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lundi, 05 mars 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (8)

Les Oreilles sur le dos, GEORGES ARNAUD

 

 

Le titre s'explique si l'on sait que c'est le lièvre qui couche les oreilles sur son dos quand il s'enfuit pour sauver sa vie.

 

 

L’action se passe en Amérique Latine. Un aventurier, à qui il arrive des aventures, et qui finit par s’en sortir. Par l’auteur du Salaire de la peur. Là aussi c’est une sorte de cavale. C’est un bon livre. Moins homogène que l’autre. Un gangster : Jack de Saint Simon, s’associe avec un autre qui veut lui faire des trous dans le bide. Ils ont piqué une fortune à une république improbable d’Amérique centrale. Le ton de la narration est cynique, froid, détaché. Une armée nulle aux trousses, les gars sont en fait achevés par la nature, la fièvre jaune.

 

 

C’est glauque, si on veut, mais froid : l’auteur refuse de s’identifier au personnage principal. On regarde plutôt qu’on ne vit. On ne quitte pas le bouquin. Je ne dirais même pas que ça ne marche pas. Mais, comment dire, globalement, on sent trop l’observation du vécu, et pas assez le vécu. Avec ça, un style formidable. Dur. Finalement c’est peut-être ça : c’est une livre qui n’est pas affreux, mais qui est dur, à tous les points de vue. Le style, les caractères, la vie, le destin. Il y a de l’absurde dans l’air. 8 / 10

 

 

Le Brave soldat Chveïk, de JAROSLAV HASEK

 

Livre réjouissant, pas si simple qu’il y paraît. Par certains côtés, le personnage m’a fait penser à Bartleby. Sa façon de rester inébranlablement lui-même, tout en se laissant emporter par toutes les volontés extérieures à la sienne. Des tableaux hilarants : l’autel de campagne du curé militaire ivrogne est époustouflant. Le personnage échappe à tous les mauvais traitements, toutes les persécutions, car le système ne sait pas comment l’atteindre. Je trouve ça génial.

 

 

C’est l’homme du peuple qui pète au nez de toutes les autorités : politiques, militaires, religieuses. Un livre joyeusement, et pourtant sagement anarchiste. A la différence de Bartleby, il est doué d’un tropisme vers l’extérieur : il maquille des chiens bâtards en chiens à pedigree, il vole des chiens pour les revendre. C’est un faussaire, un vrai petit gangster au quotidien, comme ce faux-monnayeur qui ne fabriquait qu’autant de billets de 1 dollar qu’il en avait besoin pour son usage personnel. Pas innocent, mais carrément inoffensif. Un livre où l’on rit, un livre jovial, et tout à fait juste. 10 / 10 

 

 

Manhattan transfer, de JOHN DOS PASSOS

 

Tableau de New York, le vrai personnage principal, sur vingt et quelques années, avec, au milieu de la durée, la guerre de 14-18. Fresque d’un monde où finalement tout, absolument tout, ne fait que passer. Impression de voir dans ce livre une technique analogue à celle que Robert Altman a utilisée dans son film Short cuts. Un personnage revient avec insistance : Ellen, qui devient Elaine, puis Helena, à mesure que sa position sociale se renforce au gré de ses maris successifs : Jojo Oglethorpe, puis l’amant Stan (qui mourra brûlé dans l’incendie qu’il provoque après une cuite), puis le mari Jimmy, fils couvé d’une femme riche, mais qui tombe dans la débine. Et George Baldwin, le petit avocat, toujours sur le fil du rasoir financier, qui s’élève, s’enrichit, et devient district attorney. L’autre personnage récurrent et fouillé, c’est le nommé Jimmy, paumé, sans ambition ni raison de vivre, qui monte, à la dernière page, dans un camion pour aller … « assez loin ». 7 / 10

 

 

Le Jour avant le lendemain, de JØRN RIEL

 

Chez les Inuits du nord-est du Groenland. Histoire très forte, sur le thème « mort d’un peuple ». La vieille attend vainement que les autres viennent les rechercher, elle et son petit-fils. Elle comprend qu’il s’est passé quelque chose. Elle organise la survie. Il y a un ours, des loups. Ils échappent à tous les dangers. Un jour, le garçon tombe à l’eau. La vieille se précipite en disant : « Non, pas comme ça ! Pas comme ça ! » Elle le récupère. Il est tout bleu. Elle le frictionne. Il revient à la vie. Ils mangent dans la grotte, dont l’entrée est bouchée par une sorte de portière qu’elle a fabriquée. Puis, quand l’enfant dort bien, elle va à l’entrée de la grotte, enlève la portière. Le froid hivernal du pôle s’engouffre. Elle retourne se coucher. Poignant. 8 / 10

 

 

En Attendant le vote des bêtes sauvages, d’AMADOU KOUROUMA

 

Reçu pour la fête des pères 1999. Très bon roman, très « africain ». Le dictateur Koyaga se voit raconter sa vie par un narrateur qui s’adresse à lui, sans rien cacher. Le « chasseur » Koyaga, sanguinaire, sans pitié, rusé, bénéficie, pour conquérir le pouvoir, des pouvoirs magiques de Konoba, qui détient un très ancien Coran, et de sa mère Nadjama, qui détient un aérolithe. La sorcellerie, les sorts, les divinations, les conjurations sont permanentes, omniprésentes. Et permettent à Koyaga de se maintenir au pouvoir pendant 30 ans.

 

 

Il a pour coutume, quand il tue, de couper la queue, quand c’est un animal, ou le sexe avec les testicules, si c’est un homme, et de les enfoncer dans la gueule ou la bouche. Ainsi, l’âme du mort ne peut plus sortir, puisque la fin de l’être a pénétré dans son début, et forme ainsi une boucle fermée. En même temps que la biographie « griottée » du dictateur, il s’agit d’un panoramique sur l’ensemble de l’Afrique, avec la corruption, le clanisme, la sexualité, etc. En quelque sorte, un tableau historique de l’Afrique contemporaine. 7 / 10

 

 

La Peau du tambour, d’ARTURO PEREZ REVERTE

 

Un curé « nettoyeur » au service du Saint-Office papal est dépêché à Séville pour éclaircir une mystérieuse affaire. Une église, Notre-Dame des Larmes, tue pour se défendre. Un prêtre local qui vend des biens ecclésiastiques (ici des perles) pour restaurer l’église, qu’un promoteur plus ou moins mafieux veut détruire pour pouvoir construire, après avoir copieusement arrosé l’archevêque, des résidences de luxe. Un hétéroclite comité de soutien au curé : de la vieille noblesse enterrée dans la crypte à la nonne architecte.

 

 

Et puis le père Quart, du Saint-Office, en proie au doute, puis au démon de la chair (auquel il succombe). Les objets de l’énigme sont résolus en trois pages à la fin. L’affaire est finalement médiocre : bagarre minable avec les trois bouseux ravisseurs du curé. Toute l’histoire, en fait, c’est du toc. L’intérêt du livre devrait résider dans les analyses psychologiques, les caractères, l’affrontement des problématiques personnelles.

 

 

Ce livre trompe très habilement son lecteur, en lui faisant croire que la résolution de l’énigme est le ressort principal du livre, mais si celui-ci, confiant, va jusqu’au bout, attendant qu’on lui donne le fin mot de l’histoire, il en veut à l’auteur à l’arrivée de l’avoir égaré sur de multiples voies de garage, dans un livre qui n’est au bout du compte qu’une grande voie de garage. Vous noterez que je ne me suis pas permis de parler de "l'abbé Quart". 6 / 10

 

 

Voilà ce que je dis, moi, de ce qu'ils disent, eux.

 

 

 

vendredi, 02 mars 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (7)

L’Alchimiste, de PAULO COELHO

 

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LE SOURIRE SATISFAIT

DE L'HOMME D'AFFAIRES QUI A REUSSI

C'est tout simplement un roman de secte, en tout cas de mentalité sectaire, conte infantile, écrit de façon relâchée : initiation à la vérité de soi, à un ailleurs que le héros finit par trouver, comme son trésor, en or bien réel, d’ailleurs, ce qui contredit toute la quête. C’est mystico-machin, avec un vocabulaire de pseudo-initié, avec des majuscules pour les concepts comme Aventure Personnelle, avec la présence du Maître, et doté de pouvoirs avec ça, et des épreuves à franchir. Bref… Ce qui est bien, heureusement, c’est qu’on n’a pas à se torcher quand on a fini. Quoique ...

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Les Contrefeux de l’amour, d’ALGERNON CHARLES SWINBURNE

 

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Roman par lettres. La redoutable Lady Midhurst tisse la toile du conformisme conjugal victorien : les sentiments des individus risquent de déranger l’ordre et de ternir les réputations. Patiemment, le venin fera son œuvre et l’ordre sera maintenu. Les ébauches d’adultères (les feux) seront effacées. Excellent.

 

 

Risibles amours, de MILAN KUNDERA

 

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Très fort, stylistiquement et techniquement. Humainement, c’est moins sûr. Constante distance ironique et jugements de l’auteur sur ses personnages (on pense à Stendhal, mais ici en plus ironique). Ils sont des marionnettes. Sans doute volontairement, mais j’ai du mal. Grande hauteur de vue par ailleurs. Impression qu’on est dans l’essentiel (comédie humaine). Amoralisme. Il y a la loi qui reste en façade : les cellules communistes, grotesques par ailleurs. Pour le reste, tout le monde ment sur l’essentiel. Sauf peut-être Edouard, qui fait au dernier chapitre son initiation à l’âge adulte en perdant le sens de ce qu’est l’amour : il baise sa petite amie si chrétienne, et en même temps la directrice laide de son école.

 

 

Un Roi sans divertissement, de JEAN GIONO

 

Autour du gendarme, le capitaine Langlois, ancien de Napoléon, vit et gravite la société d’un petit village, où, chaque année, un membre de la communauté est tué. Le capitaine, dont on a déjà rencontré le caractère spécial dans Les Récits de la demi-brigade, finit par trouver le meurtrier, et le tue sans autre forme de procès, en lâchant simultanément les coups de ses deux pistolets. Puis c’est un loup qui menace. Tout le monde est terrifié. Le capitaine Langlois organise un grande chasse pour le rabattre vers le Jocond, au pied d’une muraille où le capitaine l’exécute de la même manière : deux coups de pistolets à bout portant.

 

 

Puis le capitaine se met en tête de se marier, déniche une femme, et finit par fumer un soir, non pas son cigare, mais une cartouche de dynamite, qui lui emporte la tête. Le personnage est évidemment fascinant, non pas tellement par son aspect héroïque que par l’impression de tout comprendre des gens et des choses qui l’entourent. Les faits semblent arriver comme simples résultats de cette interprétation. Grégoire est présenté comme celui qui sait tout. Récits et dialogues pleins d’ellipses. On ne traîne pas. Mais ce n'est pas fait pour un lecteur paresseux.

 

 

Deux Cavaliers de l’orage, de JEAN GIONO

 

Deux frères, Marceau et Ange « mon cadet » Jason, qui s’aiment. Vingt ans de différence. Marceau est un hercule, si si, c'est vrai : il tue un cheval en folie, qui sème la terreur dans un ville de la région, d’un seul coup de poing qui fracasse le crâne de la bête. L’histoire finit par se répandre. Un lutteur professionnel, « Clé des cœurs », le provoque et se fait battre. Il battra encore deux professionnels.

 

 

Il sauve ensuite la vie de « mon cadet » en empêchant, avec une petite tête d’oignon, les membranes de se constituer au fond de la gorge de son frère et de l’asphyxier : c’est la diphtérie ? Mais ça finit mal : « mon cadet » le provoque en combat et domine son frère aîné, qui le tuera à coups de serpe dans les tripes, pour aller ensuite mourir quelque part dans la montagne. « Il est mort de la vie qui a refusé d’aller plus loin ».

 

 

Ça me fait penser au terrible Jour avant le lendemain, de JØRN RIEL, quand la grand-mère repêche in extremis son petit-fils, devenu rapidement tout bleu, car il est tombé dans l'eau de l'Arctique. Elle s'écrie affolée : « Pas comme ça ! Pas comme ça ! ». Elle le ramène à la vie en le frottant vigoureusement. Mais c'est elle qui ira un soir, pendant qu'il dort, faire tomber la "porte" de la grotte, pour que le froid glacial pénètre jusqu'à eux. Les hommes de la tribu les ont, croit-elle, oubliés, alors qu'ils ont été juste massacrés par des blancs.

 

 

Le Chasseur Zéro, de PASCALE ROZE

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Qu’est-ce qui m’a pris d’ouvrir ce livre, qui est lamentable et d’une affreuse nullité, mais qui a obtenu le prix Goncourt 1996 ? Il faut le faire. Dans ce livre, il n’y a rien, mais rien. Le vide. Pour moi c’est un effroyable nanar littéraire. Incroyable que le jury fasse encore à ce point illusion. Plus plat, tu meurs. Et qu’on ne me dise pas que l’effet de platitude est voulu, recherché. Caca. Tirons la chasse d'eau.

 

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Le Tableau du maître flamand, d’ARTURO PEREZ REVERTE

 

Un bon livre d’énigme. L’antiquaire esthète et pédé, ami de la jeune restauratrice de tableaux, est l’assassin (quelques crimes abominables). Un bon rouage de mystère, mais pas de suspense. Quelques bons caractères. Un bon dépaysement dans la fin du moyen âge. C’est très documenté. L’antiquaire est atteint du sida et veut de toute façon mourir. Il aime bien la jeune femme, un peu comme un “oncle”. Sur le plan littéraire, c’est d’une platitude affreuse. Tout repose sur la mécanique. Aucun style, sinon policier, ne doit détourner l’attention de la mécanique.

 

 

Le Maître d’escrime, ARTURO PEREZ REVERTE

 

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Nettement plus satisfaisant, sur un plan esthétique, que Le Tableau du maître flamand. Je crois que c’est dans la forme générale, en particulier, cette quête du coup parfait par le maître, et qui aboutit précisément à la fin : un fleuret, certes, mais moucheté, et contre l’épée nue de l’ancienne élève, qui oblige le maître à se surpasser et à trouver le coup qui s’enfonce dans le crâne à travers l’œil.

 

 

Cette quête qui trouve un aboutissement esthétique aussi net et gratuit donne une unité à l’ensemble. Alors que le « tableau », dans sa conclusion, défait quelque chose : il est de l’ordre de la défaite (perte des illusions de l’héroïne sur son protecteur et ami). Il y a donc plus de maturité dans le « tableau » que dans « le maître ». Au moins psychologiquement. Le combat final du maître est un petit bijou littéraire.

 

 

Le seul qui dépasse ce récit est le combat de Bussy d’Amboise (ah, les « gants de buffleterie » !), dans je ne sais plus quel roman d’Alexandre Dumas, peut-être La Dame de Montsoreau, contre 14 adversaires qu’il tue méthodiquement. Mais il est à terre, et cherche à fuir. Arrive le Duc d’Anjou, le commanditaire du guet-apens : est-ce lui ou son compagnon qui donne le coup de pistolet fatal ? Et encore, il me semble que Bussy combat en tenant son épée à même la lame.

 

 

Chez PEREZ REVERTE, le maître finit par trouver la combinaison des gestes qui lui permettent d’enfoncer brutalement la pointe mouchetée du fleuret, à travers l’œil, et jusqu'au cerveau de la fille, son ancienne élève, devenue spadassine stipendiée.

 

 

Comme quoi, ne fait pas qui veut de la bonne, de la vraie littérature.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

* Si je n'ai pas mis de photo de JEAN GIONO, c'est tout simplement qu'avec JEAN GIONO, le livre n'a plus besoin de l'image de son auteur pour exister en personne.

 

 

 


 

jeudi, 06 octobre 2011

MON BON PLAISIR EN LITTERATURE

DU POPULAIRE EN GENERAL ET DU POLICIER EN PARTICULIER

 

Pourquoi je ne lis pas que des livres de « haute littérature » ? Pourquoi j’aime ça, disons, la « littérature populaire », à commencer par le « roman policier » ? J’ai certes jubilé intensément d’un bout à l’autre de Moby Dick, de HERMAN MELVILLE, peut-être, entre autres, à cause de la traduction parfaite d’ARMEL GUERNE. Mais le traducteur a beau faire des prouesses, l’essentiel, forcément,  appartient au seul auteur. J’avoue cependant que j’ouvre avec plaisir, à l’occasion, un Maigret de GEORGES SIMENON, ou un Arsène Lupin de MAURICE LEBLANC. Pourquoi ce plaisir ?

 

 

Dans le premier cas, je me souviens des détails de l’action, j’ai pour ainsi dire vécu en compagnie des marins, sur le pont, dans les haubans ou dans la  baleinière, et j’ai appris à les connaître. J’en ai bavé, j’ai bu la tasse, j’ai été secoué, chaviré. Longtemps après avoir lu, je mastique encore, je rumine, je persiste à digérer, je prolonge l’assimilation. C’est un livre qui dure.

 

 

Dans l’autre, dès que, satisfait de ma lecture, j’ai refermé sur la clé de l’énigme, j’ai déjà oublié les circonstances, les personnages, les lieux, sauf – encore que vaguement – cette cour sablonneuse d’une  maison dans la Sarthe, un jour torride de juin, où il s’est passé quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? Pourtant SIMENON est un excellent écrivain. D’abord tout le monde le dit, c'est sûrement vrai. D'autant plus vrai que j'en suis convaincu.  

 

 

En un mot comme en cent, la "grande littérature" me transporte, la "petite littérature" me fait plaisir. Et j'ai grand respect et besoin de la digression, comme l'ont sans doute remarqué les lecteurs de ce blog.

 

 

Je dirais, tiens, ça me vient là, que ce sont des livres à « évaporation rapide », en face d’autres livres, que je dirais à « sédimentation durable ». Maigret, ce n’est pas le premier, c’est loin d’être le seul, mais avant tout, c’est un personnage de SÉRIE : « J’aime bien lire "un" Maigret, de temps en temps », peut-on souvent dire ou entendre. Ou "un" James Bond. Ou "un" Arsène Lupin. Je rappelle que le premier héros d’une série policière est le Dupin d’EDGAR ALLAN POE dans trois récits : Double assassinat dans la rue Morgue, Le Mystère de Marie Roget, La Lettre volée (1841, 1842, 1844). Rendons à César…

 

 

Alors derrière le "un", posez Nestor Burma, Miss Marple, Hercule Poirot, OSS 117, le commissaire Adamsberg, Pepe Carvalho, le Juge Ti, Erwin le Saxon, bref : QUI VOUS VOUDREZ. Chacun des livres de ces séries n’est pas fait pour rester. Je dirai donc  que l’évaporation est le principe même  de la série. Et que le héros de la série, à son tour, s’évapore : en fait, il ne lui arrive rien Á LUI personnellement.

 

 

C’est flagrant avec James Bond, dont j’imagine en toute logique le corps couturé, non : zébré de cicatrices en tous sens, de toutes sortes, de toutes profondeurs. Normalement, sa surface est toute en creux, cratères, et bosses, comme celle de la lune. Quand James entreprend d’emboîter son corps dans celui de la « james bond girl » de service,  dans le roman suivant, la peau de celle-ci devrait croire qu’on la frotte à la paille de fer, ou à la râpe à chambre à air de vélo, suite à crevaison. En tout cas, il m’arriverait le centième de ce qu’il a subi au total, moi, je serais au moins mort, voire pire que ça.

 

 

Mais non, « the show must go on », comme chante FREDDY MERCURY quelques mois avant d’avaler son bulletin de naissance. James Bond, lui, deux minutes après être passé sous le char d’assaut, il est prêt à entrer en scène pour son récital, smoking repassé, mise en plis impeccable, lisse comme le crâne de YUL BRYNNER, propre et net comme un napoléon « fleur de coin ».

 

 

Ce qui vaut pour James Bond vaut pour tous les autres : voyez, dans Tintin en Amérique, lorsque le héros, capturé par le syndicat de gangsters de Chicago, est balancé au lac ficelé avec aux pieds d’énormes haltères qui doivent l’envoyer par le fond, et qui s’avèrent être en bois ; le drôle, c’est que Tintin lui-même semble fait de bois puisque, les mains attachées dans le dos, il est aussi flottable qu’un tronc d’arbre.

 

 

Les séries policières ? Je vais vous dire : c’est comme un coin du feu, un bon fauteuil, des pantoufles, bobonne à côté, avec Socrate le griffon Korthals, affalé sur sa carpette à somnoler goulûment après ses bambanes au grand air. Vous avez tout de suite le décor familier, les personnages familiers, les habitudes de la boutique. San Antonio appelle illico le  tandem Pinuche-Bérurier, mais aussi sa « brave femme de mère », Félicie. Ce sont de solides et rassurants points de repère.

 

 

Prenez qui vous voulez, mettons Sherlock Holmes, qu’est-ce qui vous vient, là, tout de suite ? Le violon, la pipe, le chapeau, le mac farlane, le docteur Watson : voilà, c’est automatique, vous ne connaissez pas tout, mais vous reconnaissez, vous êtes en pays de connaissance. Mieux que ça, vous êtes chez vous, à la maison, au chaud. Ça fait du bien. La série policière, au fond, c’est le CONFORT BOURGEOIS pour le lecteur. La série policière est d’abord confortable.

 

 

En fait, le héros, dans la série, s’il ne lui arrive rien à lui, c’est qu’il est tout simplement immortel. Il ne peut rien lui arriver de définitif (sinon, pas de série). La preuve, c’est que ARTHUR CONAN DOYLE a même été obligé de ressusciter Sherlock Holmes, sous la pression d’un public qui  tenait à son héros plus qu’à un vieux pull sentimental et nostalgique du temps de sa jeunesse, ce pull qui a suivi la déformation du corps avec l’âge (arrondissement du ventre, fléchissement du dos), et dont le corps s’est, comme qui dirait, imprégné. Le héros de série policière ne peut ni ne doit mourir avant son auteur, à moins qu’il passe de main en main (Nick Carter, assez oublié aujourd’hui), preuve supplémentaire d’immortalité.

 

 

Et s’il est immortel, je vais vous dire, c’est que le héros de série n’existe pas. Enfin pas vraiment. Pas complètement. D’ailleurs, l’auteur n’y croit pas trop lui-même. Du moins il fait semblant d’y croire. Ce qui l’intéresse, l’auteur, ce n’est pas le héros, mais la sombre et riche combinaison du coffre-fort. Car son roman, c’est comme un coffre. L’auteur, qui prend le  lecteur par la main ou pour un imbécile, l’amène progressivement et méthodiquement jusqu’au moment de l’ouverture. Le héros, mis en face du coffre au début, est sommé d’avoir « cassé » la combinaison à la fin. La lourde porte s’ouvre devant les yeux haletants (oui oui !). En fait, il n’y a rien dans le coffre (« hin hin hin » , grince l’auteur sardonique, « je vous ai bien eus »).

 

 

Le héros de série, finalement, ça a juste l’existence très mince d’un ciseau à bois (ou d'une clé à pipe, ou d'un tiers-point, au choix) que l’auteur remet à sa place au tableau au-dessus de l’établi quand il a accompli sa tâche. On aura beau faire comme MANUEL VASQUEZ MONTALBAN, et donner à Pepe Carvalho, entre autres spécialités, celle d’un PAGANINI des cuisines, du « piano », du chinois et de la lèchefrite, ça ne change rien : la gastronomie intervient dans l’histoire, quoi qu’on fasse, à la manière des parenthèses dans une phrase.

 

 

Maintenant, il faut savoir que certains héros de série sévissent dans un seul récit. L’élégance expressive en vigueur aujourd’hui parle de « one shot ». Prenez La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, de SEBASTIEN JAPRISOT. Prenez Fatale ou La Position du tireur couché, de JEAN-PATRICK MANCHETTE. Prenez Le Maître d’escrime, d’ARTURO PEREZ REVERTE. Le confort n’est pas aussi grand, mais presque, grâce parfois au jaune et noir de la couverture : c'est exprès que vous êtes entré dans cette boutique-là, vous savez que vous y trouverez l’article cherché.

 

 

Souvent, le plus marrant, dans le polar, c'est le titre. Parfois, il n'y a même que ça de drôle. Parce qu'il faut dire que les San Antonio, pendant un temps, ont été assez ratés. Mais quand vous tombez nez à nez avec Les Anges se font plumer, vous capitulez, bien sûr. Entre la vie et la morgue est une trouvaille. Ménage tes méninges n'est pas mal non plus. Mais il n'y a pas que San Antonio. Que pensez-vous de Enterrement pour Cythère (ANDRE HELENA ) ? J'aime beaucoup Mes Morts d'outre-tombe (PIERRE NEMOURS).  

 

 

Bref : en peinture, il y a MICHEL-ANGE, et puis il y a mon oncle ; pour la musique, il y a BEETHOVEN, et puis il y a moi sous la douche; enfin il y a MARCEL PROUST et il y a FREDERIC DARD, pour ce qui est d'écrire des histoires. Et moi, j'ai un principe, je ne veux pas faire de jaloux. On a de la morale, ou on n'en a pas.