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lundi, 22 avril 2019

JAMAIS DEUX SANS TROIS

J'avais, ça commence à faire du temps (15 novembre 2012), remarqué une source d'inspiration possible de Hergé pour un épisode du Temple du soleil, où le capitaine Haddock, lancé à la poursuite des Indiens, fait une terrible chute dans une pente des Andes, qui le transforme assez vite en énorme boule de neige venant par bonheur (!) se fracasser sur un rocher, pendant que les quatre Indiens, eux-mêmes sphériquement enneigés, sont expédiés dans le précipice (il y a en effet quelques morts dans les aventures de Tintin, cf. On a Marché sur la lune). Notez les pieds qui dépassent.

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C'est en relisant Les Malices de Plick et Plock, de l'inoubliable auteur du Sapeur Camember, Georges Colomb, alias Christophe, que je m'étais dit qu'Hergé avait pu s'inspirer de son ancêtre en bande dessinée pour la page 33 du Temple (un demi-siècle sépare les deux BD). Plick et Plock, gnomes sans expérience, n'ont jamais vu la neige. Plock a donné une forte bourrade à Plick qui roule dans la pente ... : « ... et se trouve bientôt inclus dans une boule de neige qui va grossissant à mesure qu'elle descend, ainsi que le font habituellement les boules de neige ». C'est un « arbre providentiel » qui arrêtera la course de Plick, qui s'en trouve « délivré et meurtri ». Là, déjà, les pieds dépassaient.

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Mais ce n'était pas tout : jamais deux sans trois, dit-on. Révisant ces jours-ci, comme je le fais régulièrement par souci d'hygiène mentale, les immarcescibles facéties, volontaires ou non, souvent (mais pas toujours) catastrophiques de Gaston Lagaffe, génial perturbateur de la vie de bureau inventé par Franquin, je suis tombé sur une planche (n° 550, au scénario de laquelle Roba, l'auteur fameux de Boule et Bill, a participé). On ne le dira jamais assez : je ne connais pas de dessinateur qui sache donner à ses intentions comiques des formes aussi fortement expressives que ce virtuose du crayon.

On retrouve ici le thème de la boule de neige : Gaston est envoyé par la direction des éditions Dupuis pour aller chercher Prunelle dans sa maison de campagne et le ramener à la rédaction. Il est, comme on peut s'y attendre, au volant de son inénarrable tacot jaune et noir (riche source d'inspiration pour Franquin, comme M. de Mesmaeker, le gaffophone, la mouette rieuse, moiselle Jeanne, Jules de chez Smith-en-face, l'agent Longtarin, le chat et tant d'autres).

Comme il a beaucoup neigé, Gaston a installé des chaînes, mais comme de bien entendu, pas n'importe quelles chaînes : « Un modèle nouveau, conçu et fabriqué par un certain Lagaffe, qui en connaît un bout en matériel roulant », déclare-t-il au méfiant Prunelle (notez le clin d’œil du mot "roulant", mais peut-être ce sens – "qui fait rire" – s'est-il aujourd'hui perdu). Arrive évidemment ce qui devait arriver : l'une des chaînes se rompt, se prend dans l'essieu arrière, bloquant brutalement la voiture. Et comme par hasard, ça se passe dans une pente. On a déjà deviné la suite. Sauf qu'ici, pas de pieds qui dépassent.

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Franquin s'est-il inspiré de ses prédécesseurs ? Pas sûr, mais je dirai au moins que ça peut se discuter. La question qu'on se pose ensuite est de savoir si l'on trouve ailleurs dans la BD l'utilisation de ce thème de la boule de neige "habitée". Je n'ai pas de réponse à la question.

J'aurais pu ajouter à la série un autre gag de Gaston. On trouve en effet dans la demi-planche 791 (vol. 12, Le Gang des gaffeurs) une autre évocation de boule de neige, mais je ne l'ai pas jugée digne d'entrer dans la série. A tort ou à raison, je trouve le gag plus faible : ça se passe un jour de neige en ville. Gaston, qui a inventé le "jokari-avec-super-balle" (on se souvient des dégâts que la super-balle peut commettre par temps sec, planche 591, vol.8) organise une partie dans la rue en compagnie de son pote Jules-de-chez-Smith-en-face. Gaston lance la super-balle et les deux amis la voient "rebondir sur deux façades et tourner le coin", et se demandent combien de bourgeois vont être terrorisés. Et voici de quelle façon elle leur revient dans la figure. Je ne sais pas vous, mais moi, désolé, Franquin : j'ai du mal à y croire.

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mardi, 24 avril 2018

LA VÉRITÉ SUR LE CLIMAT 4

4/4  

L’histoire produit son propre sens à l’insu de ses acteurs, y compris les plus éminents, les plus ardents, ainsi que ceux qui ont le don de voir le plus loin. L’essence et le destin du présent sont d’échapper à toute prise de l’esprit.

 

Vivre et savoir qu’on vit, ça se fait toujours en deux temps. Le présent et regarder le présent, ce n'est pas la même chose. C’est comme festoyer et prendre des photos du festin : les deux temps sont incompatibles. C'est comme les anciens manuels de philosophie de classes terminales : il y avait un volume pour "L'Action" et un volume pour "La Pensée". Fallait pas confondre. Celui qui prend les photos du mariage se met en dehors de la fête, sinon les photos risquent bien d'être ratées. Ce qui lui permet d'avoir une idée du taux d'alcoolémie et de sa progression au cours du repas. Lui seul voit à peu près où ça va.

 

Mais là l’humanité, dans son état d'ébriété avancée, n'a même pas commencé à apercevoir le mur du fond. De plus en plus de photographes et de témoins observent le festin et regardent l'humanité se goinfrer et ingurgiter tant et tant qu'elle s'intoxique au-delà du raisonnable. Ils commencent à s'inquiéter de voir le chiffre de l'éthylomètre global grimper vers des sommets jamais atteints. Le record de cette Polonaise arrêtée en Lorraine au volant de sa voiture, dans les années 1990, avec un taux de 9,4 g. (si, si !) par litre de sang, a sans doute été déjà battu. Je retarde : après consultation de quelques sites, je vois des chiffres de 10, de 11. Je vois même un 13,74 g/litre (comme par hasard, c'est en Pologne, comme quoi, les dictons ne disent pas toujours des fadaises – si le site est sérieux ! ).

 

L'humanité n'a même pas commencé à comprendre que, à force de s’approcher de plus en plus vite de la ligne d'arrivée, l’écrasement final devenait de jour en jour plus crédible et probable qu’une simple hypothèse de laboratoire, purement spéculative au départ.

 

Seuls les plus lucides ont commencé à pousser le cri du « lanceurdalerte », vous savez, ce curieux animal dont l’espèce a surgi dernièrement d’on ne sait quel croisement d’espèces plus sauvages les unes que les autres, qui effraie jusqu’aux chefs d’Etat les plus puissants, mais que ça n'empêche pas de dormir la nuit. Il faut croire que le cri du « lanceurdalerte » n'est pas assez glaçant. Peut-être aussi les gens sont-ils tellement gavés de films-catastrophes que leur conscience du danger s'en trouve émoussée : ils ont éprouvé, dans leur fauteuil de cinéma, tellement d'émotions violentes que, tant que la réalité qu'ils ont sous les yeux en sortant de la salle ne ressemble pas aux épouvantes qu'ils ont vues sur l'écran, ils sont hors d'état de sortir de l'état de sécurité rassurée qu'ils ont éprouvé quand le film s'est achevé et que les lumières se sont rallumées (sous-entendu : « On ne nous la fait pas, à nous, on a vu pire » ; sous-entendu : il faudrait que la réalité fasse un effort pour ressembler au pire de la fiction).

 

Pourtant, ceux qui ont entendu, un soir au fond des bois, le cri du « lanceurdalerte », rapportent l’intensité de la frayeur froide de la mort qui les a alors saisis, même si aucun n’est d’accord sur son identification. Est-ce que le « lanceurdalerte » caracoule ? Grumelle ? Peupleute ? Truisotte ? Margaude ? Roume ? Pupule ? Cageole ? Craque ? On peut vérifier le vocabulaire : suis-je capable d'inventer quoi que ce soit ? Toujours est-il que les avis divergent et que ce flou n’est pas fait pour rassurer les foules. 

 

C’est d’ailleurs pour ça qu’on organise des battues mondiales au « lanceurdalerte », qu’on le réprime, qu’on le condamne, qu’on l'enferme, quand on peut mettre la main dessus. Beaucoup en tout cas les étriperaient volontiers, sans doute pour se repaître de leur chair, bien que personne, aux dernières nouvelles, n'ait encore goûté à celles de Julian Assange ou d'Edward Snowden. Mais quelques imprudents et quelques naïfs s'en mordent aujourd'hui les doigts (LuxLeaks, SwissLeaks, ...).

 

Malgré tous les efforts pour étouffer les cris des « lanceurdalertes », de plus en plus de gens adhèrent à l’idée qu’il faut lutter contre le réchauffement climatique. Mais comment ? C’est là que ça devient amusant. Tout le monde est d’accord pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais personne ne pense être pour quelque chose dans la chose. Non, c’est ces salauds de « gaz à effet de serre » !  Qu’est-ce qu’on attend ? Si on les attaque, on n’en fera qu’une bouchée, c’est sûr.

 

C’est comme si les gaz à effet de serre venaient d’un autre système solaire. Des aliens, quoi. En cas de crise, l'étranger est un bouc émissaire commode. Extérioriser le danger est très utile, non seulement pour éviter de heurter la sensibilité des populations d'électeurs, mais aussi pour les rassembler derrière un étendard. Le sens des responsabilités, oui, mais n'exagérons pas : il faut se faire réélire.

 

Seuls les plus informés s’inquiètent de l’ampleur de « l’empreinte carbone » que leurs propres (pas si propres que ça après tout) activités laissent dans l’atmosphère. Et seuls quelques héros, petite élite illuminée, agissent en conséquence, et amorcent le mouvement de décroissance en commençant par eux-mêmes et se convertissent à la sobriété. Autrement dit : pas lourd. Insuffisant.

 

En fait, ils ne l'amorcent pas, ils l'"anticipent" parce qu'ils se disent  que, de toute façon, plus nous retardons le moment de la décroissance, plus celle-ci sera soudaine, brutale et violente. Ils ont sans doute raison. L'humanité prendra alors la mesure, "in vivo" et en direct, de ce que signifie l'expression "sélection naturelle" en vitesse accélérée. La guerre de 14-18, en comparaison, aura été un aimable amusement tirant en longueur. Enfin, on peut se rassurer en se disant que, plus il y aura de bouches à mourir, moins ça en fera à nourrir. Pardon, je sais que je ne devrais pas.

 

La plupart des gens, moi le premier, ne changent rien à leur façon de faire, tout en veillant, au mieux (et c'est mon cas), à être raisonnables au quotidien en ne consommant que le strict nécessaire, en y ajoutant la part absolument irréductible de superflu, celle qui donne à l’existence les couleurs, les sons, les parfums, les saveurs, enfin tout ce qui fait qu’on a envie de mourir le plus tard possible.

 

Oui, je suis indécrottable, mais je me console en me disant qu’il y a pire que moi et que, finalement, mon « empreinte carbone » représente l'infinitésimale partie d’une minuscule virgule d’atome perdue dans le magma du texte de l’acte d’accusation que la planète (Gaïa) a depuis quelques dizaines d’années commencé à dresser contre les activités humaines. Je pense ici à Isabelle Stengers et à sa formule « l'intrusion Gaïa » (dans Au Temps des catastrophes, après La Sorcellerie capitaliste).

 

Ce qui frappe, c’est l’impavidité de tous ces responsables (viande de qualité mafieuse) des nations terriennes qui se disputent pour savoir qui doit commencer par réduire ses rejets de CO2 dans l’atmosphère, mais qui s’entendent comme larrons en foire pour refuser de remettre en question le principe même du développement et de la sacro-sainte croissance pourvoyeuse d'emplois (paraît-il) : les riches ne veulent rien perdre, les pauvres veulent les rejoindre, quoi de plus normal ? C’est ainsi, aujourd’hui, qu’on mesure les progrès de la démocratie dans le monde. Paraît-il. Crevons donc ensemble, mes frères.

 

La Terre suit sa logique : elle prépare l'addition, et soyons sûrs qu'elle n'oubliera rien. Celui qui veut se « développer » est doté d'un appétit de combustible proprement gargantuesque, sans parler de toutes les matières qui entrent dans les ingrédients du dit développement. La Chine, à ce titre-là, fait la course en tête. Appelez-le « développement durable » si ça vous amuse, la Terre comptabilise. Car la logique ne change pas, et reste celle d’un développement de prédation : extraire, produire, fabriquer, vendre, consommer, jeter, excréter. Gare au moment de payer : la douloureuse sera salée.

 

« Energie », fossile ou non, c’est le fin mot (le mot de la fin ?) de la civilisation qui est la nôtre. Il se trouve que c’est aussi la mienne, et que je n’ai aucune envie de lorgner vers d’autres sagesses (yogis, gourous, lamas, bouddhas, chamans, mystiques, derviches tourneurs, … la liste est interminable) que celles qu’elle nous a léguées. Je trouve déjà le paquet bien assez volumineux à digérer.

 

La planète est décidément tout sauf raisonnable d’avoir donné naissance à l’espèce humaine (j'avais trouvé cette idée formidable dans Malicorne, d'Hubert Reeves, 1990). Notre civilisation est sans doute une erreur fatale, mais c’est la mienne, et je persiste à la revendiquer comme telle. Or, on le sait : « Errare humanum est » (ne pas traduire : l'homme est une erreur, quoique ...). Ne comptez pas sur moi pour chanter en chœur le refrain : « Il faut sauver la planète ». Je l'ai dit, je ne suis pas militant écologiste. Tout juste accepterais-je d'être considéré comme un « mirlitant ».

 

Gilles Bœuf lui-même, cet ardent spécialiste qui sait tout sur la biodiversité, avoue que, autour de la trentaine, il en a eu marre de partir en guerre contre les moulins à vent (ce sont ses termes), et il a décidé, pour compenser, de consacrer toutes ses forces et toute sa science au développement et au perfectionnement de sa spécialité. Ce qui effraie, dans cette affaire, c'est qu'on a le choix entre "attaquer les moulins à vent" et "tomber dans l'oreille des sourds".

 

La planète est une écervelée. Elle n'avait qu'à faire comme Plick et Plock : réfléchir avant d'agir. Bien fait pour elle. Et en passant : bien fait pour l'humanité !

 

Car c'est trop tard, le mal est fait. Il est temps de réciter des poèmes. 

 

Comme disait Desproges (qui se savait condamné) : « Vivons heureux en attendant la mort ». Je plains juste les vivants qui viennent après nous.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

FIN

mardi, 04 novembre 2014

L’ÉLÉPHANT CÉLÈBES

LE JOURNAL DES VOYAGES AUX SOURCES DE MAX ERNST ? 

Les visiteurs de ce blog, s’ils se souviennent ou qu’ils font un détour par ce que j’y avais mis les 1, 2 et 3 août 2013, savent à quelle profondeur de sol est enraciné mon intérêt pour la « Bande Dessinée », nourrice au sein généreux et au lait aussi riche qu’Abondant et Crésus réunis.

 

Si je cite ces trois dates, c’est que j’y braquais alors ma lorgnette sur certaines sources qui avaient pu inspirer le grand Hergé pour certaines de ses vignettes. C’est ainsi que Les Malices de Plick et Plock (Georges Colomb, alias Christophe) ont été mises à contribution dans la scène du Temple du soleil où le capitaine Haddock se transforme en énorme boule de neige dévalant une pente vertigineuse (dans les deux images, notez le pied qui dépasse).

 

Que L’Idée fixe du savant Cosinus a fourni le remède miracle capable de le réveiller de son coma (Le Temple du soleil, p. 32, et On a Marché sur la lune, p. 61), quoique sur un thème plus en accord avec son penchant pour une boisson forte distillée en Ecosse, alors que le docteur Letuber avait réveillé Cosinus en introduisant, « pour se donner une contenance », une erreur dans la formule savante que ce dernier avait écrite sur son tableau noir, inventant « la fameuse mathématicothérapie ». Moralité : Hergé s'est souvenu de Christophe, par ailleurs inoubliable géniteur du sapeur Camember (né un 29 février) et de la famille Fenouillard.

 

Et puis j’étais tombé par hasard, en feuilletant une collection du Journal des Voyages, sur un incendie de prairie qui a bien pu inspirer celui de la page 38 de Tintin en Amérique. Et que Tintin au Congo, en sa page 20, avait fort bien pu aller y chercher la locomotive Decauville, que l’autorité de Tintin - dont l'automobile avait jeté bas celle-ci - commandant la manœuvre aux Africains réussit à remettre sur ses rails (se reporter aux billets mentionnés plus haut).


Mais c’est surtout l’éléphant formant la partie centrale de ces billets qui m’intéresse aujourd’hui. Car si je n’ai rien de nouveau sur le couple (ci-contre) Hergé-Journal des Voyages, un souvenir m’est revenu, en revoyant l’image de cet éléphant soulevant le « gamin de Paris » avec sa trompe, celui d’une œuvre peinte par Max Ernst en 1921 : L’Eléphant des Célèbes (parfois nommé "L'Eléphant Célèbes").

 

On pensera ce qu’on voudra de cette grosse masse couleur d’ardoise, la question n’est pas là. J'en ai pensé pendant un temps ce que j'ai pensé : je n’étais pas encore dessillé de la grosse fumisterie surréaliste.

 

L’encyclopédie en ligne signale que l’artiste s’est servi, pour la forme principale, d’un « silo à grains soudanais ». Je veux bien, c'est sûrement vrai, et je n’ai rien contre les silos à grains soudanais. Au contraire, je les adore. Pour dire le vrai, j’en raffole. Nul ne saurait se passer d’un silo à grains, surtout soudanais, surtout en temps de disette, surtout s'il est convenablement pourvu. Je me tapote cependant le menton.

 

Mon scepticisme paraîtra peut-être suspect (voire lèche-cul) à certains, mais qu'on juge plutôt la curieuse parenté de forme qui unit l’œuvre du peintre "surréaliste" (pas encore : le Manifeste est de 1924) à la gravure du Journal des Voyages. Bien mieux même, à la réflexion, qu’à la vignette d’Hergé. Il me semble que la confrontation des deux images met en évidence une source d'inspiration de Max Ernst, de façon très vraisembable. Tout n'y est pas, certes, mais ...

 

Je n’entrerai pas dans les détails, l’analyse ou l'argumentation : que celui qui a des yeux regarde. Je me contente de me gausser : Max Ernst a fourni à plaisir un arsenal de brimborions de ce qui fera plus tard l'attirail quincaillant et fossilisé des poncifs de la verroterie surréaliste (où l'on remarque encore, soit dit en passant, des souvenirs techniques de Giorgio de Chirico - alors l'idole d'André Breton - ou de Carlo Carra).

 

Alors je ne vais pas cacher une légère déception : l'éléphant, dans le récit du Journal des Voyages, n'a rien à voir avec les Célèbes (Kalimantan, Sulawesi, Moluques, ... enfin, c'est dans ce coin-là). Les aventures de Friquet, dans Le Tour du monde d'un gamin de Paris, (racontées par Louis Boussenard) se déroulent en effet quelque part en Afrique, sans doute du côté de l'actuel Gabon, où les aventuriers ont affaire aux cruels « Osyebas », des anthropophages sans pitié (qui, soit dit en passant, si ce sont bien les mêmes, fabriquent des représentations saisissantes du visage humain). Pour les amateurs de références précises, l'illustration figure à la p.37 du tome V, dans le n°107, paru le dimanche 27 juillet 1879.

 

Résultat des courses : si « l'éléphant est irréfutable » (cela doit dire quelque chose aux connaisseurs d'Alexandre Vialatte, que diable !), je ne sais pas de quel chapeau est sorti l'archipel des Célèbes. Voilà un beau thème de recherche pour les chercheurs. En revanche, je peux dire que Vialatte a fait venir cette expression sous sa plume en écrivant sa « Chronique d'Orson Welles, de Falstaff, et de plusieurs autres éléphants », publiée dans La Montagne le 9 août 1966. Toujours pour les amateurs de références précises.

 

Ma conclusion ? Oh, elle est simple : le Surréalisme prônait une « révolution de l’esprit » (vous savez, la sempiternelle rengaine andrébretonnouillante : « Changer la vie, a dit Rimbaud, transformer le monde, a dit Marx : ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un »), et il a, au bout du compte, accouché d'un avorton minable et dévastateur : Sa Majesté la Marchandise, en fournissant à la toute-puissante Régence de Son Eminence Publicité une mine inépuisable d’images (puisées dans les couches les plus superficielles de l'inconscient), capables de déréaliser la réalité et d’élever un écran infranchissable entre l’esprit des masses consommatrices et la destruction réelle du monde concret (la formule "destruction concrète du monde réel" est également admise).

 

Voilà ce que je dis, moi.  

jeudi, 15 novembre 2012

PLICK ET PLOCK CHEZ TINTIN

 

On ne discute plus d’HERGÉ, de nos jours. Le monde entier connaît les aventures de Tintin, reporter au Petit Vingtième. Tout le monde le sait, Tintin et Milou sont des totems adulés dans les villages du Congo, des justiciers détestés dans les gangs de Chicago, d’indéfectibles amis de Tchang dans les solitudes altières du Tibet. Comme on a dit : « Verdun, on ne passe pas ! », on peut dire : « Tintin, on ne touche pas ! ». Et ce n’est pas moi qui vais commencer à débiner la marchandise. 

 

Il y a un culte de Tintin qui, ne le nions pas, s’est répandu à travers le monde. On peut ajouter que certains commerçants avisés ont su mettre à profit la mode des « produits dérivés » pour améliorer l’état de leur compte en banque. A cet égard, je pense qu’on pourrait dire à bon droit que Tintin est le premier « blockbuster » de l’histoire, puisque les premières fusées XFLR-6 vendues dans le commerce (vous savez, le damier rouge et blanc, ça, c’était de la « com ») doivent remonter aux années 1950. Enfin, je n’en sais rien. 

 

Je ne suis certes pas « tintinolâtre », mais je peux me dire à bon droit « tintinophile », ayant, dans le temps, lutté victorieusement contre des individus qui croyaient pouvoir m’en remontrer dans la connaissance des détails. Mais ces temps épiques appartiennent au passé, et j’avoue que le goût du bachotage tintinesque, alors pratiqué en vue de briller auprès de quatre ou cinq obscurs quidams, ne fait plus, depuis longtemps, partie de mes priorités. Je vois désormais les choses avec un certain recul philosophique, et les viscères durablement pacifiées.

 

Cela rend d’autant plus intéressantes certaines « trouvailles » opérées au gré du hasard de lectures diverses. C’est ainsi que, ayant rouvert le volume des Malices de Plick et Plock, de CHRISTOPHE, je suis tombé sur des images qui m’ont ramené aussitôt à HERGÉ. Le volume est beaucoup moins connu que Le Sapeur Camember ou Le Savant Cosinus.

 

Sauf que Plick et Plock, ça a été publié entre 1893 et 1904. Longtemps avant Le Temple du soleil (1949), 13ème épisode de la saga (si l’on fait abstraction de l’assez mauvais épisode soviétique, soi-disant le premier, mais pour moi, ça vaut autant que la 1ère dent de lait tombée de la gencive de la 1èresouris, même si ça n'empêche pas l'édition princeps d'être cotée 35.000 euros, ils sont fous ces Romains).

 

Alors bon, quelque adepte contemporain de l’Eglise de l’Ou.Li.Po. (« Ouvroir de Littérature Potentielle ») plaidera je ne sais quel « plagiat par anticipation » (ils auraient tout aussi bien pu dire « précurseur postérieur » pour désigner le plagiaire), et dira que c’est GEORGES COLOMB (alias CHRISTOPHE) le coupable, et qu’il a piqué l’idée à HERGÉ (né en 1907) en reniflant sa boule de cristal.

 

Je vous explique. Dans Le Temple du soleil, Tintin, Milou, Haddock et Zorrino gagnent le dit temple en traversant les Andes. Sur tout leur parcours, de méchants Indiens tentent de les empêcher d’arriver. Parvenus aux neiges éternelles, ils subissent une avalanche déclenchée par l’éternuement d’Haddock. Pour le ressusciter, Tintin ouvre la bouteille de whisky, qu’Haddock, aussitôt réveillé, avale cul-sec.

Et c’est en poursuivant les lamas (rappelez-vous : « Quand lama fâché, senor, lui toujours faire ainsi. ») qu’il tombe (littéralement) sur les méchants, en se transformant en énorme boule de neige, qui les précipite du haut d’une falaise, alors que sa boule à lui se fracasse sur un rocher. Il l’a échappée belle.

Or on trouve, dans Plick et Plock, la même idée, pas au millimètre près, mais pas loin. Là, c’est Plick qui joue le rôle de la boule de neige, et c’est un « arbre providentiel » qui joue le rôle du rocher, Plock se contentant de jouer le rôle du whisky, puisque c’est lui qui pousse Plick dans la pente neigeuse. Même accident, même pied qui dépasse. Il n’y a pas à s’y tromper : HERGÉ a lu CHRISTOPHE. Mieux : il s’en est souvenu.  

That’s all, folks ! Juste le temps d’ajouter qu’ANDRÉ FRANQUIN s’est lui aussi souvenu de CHRISTOPHE dans une histoire de son Gaston Lagaffe. Gaston, qui a inventé un moyen révolutionnaire de se débarrasser du sapin de Noël sans semer des aiguilles partout (grâce à je ne sais plus quelle colle miraculeuse), se retrouve entièrement couvert des dites aiguilles. Et que c’est au hasard d’une corde pincée de son inénarrable gaffophone qu’il s’en trouve en un instant nettoyé (« Pff ! Gaston s’en sort toujours », lance-t-il à Fantasio ou Lebrac, je ne sais plus).

 

 

Eh bien on trouve un peu la même idée dans Plick et Plock : nos deux gnomes qui n'arrêtent pas de faire des bêtises sont aux prises avec l'électricité statique. L'un reste collé au mur, l'autre se voit recouvert des poils d'un caniche qui vient d'être tondu. Mlles Zig et Zag (souvenir des Voyages en zig-zag du grand RODOLPHE TÖPFFER ?) ne sont pas tombées de la dernière pluie, et d'un bout d'aiguille débarrassent illico les deux garnements. 

 

Longue vie à Tintin (bien qu’il manque carrément d'humour), longue vie à Gaston (parce qu’il est le bienheureux désordre dans une machine trop bien huilée). 

 

Voilà ce que je dis, moi.