mardi, 02 avril 2013
DE L'EXPANSION DE L'UNIVERS (ARTISTIQUE)
LE REVOLVER "1892", CALIBRE 8 mm
(après le Mauser C96, le Luger P08, et même le Webley 455 britannique, sans parler du Colt 1911, les performances balistiques de la munition furent considérées, avec raison, comme des plus médiocres, même si l'arme reste classée en 1ère catégorie)
***
On a vu que l’artiste actuel essaie de se faire passer pour un scientifique, dont il imite l’activité de recherche, sans pouvoir prétendre au même degré de scientificité que lui. Il ne parle plus de ses « œuvres », ni même de ses « ouvrages », mais du terme très neutre de « travail ». Il la joue modeste. Il a compris que c'est son intérêt, même si cette modestie cache un immense orgueil.
Il va de soi qu’une telle évolution ouvre la voie à une foule de gamins qui auraient reculé devant l’effort et l’abnégation que suppose le métier. Et comme il faut donner du boulot à toute la surpopulation, il n’y a pas trente-six moyens.
Tiens, prenez la grande question : « Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? ». Ajoutez-y : « Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’est pas de l’art ? ». Question subsidiaire : « Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qui n’est pas un artiste ? ». Là, on est au cœur du sujet. La réponse à cette rafale de questions simples est d’une simplicité raphaélique du fait de la pléthore d'artistes potentiels :
TOUT EST BEAU
TOUT EST DE L’ART
TOUT LE MONDE EST ARTISTE
TOUT LE MONDE IL EST BEAU IL EST GENTIL.
Ça ouvre plein de possibilités, même aux élèves les plus nuls. C'est ça, la démocratisation. Ou plutôt l'extrémisme démocratique. Et cela repose sur ce principe à marteler fortement : « On a tous le droit ! ».
En musique, c’est tellement évident qu’il n’y a pas trop lieu d’insister. Depuis les recherches du petit Pierre Schaeffer, la question est résolue sans ambiguïté : tous les bruits produits dans la nature et hors de la nature sont désormais de la musique. A égalité. Ah mais !
Seuls quelques vieux ronchons s'attachent encore aux beaux instruments de bois ou de cuivre. Seuls quelques orfèvres de la lutherie façonnent amoureusement de tels objets, qui ne doivent de ne pas avoir été guillotinés qu'au fait qu'ils sont dépourvus d'un cou formant transition entre un tronc et une tête.
Les ci-devant « instruments de musique » (notez la particule nobiliaire), c'est donc bien clair, ne produisent que des bruits parmi des myriades d’autres : le monopole qu’ils ont exercé depuis l’aube de l’humanité est un scandale auquel il a heureusement été mis fin, après des millénaires de dictature élitiste et arrogante.
Et le public ne s’est progressivement accoutumé (et encore !) à la « musique contemporaine » que parce qu’on lui a fait ingurgiter de force, au gavoir à canards, pendant trente ans, une foule de concerts sandwiches, où les organisateurs, dépensant des trésors d’ingéniosité dans la programmation, introduisaient une tranche de jambon contemporain entre deux tranches de pain classiques, plus ou moins beurrées pour aider à avaler.
Notez que la stratégie s'est révélée d'une grande habileté. D'abord on y va mollo : quelques espagnolades, un peu de flamenco et de gamelan balinais. Il faut à ce stade s'appeler Varèse pour marier de vieux sons dans des partouzes tout à fait neuves, bien faites pour émoustiller les sens de quelques vieux blasés avides d'érections nouvelles, et pour horrifier dans le même temps l'âme intègre de tous les autres, restés des auditeurs candides.
Ensuite le système des douze sons égaux. Ensuite on pousse les vieux instruments dans leurs derniers retranchements, jusqu'à ce qu'ils rendent l'âme (du violon), en leur tapant dessus, en les engueulant comme du poisson pourri, en leur faisant dire des horreurs dont ils ont honte (je me rappelle un concert dirigé par Ivo Malec en personne, quelle triste expérience pour un jeune musicien plein d'espoir !). Quel triste spectacle que de voir un violoncelliste fouetter son instrument de son archet, pendant que ses voisins de quatuor passent un doigt mouillé sur le bord d'un verre a pied en cristal à moitié rempli) !
Ensuite viennent tous les instruments du monde, appelés à la rescousse. Ensuite viennent les moyens offerts par l'électricité, l'électronique et l'informatique : rendez-vous compte, tous ces sons potentiels, on ne pouvait pas les laisser au chômage, il fallait leur trouver un emploi. Pour couronner le tout débarquent en trombe tous les bruits du monde (Pierre Schaeffer et suiveurs), j'en ai déjà parlé.
Moralité : la musique occidentale explore à tout-va et dans l'enthousiasme des contrées sonores inconnues, pose le pied sur des planètes improbables, découvre des continents sur lesquels se jettent des armées d'oreilles saturées de sons du passé. En musique, comme en bien d'autres matières, l'Occident est un collectionneur monomaniaque effréné, un dangereux psychopathe atteint de kleptomanie compulsive aiguë, à l'instar d'un certain Aristide Filoselle (Le Secret de la Licorne, p. 59).
En littérature, si c’est moins évident, c’est juste parce que – du moins en France – les tendances expérimentales n’attirent que des groupuscules faméliques de militants de la nouveauté, portant des visages émaciés, graves et fiévreux : eux seuls ont assez de foi fervente et fidèle pour crier au génie quand Pierre Guyotat publie Eden Eden Eden ou Tombeau pour cinq cent mille soldats.
C’est sûr qu’après Ulysse de James Joyce, Mort à crédit de Céline, Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry et quelques autres, l’idée d’imposer la sacro-sainte, obligatoire et quasi-statutaire « rupture », dans une surenchère du meilleur aloi dans le travail sur les moyens d’expression romanesque, est devenue pour le moins difficile à mettre en œuvre.
Le minuscule Philippe Sollers a sans doute voulu faire rigoler ses copains de la cour de récréation, quand il a écrit, sans majuscules ni ponctuation (juste parce que Céline s'était proclamé le cinglé en chef des points d'exclamation et de suspension), son livre sobrement intitulé H. Quoi, illisible ? Expérience, on vous dit ! La barre étant placée excessivement haut, quels éditeurs, quels lecteurs auraient assez d'entraînement et de détente des reins pour ne pas la faire tomber en tentant de franchir l’obstacle ?
Quant à la poésie, ce n’est même pas la peine d’en parler : est-ce qu’un poète existe, quand il est rare qu'ils touche 300 lecteurs ? D’autant que la cuisine des poètes actifs après la guerre s’est muée en une infinité de laboratoires secrets, où des alchimistes vaguement barbus se sont mis à extraire de leurs cornues la quintessence de liqueurs mystérieuses, dont l’amateur éventuel ne saurait imaginer l’effet qu’elles produiront une fois ingurgitées.
Je dirai même que le jus qu’on recueillait parfois à la sortie du serpentin de cet alambic forcené était carrément imbuvable. Je me souviens d’un « poème » d’un nommé Jean-Marc, qui commençait par cet inoubliable groupe nominal péremptoire, voire comminatoire : « Les cafards noirs de la lampe à souder ». L'expression, je ne sais pourquoi, s'est gravée. Jean-Marc, si tu me reconnais dans la rue, merci de ne pas me voir.
Remarque, j’ai bien dû pondre quelques horreurs comparables. Quand on est dans l’expérimental, c’est quasiment forcé. Quand on explore des voies nouvelles, on tombe fatalement sur bien des impasses et autres voies sans issue (via sin salida) : il y a donc beaucoup de déchet. La gangue autour de la pépite, quoi. Mais il y a des jours où l'on se dit que non, vraiment, ça fait un peu épais de gangue avant d'arriver à la pépite. C'est vrai, quoi, la vie est courte.
Le gros morceau de l’expérimental reste cependant, détachés loin devant le peloton étiré des principaux moyens d’expression, les « arts plastiques ». Normal, les arts plastiques, ça saute aux yeux, ça envahit votre espace visuel sans vous demander.
Le problème, avec les arts plastiques, c'est qu'ils sont devenus affreusement tributaires du langage (voire de la linguistique), de la pensée, de la formulation, de la capacité de l'artiste à transposer dans l'univers des mots l'esprit de ce qu'il veut donner à voir. Et le cortex cérébral de la théorie esthétique (ou sociale, ou morale, ou politique, ...) alourdit à tel point le crâne de l'art vers l'arrière que celui-ci en tombe sur le cul.
Je ne veux pas trop insister : j’ai déjà donné. Allez juste un aperçu du talent du petit Jan Berdyszak, « only for fun».
AVEC TOUTES NOS SINCERES FELICITATIONS AU PETIT JAN BERDYSZAK !
Je veux juste marquer deux particularités qui découlent de ce qui précède, concernant la création artistique : l’extrémisme démocratique et l’extrémisme totalitaire. Contrairement aux apparences, ce sont deux frères jumeaux, et de la pire espèce : l’espèce monozygote.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 21 mars 2013
HERGE CONNAISSEUR DE COSINUS
UN ELEPHANTIASIS DU SCROTUM, PARTICULIEREMENT SPECTACULAIRE
(même si on ne sait pas au juste ce qu'est un scrotum, on le devine ici)
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Ceux qui, le 15 novembre dernier, sont venus lire mon petit billet du jour, savent qu’Hergé, pour être, d’une certaine manière un génie, ne méconnaissait pas pour autant ses grands prédécesseurs, en particulier le nommé Georges Colomb (pour l’état civil), alias Christophe, en toute modestie, son nom de plume. Ce professeur de sciences savait écrire, mais il savait tout aussi bien dessiner. Et cela dans un esprit de 'pataphysicien chevronné avant l'heure et de cousin putatif d'Alphonse Allais et de l'Alfred Jarry de La Chandelle verte et de Faustroll (« Tout est dans Faustroll », disait le T. S. (Transcendant Satrape) Boris Vian).
Ces drôles de dons lui ont permis d’enfanter quatre albums qui sont autant d’enchantements. Christophe y fait évoluer des personnages aussi improbables qu’inoubliables, et qui ont noms Fenouillard, Camember, Plick et Plock et Cosinus.
On sait donc, depuis le 15 novembre 2012, que le capitaine Haddock en boule de neige, quand il dévale une pente des Andes (Le Temple du soleil) pour s’écraser contre un rocher miraculeusement placé, est un gag trouvé par Hergé dans Les Malices de Plick et Plock, y compris les pieds qui dépassent.
Mais il n’y a pas que Plick et Plock. Il est temps en effet d’en venir à celui qui nous intéresse : Zéphyrin Brioché, plus tard connu sous le nom de Docteur Cosinus, qui, quand il donnait ses cours à la célèbre Ecole des Tabacs et Télégraphes, « ne manquait jamais de prendre son mouchoir pour le torchon, et réciproquement ».
Quand il était entre copains, d’humeur batailleuse, il aimait le moment de la « multiplication des pains », multiplications « généralement suivies de divisions, M. Brioché père se faisant un devoir d’appliquer à son fils la règle des compensations proportionnelles », en se servant d’une simple cravache en état de marche.
Sortant de Polytechnique, Zéphyrin Brioché, dit Cosinus, est donc devenu d’une distraction proverbiale. En grand habit de soirée, devant accompagner au bal deux parentes, il est retardé par un problème intéressant qui se présente inopinément à lui, et les laisse partir : « Partez devant ! Vous ne serez pas au pont Neuf que je vous aurai déjà rattrapées ».
C’est ainsi que, s’étant escrimé sur son tableau noir et ayant souillé de craie son bel habit, il voit ses cousines revenir du bal à 4 heures du matin. Excédé, il s’exclame, dans un épais nuage de poussière de craie : « Dieu que les femmes sont entêtées ! Allez donc toujours, puisque je vous dis que vous ne serez pas au pont Neuf que je vous aurai déjà rattrapées ! ».
Mais je ne vais pas reconstituer l’existence du grand distrait que fut le savant Cosinus. C’était juste pour rappeler quelques traits de l’inventeur de (cf. à g.) l’illustre « Anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle ». Car il s’est mis dans l’idée de faire le tour du monde. C’est son « Idée fixe » (le titre exact de ses aventures). Il ne quittera guère les environs de Paris, comme bien l’on se doute, malgré des tentatives réitérées.
En vue de l’une d’elles, il veut se procurer un vélocipède, mais il s’y prend de telle manière qu’il tombe à plat-ventre, du fait du chien Sphéroïde, sur la piste où roule déjà Madame Belazor. On le croit mort. Le docteur Letuber s’occupe de lui, essayant d’abord de le regonfler à coups de pompe à vélo, puis de cataplasmes brûlants, puis d’hydrothérapie, puis d’électrothérapie, puis de sérothérapie, puis de chatouillothérapie, et même de la Belazorthérapie (voir ci-dessous) : peine perdue.
Pour « se donner une contenance », Letuber s’approche du tableau noir de Cosinus et « change un signe dans une équation ». Bingo !!! « Feu Cosinus bondit : "Mais môsieu ! Ma formule est fausse maintenant !" ». Ainsi vient d’être inventée la mathématicothérapie, « qui devait rendre si célèbre le docteur Letuber ». Ainsi Cosinus ressuscite-t-il. C’est exactement à ce point que je voulais en venir.
ON VOIT, DERRIERE LE BOIS DE LIT, SCHOLASTIQUE INONDER SON MOUCHOIR.
Car Hergé n’a pas seulement lu Christophe : il s’en est inspiré ici ou là. Cette résurrection de Cosinus ressemble de bien près à deux "résurrections" du capitaine Haddock. L’une à la fin de On a Marché sur la lune : allongé sur un brancard, le capitaine est mis sous masque à oxygène, mais donne les plus vives inquiétudes. Un médecin rappelle qu’il « fut un grand buveur de whisky ». Aussitôt, le capitaine se dresse sur son séant en arrachant le masque et réclamant la boisson dont il vient d’entendre le nom.
L’autre résurrection a lieu à la page 32 du Temple du soleil, juste avant l’épisode de la boule de neige. Enseveli par l’avalanche qu’il a déclenchée en éternuant, le capitaine est retrouvé (grâce à Milou) le visage déjà violacé par l’asphyxie. Tintin trouve une topette de whisky dans sa poche revolver, la débouche. Le capitaine frétille du nez à cette odeur, il se dresse, arrache le flacon et le vide dans un seul élan. Le voilà sur pied, comme si de rien n’était.
On dira qu’une erreur ajoutée dans une équation mathématique n’a rien à voir avec du whisky. Certes. Mais la résurrection de Cosinus ne vous semble-t-elle pas, malgré l'hétérogène des contextes et des motifs, cousine de celle du capitaine ?
Il y a fort à parier que l’idée de résurrection fut soufflée à Hergé par le Cosinus de Christophe.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 03 mars 2013
LE DERNIER PHILEMON DE FRED ?
PRINCE RANDIAN, L'HOMME DEPOURVU DE MEMBRES, EN TRAIN DE SE RASER
(dans "FREAKS" de Tod Browning, il faut l'avoir vu allumer tout seul sa cigarette : spectaculaire)
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Grand lecteur en mon temps des hebdos (mais pas fessiers) Tintin, Spirou, puis Pilote, j’ai longtemps biberonné de la bande dessinée en même temps que je me mettais à la littérature d’aventures (Le Capitaine Corcoran, d’Alfred Assollant, Par Dix mètres de fond, par X, Les Trois Mousquetaires, par qui vous savez …). Parmi les « héros » de Tintin, j’ai suivi la série de François Craenhals, Chevalier Ardent, héros pour pré-ados, valeureux, loyal et amoureux de la princesse Gwendoline, et tout et tout.
Le dernier que j’ai acheté est paru en 2001. Intitulé Les Murs qui saignent, il exprime, de la part de l’auteur de la série, un sentiment d'amertume désabusée. Il raconte l’agonie de la toute-puissance d’un roi despotique et autoritaire et le surgissement soudain dans le présent d’épisodes anciens de son existence, qui viennent ternir d’un seul coup son prestige, par la révélation de traîtrises et d’abus qui lui avaient permis d’arriver au pouvoir.
ARDENT DE ROUGECOGNE ET LE ROI ARTUS
Cette fin affolée d’un roi vieillissant qui voit surgir des cauchemars si longtemps enfouis, et qui soudain n’est plus que l’ombre de lui-même, alors que, la veille, il terrorisait encore, recèle une force de signification. Le mythe d’une existence glorieuse s’effondre. Cette histoire a quelque chose de poignant, de pathétique. Et pour tout dire : de crépusculaire. Trois ans après la parution, François Craenhals mourait. C’était en 2004.
LA PRINCESSE GWENDOLINE ET SON PÈRE LE ROI
J’y pense en ce moment, parce que je viens d’acheter le 16ème Philémon, du nom du héros de la série, comme de juste. Celui-ci s'intitule Le Train où vont les choses ... Un album tout aussi crépusculaire, et même davantage. La série est écrite et dessinée par Fred, et placée sous le signe de la poésie, du rêve et de la fantaisie à un degré aigu.
Pensez, la série est inaugurée dans Pilote en 1965 : sur l’ordre de son père, Philémon doit aller puiser de l’eau au puits familial, parce que la pompe à bras est détraquée. Le puits est désaffecté (on voit d’énormes toiles d’araignées) ? Je ne veux pas le savoir ! Vas-y !
Philémon obtempère. Dans le seau, il remonte une bouteille vide. Vide ? Non : sur le papier enroulé, il lit : « Au secours ». Ne voyant rien au fond du puits, il s’éloigne, mais entend soudain un « Plouf ! » caractéristique : une nouvelle bouteille ! Cette fois, le papier porte : « A l’aide ! Ne m’abandonnez pas ! ». Au moment où il descend carrément dans le puits, une troisième bouteille, comme venue du fond : il tombe et coule, entraîné vers on se sait quel abysse.
Il manque d’air, il étouffe. Va-t-il se noyer ? Non. Il se réveille sur une plage de sable, voit qu’il a deux ombres : c’est normal, il y a deux soleils. Soudain, une horloge sans aiguilles sort de terre, dont le mécanisme, une fois mûr, explose. Croyant retrouver son âne Anatole, il vexe le centaure (qui s’appelle Vendredi, qui, tous les dimanches, est pris d’un fou-rire, comme le veut le proverbe) en lui claquant les fesses.
Puis Philémon tombe dans un puits, un des innombrables que, pour sortir de là, a creusés Barthélémy (en costume de Robinson traditionnel), le puisatier de la légende villageoise, mystérieusement disparu quarante ans auparavant, et qui jette désespérément des bouteilles à la mer (avec des messages), cueillies mûres sur l’arbre à bouteilles, et qui aboutissent au fond du puits désaffecté dans lequel il était tombé.
Il explique à Philémon qu’ils se trouvent sur une île, mais pas n’importe quelle île : le A. Le A ? Oui, sur les cartes du monde, c’est le premier A d’ATLANTIQUE : « Car j’ai aperçu le T et je sais que plus loin il y a le L ». Autrement dit, une île de papier, mais sur laquelle la vie grouille aussi bien que dans la réalité.
Pour vous dire, la pauvre cabane construite par Barthélémy n'a pas cessé de "pousser", elle est devenue, quarante ans après, un immense, splendide, luxueux et royal palais. Aucun doute : ils sont sur la lettre A écrite pour indiquer « Océan Atlantique » sur la carte.
LÀ, C'EST PLUS TARD, DANS "SIMBABBAD DE BATBAD" (vol. 5)
ILS SONT SUR LE ROND DE FUMÉE SOUFFLÉ PAR SIMBABBAD, QUI LEUR PERMETTRA (D'UN COUP DE LORGNETTE) DE REVENIR DANS LA REALITÉ PAR LE BIAIS DE LA PIPE D'ONCLE FELICIEN
Bon, pas besoin d’insister : ce début du premier album suffit pour caractériser l’imaginaire dans lequel vous embarque Frédéric Othon Théodore Aristidès, dit « Fred », que sa moustache fait ressembler à l’aviateur Blériot (gag récurrent dans l’hebdomadaire Pilote).
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 17 novembre 2012
BANDE DESSINEE : L'ÂGE D'OR ?
Pensée du jour :
"GRILLE" N°6
« Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi) ».
ALEXANDRE VIALATTE
L’un de mes plus beaux souvenirs de bande dessinée n’est pas une image, c’est une phrase : « Ta médiocre beauté ne m’a déjà que trop gâché l’aube naissante ». Ça c’est du texte. Et du littéraire, s’il vous plaît. Pour l’éventuelle élite des amateurs authentiques, je le déclare : la phrase est tirée d’Epoxy, une Bande Dessinée de PAUL CUVELIER, où l’auteur s’en donne à cœur joie avec la mythologie grecque. Mais il s’en donne aussi à cœur joie avec le corps féminin, pour lequel il ne cache pas un penchant irrésistible qui mérite notre sympathie (purement esthétique, s’entend !).
C’est Aphrodite en personne qui s’adresse à l’héroïne de PAUL CUVELIER, dans ce livre où l’action semble se dérouler sous les tropiques, vu la façon dont toutes les femmes sont habillées. Enfin, quand je dis « habillées », c’est une façon de parler. En réalité, c’est une belle œuvre qui offre au dessinateur le prétexte de déclarer son amour aux formes féminines, qu’il représentait, avec une tendresse visible, dans une sorte d’infini de variantes posturales, sans jamais donner prise à la plus légère once de vulgarité.
EPOXY CHEZ LES AMAZONES, C'EST VIOLENT, MAIS PAS TOUT LE TEMPS
Sans aller jusqu'aux coquineries d'un DANY, qui s'est fait une spécialité du dessin d'humour érotique, je citerai, dans le même genre d'amoureux du corps féminin, le dessinateur TAFFIN, en particulier un fascicule intitulé Fume...c'est du Taffin (Kesselring, 1976). Tout n'est pas très bon, c'est vrai, ça sent son côté gentillet des années 1970, flower power, peace and love (que GOTLIB, me semble-t-il, écrivait d'ailleurs "pisse and love", accompagné de "phoque and chite" dans un des premiers numéros de L'Echo des savanes).
J'en retire cependant deux images : l'une est un dessin (ci-dessus), l'autre est une photo (ci-dessous). Le dessin semble caresser les contours du personnage. Quant à la photo, elle représente CAROLE LAURE (photographiée par DUSAN MAKAVEJEF) en train de prendre un délicieux bain de chocolat.
Tout ça pour dire que j’ai été fan de Bande Dessinée. Cela m’a passé, mais pendant longtemps, je me suis shooté à l’hebdomadaire (Spirou, Tintin, plus tard Pilote, au temps de leur splendeur), et à l’album (quand il n’en paraissait pas plus de 150 par an, cela restait dans mes moyens). Tout ce qui sortait, ou à peu près. J’étais « accro », il me fallait ma piquouse sous peine de manque. Maintenant, il en paraît 1500 chaque année, comment voulez-vous ?
C’était quand la bande dessinée appartenait à la catégorie des « loisirs populaires » (expression à prononcer avec une nuance de mépris, si l’on veut être « à la page »). Le cas ressemble un peu à celui de l’opérette. Car il fut un temps où l’Opéra de Lyon était encore indemne du virus du snobisme culturel et de l’exaltation lyrique de « faire moderne ».
C’était le temps où l’Opéra de Lyon ne rechignait pas devant les « loisirs populaires », et n’avait pas honte de produire L’Auberge du cheval blanc (ci-contre "avant"). C'était avant que les metteurs en scène d’ « avant-garde » et les compositeurs d’ « avant-garde » n’aient décidé que c’était ringard et juste bon pour la poubelle (ci-contre "après"). C'est dans quelle chanson yé-yé qu'on entend : « Du passé faisons table rase » ?
C’était avant que des « experts » et « spécialistes » de BD autoproclamés de tout poil ne posent leur patte sur ce qui était à leurs yeux un « marché prometteur » et un « créneau porteur » pour donner un petit air « moderne » à tout ça et « faire sortir la BD du ghetto enfantin ». C'était avant que la BD passe du plaisir du « loisir populaire » à la consommation du « loisir de masse ». Passage qu'on peut situer autour de 1980.
Pour vous dire, c’était avant que, une fois que le « marché » eut tenu ses promesses, messieurs BERA, DENNI et MELLOT n’entreprennent (c’était en 1979) d’inventorier non seulement tout ce qui paraissait de BD année après année, mais aussi tout ce qui avait paru depuis les origines (1805, d’après eux, avec le Robinson Crusoëd’un certain DUMOULIN, mais je conteste – voir ma note d’hier).
Dans le milieu, tout le monde connaît désormais l’incontournable et indispensable BDM – véritable bible baptisée « argus officiel » – qui paraît revu et corrigé tous les deux ans, et qui vous donne la « cote » d’absolument tout ce qui a été publié depuis 1805, c’est vous dire le sérieux de cette entreprise florissante.
Vous apprenez ainsi que si vous avez l’originale du Guêpier de DANIEL CEPPI (1977, Editions Sans Frontières), votre capital est de 30€. Mais il faut savoir que l'album a connu un curieux pic dans les années 1980, puisqu’il est bizarrement monté, pendant un temps, à 600 francs, avant non pas de s’abouser, mais de redevenir normal (voilà que je parle comme un vulgaire HOLLANDE, moi, il va falloir surveiller ça). C’est un exemple parmi des milliers d’autres.
Moi je m’en fiche, de toute façon : je ne suis pas collectionneur. Ainsi, pour vous dire combien je suis bête, j’avais acheté 150 francs, à la librairie Expérience, une petite échoppe de la rue du Petit David, tenue par ADRIENNE (l'adorable ADRIENNE KRIKORIAN), une édition en sérigraphie de Capitaine Cormorant, de l’immense HUGO PRATT, numérotée et tout, magnifiquement et grassement encrée. Dans le BDM ? Il cote 850€ !
Moi, je l’ai revendu (je ne vous dirai pas combien) pour acheter d’autres nouveautés. Pareil pour les deux Corto Maltese de chez Publicness (respectivement 3000 et 500€). J’étais trop curieux des nouveautés pour collectionner. Plutôt cigale que fourmi, si vous voyez. Le plaisir de découvrir plutôt que le souci de posséder pour accumuler.
Par-dessus le marché, pour être un bon collectionneur, il faut savoir ce qu’on veut, faire un choix, car il n’y a pas de cumul des mandats possible (vous voyez ce que je veux dire ?), et c’est un métier à plein temps (un « full time job », comme refusent de dire les hommes politiques français, si soucieux de rester pas trop nombreux pour se partager profitablement le gâteau des responsabilités).
Ce n’est donc jamais le « marché » qui m’a guidé. C’est pour dire combien je suis un être désintéressé. Pas un pur esprit, mais pour ainsi dire, quoi !
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 16 novembre 2012
UNE BANDADE DESSINEE ?
Pensée du jour :
"STRATIGRAPHIE" N°2
(16 août 1914) « Une carte du théâtre de la guerre que j'ai sous les yeux ne fait aucune mention de Vaucouleurs et de Domrémy, entre Bar-le-Duc et Nancy. Il eût été à propos et combien patriotique ! de marquer ces deux localités ».
LEON BLOY
Bon, avec le capitaine Haddock (voir hier) en bonhomme boule de neige qui débaroule une pente, images qu’on trouve dans Le Temple du soleil (à la page 33, soyons précis), on a compris qu’HERGÉ a « puisé » (pour être gentil) l’idée dans Les Malices de Plick et Plock, de l’ancêtre CHRISTOPHE qui, sous son vrai nom de GEORGES COLOMB, enseigna sérieusement les sciences naturelles à Paris, après de brillantes études (Normale Sup). C'était au début du vingtième siècle.
Sous son pseudonyme - CHRISTOPHE -, il écrivit et dessina – moins sérieusement, mais d’un certain côté beaucoup plus sérieusement, puisqu’on en parle encore – quatre chefs d’œuvre de ce qu’on appelait encore « histoires dessinées », j’ai nommé L’Idée fixe du savant Cosinus, La Famille Fenouillard, Les Facéties du sapeur Camember, auxquels s’ajoute le volume déjà cité. Il importe de connaître tout ça par coeur, comme on pense !
Cosinus était le sobriquet dont quelques malveillants affublèrent le brave Zéphyrin Brioché lorsque, après une enfance batailleuse et fouettée, il devint brillant professeur à l’Ecole des tabacs et télégraphes (aussi vrai que je le dis !!!), une fois sorti de Polytechnique. Sa caractéristique ? En un mot, plus distrait, tu meurs. Cosinus est le parangon du DISTRAIT absolu.
Mais les gens sont méchants : en fait, disons plutôt que, quand il était absorbé, plus rien d’autre au monde n’existait, comme le montrent les première et dernière vignettes du petit récit ici rapporté. Mais il me vient l’idée que Cosinus mérite une note entière à lui tout seul, de même que Fenouillard. Quant à Camember, je l’ai naguère évoqué ici même (cf. « N’oubliez pas La Bougie du sapeur », 29 février 2012). Ce n'est donc que partie remise.
Avec ses « histoires dessinées », CHRISTOPHE est resté fidèle au legs du Suisse RODOLPHE TÖPFFER, qui demeure l’inventeur de la forme, avec Histoire de monsieur Jabot ou Les Amours de monsieur Vieux Bois (et quelques autres), autour des années 1830. On a déniché depuis un Robinson Crusoë d’un certain DUMOULIN, publié en 1805, et que certains n’hésitent pas à qualifier de « première bande dessinée de l’histoire ».
LE DEFI EST EVIDEMMENT D'APPRENDRE PAR COEUR LE MOT EN ITALIQUES
(je vous le récite quand vous voulez)
Ces 150 gravures formant une « suite narrative », sorties d’on ne sait quelles oubliettes, ne sauraient faire illusion. A ce compte-là, autant qualifier d’ancêtre au carré JEAN-CHARLES PELLERIN, fondateur en 1796 de la société qui portait son nom, et qui est resté dans l’histoire comme l’inventeur des très célèbres « images d’Epinal ». Le temps de la grotte CHAUVET, avec ses bisons et autres lions rupestres, qu’il faudrait considérer comme les Adam et Eve de toute bande dessinée, n’est pas loin. Mais Néandertal (enfin, à la rigueur, Sapiens Sapiens) auteur de BD, pourquoi pas, après tout ?
PLANCHE SORTIE DES ATELIERS PELLERIN
(dites-moi si ce n'est pas de la bande dessinée, si vous osez!)
On a donc compris que tout emprunt n’est pas qualifiable de plagiat : l’histoire de la musique est pleine d’emprunts, dont un nombre infime méritent qu’on inflige la flétrissure du plagiaire à ce que son infirmité créatrice a eu l’audace de présenter comme nouveau et personnel. Tous les musiciens, tous les peintres, tous les poètes ont rendu hommage à tel ou tel de leurs devanciers.
La morale de l’histoire ? Dis-moi qui t’a plagié, et je te dirai si tu es un génie. Moi, si un jour MICHEL-ANGE me plagie, je vous assure que je ne dirai rien ! Et ceci n’a rien à voir avec le pur et simple vol d’idées, auquel ont pu se livrer impunément je ne sais quels "BHV" et autres hommes d’affaires, qui ont fait l’erreur de se prendre pour des penseurs, voire des hommes d’action.
Personnellement, je serais la personne en question, je traînerais en diffamation celui qui a osé me traiter de Bazar de l'Hôtel de Ville. Il y a jurisprudence : le type, sur son quai de gare, quelque part dans le sud, qui a crié face aux CRS : « SARKOZY, je te vois », il en avait quelque part, mais surtout, la correctionnelle l'a purement et simplement relaxé. SARKOZY n'étant (hélas) pas considéré comme une insulte. Reste que je n'aimerais pas du tout être traité de "HOLLANDE".
On a aussi compris que la Bande Dessinée constitue l’une des bases sur lesquelles se sont édifiés le bric et le broc (pour ne pas dire La Rubrique-à-Brac, merci GOTLIB) de la construction qui me sert de bicoque baroque, intellectuelle et culturelle.
Quelqu’un qui ne connaîtrait rien des "Histoires de l’Oncle Paul" serait dans l’incapacité de comprendre la valeur nutritive de simples « histoires dessinées », quand elles n’ont pas l’invraisemblable prétention d’inventer je ne sais quelle « littérature » innovante, quand elles ne consistent pas à enfermer le lecteur dans d'interminables fantasmes vaguement spatiaux, carrément fantastiques et bourrés d'armes terrifiantes, de véhicules miraculeux, de créatures improbables et de véritables bombes sexuelles en série tenant lieu de personnages féminins.
Je vous parle d'un temps où les raconteurs d' « histoires dessinées » se contentaient de raconter le mieux possible de bonnes « histoires dessinées ». Je vous parle d'un temps où la bande dessinée ne se poussait pas du col et ne se voulait pas plus que, finalement, elle est : une littérature de divertissement à l'usage des plus jeunes. Je vous parle d'un temps où la Bande Dessinée ne cherchait pas à BD plus haut que son QI.
Le triomphe de la BD comme « genre littéraire » a des parfums d'infantilisation rampante des esprits. Je range dans le même « genre » la promotion des jeux vidéo, dans le journal Libération, au rang de rubrique à part entière. Et d'une façon plus générale, je me dis que l'imprégnation des esprits par l'omniprésence obsessionnelle de l'image n'est pas étrangère à la régression de l'état d'adulte à des stades antérieurs. Et c'est un ancien bédéphile averti qui le dit !
Les guetteurs et les prédateurs de « parts de marché » sont devenus légion. Ils ne reculent devant rien pour promouvoir la "valeur culturelle ajoutée" et le caractère définitivement irremplaçable d'une "intellectualité" allant jusqu'à l'artisterie de "salon" (de la BD, cela va sans dire, où les gogos spéculateurs sont priés de faire la queue pour avoir leur petit dessin d'auteur en page de garde).
L'imaginaire contemporain est décidément aussi régressif et insatiable que blasé.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 15 novembre 2012
PLICK ET PLOCK CHEZ TINTIN
On ne discute plus d’HERGÉ, de nos jours. Le monde entier connaît les aventures de Tintin, reporter au Petit Vingtième. Tout le monde le sait, Tintin et Milou sont des totems adulés dans les villages du Congo, des justiciers détestés dans les gangs de Chicago, d’indéfectibles amis de Tchang dans les solitudes altières du Tibet. Comme on a dit : « Verdun, on ne passe pas ! », on peut dire : « Tintin, on ne touche pas ! ». Et ce n’est pas moi qui vais commencer à débiner la marchandise.
Il y a un culte de Tintin qui, ne le nions pas, s’est répandu à travers le monde. On peut ajouter que certains commerçants avisés ont su mettre à profit la mode des « produits dérivés » pour améliorer l’état de leur compte en banque. A cet égard, je pense qu’on pourrait dire à bon droit que Tintin est le premier « blockbuster » de l’histoire, puisque les premières fusées XFLR-6 vendues dans le commerce (vous savez, le damier rouge et blanc, ça, c’était de la « com ») doivent remonter aux années 1950. Enfin, je n’en sais rien.
Je ne suis certes pas « tintinolâtre », mais je peux me dire à bon droit « tintinophile », ayant, dans le temps, lutté victorieusement contre des individus qui croyaient pouvoir m’en remontrer dans la connaissance des détails. Mais ces temps épiques appartiennent au passé, et j’avoue que le goût du bachotage tintinesque, alors pratiqué en vue de briller auprès de quatre ou cinq obscurs quidams, ne fait plus, depuis longtemps, partie de mes priorités. Je vois désormais les choses avec un certain recul philosophique, et les viscères durablement pacifiées.
Cela rend d’autant plus intéressantes certaines « trouvailles » opérées au gré du hasard de lectures diverses. C’est ainsi que, ayant rouvert le volume des Malices de Plick et Plock, de CHRISTOPHE, je suis tombé sur des images qui m’ont ramené aussitôt à HERGÉ. Le volume est beaucoup moins connu que Le Sapeur Camember ou Le Savant Cosinus.
Sauf que Plick et Plock, ça a été publié entre 1893 et 1904. Longtemps avant Le Temple du soleil (1949), 13ème épisode de la saga (si l’on fait abstraction de l’assez mauvais épisode soviétique, soi-disant le premier, mais pour moi, ça vaut autant que la 1ère dent de lait tombée de la gencive de la 1èresouris, même si ça n'empêche pas l'édition princeps d'être cotée 35.000 euros, ils sont fous ces Romains).
Alors bon, quelque adepte contemporain de l’Eglise de l’Ou.Li.Po. (« Ouvroir de Littérature Potentielle ») plaidera je ne sais quel « plagiat par anticipation » (ils auraient tout aussi bien pu dire « précurseur postérieur » pour désigner le plagiaire), et dira que c’est GEORGES COLOMB (alias CHRISTOPHE) le coupable, et qu’il a piqué l’idée à HERGÉ (né en 1907) en reniflant sa boule de cristal.
Je vous explique. Dans Le Temple du soleil, Tintin, Milou, Haddock et Zorrino gagnent le dit temple en traversant les Andes. Sur tout leur parcours, de méchants Indiens tentent de les empêcher d’arriver. Parvenus aux neiges éternelles, ils subissent une avalanche déclenchée par l’éternuement d’Haddock. Pour le ressusciter, Tintin ouvre la bouteille de whisky, qu’Haddock, aussitôt réveillé, avale cul-sec.
Et c’est en poursuivant les lamas (rappelez-vous : « Quand lama fâché, senor, lui toujours faire ainsi. ») qu’il tombe (littéralement) sur les méchants, en se transformant en énorme boule de neige, qui les précipite du haut d’une falaise, alors que sa boule à lui se fracasse sur un rocher. Il l’a échappée belle.
Or on trouve, dans Plick et Plock, la même idée, pas au millimètre près, mais pas loin. Là, c’est Plick qui joue le rôle de la boule de neige, et c’est un « arbre providentiel » qui joue le rôle du rocher, Plock se contentant de jouer le rôle du whisky, puisque c’est lui qui pousse Plick dans la pente neigeuse. Même accident, même pied qui dépasse. Il n’y a pas à s’y tromper : HERGÉ a lu CHRISTOPHE. Mieux : il s’en est souvenu.
That’s all, folks ! Juste le temps d’ajouter qu’ANDRÉ FRANQUIN s’est lui aussi souvenu de CHRISTOPHE dans une histoire de son Gaston Lagaffe. Gaston, qui a inventé un moyen révolutionnaire de se débarrasser du sapin de Noël sans semer des aiguilles partout (grâce à je ne sais plus quelle colle miraculeuse), se retrouve entièrement couvert des dites aiguilles. Et que c’est au hasard d’une corde pincée de son inénarrable gaffophone qu’il s’en trouve en un instant nettoyé (« Pff ! Gaston s’en sort toujours », lance-t-il à Fantasio ou Lebrac, je ne sais plus).
Eh bien on trouve un peu la même idée dans Plick et Plock : nos deux gnomes qui n'arrêtent pas de faire des bêtises sont aux prises avec l'électricité statique. L'un reste collé au mur, l'autre se voit recouvert des poils d'un caniche qui vient d'être tondu. Mlles Zig et Zag (souvenir des Voyages en zig-zag du grand RODOLPHE TÖPFFER ?) ne sont pas tombées de la dernière pluie, et d'un bout d'aiguille débarrassent illico les deux garnements.
Longue vie à Tintin (bien qu’il manque carrément d'humour), longue vie à Gaston (parce qu’il est le bienheureux désordre dans une machine trop bien huilée).
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 09 août 2012
TINTINOPHILE OU TINTINOLOGUE ? (fin)
Météo des Jeux : l'aviron, avant même d'être une épreuve olympique, est un problème scientifique. Allonger la pelle de huit centimètres coûterait moins d'énergie, mais demanderait plus d'efforts. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est scientifique.
Résumé : les récalcitrants au culte tintinesque qui, à l’issue de leur scolarité, ne sauraient pas par cœur les 22 volumes de cette moderne « récitation » (ou « lecture » : je rappelle que « Coran » signifie l’un ou l’autre), seraient envoyés dans des lieux d’accueil spécialisés destinés à leur apprendre à se concentrer sur l’essentiel, lieux appelés « camps favorisant la concentration ».
Un seul cri du cœur, un seul hymne : « Tintin, Tintin über alles », entonné à pleine voix au saut du lit. Et des questions à l’improviste, avec lumière en plein dans les yeux, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit : « Allez, avoue, qui est Foudre Bénie ? » ; « Tu vas cracher le morceau, je te jure, qu’est-ce que tu trafiques avec Rodrigo Tortilla ? Si tu refuses, c’est simple, on te renvoie chez les Arumbayas ! » ;
« Qui c’est, ce Viracocha dont tu parlais dans ton sommeil ? » ; « C’est où, sa planque, à ce Rascar Capac ? » ; « Et ce 26 rue du Labrador, c’est le repaire de la bande ? » ; « C’est quoi, cette histoire entre Babaoroms et Matouvous ? » ; « Et ce Harrock’n roll, qu’est-ce qu’il est allé faire, sur le Ramona ? » ; « Et c’est quoi, comme message, "La marque que fume Boris", prononcé par un certain professeur Topolino ? » ;
« Et tu me crois assez naïf pour croire que ce Rotule est docteur en ostéologie ? » ; « N 14 ? Qu’est-ce que c’est encore, ce code secret ? » ; « Et qui c'est, ce Ridgewell ? ».
On peut dire que le programme d’étude est copieux. Je dirais même nourrissant. Je vous garantis, les adjudants ont les moyens de faire parler les plus regimbeurs. Impitoyables, ils sont. Vous êtes prévenus.
Vous voilà dans le meilleur des mondes. Big Brother Tintin is watching you. Vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus.
Avec élimination impitoyable des tièdes et des récalcitrants. Il serait donc formellement interdit de récalcitrer à Tintin sous peine d’une mort infamante, infligée après de longues tortures morales, comme dans Orange mécanique (ci-contre), sauf qu’au lieu du finale de la 9ème, on infligerait tout le cursus tintinique au son de : « Tintin, Tintin über alles ». Soyez sûrs qu'Alex Delarge, le personnage de STANLEY KUBRICK, mourrait ignominieusement. N’ayons pas peur des mots : c’est même au-delà d’un enjeu culturel, c’est carrément un enjeu de civilisation.
Mais s'il faut tout dire, il existe une sorte de Docteur MENGELE, l'inventeur de ce programme de « redressement productif », et même moral, que dis-je, le HEINRICH HIMMLER de ce protocole éducatif. Cet homme porte un nom. Il s’appelle FRANÇOIS HÉBERT. Son idée remonte à 1983. Il fut secondé dans son énorme tâche par RENÉE-HELOISE (sic) GIROUX. L’œuvre s’intitule Êtes-vous tintinologue ? et a été publiée aux éditions du Royaume de la bande dessinée. Son idéologie est irréprochable.
C'EST UNE REEDITION
L'oeuvre consiste, à propos de chaque album de cette nouvelle Torah, à poser 50 questions. Le questionnaire est donc composé de 1100 demandes plus ou moins précises, portant sur les éléments importants de la Bible (+ Torah + Coran, ne mégotons pas), mais aussi les détails du dogme. Le dit questionnaire est globalement assez bien fait, et permet de faire le tour du corps de doctrine.
Mais pour parler franchement, leurs questions sont parfois oiseuses. C’est vrai, quand ils demandent de compléter « araignée du matin … », quand ils posent des questions comme : « Qu’est-ce qu’un piranha ? » ou « Qu’est la Grande Ourse ? », on sent qu’ils diluent leur sujet, qu’ils le noient dans les connaissances générales, dont le besoin ne se fait vraiment pas sentir. Pourquoi élargir l'horizon ? On sent chez eux une forme insidieuse de culturgénéralisme désuet, qui offre des relents vaguement hérétiques. On sent que le bûcher n'est pas loin. A tant faire que d'avoir la VRAIE FOI, que diable, autant être INTEGRISTE. Et impitoyable. Etroit.
Ils auraient dû s’inspirer du génie du khalife OMAR qui, autour de 642 après J.C., a ordonné à son général AMR IBN AL AS de brûler la bibliothèque d’Alexandrie, la plus énorme bibliothèque qui eût jamais existé, au motif que si les livres qu’elle contenait reprenaient ce qui est dans le Coran, ils étaient inutiles, donc à jeter au feu. Quant à ceux qui s’écartaient du Coran, ils étaient forcément impies, donc à jeter au feu.
Je propose donc de faire des 22 albums sacrés le socle de la civilisation à venir. Pour commencer, ils tiendront lieu de CONSTITUTION de la REPUBLIQUE. Pour continuer, ils serviront de base au prochain (et inébranlable, cette fois) TRAITE EUROPEEN. Et pour finir, on y trouve une matière suffisante pour en faire la CHARTE DEFINITIVE de l’Organisation des Nations Unies, en même temps que le texte incontestable de la Charia Mondiale. Je le déclare solennellement : j’en ai eu la révélation sur la montagne sacrée (c’est la Croix-Rousse, qu’on se le dise), Tintin sera le Coran de l’humanité tout entière. TINTIN SERA LE GENRE HUMAIN.
Comme dit le Professeur Itard de GOTLIB, à la fin de la rééducation de Victor, l'enfant sauvage (c'est dans La Rubrique-à-brac taume 3) :
« HALLELOUYA GLORIA ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 08 août 2012
TINTINOPHILE OU TINTINOLOGUE ?
Météo des Jeux : le centre de gravité des sauteurs en hauteur se situe au niveau de la barre, voire pour de rares athlètes juste en dessous. Je jure que je n'invente rien. Ne m'en demandez pas plus. C'est scientifique.
Hier, je le sais, je l’avoue, je suis parti de loin. De trop loin. Tintinophile, colombophile, c’est tout pareil par le suffixe « phile ». Le suffixe « phile » peut mener très loin. Je me garderai du « très loin » pour ne pas décourager le lecteur. J’éviterai donc « drosophile », qui est une mouche, donc assez dégoûtant, « scatophile », « coprophile » ou « nécrophile », que je ne veux même pas m'abaisser à traduire en français, et « germanophile », qui rappelle trop à nos « chères têtes blanches » les errements patriotiques de périodes troublées.
Qu’on se le dise : on ne commente pas Tintin. Tintin se suffit à lui-même. Pourtant, bien des commentateurs s’y sont risqués. Je pense à SERGE TISSERON, qui a fait ses débuts en psychanalyse en étudiant les tenants et les aboutissants de certains détails éminemment « signifiants » semés par l’imagination d’HERGÉ au long des pages d’aventures qu’il fait vivre à son héros.
Que signifie (en profondeur) la mention « verre sécurit » dans la grosse voiture noire de la Castafiore qui prend Tintin et Milou en stop dans L’Affaire Tournesol ? Dans Tintin en Amérique, que signifie le jaillissement de pétrole sous le cul de l’Indien assis sur un rocher, bientôt suivi par Tintin lui-même, porté au sommet de l’éjaculat par la force minérale de l’huile de pierre (étymologie certifiée exacte de « pétrole ») ? Vous serez sans doute d’accord pour dire avec moi que tout le monde s’en fout ? Cela va mieux en le disant. Il faut laisser les décortiqueurs de sens gagner de quoi survivre. Et à la rigueur de quoi se nourrir, pourquoi pas ?
Voilà le principal : Tintin se suffit à lui-même. Les décrypteurs, déchiffreurs, herméneutes, analystes passent, Tintin reste. Inoxydable. C’est comme le Coran : au lieu d’écoles où les gamins de France « ont la chance D’apprendre dès leur enfance Tout ce qui ne leur servira pas » (chanson bien connue et déprimante d'un certain JACQUES BREL), il faudrait de bonnes madrasas du genre pakistanais ou taliban, où ils apprendraient tout Tintin par cœur. Et si je peux me permettre, je peux vous assurer que dans ces conditions, entre les élèves, le Coran passe.
DE LA MADRASA, ON SORT "TALEB", QUI FAIT AU PLURIEL "TALIBAN"
Avec récitation complète et obligatoire, vignette par vignette, en fin d’année pour passage dans la classe supérieure. Avec examen sélectif pour entrer à l’université. Tiens, qui parmi vous peut me donner la marque des conserves qu’on aperçoit sur une vignette de la page 49 de Tintin en Amérique ? Vous voyez tout ce qui vous manque ? Tiens, comme je suis bon prince, je vous livre la réponse gratuitement.
Avec « formation continue tout au long de la vie ». Ce serait une remarquable utilisation du slogan de LIONEL JOSPIN quand il était aux manettes. Tiens, juste pour voir : quelle est la devise des rois de Syldavie ? Traduisez-la (à peu près) en français. Puisqu’on en est au Sceptre d’Ottokar, quelle est l’adresse exacte du professeur Halambique, à qui Tintin rapporte sa serviette oubliée sur un banc public ?
EIH BENNEK EIH BLAVEK
(QUI S'Y FROTTE S'Y PIQUE)
+
24, RUE DU VOL A VOILE
Et puisqu’on en est aux adresses, donnez un peu celle d’Ivan Ivanovitch Sakharine, le collectionneur de bateaux dans Le Secret de la Licorne. Et dans Le Crabe aux pinces d’or, sous quel faux nom apparaît le cargo Karaboudjan ? Dans le Lotus bleu, quel est le nom de professeur qui connaît l’antidote au « poison qui rend fou », le radjaïdjah ? Et pour faire bonne mesure, dans quelle rue est située sa maison ? Vous voyez ?
MONSIEUR SAKHARINE HABITE 21, RUE DE L'EUCALYPTUS
+
DJEBEL AMILA
+
FAN SE-YENG
+
RUE DU SAGE IMMENSE
Je vous l’avais bien dit, que vous aviez besoin d’un petit stage de remise à niveau dans un de nos charmants centres d’accueil tintinesque. Juste quelques baraquements alignés et sobrement meublés, quelques barbelés électrifiés, quelques miradors garnis de gardes armés, un appel toutes les trois heures, de la soupe claire pour les repas, et le reste du temps consacré à l’étude des vingt-deux volumes de la Bible tintinesque, pour apprendre à vivre aux « stagiaires », jusqu’à ce qu’ils aient retrouvé le droit chemin de la vraie foi. Comme c’est pour leur apprendre à rester concentrés en toute circonstance, on appelle ça des « camps favorisant la concentration ».
Voilà ce que je dis, moi.
Le bouquet final est à suivre demain.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tintin, tintinophile, tintinologue, serge tisseron, psychanalyse, hergé, l'affaire tournesol, tintin en amérique, le coran, jacques brel, madrasa, taliban, sceptre d'ottokar, syldavie, professeur halambique, sakharine, lotus bleu
mardi, 07 août 2012
TINTINOPHILE OU TINTINOLOGUE ?
Météo des Jeux : bonne nouvelle, USAIN BOLT et quelques autres sont enfin parvenus à parcourir 100 mètres. Certains en doutaient. Les voilà rassurés. Ils s'en félicitent. Moi je dis : peut mieux faire. J'espère qu'ils pourront aller un peu plus loin, parce que, franchement, quand tu as fait 100 mètres, tu n'as rien fait, ou si peu que rien. Ils n'ont plus qu'à persévérer s'il veulent arriver au bout.
Prêts pour une Grande Digression Symphonique, en forme d’entrée en matière ?
« Tintinophile », qu’est-ce que ça veut dire ? D’abord et déjà, je ne sais pas si tout le monde sait ce qu’est un « colombophile ». Si vous pensez que c’est un fan de l’acteur PETER FALK (lieutenant Columbo), un continuateur de la mémoire de CHRISTOPHE COLOMB, un habitant de Saint-Colomban (c’est en Loire-Atlantique) ou un amateur de voyages en Colombie, vous avez tout faux. C’est quelqu’un qui aime les pigeons, en particulier les pigeons voyageurs. N’en tirez aucun jugement péremptoire.
Le colombophile fait travailler les pigeons pour lui, pour son compte, pour son seul plaisir, gratuitement. C'est une sorte de maquereau, quoi. Sauf que ses putes lui rapportent nib de nib. Disons qu'il s'est fait souteneur pour soutenir la cause. C'est du dévouement, je me tue à vous le dire. La preuve ? Il offre gratuitement le gîte et le couvert à ses gagneuses et à ses gagneurs. C'est bien le moins, vous avouerez.
Pour ce qui est du gîte, certains colombophiles fanatiques, voire enragés, n’hésitent devant aucune folie dispendieuse, comme en témoigne cette photo d’un authentique pigeonnier, digne d'être homologué hôtel cinq étoiles (quoique sans ascenseur ni salle de bains), quelque part dans le nord-est de la France. On peut dire que R. n’a reculé devant aucun sacrifice pour offrir à ses oiseaux le luxe le plus tapageur et le plus extrême.
DANS UN PAREIL 5 ETOILES, TRES PEU DE PIGEONS SE PLAIGNENT DE LEUR SORT
(ET LES ROUCOULEMENTS DE MASSE, IL PARAÎT QU'ON S'Y HABITUE)
Mais en contrepartie, disons carrément que R. exploite honteusement la capacité innée que ces volatiles ont de retrouver leur nid après en avoir été honteusement éloignés à dessein. Au top départ, toutes les cases du camion collecteur s’ouvrent brusquement, dans la région de Narbonne, libérant les pauvres bêtes, dès lors obligées de se creuser la cervelle (sans carte et sans boussole, s’il vous plaît !) et de se rapatrier par leurs propres moyens vers les brumes du nord-est. Le taux de réussite est généralement bon, mais l'aventure connaît parfois quelques ratés, on est obligé de le reconnaître.
Il m’est en effet arrivé de convoyer jusqu’à son point d’origine (enfin, disons pas loin) un de ces malheureux oiseaux qui s’était égaré pas trop loin de chez moi (à 600 km de chez lui, quand même !), pour le restituer (gratuitement, s’il vous plaît, mais combien volontiers !) à son propriétaire. Il lui manquait beaucoup, paraît-il. Pourtant, les 399 autres qu’il possède (authentique, évidemment) devaient l’occuper largement. Que voulez-vous, aurait dit LAMARTINE, « un seul pigeon vous manque, et tout est dépeuplé », n’est-ce pas, R. ?
LUI, C'EST "RED CHAMPION"
(c'est un vrai de vrai, bien sûr)
Le colombophile, c’est donc celui qui aime les volatiles de course (y compris à table, farcis, à condition qu’ils soient jeunes, et là, à table, je me suis aperçu que moi aussi, j'avais des tendances colombophiles), qui gagne des trophées à la sueur de leur front (qu’ils ont fort étroit, par bonheur), qui les laisse régulièrement se dégourdir les ailes pour s’entraîner, en priant cependant le dieu des pigeons qu’aucun autour des palombes, qu’aucun faucon pèlerin ou autre nuisible ne rôde par là ou ne s’est mis à l’affût dans le coin. En un mot, c’est quelqu’un qui ne compte ni son temps, ni son argent, ni son énergie pour perpétuer une espèce qui, par bonheur et pour cette raison, n’est pas en voie de disparition.
EN PLUS, ILS SONT BEAUX, NON, LES CHAMPIONS ?
CE N'EST PAS DU PIGEON DE VULGUM PECUS !
Bon, pour un préambule, ça commence à faire très long. Je me suis encore laissé entraîner, ma parole. Aucune rigueur, tout dans les « arabesques ». Vous pourriez me le signaler, quand ça se produit ! M'arrêter ! Pourtant, je vous jure, j’essaie de me refréner. Mais à chaque fois, ça y est, le démon me reprend, la digression me tend les bras, et je m’y jette avec emportement. Il ne faudrait pas, avec ça, que l’envie me prenne, un de ces jours prochains, d’enseigner ou de devenir professeur. Vous voyez d’ici la catastrophe ?
Imaginez-moi en professeur qui commencerait sur « Mignonne allons voir … » et qui déboucherait sur le burnous trop vaste de RENÉ CAILLÉ, premier blanc arrivé à Tombouctou. C’était le 20 avril 1828. Il profitait de ses larges manches pour griffonner des notes au crayon sur son petit carnet. Là-dessus, vous avez bien compris que je pourrais embrayer sur les djihadistes actuels d'AQMI qui détruisent des mausolées musulmans. Décidément, l'Islam est de plus en plus énigmatique. Mais ici, comme vous le constatez, je résiste à la digression.
Vous voyez ? Une digression, c’est si vite fait. Presque pas le temps de s’en apercevoir. Je tâcherai donc de m’orienter, pour gagner mon pain, dans une autre branche professionnelle que l’Education Nationale. Cela vaudra mieux pour tout le monde. Si Dieu et le Conseiller d’Orientation n'en décident pas autrement.
Cela donnerait aux rabat-joie de l’anti-France (quand reviendras-tu, Super Dupont ?) une occasion nouvelle de crier au déclin des valeurs, des brosses à dents et du confit de canard. J’éviterai par conséquent de prêter le flanc. De toute façon, je ne suis guère prêteur. Surtout du flanc. Ah si, pourtant : je ne sais plus à quel ami j’ai prêté mon coffret Catalogue d’oiseaux d’OLIVIER MESSIAEN, auquel je tiens tant. Si vous l’apercevez, merci de me tenir au courant.
En revanche, j’ai retrouvé (par hasard) la personne à laquelle j’avais prêté Antiquité du grand chosier d’ALEXANDRE VIALATTE. Et si à ce jour je n’ai pas recouvré mon livre, j’ai du moins retrouvé le sommeil. Conclusion ? J’admire les gens qui, contre vents et marées, savent résister à la digression. Quelle fermeté d’âme est la leur ! Vous avez ci-dessus un compendium de ce qu'il ne faut pas faire, quand on prétend avoir de la fermeté dans l'âme.
Remarquez, je me rappelle les cours du vendredi à 14 heures, avec Monsieur DELMAS, alias Le Baron. C’était, au moins sur le papier, de l’histoire-géographie. Mais c’était une matière qui pouvait aller du montant d’un salaire à consacrer au loyer par un jeune ménage aux souvenirs bretons de vacances de rêve remontant à l’été dernier, en passant par l’immense intérêt qu’il y a pour la jeunesse à apprendre les langues étrangères. Le vendredi à 14 heures, Monsieur DELMAS était le roi de l’ « arabesque » ainsi entendue.
Car, contrairement aux cours qui avaient lieu tôt le matin, la figure de Monsieur DELMAS, à ce moment de la journée, arborait une teinte qui variait, suivant les semaines, et selon les menus et les quantités absorbés au restaurant voisin en compagnie de quelques collègues, du rubescent à peine marqué, au cramoisi le mieux venu, en passant par toutes sortes d’enluminures cuivrées, de pourpres congestifs et de flammes incarnates. Il n’y a pas à en douter, le gras double, le tablier de sapeur et le Chiroubles du patron de « La Meunière », rue Neuve, à deux pas du lycée Ampère, avaient le don d’inciter Monsieur DELMAS à l’arabesque.
LES SALLES D'HISTEGEO ETAIENT AU DERNIER ETAGE, DROIT DEVANT
Promis, après cette « mise en bouche », dès demain, j’en arrive à Tintin.
Voilà ce que je dis, moi.
09:04 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tintin, les aventures de tintin et milou, jeux olympiques, usain bolt, digression, colombophilie, pigeons, christophe colomb, peter falk, columbo, lamartine, rené caillé, tombouctou, mignonne allons voir si la rose, éducation nationale, super dupont, olivier messiaen, catalogue d'oiseaux, alexandre vialatte, antiquité du grand chosier, monsieur delmas, lycée ampère
jeudi, 05 juillet 2012
MA DOSE DE VIALATTE (ET AUTRES FETUS)
On connaît ma prédilection pour la haute littérature qu’on trouve dans les Chroniques de La Montagne, d’Alexandre Vialatte, qui ont la taille de courtes nouvelles et qui, de ce fait, constituent des petites merveilles de « livres pour les cabinets », pour qui a le désir ou l’habitude d’agrémenter ces moments quotidiens passés derrière la porte verrouillée, mais où d'autres verrous, corporels cette fois, se relâchent, pour qui, cependant, tient à maintenir dans son esprit un niveau honorable de maintien intellectuel et de contention morale.
Dans ces « lieux » destinés à accueillir des « nécessités » bien triviales, posséder, sur quelque honnête rayon de bibliothèque, des ouvrages capables d’offrir ainsi quelque satisfaction quintessenciée aux aspirations les plus nobles de l’individu en train de se soulager de sa matière la plus ignoble, tout en s’aérant les parties basses, je n’hésite pas à le dire, constitue l’indéniable marque de la haute considération dans laquelle doit être tenu, non seulement le logement où on le trouve, mais encore la personne qui l’habite.
Parenthèse : « Des gogues et démagogues ».
Cela dit, il est conseillé aux personnes « pressées » de s’enquérir auprès de leur hôte, avant d’accepter son invitation à dîner, de l’existence d’un deuxième « lieu », au cas où la situation l’exigerait. Rien n’est en effet plus disconvenable que de déposer dans un pot de fleurs son « engrais humain » sans demander à la maîtresse de maison si elle a auparavant fait le nécessaire.
J’ai parlé d’un « engrais humain » : il faut savoir qu’ainsi parle Victor Hugo dans Les Misérables : « Tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde » (partie 5, livre 2, chapitre 1, pour ceux qui douteraient).
La suite est toute empreinte de parfums, je dirai même de fragrances délicates et raffinées. Jugez plutôt : « Ces tas d’ordures du coin des bornes, ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues, ces fétides écoulements de fange souterraine que le pavé vous cache, savez-vous ce que c’est ? C’est de la prairie en fleur, c’est de l’herbe verte, c’est du serpolet et du thym et de la sauge, c’est du gibier, c’est du bétail, c’est le mugissement satisfait des grands bœufs le soir, c’est du foin parfumé, c’est du blé doré, c’est du pain sur votre table, c’est du sang chaud dans vos veines, c’est de la santé, c’est de la joie, c’est de la vie ». Victor Hugo est bien le grand prêtre de l’antithèse (dont Chateaubriand lui a montré le chemin). Le Livre II s’intitule « L’intestin de Léviathan » : ça dit bien ce que ça veut dire.
Autrement dit, plus l’humanité produit de caca, plus l’humanité peut se nourrir. Comme quoi on a raison de dire que chez VH, il y a « à boire et à manger ». Est-ce à tort que nous n’éprouvons qu’aversion et répugnance pour ces matières vilipendées par la coutume, et qu’Alfred Jarry appelle les « immondices du corps » ?
Puisqu’on en cause, me revient à l’esprit le « lieu » du 7 quai Lassagne, où le « suivant » devait s’armer d’une très longue patience, ou se résoudre à traverser tout l’appartement à toute vitesse pour trouver refuge et salut dans l’autre « lieu ». La faute à la pile des Tintin hebdomadaires qui offrait son interminable tentation à la personne en train d’ « opérer ».
Me reviennent aussi, en même temps que les plumes de paon que nous ramassions par terre, les « lieux » du château d’Azolette, dans le haut Beaujolais, propriété de la famille Manivet : situés dans un pavillon faisant face à l’imposant bâtiment, de l’autre côté de la grande terrasse, leur lunette était recouverte d’un merveilleux velours, peut-être rouge, mais je ne peux pas le jurer.
MIEUX QU'UNE PAILLOTE SUR UNE PLAGE CORSE, NON ?
(on distingue bien le pavillon en question, au premier plan)
Et pendant qu’on en est aux « mondanités », parlons du château de Joux, en Haute-Loire, dont les gogues ruraux et rustiques (auxquels on accédait en passant dans le petit bois, séparé de la haute et belle terrasse par un haut mur), étaient à deux places, ce qui m’a toujours laissé perplexe, et où l’on pouvait par là observer en direct, six ou sept mètres plus bas, le résultat des activités développées en cet endroit. Je précise que, si je parle de châteaux, ce n’est jamais moi qui y ai habité. « Simple visite », comme on dit au Monopoly.
Fermez la parenthèse.
Promis, je cesse de digresser, et je reviens à mon Vialatte. On le considère le plus souvent (quand on n’ignore pas scandaleusement son existence), comme un humoriste. Or, il faut bien se mettre dans la tête qu’Alexandre Vialatte est tout, sauf un humoriste. Avoir de l’humour ne suffit à personne pour devenir un professionnel de la chose. Alexandre le grand plaçait tout son humour dans la sphère infiniment plus vaste du regard très particulier qu’il portait sur le monde.
L'humour était un élément parmi d’autres dans la vision toute personnelle qu’il avait des choses. Si l’on veut, l’humour faisait partie intégrante de sa « philosophie » de l’existence. Une « philosophie » éminemment pessimiste. Sans espoir dans une hypothétique amélioration de l’espèce humaine. D’où la formule « Le progrès fait rage », disait-il, avant que Philippe Meyer ne popularisât la formule.
Disons que l’humour était, en quelque sorte, l’huile qui permettait au pessimisme de son moteur existentiel de ne pas « casser ». Vous trouverez ci-dessous une jolie petite illustration du pessimisme et de l’humour. Laissez Alexandre Vialatte agiter les ingrédients dans son shaker personnel, et voyez ce que ça donne.
La vérité, c’est qu’on n’a jamais vu pareille docilité des masses. Parce qu’il n’y eut jamais tant de moyens de les conditionner à son gré. L’instruction elle-même y concourt, qui permet à tous les hommes de lire le même journal. L’analphabète était bien obligé d’avoir ses idées personnelles, « de disputer, de juger, de décider par lui-même ». Aujourd’hui, il en croit le prospectus général.
Le prospectus général l’assure qu’il ne cesse de devenir plus libre, plus intelligent et plus fort. Que les siècles se superposent et qu’il y voit, par conséquent, de plus en plus loin. Mais il en va de ce socle hautain comme de celui de ce procureur auquel un avocat disait : « Monsieur l’avocat général, votre position supérieure est une erreur du menuisier ».
On trouve ça dans Les Champignons du détroit de Behring. Le pessimisme, c’est la lucidité sur l’époque qui le produit. L’humour, quant à lui, c’est un choix de vie, une attitude. Pour tout dire, c’est une morale. En plus, Alexandre Vialatte montre qu’il avait ce qu’on appelait au 18ème siècle « de l’esprit ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 18 avril 2012
N'AYEZ PAS PEUR !
Allez, aujourd'hui, je reviens à l'actualité.
J’en ai soupé depuis le début, de l’élection présidentielle, depuis qu’elle a commencé, non, depuis qu’elle a été annoncée, non, depuis que son profil impérieux s’est imprimé au loin sur l’horizon de la « République Française ». Le vainqueur sera-t-il Monsieur MENTEUR EN CHEF (NICOLAS SARKOZY) ? Sera-t-il Monsieur CHAMPION DES BLUFFEURS (FRANÇOIS HOLLANDE) ?
En tout cas, les professionnels du brassage de vent que sont les entrepreneurs de sondages nous le promettent : n’ayez pas peur, ce sera « bluffeur » ou « menteur ». Le premier tour est plié, on vous dit. Moi, je vous le dis, si je votais, ce que je n’ai pas l’intention de faire, j’apporterais ma voix à un des candidats que les sondeurs créditent actuellement d’environ 1 % des voix. C’est vous dire si ce serait un « vote utile ».
Vous aimeriez que je vous dise, hein, bande de curieux. N’ayez pas peur, je vais vous le dire : si je votais, ce serait pour le seul qui ne bluffe pas, même si l’on peut trouver qu’il rêve un peu : NICOLAS DUPONT-AIGNAN.
C’est le seul à ne pas baratiner (avec POUTOU ?). C’est le seul (avec MELENCHON ? Avec LE PEN ?) à mettre à son programme l’abrogation de la loi de 1973, qui oblige l’Etat français à emprunter au prix fort aux banques privées, aux dépens des contribuables, et qui lui interdit d’emprunter à 0 % à la Banque de France. C’est le seul à voir où il reste encore quelques traces de ce qu’on appela autrefois l’aujourd’hui défunte « souveraineté nationale ».
Ceux qui n’en parlent pas, de deux choses l’une : soit ils ignorent totalement ce point, soit ils ne veulent surtout pas toucher au système (rappelez-vous SARKOZY annonçant une grande offensive contre les paradis fiscaux, dont les paradis en question se gondolent encore). En tout cas, quand j’ouvre les écoutilles sur la présente « campagne », ça me les pollue vilainement, les écoutilles, car j’entends du blabla, et encore du blabla.
C’est à qui bonira les plus belles craques de camelot. Pour les gens surpris par « bonira », je rappelle qu’OSS 117, le vrai, celui de JEAN BRUCE, s’appelle, de son « vrai » nom, Hubert Bonisseur de la Bath. Or le « bonisseur » (même racine que boniment), c’est le gars, en général jovial et sympathique, qui est fait (parce qu’il dégoise à merveille) pour vous vendre, sur les marchés, le produit vaisselle miracle, le coupe-légumes miracle, la serpillière miracle. Je propose de traduire la vraie fonction du personnage par la vieille expression : « Vous me la baillez belle ».
Autrement dit : « Mon œil ! ». Et cette campagne, c’est la foire aux bonisseurs de la bath. Quoi, ça a toujours été ? Bien sûr ! Mais ce qui change, aujourd'hui, c'est le côté abyssal du décalage entre les mots et la réalité. Ils ont beau se dire "modernes", les candidats usent (médias à l'appui) de ficelles archaïques. De ficelles usées jusqu'à la la corde, si l'on me pardonne l'expression.
Dans ce flot de blablateries et de trouducuteries, il arrive cependant que les quatre pattes fatiguées de mon œil morne dressent un moment l’oreille, au détour d’une phrase. C’est ainsi que s’est dessiné, sur le champ de labour de ma pauvre face ravinée par les pluies de promesses démagogiques, épuisée du spectacle donné par les deux clowns « principaux » qui s’efforcent, à grands coups de cabinets de communication, de faire rire le public enfantin, infantile et puéril réuni autour d’eux, au choix, sur le parking de la Concorde ou sur le parking de Vincennes, le dernier des rares sourires crispés qu’est arrivée jusque-là à me tirer cette « campagne » (pour ceux qui ont du mal avec cette phrase, "sourires" est sujet du verbe "s'est dessiné").
Ce fut une phrase prononcée par NICOLAS SARKOZY, dimanche 15 avril. C’est d’ailleurs ce qui me fait dire que si le comble du culot et du mensonge cynique portait un nom, ce serait celui de l’actuel président, dont le patrimoine personnel a augmenté, durant son quinquennat, de 600.000 euros (et le pouce). Tudieu, c'était donc ça, le « Travailler plus pour gagner plus » ! C'était donc ça, bugne que j'étais !
Il y eut, rappelez-vous, JEAN JAURÈS, GUY MÔQUET, LEON BLUM et quelques autres. Et là, qu’est-ce qu’il ose sortir ? La première parole qu’ait prononcée JEAN-PAUL II après son élection, place Saint-Pierre : « Non abbiate paoura ! ». « N’ayez pas peur ». Et SARKOZY l’a dit, il a osé le dire, il n’a pas eu honte, puisqu’il n’a tellement honte de rien qu’on peut dire que c’est un « SANS VERGOGNE ». Il a dit : « N’AYEZ PAS PEUR ». Sauf que là, il le dit avant l’élection. Ça laisse un espoir ?
EH, LES MAMIES, IL NE VOUS FAIT PAS PEUR, CE TYPE ?
C’est une démarche assez désespérée, je trouve. Oui, je sais, le but, c’est de donner successivement à toutes les catégories de la population l’impression qu’on s’adresse à chacune en particulier. Mais à force de piocher, de prendre du fourrage sur toute l’étendue de la mangeoire électorale, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche en passant par la religion, vous ne croyez pas qu’à la longue, les électeurs de droite, de gauche, de devant et de derrière vont avoir du « shimmy » dans la vision (capitaine Haddock, Les Bijoux de la Castafiore, p. 50, je tiens à être précis dans le choix et la source de mes références) ?
Du trouble dans le bulletin de vote ? Du pêle-mêle dans la réception du message ? A force de vouloir représenter à lui tout seul l’intégralité de l’offre électorale, tout ce qu’il réussit à faire, NICOLAS SARKOZY, c’est de transformer la campagne en hypermarché. Pas sûr que la demande suive, parce qu’à la longue, ça finit par gaver. N’ayez pas peur. NICOLAS SARKOZY, quoi qu’il arrive, continuera à FAIRE SEMBLANT de s’occuper de tout.
Voilà ce que je dis, moi.
A finir demain.
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vendredi, 09 mars 2012
KROMDA RIPALO PATA KOKOKO
« ARTHUR, TU TRAÎNES SUR PATAKOKOKO »
Tout le monde civilisé connaît évidemment, j’espère, la chanson chantée par les jeunes éléphants de Célesteville, sous la direction de Cornélius le sage :
Patali di rapata,
kromda kromda ripalo,
patapata kokoko.
Pas besoin de mettre la musique, sans doute, tout le monde a ça dans l’oreille. Même que le vieux Cornélius reprend l’inattentif en l’apostrophant : « Arthur, voyons, tu traînes sur pata kokoko ». On reconnaîtra que ce cantique traditionnel de l’église enfantine vaut celui que chantent en cadence cinq nègres, dans la pirogue où Tintin (Tintin au Congo, p. 35, pour être précis) et le Père Blanc, des Missions Africaines, sont montés :
U-élé-u-élé-u-élé
ma-li-ba ma-ka-si.
De patakokoko à la musique contemporaine, vous avez déjà compris qu’il n’y a qu’un pas à franchir, et que telle est bien ici mon intention : le franchir. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.
ONDREJ ADAMEK était à l’honneur, lundi 5 mars, sur France Musique. Compositeur sympathique, jeune au demeurant, ONDREJ ADAMEK est sûrement quelqu’un de très savant, comme tous les musiciens qui jouent sa musique. Mais il y a dans cette musique quelque chose qui me chiffonne : je vois, comme s’ils étaient devant moi, des gens assis dans des tenues très protocolaires, certes, mais très « chic ».
Ils sont tous sûrement très savants. Comme dans un salon distingué, le soir d’une réception mondaine, ils échangent des propos sensés sur un ton, feutré ou non, mais toujours élégant, en trempant parfois leurs lèvres dans leur coupe de champagne. Nous sommes dans une cérémonie, un concert, comme on dit. Il y a du cérémonial dans tout concert.
Et ces gens très distingués, au concert, ne parlent pas, mais ils émettent des sons en agissant sur des instruments dits de musique, en soufflant, en frappant, en frottant. Ce qui me saute aux yeux, c’est l'OPPOSITION entre ce que je vois et ce que j’entends. Et ce qui me prend, tout d’un coup, c’est une irrépressible envie de RIRE. La scène m’apparaît soudain du plus haut comique.
Je vais essayer de transcrire la conversation : « Pouet pouet ! – Chhhh ! – Zing ! – Hin Hin Hin ! – Ouah ? – Prout ! – Cui cui ! – Patakokoko ». Et ça dure un quart d’heure, peut-être même plus. A la fin, tout le monde est à bout d’argument, donc « le combat cessa faute de combattants ». Alors, pour les départager, le public applaudit. Je caricature, évidemment, mais je vous assure que c’est à peu près ça. Ce fut un concert de musique contemporaine.
Ça me fait penser à une très ancienne bande dessinée de SEMPÉ, où l’on voit, pareil, mais autour d’une table, des messieurs très sérieux, guindés, émettre des onomatopées du genre : « Grimph ! Chlouch ! Flaps ! », et comme ça pendant un bon moment. Tout le monde a la mine grave.
Jusqu’à ce que l’un d’eux sorte : « Zgrouitch ! ». Là, tout le monde se met à sourire et à applaudir. La dernière image montre des murs de ville couverts de gigantesques affiches vantant les mérites du dentifrice révolutionnaire « Zgrouitch ». L’avant-dernière image de la bande a d’abord montré les dignes messieurs qui sablent le champagne pour fêter la mise au point finale de la campagne publicitaire du dit dentifrice. Voilà.
La musique d’ONDREJ ADAMEK, c’est l’équivalent d’un dessin humoristique de SEMPÉ : on dirait qu’il s’agit de déclencher le rire de l’auditeur par l’opposition, disons même l’incompatibilité entre, d’une part, le visible, l’immense sérieux et l’incomparable professionnalisme d’une vingtaine de musiciens passés par les plus hautes écoles et les plus prestigieux conservatoires, et d’autre part, l’audible, j’ai nommé le GAG AUDITIF permanent que constituent les sons qu’ils font sortir de leurs instruments. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’ONDREJ ADAMEK serait content d’apprendre qu’il a composé de la musique comique.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
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vendredi, 20 janvier 2012
TÊTE DE LOUIS XVI ET PENDULE DES JORASSES
Aujourd’hui, ça part d’assez loin. Mais je vous promets que j’y arrive, à mon sujet du jour. LAO-TSEU l’a dit : « La rivière de la vérité ne craint pas les méandres de la pensée qui déverse son eau de vaisselle à gros bouillons dans la mer des Sargasses à l’époque de la reproduction des anguilles qui en sont très friandes ». Après un truc pareil, je crois que j’ai mérité quelques minutes de repos, rien que pour le plaisir de contempler. Je me dis que FREDERIC DARD devait faire pareil après une page bien sentie sur Bérurier.
Alors voilà, bon, ça commence. Quand on sort de la gare du Montenvers et qu’on regarde vers le fond de la Vallée Blanche, on repère immédiatement la grande barrière rocheuse qui sépare la France de l’Italie. Cela s’appelle Les Grandes Jorasses. Respect. La pointe la plus à gauche (c’est-à-dire à l’est), c’est la « Walker » (4200 et des poussières).
LES GRANDES JORASSES
AU-DESSUS DE LA VALLEE BLANCHE
Il y a des gens, on se demande pourquoi, qui ne rêvent que d’une chose : arriver au sommet. Les plus cinglés d’entre eux ont tracé sur une photo de la face nord (côté Chamonix, celle qu’on voit) une ligne droite qui part d’en bas et arrive en haut. Quelques-uns sont parvenus à la suivre. Ils sont fous, ces Romains !
Mais on n’est pas là pour parler d’alpinisme. La voie directe comporte une particularité particulière : le « PENDULE ». Qu’ès aco ? Tout le monde connaît le professeur Tryphon Tournesol : « Un peu plus à l’ouest » est dans toutes les mémoires.
Un pendule, c’est un petit objet chargé de graviter au bout d’un fil, et dont les mouvements donnent aux initiés des informations très claires et très mystérieuses. Sur quoi ? Je répondrai que ça les regarde. Approchez voir un pendule d’une télévision (cathodique), et vous verrez la samba, plus la lambada, plus la bossa-nova ! C’est magique ! Mieux que le Carnaval de Rio.
Dans la paroi rocheuse dont il est question, le pendule, ça veut dire qu’arrivé en un certain point, tu installes la corde une longueur (30 mètres) au-dessus. Tu redescends. Tu te lances alors dans un joli balancement pendulaire. Tu prends pied sur une vire située latéralement un peu plus loin, mais juste dans l’axe vertical de la voie. A ce moment-là, réfléchis bien avant de commettre l’irréparable : tu récupères la corde !
On suppose que tu sais ce que tu fais. Parce qu’à partir de là, toute retraite est coupée, même en rappel. Ce n’est plus le temps d’avoir des regrets. Une seule solution : sortir par le sommet. Aucun retour en arrière n’est plus possible. Ça veut dire qu’il faut être vraiment sûr de toi et du copain de cordée. Ça veut dire qu’il faut oser. Voilà, c’est ça, le « pendule ».
Un certain Agathocle (Ἀγαθοκλῆς, on est en 311 avant « le » J. C.), qui menait une guerre contre Carthage, avait fait preuve de la même détermination en débarquant de Sicile sur la terre africaine : pour montrer à ses hommes qu’il avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout, il avait fait brûler les vaisseaux qui les avaient conduits jusque-là, rendant tout retour impossible. Agathocle est sorti des mémoires, mais l’expression « brûler ses vaisseaux » est restée. C’est la même chose que le « pendule des Jorasses ».
J’allais prendre, comme troisième exemple, celui de l’homme qui, après avoir bien fixé la corde au crochet du plafond, fait tomber la chaise sur laquelle il est monté et qui reste pendu par le cou, mais s’il y a des enfants qui lisent ce blog, je ne voudrais pas risquer qu’on me fasse des reproches, alors je n’en parlerai pas (les rhétoriciens attentifs auront noté ici une prétérition). Cela n’empêche pas que le principe est toujours le même : quand tu n’a plus rien à perdre, tu te débrouilles pour te couper tout espoir de retraite. La chaise qui tombe, c’est le « pendule des Jorasses ».
Le 21 janvier 1793, c’est le geste fou qu’elle a fait, la Révolution française. Elle s’est élancée vers la Walker des Jorasses. Elle a « brûlé ses vaisseaux ». A-t-elle fait tomber la chaise ? C’est beaucoup moins sûr. C’est vrai que la décision s’était prise quelques jours avant, exactement le 17, à 21 heures : « La peine prononcée contre LOUIS CAPET est celle de mort ». C’est VERGNIAUD qui parle.
LOUIS, SEIZIEME DU NOM
Il faut dire que, comme c’est lui qui préside la « Convention », c’est à lui d’annoncer. Ils ont été 334 à s’opposer à la condamnation à mort. Mais depuis que c’est la majorité des voix qui emporte la décision (ça ne fait pas très longtemps, vérifiez), ils ne peuvent rien contre les 387 régicides.
Il est vrai que le scrutin est entaché de divers soupçons de fraude (achats de voix (déjà !), marchandages, tripatouillages divers). Il faudra en organiser un second, le lendemain. Le résultat est beaucoup plus serré : 361 contre 360. Il n’empêche, c’est bien la majorité plus une voix qui l’emporte. Le 21 janvier 1793, le roi de France, LOUIS, seizième du nom, est donc exécuté sur la place qui n’est pas encore « de la Concorde ».
Alors on me demandera peut-être comment, en partant des Grandes Jorasses, j’arrive à l’exécution de LOUIS XVI. C’est une bonne question et je vous remercie de l’avoir posée. Je réponds benoîtement que c’est la même chose. Mais si ! A partir du 21 janvier 1793, toute retraite est coupée. Il ne sera plus jamais possible de faire comme si on ne lui avait pas coupé le cou suivant le pointillé, à CAPET. Cela fera demain 219 ans que cet irréparable s’est accompli.
Ce soir, messe royaliste à l’église Saint Denis de la Croix-Rousse, rue Hénon, à 18 heures trente.
Voilà ce que je dis, moi.
Suite et fin demain.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lao tseu, frédéric dard, bérurier, grandes jorasses, alpinisme, chamonix, vallée blanche, professeur tournesol, tintin, carnaval de rio, pendule, agathocle, louis 16, louis xvi, le roi, révolution française, régicide, royaliste
jeudi, 22 décembre 2011
B. D. DANS L'EAU : MAURICE TILLIEUX
Suite et fin.
Résumé : MAURICE TILLIEUX, le créateur de Gil Jourdan, est un cinglé de bagnoles.
Mais la véritable trouvaille de TILLIEUX, ce sont deux personnages dont on ne retrouve nulle part les équivalents. J’ai nommé Libellule (surnom d’André Papignolles, dont les doigts ouvrent les coffres-forts rien qu’en soufflant dessus) et l’inspecteur Crouton (une merveille de policier doté d’une moustache rousse qui dépasse le poids maximum autorisé). Sans eux, on n’a plus que l’enquête sèche du détective.
Vous avez forcément remarqué que Tintin, à lui tout seul, est triste à mourir. En tout cas, il n’est pas sympathique. Aucun gag à attendre de sa part. Pas la plus petite pointe d’humour. Le héros de l’histoire n’est pas fait pour être drôle. Pourquoi croyez-vous qu’HERGÉ lui adjoint les Dupondt, Archibald Haddock, le capitaine au long cours et Tryphon Tournesol, le savant lunaire ? On pourrait encore citer l’infernal Abdallah, Séraphin Lampion, des assurances Mondass, la divine Bianca Castafiore, « rossignol milanais » gazouillant jusqu'à plus soif son : « Ah je ris de me voir si belle en ce miroir ».
Eh bien c’est la même chose avec Libellule et Crouton, à ceci près qu’ils apparaissent dès la première aventure de la série « Gil Jourdan ». C’est même la première image du premier album : Libellule s’évade. Avec la suite et la fin de l’aventure dans Popaïne et vieux tableaux, je le tiens pour le meilleur de la série. Pour une raison très simple : TILLIEUX a peaufiné les répliques jusque dans les recoins. Je vous préviens, si tout ça vous paraît bien plat, c’est juste parce que c’est sorti de son contexte, et que vous n’avez pas les images.
Les meilleures sortent de la bouche de l’inspecteur Crouton. Libellule, c'est le gros lourd qui sort au kilomètres des blagues épaisses comme l'Encyclopédie de Diderot. La première réplique de Crouton figure au centre de la cinquième planche. Il vient d’être semé par la voiture de Gil Jourdan, déguisé en taxi, qui a pour seule intention de faire évader Libellule, l’as des coffres-forts.
Crouton entame sur les trottoirs un 400 mètres haie, qui le fait atterrir dans un fût de goudron. L’ouvrier du chantier, perplexe et compatissant, lui demande : « Vous êtes tombé dedans ? ». Crouton, dégoulinant de liquide noir, répond, sublime : « Non ! J’y habite !!! ».
Bredouille et penaud devant son supérieur, celui-ci lui demande : « Somme toute, vous êtes dans une impasse ? – Une impasse sans issue dont on ne peut sortir. Oui, chef ! ». C’est-y pas mignon ? Et je ne parle pas de la note de frais de vingt kilos de beurre pour enlever le goudron du costume de Crouton : « Vingt kilos de beurre sur un crouton, pouah, c'est du gaspillage !!! ».
Muté aux stupéfiants après son exploit, Crouton doit partir en mission en Italie. Son nouveau chef lui demande : « Parlez-vous italien ? ». Réponse de Crouton, je n’invente rien : « Je n’en sais rien, chef, je n’ai jamais essayé ».
Nouvelle poursuite sur le bateau italien, qui finit devant le commandant. Crouton a eu le temps de faire des dégâts. Une femme apparaît : « C’est lui ! Il a jeté une bouteille de lait à la tête de la mère de mon enfant ». Un homme : « Il m’a frappé au visage avec les pieds ».
Crouton est remis à la police italienne : « Ai-je l’air d’un fou ? Je vous le demande ! ». Réponse du flic : « Le commissaire en décidera ». Bon, c’est vrai, ce n’est pas encore signé MICHEL AUDIARD, mais je trouve ça bien.
Enfin, MAURICE TILLIEUX n’aime pas la peinture contemporaine. Il lui règle son compte à plusieurs reprises. C’est Libellule qui ouvre les hostilités : tombé dans un atelier sous les toits, il lance au peintre, avant de s’esbigner pour éviter de recevoir en pleine figure le pot de peinture rouge que celui-ci lui jette à la figure : « Dites, c’est joli ce que vous faites ! Si vous y pensez, gardez m’en un kilo avec le sens dans lequel ça doit être mangé ! ».
Ça continue dans le château, entre le chef des trafiquants et le bandit qui lui procure la drogue. Le premier montre fièrement sa galerie d’art : « Savez-vous que ces hommes ont travaillé cinquante ans et plus pour arriver à ça !! – Zut ! On ne le dirait pas ! ».
On terminera ce panorama sur deux vignettes montrant Libellule aux prises avec les notions d’art contemporain qu’il est obligé d’ingurgiter. Il faut dire qu’il doit remplacer Oblap Ossapip à la grande réception du châtelain trafiquant et amateur d’art : « La peinture surréaliste crée une relation immédiate de l’homme avec lui-même ».
Et juste après : « Non mais, mon pote ! Faut lire ça ? Tu prends de la couleur, tu la colles sur une toile, et ça devient sans rire : "Le caractère ésotérique et sublime de son essence désintègre l’homme et le recrée dans sa totalité" ». Je suis assez d’accord avec Libellule : l’art contemporain est ce qu’il est, mais la sauce de langage qui sert à lui donner du « sens », et plus sûrement à le vendre, vaut son pesant de caca d’oie.
Je ne reviens pas sur Oblap Ossapip (remis à l’endroit, ça donne palbo pipasso), dont j’ai parlé il y a quelques jours, à propos, justement, de l’art contemporain. Son remplacement par Libellule donne lieu à deux pages savoureuses, où TILLIEUX se paie la fiole, principalement, des « amateurs », tous des snobs, selon lui, prêts à avaler toutes les fadaises intellos qu’on leur vend, par exemple sous le nom de « pré-néo-progressisme » (dans la bouche du critique Adhémar de Lamarche de Lescalier de Lacave).
Voilà ce que je dis, moi.
09:04 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : neuvième art, bande dessinée, maurice tillieux, gil jourdan, hergé, tintin, les dupondt, capitaine haddock, tournesol, la castafiore, séraphin lampion, libellule, inspecteur crouton, michel audiard
mercredi, 21 décembre 2011
B. D. DANS L'EAU: MAURICE TILLIEUX
Attention, ce billet ne s’adresse qu’à des amateurs. Des vrais. C’est de BANDE DESSINEE qu’il s’agit. La Bande Dessinée, c’est pour moi comme la potion magique pour Obélix : je suis tombé dedans quand j’étais petit. Trois hebdomadaires se disputaient ce qu’on n’appelait pas encore le « marché » : Tintin, Spirou, et plus tard, Pilote, avec son « pilotorama » central.
Vous avez évidemment compris le titre : B. D. dans l'eau ? Mais parce que ça fait des BULLES, voyons !
J’achetais scrupuleusement mon « hebdomadaire illustré » au magasin de journaux de la place Croix-Paquet. J'achetais les albums chez le monsieur du péristyle de l'Opéra. S’il y en avait 150 publiés dans l'année, c’était le maximum. Aujourd’hui, la BD a changé de planète : 1.500 albums par an. A l’époque, l’amateur pouvait acheter TOUTE la production.
Ceux qui ont fréquenté les WC du 7, quai Lassagne, au fond de l’étroit couloir à droite, la porte en face de la chaudière, se souviennent qu’il valait mieux, en cas de besoin, passer avant quelqu’un, car pour passer après, ça risquait de mal se passer, vu la hauteur de la pile des Tintin qui s’élevait sur la petite table contre la fenêtre. Je salue les très rares privilégiés qui ont connu cet auguste lieu.
Et vous pouviez toujours protester. On savait quand on entrait, personne n’aurait pu prévoir quand on sortirait. Il était donc prudent d’anticiper. Au risque de faire patienter le suivant au-delà du raisonnable. Il ne faut jamais être le suivant. JACQUES BREL nous a suffisamment prévenus.
J’étais fasciné par Timour, moins par Le Chevalier blanc, Monsieur Tric ou Prudence Petitpas. Mais je ne perdais aucune « histoire de l’oncle Paul ». A l’époque où le « jeu des mille francs » sélectionnait ses candidats à coups d’enveloppes qu’on trouvait en résolvant une énigme, j’eus mon heure de gloire à la table familiale en répondant du tac au tac à une question de ROGER LANZAC : « A quoi devait servir le fardier de CUGNOT ? ». Cette gloire fut aussi imméritée qu’éphémère : j’avais lu la réponse dans une « histoire de l’oncle Paul ». Ah, vous pensiez que je vous la donnerais, la réponse. Eh bien, détrompez-vous. Ça se mérite.
Je pourrais parler des aventures de Blake et Mortimer, ou d’Alix et Enak. Pour Tintin et Milou, Spirou et Fantasio, Astérix et Obélix, il y a trop de monde sur le créneau. Et c’est bien connu, je n’aime pas Lafoule. Sébastien Lafoule. Vous connaissez sûrement : « Etourdie, désemparée, je reste là, Quand soudain, je me retourne, il se recule, Et Lafoule vient se jeter entre mes bras » (je cite de mémoire, pardon pour les approximations). Je ne peux pas blairer Lafoule.
Je vais parler de Gil Jourdan. Le héros du grand MAURICE TILLIEUX. Je sais, en ces temps de féminisme affûté, triomphant et moderne, ce genre de personnage est complètement racorni, si ce n’est carbonisé. Il y eut, dans le temps, le « Virginien ». Tout le monde a oublié ce héros de OWEN WISTER, qui fut pourtant le prototype du cow boy blanc, blond, aux yeux bleus, sans peur et sans reproche, et toujours propre sur lui.
Les versions actuelles du Virginien s’appellent Alpha (version CIA, dont les trois premiers albums sont une petite merveille de scénario), Largo Winch (version « le milliardaire justicier », une variante de « j’ai même un ami juif, le problème c’est qu’il est très riche ») ou Larry B. Max (version « redresseur de torts fiscaux », à qui le téléphone de charme de Gloria Paradise coûte des fortunes). Le blanc blond aux yeux bleus se porte encore très bien.
Gil Jourdan n’est pas un Virginien, c’est un licencié en droit. Il n’a pas froid aux yeux, son costume et son brushing sont toujours impeccables, et il survit à tout. Ce n’est donc pas de ce côté qu’il faut chercher l’intérêt : plus stéréotypé, tu meurs. L’intérêt, je le vois d’abord dans les bagnoles, et les diverses mésaventures dans lesquelles MAURICE TILLIEUX les plonge, et parfois au sens propre.
A tout seigneur tout honneur, la Facel Vega de La Voiture immergée. Il y en avait une qu’on trouvait souvent garée sur le quai Lassagne. Une gueule de fauve à la gueule ouverte, qu’on retrouve dans L’Ouragan de feu, de JACQUES MARTIN, dans le camp des méchants, mais je parlerai des « Lefranc » une autre fois.
Il y a la Dauphine des Cargos du crépuscule. Il y a la Dino (Ferrari) de Carats en vrac, et surtout l’hallucinante course à laquelle les deux malfrats et le héros se livrent sur les toits des immeubles parisiens, et qui finit dans le monte-charge de l’immeuble en face. Il y a le magnifique accident du Gant à trois doigts, avec Crouton et Libellule en places arrière et en responsables du crash. Enfin bref, MAURICE TILLIEUX est un peu dingue de bagnoles. Mais il n’y a pas que ça.
Il y a aussi les scénarios. Par exemple, je ne sais pas comment TILLIEUX a pu imaginer le meurtre que voici. L’arme du crime ? Des puces. Vous simulez des travaux sur une conduite de gaz, sur le trottoir. Vous introduisez les puces dans la maison, après vous être assuré que la victime porte un pull en synthétique. Vous actionnez le gaz. La victime, attaquée par les puces, veut enlever son pull. L’électricité statique fait tout péter. Bon, c’est vrai, je trouve aussi que c’est tiré par les cheveux.
Qu’on se le dise, TILLIEUX aime bien tirer ces cheveux-là. Dans Les Cargos du crépuscule, il imagine un médecin qui greffe sur un malfrat emprisonné des muscles de sauterelles géantes, qui permettent son évasion spectaculaire. Dans Pâtée explosive, son savant fou a inventé un rayon qui transforme en chaleur et lumière celui qui a mangé de sa nourriture spéciale. Des horreurs !
Et puis, il y a des lieux formidables. Dans La Voiture immergée, c’est la Tour du Prieur, tout au bout du Pas-du-Malin (huit kilomètres : « Tombez pas en panne », dit le gendarme ; ben si, ils tombent justement en panne). Dans Les Cargos…, déjà cité, il y a ce cimetière de bateaux plus glauque et lugubre qu’au naturel. Dans Surboum pour quatre roues, ce sont les Causses et la rivière transformée en torrent, en bas dans la vallée. Et ce bagne sans barbelés, au milieu du désert de Xique-Xique ! Grandiose. Et cette improbable « abbaye des moines rouges » ! On pourrait dire comme Superdupont à propos des pâtes françaises : « 98 % : rien que du bon ; 2 % : sel ».
Bref, MAURICE TILLIEUX soigne ses décors, s’il est parfois un peu léger sur le scénario. On ne croit pas deux minutes à celui du Chinois à deux roues (le héros en maillot de corps dans l’Himalaya), mais les effets se succèdent sans mal, et on suit.
Voilà ce que je dis, moi.
Suite et fin demain.
lundi, 19 décembre 2011
PETITE HISTOIRE DU DESASTRE (2)
Résumé : je ne vois que ce que je sais, et je ne fais que ce que j’ai appris (proverbe telugu).
La transparence a disparu lorsque les peintres ont cru dur comme fer saisir le monde « tel qu’il était », au moment où il était. Autrement dit, l’illusionnisme a été à son comble quand il a changé de camp. Avant, les peintres savaient qu’ils étaient des prestidigitateurs, qu’ils étaient capables de faire apparaître la nature dans le salon, sur le mur en face de la cheminée. On les admirait pour ça. On peut appeler ça de l’humilité (voire de l’orgueil). Ou de la lucidité.
Et puis les photographes sont arrivés, l’index appuyé sur un bouton, qui ont confisqué la transparence à leur unique profit et usage. Alors, les peintres se sont drapés dans leur dignité, bouffis d’orgueil. Ils sont devenus opaques. Leur personne a commencé à compter. La vitre est devenue un écran. Qu’est-ce que la photo leur laissait ? Du coup, les impressionnistes ont attiré l’attention sur la façon d’appliquer les couleurs, et fait de l’artiste un personnage, au prétexte qu’ils introduisaient sur la toile le MOMENT. Ah, le moment !
Alors c’est vrai, ils avaient des arguments à faire valoir. Et des arguments techniques, s’il vous plaît. Assumés. Mine de rien, ils ont jeté à la poubelle la ligne, la surface, le modelé, le dégradé. C’est vrai, ça, quand tu regardes Le Bassin d’Argenteuil, de CLAUDE MONET, mais que tu le regardes de vraiment près, tu ne vois plus rien. Rien que des taches de couleur séparées les unes des autres. La peinture a divorcé du dessin. Pourquoi croyez-vous qu’on les a méprisés, quand on a vu ce qu’ils faisaient ? Pour l’unique raison qu’ils balançaient l’Académie comme un détritus.
Certains ont ensuite appelé ça « divisionnisme ». Je veux bien. Moi, je dirais volontiers que les impressionnistes ont inventé le PIXEL. L’impressionnisme est l’ancêtre du numérique en image. C’est lui qui a ouvert la voie. Et je ne parle pas de SEURAT : jetez seulement un œil, mais de très près, sur Un Dimanche d’été à la Grande-Jatte ou sur Le Cirque, vous m’en direz des nouvelles. Mais c’est un extrémiste, on a même appelé ça « pointillisme », à force d’être pointilleux.
Donc de près, vous ne voyez aucun « sujet ». Pour le distinguer, il faut prendre un peu de recul. C’est là que la transparence se recompose, c’est là qu’on a la Seine, l’ombrelle, la meule, la cathédrale de Rouen. Les impressionnistes, finalement, ils n’ont pas rompu avec la nature. Seulement avec l’Académie. Alors même que c'est une peinture savante, peut-être seulement un peu plus « scientifique ».
Ça veut dire une chose : les impressionnistes ne cherchent pas à rendre « la chose, mais l’effet qu’elle produit » (ça c’est MALLARMÉ qui l’a dit, autour de 1860, pour dire que ça remonte). Non la chose, mais l'effet. Elle est là la rupture. Ils intellectualisent, quoi. Ben oui, c’est qu’une peinture comme celle-là, il faut du raisonnement pour y parvenir.
On est en route vers l’abstraction. Je ne dis pas pour aimer les impressionnistes, puisque tout le monde les aime, mais pour les comprendre, il faut de la pensée. Contrairement à ce qu’on pense, ça demande un effort. Et à l’arrivée, finablement (comme on disait chez moi), ils ne sont pas si épastrouillants qu’on le dit.
En délaissant le modelé, le dégradé, la ligne, les impressionnistes ont eu l’impression de casser la vitre qui s’interposait encore entre l’œil et la nature. En fait, ils ont posé la première pierre d’un mur de séparation. Celui sur lequel le Capitaine Haddock se casse le nez dans Les 7 boules de cristal.
L’effet principal de l’impressionnisme sur la manière de peindre est de rompre avec le continu de la nappe de couleur, qui avait prévalu jusqu’à eux. Ce que certains appellent « décomposition lumineuse ». Et dans le fond, ce n’est pas grand-chose. Je sais qu’il y a des précédents, mais ça reste disséminé ici ou là. Après les impressionnistes, cette manière s’impose et se généralise. Irréversible. C’est une vraie catastrophe, qui s’est appelée plus tard « modernité ».
On peut dire que le peintre impressionniste hésite encore à sauter le pas. Il met un pied dans le sable mouvant de la rupture (le divisionnisme), mais il garde l'autre dans la glèbe grasse de la tradition (la représentation du réel). J'aime bien donner dans la métaphore bien lourde, de temps en temps. C'est rigolo, non ? C'est aussi ce qui fait de tous les amoureux de la peinture impressionniste des aventuriers timorés, des explorateurs en pantoufle, des révolutionnaires conservateurs.
Aimer la peinture impressionniste, c'est, dans le fond, ne pas s'opposer à la « marche vers la modernité », tant que celle-ci ne fait pas « table rase du passé ». C'est « aller vers l'ombre » sans « lâcher la proie ».
Car dans la modernité, au diable la transparence et l’illusion. C'est fini. Adieu, veaux, vaches et tout ce qui va avec. Qu’on se le dise : l’artiste devient un homme libre. Il a su « s’affranchir » de la réalité. Même que ANTONI TAPIES a publié un livre intitulé La Réalité comme art. Il s’est montré capable de « transgresser » le « pacte » de la représentation.
Il prend sa toile pour ce qu’elle est : une toile, une page blanche, sur laquelle il peut projeter n’importe quoi. C’est là que la peinture devient sa propre fin. L’impasse, quoi. « Une impasse sans issue dont on ne peut sortir, oui, chef ! », déclare l’inspecteur Crouton dans le magnifique Libellule s’évade, BD de MAURICE TILLIEUX. L’artiste est artiste parce qu’il a décidé que c’était comme ça. Il fait ce qu’il veut. Il est libre, Max. La toile est devenue un but en soi, le mur du fond, l’horizon bouché, l’absence d’au-delà. L’artiste y projette sa dimension restreinte.
Alors, vous avez CEZANNE avec sa Sainte-Victoire découpée en quadrilatères, vous avez DERAIN, qui schématise en couleurs unies un paysage avec sa perspective, mais sans son volume (La Côte d’Azur près d’Agay), vous avez BRAQUE, et les cubes de ses Maisons à l’Estaque. Bref, vous avez toute la MODERNITÉ. Et ça se passe après la rupture et la décomposition impressionnistes.
Une fois que vous avez « déconstruit » la méthode, que vous l’avez pulvérisée et réduite à ses composantes, les artistes vont pouvoir piocher dans cette sorte de bibliothèque, en extraire un élément, et faire carrément de cet élément un style, qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Par exemple, FERNAND LEGER parle des lignes, formes et couleurs comme des « trois grandes quantités plastiques ». Eh oui, c’est comme ça qu’on parle.
Ça peut être la géométrie perpendiculaire (MONDRIAN), la ligne courbe (GEORGES MATHIEU ou CY TWOMBLY, vous savez, celui du tableau « souillé » par le baiser amoureux d’une visiteuse, à Saint-Etienne, il me semble), le dessin (les gribouillons enfantins de DUBUFFET), la surface (par exemple SIMON HANTAÏ), la couleur (MARC ROTHKO, YVES KLEIN), la matière (ANTONI TAPIÈS). On n’en finirait pas.
KAZIMIR MALEVITCH a pu peindre Carré blanc sur fond blanc. Même qu’il a appelé ça « suprématisme ». PIERRE SOULAGES a pris le contrepied en appliquant du noir sur du noir. Il paraît (on me l’a dit) que c’est très très fort. Si on le dit, ce n’est pas moi qui vais contredire.
Et ne me parlez pas de PABLO P., l’opportuniste en chef de la peinture moderne, qui payait ses restaurants en signant la nappe pour la plus grande joie du patron. Ce despote cynique gardera toujours à mes yeux les traits et le nom que le même MAURICE TILLIEUX lui a donnés dans Popaïne et vieux tableaux (la suite du précédent) : OBLAP OSSAPIP (très jolie trouvaille). PABLO P. n’est finalement qu’un grossier éjaculateur : de la vitalité à en être malade, mais pas de morale. Exactement comme un certain DSK.
Et encore heureux êtes-vous si vous êtes épargné par l’œuvre qui exige la participation du spectateur ; ou bien l’œuvre d’ « art brut » (les productions des fous, mais aussi de GASTON CHAISSAC) ; ou encore l’œuvre d’ « art pauvre » (KOUNELLIS, MARIO MERZ, PIERO MANZONI).
Une mention spéciale pour MANZONI, oui, celui-là même qui a rempli, en 1961, des boîtes de conserve avec sa propre merde, boîte que des « amateurs » ont achetées, même qu’aux dernières nouvelles, 50 ans après, ils ont un souci à cause de l’oxydation du métal, et que je leur souhaite bien du plaisir.
Je leur suggère de se mettre à table, avec un ouvre-boîte, une tartine de pain, et un couteau pour étaler. Après avoir regardé la date de péremption. On ne sait jamais. La merde peut avoir tourné. Pourvu que la direction des fraudes et l’agence de santé des aliments ne viennent pas y mettre leur nez. D’ici qu’ils les obligent à partager.
Remarquez, je dis du mal, mais c'est une question d'époque. Car c'est en 1962 que BEN (VAUTIER) a exposé un gobelet de son urine. On a fait mieux depuis, avec je ne sais plus qui et sa "machine à déféquer".
Mentionnons pour mémoire l’œuvre de JOSEPH BEUYS, l’artiste qui incorpore à ses oeuvres toutes sortes de matériaux organiques (jusqu’aux poils et rognures d’ongles).
Bref, comme disait GEORGES POMPIDOU : « Passées les bornes, y a plus de limites ».
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 17 décembre 2011
CHE FARO SENZA BEETHOVEN ?
Vous avez certainement identifié la formule qui me sert de titre. Oui, c’est de la parodie. Moi, j’ai simplement mis BEETHOVEN à la place. A la place de quoi, blogueur impertinent ? Alors vous n’avez pas reconnu ? C’est la phrase qui fut « traduite » en français par : « J’ai perdu mon Eurydice ». On trouve ça dans l’opéra bien connu de CHRISTOPH WILLIBALD GLUCK, Orfeo ed Euridice. Si le traducteur avait été sérieux, il aurait fait dire à Orphée : « Que vais-je faire sans Eurydice ? ».
Cette bêtise me fait penser à ce que chante Philémon Siclone dans Les Cigares du pharaon : « Sur la mer calmée ». Ça, c’est dans Madame Butterfly, de GIACOMO PUCCINI. C’est supposé traduire, à l’acte II : « Un bel di, vedremo Levarsi un fil di fumo Sull’estremo confin del mare » (si j’ai bien compris : "un beau jour, nous verrons monter une volute de fumée aux confins extrêmes de la mer"). Bon, je sais bien : traduire, c’est trahir, mais quand même.
C’est vrai qu’à la page 41, Philémon Siclone entonne : « Non, mes yeux ne te verront plus ». Alors là, c’est une autre paire de manche, parce que, si on connaît le Benvenuto Cellini de HECTOR BERLIOZ, qui est au courant qu’un certain EUGENE-EMILE DIAZ DE LA PEÑA en a aussi écrit un ? C’est tiré de là. Il n’y a pas à dire, HERGÉ était vraiment très fort.
Donc, pour revenir à BEETHOVEN, je voulais dire que mon pote FRED, d’abord, c’est mon pote. Ensuite, il travaille dans la technique. Yapadsométié, comme on dit sur les bords de la rivière Saskatchewan. Mais c’est vrai qu’il touche sa bille dans sa partie. En plus, les Quatuors de LUDWIG VAN BEETHOVEN n’ont aucun secret pour lui.
Alors ça, ça me va particulièrement bien. A ce titre, on est carrément sur la même longueur d’onde. Même qu’on a assisté à l’intégrale, il y a deux ans, donnée par le quatuor AURYN. Six concerts majestueux et grandioses. Six voyages extraterrestres. Merci à la fusée de JEAN-FREDERIC SCHMITT.
Même si le public m’a un peu gâché la fête. Tirons un trait rageur sur les catarrhes tubaires. Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Je parle des « bis ». Quelle idée, aussi, quand le concert est fini, de taper dans les mains pour demander quelque chose en plus. Quoi ! Ils viennent d’entendre quelques chefs d’œuvre tout droit sortis du paradis, et qu’est-ce qu’ils font ? Ils trouvent le moyen de taper dans les mains en cadence pour réclamer, que dis-je, pour exiger quoi ? Un bis ! Ils étaient au paradis, et ils veulent s’en chasser eux-mêmes !
Je vais vous dire : tous ces gens ne méritent pas BEETHOVEN, voilà tout ! Quelle sotte coutume, ces fins de concerts avec bis obligés ! Coutume d’enfants gâtés ! D’éternels consommateurs, éternellement inassouvis, et qui sont à l’affût, sur le produit, de la mention « 20 % gratuits » ! Qui veulent que ce soit Noël toute l’année !
Bon, c’est vrai que la publicité les a habitués, en leur faisant croire qu’ils vivaient dans une société « père Noël ». Il n’y a pas que les enfants qui y croient, au Père Noël ! Moi, quand on me dit « cadeau » ou « 20 % gratuits », je mets un verrou au porte-monnaie, et je fais encore plus attention. Quand le produit ne triche pas, il n’a pas besoin de davantage.
Le bis est une sorte de fléau, une maladie de salles de concerts. « Encore, encore », s’exclame le gamin qui trône dans sa chaise haute, et qui jette par terre la petite cuillère pour la quarante-huitième fois parce que ça fait un joli bruit très musical et qu’il ne se lasse pas de voir maman, entre deux patates à éplucher, se baisser pour la ramasser, et la remettre dans l’assiette.
« Encore, encore », crie le mélomane averti qui ne laissera pas s’échapper comme ça la plastique irréprochable de la jeune et appétissante violoniste en fourreau lamé profondément décolleté et fendu, avant qu’elle se soit fendue, je ne dis pas de la « chaconne », mais au moins de la « sarabande » de la deuxième partita pour violon seul de JEAN-SEBASTIEN BACH, la dame eût-elle joué juste avant le deuxième concerto de PAGANINI, ce qui reflète à coup sûr la grande homogénéité et la sûreté du goût du monsieur.
Quelle différence, dites-moi, faites-vous entre le sale gosse qui joue au jeu du « fort / da » (voui, papa FREUD) et le mélomane qui vibre aux sons de la musique, quand celle-ci est si bien jouée par une si belle créature ? Je réponds : l’âge physique. Et rien d’autre. Bon, c’est vrai que le spectateur a droit à l’enthousiasme, mais on ne me fera pas croire qu’il est devenu la règle. Surtout dans des salles souvent remplies par des comités d’entreprise.
Ce n’est pas que les quatuors de HAYDN qui étaient alors donnés fussent indignes de LUDWIG VAN, mais quel besoin ces gens avaient-ils de redescendre des hauteurs ? J’étais comblé, quant à moi : j’avais obtenu ce que j’étais venu chercher. Ne l’étaient-ils pas, comblés ? N’allaient-ils pas rentrer chez eux en reprenant en eux-mêmes cette phrase initiale de l’opus 132 ? Cette lente montée de blanches, avant de débarouler en doubles croches vers le thème ?
Car il faut aussi me comprendre : les quatuors de BEETHOVEN, pour moi, c’est l’Himalaya de la musique universelle. Et l’Everest de cet Himalaya, c’est évidemment l’opus 132, le 15ème. Celui en la mineur. C’est le seul morceau, toutes musiques confondues, qui possède un pouvoir magique.
Oui, c’est le seul morceau de musique qui m’accueille de cette façon, noble et familière à la fois, et qui me dit : « Entre ici, tu es chez toi ». C’est le seul morceau de musique qui me donne à ce point l’impression de rentrer à la maison après un exil, et qui me fasse dire, dans mon for intérieur : « Enfin ! Me voilà chez moi ! ».
Pour vous dire, avant l’opus 132, j’avais le sentiment que les œuvres en plusieurs mouvements faisaient cohabiter ceux-ci parce que c’était la règle, que c’est comme ça qu’il fallait faire, point c’est tout : « vif », « lent », « vif ». En passant de l’un à l’autre, on changeait de lieu, de compagnie, de couleur, de moment, de paysage, d’horizon.
L’opus 132 m’a fait percevoir qu’il n’en était rien. Certes, les trois allegros ont chacun leur caractère propre (dans l’ordre, « sostenuto », « ma non tanto » et « appassionato »). Certes ils encadrent fermement l’inoubliable adagio de presque vingt minutes. Ajoutons le bref « alla marcia », qui est au fond moins un cinquième mouvement qu’une introduction au finale.
Donc des mouvements autonomes. Mais on me dira ce qu’on voudra, l’ensemble forme un tout, un seul corps organique vivant, avec ses membres, son tronc et sa tête, un être autonome et entier qui existe et qui marche. Très étrange et très forte impression, que rebuterait un effort trop visible de mise en mots. On m’excusera de n’être pas plus précis.
Les AURYN n’ont pas donné l’intégrale dans l’ordre chronologique, ce qui, au début, m’a un peu chagriné. En revanche, la façon dont ils s’y sont pris a jeté sur chaque quatuor pris isolément et sur ses rapports avec les autres un éclairage qui me les a fait redécouvrir. En particulier les six de l’opus 18, qui sentent encore un peu leur MOZART ou leur HAYDN, mais écoutez un peu l’adagio du numéro 1 : c’est déjà du BEETHOVEN à se couper la tête tellement c’est beau !
Un seul compositeur a fait du quatuor comme BEETHOVEN, je veux dire un point cardinal, capable d’orienter son esprit sur la durée d’une vie, c’est BELA BARTOK. Lui, il n’en a fait que six, mais c’est du concentré. BEETHOVEN, il faut se rendre compte que presque toutes ses dernières œuvres sont des quatuors à cordes, au point qu’on peut dire que le quatuor à cordes ne s’en est jamais remis.
Bon, on me dira SCHUBERT et ses quinze quatuors, MENDELSSOHN et son opus 13 écrit à 18 ans juste après la mort de BEETHOVEN. On me dira beaucoup de choses, et je dirai : « Oui, je sais, Untel a fait de très belles choses, même DEBUSSY et RAVEL s’y sont risqué. SHOSTAKOVITCH en a fait quinze aussi, impressionnants, je dois dire. Oui, je sais tout ça. Mais ça passe après, c’est tout ».
La preuve, c’est que beaucoup de gens beaucoup plus savants que moi l’ont dit et le disent, comme ANDRÉ BOUCOURECHLIEV, un fondu de BEETHOVEN. Tiens, pendant que j’y pense, vous ne connaissez pas BERNARD FOURNIER ? Un drôle d’allumé, celui-là. Qui a fait une belle conférence à l’occasion de l’intégrale AURYN. Il n’a rien trouvé de mieux que d’écrire 4.000 pages sur l’histoire du quatuor à cordes.
Eh bien, quand il arrive à BEETHOVEN, il donne tout simplement pour titre au chapitre : « L’Apogée du genre », qu’il fait suivre d’à peine 800 pages consacrées à ce seul bonhomme. Rendez-vous compte : 20 % du total, introduction, table des matières et index compris. Bien sûr, des quatuors ont été écrits en nombre incalculable. FOURNIER disait qu’il en avait écouté, pour écrire ses bouquins, je ne sais plus si c’est 2.000 ou 3.000. C’est pour vous donner une idée de ce que c’est, un génie. BEETHOVEN, avec ses dix-sept œuvres, c’est un cinquième du monde du quatuor. Incommensurable.
Alors oui : « Che farò senza BEETHOVEN ? ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 02 novembre 2011
LISEZ "GULLIVER" (suite et fin)
Les considérations sur les dimensions ne sont pas inintéressantes en soi, à cause de l’effet de relativisme produit par rapport aux normes physiques du monde humain. L’idée a ensuite été souvent reprise par des romanciers, pas seulement dans la science-fiction : on se souvient du très court séjour fait par Tintin sur le rocher abîmé dans l’océan Arctique, dans L’Etoile mystérieuse, où il est confronté à une araignée géante, bientôt elle-même détruite par une pomme géante.
De Lilliput à Brobdingnag, on passe donc d’une humanité-jouet accueillant un géant somme toute bienveillant à un jouet humain débarquant chez des gens de taille « normale », où, potentiellement, tout lui devient une menace. L’effet de contraste est assez drôle et réussi.
A Brobdingnag, Gulliver est donc confronté aux hommes, mais aussi à des animaux qui, tous, le considèrent comme un gibier : ce sont tour à tour des guêpes (« Ces insectes étaient gros comme des perdrix »), une grenouille, un singe gros comme un éléphant, un chien qui le saisit dans sa gueule.
Il n’est pas jusqu’au nain du souverain – qui mesure 30 pieds (10 mètres) de haut – qui ne le menace en le jetant dans une jatte pleine de lait ou en secouant un pommier nain au-dessus de lui. Et quand il marche dans une bouse de vache, il en a jusqu’au-dessus du genoux.
Le meilleur ébéniste du royaume a été mis à contribution pour construire une maison aux dimensions de l’invité, destinée à être posée sur la table, et une « boîte de voyage » : on entre alors dans de véritables « maisons de poupée ».
C’est d’ailleurs dans la dite boîte qu’il quitte Brobdingnag, bien malgré lui, puisque brutalement emporté dans les griffes d’un aigle gigantesque qui, attaqué dans son vol, lâche sa proie. C’est dans ces conditions qu’il est repêché par un navire britannique et ramené à bon port. Mais il a juste le temps de retrouver les siens et de faire un enfant à sa femme : le voilà reparti.
Ce qui est rigolo, c’est que SWIFT se soucie extrêmement de varier les situations dans lesquelles Gulliver débarque en terre inconnue. Il aborde à Lilliput seul survivant de l’équipage du navire écrasé contre un rocher. Il découvre Brobdingnag après avoir débarqué en chaloupe pour « faire de l’eau » et s’être vu abandonné de ses camarades paniqués par l’apparition d’un géant.
Ce sont des pirates qui attaquent son navire et le débarquent au pays de Laputa, et des marins mutinés qui le débarqueront en terre des Houyhnhnms. Le lecteur ne saurait donc se plaindre de monotonie ou de procédé abusif : tout reste « vraisemblable ». On peut quand même se dire que Gulliver n'a vraiment pas de chance.
Si les deux premiers voyages confrontent Gulliver à des humains en réduction ou à la taille multipliée, les deux derniers inventent des peuples de la plus haute excentricité, quoiqu’opposés entre eux. Pour Laputa, JONATHAN SWIFT invente, un siècle et demi avant les anticipations de JULES VERNE, une île volante.
Le secret de l’île ? D’abord un diamant poli, taillé en plateau, d’un diamètre de plus de 7 kilomètres, sur lequel est bâtie la cité royale. Ensuite « une pierre d’aimant d’une grandeur prodigieuse, taillée en forme de navette de tisserand », autrement dit une boussole précieuse et démesurée, qui permet de faire varier la hauteur et de mouvoir l’île dans la direction souhaitée.
La population est assez folklorique, à tout point de vue : tout le monde a la tête penchée à droite ou à gauche, et « un œil tourné en dedans, et l’autre vers le ciel ». Sur leurs habits sont figurés des astres, lunes, soleils, étoiles. Ils sont tous astronomes, musiciens, géomètres, mathématiciens et astrologues.
Chaque seigneur est accompagné d’un « frappeur » qui, tenant une vessie remplie de pois secs accrochée au bout d’une perche, a pour mission, en présence de quelqu’un d’autre, de frapper l’oreille ou la bouche de son maître, pour lui rappeler qu’il lui faut écouter ou parler.
Car ces gens sont plus distraits que le professeur Cosinus en personne, toujours plongés dans une profonde méditation scientifique et des calculs mathématiques tous plus savants les uns que les autres. La nourriture elle-même est méticuleusement présentée sous forme de volumes géométriques (« une pièce de bœuf sous la forme d’un rhomboïde ») ou d’instruments de musique.
Ici comme dans les autres pays visités, Gulliver se met en devoir d’en apprendre la langue. A Lilliput, il apprendra les mots glumgluffs (l’unité de mesure locale), hekinah degul, nardac (titre de noblesse supérieur à celui du trésorier, qui n’est que glumglum). La capitale de Brobdingnag, Lorbrulgrud, mesure trois glomglungs (= 72 kilomètres à vue de nez) de long.
Pour les habitants, Gulliver n’est qu’un relplum scalcath (= jeu de nature). Il est bon de savoir ces choses, on se sent tout de suite rassuré. A Laputa, on parle le balnibarbien, évidemment, dont voici un échantillon : « Ickpling gloffthrobb … » (= puisse votre célèbre Majesté …). J’allais le dire.
Les femmes rêvent de descendre de leur île pour aller « s’émanciper » à Lagado, la capitale du royaume, mais il leur est très difficile d’en obtenir l’autorisation : on raconte qu’une épouse de ministre fut recherchée et trouvée en compagnie d’un laquais très laid avec lequel elle faisait mille folies, et auprès duquel elle retourna quand elle eut été ramenée de force. Bref, l’horreur. Gulliver ayant eu l’occasion de s’y rendre, il observa que toutes les maisons était mal bâties, de guingois, sans aucun angle droit, parce que les architectes se moquaient de toute symétrie, et de toute verticalité.
Moralité : ils sont fous, ces Laputiens ! Après un petit séjour au royaume de Luggnagg, dont il découvre les struldbruggs, il se rend au Japon, où il trouve un navire pour rentrer en Angleterre et accroître sa famille au moyen du ventre de son épouse (« Je laissai ma pauvre femme enceinte », dit-il en partant pour son dernier voyage).
Après la mutinerie déjà évoquée, il se retrouve donc chez les Houyhnhnms. Cela revient à dire : après les plus cinglés (les Laputiens), les plus sages des êtres. A ceci près que ce sont des chevaux. Ils n’ont rien dans leur vocabulaire qui soit à même de désigner la haine ou le mépris. Ces « chevaux » sont gouvernés par la raison et rien d’autre.
Autrement dit, ils n’ont jamais la moindre ombre de mauvaise pensée, ignorent ce qu’est un mensonge, bref, une humanité à l’envers. Quand l’un d’eux meurt, ni lui, ni ceux qui lui survivent ne sont tristes ou joyeux : la mort est le dénouement neutre d’un processus logique. La vie et la mort font partie des lois naturelles.
Les Houyhnhnms sont un peuple qui ignore donc jusqu’à l’idée de sentiment. Le seul dégoût qu’ils éprouvent est à l’encontre des « yaouhs », de hideuses créatures marchant sur deux pattes, impossibles à domestiquer et à améliorer, et ressemblant furieusement à Gulliver lui-même. Comment cette espèce est-elle arrivée dans le pays ? Personne n’en sait rien. Les Houyhnhnms se contentent d’utiliser leurs services pour tirer leurs charrettes et de prélever leur cuir une fois qu’ils sont morts, pour en faire divers objets utiles.
Le pauvre Gulliver est tellement subjugué par l’univers de Houyhnhnms qu’il se met carrément à leur école, avec l’intention de rester définitivement dans le pays. Mais l’assemblée en décide autrement : il est forcément un yaouh, et il doit disparaître, soit en se fondant dans la population de ses hideux semblables, soit en regagnant son pays à la nage. Son maître accepte cependant de lui laisser fabriquer une embarcation pour quitter le pays.
La mort dans l’âme, il s’éloigne donc. Mais il n’est pas au bout de ses peines, car il est tellement traumatisé par le souvenir des abominables yaouhs, qu’une fois rentré à la maison, il ne supporte absolument plus le voisinage, l’aspect et l’odeur de ses semblables. La description que fait SWIFT de ce déni fait de la fin du livre un document quasiment psychiatrique sur une pathologie digne d’enfermement. C’est assez curieux.
C’en est au point que quand sa femme l’embrasse, il s’évanouit. Il est encore sous le choc de la hideur des yaouhs : « Et quand je songeais que par mon union avec une femelle yaouh [soigneusement passée sous silence] j’étais devenu le père de plusieurs de ces animaux, je me sentais pénétré de honte et d’horreur ». Ce n’est certes pas un livre pour enfants.
Toujours est-il qu’il a le plus grand mal à se réacclimater à son pays et à son environnement : « La première année [après son retour], je ne pouvais endurer la vue de ma femme et de mes enfants, et leur odeur me semblait intolérable ».
Il compense le grand déplaisir éprouvé en famille par une grande familiarité avec deux chevaux qu’il a achetés et mis dans son écurie, non pour les monter, mais pour causer avec eux « au moins quatre heures par jour ». Le livre s’achève sur un plaidoyer « pro domo », où l’auteur réaffirme haut et fort la véracité de ses récits et son profond dégoût pour certains aspects de l’humanité : « Mais quand je vois un monde de difformités et de maladies du corps et de l’esprit toutes engendrées par l’orgueil, la patience m’échappe ; il m’est impossible de concevoir comment un pareil vice et un pareil animal peuvent aller ensemble ».
Le livre aurait pu s’intituler : « Comment on devient misanthrope ».
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tintin, littérature, société, jonathan swift, gulliver, livres pour enfants, enfants, jules verne, voyages
jeudi, 06 octobre 2011
MON BON PLAISIR EN LITTERATURE
DU POPULAIRE EN GÉNÉRAL ET DU POLICIER EN PARTICULIER
Pourquoi je ne lis pas que des livres de « haute littérature » ? Pourquoi j’aime ça, disons, la « littérature populaire », à commencer par le « roman policier » ? J’ai certes jubilé intensément d’un bout à l’autre de Moby Dick, de HERMAN MELVILLE, peut-être, entre autres, à cause de la traduction parfaite d’ARMEL GUERNE. Mais le traducteur a beau faire des prouesses, l’essentiel, forcément, appartient au seul auteur. J’avoue cependant que j’ouvre avec plaisir, à l’occasion, un Maigret de GEORGES SIMENON, ou un Arsène Lupin de MAURICE LEBLANC. Pourquoi ce plaisir ?
Dans le premier cas, je me souviens des détails de l’action, j’ai pour ainsi dire vécu en compagnie des marins, sur le pont, dans les haubans ou dans la baleinière, et j’ai appris à les connaître. J’en ai bavé, j’ai bu la tasse, j’ai été secoué, chaviré. Longtemps après avoir lu, je mastique encore, je rumine, je persiste à digérer, je prolonge l’assimilation. C’est un livre qui dure.
Dans l’autre, dès que, satisfait de ma lecture, j’ai refermé sur la clé de l’énigme, j’ai déjà oublié les circonstances, les personnages, les lieux, sauf – encore que vaguement – cette cour sablonneuse d’une maison dans la Sarthe, un jour torride de juin, où il s’est passé quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? Pourtant SIMENON est un excellent écrivain. D’abord tout le monde le dit, c'est sûrement vrai. D'autant plus vrai que j'en suis convaincu.
En un mot comme en cent, la "grande littérature" me transporte, la "petite littérature" me fait plaisir. Et j'ai grand respect et besoin de la digression, comme l'ont sans doute remarqué les lecteurs de ce blog.
Je dirais, tiens, ça me vient là, que ce sont des livres à « évaporation rapide », en face d’autres livres, que je dirais à « sédimentation durable ». Maigret, ce n’est pas le premier, c’est loin d’être le seul, mais avant tout, c’est un personnage de SÉRIE : « J’aime bien lire "un" Maigret, de temps en temps », peut-on souvent dire ou entendre. Ou "un" James Bond. Ou "un" Arsène Lupin. Je rappelle que le premier héros d’une série policière est le Dupin d’EDGAR ALLAN POE dans trois récits : Double assassinat dans la rue Morgue, Le Mystère de Marie Roget, La Lettre volée (1841, 1842, 1844). Rendons à César…
Alors derrière le "un", posez Nestor Burma, Miss Marple, Hercule Poirot, OSS 117, le commissaire Adamsberg, Pepe Carvalho, le Juge Ti, Erwin le Saxon, bref : QUI VOUS VOUDREZ. Chacun des livres de ces séries n’est pas fait pour rester. Je dirai donc que l’évaporation est le principe même de la série. Et que le héros de la série, à son tour, s’évapore : en fait, il ne lui arrive rien Á LUI personnellement.
C’est flagrant avec James Bond, dont j’imagine en toute logique le corps couturé, non : zébré de cicatrices en tous sens, de toutes sortes, de toutes profondeurs. Normalement, sa surface est toute en creux, cratères, et bosses, comme celle de la lune. Quand James entreprend d’emboîter son corps dans celui de la « james bond girl » de service, dans le roman suivant, la peau de celle-ci devrait croire qu’on la frotte à la paille de fer, ou à la râpe à chambre à air de vélo, suite à crevaison. En tout cas, il m’arriverait le centième de ce qu’il a subi au total, moi, je serais au moins mort, voire pire que ça.
Mais non, « the show must go on », comme chante FREDDY MERCURY quelques mois avant d’avaler son bulletin de naissance. James Bond, lui, deux minutes après être passé sous le char d’assaut, il est prêt à entrer en scène pour son récital, smoking repassé, mise en plis impeccable, lisse comme le crâne de YUL BRYNNER, propre et net comme un napoléon « fleur de coin ».
Ce qui vaut pour James Bond vaut pour tous les autres : voyez, dans Tintin en Amérique, lorsque le héros, capturé par le syndicat de gangsters de Chicago, est balancé au lac ficelé avec aux pieds d’énormes haltères qui doivent l’envoyer par le fond, et qui s’avèrent être en bois ; le drôle, c’est que Tintin lui-même semble fait de bois puisque, les mains attachées dans le dos, il est aussi flottable qu’un tronc d’arbre.
Les séries policières ? Je vais vous dire : c’est comme un coin du feu, un bon fauteuil, des pantoufles, bobonne à côté, avec Socrate le griffon Korthals, affalé sur sa carpette à somnoler goulûment après ses bambanes au grand air. Vous avez tout de suite le décor familier, les personnages familiers, les habitudes de la boutique. San Antonio appelle illico le tandem Pinuche-Bérurier, mais aussi sa « brave femme de mère », Félicie. Ce sont de solides et rassurants points de repère.
Prenez qui vous voulez, mettons Sherlock Holmes, qu’est-ce qui vous vient, là, tout de suite ? Le violon, la pipe, le chapeau, le mac farlane, le docteur Watson : voilà, c’est automatique, vous ne connaissez pas tout, mais vous reconnaissez, vous êtes en pays de connaissance. Mieux que ça, vous êtes chez vous, à la maison, au chaud. Ça fait du bien. La série policière, au fond, c’est le CONFORT BOURGEOIS pour le lecteur. La série policière est d’abord confortable.
En fait, le héros, dans la série, s’il ne lui arrive rien à lui, c’est qu’il est tout simplement immortel. Il ne peut rien lui arriver de définitif (sinon, pas de série). La preuve, c’est que ARTHUR CONAN DOYLE a même été obligé de ressusciter Sherlock Holmes, sous la pression d’un public qui tenait à son héros plus qu’à un vieux pull sentimental et nostalgique du temps de sa jeunesse, ce pull qui a suivi la déformation du corps avec l’âge (arrondissement du ventre, fléchissement du dos), et dont le corps s’est, comme qui dirait, imprégné. Le héros de série policière ne peut ni ne doit mourir avant son auteur, à moins qu’il passe de main en main (Nick Carter, assez oublié aujourd’hui), preuve supplémentaire d’immortalité.
Et s’il est immortel, je vais vous dire, c’est que le héros de série n’existe pas. Enfin pas vraiment. Pas complètement. D’ailleurs, l’auteur n’y croit pas trop lui-même. Du moins il fait semblant d’y croire. Ce qui l’intéresse, l’auteur, ce n’est pas le héros, mais la sombre et riche combinaison du coffre-fort. Car son roman, c’est comme un coffre. L’auteur, qui prend le lecteur par la main ou pour un imbécile, l’amène progressivement et méthodiquement jusqu’au moment de l’ouverture. Le héros, mis en face du coffre au début, est sommé d’avoir « cassé » la combinaison à la fin. La lourde porte s’ouvre devant les yeux haletants (oui oui !). En fait, il n’y a rien dans le coffre (« hin hin hin » , grince l’auteur sardonique, « je vous ai bien eus »).
Le héros de série, finalement, ça a juste l’existence très mince d’un ciseau à bois (ou d'une clé à pipe, ou d'un tiers-point, au choix) que l’auteur remet à sa place au tableau au-dessus de l’établi quand il a accompli sa tâche. On aura beau faire comme MANUEL VASQUEZ MONTALBAN, et donner à Pepe Carvalho, entre autres spécialités, celle d’un PAGANINI des cuisines, du « piano », du chinois et de la lèchefrite, ça ne change rien : la gastronomie intervient dans l’histoire, quoi qu’on fasse, à la manière des parenthèses dans une phrase.
Maintenant, il faut savoir que certains héros de série sévissent dans un seul récit. L’élégance expressive en vigueur aujourd’hui parle de « one shot ». Prenez La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, de SEBASTIEN JAPRISOT. Prenez Fatale ou La Position du tireur couché, de JEAN-PATRICK MANCHETTE. Prenez Le Maître d’escrime, d’ARTURO PEREZ REVERTE. Le confort n’est pas aussi grand, mais presque, grâce parfois au jaune et noir de la couverture : c'est exprès que vous êtes entré dans cette boutique-là, vous savez que vous y trouverez l’article cherché.
Souvent, le plus marrant, dans le polar, c'est le titre. Parfois, il n'y a même que ça de drôle. Parce qu'il faut dire que les San Antonio, pendant un temps, ont été assez ratés. Mais quand vous tombez nez à nez avec Les Anges se font plumer, vous capitulez, bien sûr. Entre la vie et la morgue est une trouvaille. Ménage tes méninges n'est pas mal non plus. Mais il n'y a pas que San Antonio. Que pensez-vous de Enterrement pour Cythère (ANDRE HELENA ) ? J'aime beaucoup Mes Morts d'outre-tombe (PIERRE NEMOURS).
Bref : en peinture, il y a MICHEL-ANGE, et puis il y a mon oncle ; pour la musique, il y a BEETHOVEN, et puis il y a moi sous la douche; enfin il y a MARCEL PROUST et il y a FREDERIC DARD, pour ce qui est d'écrire des histoires. Et moi, j'ai un principe, je ne veux pas faire de jaloux. On a de la morale, ou on n'en a pas.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, moby dick, herman melville, armel guerne, georges simenon, littérature populaire, littérature policière, maigret, james bond, edgar poe, nestor burma, miss marple, hercule poirot, oss 117, commissaire adamsberg, pepe carvalho, juge ti, tintin, san antonio, sherlock holmes, arthur conan doyle, manuel vazquez montalban, sébastien japrisot, jean-patrick manchette, arturo perez reverte