dimanche, 12 avril 2020
IL N'Y A PAS QUE LE CONFINEMENT
BANDE DESSINÉE : QUELQUES RÉPLIQUES MÉMORABLES
***
1 - MAURICE TILLIEUX (Gil Jourdan)
Les Cargos du crépuscule.
Libellule s'évade.
Libellule s'évade.
Libellule s'évade.
L'Enfer de Xique-Xique. On constate que l'inspecteur Crouton (Annibal de son prénom) est un contributeur généreux de répliques mémorables, Libellule n'étant que l'auteur de plein de jeux de mots débiles.
L'Enfer de Xique-Xique (si Libellule rit, c'est qu'une grenade au gaz hilarant a été lancée par erreur sur les fugitifs. Le juge militaire va se venger : le journal titrera le lendemain : « Au cours d'une tribunal-party en cent relances, un espion gagne un séjour de 10.000 ans dans l'enfer de Xique-Xique »).
L'Enfer de Xique-Xique (les deux vignettes se suivent, Gil Jourdan vient de placer quelques balles dans le réservoir d'eau).
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, maurice tillieux, libellule s'évade, popaïne et vieux tableaux, la voiture immergée, les cargos du crépuscule, l'enfer de xique-xique, humour
dimanche, 17 novembre 2019
REISER ET L'ARCON
En 1977, Reiser publiait (sans doute dans Charlie Hebdo) une grosse page de dessins pour rendre compte de sa visite à la dixième Biennale de Paris. Pour lui, les œuvres présentées ne relevaient pas de ce que j'ai appelé "l'Arcon (temporain)", mais de
,
ce qui révèle l'attitude du bonhomme face à beaucoup d' "inventions" de la "modernité" triomphante, dans lesquelles il ne voyait que des concrétisations grandioses et minables de la BÊTISE.
Je me rappelle, au cours de la visite d'une ancienne Biennale d'Art à Lyon (Halle Tony Garnier), avoir vu une petite collection de sacs en plastique transparent cloués à une planche verticale : dans chacun des sacs flottait un petit poisson anciennement vivant, et ça puait, et ça puait (il faisait très chaud). Des histoires comme ça, je pourrais en raconter des tonnes, étant donné le nombre de ces expositions visitées dans une vie antérieure.
Vignette ci-dessus : ce ne sont pas seulement les "bourgeois" qui viennent "phosphorer" devant leurs œuvres, mais également les critiques d'art patentés, payés pour étaler dans des revues faisant autorité (Art press, bien sûr) des morceaux de prose extraordinaires de comique (involontaire ?) à force de cérébralité abstruse et de créativité non-sensique (j'ai conservé quelques témoignages de proses particulièrement "intéressantes"). J'ajoute qu'à mon avis, les "artistes" se fendent moins la gueule qu'ils ne se prennent très au sérieux. Ils attendent fiévreusement, en réalité, qu'un intellectuel reconnu vienne plaquer sur leur "travail" l'estampille "philosophique" qui le validera.
Est-ce bien de l'art "rigolo" ? On a le droit de ne pas être aussi indulgent. Son spectateur a bien l'air rigolard, mais ceux qui se marrent à se secouer la bedaine, y compris sous son crayon, ce sont les "artistes" eux-mêmes (pardon, il faut dire "artistes-plasticiens" : où va se nicher la prétention ?). La réaction de Reiser est celle – qu'on me pardonne cet archaïsme indigne – du bon sens populaire.
Elle me fait immanquablement penser à celle de Libellule (ci-dessous), personnage de BD (Maurice Tillieux), dans Popaïne et vieux tableaux. Ce gars dont la culture est des plus rudimentaire essaie d'apprendre vite fait sur le gaz, en prévision de l'opération prévue pour le soir, comment il convient de parler d'art contemporain.
Autre personnage d'artiste contemporain imaginé par Maurice Tillieux (dans Carats en vrac) : son atelier sur les toits de Paris vient d'être traversé par la R8 Gordini des bandits en fuite.
Dans mon billet du 19 juillet dernier, je faisais état d'une Chronique de La Montagne où Alexandre Vialatte renvoyait la musique contemporaine qu'il avait sans doute entendue peu avant à l'incompressible catégorie des BRUITS.
Reiser de son côté, renvoie les bousilleurs de l'art à une autre catégorie, beaucoup plus vaste et indéfinie, la catégorie dont le centre est partout et la circonférence nulle part, je veux dire celle du "N'IMPORTE QUOI". C'est très bien vu et tout aussi pertinent.
Je m'en tiens pour ma part à ma catégorie de "l'Arcon" qui, selon moi, apporte une précision au concept de "n'importe quoi", tout en rejoignant les intentions de Reiser : les tâcherons et besogneux de "l'art contemporains" sont avant tout des militants du FOUTAGE DE GUEULE.
Je l'ai déjà dit ici (j'ai la flemme de chercher, mais c'est à de multiples reprises, ça finit par être fatigant) : chez les tenants victorieux de l'art contemporain (je veux dire les imposteurs qui ont les faveurs des milliardaires : "n'importe quoi pourvu que ça rapporte"), ce qui compte le plus, ce n'est pas la valeur proprement artistique de l'œuvre produite, ce n'est pas l'effet sur la sensibilité des spectateurs, c'est l'IDÉE qui sous-tend cette œuvre, c'est la théorie qui lui sert de soubassement, c'est le terreau conceptuel qui lui sert de nutriment, c'est la substance intellectuelle qui l'enrobe, et qui finit par l'introduire dans le paysage des gens ordinaires, auxquels ils s'impose (en rhétorique, on appelait ça l'argument d'autorité). Reiser lui-même le dit.
« Depuis ces individus, il ne s'agit plus de se rendre maître d'une technique mise au service de visions personnelles, il s'agit d'avoir des idées vendables. » C'est ce que j'écrivais ici le 19 juillet 2019 à propos de "musique contemporaine".
Ce qu'écrit ci-dessus Reiser pour se marrer (quoique), ce n'est ni plus ni moins que la théorie formulée avec le plus grand sérieux, au début du vingtième siècle, par Marcel Duchamp, devenu le pape, l'ancêtre, l'inspirateur de tout ce qui s'est fait plus tard en matière d'art contemporain. Plus besoin de se donner un mal de chien pour apprendre à maîtriser des outils techniques pour s'efforcer de produire des effets esthétiques capables de toucher la sensibilité des spectateurs. Il suffit d'avoir l'idée que nul n'a eu le toupet d'avoir avant vous.
Ce n'est ni plus ni moins que la sacralisation de l'innovation, qui répand ses ravages partout dans le monde actuel : dans l'économie, dans la technique et jusque dans le fonctionnement des sociétés et les relations entre les gens.
J'en reviens toujours là : le vingtième siècle, en soi inhumain, a fait sortir les activités humaines des plus nobles bornes de la raison humaine.
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reiser, bande dessinée, charlie hebdo, humour, art contemporain, arcon, mac lyon, biennale d'art contemporain lyon, lyon halle tony garnier, maurice tillieux, gil jourdan, popaïne et vieux tableaux, carats en vrac, maurice tillieux, gil jourdan, popaïne et vieux tableaux, carats en vrac
REISER ET L'ARCON
En 1977, Reiser publiait (sans doute dans Charlie Hebdo) une grosse page de dessins pour rendre compte de sa visite à la dixième Biennale de Paris. Pour lui, les œuvres présentées ne relevaient pas de ce que j'ai appelé "l'Arcon (temporain)", mais de
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ce qui révèle l'attitude du bonhomme face à beaucoup d' "inventions" de la "modernité" triomphante, dans lesquelles il ne voyait que des concrétisations grandioses et minables de la BÊTISE.
Je me rappelle, au cours de la visite d'une ancienne Biennale d'Art à Lyon (Halle Tony Garnier), avoir vu une petite collection de sacs en plastique transparent cloués à une planche verticale : dans chacun des sacs flottait un petit poisson anciennement vivant, et ça puait, et ça puait (il faisait très chaud). Des histoires comme ça, je pourrais en raconter des tonnes, étant donné le nombre de ces expositions visitées dans une vie antérieure.
Vignette ci-dessus : ce ne sont pas seulement les "bourgeois" qui viennent "phosphorer" devant leurs œuvres, mais également les critiques d'art patentés, payés pour étaler dans des revues faisant autorité (Art press, bien sûr) des morceaux de prose extraordinaires de comique (involontaire ?) à force de cérébralité abstruse et de créativité non-sensique (j'ai conservé quelques témoignages de proses particulièrement "intéressantes"). J'ajoute qu'à mon avis, les "artistes" se fendent moins la gueule qu'ils ne se prennent très au sérieux. Ils attendent fiévreusement, en réalité, qu'un intellectuel reconnu vienne plaquer sur leur "travail" l'estampille "philosophique" qui le validera.
Est-ce bien de l'art "rigolo" ? On a le droit de ne pas être aussi indulgent. Son spectateur a bien l'air rigolard, mais ceux qui se marrent à se secouer la bedaine, y compris sous son crayon, ce sont les "artistes" eux-mêmes (pardon, il faut dire "artistes-plasticiens" : où va se nicher la prétention ?). La réaction de Reiser est celle – qu'on me pardonne cet archaïsme indigne – du bon sens populaire.
Elle me fait immanquablement penser à celle de Libellule (ci-dessous), personnage de BD (Maurice Tillieux), dans Popaïne et vieux tableaux. Ce gars dont la culture est des plus rudimentaire essaie d'apprendre vite fait sur le gaz, en prévision de l'opération prévue pour le soir, comment il convient de parler d'art contemporain.
Autre personnage d'artiste contemporain imaginé par Maurice Tillieux (dans Carats en vrac) : son atelier sur les toits de Paris vient d'être traversé par la R8 Gordini des bandits en fuite.
Dans mon billet du 19 juillet dernier, je faisais état d'une Chronique de La Montagne où Alexandre Vialatte renvoyait la musique contemporaine qu'il avait sans doute entendue peu avant à l'incompressible catégorie des BRUITS.
Reiser de son côté, renvoie les bousilleurs de l'art à une autre catégorie, beaucoup plus vaste et indéfinie, la catégorie dont le centre est partout et la circonférence nulle part, je veux dire celle du "N'IMPORTE QUOI". C'est très bien vu et tout aussi pertinent.
Je m'en tiens pour ma part à ma catégorie de "l'Arcon" qui, selon moi, apporte une précision au concept de "n'importe quoi", tout en rejoignant les intentions de Reiser : les tâcherons et besogneux de "l'art contemporains" sont avant tout des militants du FOUTAGE DE GUEULE.
Je l'ai déjà dit ici (j'ai la flemme de chercher, mais c'est à de multiples reprises, ça finit par être fatigant) : chez les tenants victorieux de l'art contemporain (je veux dire les imposteurs qui ont les faveurs des milliardaires : "n'importe quoi pourvu que ça rapporte"), ce qui compte le plus, ce n'est pas la valeur proprement artistique de l'œuvre produite, ce n'est pas l'effet sur la sensibilité des spectateurs, c'est l'IDÉE qui sous-tend cette œuvre, c'est la théorie qui lui sert de soubassement, c'est le terreau conceptuel qui lui sert de nutriment, c'est la substance intellectuelle qui l'enrobe, et qui finit par l'introduire dans le paysage des gens ordinaires, auxquels ils s'impose (en rhétorique, on appelait ça l'argument d'autorité). Reiser lui-même le dit.
« Depuis ces individus, il ne s'agit plus de se rendre maître d'une technique mise au service de visions personnelles, il s'agit d'avoir des idées vendables. » C'est ce que j'écrivais ici le 19 juillet 2019 à propos de "musique contemporaine".
Ce qu'écrit ci-dessus Reiser pour se marrer (quoique), ce n'est ni plus ni moins que la théorie formulée avec le plus grand sérieux, au début du vingtième siècle, par Marcel Duchamp, devenu le pape, l'ancêtre, l'inspirateur de tout ce qui s'est fait plus tard en matière d'art contemporain. Plus besoin de se donner un mal de chien pour apprendre à maîtriser des outils techniques pour s'efforcer de produire des effets esthétiques capables de toucher la sensibilité des spectateurs. Il suffit d'avoir l'idée que nul n'a eu le toupet d'avoir avant vous.
Ce n'est ni plus ni moins que la sacralisation de l'innovation, qui répand ses ravages partout dans le monde actuel : dans l'économie, dans la technique et jusque dans le fonctionnement des sociétés et les relations entre les gens.
J'en reviens toujours là : le vingtième siècle, en soi inhumain, a fait sortir les activités humaines des plus nobles bornes de la raison humaine.
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mardi, 09 avril 2019
GRAND DÉBAT ...
... OU GRANDE IMPOSTURE ?
Très fort, Macron ! Bravo l'artiste ! Les gilets jaunes, on peut dire qu'il les a eus à l'usure. C'est vrai qu'il y a mis de l'énergie, mais il en est venu à bout. Pour l'énergie, il faut le reconnaître, il en a à revendre. Tenir le crachoir pendant six ou huit heures face à des centaines de maires d'un peu partout en France et répondre aux questions, il faut le faire. Emmanuel Macron a donc amplement payé de sa personne pour ... pour quoi, au fait ? Ben, en fait, on n'en sait rien, finalement. Tout ça pour ça ? Après le bouillonnement des idées, la bouillie indigeste de leur « restitution » par le premier ministre : on peut compter sur lui (et sur le président) pour tordre les idées dans le sens qui l'arrange. Soyons sûrs que la montagne du Grand Débat accouchera de quelques petites crottes très présentables.
Qu'est-ce qu'ils voulaient, au départ, les gilets jaunes ? Finir le mois sans trop de casse, et sans trop de rouge sur le compte en banque. Cela veut dire, pour des politiques un peu responsables : agir sur la situation économique des gens qui ont un travail qui nourrit de plus en plus mal les individus et les familles. Ils ne demandaient pas le pactole, ils ne le demandent toujours pas, d'ailleurs. Vouloir finir le mois avec le feu vert de la banque n'est pas une revendication. Vouloir finir dans le vert n'est pas un sujet de débat, grand ou petit.
Je veux révéler ici le secret du raisonnement d'Emmanuel Macron au moment où la « crise des gilets jaunes » a éclaté : c'est comme si j'étais là, dans sa tête. Notre jeune et fringant président s'est dit :
« POUR LES FAIRE TAIRE, DONNONS-LEUR LA PAROLE ! ».
Je l'ai entendu de mes oreilles mentales, je vous jure ! Sauf que, dans la formule ci-dessus, le pronom "les" ne renvoie pas aux mêmes personnes que le pronom "leur". "Les" (COD : complément d'objet direct), c'est les Français gilets jaunes, "leur" (COS : complément d'objet second), c'est les Français pas gilets jaunes. En français ordinaire : pour étouffer la voix de ceux qui contestent, donnons la parole à ceux qui croient encore à la pureté du régime démocratique à la Macron (sous-entendu : qui ont encore assez de moyens pour y croire, comme le montre la sociologie des participants). En encore plus clair : faisons semblant de donner la parole à toute la nation, ça fera toujours assez de chahut pour que les cris des gilets jaunes se perdent. Reformulé, ça donne :
« POUR FAIRE TAIRE LES GILETS JAUNES, DONNONS LA PAROLE AUX CITOYENS "POSITIFS". »
Qu'est-ce que c'est, en définitive, le "Grand Débat National" ? Une belle entreprise de noyade : vexé d'être remis en question par quelques pouilleux et sans grade (150.000 au plus fort ?), Emmanuel Macron veut à tout prix "sortir du problème par le haut". Il met douze millions d'euros dans l'entreprise pour appeler à la rescousse toutes les bonnes volontés qui ont quelque chose à dire tout en estimant qu'elles ne sont pas écoutées. Résultat : toutes participations étant comptées, on arrive à un total de 1.500.000 personnes qui ont apporté leur contribution à ce Grand Débat National. Enfoncés, les Gilets Jaunes.
Cela ne fait pas lourd par rapport aux 44.000.000 de Français dont le nom figure sur les listes électorales, mais c'est déjà un nombre respectable. C'est vrai, c'est bien vrai, c'est tout à fait vrai, sauf que le Macron a réussi, avec son Grand Débat, à créer un événement que personne n'attendait ni ne demandait. Le Grand Débat correspond assez bien à la définition de l'amour selon le psychanalyste Jacques Lacan : « Aimer, c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas ».
Car le Grand Débat n'a pas concerné les Gilets Jaunes. Parce qu'il n'était pas fait pour satisfaire les Gilets Jaunes, mais pour noyer les Gilets Jaunes. L'entourloupe est magistrale.
Là où il est très fort, c'est que l'initiative du Grand Débat, dont l'auteur de l'idée est inconnu à ce jour, a mis en branle une énorme machine administrative (des institutions et des commissions "ad hoc") dont les médias dans leur ensemble se sont vus contraints de rendre compte de la marche jour après jour. En clair et en français : Macron a fait du grand spectacle. Le Barnum du Grand Débat. La noyade, c'est ça.
C'est dans Popaïne et vieux tableaux, cette bande dessinée remarquable du grand Maurice Tillieux (les plus beaux accidents de voiture de toute la bande dessinée, hormis celui de sa Splendeur Ibn-Mah-Zoud, roi du pétrole daltonien aux 52 épouses, au volant de la turbotraction dessinée par Franquin dans Vacances sans histoires), que le détective Gil Jourdan déclare cette vérité définitive : « Où cache-t-on mieux un livre que parmi d'autres livres ? », en parlant du registre où Stéphane Palankine, le gros trafiquant de drogue, tient une comptabilité précise de ses affaires. Macron tient le même raisonnement : où cache-t-on mieux des idées gênantes que parmi un déluge d'idées (excellentes, bonnes, mauvaises, anodines ou fantaisistes) ? Noyons donc. Et ce déluge-là a duré bien plus de quarante jours et quarante nuits. Mais ça a à peu près marché. Bon, c'est vrai, quelques idées-forces persistent à émerger, mais l'essentiel, ce qui a servi de base au départ, est maintenant oublié.
L'essentiel ? La situation concrète de la masse des gens qui ont un travail et qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Et ça, ça n'a pas changé, et ce n'est pas près de changer. Là, c'est la double page de Gotlib sur le Biaffrogalistan qu'il faut convoquer (ci-dessous première et dernière bande, c'est dans la Rubrique-à-brac tome 4, page 366 de l'intégrale), pour dire l'efficacité des paroles sur la réalité. Le Grand Débat National aura eu surtout des vertus incantatoires.
A noter : la taille du message dans la troisième vignette et dans l'avant-dernière. Le ressassement médiatique fait disparaître le message de la conscience.
La réalité du désastre, quant à elle, est intacte.
Tout ça veut dire une seule et unique chose : Macron, tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire (voir mon papier du 1 octobre 2017).
Macron, c'est la parole verbale. La réalité concrète des gilets jaunes a miraculeusement disparu. Enfin, c'est ce qu'il aimerait bien.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : grand débat national, emmanuel macron, gilets jaunes, france, société, politique, élection présidentielle, président de la république, bande dessinée, maurice tillieux, gil jourdan, popaïne et vieux tableaux, franquin, gotlib, rubrique-à-brac
vendredi, 26 février 2016
LA VIE MODE D'EMPLOI
Le logo de POL a été dessiné par Perec. L'actuel est tiré de La Vie mode d'emploi (p.566).
Il figure « la position que l'on appelle au go le "Ko" ou "Eternité"». Georges Perec était grand amateur du jeu de go.
***
La lecture de la formidable biographie de Georges Perec par David Bellos m’a donné envie de rouvrir La Vie mode d’emploi, que j’avais lu il y a fort longtemps (Hachette-P.O.L., 1978). Je ne regrette pas. Le livre peut impressionner a priori par son gigantisme, avec ses 600 pages (il y a pire), mais aussi du fait de sa conception et de sa construction.
Mais La Vie mode d’emploi, en dehors du colossal défi formel (bi-carré latin orthogonal d'ordre 10 + polygraphie du cavalier), repose sur une énigme : la mort de Percival Bartlebooth a-t-elle été voulue, prévue, anticipée par Gaspard Winckler ? Bizarre, car quand on a retrouvé le corps du milliardaire devant le 439ème puzzle (voir note : quid des 61 restants ?) sur lequel il était penché, Winckler était déjà mort depuis deux ans. D’ailleurs, quelle obscure raison aurait eu l’artisan de se venger du milliardaire au service exclusif duquel il travaillait ? Mystère.
Bref, comment se fait-il qu’au moment de poser la dernière pièce du puzzle, Bartlebooth se soit retrouvé avec dans la main un W, alors que « le trou noir de la seule pièce non encore posée dessine la silhouette presque parfaite d’un X » (p.600) ? Winckler, le virtuose de la petite scie, le génie du découpage des images en 750 morceaux, a-t-il été assez diaboliquement habile pour que son riche client, à un moment donné, s’engage sur une fausse piste dans la reconstitution de l’image ?
Est-il logiquement possible, lesté d’une telle mauvaise intention, d’anticiper l’erreur que commettra le joueur au moment précis où il devrait poser le fatal W, qui lui reste sur les bras ? Et cet autre moment précis (le même ?) où il a posé sans réfléchir ce X tout aussi fatal, sans se rendre compte qu’il se fermait toute possibilité d’achever le puzzle ?
Est-il possible d’imaginer, pour un même puzzle, deux stratégies strictement parallèles, mais dont l’une conduirait au succès, et l’autre, issue d’un cerveau démoniaque, serait capable d’attendre l’ultime moment du jeu pour mettre avec brutalité le joueur en face de son échec ? Winckler fut-il une sorte de Satan, capable de prévoir que le cœur de Bartlebooth cesserait de battre à cet instant ? A-t-il, oui ou non, prévu que le joueur, à l’instant décisif, opterait pour la solution qui le conduisait infailliblement à l’impasse ? On ne le saura jamais.
On a compris, en tout cas, que Bartlebooth et Winckler sont les deux protagonistes de l’histoire. Tous les autres, très nombreux et divers (voir en fin de volume la liste de « quelques-unes [107] des histoires racontées dans cet ouvrage ») quel que soit le nombre de pages qui leur sont consacrées dans le roman, sont des personnages secondaires. Leur fonction est de faire diversion : n'en parlons pas, bien que la couverture porte "Romans", là où l'on attend le singulier, en temps ordinaire. La Vie mode d’emploi est un livre qui dissimule son vrai sujet sous la plus épaisse couche de fictions que j’aie jamais vue. Comme le dit Gil Jourdan : « Où cache-t-on mieux un livre que parmi d’autres livres ? » (Maurice Tillieux, Popaïne et vieux tableaux).
Perec dit : "Où cache-t-on mieux une histoire que parmi d'autres histoires ?". Jamais un romancier n’a engagé son lecteur sur autant de fausses pistes (on pense aux 1001 Nuits, ou à Manuscrit trouvé à Saragosse, bien qu’ici, le mode d’emboîtement des histoires soit différent). Le vrai sujet ? Mais voyons c'est tout simple : la vie et la mort. Qu'est-ce que c'est, la vie qu'on vit ? Qu'est-ce que c'est la mort qui nous attend ?
Jamais le lecteur n’a été bombardé d’autant d’aventures individuelles capables de le détourner de cette ligne directrice du récit. Jamais il n’a eu une telle impression d’éparpillement, vous savez, cette impression qui vous prend quand vous venez d'ouvrir la boîte et que vous vous trouvez face au tas formé par l’amoncellement des pièces du puzzle. Il n'est pas interdit de penser que Georges Perec a conçu La Vie mode d'emploi à la manière dont il voit son Winckler élaborer ses puzzles. Car il y a dans son dispositif narratif quelque chose d'aussi diabolique que dans les découpures de l'artisan. Et le lecteur, face au roman, se trouve un peu dans la même position que Bartlebooth face aux puzzles qu'il a commandés. Comme la souris guettée par le chat. Alors : Perec sadique ?
A cet égard, il faut s’arrêter sur le chapitre LXX : « Chaque puzzle de Winckler était pour Bartlebooth une aventure nouvelle, unique, irremplaçable. Chaque fois, il avait l’impression, après avoir brisé les sceaux qui fermaient la boîte noire de Madame Hourcade et étalé sur le drap de sa table, sous la lumière sans ombre du scialytique, les sept cent cinquante petits morceaux de bois qu’était devenue son aquarelle, que toute l’expérience qu’il accumulait depuis cinq, dix ou quinze ans ne lui servirait à rien, qu’il aurait, comme chaque fois, affaire à des difficultés qu’il ne pouvait même pas soupçonner » (p.413). A chaque fois, donc, tout reprendre à zéro.
Si l'on remonte au chapitre XXVI, on trouve l'exacte formulation du projet de Bartlebooth : « Imaginons un homme dont la fortune n'aurait d'égale que l'indifférence à ce que la fortune permet généralement, et dont le désir serait, beaucoup plus orgueilleusement, de saisir, de décrire, d'épuiser, non la totalité du monde - projet que son seul énoncé suffit à ruiner - mais un fragment constitué de celui-ci : face à l'inextricable incohérence du monde, il s'agira alors d'accomplir jusqu'au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible » (p.156).
Le plan tracé par le milliardaire Bartlebooth pour cadre de son existence est simple : attiré par rien de ce qui pousse ordinairement les hommes (« l’argent, le pouvoir, l’art, les femmes, n’intéressaient pas Bartlebooth. Ni la science, ni même le jeu », p.157), il a décidé de, au sens propre, ne rien faire. Mais pour passer le temps qu’il lui reste à vivre, de consacrer dix ans à (mal) acquérir la technique de l’aquarelle, puis de courir les mers pendant vingt ans, servi par son majordome Smautf, et de peindre 500 ports du monde sur papier Whatman (papier particulièrement grené).
Chaque « marine », une fois envoyée à Winckler, devient un puzzle après avoir été collée sur « une mince plaque de bois » et savamment découpée à la petite scie. Bartlebooth a projeté, une fois revenu à Paris, de consacrer les vingt années suivantes à reconstituer les puzzles. Le comble sera atteint lorsque, par un procédé chimique, les découpures de chaque aquarelle auront été colmatées, le papier reconstitué (« retexturé »), la feuille décollée de son support, puis lorsque l’aquarelle, retournée au lieu où elle fut peinte, aura été purement et simplement effacée et le papier rendu à la blancheur de sa virginité. Comment effacer jusqu'à la moindre des traces de son passage sur terre ? Voilà qui nous rapproche de La Disparition, non (lipogramme en "e") ?
Et voilà comment cinquante ans de vie auront été passés. Quel plan ! Ou plutôt : quel « mode d’emploi » ! Cinquante ans de vie qui se referment sur le vide. Ce n’est pas pour rien que le nom même de Bartlebooth est formé, en partie, de l’incroyable Bartleby, ce personnage d’Herman Melville qui finira par se laisser mourir, indéfectiblement fidèle à sa maxime : « I would prefer not to », "j'aimerais mieux pas", et qui a tant fasciné Georges Perec. L'autre partie étant formée sur le Barnabooth de Valery Larbaud, l'écrivain que Robert Mallet qualifie de « mystificateur passionné de vérité ». L'expression irait tout aussi bien à Perec.
Dire que le livre, après avoir été longuement mûri, a été écrit en dix-huit mois ! Comme s’il coulait de source. Quel tour de force !
Voilà ce que je dis, moi.
Note : je vois quand même un petit problème. De 1925 à 1935, Bartlebooth s'est initié à l'art de l'aquarelle ; de 1935 à 1955, il parcourt le monde et peint 500 "marines" ; de 1955 à 1975, il reconstitue les images "éparpillées par petits bouts façon puzzle" (Bernard Blier dans Les Tontons flingueurs). Alors je pose la question : étant donné qu'une "marine" tombe toutes les quinze jours (pendant 20 ans à raison de 25 - approx - par an) ; étant donné qu'un puzzle est reconstitué en quinze jours (pendant 20 ans à raison de 25 - approx - par an), comment se fait-il que, en ce « vingt-trois juin mille neuf cent soixante-quinze », Bartlebooth, au moment où il meurt, n'en soit arrivé qu'au quatre cent trente-neuvième puzzle, alors qu'il devrait s'être attaqué, en toute logique, au dernier ? Comment expliquer ce retard de Bartlebooth sur son propre programme ? Sauf erreur, David Bellos n'évoque pas la question dans son impeccable biographie.
Si je compte bien, il manque soixante et une fois quinze jours. Trente mois et demi. Cent vingt-deux semaines. Huit cent cinquante-quatre jours. Erreur de calendrier ? Facétie biscornue ? Ou c'est moi qui débloque ? Je n'arrive pas à me l'expliquer rationnellement. Et je me l'explique d'autant moins que l'auteur précise qu'en 1966, ce « fut une des rares fois où il n'eut pas assez de deux semaines pour achever un puzzle » (p.421). Je sais bien que "plus un corps tombe moins vite, moins sa vitesse est plus grande" (Fernand Raynaud), mais quand même ! Quelque chose m'a-t-il échappé ? Quelqu'un a-t-il l'explication ? Georges Perec nous a-t-il joué un tour de cochon ?
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, georges perec, david bellos, georges perec une vie dans les mots, la vie mode d'emploi, bartlebooth, melville bartleby, i would prefer not to, puzzle, bande dessinée, maurice tillieux, gil jourdan, popaïne et vieux tableaux, contes de 1001 nuits, jean potocki, le manuscrit trouvé à saragosse, robert mallet, valery larbaud, poésies de a o barnabooth, bernard blier, les tontons flingueurs
dimanche, 13 décembre 2015
LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS
LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS
ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL
(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)
8/9
De la science et de la dérision dans les arts.
En musique, il ne s’est plus agi d’offrir à l’auditeur une nourriture capable de combler son appétit d’élévation ou de plaisir esthétique, mais de lui assener le résultat aride de cogitations savantes. Il s’est agi de le ramener sur le banc de l’école pour qu’il subisse les coups de la férule magistrale d’un maître supérieurement intelligent, qui le considère en priorité comme un être inachevé, qui reste à former, à éduquer, à dresser selon les nouvelles normes, elles-mêmes constamment changeantes (nécessité pour tout maître qui tient à rester le maître).
L'artiste s'est voulu penseur. Il s'est fait intellectuel. Il se servait de son intelligence pour procurer un plaisir : il faut désormais qu'il montre, d'abord et avant tout, son QI. Le plaisir suivra, mais comme une simple éventualité. L'artiste, aujourd'hui, a déserté le sensoriel : c'est un cérébral, doué pour l'abstraction. Dans l'œuvre musicale ou plastique, s'il reste quelque chose pour les sens de la perception, c'est accessoire, ou alors c'est involontaire, ou alors c'est accidentel. Eventuellement une provocation.
Musique et arts plastiques ont abandonné la perspective de la réception sensorielle des œuvres et sont devenus des produits 100% jus de crâne. De même qu'on a pu parler d' "art abstrait" à propos de peinture, on devrait pouvoir désigner le monde sonore ainsi créé par l'expression "musique abstraite" (quelle que soit la validité du terme "abstrait"). J'aimais beaucoup entendre André Boucourechliev parler de Beethoven, qu'il mettait résolument "über alles", mais sa musique (Les Archipels, Quatuor à cordes, même joué par les Ysaÿe) refuse toujours obstinément de franchir les paupières de mes oreilles.
La meilleure preuve, c’est que, en musique tout comme dans les arts plastiques, la production des œuvres a dû s’accompagner de commentaires filandreux, d’éclaircissements opaques, de conférences à bourrer le crâne, parfois copieux comme des livres, pour expliquer aux ignorants les intentions de l’artiste. L'artiste est devenu, en même temps qu'il élaborait des formes esthétiques, le théoricien de sa propre démarche. Il s'est mis en devoir de construire toute la théorie préalable à son œuvre. Et il ne s'est pas privé d'en assener les coups sur la tête de son futur public, l'obscurité du propos étant sans doute un gage de sa hauteur de vue. Je laisse bien volontiers, quant à moi, comme Libellule dans Popaïne et vieux tableaux (Maurice Tillieux), sans honte, sans regret et sans me laisser intimider, toutes les "hauteurs de vue" me passer loin au-dessus de la comprenette. Je n'ai pas vérifié l'exactitude de la citation.
De l’aveu même de l'artiste, donc, son œuvre ne se suffit plus à elle-même, puisqu’il s’agit, en même temps qu’elle est fabriquée, d’en élaborer l’exégèse complexe et complète. L'artiste devient son propre herméneute : on n'est jamais trop prudent. Il faut que le public, en même temps qu'il accueille l'œuvre, ait en main la seule interprétation / justification juste qu'il convient d'en faire. Alfred Jarry était à la fois infiniment plus modeste et, à juste titre, infiniment plus fier : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots » ; et plus loin : « ... il n'y a qu'à regarder, et c'est écrit dessus ». Conception certes un peu théologique de l'écrivain et de l'acte d'écrire, mais somme toute préférable. Cela n'en fait pas pour autant un écrivain populaire, un écrivain "à succès", capable de pondre les "best sellers" à la chaîne.
Voilà : les arts, au 20ème siècle, sont des arts sans sujet et sans destinataire. Un art de grands savants hautains fait pour de pauvres ignares. Une nouvelle – et étrange – mouture, en quelque sorte, de « L’Art-pour-l’art », liée exclusivement au "bon plaisir" de l'auteur (le "choix du roi"). Peinture et musique sont devenues intransitives. Peinture et musique ont pris acte du fait que ce ne sont plus les hommes qu’il convient de servir, mais les choses. Voilà : peut-être le cœur du réacteur de la question se situe-t-il dans cette direction : il faut servir les choses, non les hommes. Tant pis pour ces derniers : laissons la bride sur le cou aux lois de la nature, elles se chargeront de la besogne d'élimination. C’est l’univers des choses qui commande. Les hommes n'ont plus voix au chapitre.
Les artistes sont devenus de modernes "abstracteurs de quintessence", des expérimentateurs de matière seulement matérielle sans plus aucune perspective humaine, de quelque densité de sens virtuels "a posteriori" qu'ils voudraient la charger. Ils se sont livrés à des expériences cérébrales, après avoir échafaudé des hypothèses, dont les œuvres ainsi produites avaient pour mission de confirmer la validité. Rien de plus efficace pour évincer la notion de goût esthétique, cet archaïsme auquel il faut être au moins réactionnaire pour se référer. Non mais, vous avez dit « subjectivité », « goût esthétique », « émotion musicale » ? A-t-on idée d’ainsi aller fouiller les « Poubelles de l’Histoire », fussent-elles celles de l'art ? Soyons sérieux, c'est-à-dire définitivement « Modernes » ! Du passé faisons table rase.
Comme la nature pour les sciences exactes, peinture et musique (je veux dire les couleurs et les sons) sont devenues des proies pour la connaissance objective : de même que l’astrophysicien cherche de quoi sont faits l’univers, les astres, les comètes, peintre et compositeur partent en explorateurs dans les univers des arts visuels et sonores, explorations dont ils espèrent rapporter quelque pépite, de même que les spationautes d’Apollo XI avec leurs échantillons de la matière lunaire.
Pour qu’il y ait « science exacte », il faut supprimer l’intervention de l’homme. Pour avoir une vision claire du déroulement des mécanismes, il faut exclure l'homme, sous peine d’artefacts qui fausseraient l’expérience. Semblable révocation de l’humanité vivante, au 20ème siècle, dans le laboratoire des « artistes plasticiens » et des compositeurs : on fait des assemblages improbables, des précipités jamais tentés, on fait voisiner des substances incompatibles, juste pour voir ce que ça va donner. Ah, faire de la musique une science exacte, une pure mathématique abstraite, entièrement intelligente, entièrement artificielle, et surtout coupée de ce maudit monde des sens de la perception : le rêve de Pierre Boulez.
Le lecteur se dira que j'exagère d'exagérer, que j’abuse d'abuser, que je généralise de généraliser, que je mets tout le monde dans le même sac. Je l’admets bien volontiers. Je sais bien qu’il ne faut pas les mettre tous dans le même panier, qu’il y a des « Justes », heureusement, comme il y a eu des « Justes » en Europe pendant la terreur nazie. Les Justes dont je parle ici ont eu le mérite, sans pour autant se retirer hors de leur temps, de résister à l’entreprise généralisée de déshumanisation des œuvres humaines. Je ne vais pas faire la liste : pour l'heure, je me la garde. J'imagine que chacun a la sienne.
Qu’est-ce qu’ils ont fait, ces héros, pour figurer dans cette sorte de panthéon que je me suis constitué ? Ou plutôt, de quoi se sont-ils abstenus ? A quoi ont-ils résisté ? Dit autrement : qu’est-ce que je leur reproche, à la fin, à tous les foutriquets de l’art contemporain, de la musique contemporaine ? J’ai tourné et retourné la question dans tous les sens. J’ai fini par arriver à synthétiser tous mes reproches dans un seul vocable : la DÉRISION. La même dérision, quoique dans le symbolique, que ces "marmites" tout à fait concrètes et sanglantes faisaient pleuvoir sur l’humanité blottie dans les piètres abris des tranchées à partir de 1914.
Je n’aime pas les grands mots, pleins de vent, pleins de vide et d’inconsistance. Je n’aime pas les grands mots, parce que, trop souvent, ils servent de nez rouges et de masques à des mensonges peinturlurés en vérités. Je crois cependant, en profondeur, que ce qui a tué l’humanité de l’homme au 20ème siècle s’appelle la dérision. La dérision concrète, la dérision symbolique, la dérision métaphorique, la dérision que vous voulez, mais … la dérision, quoi. Après tout, ce n'est même pas un "grand mot".
Mais c'est peut-être la raison, tout bien considéré, de la distance que j'ai prise avec toute la mayonnaise qui s'est accumulée autour de cette "Pataphysique" qui m'avait si longtemps attiré : il y a en effet une grande dérision à soutenir le principe de « l'identité des contraires ». Je considère que l'identité des contraires est, tout bien considéré, l'idéologie dominante qui chapeaute tout le 20ème siècle. Il faut être singulièrement dans le déni de l'humanisme pour penser que "tout se vaut". J'ai fini par choisir. Or, choisir, c'est éliminer. Moi, je choisis l'humanisme et les Lumières. Il n'y a pas de mythe de rechange pour sauver l'humanité.
Je pense ici à Denis Vasse, un jésuite qui peut se vanter d'avoir marqué, fût-ce très temporairement, mon parcours (lire L'Ombilic et la voix, ce « roman » (c'est faux, bien sûr, mais) extraordinaire, qui raconte la "naissance" d' "Hector", enfant autiste), qui avait intitulé son séminaire de 1978 au Centre Thomas More, au couvent de La Tourette (oui, celui du Corbusier), « VIOLENCE ET DERISION ». Il y parlait de psychanalyse, mais de façon vaste et percutante. Et à voir l'ensemble du siècle, il me semble qu'on peut généraliser. Le 20ème siècle, qu'on se tourne vers l'économie, vers la politique ou vers les arts, est le grand siècle de la DÉRISION à l'encontre de l'homme (je vois finalement beaucoup de dérision dans cette oeuvre de James Joyce devenue intouchable à force de sacralité moderniste : Ulysse).
Pas étonnant que le 20ème siècle soit en même temps, le grand siècle de la VIOLENCE. Et en ce début de nouveau siècle, ça ne semble pas près de s'arranger.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ARCON, MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art contemporain, musique contemporaine, peinture, musique, art abstrait, bande dessinée, maurice tillieux, gil jourdan, popaïne et vieux tableaux, alfred jarry, linteau minutes de sable mémorial, l'art pour l'art, pierre boulez, karlheinz stockhausen, denis vasse, violence et dérision, psychanalyse, l'ombilic et la voix, james joyce, ulysse joyce, andré boucourechliev, quatuor ysaÿe, pataphysique, docteur faustroll, identité des contraires
mardi, 07 mai 2013
UN MICHEL AUDIARD DE LA BD
AH, LE BRAVE PANDORE ! ON LE TROUVE DANS LES CARGOS DU CREPUSCULE.
(A propos de pandores : "Moi je bichais, car je les adore Sous la forme de macchabées", c'est de ?)
C’est bien connu, pour faire une bonne chanson, le plus important, c’est l’adéquation entre, d’une part, ce que raconte le texte et, d’autre part, la musique qui l'enrobe. Dit autrement, il faut que le propos épouse intimement les moyens mis en œuvre pour le transmettre.
UN "BOBBY" COMME ON N'EN FAIT PLUS, FACE A UN VRAI BANDIT
(Admirons le contre-jour bien londonien de Maurice Tillieux.)
Tout le monde le sait : il n’existe pas de recette pour cela. Ça tient plutôt du bricolage alchimique. Inutile de dire que ça ne se rencontre pas tous les jours. C’est l’exception. On peut même dire que ça tient du miracle.
GIL JOURDAN, LIBELLULE ET L'HÔTELIER STUPEFAIT
Par exemple, Georges Brassens était capable d’attendre des années avant d’être pleinement satisfait. Au point qu’Antoine Pol, l’auteur du texte de la belle chanson Les Passantes, lui demanda en vain de la lui faire entendre, et mourut (en 1971) sans la connaître, juste parce qu’elle n’était pas encore tout à fait au point aux yeux du musicien. Brassens en conçut du remords, paraît-il.
Au cinéma, c’est pareil. Prenez Les Tontons flingueurs. On peut se demander pourquoi il y a encore aujourd’hui plein de gens qui connaissent les dialogues par cœur, et qui vous sortent au débotté : « La bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer » ou : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire ». Ça veut juste dire que Les Tontons flingueurs en sont un, de miracle.
Dans la Bande Dessinée, c’est le même tabac. J’ai parlé de Silence, de Didier Comès, un OVNI. La BD, c’est un peu comme le cinéma : ce qui compte, c’est l’ensemble. Une bonne histoire, un beau trait, des dialogues pour faire mousser, et c’est dans la poche.
Et parfois, dans ces réussites de la BD, émerge – comme un pic au-dessus de la mer de nuages – LA réplique. Celle qui fait mouche. Qu’on se le dise, il n’y a pas que Michel Audiard dans la vie, avec son inépuisable : « Les cons, ça ose tout, etc. ».
Je voudrais ici offrir une de ces célébrations (ci-contre) dont l’éditeur Robert Morel s’était fait le héros, le héraut et le champion, une célébration autour de quelques vignettes mémorables qui méritent, pour cette raison, de passer à la postérité, agrandies, encadrées dans du doré mouluré, suspendues au mur du salon en vue de contemplations béates au long des soirées d’hiver, pour la satisfaction de l’âme et l’hygiène de l’esprit.
Je donnerai ici un coup de chapeau à Maurice Tillieux, le virtuose de l’accident de voiture, dont le crayon a engendré Gil Jourdan. Gil Jourdan en soi est totalement inintéressant, c’est le détective privé impavide, le chevalier sans peur et sans reproche, au brushing et au nœud papillon aussi impeccables après qu’avant la bagarre.
Il serait d’une fadeur insondable, si Tillieux n’avait eu l’idée de lui adjoindre Libellule, le cambrioleur (par ailleurs spécialiste du « calembour bon ») qui ouvre un coffre-fort rien qu’en le regardant ou en soufflant dessus, et surtout l’inspecteur Crouton, l’inénarrable policier à la moustache improbable.
FRANCHEMENT, EST-CE QUE ÇA NE VAUT PAS LE MEILLEUR AUDIARD ?
Dans le premier épisode, Libellule s’évade, Crouton a coffré Libellule, mais Jourdan le fait évader pour ouvrir le coffre d’un gros trafiquant. Crouton se lance à sa poursuite, mais au détour d’un chantier, il atterrit dans un fût de goudron, ce qui nécessitera une vingtaine de kilos de beurre pour nettoyer le costume, et lui attirera le mépris de la hiérarchie. Cela pour mettre en appétit.
Crouton sera à plusieurs reprises le porte-parole de l’Esprit en personne. Dans le même épisode, par exemple, il doit s’embarquer pour l’Italie, pour surveiller un trafiquant de drogue, et voici ce que ça donne.
Sur le « Volturno », il a bien du mal à se faire prendre au sérieux (c'est pour être gentil) : lancé dans sa poursuite, après avoir bousculé quelques passagers, il est confronté au « pacha », ce qui permet à Tillieux de livrer quelques pépites.
PERSONNELLEMENT, C'EST LA REPLIQUE DE LA DAME QUE JE PRÉFÈRE
Dans L’Enfer de Xique-Xique, il se propose de cambrioler la « Légation de Massacara », mais il « tombe » mal, comme on le voit.
Mais Tillieux ne confie pas ses pépites au seul Crouton. Les militaires du Massacara ne sont pas oubliés dans la distribution des répliques, que ce soit lors du « procès » qui envoie les héros au bagne ou lorsque le capitaine, coupable d’une remarque désobligeante sur son président (à propos des gaz hilarants), s’y fait lui-même envoyer.
IL FAUT DIRE QUE "LIBELLULE" (ALIAS DE GEORGES PAPIGNOLLES) A ABSORBÉ DU GAZ HILARANT, NORMALEMENT RÉSERVÉ AU PUBLIC ASSISTANT AUX DISCOURS DU PRESIDENT BIEN-AIMÉ
J’ai donné à la présente note la solide escorte de vignettes à retenir, tirées principalement de Libellule s’évade, Popaïne et vieux tableaux, La Voiture immergée et L’Enfer de Xique-Xique. Une mention spéciale, cependant, pour la réplique du gendarme des Cargos du crépuscule, proposée en ouverture.
Faire du Michel Audiard, ça peut être jouissif, mais il ne faut pas oublier que Maurice Tillieux, en plus, fait les dessins. Alors franchement, Monsieur Tillieux, merci pour tout.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, gil jourdan, maurice tillieux, humour, georges brassens, antoine pol, les passantes, chanson, cinéma, les tontons flingueurs, michel audiard, didier comès, robert morel, célébration, inspecteur crouton, libellule s'évade, popaïne et vieux tableaux, la voiture immergée, l'enfer de xique-xique, les cargos du crépuscule