'immense Maurice Tillieux — immortel inventeur du personnage de Gil Jourdan et de ses complices les inénarrables Libellule et Inspecteur Crouton (éditions Dupuis). C'est Gos qui l'a dessinée. Elle se passe sur le toit-parking du supermarché "L'Eté" situé à Saint-Denis. C'est là que la police tend un piège à deux gangsters marseillais qui veulent récupérer pour leur caïd les diamants que lui ont chouravés des Corses malhonnêtes.

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 L'un est Pierrot Courtepatte, un gros bêta capable de jouer les brutes, et Freddo le Râleur, une merveille de teigneux tenace, vindicatif et coléreux. C'est ce dernier, chargé à ras bord de sa rage et de son instinct, qui tient le volant de la R8 Gordini, une petite bombe à l'époque. Mais il se trouve que, sur le toit du supermarché, Monsieur et Madame rejoignent leur voiture après avoir fait leurs courses. C'est Monsieur qui porte le gros sac et Madame qui déverse sur lui toute sa bile, comme d'habitude.

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Et puis voilà-t-il pas que le petit teigneux vient de renifler le piège policier. Un seul réflexe : il fonce à travers tout et va se livrer à un véritable exploit de rallye automobile. Mais Monsieur se trouve sur la trajectoire, et c'est à lui que revient le grand rôle. Tout ça pendant que sa femme l'enguirlande parce qu'il lambine, qu'il est un incapable et tout et tout. Et c'est là que se situe la scène d'anthologie. 

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L'original se présente en trois vignettes qui décomposent l'incroyable geste de Monsieur, qui se sert de la R8 Gordini enragée pour accomplir une performance digne de la médaille d'or si ce geste était une discipline olympique. Noter à gauche les deux doigts de la main droite délicatement posés sur la tôle de la bagnole lancée plein pot.

J'ai bidouillé (et "nettoyé") comme je pouvais la bande de trois vignettes pour qu'on saisisse d'un seul regard, à la fois, le bolide reconstitué et la virtuosité de Monsieur en train d'exécuter son saut périlleux, toujours chargé des victuailles. Ci-dessous l'original tel qu'il se présente, bien découpé, dans l'album.

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Pendant ce temps, Madame — qui n'a bien sûr rien vu et rien entendu — continue à cracher ses propos désobligeants (dans la bulle où je les ai rassemblés) : « Ce qu'il est lent et empoté ! Rien ! On ne peut rien attendre de lui ! » 

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« C'est toujours la même chose ! Il faut que je fasse tout moi-même ! » (vignette 1) Madame — qui ignore donc les prouesses dont est capable son mari — ne manque pas de conclure fielleusement ce qui vient de se passer, à cause du malheureux chou-fleur qui s'est échappé du sac au moment où Monsieur touche le sol : « C'est inouï ! Tu ne peux pas faire dix pas en portant un paquet sans renverser quelque chose ! » (vignette 3).

Les mauvais coucheurs accuseront sûrement Maurice Tillieux de misogynie. Normal, non ?

jeudi, 22 décembre 2011

B. D. DANS L'EAU : MAURICE TILLIEUX

Suite et fin.

Résumé : MAURICE TILLIEUX, le créateur de Gil Jourdan, est un cinglé de bagnoles.

Mais la véritable trouvaille de TILLIEUX, ce sont deux personnages dont on ne retrouve nulle part les équivalents. J’ai nommé Libellule (surnom d’André Papignolles, dont les doigts ouvrent les coffres-forts rien qu’en soufflant dessus) et l’inspecteur Crouton (une merveille de policier doté d’une moustache rousse qui dépasse le poids maximum autorisé). Sans eux, on n’a plus que l’enquête sèche du détective.  

Vous avez forcément remarqué que Tintin, à lui tout seul, est triste à mourir. En tout cas, il n’est pas sympathique. Aucun gag à attendre de sa part. Pas la plus petite pointe d’humour. Le héros de l’histoire n’est pas fait pour être drôle. Pourquoi croyez-vous qu’HERGÉ lui adjoint les Dupondt, Archibald Haddock, le capitaine au long cours et Tryphon Tournesol, le savant lunaire ? On pourrait encore citer l’infernal Abdallah, Séraphin Lampion, des assurances Mondass, la divine Bianca Castafiore, « rossignol milanais » gazouillant jusqu'à plus soif son : «  Ah je ris de me voir si belle en ce miroir ». 

Eh bien c’est la même chose avec Libellule et Crouton, à ceci près qu’ils apparaissent dès la première aventure de la série « Gil Jourdan ». C’est même la première image du premier album : Libellule s’évade. Avec la suite et la fin de l’aventure dans Popaïne et vieux tableaux, je le tiens pour le meilleur de la série. Pour une raison très simple : TILLIEUX a peaufiné les répliques jusque dans les recoins. Je vous préviens, si tout ça vous paraît bien plat, c’est juste parce que c’est sorti de son contexte, et que vous n’avez pas les images.

Les meilleures sortent de la bouche de l’inspecteur Crouton. Libellule, c'est le gros lourd qui sort au kilomètres des blagues épaisses comme l'Encyclopédie de Diderot. La première réplique de Crouton figure au centre de la cinquième planche. Il vient d’être semé par la voiture de Gil Jourdan, déguisé en taxi, qui a pour seule intention de faire évader Libellule, l’as des coffres-forts. 

Crouton entame sur les trottoirs un 400 mètres haie, qui le fait atterrir dans un fût de goudron. L’ouvrier du chantier, perplexe et compatissant, lui demande : « Vous êtes tombé dedans ? ». Crouton, dégoulinant de liquide noir, répond, sublime : « Non ! J’y habite !!! ».

Bredouille et penaud devant son supérieur, celui-ci lui demande : « Somme toute, vous êtes dans une impasse ? – Une impasse sans issue dont on ne peut sortir. Oui, chef ! ». C’est-y pas mignon ? Et je ne parle pas de la note de frais de vingt kilos de beurre pour enlever le goudron du costume de Crouton : « Vingt kilos de beurre sur un crouton, pouah, c'est du gaspillage !!! ».

Muté aux stupéfiants après son exploit, Crouton doit partir en mission en Italie. Son nouveau chef lui demande : « Parlez-vous italien ? ». Réponse de Crouton, je n’invente rien : « Je n’en sais rien, chef, je n’ai jamais essayé ».

Nouvelle poursuite sur le bateau italien, qui finit devant le commandant. Crouton a eu le temps de faire des dégâts. Une femme apparaît : « C’est lui ! Il a jeté une bouteille de lait à la tête de la mère de mon enfant ». Un homme : « Il m’a frappé au visage avec les pieds ».

Crouton est remis à la police italienne : « Ai-je l’air d’un fou ? Je vous le demande ! ». Réponse du flic : « Le commissaire en décidera ». Bon, c’est vrai, ce n’est pas encore signé MICHEL AUDIARD, mais je trouve ça bien.

Enfin, MAURICE TILLIEUX n’aime pas la peinture contemporaine. Il lui règle son compte à plusieurs reprises. C’est Libellule qui ouvre les hostilités : tombé dans un atelier sous les toits, il lance au peintre, avant de s’esbigner pour éviter de recevoir en pleine figure le pot de peinture rouge que celui-ci lui jette à la figure : « Dites, c’est joli ce que vous faites ! Si vous y pensez, gardez m’en un kilo avec le sens dans lequel ça doit être mangé ! ».

Ça continue dans le château, entre le chef des trafiquants et le bandit qui lui procure la drogue. Le premier montre fièrement sa galerie d’art : « Savez-vous que ces hommes ont travaillé cinquante ans et plus pour arriver à ça !! – Zut ! On ne le dirait pas ! ».

On terminera ce panorama sur deux vignettes montrant Libellule aux prises avec les notions d’art contemporain qu’il est obligé d’ingurgiter. Il faut dire qu’il doit remplacer Oblap Ossapip à la grande réception du châtelain trafiquant et amateur d’art : « La peinture surréaliste crée une relation immédiate de l’homme avec lui-même ».

Et juste après : « Non mais, mon pote ! Faut lire ça ? Tu prends de la couleur, tu la colles sur une toile, et ça devient sans rire : "Le caractère ésotérique et sublime de son essence désintègre l’homme et le recrée dans sa totalité" ». Je suis assez d’accord avec Libellule : l’art contemporain est ce qu’il est, mais la sauce de langage qui sert à lui donner du « sens », et plus sûrement à le vendre, vaut son pesant de caca d’oie.

 Je ne reviens pas sur Oblap Ossapip (remis à l’endroit, ça donne palbo pipasso), dont j’ai parlé il y a quelques jours, à propos, justement, de l’art contemporain. Son remplacement par Libellule donne lieu à deux pages savoureuses, où TILLIEUX se paie la fiole, principalement, des « amateurs », tous des snobs, selon lui, prêts à avaler toutes les fadaises intellos qu’on leur vend, par exemple sous le nom de « pré-néo-progressisme » (dans la bouche du critique Adhémar de Lamarche de Lescalier de Lacave). 

Voilà ce que je dis, moi.