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vendredi, 19 janvier 2018

"FAKE NEWS", "CANARDS" ET AUTRES INSECTES NUISIBLES

On n'entend plus parler dans les médias que de "fake news". Plus personne n'ignore le sens de l'expression, popularisée depuis peu par (et autour de) l'extravagant et dangereux Docteur Clown qui gouverne les Etats-Unis et effraie le monde. Même le président de la République française s'y est mis : il veut faire une loi pour interdire et rendre impossible la propagation des "fake news". Est-ce bien sérieux, monsieur Macron ?

Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas la notion de "fausse nouvelle" : l'erreur ou le mensonge ne colonise que les esprits qui y sont préparés. Les fausses nouvelles, franchement, je m'en fous : c'est vieux comme le monde. Comme disaient les Grecs : quand l'élève est prêt, le maître peut venir. Si le maître (en l'occurrence "fesse-de-bouc", "touiteur", "hache-tag", etc.) est un escroc et l'élève un gobe-mouches, à qui la faute ? On ne peut pas empêcher les gens de croire. Je plaisante à peine. C'est dire la progression du mal. Mon propos n'est pas là, il concerne l'expression anglaise proprement dite.

Car j'avoue mon ébahissement : que reste-t-il de l'âme française ? Comment expliquer l'extrême mollesse, et même l'inconsistance de la résistance qu'elle présente face à l'irruption de l'occupant ? Je sais, on va me dire que je me fâche à retardement et que le problème ne date pas d'hier. Oui, il y avait moins de 1% de Résistants en 40-43 (mais 98% en 44). Oui, le Parlez-vous franglais ? de René Etiemble date de 1964 : un demi-siècle ! La France ? Combien de Résistants ? Combien de gobe-mouches ?

Je réponds que l'Académie française, nouvelle bâtisseuse de "Murs de l'Atlantique" pour protéger notre langue, s'est jetée à de nombreuses reprises dans la bataille de la défense côtière du vocabulaire français : en vain, le débarquement s'est poursuivi, par barges entières. A cause des "mauvais patriotes", accusaient les gardiens du temple. Apparemment, le nombre de "mauvais patriotes" n'a cessé de croître, au rythme de l'américanisation des esprits, profitant de ce que l'ennemi était déjà infiltré, implanté, disséminé.

Eddy Mitchell, promoteur de La Dernière séance, mémorable émission TV, ne jurait déjà que par westerns, S.F. et polars classiques américains : les ravages du "soft power" ! Sur 67 millions de Français au dernier recensement, combien y a-t-il d'Américains ? Jean-Marie Colombani le révélait le 13 septembre 2001 : « Nous sommes tous Américains ».

L'Amérique nous a libérés pour mieux prendre la place de l'occupant : pousse-toi d'là que j'm'y mette. Pacifique, souriant et plein de chewing-gum, d'images, de chocolat et de rock'n roll. Et chrétien par-dessus tout ça. Mais attention : protestant et puritain. Protestantisme, comme dit Philippe Muray : la foi catholique devenue folle (c'est dans Ultima necat I ou II). Et il y a encore des volontaires en France pour devenir de bons Américains. La preuve avec Macron. Tout ça ne me semble pas très catholique.

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L'envahisseur a donc continué à envahir et, en dehors de quelques réussites dans la transposition dans notre langue des produits d'importation ("ordinateur" fait figure de trophée de victoire, îlot perdu au milieu d'un océan), après les anglicismes, c'est l'armée des américanismes qui a foulé de ses bottes le beau territoire de notre langue. Qui peut, et surtout qui veut l'arrêter ? Qui arrêtera les "fake news" ? J'en conclus que le mouvement est irréversible, tout comme, en d'autres temps, les Romains ont toléré, sur le territoire fraîchement conquis des Gaules, la survivance de mots et expressions idiomatiques propres aux peuplades arriérées qui y vivaient et aux langues qu'on y parlait (celtiques ou autres).

Dans un avenir que j'espère cependant lointain, le français connaîtra le même sort que le latin dans la France moderne et un jour, dans une France encore plus moderne, d'éventuels élèves d'éventuelles écoles du futur ouvriront des Gaffiot d'un nouveau genre pour étudier cette langue morte. Des professeurs de « langue et littérature ancienne » soutiendront doctement et avec véhémence qu'il n'est pas totalement inutile de connaître le français, même s'il n'est pas indispensable de le parler, en même temps que la littérature à laquelle il a donné naissance, face à des adversaires adeptes d'une modernité du futur qui, affirmant qu'il faut s'adapter, n'y verront que les vestiges vermoulus d'un passé dont on n'aura plus rien à faire.

"Fake news", donc, entend-on partout dans cette France moderne, où les esprits sont imprégnés d'Amérique, vassaux volontaires et dociles, autochtones déracinés dans leur propre maison. Comment voudrait-on que la silhouette et le portrait de la "personnalité française" n'aient pas été, sinon emportés par le flot, du moins amoindris et rognés aux entournures ? Il se trouve pourtant que ce qui survit de la langue française recèle depuis bientôt deux siècles un vocable très précis pour désigner toutes les fausses nouvelles qui paraissaient dans les journaux les moins sérieux. On (Nerval lui-même) appelait ces fausses nouvelles des "canards". Même qu'en 1915, des gens courageux, qui en avaient marre du bombardement d'informations bidon, eurent l'idée de se servir du mot pour fonder un nouveau journal, dont la raison d'être serait de contrer l'entreprise de propagande. 

On n'appelait pas encore ça "fake news", du moins en France. Ils ont donc passé les menottes aux poignets de la propagande : ce fut le Canard enchaîné. Je ne suis pas sûr qu'ils pensaient alors en finir une fois pour toutes avec les mensonges de presse : à leur échelle, ils élevaient une digue. Je ne suis pas sûr non plus que l'érection du nom commun dépréciatif en nom propre flamboyant n'ait pas signé l'arrêt de mort des "canards" comme "fausses nouvelles". Peut-être aurait-il fallu appeler carrément le journal "Le Mensonge interdit", qui est le vrai sens d'un "canard" dûment "enchaîné" ? Ou alors "La Vérité" ? Bon, on sait ce que les Soviétiques ont fait de ce titre : l'organe officiel ne fut-il pas, orgueilleux et trompeur, La Pravda (= la vérité, mais à prendre dans le sens novlinguistique) ?

L'enchaînement hebdomadaire de tous les "canards" en circulation prit son grand départ en 1916. Et comme on sait, le volatile cancane toujours au milieu du marigot informatif ses coin-coin qui traquent les harcèlements, agressions, viols incessants que subit la vérité dans les mondes économique, politique, journalistique et autres. Cela fait donc un peu plus d'un siècle que les huit pages imperturbables et satiriques paraissent tous les mercredis, alimentées par un réseau anonyme de collaborateurs bénévoles et bien placés, pour désintoxiquer les lecteurs de la presse des fumées ingurgitées. Comme disait en son temps un certain Robert Lamoureux, humoriste : « Et le vendredi suivant, le canard était toujours vivant ».

Et huit pages sans publicité, évidemment, tant il est vrai que laisser des annonceurs mettre leurs pieds au milieu des informations est en soi une garantie de bidonner l'information et de donner libre cours à tous les "canards" et, entre autres, à ce qu'on appelle aujourd'hui les "théories complotistes" ou "conspirationnistes". Bon, je n'idéalise pas la bête à plumes, dont je ne connais pas l'histoire secrète, si elle en a une. Je n'ai jamais croisé la route d'indiscrétions dévoilant des coulisses louches, excepté, peut-être, une brève incursion, il y a très longtemps, dont je n'ai gardé que l'inoffensif « Lapéla ? - Lapépala » du jargon maison (Jacques Laplaine, qui signait Lap, a dessiné pendant quarante ans pour Le Canard). Simple reportage. Cela ne mène pas loin.

Si j'avais une réserve à faire à propos du Canard enchaîné, ce serait à cause de l'effet à long terme produit sur le lecteur par la page 2, consacrée à la vie politique française, où s'étalent à loisir les petits et gros mensonges des uns, les calculs et manœuvres des autres, les trahisons, revirements, retournements de veste, palinodies, compromissions, dissimulations de tout le monde, et parfois des gens qui se présentent comme les plus intègres (voir l'affaire "Pénélope"). L'image qu'on se fait de ce que Raymond Barre appelait le "marigot" ressort forcément piteuse et peu ragoûtante de cette régulière accumulation de petitesses. Et ça ne plaide pas trop en faveur du droit des urnes à recevoir nos suffrages.

Plus généralement, l'exposé répété des turpitudes de toutes sortes d'individus ou d'entreprises a des effets délétères sur l'intérêt porté par le lecteur assidu au monde comme il boite. Pourtant, si Le Canard enchaîné n'existait pas, il est probable que ces individus et entreprises cesseraient aussitôt de redouter d'être contredits ou dévoilés, et se sentiraient alors de véritables ailes pour abreuver à leur gré de leurs boniments des médias dont ils sont, presque sans exception, les propriétaires (de toute façon, ils ne se gênent déjà pas trop pour enfumer).

Le ciel de la presse écrite ne tarderait pas à se peupler de ces canards complètement déchaînés. Et que plus personne ne serait en mesure de démentir. Ce serait une espèce inédite (et redoutable) de "libération de la parole". Il faut en effet, semaine après semaine, recouper les recoupements d'informations pour espérer "enchaîner" les "canards" (voir ici ou là les rubriques "intox / désintox", Libé, l' "Arrêt sur image" de Schneidermann, ...). Pour bien faire, tout journal sérieux devrait affirmer haut et fort que son premier souci déontologique est d'enchaîner les canards. Tout journal sérieux devrait pouvoir s'appeler Le Canard enchaîné ou Le Mensonge interdit. Décidément, Le Canard enchaîné est indispensable.

Alors pourquoi ne pas préférer "canard" à "fake news" ? Pourquoi les journalistes ont-ils adopté avec une telle unanimité le vocable transatlantique ? J'en ai une petite idée. Je me dis que, dans l'océan d'une presse en détresse, qui crie misère et appelle à son secours, tour à tour, les finances publiques et les grandes entreprises, les unes pour qu'elles la renflouent, les autres pour qu'elles lui achètent le plus d'espaces possible, Le Canard enchaîné est un îlot rarissime, si ce n'est unique (Charlie, ... qui d'autre ?). 

On nous jure, au Monde, à Libération et ailleurs, que la Société des journalistes est rigoureusement indépendante de la direction générale et de la direction commerciale, et que les contenus échappent donc totalement aux influences politiques et marchandes. Ouais ... Admettons, malgré le doute qui subsiste devant les dignités drapées et les déontologies outrées de ce reliquat de scepticisme malvenu. J'imagine qu'il y a des choses qui se négocient en douce. Mais même s'il en est ainsi, je me demande si les "chers confrères" qui travaillent ailleurs qu'à l'hebdomadaire satirique n'auraient pas, après tout, la bouche écorchée en prononçant le mot "canard", à cause du contraste.

Bon, c'est vrai que "canard" est un nom commun. Il signifie "fausse nouvelle". Mais qui le connaît comme tel ? Il est sorti de l'usage depuis trop longtemps : tout le monde associe "canard" et Canard. Le nom commun et le Nom Propre. Qu'un journaliste dénonce un "canard" paru chez un confrère, ne va-t-il pas se trouver accusé de s'attaquer à la liberté d'une presse satirique qui paraît le mercredi, ou pire : de lui faire de la publicité ? Le nom propre a fait sortir de l'usage le nom commun, voilà tout. Le coup inverse de ce qui s'est passé pour "sosie" et "amphitryon".

Le Canard enchaîné a confisqué le mot "canard", un peu comme (qu'on me pardonne le rapprochement) la promotion de la cause homosexuelle a interdit à presque tous les hommes de dire qu'il leur arrive d'être "gais" (tiens, au fait, encore un cadeau : merci, l'Amérique !).

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 30 mars 2015

IL N’Y A PAS DE "SCIENCE ÉCONOMIQUE"

2/2

Je parlais de l'infirmité des pompeusement nommées « Sciences Humaines », qui ne portent le nom de sciences que par abus de langage. L'expression porte probablement le stigmate de son origine : le scientisme, cette croyance absolue dans le pouvoir de la science de résoudre tous les problèmes de l'humanité, imprégna jusqu'au coeur la moindre fibre de la seconde moitié du 19ème siècle.

Flaubert l'a personnifié sous les traits du pharmacien Homais, dont il a fait le masque de la bêtise satisfaite, la bêtise de « celui qui sait ». Parlant de je ne sais plus qui, Clémenceau disait joliment : « Il sait tout, mais rien d'autre ». Flaubert a tout compris : Bouvard et Pécuchet, me semble-t-il, ayant fait le tour du savoir encyclopédique, reviennent humblement pour finir à la tâche que s'assignaient les moines copistes du moyen âge.  

Les « sciences molles » (le Collège de 'Pataphysique les appelle plus justement les « Sciences Inexactes », par opposition aux « Sciences Exactes », dites dures qui, elles, s'efforcent à l'exactitude) se sont empressées de se ranger sous cette bannière, qui leur conférait une dignité dont elles n'auraient jamais osé rêver sur leurs seuls mérites. 

Sans pouvoir toutefois effacer le stigmate que constitue l'adjectif qualificatif "humaines" : quand on est obligé d'ajouter l'adjectif, c'est que son absence porterait à confusion. Quand on entre dans une « Faculté des Sciences », aucun doute sur les disciplines qu'on y enseigne, d'où l'absence d'adjectif. 

Mais tout le monde a laissé faire, par pitié envers les « Sciences Humaines », ces cousines disgraciées, qu'on invite de temps en temps, le dimanche, parce qu'il faut bien se montrer un peu magnanime avec le pauvre monde. Ainsi l'habitude a été prise, et j'imagine que le 20ème siècle n'a jamais voulu, osé ou pu rétablir la vérité. Monsieur Homais est entré au Collège de France et à l'Académie Française. Il fait autorité. Alors même qu'il faudrait peut-être renommer les « Sciences Humaines » les Sciences Fausses.

Car le vice rédhibitoire dont souffrent les « Sciences Humaines », c’est précisément l’Homme, avec ses désirs, ses calculs, son hypocrisie et sa sincérité, ses manœuvres, ses intérêts particuliers, ses audaces et ses peurs, ses haines et ses amours, ses constructions comme ses destructions, bref, sa LIBERTÉ. C'est-à-dire ce dont sont démunies les forces aveugles et déterminées de la nature. 

Non, l’économie n’est définitivement pas une science. Je n’énonce pas une énormité obscène : écoutez pour vous en convaincre l’émission de Dominique Rousset, le samedi sur France Culture. Quel que soit le thème choisi (dans l’actualité), vous les entendez, au bout d’un temps plus ou moins long, se chamailler. Deux économistes ne seront jamais entièrement d'accord.

Je rêve de les voir un jour en venir aux mains et, pourquoi pas, s'entretuer, pour qu'on s'amuse un peu. Vous imaginez, un combat à la loyale, à l'épée, « sur le pré », entre John Maynard Keynes et Milton Friedman ? Mais ils ne sont pas assez fous pour cela : ils se disent qu'un tel spectacle tuerait la poule aux œufs d'or, le « métier ». Il faut rester "digne", et pour cela, courtois et bien élevé. Propre.

Leurs désaccords n'en sont pas moins irréductibles. Ceci pour une raison très simple : l'étiquette "économiste" dissimule en règle très générale une tout autre personne que celle qui se donne pour spécialiste de ceci, expert en cela, capable d'assener (si, si, sans accent, c'est légal !) à toute la population du public terrorisé les certitudes absolues qu'il a acquises dans le domaine dont il se déclare le maître.

Cette personne est celle du militant politique. Les théories sur lesquelles ces gens s'appuient sont l'exact reflet du système politique dans lequel ils rêvent de les appliquer. En gros, sur le ring où ils s'affrontent, ça donne John Maynard Keynes contre Milton Friedman. Traduction : l'intérêt général contre les intérêts privés. Marx contre le Capital, si vous préférez.

Un économiste neutre est aussi crédible que ma sœur en monstre du Loch Ness. Il n'y a pas d'économie a-politique, mais des modèles d'organisation sociale qui s'affrontent : où faut-il placer le point d'équilibre entre les intérêts particuliers et l'intérêt supérieur du corps social dans son entier ? A qui et à quoi donner la priorité ? L'entrepreneur ou la collectivité ? L'efficacité économique ou la justice sociale ? Quand commence l'accaparement de la richesse ? Comment une société décide-t-elle de la façon dont elle veut vivre ?

Soit dit en passant, la logique à l'oeuvre dans le système actuel, et qui tend à imposer sa volonté aux Etats, elle est limpide : mettez en face le chiffre toujours plus impressionnant des pauvres qui ont besoin des Restos du cœur ou des Banques alimentaires pour survivre et le chiffre toujours plus astronomique des fortunes amassées par le centile des plus riches de la planète. Cela vous donne une idée de la montée irrésistible de l'Injustice. Or on sait que l'injustice produit immanquablement, à plus ou moins long terme, la violence. 

Pas d'économiste objectif, donc : une théorie économique ne peut faire autrement que d'être au service de l'idée qu'on se fait de la société. Vous pouvez aisément vérifier. S’ils sont, en gros, d’accord sur le constat (il suffit de lire les journaux, les statistiques du chômage, les fermetures d’usines, …), dès qu’on aborde l’analyse des causes ou les propositions de solutions, rien ne va plus. Il m’est arrivé d’entendre des disputes homériques entre les quatre « scientifiques » invités par Dominique Rousset. J’ai fini par les abandonner à leur triste sort. Pas d'économie sans choix de société. D'où leurs disputes interminables.

Imagine-t-on se disputer ainsi deux physiciens évoquant l’existence du « boson de Higgs », dont le LHC du CERN a apporté la preuve (deux vrais spécialistes du climat évoquant le « réchauffement climatique » feront très bien l’affaire) ? Et tout le monde est d'accord pour traiter d'hurluberlu indépassable ce « scientifique » arabe (ou musulman, je ne sais plus, peut-être les deux) qui vient de décréter que la Terre est plate. Résumons : il y a des acquis irréfutables de la Science. Il n'y a pas de preuve définitive en économie.

Si l'économie était une science, un consensus finirait par s’établir entre « experts », exactement de la même manière que s’est établi le consensus des milliers de scientifiques du GIEC sur le climat, après la recension faite de l'intégralité de la littérature scientifique consacrée au sujet. Je compte pour rien les vociférations du gouverneur de Floride, Rick Scott, qui interdit aux fonctionnaires de son administration de prononcer l’expression « réchauffement climatique » (Le Monde, 24 mars), et autres élucubrations des « climatosceptiques ». 

A ce propos, on peut cliquer sur le lien avec l'article : je conseille vivement la vidéo - 2'07" - désopilante : il faut voir quelques sénateurs américains se payer une bonne tranche de rigolade aux dépens du gars interrogé, tout propre sur lui et souriant, tournant autour de la formule taboue, mais complètement emberlificoté dans le ridicule à cause de la consigne reçue de ne pas la prononcer. 

Malheureusement, si l'économie n'est pas une science, trop de gens riches et puissants ont intérêt à ce que tout le monde le croie quand même, malgré tous les démentis que leur inflige la réalité. Avec l'appui de quelles complicités les « Usurpateurs » (titre du dernier livre de Susan George sur le même sujet, voir ici même, 17 mars) ont-ils réussi à imposer dans les esprits l'expression "Prix Nobel d'économie", au mépris pur et simple des volontés testamentaires d'Alfred Nobel ? Le testament instaure cinq prix (Physique, Chimie, Médecine, Paix, Littérature), pas un de plus. C'est ce que Bernard Maris dénonce en p. 15 de Houellebecq économiste, livre polémique, c'est certain, mais tout à fait salutaire et nécessaire. 

Voire indispensable. Et peut-être même utile. « Économiste sérieux » est un oxymore. La seule spécialité de l'économiste : l'enfumage. 

Voilà ce que je dis, moi.  

samedi, 21 avril 2012

LA CHASSE ET LA LITTERATURE

PIERRE MOINOT est un très bon écrivain. J’ai beaucoup apprécié deux romans de lui, deux romans de chasse, La Chasse royale, dont je vais parler ici, et Le Guetteur d’ombre, beaucoup plus crépusculaire et symbolique, aussi majestueux que le cerf que le héros poursuit est pour lui une sorte de Moby Dick, d’idéal métaphysique inaccessible, sauf qu’à la fin, il accepte la défaite. Il est même obligé d’accepter que l’animal soit tué, très injustement, par la jeune femme totalement néophyte, innocente et ignorante.

 

 

 

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CELA NE L'EMPÊCHE PAS D'ECRIRE TRES BIEN

 

 

Je dédie ce billet à tous ceux qui ne comprendront jamais rien à la beauté de la chasse. Je ne parle pas du « tir aux pipes », en quoi consiste aujourd’hui, en général, une « ouverture » de la chasse. Je parle de la vraie, évidemment. Celle qu’on appelle la (ou le, je ne sais plus) « pirsch ». Qui consiste d’abord à connaître la bête, son lieu de vie, ses habitudes, ses voies. Et ça, ça s’apprend. C’est une sacrée école. D’accord, ce genre de chasse est plutôt l’exception que la règle. Pour une raisons simple : il faut avoir les moyens.

 

 

Sur un sentier des Vosges, en montagne, la jeune Hélène Servance suit, en se cachant, Henri Guifred et Philippe Lussac, armés de fusils, qui rejoignent le garde-chasse Charles Metzer, qui les emmène plus loin dans la montagne en se tenant sans cesse sur ses gardes, jusqu’à la Bestmiss, où ils découvrent tout un dispositif de braconniers.

 

 

Plus tard, au Schweissel, Philippe prend l’affût, voit une chevrette qu’il ne tire pas, puis une jeune fille, qu’il observe intensément. Il redescend bredouille, rencontre Studer, qui se méfie. Au retour chez Metzer, c’est le repas en compagnie de la vieille et charmante Germaine. Ensuite Metzer raconte aux deux jeunes gens tout ce qu’il sait des braconniers qui déciment le gibier de la région.

 

 

Après des recherches vaines, Metzer organise une traque où le petit Zeppi rabat le gibier et où Philippe montre un « joli coup de fusil », redécouvrant la joie d’être là, voyeur et chasseur. Deuxième traque, infructueuse. Henri et Philippe voient la jeune fille au moment où elle bat sa chienne, puis la suivent jusque chez elle. Henri raconte l’histoire de la famille Servance, où il n’y a plus que des femmes, Céline, Marthe et Hélène, sa fille.

 

 

Arrivés à Haudrenne (Oderen ?), ils déposent le chevreuil qu’ils ont tué devant la porte des Servance, comme le stipule le bail de chasse. Au retour, Philippe manque de se faire pendre à un collet de braconnier. Marthe Servance est aliénée au souvenir de son mari René, dont elle refuse la mort. Apparaît Céline, la vraie maîtresse de maison. A la découverte du chevreuil, elle annonce un repas de chasse, comme autrefois. Hélène réagit et, avec sa tante Céline, évoque le passé : à son contraire, elle aime le changement.

 

 

Zeppi aiguille les recherches de Metzer sur Ludovic Rambert. Le garde monte à Wolfrain, coupe de bûcheronnage, et apprend de Ludovic que c’est Grieb qui lui a fourni un sanglier pour un repas de chasse. Metzer, Studer et Zeppi descendent chez Grieb. Un faux client sort de son restaurant « L’homme vert », et Studer lui emboîte le pas. Metzer entre chez Grieb, et arrive à lui faire signer une reconnaissance de dette, aux termes de laquelle il promet de ne plus vendre de gibier braconné. Metzer retrouve ensuite le malicieux Zeppi.

 

 

Le repas de chasse à Haudrenne. Céline, auparavant, se souvient, à l’arrivée des chasseurs, devine comment il faut leur parler. Le repas se déroule agréablement. Les caractères se dessinent. Philippe regarde Marthe, dont il comprend les malheurs. Céline se comporte en vraie maîtresse de maison. La soirée est douce. Hélène et Philippe ont un long dialogue empreint de la plus grande sincérité. Puis Metzer sonne joyeusement dans sa trompe les grandes sonneries traditionnelles. Henri et Philippe rentrent chez eux.

 

 

         On cherche vainement les braconniers. Lors d’un nouvel affût, Philippe, de nouveau, ne tire pas. C’était le « grand brocard ». Il pense à Hélène. Henri lui lit un passage d’un livre de chasse, dans lequel il se retrouve. Nouvel affût : Philippe tente de résister à son amour pour Hélène. Puis on entend les appels de la trompe de Metzer.

 

 

         Cette fois, c’est sérieux : Zeppi les a repérés. Il descend prévenir Henri et Philippe, après être allé chercher le fusil de Metzer, malgré l’opposition d’Hélène, qui était au courant des braconnages. Les hommes, accompagnés du chien de Metzer, César, tendent l’embuscade à la Bestmiss. Dans l’obscurité compacte, on entend brusquement Metzer crier à son chien : « Au braco ! Tue ! Tue ! ».

 

 

Suit un moment d’anthologie, passage haletant, superbement écrit. C’est la bataille : les braconniers sont mis en déroute, mais Philippe est blessé, de même que César, auquel le braconnier sur lequel il sautait a ouvert le ventre au couteau : les intestins sortent. Après le retour au Herrenberg, c’est la séance de soins. Hélène est là.

 

 

Metzer s’occupe de son chien, dont il lave soigneusement les intestins, avant de laisser couler dans la blessure du beurre qu’il a fondu en le malaxant, puis de recoudre le tout. Quand Metzer ôte à Philippe les plombs reçus, Hélène le laisse lui mordre la main. Henri et Philippe raccompagnent Hélène à Haudrenne. Elle avoue son amour à Philippe, qui hésite encore. Une fois rentrée, elle raconte tout ce qu’elle a sur le cœur à Céline, qui se sent bien seule.

 

 

         Tout le monde se repose. Henri et Philippe montent à la « fontaine aux coqs », puis déjeunent à Wolfrain. Henri trouve que Philippe a « quelque chose de brisé ». Celui-ci pense qu’avec Hélène, c’est fini. Mais Céline monte avec effort, et vient pour le convaincre d’accepter cet amour. En montant elle a réfléchi au moyen de le persuader.

 

 

         Pendant la chasse au grand brocard, Philippe ne peut « s’échapper » d’Hélène. Puis c’est la traque d’un « grand vieux sanglier », dont Studer a repéré les « routes ». Il indique à Metzer, Henri et Philippe, le poste qu’ils devront occuper. Les « traqueurs » Studer et Zeppi chasse le sanglier devant eux, Philippe le blesse, et c’est Henri qui l’achève. Ils apportent ‘animal pendu à une perche, que les quatre portent alternativement.

 

 

Philippe, après avoir préparé dans les moindres détails leur départ pour le lendemain, vient dire à Hélène qu’il la prend. En quittant Haudrenne, il monte dans la pente pour se calmer, arrive jusqu’à la clairière où le grand bocard « dansait dans le dernier soleil autour de sa femelle ». Il le « cloue » d’une balle à la base du cou, le vide et le bourre de fougère, le prenant sur son dos. En bas, Henri lui jette : « Ah ! Je te pardonne tout, mon vieux Philippe, mon chasseur ! ».

 

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CE N'EST PAS UN BROCARD, MAIS QU'EST-CE QUE C'EST BEAU !

 

 

Metzer sonne alors toutes ses fanfares, pendant que César se traîne jusqu’au chevreuil et lèche son pelage. Metzer a appris que les braconniers le cherchent pour lui faire un mauvais sort, alors il décide de passer à l’action : cela se passera chez Grieb. Ils seront assez de trois, et n’ont  donc pas besoin de Philippe, à qui ils cacheront cette dernière expédition, avant son départ définitif avec Hélène. Il laisse à Henri sa carabine et son fusil. Et pendant que tous deux s’éloignent, ils entendent retentir le calibre douze de Metzer.

 

 

Puissant éloge de la belle, de la grande chasse. Bon, c'est vrai, l'histoire d'amour, on y croit ou on n'y croit pas. Il faut bien reconnaître que c'est un prétexte. L'essentiel se passe dans les pentes de la fôrêt vosgienne. Je me demande même si la forêt vosgienne n'est pas le sujet principal du livre. Non, j'exagère.

 

 

 

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Voilà ce que je dis, moi.