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mercredi, 15 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : LE CAS BARBE

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J’aurais bien vu André Barbe en nouveau Walt Disney. Mais attention : un Walt Disney pour adulte, et pas un moraliste calviniste, puritain, et coincé dans la bulle des grands principes binaires, si chère au manichéen George W. Bush. Pourquoi n’a-t-il pas fait de dessins animés, des vrais à vingt-quatre images / seconde ? 

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Bon, il s’est contenté de faire de la bande dessinée. On ne va pas lui reprocher de faire ce qu’il a fait, maintenant qu’il est mort (en 2014). Parce que ce qu'il a fait atteint la perfection dans son genre. Son style, ainsi que les ouvrages qui sont sortis de son crayon, est immédiatement reconnaissable : un trait voluptueux d’une part, et d’autre part une disposition verticale des bandes, comme si le lecteur visionnait la pellicule d’un film image par image, mais en passant plus vite : il y a de l'ellipse, dans la torridité des images fabriquées par André Barbe. 

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Pour le confesseur (en deux mots ?), la bande retrace impeccablement la trajectoire de son imaginaire : des seins, il est si facile de passer aux fesses. Mais finalement, il se contentera de la bouche. On a compris, Barbe, tu es anticlérical.

Le trait épicurien qu’il déroule en arabesques infatigables, c’est, on l’a sans doute deviné au vu des illustrations, pour le corps féminin. Barbe éprouve un amour inextinguible pour les formes féminines, qui ont le pouvoir particulier (et légèrement pervers, bien entendu) de, tout à la fois, combler et frustrer le spectateur. Barbe rêve de sentir entre ses mains un tel corps. Alors il se dessine en train de le tenir d'une main et de le dessiner de l'autre (ci-dessous). Magie du trait : pour le coup, la formule n’est pas usurpée. Mais plaisir, sans doute, de masturbateur, car s'il tient la femme, elle demeure absente. La magie du trait, c'est précisément ça : matérialiser le fantasme.

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Le corps de la femme n’apparaît en entier, superbement rendu évidemment, que de temps en temps, aussitôt disparu dans le grossissement soudain d’un détail, qui se transforme bientôt à son tour. Barbe n’aurait jamais pu être cinéaste : il prend trop de liberté avec le réel. Il a fait sienne la devise du scientifique : « Tout se transforme ». Je ne vois donc que le dessin animé. Ses Strips et autres Cinémas ne sont rien d'autre que du dessin animé servi sur planche.

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Planche I.

Ce que Barbe voit, il ne le voit jamais longtemps, juste le temps de s'électriser. Perdre de vue avant de voir surgir. Le désir est par essence mouvement : ce buisson est à peine devenu un pubis fourni encadré par deux cuisses ouvertes qu’on voit apparaître les collines de deux fesses dans le creux desquelles apparaît un guerrier à cheval (ou qui que ce soit d’autre), et puis voilà (pouf, pschitt, hokus pokus, abracadabra) que déboule dans le paysage une paire de seins du meilleur aloi. Pas le temps de toucher : le corps féminin s’est évanoui dans le décor. 

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Planche II.

Voilà, fascinantes et charnelles jusqu’au pulpeux, les héroïnes de Barbe vous attirent et disparaissent. Ce sont des allumeuses. La BD de Barbe exacerbe un désir masculin toujours renouvelé et jamais satisfait. L’auteur a tout compris de ce pouvoir millénaire, indéracinable. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une BD féministe, mais une BD célébrant (gare au stéréotype) l’ « éternel féminin », tel qu’il surnage encore, on ne sait trop comment ni pourquoi, dans les rêves des hommes. J'espère.

Barbe est peut-être un obsédé, mais il sait poser des formes splendides sur ses obsessions. Ce qu'on appelle le grand art.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 12 décembre 2012

GRAVIR LE MONT PEREC

Pensée du jour :

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ERWIN BLUMENFELD

 

« Il n'est rien de plus charmant que les proverbes arabes, et même les proverbes tout court. On les trouve dans les agendas, entre une recette pour recourber les cils et la façon d'accommoder le riz cantonais. Ils parfument la vie de l'homme sensé. Ils font parler le crapaud, ils racontent la brebis, ils décrivent le rhinocéros. Ils rendent le lion sentencieux et la chèvre pédagogique. Il leur arrive de comparer le commerçant aisé à la fleur du jasmin, et l'homme sage à un vase de cuivre orné de riches ciselures par un habile artisan de Damas. On voit par là que nulle métaphore ne les effraie ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

Résumé : je demandais juste : « Mais qu’est-ce que c’est, bon sang, un onzain hétérogrammatique ? ».

 

 

Très simple à expliquer : c’est un poème de onze vers dont chaque vers est composé de onze lettres. Ajoutons que ces onze lettres, à chaque vers, doivent être strictement les mêmes. Et si on met les lignes bout à bout, on est censé trouver une suite de mots, qui veuille autant que possible dire quelque chose. 

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VOIR TRADUCTION PLUS BAS

Appelons ça un poème, si vous êtes d’accord. On connaît le haïku, poème comportant exactement 17 syllabes. C’est du japonais. Eh bien GEORGES PEREC invente le poème de 121 lettres, pas une de plus : c’est ça le « onzain hétérogrammatique ».

 

 

C’est autrement fortiche que le sonnet, je peux vous le dire. Avec ses Cent mille milliards de poèmes, RAYMOND QUENEAU peut aller se rhabiller, même si PEREC dédie La Vie mode d’emploi « à la mémoire de Raymond Queneau ». 

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CENT MILLE MILLIARDS ? VRAIMENT ? C'EST DE LA PRESTIDIGITATION !

C'EST AUSSI UNE EXCELLENTE TROUVAILLE DE "COM".

Et pourquoi « ulcérations », alors ? Très simple à expliquer, là encore. Prenez les onze lettres les plus fréquentes du français écrit, vous obtenez la série suivante, dans l’ordre : E, S, A, R, T, I, N, U, L, O, C. Vous cherchez un bon moment s’il n’y a pas un moyen de faire quelque chose de cette liste, vous cogitez, et soudain, la lumière se fait : « Ulcérations », en prenant soin de mettre le mot au pluriel. C’est PEREC qui a trouvé ça.

 

 

Je dois dire, pour être tout à fait sincère, que la valeur littéraire des poèmes ainsi obtenus est très loin de sauter aux yeux, comme on peut le voir ci-dessous. C’est sûr que c’est une prouesse digne de Tristan terrassant le Morholt ou de David assommant Goliath. Un exploit. 

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TRADUCTION DU ONZAIN : QUI AURAIT ENVIE D'APPRENDRE ÇA PAR COEUR ?

(rendez-moi Baudelaire)

L’accomplissement d’une tâche surhumaine. Qui me fait penser à cette très belle réplique mise par GOSCINNY dans la bouche du commerçant auquel s’adresse Lucky Luke dans Des Barbelés sur la prairie : « Pour l’impossible, nous demandons un délai de quinze jours ». Mais pour un résultat capable de réjouir les capacités de calcul d’un ordinateur. Pendant ce temps, le poète patiente à la porte. Dans le froid glacial.

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DESOLE : C'EST LA SEULE PLANCHE DONT JE DISPOSE

Franchement, c’est comme les virtuosités vocales des mélismes de CECILIA BARTOLI chantant VIVALDI : à l’arrivée, je me dis : « Tout ça pour ça ! ». Tout ça pour dire que l’oulipianisme de GEORGES PEREC me laisse un tout petit peu sceptique, même si je reconnais l’absolue supériorité du maître dans tout ce qui concerne les jeux avec les lettres (et avec les Lettres). Heureusement, le génie de PEREC remplit avantageusement les formes que son goût pour les contraintes d'écriture lui suggèrent jour après jour.

 

 

 

Car la sécheresse du pur formalisme n’est pas loin, comme si l’on essayait de mettre au point une machine capable de produire du vivant (BERGSON, au secours !). Et en même temps, une forme de préciosité héritée de Mademoiselle de SCUDERY. Mais le JEU ne fut pour GEORGES PEREC, en quelque sorte, que la voie d'accès à l'expression de son monde à lui par la littérature. PEREC a eu besoin du jeu (les contraintes oulipiennes) pour laisser libre cours au flux (appelons ça comme ça, par convention) créatif qui le traversait.

 

 

Ce n’est pas pour rien que PEREC (et il l'est peut-être encore, je ne me tiens pas au courant des avancées de la compétition, puisqu’il y a évidemment surenchère, et que celle-ci m’intéresse, je dois dire, tout à fait moyennement) le recordman de tout le système solaire pour ce qui est du PALINDROME.

 

 

Si vous consultez un des deux volumes « oulipo » de la collection « Idées / Gallimard » (La Littérature et Atlas, mais maintenant, pour les curieux, il y a la Bibliothèque oulipienne authentique), vous saurez. Je crois me souvenir que le palindrome de GEORGES PEREC est fait de 1247 mots.

 

 

Au fait, je n’ai pas dit ce que c’est, un palindrome. J’aurais dû. En musique, ça existe aussi, ce n’est pas monsieur PHILIPPE CATHÉ qui me contredira. OLIVIER MESSIAEN a inventé les « rythmes non rétrogradables », qui reposent exactement sur ce principe : on peut lire le texte en commençant par le début ou par la fin sans que l’ordre des signes écrits ait varié d’un iota (mais s'agissant de mots, le sens change évidemment, contrairement à ce que déclare le crétin qui a rédigé la notice wikipédia).

 

 

 

Le palindrome a bien sûr attiré l'attention de l'humain dès que celui-ci disposa de l'alphabet. ALFRED JARRY cite dans Messaline le très connu « ROMA / AMOR ». GUY DEBORD élabora l'extraordinaire « In girum imus nocte et consumimur igni » ("Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu").

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Je vous donne juste le début de l'exploit accompli par GEORGES PEREC : « Trace l’inégal palindrome. Neige. Bagatelle, dira Hercule. »,et la fin : « Ta gabegie ne mord ni la plage ni l’écart ». Vous pouvez vérifier dans un miroir (sans tenir compte des accents et autres signes adventices).

 

 

Là encore, admirons la prouesse, mais ne nous demandons pas trop violemment ce que tout ça peut signifier. En comparaison, GUY DEBORD n'a battu aucun record, mais il a trouvé une pépite en or massif (si c'est lui qui l'a trouvée, ce que j'avoue ne pas savoir, mais il n'y a pas de raisons d'en douter).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 11 décembre 2012

GEORGES PEREC LE JOUEUR

Pensée du jour :

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EDWARD WESTON

 

« Il faut de temps en temps remettre les pendules à leur ... place ».

 

JOHNNY HALLIDAY (on ice & on the rocks, hic et nunc, et sursum corda, ad altare deo, mais ça reste surtout "on the rocks")

 

 

J’ai mentionné hier le nom de GEORGES PEREC. J’ai même évoqué le livre qui l’a fait connaître (Les Choses, Julliard, 1965), vous savez, cette « histoire des années 60 » qui commence par un chapitre au conditionnel, et dont l’épilogue est écrit au futur. Je suis allé jusqu’à exhiber sa trombine.

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C'ETAIT AVANT BEN LADEN ET TOUTE SA CLIQUE

Tout ça pour dire que GEORGES PEREC est, je crois, un grand écrivain. Peut-être même, allons-y carrément, un auteur. Un vrai. On sait qu’on a affaire à un auteur quand on est face à un ensemble qu’on appelle une œuvre. Et l’œuvre est incontestable. Mais elle souffre, pour apparaître comme telle, d’un, disons, handicap. 

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DESSIN D'EMILIE SCHEFFER

Elle est hétérogène, je veux dire bigarrée, papillonnante, hétéroclite et disparate. Difficile à saisir dans son unité, si elle en a une. Certains soutiennent même l’idée que PEREC est moins un écrivain qu’un amateur d’énigmes cabalistiques quasiment indéchiffrables.

 

 

Pour donner un exemple de cette tare rédhibitoire, ils citent, entre autres, les 24 « portraits imaginaires » peints par l’artiste Hutting dans La Vie mode d’emploi (soit dit en passant, je me demande si ce n’est pas le seul livre qui porte, au dessous du titre, la mention « Romans », au pluriel) : prenons au hasard le n° 19. Voilà comment il est présenté : « L’acteur Archibald Moon hésite pour son prochain spectacle entre Joseph d’Arimathie ou Zarathoustra » (on trouve ça p. 354).

 

 

Passons sur l’approximation grammaticale que constitue le « ou » (on attendrait plutôt « et »), car elle est intentionnelle : elle nous révèle l’identité d’un personnage bien réel. Et pas n’importe qui, puisqu’il s’agit du grand ami de GEORGES PEREC. Il s’appelle HARRY MATHEWS, et a vécu à Lans-en-Vercors, aux côtés de MARIE CHAIX, auteur, entre autres, du très beau Les Lauriers du lac de Constance. On décrypte le nom du monsieur dans la séquence « Arimathie ou Z ». Fallait y penser !! Ce serait négligeable si cette chinoiserie cryptographique était un cas isolé.

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HARRY MATHEWS EN 1984

Mais non ! Il fait passer dans cette moulinette les noms de tous les membres qui constituaient alors l’Ou.Li.Po. (Tham Douli portant… ; NOËL ARNAUD : Coppélia enseigne à Noé l’art nautique, …, etc.). Et s’il n’y avait que ça ! Mais non ! C’est tout le temps comme ça. Tenez, tout le monde a entendu parler du roman La Disparition (1969), n’est-ce pas ? 

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C'EST JUSTE LA PREMIERE PAGE

Je ne sais pas s’il est vrai, comme ça se raconte, que nul, parmi les « critiques » littéraires (autoproclamés) qui ont commenté le roman à parution, ne s’est aperçu du procédé (le « lipogramme » = "j'abandonne une lettre") mis en œuvre, mais si tel est bien le cas, ça veut dire au moins une chose : GEORGES PEREC est un maître.

 

 

Non seulement il use d’une ficelle qui, quand on la connaît, crève les yeux au point qu’on ne voit plus qu’elle, mais il arrive à la dissimuler aux yeux les mieux exercés et les plus perspicaces sous la trame d’un authentique roman romanesque pleinement réussi.

 

 

La Disparition  raconte en effet, en environ 300 pages, l’histoire d’une disparition : celle, tout simplement, de la lettre E, la plus fréquente du français ! Cela a-t-il pu échapper à tout le monde ? Ça me paraît difficile, mais bon. Et pour faire bonne mesure, GEORGES PEREC s’offre le luxe d’un passage dépourvu non seulement de E, mais aussi de A. Vous pouvez essayer en famille, le soir : c’est un jeu de société comme un autre, après tout. Pas donné à tout le monde, quand même.

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ICI, ON EST P. 296 : UN JEU D'ENFANT, COMME ON VOIT

Et le pompon, la cerise sur la crème fouettée du délectable « Forêt Noire », c’est, trois ans après (1972), l’exercice inverse : on trouve en effet dans Les Revenentes l’emploi exclusif de mots dépourvus de toute autre voyelle que E. Ce n’est pas sans diverses « acrobaties » ou « approximations » (y compris dans La Disparition, où PEREC tord le bras plus d’une fois à l’orthographe canonique ou à la syntaxe). Et ça peut laisser sceptique.

 

 

On peut le dire : pour PEREC, la littérature commence AU PIED DE LA LETTRE. Je crois que ce qui pourrait définir le mieux la démarche littéraire de GEORGES PEREC, c'est précisément qu'il prend la littérature AU PIED DE LA LETTRE pour pouvoir JOUER avec elle.

 

 

 

Et là, on peut le dire : c’est le virtuose. C’est le premier violon super-soliste. Même son ami HARRY MATHEWS le reconnaît avec simplicité : dans les exercices d’ « ulcérations », il n’arrive pas à sa cheville. En un tournemain, il vous torche, vite fait sur un coin de table, un onzain hétérogrammatique en se jouant des difficultés. MATHEWS, en comparaison, il tire la langue (c'est lui qui le dit). Mais vous me direz : « onzain hétérogrammatique », qu’ès aco ?

 

 

Ça vient, ne poussez pas.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 17 novembre 2012

BANDE DESSINEE : L'ÂGE D'OR ?

Pensée du jour :

GRILLE 6.jpg

"GRILLE" N°6

 

« Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi) ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

L’un de mes plus beaux souvenirs de bande dessinée n’est pas une image, c’est une phrase : « Ta médiocre beauté ne m’a déjà que trop gâché l’aube naissante ». Ça c’est du texte. CUVELIER 12.jpgEt du littéraire, s’il vous plaît. Pour l’éventuelle élite des amateurs authentiques, je le déclare : la phrase est tirée d’Epoxy, une Bande Dessinée de PAUL CUVELIER, où l’auteur s’en donne à cœur joie avec la mythologie grecque. Mais il s’en donne aussi à cœur joie avec le corps féminin, pour lequel il ne cache pas un penchant irrésistible qui mérite notre sympathie (purement esthétique, s’entend !).CUVELIER P.jpg

 

 

C’est Aphrodite en personne qui s’adresse à l’héroïne de PAUL CUVELIER, dans ce livre où l’action semble se dérouler sous les tropiques, vu la façon dont toutes les femmes sont habillées. Enfin, quand je dis « habillées », c’est une façon de parler. En réalité, c’est une belle œuvre qui offre au dessinateur le prétexte de déclarer son amour aux formes féminines, qu’il représentait, avec une tendresse visible, dans une sorte d’infini de variantes posturales, sans jamais donner prise à la plus légère once de vulgarité.

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EPOXY CHEZ LES AMAZONES, C'EST VIOLENT, MAIS PAS TOUT LE TEMPS 

 

Sans aller jusqu'aux coquineries d'un DANY, qui s'est fait une spécialité du dessin d'humour érotique, je citerai, dans le même genre d'amoureux du corps féminin, le dessinateur TAFFIN, en particulier un fascicule intitulé Fume...c'est du Taffin (Kesselring, 1976). Tout n'est pas très bon, c'est vrai, ça sent son côté gentillet des années 1970, flower power, peace and love (que GOTLIB, me semble-t-il, écrivait d'ailleurs "pisse and love", accompagné de "phoque and chite" dans un des premiers numéros de L'Echo des savanes).

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J'en retire cependant deux images : l'une est un dessin (ci-dessus), l'autre est une photo (ci-dessous). Le dessin semble caresser les contours du personnage. Quant à la photo, elle représente CAROLE LAURE (photographiée par DUSAN MAKAVEJEF) en train de prendre un délicieux bain de chocolat.

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Tout ça pour dire que j’ai été fan de Bande Dessinée. Cela m’a passé, mais pendant longtemps, je me suis shooté à l’hebdomadaire (Spirou, Tintin, plus tard Pilote, au temps de leur splendeur), et à l’album (quand il n’en paraissait pas plus de 150 par an, cela restait dans mes moyens). Tout ce qui sortait, ou à peu près. J’étais « accro », il me fallait ma piquouse sous peine de manque. Maintenant, il en paraît 1500 chaque année, comment voulez-vous ?

 

 

C’était quand la bande dessinée appartenait à la catégorie des « loisirs populaires » (expression à prononcer avec une nuance de mépris, si l’on veut être « à la page »). Le cas ressemble un peu à celui de l’opérette. Car il fut un temps où l’Opéra de Lyon était encore indemne du virus du snobisme culturel et de l’exaltation lyrique de « faire moderne ». 

 

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C’était avant que des « experts » et « spécialistes » de BD autoproclamés de tout poil ne posent leur patte sur ce qui était à leurs yeux un « marché prometteur » et un « créneau porteur » pour donner un petit air « moderne » à tout ça et « faire sortir la BD du ghetto enfantin ». C'était avant que la BD passe du plaisir du « loisir populaire » à la consommation du « loisir de masse ». Passage qu'on peut situer autour de 1980.

 

BDM 1983.jpgPour vous dire, c’était avant que, une fois que le « marché » eut tenu ses promesses, messieurs BERA, DENNI et MELLOT n’entreprennent (c’était en 1979) d’inventorier non seulement tout ce qui paraissait de BD année après année, mais aussi tout ce qui avait paru depuis les origines (1805, d’après eux, avec le Robinson Crusoëd’un certain DUMOULIN, mais je conteste – voir ma note d’hier).BDM 2009.jpg

 

Dans le milieu, tout le monde connaît désormais l’incontournable et indispensable BDM –  véritable bible baptisée « argus officiel » – qui paraît revu et corrigé tous les deux ans, et qui vous donne la « cote » d’absolument tout ce qui a été publié depuis 1805, c’est vous dire le sérieux de cette entreprise florissante.

 

 

Vous apprenez ainsi que si vous avez l’originale du Guêpier de DANIEL CEPPI (1977, Editions Sans Frontières), votre capital est de 30€. Mais il faut savoir que l'album a connu un curieux pic dans les années 1980, puisqu’il est bizarrement monté, pendant un temps, à 600 francs, avant non pas de s’abouser, mais de redevenir normal (voilà que je parle comme un vulgaire HOLLANDE, moi, il va falloir surveiller ça). C’est un exemple parmi des milliers d’autres.

 

 

Moi je m’en fiche, de toute façon : je ne suis pas collectionneur. Ainsi, pour vous dire combien je suis bête, j’avais acheté 150 francs, à la librairie Expérience, une petite échoppe de la rue du Petit David, tenue par ADRIENNE (l'adorable ADRIENNE KRIKORIAN), une édition en sérigraphie de Capitaine Cormorant, de l’immense HUGO PRATT, numérotée et tout, magnifiquement et grassement encrée. Dans le BDM ? Il cote 850€ ! 

PRATT CORMORANT.jpg 

Moi, je l’ai revendu (je ne vous dirai pas combien) pour acheter d’autres nouveautés. Pareil pour les deux Corto Maltese de chez Publicness (respectivement 3000 et 500€). J’étais trop curieux des nouveautés pour collectionner. Plutôt cigale que fourmi, si vous voyez. Le plaisir de découvrir plutôt que le souci de posséder pour accumuler.

 

 

Par-dessus le marché, pour être un bon collectionneur, il faut savoir ce qu’on veut, faire un choix, car il n’y a pas de cumul des mandats possible (vous voyez ce que je veux dire ?), et c’est un métier à plein temps (un « full time job », comme refusent de dire les hommes politiques français, si soucieux de rester pas trop nombreux pour se partager profitablement le gâteau des responsabilités).

 

 

Ce n’est donc jamais le « marché » qui m’a guidé. C’est pour dire combien je suis un être désintéressé. Pas un pur esprit, mais pour ainsi dire, quoi !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.