dimanche, 21 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (2)
SPECTACULAIRE ENVOL VERS LA LUMIERE DU SYMBOLE DE FRANÇOIS HOLLANDE ET DE TOUT LE PARTI SOCIALISTE DANS LES SONDAGES
APRES LE "CHOC DE MORALISATION"
ET LA CONFESSION DE JERÔME CAHUZAC
(car nous parlerons aujourd'hui de la confession, mes bien chers frères)
***
Je lançais donc un cri d’alarme : le Mal est désormais parmi nous, et ses racines inextricablement et durablement enchevêtrées s’enfoncent dans notre sol et étendent leur rhizome. La végétation qui émerge de ce sol où le Mal se mélange au Bien est désormais impure, et c’est son air que nous respirons, et ce sont ses pousses que nous trouvons dans nos assiettes.
Si nous étions en terre d’Islam, quel bonheur serait le nôtre ! D’une simplicité angélique. D’un côté le Coran, de l’autre le Sheitan (Satan). L'âme du musulman peut dormir sur ses deux oreilles, en paix avec elle-même.
Au moins là, le Mal, il est nommé, et l’on se donne les moyens de le chasser, à coups d’exorcismes et de bûchers purificateurs. A coups de confession, aussi : on ne se doute pas du bienfait qu’a fait à l’humanité souffrante l’invention de la notion de péché, et du bienfait qui allait avec, quand le pégreleux en robe noire, derrière sa grille en bois, vous soufflait dans le nez, en même temps que son haleine fétide chargée d'ail et de molaires pourries, là-bas dans le fond, l'absolution rédemptrice : « Ego te absolvo ! Mon fils, vous direz trois Pater et deux Ave. Allez en paix ! ».
On repartait le cœur léger et l’âme guillerette, prêt (et autorisé) à recommencer. L’invention du péché, celle du Manuel du confesseur, celle de l’absolution furent des bouées de sauvetage lancées à l’humanité (au moins l'occidentale chrétienne), auxquelles celle-ci s’est accrochée avec succès pendant combien de siècles ?
La confession et le péché, l’aveu, l’absolution et la rémission, quel merveilleux moyen de se débarrasser du Mal ! On l’expulsait hors de soi jusqu’à la prochaine fois. C’est sûr, il y avait une prochaine fois, aujourd’hui, un bon commercial dirait que c’est un « marché captif » : le client ne peut pas vous échapper. Il reviendra forcément. Même que l’homme en noir pouvait en rajouter dans la culpabilité : « Depuis combien de temps, mon enfant, n’êtes-vous pas venu ? ».
La civilisation qui a inventé la responsabilité personnelle, qui n’est finalement que la rançon de la liberté individuelle, a inventé dans la foulée le moyen souverain de résoudre en permanence le conflit entre la conscience et le monde (enfin, disons les actes commis dans le monde), entre la conscience et les autres.
J’ouvre une parenthèse. Pour être honnête, il faudrait dire que les curés sont allés très loin avec l’acte de contrition : « J’ai péché par pensée, par action et par omission ». La totale ! Quoi que tu fasses ou ne fasses pas, impossible d’échapper ! Que des moyens infaillibles mis au point pour, en accumulant les peccadilles journalières, se retrouver chargé de noirceurs et retrouver fissa le chemin du confessionnal. Je ferme la parenthèse.
Donc, carrément impossible de se coucher le cœur en paix : tout le monde a forcément, tous les soirs avant de s’endormir, quelque chose à se reprocher, ou quelque motif de s’en vouloir dans tout ce qu’il a pensé, dit, fait ou pas fait. C’est normal : le monde produit du Mal sans jamais s’épuiser, à jet continu. Le commercial en soutane n’a pas à bouger de sa chaise : le pénitent s’avance vers lui, à genoux, en se frappant du poing la poitrine : « Mea maxima culpa ».
C’était le bon temps où l’homme, ayant vaqué à ses occupations pendant la journée, faisait un détour par le confessionnal, rentrait chez lui et dormait du sommeil du Juste et l'âme en paix - non sans avoir au préalable dûment honoré bobonne de sa petite besogne repopulatrice. Le monde était bien organisé. Au moins dans les têtes.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 20 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ?
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Il n’y a pas si longtemps – c’était après le 11 septembre 2001 – le président des Etats-Unis George W. Bush, surnommé le Nabot Léon américain, a fait un grand discours dans lequel il lançait la grande croisade définitive contre « L’Axe du Mal ».
Vrai, on se serait crus revenus aux glorieux temps de la reconquête du tombeau du Christ, où Godefroi de Bouillon parvenait à convaincre toute la chrétienté de se lancer à l’assaut de l’Islam et de remporter sur lui l’éclatante victoire de la vraie religion sur ce que le monde comportait de pire en matière de paganisme, d’irréligion et d’incroyance : le mahométan.
Je note, juste en passant, qu’après les croisades (dont la dernière catastrophique, en 1204), les grandes entreprises occidentales et chrétiennes furent les « grandes découvertes » (autrement dit les « grandes conquêtes »). Les occidentaux chrétiens, ils ont dû se dire que les Arabes, les musulmans, le Sultan, sa Sublime Porte, c’était vraiment un morceau trop coriace à avaler, et qu'il valait mieux aller voir ailleurs si on y était. Et le plus fort, c’est qu’on a fini par y être, et même partout ailleurs.
Le problème, c’est que George W. Bush, pour lancer sa proclamation, est né mille ans trop tard (à quelques cheveux près). Notre époque, emmenée par un occident chrétien plus ou moins déchristianisé, ne sait plus quoi faire, avec le Mal. Elle a perdu le mode d’emploi. Elle ne sait plus où le mettre. Notre époque ne sait plus où est passé le Mal. A croire qu'il n'y en a plus, qu'il a disparu corps et biens.
Ou alors, au contraire, elle le voit tellement partout, qu’elle ne sait plus comment le vaincre, le Mal. Il est partout et nulle part. La recette, qui permettait de mettre un nom dessus et qui remontait à la plus haute antiquité, s’est égarée dans les poubelles mises au point par le progrès technique. Peut-être qu’un éboueur inattentif l’a mise, avec les autres détritus, dans l’incinérateur où finissent les surplus de notre force de travail. Allez la retrouver, maintenant !
Résultat, les sociétés qui savent encore expulser le Mal de leurs rangs se comptent sur les doigts de la main d’un voleur de Tombouctou, coupée avec une Charia en pleine forme et dûment aiguisée, par un militant exalté d’Aqmi. Résultat, faute d’être reconduit manu militari à la frontière, le Mal s’est installé au cœur des sociétés humaines qui, ayant mis au placard et au musée les outils (rituels religieux, peine de mort, …) qui servaient à organiser rituellement des charters de maux renvoyés dans leurs pays d'origine, essaient tant bien que mal de « faire avec », de le contenir dans des limites acceptables, et même de le recycler.
Mes bien chers frères, le Mal est donc parmi nous, il a pris racine, il se promène incognito, en liberté, dans nos rues et nos médias, il a pris les habits de tout le monde, il a pris la figure de tout le monde : dans ce monde soumis à la loi du : « Je fais ce que je veux quand je veux parce que je le vaux bien », impossible désormais de l’identifier, de le nommer, de l'isoler, pour l'expulser hors de l'homme.
Toute tentative de purification est désormais vouée à l'échec. On est mal barrés.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 19 avril 2013
IL JOUAIT DU PIANO-JOUET
L'OUVRAGE DE MARIE-ANGE GUILLAUME
Fred, le dessinateur et inventeur d’histoires, a-t-il rencontré John Cage, le massacreur de l’idée de musique, capable de rester les bras ballants devant son piano pendant 4′33″ devant une salle comble, juste pour montrer que, même quand il ne joue pas, il continue à y avoir de la « musique », produite par le public lui-même ? Enfin, disons plutôt des sons. Bref, des bruits, quoi. Leurs routes se sont-elles croisées ? Cela m’étonnerait. Et pourtant …
EXECUTION PUBLIQUE DE 4'33"
Dans la vie, il faudrait pouvoir prévoir l’imprévisible, s’attendre à l’inattendu et ne pas se laisser surprendre par les surprises de l’existence. Ce serait la meilleure manière de gérer nos existences « en bons pères de famille » (je signale que l’expression figure en toutes lettres dans le Code civil, et s’adresse par conséquent aussi aux femmes).
JOHN CAGE EN PERSONNE JOUE SA "SUITE FOR TOY PIANO"
Heureusement, il n’en est rien. Heureusement, tout le monde n’est pas comme Goethe, à ambitionner d’encadrer la vie des individus et des sociétés dans le carcan de la rationalité, jusqu’à étouffer l’envie de vivre. Heureusement, la vie est pleine d’imprévoyants, d’inattendants et de surprenants. A ce titre, Fred mérite à coup sûr de figurer parmi les émerveillements de l’existence.
WILHEM LATCHOUMIA PROUVE QU'ON PEUT LA JOUER AVEC SON CUL
(CERTAINS DIRONT, PEUT-ÊTRE A JUSTE TITRE, QU'ON PEUT S'ASSEOIR DESSUS)
En l’occurrence, il s’agit du télescopage – improbable mais authentique – entre l’imagination débridée de notre génial dessinateur et le savoir-faire desséché d’un imposteur de la musique moderne. C’est la raison a priori bizarre qui m’a fait donner à ce billet ce titre bizarre : Fred et John Cage. Eh oui : ils ont travaillé sur les mêmes instruments : des pianos-jouets.
CETTE FOIS, C'EST MARGARET LENG TAN QUI S'Y COLLE, AVEC UN SERIEUX OLYMPIEN
J’ai eu récemment l’honneur et l’avantage d’évoquer ici la Suite for toy piano, qui fait glorieusement pendant aux 4′33″ précédemment citées. Alors je ne sais absolument pas si Fred est allé pêcher son idée chez John Cage. En explorant la chose sur internet, je me suis rendu compte que le toy piano, cette chose inventée pour encombrer la chambre du petit dernier à Noël, et lui permettre de casser durablement les oreilles de papa et maman, faisait fureur dans les salles de concert dites sérieuses.
ET PHYLLIS CHEN NE VA PAS TARDER A S'Y METTRE
Fred a, on le sait peu, travaillé pour le cinéma. Il a, entre autres, écrit quarante contes. Ces contes étaient conçus à partir de mots. Fred raffolait de ça : prendre une expression au pied de la lettre et lui faire cracher son potentiel imaginaire. Le Train où vont les choses (son dernier album) a été extrait de cette mine-là.
LE TOY PIANO FAIT FUREUR, VOUS DIS-JE !
(ICI, YAN TIERSEN)
Il raconte, dans le livre de Marie-Ange Guillaume (L’Histoire d’un conteur éclectique, Dargaud, 2011), le tournage d’un film construit autour d’une harpiste. Sous les yeux des habitants de HLM de banlieue, intrigués, des « Hell’s Angels » sont payés pour écouter sa musique d’un air béat. Et puis des flics (acteurs) ordonnent à la harpiste et aux motards de déguerpir.
ALLEZ, ENCORE UNE LOUCHE DE MARGARET LENG TAN DANS LA "SUITE" DE CAGE
Les gens penchés aux fenêtres des HLM où se déroulait la scène engueulent alors les « flics » en hurlant : « Laissez-la continuer ! C’est beau, cette musique ! ». Ceci pour dire que Fred est toujours prêt à emmagasiner les bonnes histoires qui se déroulent sous ses yeux. Je veux dire, à construire des histoires à partir de ce qui se passe en sa présence.
ET DES PRIX DE CONSERVATOIRE S'Y METTENT TRES SERIEUSEMENT
L’un des contes écrits par Fred est intitulé Musique de petite chambre. Comme d’habitude, Fred se sert d’une expression toute faite pour faire courir son imagination. Je me dis qu’il aurait pu trouver un autre titre, je ne sais pas, Musique de chambrette, tiens, pourquoi pas ?
Le pianiste du récit, en grande tenue sous son vieux manteau, fait du porte à porte et propose ses concerts. Après avoir essuyé une rebuffade, il est invité par une femme qui possède un piano. Mais c’est un tout petit : un piano-jouet. C’est tout ce qu’elle a, un cadeau de ses parents, qu’elle a conservé. Comme c’est un piano à queue, il accepte de rester. Il installe tout pendant que la dame se change derrière un paravent.
ET PUIS VOILA LE TRAVAIL DE FRED !
Mais les préparatifs de la dame s’éternisent, et tout d’un coup, le pianiste éclate : « Comment ? Je ne supporte pas qu’on arrive en retard à mes concerts, surtout à domicile ! Enfin quoi, madame ? C’est la dernière impolitesse ! ». Il claque la porte. Désolée, elle sort de derrière le paravent en grande tenue de grande soirée, et exprime ses regrets, tout en tapotant le piano-jouet, qui rend des sons d’ « authentique piano de concert ». L’amertume et l’ironie de ce petit récit font partie de la signature de Fred.
L’enfantillage assumé du « conteur éclectique », on me dira ce qu’on voudra, est infiniment aimable. L’enfantillage de John Cage, qui se prend très-très au sérieux, et que les gogos gobent comme des mouches, est infiniment haïssable.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 18 avril 2013
ET PUIS NON ! ... FRED N'EST PAS MORT ! ...
MERCI, HERGÉ, DE ME PRÊTER CETTE IMAGE POUR LA CIRCONSTANCE
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Tewfik Hakem avait interviewé Fred pour une émission diffusée en 2011. Il a rediffusé dernièrement l’entretien dans son émission de 6 heures du matin : Un Autre jour est possible. Cela vaut le coup, à l’occasion, d’être matinal.
Ce qui apparaît, de Fred ? Un homme en toute simplicité. Son père était cordonnier, c’est vous dire, même si ça ne prouve rien. Une façon éminemment populo de parler, par exemple, de son amitié avec Jacques Dutronc : un manager lui avait demandé de faire quelques chansons pour lui. Il avait atterri dans ce milieu inconnu des studios d’enregistrement, et le contact s’était fait, facile, simple, magique. Cela a donné, évidemment, Le Fond de l’air est frais, Laïho, Laïho, mais aussi La Voiture du clair de lune.
Une façon aussi de renvoyer tous les intellos de la terre à leur potager et à leurs légumes quintessentiels (je veux dire : desséchés). A la question bête : « Comment êtes-vous arrivé à Philémon ? », il répond : « Ben, vous savez, ça m’est venu comme ça. Je n’ai pas de projet, pas de marche à suivre. Quand je démarre, je ne sais pas ce qui va me venir sous la plume ».
Bref, un pommier qui fait des pommes, et pas un intellectuel à tout découper en seize et à tout transformer en abstraction conceptuelle, pour mieux se convaincre et convaincre quelques gogos que c'est lui, et personne d'autre, qui comprend le monde dans lequel il vit (et nous avec). Pour Fred, intellectualiser était une façon de renoncer à palper le vrai et le jouissif de l'existence. Dans le monde de Fred, l'intellectuel se situe à l'antipode exact de la vie qui vit. Pour Fred l'artiste, vivre et intellectualiser sont carrément antinomiques.
A l’entendre (sa voix est celle d’un vieux monsieur, mais qui a gardé intact le populo de son accent et de sa prononciation), les choses lui sont toutes tombées sur la feuille de dessin, sans avoir à chercher. Par exemple, le père de Philémon, dans la BD, ressemble à son propre père, pas besoin d’aller chercher loin.
En fait, pour Philémon, Fred triche un peu. Car, comme il le déclare dans le livre de Marie-Ange Guillaume (L’Histoire d’un conteur éclectique, Dargaud, 2011, 29€ quand même, mais ça les vaut)
, tout se passe à Nice, pendant un repas de famille. Comme son fils Eric s’ennuie, il lui raconte une histoire. Et là c’est vrai, pas besoin d’aller chercher loin : « J’ai utilisé les éléments du décor : la mer, les bateaux, une bouteille ». Et c’est après qu’il a eu envie d’en faire un récit dessiné. Moi j’aurais ajouté une question : « Pourquoi précisément ce prénom : Philémon ? ». La réponse m’aurait intéressé. J’ai mes raisons. De vraies raisons que quelques-uns connaissent.
Avec le petit-fils, ç’a été un peu plus rigolo. Dans le jardin de la maison, il y avait un puits. Pour Alexandre, c’était forcément le chemin qui mène au A. La famille a été obligée de poser un énorme pot avec un « baobab » (dixit Fred) pour le boucher, et empêcher Alexandre de rejoindre l’île du A avec ses copains. Et notre moustachu dit ça d’un air bonhomme. Et qu’Alexandre l’appelait monsieur, ne voulant pas le croire son grand-père. Plus retors qu’il ne veut bien le paraître, Fred : va savoir si c’est vrai, qu’Alexandre l’appelait « monsieur ».
Alors le puits ? Sans vouloir décortiquer la chose, je note que dans le dernier épisode (Le Train où vont les choses), il est absent : fini, le puits. Ce qui fait la frontière, cette ultime fois, c’est la fumée produite par la « Lokoapattes », sorte d’épais brouillard qui fait tousser le hérisson, et dans lequel se perd le père (sans doute le "perd-père twitté") de Philémon, parce qu’il a rencontré le fantôme de Jojo, l'ancien garde-champêtre.
Cette frontière entre le « réel » et « l’imaginaire », le puits la dessinait d’un trait épais, pour ne pas dire infranchissable : il fallait s’appeler Philémon pour y tomber. Dans ce 16ème et dernier épisode, la frontière a perdu de sa consistance, puisque, du fait de Joachim Bougon, le conducteur inattentif de la « Lokoapattes », celle-ci est sortie du « tunnel imaginaire » pour venir s’échouer dans des sables mouvants bien « réels ».
Mais Fred, grâce au « tunnel imaginaire », surmonte la difficulté. Normalement, si tout va bien, Philémon et Barthélémy le puisatier rejoindront la lettre A. Dans le fond, que le puits devienne tunnel, quelle importance ? L’essentiel n’est-il pas d’arriver à destination ? Ce qui reste définitivement sûr, c’est que Fred n’a jamais confondu « réel » et « imaginaire » (à l’instar de maints ados plus ou moins attardés, accros à leurs consoles). Mieux : il a réussi à donner à ses rêves et à son imaginaire la consistance d’une réalité durable.
Et cela est rendu possible, précisément, par le poste-frontière que le dessinateur-conteur a établi entre les deux mondes, par la magie d’un simple puits. L’île du A de l’océan Atlantique, c’est si l’on veut de l’imaginaire au carré. Qui fait que le fictif Philémon semble, en revenant dans le jardin paternel après une escapade sur le A, prendre corps dans une réalité un peu moins fictive que les histoires inventées. Une réalité plus proche de la nôtre, et dans laquelle Fred réussit à nous embarquer. On y croit.
Appelons ça le véritable esprit d’enfance, ou je n’y connais plus rien.
Comme je le disais lors de la parution du Train où vont les choses : monsieur Fred, merci du fond du coeur. Oui, vraiment, merci pour tout.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fred, bande dessinée, art, littérature, tewfik hakem, france culture, un autre jour est possible, tintin, hergé, philémon, le fond de l'air est frais, jacques dutronc, bd, marie-ange guillaume, l'histoire d'un conteur éclectique, le train où vont les choses
mercredi, 17 avril 2013
FRED EST MORT !
Je ne pouvais pas laisser passer l'événement sans m'y arrêter un moment. Je l'ai vaguement évoqué récemment, je le redoutais, et puis voilà, c'est arrivé : FRED EST MORT.
Il sera donc aujourd’hui question de Monsieur ARISTIDÈS. Othon ARISTIDÈS. Et pour être précis : Othon Frédéric Wilfrid ARISTIDÈS (mais je ne garantis pas le Wilfrid). J’ai parlé de lui les 3 et 4 mars dernier. Son nom de plume a toujours été FRED. Il venait de publier Le Train où vont les choses, seizième album de l’extraordinaire (au sens le plus exact) série des Philémon. Une des séries de bandes dessinées qui me font croire à la possibilité de faire accéder le genre de la BD à la dignité d’œuvre d’art.
LE MONDE, PUIS LIBÉRATION, 8 AVRIL 2013 : ILS NE SE SONT PAS FOULÉS, POUR LEURS TITRES
A sa façon de reprendre telles quelles les sept premières pages du premier album, mais de laisser son héros étouffer dans une mer par trop réelle, au lieu de le faire atterrir à plat ventre sur une plage du A de l’Océan Atlantique, avec ses deux soleils, son centaure Vendredi, ses arbres à bouteilles, je craignais le pire. Le Train où vont les choses avait quelque chose de triste. Quelque chose même de funèbre et de testamentaire.
J’ai l’immense regret et la tristesse d’avoir eu raison en formulant ma crainte. Le grand Fred est donc mort le 2 avril dernier. Je ne dirai pas : « Il était ceci, il était cela ». D’autres s’en sont chargés. Et Philémon, avouons-le, c’est une histoire qui commence très bêtement. Du moins en apparence.
Sans vouloir faire l’éloge de feu Fred, je veux dire pourquoi, selon moi, les aventures de Philémon sont un pur chef d’œuvre littéraire (j’ai bien dit « littéraire »), et cela dès leur premier épisode – il faudrait même dire à cause du premier épisode. Le génie de Fred – n’ayons pas peur des mots – éclate dans Le Naufragé du A, album qui joue le rôle de « Sésame » et qui ouvre l’incroyable grotte aux trésors. C'est dans ce premier album que Fred, chercheur d'or, tombe sur le filon. Je ne suis pas sûr qu'à ce moment-là, il se doute de ce qui lui est venu sous le crayon.
Ali Baba, Simbad le marin et autres héros des Mille et une nuits peuvent aller se rhabiller. Ce n’est pas un hasard si Fred appelle "Simbad" son boxer favori, et en fait même le héros du cinquième épisode des Philémon : Simbabbad de Batbad. Le Naufragé du A, c’est tout simplement la clé qui ouvre ce palais merveilleux.
Sans craindre d’exagérer, je dirai que tout Philémon est dans Le Naufragé du A. Les vignettes latérales dont sont jalonnés mes deux petits billets d'hommage sont extraites de cet événement fondateur. Ce premier épisode est le plus puissant, parce qu’il est le premier et, qu’à ce titre, c’est lui qui détient L’IDÉE. Tout le reste découle. Et cette idée, d’un certain côté, elle est toute simple. Prenez un puits, un bête puits abandonné. On est à la campagne. On a installé une pompe à bras. C’est donc le progrès.
Seulement voilà, la pompe tombe en panne. Disons même qu’elle se rebelle, et envoie dinguer le père de Philémon dans l’arbre. Notez que chez Fred, les histoires commencent au moment où quelque chose se détraque dans le « le train où vont les choses », qu’on appelle la « réalité ordinaire ». Le fiston reçoit l’ordre d’aller puiser de l’eau au puits.
La porte ouverte sur l’autre monde, elle est là, au fond du puits. D’abord une bouteille, puis deux, avec des messages de détresse, ont émergé des profondeurs (mais en faisant : « plouf ! »). Philémon est trop intrigué pour résister : le voilà embarqué dans ses propres aventures. Arrivé au fond du puits, il lâche prise et se fait engloutir par un élément liquide aux dimensions impressionnantes pour un simple fond de puits : c’est la mer, avec des requins et des îles.
On est dans le conte, évidemment. Les aventures de Philémon commencent par un : « Il était une fois » imparable. Lewis Carroll avait écrit L’Autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva. Fred, à sa manière, a fait aussi simple et aussi magique. Et Marie-Ange Guillaume, qui s'est penchée sur le cas unique de ce magicien, est en plein dans le vrai en intitulant son excellent livre L’Histoire d’un conteur éclectique. Fred est un conteur.
POURQUOI LE NOM DE MARIE-ANGE GUILLAUME NE FIGURE-T-IL QU'AU DOS, ET PAS SUR LA COUVERTURE ?
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 16 avril 2013
WILHELM MEISTER DE GOETHE 3/3
ON EST PEU DE CHOSE
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Dans le Christmas pudding (un étouffe-chrétien de première bourre) que représente Wilhelm Meister, le sommet de l’indigeste est atteint à la fin, dans les 400 pages des Années de Voyage, qui consistent pour une bonne part en discours sur la bonne administration des communautés humaines, que ce soit dans la vieille Europe ou dans les terres sauvages, vierges et futures de l’Amérique. On a l’impression, aux personnages sentencieux qui prononcent ces discours interminables, de voir à vue d’œil pousser d’interminables barbes de prophètes déjà grisonnants à la naissance.
Je suis injuste : on trouve aussi dans ces trois derniers chapitres un manuel technique complet sur l’art du filage et du tissage du coton. Il fallait que cette importante précision fût apportée, pour montrer le caractère résolument objectif et dépassionné de mes propos sur le livre de Goethe.
Cette humanité régénérée est saine, disciplinée. Tout le monde vit dans un bonheur raisonnable et mesuré. Chacun est à sa place et sait ce qu’il a à faire. Quand Wilhelm laisse son fils Félix (qu’il a eu de Marianne, tiens, j’ai oublié d’en parler) aux mains d’une communauté éducative, il observe que les enfants, suivant leur état d’avancement, se mettent, quand un étranger approche, au garde-à-vous les uns regardant le sol, les autres regardant le ciel, et les derniers regardant … (je ne sais plus). Il faut savoir que ce sont des symboles. Si vous voulez l’explication, je vous laisse aller voir. Tout ce que font les gens a été pensé en fonction du but recherché.
J’avais, dans le temps, fait une brève irruption dans la Communauté de l’Arche, quelque part au fond des Cévennes : j’ai retrouvé chez Goethe l’impression que m’avait laissée cette visite. Et ayant un temps côtoyé des gens appartenant au mouvement de l’ « anthroposophie », je ne m’étonne plus que Rudolf Steiner, le fondateur de la secte, ait été à ce point imprégné de l’esprit de Goethe qu’il a appelé son institution "Goetheanum" (Dornach, Suisse).
LE PARTRIARCHE DE L'ARCHE, LANZA DEL VASTO (MODERNE WILHELM MEISTER ?), EN 1976, SOUS BONNE SURVEILLANCE
(photo parue dans Le Mouna frères, alias Mouna Dupont, alias Aguigui Mouna)
Je ne veux pas dire trop de mal de Rudolf Steiner, car il fut un esprit très vaste, aux centres d’intérêt multiples (par exemple inventeur de l’agriculture biodynamique, cf. l’école de Beaujeu, dans le Beaujolais, de Victor et Suzanne Michon), et fut sans doute sincèrement préoccupé du bonheur de l’humanité.
Je dois dire, cependant, que le seul contact que j’ai eu avec sa pensée fut un livre étrange où il parlait des "sept corps" de l’homme (sur l'Coran d'La Mecque, j'te jure qu'c'est vrai, même que ça finissait par le corps astral, enfin je crois me souvenir), et où les caractères d’imprimerie grossissaient à mesure qu’on allait vers le milieu, pour décroître ensuite jusqu’à la fin. Pour évaluer l'apport de Rudolf Steiner à l'humanité, comme dirait Charolles, l'ineffable inspecteur de l’immortel commissaire Bougret : « Ben patron, comme indice, c’est plutôt maigre ». Je m'abstiendrai donc de gloser davantage.
J’ai bien essayé de mettre le nez dans le Traité des couleurs de Goethe lui-même, mais il m’a très vite fait mal à l’ongle incarné sur lequel il est tombé au bout de six minutes vingt-deux. Vous direz que je n’avais qu’à pas, et vous aurez raison.
Pour finir sur Goethe romancier, je dirai ceci : son Werther doit être considéré comme une erreur de jeunesse, car il ne ressemble en rien au personnage dans lequel il a fini, adulé des masses et ami des puissants. Les Affinités électives ? Pourquoi pas ? Mais avec cette faiblesse insigne de concevoir des personnages comme des corps chimiques qui, en présence d’autres corps, réagissent en fonction de leur nature et non de leurs désirs. C’est important : le désir de Julien Sorel pour Madame de Raynal modifie Madame de Raynal elle-même et, ce faisant, conduit le roman de façon décisive.
C’est peut-être finalement ce qui me rebute le plus dans les romans de Goethe : la place du désir agissant. Pour lui, le désir n'a guère d'existence face à la nature de chaque être : chacun doit se mettre à l'écoute de ce qui vient de ses profondeurs et, guidé par un maître soucieux de laisser parler cette nature profonde, trouver lui-même sa voie. Pour Goethe, le désir détruit la nature.
Pour Goethe, le désir est une menace et, comme tel, il doit être muselé et sévèrement tenu en bride par la raison. C’est pourquoi ses personnages ne vivent pas. Certes, Werther vit une passion, mais comme c’est une impasse sociale, il en meurt. Et pour Goethe, la mort de Werther finira par être une bonne chose.
Dans ses deux autres romans, il aura soin de placer le désir dans le carcan sévère des convenances de la raison et de l’équilibre social, qui doivent être les objectifs de toute société humaine. Ce qui est effrayant, dans les romans de Goethe, c’est cette obsession de la mesure et de l’équilibre : il s'agit de gérer la vie humaine, individuelle et collective, "en bon père de famille".
C’est finalement insupportable, ces personnages de Wilhelm Meister, tous pris dans la carapace de leur absence de désir vrai. Goethe, s'il avait vécu aujourd'hui, aurait peut-être (restons prudent) embrassé les carrières de la comptabilité et de la gestion.
La littérature romanesque de Goethe est celle d’un administrateur de l’humanité, froid et rationnel, dont l’œil est celui du gestionnaire soucieux d’optimiser le rapport entre le risque et le bénéfice, entre la colonne des recettes et la colonne des dépenses. Et la seule solution qu’il envisage pour résoudre l’équation est de couper les couilles au désir. Eh bien, à mon avis, sauf son respect, Goethe romancier peut aller se faire foutre.
Pour mon compte, je vote sans barguigner pour Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. C'est sûr qu'il souffre beaucoup, qu'il échoue beaucoup, qu'il n'est pas souvent heureux, mais bon dieu, que tout ce qu'il a écrit vit intensément, vibre dans l'air qui passe et vivifie celui qui lit, en comparaison ! Avec ses romans, Goethe a inventé l'inerte en littérature.
Voilà ce que je dis, moi.
09:04 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aguigui mouna, mouna dupont, lanza del vasto, malville 1976, surgénérateur, industrie nucléaire, énergie nucléaire, littérature, wolfgang goethe, wilhelm meister, rudolf steiner, goetheanum, école de beaujeu, commissaire bougret, gotlib, rubrique à brac, werther, les affinités électives, eta hoffmann
lundi, 15 avril 2013
WILHELM MEISTER DE GOETHE 2/3
ON EST PEU DE CHOSE
(et se faire traiter de "vieil infarctus", palpez l'insulte !)
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Nous parlions donc du dernier roman d'un homme très à la mode autour de 1830 : Wilhelm Meister. L'homme en question n'est autre que le très majestueux et très chic Wolgang Goethe.
En réalité, dans ce « roman », il n’y a aucun personnage. Je veux dire : qui soit de chair et de sang, dont le caractère dirige les actions. La meilleure preuve, c’est que tous, sans aucune exception, donnent l’impression de glisser les uns sur les autres sans se modifier les uns les autres. A proprement parler, il n’y a aucune interaction entre les personnages. Ils sont là, définitivement extérieurs les uns aux autres. Ils ne sont pas là pour eux-mêmes, c’est pour ça qu’ils n’ont ni chair, ni sang, ni caractère.
Même le personnage de Mignon (qu'on se demande comment Ambroise Thomas en a tiré l'argument et la substance de tout un opéra), que Wilhelm, pour dire le vrai, achète au saltimbanque qui la maltraite, n’a d’existence que théorique. On sent bien que son amour pour Wilhelm est une décision du romancier, mais pas un élan de cette fille déguisée en garçon. Et quand elle meurt (on ne sais pas de quoi précisément), c’est comme si on regardait faire, de loin, avec des jumelles, dans l'eau d'un aquarium. Goethe a inventé la « littérature à grande distance ».
Mais il est vrai, tout bien pesé, que Mignon est le personnage qui se détache sur le fond d'inexistence de tous les autres. Un personnage qui, me semble-t-il, a quelque chose à voir avec le Bartleby de Herman Melville, qui finit par se laisser mourir, tout simplement parce qu'il a un seul credo : « I would prefer not to ». Elle, elle meurt après avoir (enfin !) revêtu des vêtements de fille - on n'ose pas dire parce qu'elle les a revêtus.
Mignon est attachante, parce qu'elle a voué sa vie à ce Wilhelm qui est loin de la valoir, qui est incapable d'envisager l'énormité du don qu'elle lui fait (elle lui fait don de toute sa personne, sans attendre rien en retour, le genre de don dont il est impossible qu'un homme ordinaire se remette jamais), et qui, quand il contemple son agonie et sa mort, est dans l'incapacité d'éprouver ce qu'on appelle un sentiment humain. Wilhelm est un bloc de gélatine. Une molle pâte à modeler. A peine se demandera-t-il quel corps féminin lui a tenu compagnie dans une auberge, une nuit après boire : est-ce Philine ? Ne serait-ce pas plutôt Mignon ?
Wilhelm, soi-disant dans sa période d’apprentissage, qui dure tout de même quasiment 600 pages, traverse les situations, les personnages, les événements, à peu près en ligne droite, et sans en être effleuré. A aucun moment il n’est modifié par ce qui lui arrive ! Et pourtant, à l'arrivée, il est digne d'entrer dans la secte des "Renonçants". Par quel prodige ?
A la réflexion, le prodige est peut-être simplement la numérotation des événements censés animer le roman, dans l'ordre chronologique. Goethe a dressé la liste de tout ce qui devait se passer autour de son Wilhelm, et en bon comptable, il coche chaque case une fois qu'il l'a remplie.
Pour comparer, prenez Julien Sorel, Eugène de Rastignac ou Lucien de Rubempré : une fois le livre refermé, aucun n’est semblable à ce qu’il était au début. La vie que son auteur lui a fait vivre a bouleversé ses points de repère et, entre l'incipit et l'excipit, le monde lui-même a changé. Eh bien pas Wilhelm ! Comme Tintin sous la plume d’Hergé, ma parole, la houppe toujours aussi droite à la fin qu'au début !
Au point que je me demande vraiment ce qu’il a pu apprendre. Si, bien sûr ! Goethe ne se prive pas de dire qu’il apprend. Ah ça, il ne nous épargne pas beaucoup de conversations, de comptes rendus d’observation, et tout et tout. Mais à aucun moment le lecteur ne voit ce qu’il apprend en train d’entrer en lui. Aucun effort, aucune contention de l’esprit.
On ne le voit jamais travailler pour apprendre : Wilhelm Meister, braves gens, se contente de passer. Comme Johnny Halliday dans L’Idole des jeunes, Wilhelm Meister, qu’on se le dise, pourrait chanter : « Je cherche celle qui serait mienne, Mais comment faire pour la trouver ? Le temps s’en va, le temps m’entraîne, Je ne fais que passer ». C’est ça, son apprentissage.
D’accord, il écoute, il regarde, mais il ne fait pas grand-chose. Plus grave : il ne ressent rien. Un comble, dans un livre où le maître-mot, entre autres, est « activité ». La clé de cette bizarrerie est dans le statut social auquel se destine Wilhelm : il le porte d’ailleurs dans son nom. Il ne sera jamais un ouvrier ou un artisan. Ce ne sera pas un manuel. Il sera chef. Wilhelm se forme pour devenir Meister (Maître). Mais quand il sentira sa véritable vocation de chirurgien monter en lui, il le sentira en véritable abruti.
Puisque j’en suis aux mots-clés, j’ai déjà mentionné « activité ». Il y a aussi « sérieux », « morale ». Il s’agit dans l’ensemble de se rendre « utile » à la population en lui procurant une « activité » « sérieuse », dans laquelle, avec modestie et application, elle trouvera son équilibre. Le ton de tout le livre, au fond, est professoral d’un bout à l’autre. Goethe veut faire le bonheur de l’humanité en lui enseignant les moyens concrets les plus propres à lui permettre de l’atteindre.
A cette fin, il intercale dans son récit des épisodes qui l’interrompent, mais aussi le nourrissent. Ainsi, tout le Livre VI des Années d’apprentissage est constitué par la « confession d’une belle âme », épouvantable et éprouvant journal tenu par une jeune femme soucieuse d’élever son âme vers des altitudes éthérées et vertueuses ; laborieux et besogneux journal édifiant d’une abstraction humaine, sorte d’idéal désincarné ou d’ectoplasme vague proposé comme modèle à toute femme qui tiendrait à se respecter. La femme supposée avoir tenu ce journal s’appelle Macarie (si j’ai bien compris). Or Macarie vient en droite ligne de μακαριος, qui, en grec, signifie « bienheureux ». Mais elle n’existe pas : elle vaticine.
Un mot des quelques chapitres intitulés « L’homme de cinquante ans ». Cette histoire intercalée se veut évidemment aussi édifiante que le reste. Un capitaine ou un major, je ne sais plus, a une sœur qui est mère d’une jeune fille. Celle-ci est promise au fils du major, qui se trouve éloigné, j’ai oublié pourquoi. Elle s’amourache du père, qui a entrepris, sous l’influence d’un homme qui travaille dans le théâtre, une cure de rajeunissement au moyen de toutes sortes d’artifices.
Le fils, de son côté, se voit circonvenu par les manœuvres séduisantes d’une jeune veuve, très courtisée, et se verrait fort bien l’épouser. Le père est embêté, mais finit par se faire à l’idée d’épouser une jeunesse, et s’y voit conforté après une entrevue « à cœur ouvert » avec son fils. Mais qu’on se rassure : les promis s’épouseront malgré tout, et le père se fera une raison en épousant lui-même la jeune veuve.
Le point cuculminant de la cucuterie est atteint au début des 400 et quelques pages des Années de voyage, quand Goethe fait rencontrer à Wilhelm ni plus ni moins que Saint Joseph, et la Vierge Marie, dans une forêt des montagnes, en train de refaire le coup de « la fuite en Egypte » (titre du 1er chapitre, le 2ème étant intitulé « Saint Joseph II »). L’auteur n’a même pas oublié l’âne et le petit Jésus. Et il nous fait visiter la crèche. Mais on ne va pas jusqu'à la croix, il ne faut pas exagérer.
C'est tellement gravement niais que cela en devient attendrissant.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 14 avril 2013
WILHELM MEISTER DE GOETHE 1/3
ON EST PEU DE CHOSE
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Parenthèse inaugurale : François Hollande croit faire une diversion fructueuse en publiant le patrimoine des ministres ? Mon oeil ! Ce n'est pas le patrimoine des politiques qui est le problème. Une fois de plus, la classe politique ouvre la boîte à fumée, espérant mettre le couvercle sur l'essentiel (voir ici même les jours précédents).
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Madame, Mademoiselle, Monsieur, autant le dire tout de suite : j’ai terminé la lecture de Wilhelm Meister, de Wolfgang Goethe. Enfin, quand je dis terminé, je devrais plutôt dire que j'en suis « venu à bout ». L’invraisemblable pensum, mes amis ! Comme disait mon père, quand nous tordions le nez sur la nourriture : « Quinze jours sous une benne ! Des briques sauce cailloux et des cailloux sauce brique ! Voilà tout ! ».
Eh bien, pour obtempérer, peut-être, j’ai bu le calice jusqu’hallali (je peux me permettre : qui sait concrètement ce que c'est, la lie ?), même si je me suis plusieurs fois adressé à lui : « Père, éloigne de moi ce calice ! ». Mais il semble que je ne m’appelle pas Jésus, ni mon père Dieu. Dont acte. Je ne l'ai d'ailleurs jamais cru, ni n'en ai fait mystère.
Je suis donc venu à bout de ce truc indigeste ! De la page 367 à la page 1353 du volume Pléiade des romans de Goethe : pas tout à fait mille pages ! Je ne crains pas d'affirmer haut et fort que j’ai survécu ! Je ne dirai pas, comme Sacha Guitry : « Si l’on pouvait mourir d’ennui, je serais mort à Angoulême » (cette phrase, merveilleuse de vacherie, est dans Les Mémoires d’un tricheur). Eh bien pour ce qui est de l’ennui, le Wilhelm Meister de Goethe, pour le lecteur, vaut largement l’Angoulême de Guitry, pour le bidasse. Goethe n'est pas un romancier.
Pour le dire franchement, je n’ai jamais rien lu de plus profondément emmerdant, de plus essentiellement et mortellement mortel ! Mais comme c’est, paraît-il, un chef d’œuvre incontournable de la littérature mondiale, je tenais absolument à en avoir le cœur net : il fallait que j’allasse (si si !) jusqu’au bout, pour pouvoir, m’étant fait une opinion concrète et directe de la chose, en parler en pleine connaissance de cause.
Si on veut dire du mal de quelqu'un, autant savoir de quoi on cause. Je ne suis pas comme Pierre Bayard, l'auteur de Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? . Je signale en passant que ceux qui attribuent à Pierre Bayard la paternité de l'expression "plagiat pas anticipation" sont à la fois de vulgaires ignorants et des ignorants vulgaires. Revenons à Goethe.
Je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau le Klein Zaches d’E. T. A. Hoffmann (Le Petit Zachée surnommé Cinabre) que j’ai évoqué récemment : « En outre, Candida avait lu le Wilhelm Meister de Goethe, les poésies de Schiller, l’Anneau magique de Fouqué, et en avait oublié presque tout le contenu ». Je me permets d'insister sur : "en avait oublié presque tout le contenu".
Qu’on se rassure, je ne m’appelle pas Candida et je ne suis pas la fille du très savant Mosch Terpin : il me reste quelques bribes de ma lecture. Qu'on se rassure au carré : je ne ponds pas ici un machin savant, genre frais émoulu de l'Université. Je m'en voudrais. Je veux juste faire part à qui en veut des impressions ressenties lors de la lecture par un lecteur de bonne foi.
Première remarque : Goethe pouvait, s’il l’avait voulu, faire tenir ses 1000 pages dans 200. Nul n’arrivera à me persuader du contraire. L’histoire aurait même pu tenir dans le format « nouvelle ». Qu’est-ce que ça raconte ? Wilhelm est un fils de bourgeois qui devrait se préparer au noble métier de gérant de l’entreprise paternelle, florissante au demeurant. Mais il s’est entiché de théâtre en général, et de la jeune actrice Marianne en particulier, avec laquelle il file le parfait amour.
Envoyé sur les routes pour récupérer quelques créances, le hasard place sur sa route une troupe d’acteurs, dont il va suivre quelque temps le destin médiocre et mesquin, comme producteur, puis comme auteur et même acteur. Après la troupe de Mélina, il entre chez Serlo, acteur chevronné, puis il se donne comme mission d’annoncer au seigneur Lothaire la mort d’Aurélie, son amante délaissée.
Au château de celui-ci il retrouve Jarno, qui lui avait fait une curieuse impression au château du comte. Il faut savoir que ce comte a versé dans le mysticisme après avoir vu Wilhelm déguisé, qu’il a pris pour un autre lui-même, et que la comtesse en pinçait secrètement pour le jeune homme. Il faut savoir que Wilhelm a gravé dans son cœur l’image d’une belle « Amazone », qui n’est autre que Nathalie, qui l’a fait soigner dans la forêt où la troupe a été attaquée par des bandits.
J’espère que vous suivez. Non ? Alors j’arrête. D'ailleurs moi aussi, j'ai du mal à suivre. J’arrête donc. Finalement, il y a pas mal de détails. Mais ces détails, tout le monde s'en fout, car ils ne sont là que pour espérer produire, sur le lecteur, je ne sais quels effets de réalité. Il y a donc beaucoup de détails. C’est un peu normal, vu le nombre de pages.
Mais ces détails, comment dire ? Ce sont des péripéties qui se déroulent sans être vécues. Tiens, je crois qu’il y a du vrai dans la formule qui vient de me venir. Personne n'est doué de vie, dans ce livre. C'est un livre mort. C’est un livre qui, quelque bonne volonté qu’on y mette, vous reste totalement extérieur. Les personnages n’existent pas, ou si peu. Personne ne prend vie sous la plume de l'auteur.
Pour une raison assez claire : les actions que l’auteur leur prête n’agissent jamais sur le cours des événements ou sur les autres personnages. Leur peu d'existence personnelle tient aussi à leur absence de profondeur psychologique : Goethe se contente, pour les définir, d'un trait caractéristique, ce qui suffit à peine à en dessiner une silhouette qu'on pourrait mémoriser. Et ne parlons pas d'identification du lecteur !
Même la curieuse Philine, cette fille jolie et rendue complètement fofolle par son aspect primesautier, a bien du mal à exister. C’est un personnage théorique, dont le lecteur sent très vite qu’il est là pour figurer dans le casting. Avec les ectoplasmes de personnages qu’il invente, Goethe semble avoir procédé comme une équipe de télé-réalité préparant la prochaine série : un peu pour tous les goûts.
Les autres personnages féminins qui assaillent l’apprenti Wilhelm sont à l’avenant : Marianne l’amoureuse engrossée, Philine, la séductrice écervelée, Thérèse, qui se résoudrait bien au mariage, mais …, la comtesse, avec sa faiblesse coupable. Même que Aurélie, l'actrice, on ne sait pas bien, pour finir, pourquoi Wilhelm se fait un devoir d’aller engueuler Lothaire de l’avoir abandonnée et laissée mourir (de quoi, d'ailleurs ? On ne sait pas).
Et je vais vous dire : on s’en fout.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 13 avril 2013
POLITIQUES : TOUS POURRIS 3/3
UN JOLI CAS D'HYDROCEPHALIE
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J’ai parlé de l’état de pétrification (c'est d'ailleurs curieux : la fossilisation semble ne pas faire obstacle à la putréfaction) avancée dans lequel se trouve la classe politique, du fait de l’organisation légale de la sélection de son personnel, caractérisée par la possibilité de passer sa vie dans les fonctions électives officielles, et même de cumuler ces fonctions. Ce que j’ai appelé la durée et la surface.
Tiens, est-ce que Gérard Collomb, grand-maire de Lyon, ne pourrait pas envisager de retourner enseigner le français, le latin et le grec dans un bon lycée ? Ah, on me dit qu'il serait mis à la retraite ? Eh bien en voilà encore une idée qu'elle est bonne ! Que dirais-tu d'un repos bien mérité, Gérard ?
Tout cela fait un paysage figé, où les bobines électorales visibles sur les affiches sont à peu près les mêmes d'un siècle à l'autre, d'un millénaire à l'autre. Pensez que Jules Cés... euh non, Jacques Chirac n'a jamais payé de loyer pour ses logements successifs : Hôtel de Ville de Paris 1977-1995, Palais de l'Elysée 1995-2007. Quarante ans à l'oeil, quarante ans aux frais de la princesse, y compris les frais de bouche. Après relecture, on va ôter dix ans, pour faire vraisemblable. Trente ans, ce n'est pas mal quand même. Un rat dans son gruyère : il n'y a pas d'autre mot. Et le docteur Alzheimer qui arrive pour finir, très opportunément. Tout effacer. A pu ! Pschitt !
Pour terminer cette poussée d’urticaire anti-politique, je voudrais mettre sur la sellette un autre vice de fond dans la sélection des élites politiques de la France.
Tout le monde a remarqué, je pense, que la population française est composée, à peu près à parité, d’hommes et de femmes. Que ces hommes et femmes sont d’âges très variables. Que la couleur de leur peau ne se résume pas à la blancheur. Que les tailles, les carrures et les poids sont extrêmement divers. Tout ça porte un nom : diversité. C’est même devenu une rengaine, un leitmotiv, une ritournelle, parfois une scie insupportable, bref, un refrain que certains entonnent régulièrement sur le ton de la revendication, voire de l’acrimonie.
Or quand on regarde du côté des palais de la république, le « Bourbon » et le « Luxembourg », magie-magie, on trouve une seule variété ethnique, qu’on définit ainsi : un homme, un blanc, un quarantenaire-cinquantenaire bien tapé, un bien nourri. On est bien obligé de constater que cette population précise diffère grandement de la population générale. Première anomalie.
Ensuite, si on revient aux gens ordinaires qui forment la population française (j’hésite à parler de « peuple français », parce que je me demande s’il existe encore), on note que certains sont sortis de l’école à seize ans et que d’autres sont devenus, par exemple, médecins, après dix ans d’études. La moyenne scolaire globale ne doit pas atteindre des Everest.
Or le « Bourbon » et le « Luxembourg » sont peuplés, dans leur immense majorité, des gens qui ont en général fait les plus longues études. Toujours en général, c’étaient même des très bons élèves, genre premiers de la classe. Ceux que, quand j’étais lycéen, on appelait les « polars » (pour « polarisés », parce qu’ils ne pensaient qu’au travail et au prix d’excellence à la fin de l’année). Pas tous, évidemment, mais j’attends que quelqu’un conteste que ce soit une tendance lourde et majoritaire. C’est la deuxième anomalie.
Résultat des courses ? La France est gouvernée par un tout petit monde. Le tout petit monde des premiers de la classe (mais un premier de la classe ne fait pas un chef : ce qui fait un chef n'est pas la meilleure copie rendue au prof, c'est d'abord un caractère). La France est devenue la République des bons élèves. Une HOMOGÉNÉITÉ absolument remarquable. Tous fabriqués par le même logiciel intellectuel.
Entre ces gens, les différences sont infinitésimales. Les similitudes, au contraire, sont criantes. Et ce tout petit monde est généralement habité par un sentiment aigu de la paroi qui sépare un dedans chaleureux et compréhensif d'un dehors hostile, mauvais et non-initié, comme dans n'importe quelle secte. Cela vous fabrique une CASTE en bonne et due forme. Qui tient à la fois de celle des brahmanes (c'est pour le côté aristocratie, à l'abri de la valetaille) et des "intouchables" (c'est pour le sentiment d'impunité judiciaire).
Tous ces gens ne regardent la réalité de la "population générale" qu'à travers des jumelles, et n'en ont une connaissance qu'une fois passée par le filtre d'une multitude d'intermédiaires. Tous ces gens pratiquent volontiers le contact avec la réalité ordinaire, à condition que ce soit à distance respectueuse, bien à l'abri de quelques forces de l'ordre judicieusement placées ou des vitres fumées de leurs voitures noires avec chauffeur.
Alors, entre les produits des grandes écoles qui essaiment entre la haute fonction publique et les postes les plus élevés des plus grandes entreprise privées et publiques (ce qu’on appelle les « hauts fonctionnaires », alias « crânes d'oeuf »), d’une part, et d’autre part cette crème de la crème des élites proprement politiques qui proclament : « Le politique, c’est nous », admettez que ça commence à bien faire.
Le niveau scolaire moyen des Français étant ce qu’il est, admettez qu’on soit agacé de se faire faire des remontrances par des arrogants qui donnent l’impression de tout savoir. Si vous ajoutez le côté « Anciens des Grandes Ecoles » qui se tiennent les coudes, la mesure est comble.
L’homogénéité du « corps politique », qui tend à en faire un « corps chimiquement pur », se voit aussi à travers de curieuses réactions de solidarité corporatiste : dernièrement, jusqu’aux aveux de Jérôme Cahuzac, ce fut l’étrange modération de l’UMP, comme si Copé et ses sicaires avaient craint d’égratigner trop fort un « frère ». Il a fallu attendre, pour lâcher les chiens, que Cahuzac avoue. Les Serbes, les Hutus ont pratiqué l'épuration ethnique. Le système politique français pratique une épuration du même genre.
Il me semble que l’expression « corps politique » est d’une grande justesse, car elle rend bien compte du comportement spécifique : solidarité de corps face aux accusations de « tous pourris ! », accusations qui « font le lit du populisme, du Front National et de l’intolérance réunis » ; promptitude instantanée de réaction (intransigeance sur les principes) quand un membre de la caste se fait pincer sans doute possible : il faut réagir immédiatement, et expulser sans tarder le mouton noir pour protéger l'ensemble du peloton des dopés, pour dévier tous les soupçons sur le seul Richard Virenque, érigé en bouc émissaire.
Un corps étanche et homogène : « Que nul n'entre ici, s'il n'a pas » montré patte blanche, été dûment « adoubé » et n'a pas dûment juré « allégeance » ; en sont exclus (pas toujours séance tenante, cf. Georges Frêche, Jean Claude Guérini, car il y a la « présomption d’innocence ») ceux qui ont « failli ».
Le cas Cahuzac est éclairant : plus personne au PS ne le reconnaît dans la rue, surtout ceux qui, hier encore, lui tapaient sur l’épaule : « Coco, tu restes mon ami, je t'aime bien, mais il ne faudrait pas qu'on nous voie ensemble » (il faut s'appeler Julien Dray pour ne pas dire à Ségolène Royal qu'il a aussi invité Dominique Strauss-Kahn à son anniversaire, un vrai piège, dans lequel elle s'est vantée de ne pas être tombée).
Un corps étanche et homogène : ainsi fonctionne une mafia, ainsi fonctionne un parti politique, ainsi fonctionne une secte. Partout la même règle : soumission au parrain. C’est un « tout petit monde » où, d’un parti à l’autre, on se tutoie familièrement, on dîne ensemble, on se pique les femmes à l’occasion, et où l’agressivité et la violence sont là pour « faire le spectacle », quand le bon peuple est devant l’écran de télévision. Demandez à Daniel Cohn-Bendit combien il apprécie la table et la cave de Philippe de Villiers, tiens ! Cela vous épate ? C'est pourtant le fils de Villiers qui en parle. Les exemples foisonnent.
Conclusion : ceux qui constituent le corps politique sont trop peu nombreux, se connaissent tous trop bien et sont trop bien payés. En plus, ils ne quittent jamais la scène (je pense à Bernard Tapie, invraisemblable culbuto indéboulonnable). Un corps intellectuellement, socialement et culturellement d’une inquiétante homogénéité, du fait d’une sélection de type mafieux (ou incestueux ?).
Un corps tellement attaché aux avantages (je n’ai pas dit « privilèges », quoique …) liés aux belles fonctions que, quand on en détient une, on s’y accroche comme une moule à son rocher et que, si l’on a déplu, la relégation se fait sous la forme d’une promotion dans un placard honorifique (sans doute ce qui s'appelle « sortir de la crise pas le haut »).
Il faut que ces gens-là redescendent de leur Olympe. L'entarteur Noël Godin a montré la voie. Mais il faudrait que tout le monde, au jour le jour, puisse leur tirer les oreilles, leur cracher dessus à l'occasion, les engueuler le plus souvent, à la rigueur leur envoyer des oeufs et des tomates, en cas de surproduction agricole. Le jour où mon chien pourra, sans contravention, lever la patte sur la belle chaussure de Gérard Collomb (merdelion), je recommencerai à croire en la politique.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 12 avril 2013
POLITIQUES : TOUS POURRIS 2/3
ON EST PEU DE CHOSE
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Nous en étions donc à la nécessité de casser l'idée même de carrière politique. Le premier moyen est de détruire la notion de « durée de vie politique ». Je préconise l'euthanasie politique à 10 ans. Après, c'est l'interdiction formelle de ressortir de la "vie civile". Pas de vieux chevaux de retour en politique.
Comment casser toute carrière politique ? Voici le deuxième moyen. En réduisant le statut politique d’un seul individu à la seule surface de cet individu : lui-même. Gérard Collomb (je m’adresse à celui que j’ai un peu connu, mais aussi à tous ceux qui sont dans le même cas), choisis ! Tu n’es pas trois personnes dans un seul corps.
La Sainte Trinité, dis-toi bien que c’est une vieille fable. Tu ne saurais être à la fois le « Père-et-Maire », le « Fils-et-Président-de-CUL » et le « Saint-Esprit-et-Sénateur-du-Rhône » ! Rien que pour toi, Gérard Collomb, ça fait deux espaces à libérer (et je ne sais pas tout). Et puis crois-moi : ça te libérera l’esprit et ça te détendra les mâchoires.
Voilà une vraie, fondamentale rénovation de la politique pour la France : un seul mandat (maire, conseiller, député, sénateur, ...) par individu, deux mandats successifs au maximum pour un seul individu : après, retour à la vie civile et interdiction de remettre les pieds en politique. Seul moyen d'en finir avec cette obsession de tous les responsables : une fois arrivé au pouvoir, tout faire pour y rester.
Messieurs les politiques, tant que vous n'aurez pas compris cette base irréfragable du divorce avec nous (population ordinaire, électeurs, contribuables, consommateurs, automobilistes, syndiqués, ...), tous vos blablas resteront des blablas. Vos discours des paroles verbales. Si, par extraordinaire, vous décidiez de remettre le pied dans la même réalité que nous, vous vous rendez compte des gains énormes dont bénéficierait la collectivité nationale ?
D’une part, n’étant plus découpé en tranches, le gars élu consacrerait tout son temps à son mandat unique ; d’autre part, plus question de durer : une fois exécutés les deux mandats, retour définitif à la vie civile. En plus, ça permettrait d’aller puiser les compétences, la jeunesse, les idées, l’enthousiasme et l'énergie dans l’énorme, l’innombrable vivier que ces idiots de journalistes appellent la « société civile », pour bien la démarquer de ce que Raymond Barre nommait le « marigot ».
Tant qu’on ne voudra pas admettre que la corruption de la caste politique est là, c’est la vie politique qui restera cadavre. Tant que les hommes politiques, semblables à des moules, sécréteront leur byssus (c’est comme ça que ça s’appelle) pour s’accrocher le plus longtemps possible à tous les rochers à leur portée, la caste politique française est condamnée à vivre dans son bocal, comme n’importe quelle mafia. Très loin de la population normale et démocratique.
VOILA CE QUE C'EST, LE BYSSUS : UNE FOIS ARRIVÉ AU POUVOIR, COMMENT Y RESTER ?
Tiens, à ce propos, pourquoi les journalistes, parlent-ils du « fief » d’un député ? Pourquoi, en retraçant sa carrière, disent-ils qu’il a été « adoubé » par un ancien ? Pourquoi disent-ils qu’il a fait carrière après lui avoir « prêté allégeance » ? Le point commun entre ces mots ? FÉODAL. Pour dire que la mafia fait partie intégrante des mœurs politiques admises ! Ce langage a été consciencieusement intériorisé par les « braves » journalistes.
Les comptes en Suisse, à Singapour ou aux Îles Vierges britanniques, la fraude fiscale, les conflits d’intérêts seront des tentations et, de toute façon, ne seront jamais que des conséquences mécaniques de ce vice primordial : pouvoir faire carrière en politique.
Pouvoir envisager de faire toute sa carrière en politique (orientation « professionnelle » hallucinante mais trop souvent Contrat à Durée Indéterminée) et pouvoir occuper simultanément plusieurs postes à responsabilités sont déjà, en soi, une CORRUPTION. La corruption, elle est déjà dans la perspective ouverte de creuser son trou dans le fromage républicain, et si possible plusieurs trous.
A ce titre, je le proclame, on a bien raison de crier : « TOUS POURRIS ». Ah ça, ils sont tout étonnés quand, à la fin de ses mandats, un président africain laisse pacifiquement la place à son successeur. Mais regardez-les, tous tant qu’ils sont, accrochés à leurs postes, comme des moules à leurs rochers. Même le vertueux Gérard Filoche, l’outragé, il n’a pas envie de le lâcher, son rocher.
Ont-ils assez brocardé Laurent Gbagbo, prêt à faire la guerre pour rester président, ces hommes accros à la piqûre quotidienne d'adrénaline que leur procurent leurs "responsabilités", et qui ne quitteraient la place que sous la menace des baïonnettes, tellement elle est bonne, la place !
Ouvrez les portes et les fenêtres ! Laissez tout le monde entrer dans la « carrière » ! Finissons-en avec le mode de sélection mafieux des élites politiques ! Ouvrez le TOUT PETIT MONDE de la politique à l’air du large. Tiens, savez-vous comment s’appelle l’avocate qui s’est occupée du divorce de Madame Cahuzac ? Elle s’appelle maître Copé, la propre sœur de Jean-François. Un tout petit monde, je vous dis. Un bocal. Et c’est ce tout petit monde qu’il faut détruire.
Messieurs les hommes politiques, un seul message :
FAITES LE MÉNAGE ! OU ALORS DU BALAI !
Je ne retournerai aux urnes que quand ce sera fait. Mais ce n’est pas parti pour. Je continuerai probablement longtemps à voter avec mes pieds, parce que les grosses moules qui nous gouvernent ne cèderont qu'une fois précipitées dans l'eau bouillante. Je le crains.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 11 avril 2013
POLITIQUES : TOUS POURRIS 1/3
ON EST PEU DE CHOSE, MESSIEURS
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Vous vous rappelez cet appel : « Dieu, si tu existes, envoie-moi un signe ! ». C’était Raymond Devos. Un prodigieux, celui-là. Eh bien à mon tour, je lance un appel solennel :
« Hollande, si tu existes, envoie-nous un signe ! ».
En fait, je devrais plutôt demander à Madame Politique, si elle existe, de nous envoyer un signe, parce que Hollande, en ce moment, a plutôt l’air d’un petit rat pris au piège. Madame Politique n’est pas mieux lotie, vous me direz. Existe-t-elle encore ? J’en doute fort.
Je les entends, tous les curés laïques et toutes les grandes consciences républicaines et démocratiques, dressés « contre le Front National » : « Il ne faut pas entonner le refrain du "tous pourris". Ça fait le lit de tous les populismes » (ah, ce pluriel à "populisme" !). Eh bien moi, je dis que, s’il est vrai que les individus qui composent le « personnel politique » ne sont pas tous corrompus, ils sont arrivés à leur poste grâce à un système de sélection des élites politiques qui est corrompu jusqu’au trognon.
Le personnel politique est (peut-être) individuellement honnête, mais pourri collectivement. C'est le système en soi qui est malhonnête. Et c'est parce que le système est malhonnête qu'il est tout à fait légitime de crier : « TOUS POURRIS ! ».
Regardez le tableau de la vie dite politique en France, depuis … depuis … depuis … non, je renonce à dater : encéphalogramme plat ou presque. Enfin, moi, je n’appelle pas ça « faire de la politique ». Non, qu’on appelle ça « soigner sa carrière », je veux bien, mais « politique », non monsieur. « Je fais carrière dans la politique », ça sonne tout de suite plus vrai. Et « carrière politique », c’est aussi un oxymore : une contradiction dans les termes.
On commence par conseiller municipal, on continue maire, on poursuit conseiller général ou régional, puis président du conseil général ou régional, pour atterrir un jour, couronnement des ambitions, sur les bancs de l’Assemblée Nationale ou du Sénat. Certains voient plus loin, mais c’est donné à quelques rares auxquels, s’ils sont passés par Sciences-Po Paris, HEC et l’ENA (la promotion se porte très près du "Voltaire" en ce moment), les plus grands espoirs sont permis. Sans oublier que les fils ont tendance à s'installer sur le siège tout chaud laissé par les pères.
Résultat de ce parcours ? On voit toujours les mêmes bonshommes. Le casting ne varie pas d’un iota d’une élection à l’autre. Quand il entre en maison de retraite, le Français aura vu les mêmes trombines depuis qu’il est né, ou presque. Et le plus fort, c’est qu’on trouve ça tout naturel.
Les journalistes s’extasient, comme un chœur d’imbéciles : « Député depuis quarante ans de la même circonscription, c’est extraordinaire ! Comment faites-vous ? ». Mais non, bande de crétins congénitaux : non seulement ce n’est pas naturel, mais ce n’est pas NORMAL. C’est même de ça qu’elle est morte, la vie politique en France : la durée des carrières politiques.
Même chose quand ils s’adressent à Gérard Collomb : « Maire de Lyon ! Président de la Communauté Urbaine ! Sénateur du Rhône ! C’est extraordinaire ! Comment faites-vous ? ». Au passage, allez comprendre pourquoi aucun de ces fieffés imbéciles n’abrège Communauté Urbaine de Lyon en C. U. L., on se demande pourquoi. Au total, avec ses trois fonctions, une rémunération plus que confortable. C'est aussi de ça que la politique est morte : la surface politique occupée indûment par Gérard Collomb (et il n'est pas le seul).
Il faut savoir qu’avant d’occuper ces places officielles et électives (j’oubliais maire du 9ème arrondissement, mais c’était avant), il avait assez nagé dans toutes les eaux du PS, même les plus usées (Pierre Mauroy, si je me souviens bien), pour se voir confier je ne sais plus quelle fondation. Ah ça, on pourra dire qu’il les a gravis, les échelons de la « carrière ». En a-t-il assez sué pour arriver là où il est (merdelion) ! C’est sûr qu’ « il en a voulu ». Moi qui l’ai connu à la fac (si, si), je peux témoigner qu’il « en voulait » déjà. Passons.
Le problème de la politique en France, vous voulez que je vous dise, il est là et pas ailleurs. Et c’est un problème de temps et d’espace. Plus exactement de durée et de surface. Et pour résoudre, un seul moyen : réduire, comprimer, restreindre, limiter, circonscrire, borner. Empêcher la tache d’huile de se répandre dans l’espace et dans le temps. Empêcher qu’un citoyen ait la possibilité de « faire carrière » dans la politique.
Réduire la durée. Réduire la surface. Si Hollande existe, comme il persiste à vouloir nous en persuader, s’il veut entrer dans le club très fermé des « grands présidents », il fera une seule, mais une grande, une immense chose : briser les reins à toute « carrière politique ». Autrement dit : casser la durée et l’espace ouverts aux citoyens avides de pouvoir, d’honneur et de ..., non rien.
Comment casser toute carrière politique ? En réduisant la durée d’un parcours politique à deux mandats, mettons dix ans. On n’arrivera pas à me convaincre que s’occuper des affaires d’une collectivité (locale, territoriale ou nationale) puisse constituer l’objectif de toute une vie.
Non, « politique », ce n’est ni une profession, ni un métier.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 10 avril 2013
LE CAS HUSAK
CAS REMARQUABLE D'ANENCEPHALIE CHEZ UN SUJET FEMININ
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Tout le monde a oublié le nom de GUSTAV HUSAK, ancien dignitaire du communisme tchécoslovaque. Heureusement que je suis là. C'était effectivement un cas : le bien nommé « Cas Husak » (ne pas confondre avec "cosaque"). D’abord considéré comme un « modéré », il finit, après la fin du « printemps de Prague » et du pauvre Alexandre Dubcek, par s’aligner purement et simplement sur la rigidité intransigeante (et agonisante) de l’Union Soviétique. La poubelle de l’Histoire a refermé sur lui son couvercle magnanime.
Disons-le tout de suite : il n’est pas resté sans descendance. Le « Cas Husak » a proliféré après la chute du mur et la fin du communisme, deux événements qui ont offert sur un plateau, aux dignitaires méritants et ingénieux du système finissant, des moyens pour une réhabilitation fulgurante, en même temps que pour une promotion digne d’un coup d’Etat tribal en Afrique de l’Ouest. Sans parler du compte dans une banque des Îles Vierges britanniques (ou à Singapour, je ne sais plus).
Bon, j’arrête avec le gag épais (mais rappelons-nous celui de Gotlib : « Le gars GH' est formidable, et il fait rire tout le monde»).
Venons-en à Cahuzac. Vous avez noté que tout le PS, « Dans une ténébreuse et profonde unité » (sonnet des Correspondances, Ch. B.), a conspué le « mauvais socialiste », le « mouton noir », bref, l’exception exceptionnelle et unique :
« Comme un seul ils ont déclaré,
Sans vergogne,
Qu’on les avait déshonorés,
Déshonorés ».
Heureusement, Tonton Georges permet de faire face à toutes les situations. Merci, Tonton Georges.
Cahuzac est donc le seul pourri du Parti Socialiste. Le seul pourri ? On serait bien content de l’apprendre, si c’était vrai. Jean-Claude Guérini ? PS. Comment s’appelle-t-il, le trésorier de l’actuel président ? Augier, je crois. PS. Kucheida, qui passait au tribunal hier ? PS. Sylvie Andrieux à Marseille ? PS. Gérard Dalongeville, à Hénin-Beaumont ? PS. J’en oublie peut-être un certain nombre. Et même plusieurs. Pour ne pas dire quelques-uns.
Vous avez entendu le chœur des petits saints, dirigé par les vierges madones Caroline Fourest et Clémentine Autain, entonner le grand refrain du : « Crier "Tous pourris", c’est tout bénef pour le Front National ». D’autant plus que, c’est vrai, il est probable qu’il en reste, des gens honnêtes, dans le personnel politique. Oui, je me dis que ça doit pouvoir se trouver. Peut-être bien. Ce n’est pas complètement impossible.
Certains se souviendront cependant que, dès 1948, Gilbert Cesbron, dans Notre Prison est un royaume, mettait dans la bouche de ses lycéens impertinents cet appel : « On demande un député honnête ! » (ils jettent le trouble dans une réunion politique).
Tiens, prenez Gérard Filoche, celui qui « pète un câble » chez Michel Field. Indigné, qu’il était, par Cahuzac ! Personnellement offensé. J’espère que vous avez été émus par ses sanglots en direct dans le micro et devant la caméra : un grand moment de vérité politique, vraiment ! Si ce n’est pas une preuve, ça ! Ah bon ? Ça non plus, vous n'y croyez pas ?
Accessoirement, ce qui est rigolo, c’est que Pierre Moscovici a beau soutenir qu’il n’était au courant de rien, Laurent Fabius démentir qu’il détient un compte en Suisse, plus personne ne les croit. Et le « plus personne » a, somme toute, raison. Dans le peloton du Tour de France, les soupçons de dopage tombent aussi forcément sur « ceux qui marchent à l’eau claire » (il paraît qu'il y a encore des héroïques), et il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement : ils n’avaient qu’à pas être honnêtes.
Ou plutôt : ils n'avaient qu'à pas être là. Comment voulez-vous que le public fasse la différence ?
Je connais quelqu’un qui, à la fin de la guerre, pressenti pour la Légion d’Honneur, mais qui, ayant appris qu’un magouilleur de première, un de ceux qui ont retourné leur veste juste avant la limite, allait la recevoir en même temps que lui, redressa la tête, regarda bien en face la personne qui en parlait, et lui lâcha en pleine figure : « Si celui-ci est décoré, il faudrait que je sois fou pour l'accepter, la décoration ! Ce n'est même pas la peine d'en parler ! ». Ce qu’on appelle le sens de l’honneur.
Mais pour un qui l'a, le sens de l'honneur, combien iraient la chercher à plat ventre, la Légion d'Honneur ? Ce n'est sans doute pas du même "honneur" qu'il s'agit. De toute façon, si les vrais hommes "d'honneur" sont "légion", où est passé l'honneur ?
N’importe quel professeur vous le dira : dans n’importe quelle classe, un seul salopard à la grande gueule bien pendue, s’il s’y prend bien, suffit pour rendre tout un groupe d'élèves infernal et odieux. A-t-on pour autant déjà vu une telle classe faire la police dans ses rangs et mettre le trublion à la raison ? Non : ils la ferment. En politique, c’est pareil : si le soupçon met tout le monde « dans le même sac de nœuds de vipères lubriques », tous les « innocents » en puissance n’avaient qu’à pas être là. Ou faire la police dans leurs rangs.
Dans un groupe, la lâcheté, l’aveuglement, la complaisance ou l’incompétence des individus majoritaires face au salopard, ne sauraient tenir lieu d’absolution. Et c’est même le contraire, puisque ce sont autant de formes avérées de leur complicité. Qu'ils le veuillent ou non, ils y sont, dans le sac. Quelqu’un peut-il me dire la différence à faire entre cette passivité, même ignorante, et l’Omerta mafieuse ?
Messieurs, je ne vois plus qu'un moyen de vous dédouaner : cessez d'être complices, PARLEZ !
La conclusion logique du raisonnement est la suivante :
« Faites le ménage, ou alors : du balai ! ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 09 avril 2013
ÊTRE UN OTAGE FRANçAIS
CE QU'ON VOIT QUAND ON ENLEVE TOUT CE QUI N'EST PAS L'APPAREIL DIGESTIF
(la fonction digestive ne permet pas, hélas, de déterminer le sexe)
***
Puisque personne ne me demande mon avis sur la question, je vais le donner.
Oui, c’est vrai ça : que faire pour sauver la vie des otages français, que des méchants méchants détiennent abusivement et qui menacent de les tuer si … ?
Que faire ? Ma réponse sera brève, concise, laconique et, pour tout dire, compendieuse : RIEN. Pas un centime de rançon, pas un soupçon d’effort diplomatique, ce qui s’appelle RIEN. Un otage français doit être considéré a priori comme un individu perdu pour la nation.
Tiens, je lui donne une idée, à la nation. Avant même toute réflexion, rien que pour emmerder les auteurs de ces crimes, elle serait bien inspirée d’organiser, à chaque prise d’otage, des funérailles nationales solennelles pour les personnes injustement soustraites à l’affection des leurs.
On porterait aux Invalides, en grande cérémonie, autant de cercueils vides revêtus du drapeau national, avec l’inscription « Mort pour la France », attribution posthume de la Légion d’Honneur et pension à la veuve. Le président, détenteur de la fierté nationale, prononcerait un discours martial où il promettrait que le crime ne resterait pas impuni. Voilà qui serait digne et fort !
Je vous garantis que ça aurait une autre gueule que les voies tortueuses de diplomates ou de services secrets, et que les atermoiements des responsables politiques qui, pris entre le feu émotionnel et médiatique des affections familiales et le feu terroriste de bandits lancés en plein hold up, promettent maladroitement je ne sais combien de millions de dollars à verser sur un compte offshore.
La seule chose à faire, c’est de menacer les preneurs d’otages des pires représailles, au cas où il leur prendrait la fantaisie de faire subir le moindre mal à leurs captifs.
Ce n’est pas que la vie des personnes injustement séquestrées ne m'importe pas ou n’a aucune valeur : des individus, tout comme moi, des personnes qui n’ont pas moins de valeur, mais pas plus. Regardez la balance : dans un plateau, un être vivant menacé, dans l'autre, tout un pays. L'équation, elle est là.
Qui sont les preneurs d’otages ? Motif religieux, idéologique, philosophique ou autres, ce sont des bandits. Au nom d’Allah, au nom de la lutte armée, au nom de la cause, au nom de tout ce que vous voulez : ce sont des gangsters. Le plus souvent organisés en mafia, parfois en secte dominée par un gourou (Boko Aram au Nigéria).
La prise d’otage est un acte de guerre. Proclamer que, par principe, la vie des otages est sacrée, c’est se déclarer vaincu avant d’avoir combattu. C’est se coucher, s’humilier, se déclarer vaincu par qui ? Quelques fruits pourris de l’humanité.
La honte d’être Français me submerge, chaque fois qu’un otage est libéré contre rançon. Comment ? N’importe quelle fripouille peut faire plier ma nation, au simple prétexte qu’elle détient quelques individus en possédant la carte d’identité et le passeport ?
Qu’est-ce que c’est que cette « nation », qui en passe par les quatre volontés de quelques canailles, passe sous leurs fourches caudines, garnit leur compte en banque et améliore leur arsenal ?
Qui se déclare vaincu ? L’Etat français. Une collectivité nationale, une institution politique, une entité fondée sur le droit, une structure qui regroupe 65 millions de citoyens. Comment peut-on envisager une seconde d'hésiter entre les deux plateaux de la balance ?
Demandez-vous pourquoi il y a si peu de prises d’otages sur des citoyens britanniques : tout le monde sait que les gouvernants anglais ne négocient jamais avec les preneurs d'otages. Pourquoi le Français est-il une denrée recherchée ? C'est simple : le Français est une marchandise qui rapporte gros, pour la seule raison que le client est facile, et qu'il paie bien.
Et le client est d’autant plus facile que tout le monde s’y met : les proches, les associations montées pour la circonstance, les spécialistes des droits de l’homme.
Le bandit, dans sa grotte ou dans son palais, peut compter sur tous ces alliés involontaires, qui sont juste ses complices : ils sont dans la place, lancent des appels, collent des affiches, interpellent le pouvoir et l'opinion publique, rédigent et font signer des pétitions, manifestent, interviennent dans les médias, font ce qu'il faut pour que nul n'oublie les otages. Plus ils sont actifs et influents, meilleur c’est pour faire grimper les enchères.
C’est tout simplement insupportable.
Otage libéré est synonyme de défaite nationale.
On me dira : « Tu en parles à l’aise, blogueur insensible. Ça se voit que tu n’es pas dans cette situation ». Je sais. Et je ne saurais dire quels seraient mes sentiments au cas où. En attendant, et en souhaitant que cela n’arrive à personne, je campe sur ma position : « Messieurs les preneurs d’otages, vous n’aurez rien ! Mais comptez bien vos abattis ! Vous n’emporterez rien au paradis d’Allah ! ».
Françoise Claustre (Tchad, 1974), Jean-Paul Kaufmann (Liban, 1985), Ingrid Betancourt (Colombie, 2002), beaucoup d’autres ne me le pardonneraient pas. Je sais.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, anatomie, otages, france, politique, société, françois hollande, parti socialiste, nation, légion d'honneur, mort pour la france, boko aram, prise d'otages
lundi, 08 avril 2013
EN PENSANT A QUELQU'UN QUI EST LA
Et puis, voilà, ce soir d’hiver, pendant que tu marches dans les rues, quelqu’un te tape, familièrement, sur l’épaule. Tu te retournes : ce n’est pas lui, c’est son absence, elle est venue, elle est là, en personne. Elle est venue pour toi, avec sa consistance. Presque vaporeuse.
Il n’est pas là, évidemment, mais tu le vois, fraternel. Il y a ce quelqu’un, là, qui respire et qui t'appelle. Et puis tu regardes mieux, là tout autour.
Et c’est là que tu les entends respirer, que tu les vois être là, parce que, comme on dit, « la vie continue». Là que tu sais qu’il continue à y en avoir, des autres.
Des autres qui respirent, qui rentrent chez eux, qui allument la lumière. Quand ils habitent au rez-de-chaussée, sans doute par pudeur, le verre a été dépoli : la transparence, d’accord, mais avec le filtre d’une certaine poésie. C'est précisément ce léger trouble de la vision qu'il faut fixer. Quelqu'un est là : on ne voit pas son visage, on voit, vaguement, ce qui l'entoure, quelques objets, quelques couleurs, beaucoup d'estompe.
Les gens, dedans, ne savent pas que tu regardes. Il vaut mieux qu'ils ne se doutent de rien. Va savoir, peut-être fermeraient-ils les volets, baisseraient-ils le store ?
Après tout, ces photos sont peut-être des indiscrétions : quand on vit à l'intérieur de soi, on ne se voit pas de l’extérieur. La lumière, ça brûle du dedans, ça sert aux gens du dehors à savoir, quand ils voient les yeux qui brillent, que, là au moins, il y a quelqu’un. Là qu'on vit, là qu'on habite.
La photo n’est pas très nette, c’est sûr, à cause du rideau, à cause du verre dépoli, parfois à cause du bougé, mais ce qui est sûr, aussi, c’est que tu te dis, malgré toi : « Il est là».
Si tu le dis, alors c'est vrai. Et puis bon, parce qu’il faut bien, à la fin, tu rentres chez toi. Va te mettre au chaud. Allumer la lumière. Et c’est bon de se dire, en arrivant, que oui : son absence est là, un paysage qui tient compagnie.
La photo est juste là pour dire ça : dans pas longtemps, elle sera là, la cicatrice. C’est un simple témoin. Et c’est vigilant.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
samedi, 06 avril 2013
L'ART ET LE VERBE ETRE
Bon, ce n’est pas pour radoter, c’est juste pour mettre un point final à cette longue série.
Chaque petit individu a donc, désormais, le droit d’être original, et ce faisant, de se faire un nom, voilà donc le Graal ultime du char d’assaut de la modernité. Pour faire exister coûte que coûte le sacro-saint individu, hérité des Lumières. A ce titre, il a le droit de désigner ce qu’il fait (et qu’il est, espère-t-il, seul à faire, à cause des droits d’auteur) comme activité artistique, parce que tel est son bon plaisir. Et que tel l'ordonne Madame Egalité.
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST PHILIP NEWCOMBE
LE TITRE EST "WEENER"
Le paradoxe n’est pas laid, qui me rappelle ce dessin de Sempé où, dans une librairie vaste comme une cathédrale aux immenses murs couverts de dizaines de milliers de livres, le brave libraire félicite un auteur pour son premier bouquin : « Cela doit faire du bien, de se sentir émerger de la masse ». Attention les yeux, quand on sera sept milliards à avoir le droit d’émerger de la masse ! Je sens que ça va dépoter !
Chaque individu a le droit d’innover, c’est-à-dire de désigner comme de l’art l’objet de son « travail ». C'est-à-dire, à élargir jusqu'à lui-même la définition de ce qui est artistique. A s'inclure comme partie prenante dans le monde de l'art, comme s'il craignait que personne ne le fasse s'il n'en prenait pas l'initiative. On n'est jamais si bien servi que par soi-même.
C’est ainsi qu’en musique, sont entrés la « techno », qui n’est rien d’autre que de la percussion avec du semblant de sons musicaux pour faire croire, et le « rap », qui est la même chose, mais avec des mots - si possible hargneux, vindicatifs et violents.
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST RAPHAËL HEFTI
LE TITRE EST "SUBSTRACTION AS ADDITION"
Le « slam », petit dernier avant la prochaine « innovation », n’est pas autre chose, mais cette fois sans les sons musicaux, et qui plus est, avec un usage de la rime étrangement conformiste, curieusement passéiste, bizarrement démodé. La fraîcheur d’âme de tous ces petits qui font une « standing ovation » à la défunte rime, et qui jouent les Louis XVIII pour sa Restauration, ça vous a quelque chose de profondément touchant. Souvenons-nous cependant que la Restauration a mal fini (1830).
Le pauvre verbe « être » – vous savez, ce prince tout-puissant qui établit des équivalences entre ce qui le précède et ce qui le suit – a été mis à mal, à contribution, à la torture et à toutes les sauces. Allez contredire, en argumentant subtilement, sur un plateau de télévision, l’énergumène qui lance, autoritaire : « Le rap est de la musique » !
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST PHILIP NEWCOMBE
LE TITRE EST "GOBSHITE"
Allez lui faire admettre que la musique ne se réduit pas à de la scansion diversement (pas trop quand même) rythmée, et qu’il lui reste, s'il y consent, deux ou trois petites choses à apprendre ! Que "SA" culture, ce n'est pas "LA" culture.
Si vous faites ça, c'est le meilleur moyen de vous attirer des répliques du genre : « Mais de quel droit ? - Au nom de quel principe ? - Au nom de quelle autorité ? - Au nom de quelle valeur absolue ? ». Et là, vous, je vous vois comme si j'y étais, vous ramez contre le courant, à remonter à Platon, au monde des Idées, à la hiérarchie des valeurs, à l'élévation de l'âme par la contemplation du Beau. Disons-le tout net : vous êtes très mal embarqué. Le verbe « être » est péremptoire à lui seul. Il dissuade.
Le verbe « être » est donc le grand petit soldat de l’innovation, car il est une véritable baguette magique, grâce à laquelle la frontière imposée par la définition s’abolit d’elle-même, puisque la définition, c’est lui ! Regardez dans le premier dictionnaire venu : la première définition venue répond à la question : « Qu’est-ce que c’est ? ». Dites-moi que c'est faux, tiens, pour voir.
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST HENRIQUE OLIVEIRA
LE TITRE EST "DESNATUREZA"
Les surréalistes ont abondamment donné dans ce panneau, avec leur « jeu » (tiens tiens) : « Qu’est-ce que … ? – C’est … ». Le surréaliste José Pierre (rien à voir avec Jean-Marc Thibaut) a même écrit un roman érotique de qualité pas détestable intitulé Qu’est-ce que Thérèse ? – C’est les marronniers en fleurs.
Maintenant, allez prouver par a + b que non, Thérèse n’est pas les marronniers en fleurs ! La faute au verbe « être », qui a tout autorisé, à commencer par les innovations les plus innovantes. Tout a donc commencé par une faute de la grammaire (pas la même chose qu'une faute de grammaire). Bon sang, mais c'est bien sûr ! Ention et damnafer (citation du regretté Fred, qui vient de mourir, voir ici, les 3 et 4 mars) ! J'aurais dû m'en douter !
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST PIERRE BURAGLIO
LE TITRE EST "PAYSAGE 2 CV"
Faites comme Francis Picabia qui, dans une galerie d’art, suspendit un jour (autour de 1920), avec une ficelle, un morceau de macadam dans un cadre doré magnifique, et dites : « Ceci est de l’art ». Passez muscade ! C’est bien le diable si les réfractaires à l’esbroufe, impressionnés par la clameur unanime des dévots, oseront marmonner dans leur barbe : « Foutage de gueule ! ». Ils seront écrasés par l’audace de l’innovation.
Le verbe « être » est le roi de l’ubiquité, qui fait franchir à ce que vous voulez des distances infranchissables, et instantanément, qui plus est ! Sans bouger de votre fauteuil. Voilà, vous avez compris d’un seul coup tout le surréalisme, toute la publicité et une bonne partie de l’univers médiatique actuel. L'équivalence absolue et triomphante. Enfin, une équivalence supposée. Entre l'univers des mots et l'univers des choses.
CECI EST UNE OEUVRE D'ART
L'ARTISTE EST BERTRAND LAVIER
LE TITRE EST "GIULIETTA"
Ce serait de la 'pataphysique si ce n'était de la promotion et de la dévotion. La 'Pataphysique, qu'on se le dise, ne promeut rien et ne célèbre rien. La 'Pataphysique se contente de manifester l'immarcescible permanence et l'eccéité immanente de Faustroll.
Ici, c'est l'équivalence dévastatrice. Vous atteignez en un instant les territoires les plus sauvages, véritables réserves à ciel ouvert, bourrées à craquer de trésors d’imagination utilisables. Et tout ça par la magie du verbe « être » qui, tel Satan, en déposant le monde à vos pieds, vous en a fait l'offrande sous la forme du « déchet ultime ». Le monde en son entier. Comme chante Léo Ferré : « Thank you, Satan ! ». Ou si vous préférez :
« Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,
O Satan, prends pitié de ma longue misère ! ».
Thank you, Charles Baudelaire !
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Le nom de SATAN me fait, à tort ou à raison, penser à un bel ouvrage de Cornélius Castoriadis paru en 1996. Voici à quoi il ressemble.
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, arme à feu, kalachnikov, art contemporain, cornélius castoriadis, pataphysique, josé pierre, surréalisme, musique, rap, slam
vendredi, 05 avril 2013
ART, INDIVIDU ET FOURMILIERE
LE FAMAS (OU "CLAIRON"), AVEC OU SANS SON BIPIED, TIRE LA MUNITION 5,56 OTAN, VITESSE INITIALE 1300 METRES PAR SECONDE (environ), C'EST-A-DIRE JUSTE EN DESSOUS DE LA VITESSE DU SON, MAIS AUSSI UN TROU MINUSCULE POUR ENTRER, UNE EXCAVATION POUR SORTIR
***
L’innovation en art a deux fonctions : donner du boulot à toute la surpopulation que les progrès de la médecine ont donnée à l’humanité ; permettre aux petits gars dégourdis de délimiter un territoire qui n’appartienne qu’à eux, et à personne d’autre. Le mot d'ordre étant : « Individu über alles ». C'est l'hymne mondialisé de l'humanité radieuse (sur l'air de l'hymne allemand, cf. Haydn, opus 76 n°3, spécialement le 2ème mouvement, Poco adagio cantabile).
Pour ça, il n’y a pas à tergiverser : il faut ouvrir ! OUVRIR LES FRONTIERES. Cela commence par l'abolition des définitions, qui élèvent des frontières entre les mots.
La première frontière à ouvrir, c’est évidemment celle qui définit l’art lui-même. N’y allons pas par quatre chemins, mais par cinq.
1 – Premier chemin, les moyens propres de l’art. Tout doit être mis à contribution : la couleur, le trait, la surface, le support, les matières, etc. Une mine pour une première vague de spécialisations et de division du travail. On donnera la couleur à Rothko (ci-contre), à Klein et quelques autres. Le trait ? On va le donner à Twombly, tiens, que vous en semble, et quelques autres. Le mouvement ? A Pollock. La surface ? Olivier Debré ne ferait pas mal, qu’en penses-tu ? Je m’en charge. Pour résumer, ici, on se contente de quelques militants révolutionnaires de la tradition, de l’atelier, du chevalet et, disons-le, de l’Académie.
2 – Deuxième chemin : la réalité tout entière, minérale, végétale, animale. La réalité, qu’on se le dise, est un grand artiste, le plus grand, le plus ingénieux, le plus plus. Rien ne surpasse. Cailloux, écorces, œil de tigre, algues entremêlées, tout doit y passer. Je n'énumère pas, on y serait jusqu'à la Toussaint. On va appeler Beuys et tous ses potes de l'arte povera (ci-contre, sa pile de papiers froissés).
3 – Troisième chemin : là, autant prévenir tout le monde, on commence à recruter hors des académies. On y fait même entrer des catégories de productions autrefois dignes de la poubelle, mais que les besoins de la cause ont hissées sur le piédestal qui annonce le musée historique. Commençons, si vous le voulez bien, par l’univers esthétique si charmant de nos chères têtes blondes. Le « style enfance de l’art » va faire fureur, je vous le promets. Là, Dubuffet, Chaissac (ci-contre) et compagnie feront merveille.
4 – Quatrième chemin : dans la même veine, nous appelons sur le podium des formes réhabilitées, des cagibis empoussiérés d’une bourgeoisie arrogante, suffisante et colonialiste, un masque Tschokwé, une porte Dogon avec sa serrure, bref, tout ce que le primitif a bêtement entreposé dans ses greniers en termes d’ingéniosité formelle, de thèmes picturaux, et d’authenticité humaine. Toutes les ethnies que la Terre a portées sont invitées à mettre au pot. L'art occidental ne s'est pas privé de piquer dans la caisse (Max Ernst (ci-contre) et les surréalistes les premiers).
5 – Cinquième chemin : allons au bout de notre idée de recyclage des rebuts, et ouvrons une bonne fois pour toutes les asiles de fous, délions les camisoles de force, observons, avec André Breton et Paul Eluard, les pages admirables noircies par les malades mentaux (L’Immaculée conception, 1930), accrochons à nos cimaises les plus prestigieuses des hallucinations de nos grands schizophrènes. Eux aussi méritent d’apporter leur pierre à l’édifice.
La conclusion de ce panorama (incomplet, faut-il le dire ?), c’est que tout ce qui n’était pas de l’art est devenu de l’art. Si ça ne l’est pas encore devenu, ça a vocation à le devenir. Le char d’assaut de la modernité n’a pas fini d’écraser les vieux préjugés, pour faire surgir, devant nos yeux et nos oreilles ébahis et émerveillés, le resplendissant, étincelant musée de toutes les merveilles que l’humanité est allée récupérer au fond de ses poubelles, de ses écoles maternelles et de ses asiles de fous.
Cette débauche de récupération est évidemment mise au service des milliards de trajectoires individuelles qui n’attendaient que l’occasion de dessiner sur un sol appauvri les sinuosités désespérées de fourmis cherchant la brèche dans le lisse de la paroi qu’on ne sait quelle main invisible a dressée devant leurs ambitions.
Notons malheureusement que, en fait de trajectoires individuelles, le myrmécologue consciencieux a du mal à mettre un nom sur chacune des fourmis à l’œuvre dans la fourmilière.
A propos de notre fourmilière humaine, il y a fort à parier que le myrmécologue consciencieux portera, au bas de son rapport d’observation, la mention : « A perdu la boussole ».
Voilà ce que je dis, moi.
NB (après-coup) : Le myrmécologue sera bientôt, fort heureusement, doté d'outils (avec la RFID, on y est presque) qui lui permettront de suivre n'importe quelle fourmi dans la fourmilière et de reconstituer l'intégralité de son parcours, seconde par seconde depuis sa naissance. Le progrès fait rage.
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jeudi, 04 avril 2013
DE L'INNOVATION EN ART
CECI EST UN LUGER P 08, DONT IL FAUT IMAGINER LA JAMBE DE LA CULASSE QUI SE PLIE QUAND LE COUP PART, COMME SI ELLE ETAIT DOTEE D'UN GENOU
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Parenthèse inaugurale : Cahuzac ? Ben si, parlons-en, puisque ça mousse partout, ça pique les yeux, irrespirable. Je suis frappé par un truc : tout le monde est étonné. Moi je me souviens du Tour de France : tout le monde débarque sur la Lune quand les dopés sont pris la main dans le sac. Résultat ? Le Tour de Flandre vient d'avoir lieu, Fabian Cancellara l'a gagné, saluons la performance de ce pur sportif ! Réécoutez les commentaires : c'est exactement ça. Cahuzac, donc ? Même tabac. Peloton des coureurs du Tour de France et peloton des grenouilles dans le grenouilloir politique de France sont régis par une même loi, qui a nom : OMERTA. Et ce n'est pas le pétage de plomb de Gérard Filoche chez Michel Field, qui est fait pour me rassurer sur le problème de fond.
Deuxième remarque : tout le monde s'extasie (pardon : se scandalise) : « Mon dieu, il a menti, c'est un menteur, il a menti à tous ses confesseurs ! ». Mais vous savez comment c'est : faute avouée est à moitié pardonnée. Un mensonge en France n'a rien à voir avec le statut du parjure aux Etats-Unis. On oubliera. Comme si le gros plan sur le mensonge permettait à Cahuzac d'occulter son acte de tricherie, disons le mot : son délit. Cahuzac a publiquement avoué qu'il est un délinquant. Voilà ce qu'il ne faudrait pas oublier.
Moralité : le soupçon s'étend à tout le peloton ? Eh bien tant pis pour les honnêtes !!! Ils n'avaient qu'à pas être là !
***
Abordons pour finir l’autre face de l’extrémisme démocratique. Après j’arrête.
Nous évoquions le naufrage de la définition, cette chose désuète qui ne servait qu’à distinguer quelque chose appelé « œuvre d’art » de toute autre réalité. Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? Le nœud du problème, quoi : si l’on ne peut se mettre d’accord sur la définition du beau, c’est qu’il n’y en a plus, disparue noyée dans l’infinité des interminables controverses et contestations liées au triomphe de la subjectivité. Pourquoi, quand je dis : « Ceci est beau, ceci est laid », y a-t-il toujours quelqu'un pour me reprendre : « Tu ne peux pas dire ça : dis plutôt : "J'aime, j'aime pas" ». Eh bien non, Elisabeth, je persiste et signe.
L’interdiction de la définition, qui interdit le jugement (c'est peut-être à ça qu'elle sert, l'interdiction), revient finalement à une porosité générale de toutes les notions, de toutes les distinctions entre ce qu’une chose est et ce qu’elle n’est pas. Quand « l’un est l’autre », cela s’appelle l’indifférenciation. Or, il est bon de le dire : l'indifférenciation consiste à tout mettre dans le même sac de nœuds de vipères lubriques.
Car une définition ne sert qu’à une chose : établir des différences. Sans définition exacte et précise des termes, Carl von Linné n’aurait pas pu établir les fondements de la botanique. Soit dit en passant, qu’est-ce que c’est, la botanique ? C’est un classement des végétaux : les feuilles, sur la tige, sont-elles « alternes », « opposées », « connées », « opposées-décussées », « verticillées » ? Le sommet du limbe foliaire est-il « aigu », « acuminé », « apiculé », « mucroné » ou « obtus » ? La découpure du limbe est-elle « palmatifide », « palmatipartite » ou « palmatiséquée » ? Tous ces mots descriptifs ne vont pas sans une définition bien sentie et bien balancée.
En gros, définir est une façon de se repérer dans l’infinie variété du vivant. En posant des mots sur des choses. Ça simplifie la vie. Mais quand on est seul à mettre un mot sur une chose, le mot ne sert pas à grand-chose. Voyez le petit fripounet surréaliste Magritte, mais qui a su se rattraper dans l’attrape-gogo publicitaire. Ce n’est pas le destin, c’est la loi. Pour ne pas rester seul, il faut donc se mettre d’accord sur les mots et leur définition.
Les arts dits « contemporains » ont, depuis, disons, 1900, promu une autre façon de procéder. Je propose d’appeler ce processus « singularisation ». Oh, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais ce qui s’est mis en place accompagne comme une ombre le progrès des techniques connu sous le nom d’ « innovation ». Ah, l’innovation ! Le maître-mot ! Le 20ème siècle est celui de l’innovation majuscule !
L’innovation est le moyen par excellence de se faire un nom. Les artistes ont piqué le truc aux scientifiques et aux techniciens. Les tiroirs marqués « Michel Ange » ou « Léonard » étant définitivement occupés, il fallait en effet trouver autre chose. Le monde de l’art s’est donc tourné, pour que ses tenants aient une petite chance de se singulariser, vers ce qu’a offert le 20èmesiècle technique : l’innovation permanente et tous azimuts.
Ne parlons pas des précurseurs. Evoquons le plus brièvement possible le père de tous les chercheurs d’innovations, Marcel Duchamp, non pas pour ses « ready mades » (pour une fois), mais pour son Nu descendant un escalier, qui n’est rien d’autre qu’une application picturale de la chronophotographie inventée par Etienne-Jules Marey (ci-contre et ci-dessous) ou Edward Muybridge (juste avant le cinéma).
Même remarque pour sa Mariée traversée par des nus, vite, et pour son Jeune homme triste dans un train. C’est sûr que, pour les titres, Duchamp a eu du génie : il a compris que le plus important est de jouer comme des gosses. Et de poser, sur n’importe quelle chose, n’importe quel mot : TOUT est bon. Et le plus grand écart apparent est forcément le meilleur. Les dadaïstes, les surréalistes et, à leur suite, la publicité, n’ont eu aucun scrupule à déplacer le curseur du mot à la chose, et inversement. A l’arrivée, ça fait gloubiboulga. Beaucoup de gens trouvent même ça poétique. Le plus fort, c'est qu'on ne les met pas en taule.
L’innovation, c’est le fin du fin. C’est même devenu la fin des fins. Un but en soi. Le Graal ultime. C’est la condition pour émerger de la masse. L’innovation par excellence, le prototype et l’archétype de l’innovation appartient encore à Marcel Duchamp, le paresseux infatigable, et consiste à désigner : vous prenez un objet, et vous en faites une œuvre (les bien connus ready mades). Ce n’est pas pour rien qu’il a d’ailleurs inventé l’ « objet-dard ». Pour faire bonne mesure, il a inventé la feuille de vigne femelle (un moulage, à n'en pas douter).
Les mots du langage, avec Marcel Duchamp, ont pris possession des territoires du visible. La grande confusion.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 03 avril 2013
DE LA DEFINITION DE L'ART
CECI EST UN SUPERBE REVOLVER KORTH, CALIBRE 357 MAGNUM
(la cartouche de marque SJ, avec sa balle de 10,20g blindée, a des performances remarquables, en particulier la puissance d'arrêt)
***
Extrémisme démocratique, ai-je dit. Est-ce grave, docteur ? Pour parler franchement, je n’en sais rien, mais je crains le pire. Au moins, dites-nous en quoi ça consiste. Je vais essayer. L’extrémisme démocratique découle de ces trois lois : « Tout est beau. Tout est de l’art. Tout le monde est artiste ». Qui répondent à la même double question, trois fois posée : « Qu’est-ce qui est … ? / Qu’est-ce qui n’est pas … ? ». Tout tourne donc autour de l’épineuse question de la définition.
Vous l'avez remarqué : les termes qui désignent les arts se sont emplis d’une infinité de définitions nouvelles. Ainsi a-t-on progressivement appelé « musique » toutes sortes d’arrangements nouveaux des sons autrefois musicaux, toutes sortes de mauvais traitements infligés aux vieux instruments pour leur faire cracher leurs poumons (je n'ai pas dit "glavioter leurs éponges"), pour finir par faire entrer dans la catégorie « musique » tout ce que le monde réel est capable de produire de sonore.
Tout bruit (y compris les éructations et flatuosités qui accompagnent si dignement les repas les plus solennels) est potentiellement musical : tout dépend de ce que l’artiste en fera. La liste des matériaux utilisables en musique est devenue aussi longue qu’il y a de sons dans l’univers. Sans parler des sons artificiels ou synthétiques. John Cage n’a-t-il pas composé une pièce pour « piano-jouet » (la désopilante, écroulante Suite for Toy Piano, 1948) ?
JE N'AI RIEN INVENTÉ (je ne me permettrais pas) : LE PETIT JOHN CAGE, CLOWN DÉGUISÉ EN ADULTE RAISONNABLE, INTERPRÈTE LUI-MÊME, EN CONCERT, SA "SUITE FOR TOY PIANO"
IRRESISTIBLE, IS'NT HE ?
On a collé l’étiquette « roman », « poème », « littérature » sur toutes sortes de productions faites au moyen de mots assemblés de diverses manières. On a collé l’étiquette « art » sur des cailloux, des bouts de ficelle, des urinoirs, des poubelles. Voilà où on en est depuis déjà quelques décennies : « Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’en est pas ? ». Plus personne n’en sait rien. Plus personne, c’est-à-dire tout le monde. C’est ça, l’extrémisme démocratique.
Archimède clamait : « Donnez-moi un point fixe, et je soulève l’univers ». C’était fort bien vu. Seulement le problème, dans l’art actuel, c’est qu’il n’y en a plus aucun, de point fixe. Aussi longtemps que 100 % de la population sont convaincus que la Terre, centre de toute la création, est plate, que Dieu existe à n’en pas douter (la preuve, c’est qu’on tue en son nom), que le Roi est sacré, pas de problème : la définition coule de source. Elle s’impose. Dieu et le Roi peuvent dormir tranquilles.
Le problème survient dès le moment où vous accordez à l’individu la première parcelle de libre-arbitre, fût-elle la plus infime. Tant que l’homme est un « sujet », ça roule, Raoul. S’il devient « autonome », c’est là que les Athéniens s’atteignirent, que les Satrapes s’attrapèrent, que les Perses se percèrent. Le Grand Inquisiteur des Frères Karamazov l’a dit assez clairement : l’homme n’est pas fait pour la liberté, et n’a rien de plus pressé que de venir la déposer aux pieds d’un Maître qui le guide et, le guidant, le rassure, le protège et le valorise.
Tant que la définition des mots et des choses émane du Maître, à l’aise, Blaise : elle est homogène, compacte et ne souffre nulle discussion. Le monde a une figure, et les artistes sont là pour, chacun à sa manière, la figurer. Dit autrement : la célébrer.
Tant que la Vérité vient du Très-Haut, glisse, Régis. Le Très-Haut et le Roi donnent sa figure au monde que les artistes représentent. C’est d’ailleurs ça qu’on a appelé « l’art figuratif ». Et si l’art figuratif a disparu depuis le début du 20ème siècle, c’est bien qu’il y avait un problème avec la figure du monde, et avec sa définition. L’art abstrait a peut-être quelque chose à voir avec la mort de Dieu. Peut-être même avec la mort de l’homme. Une idée à creuser, non ?
Tant que les hommes ont été d’accord sur le tracé de la limite entre la réalité et l’art, facile, Mimile : être artiste est un métier qui s’apprend, patience et longueur de temps, et tout ça. Mais quand Antoni Tàpies est autorisé à écrire un livre intitulé La Réalité comme Art, rien ne va plus, trouducu. Si l’un est l’autre, où est passée la définition (voir le livre d’Elisabeth Badinter, justement intitulé L’un est l’autre) ? Fini, a pu, la définition. Parce que, s’il est vrai qu’il y a de « l’un dans l’autre », il est terriblement faux de soutenir que « l’un est l’autre », autre façon de soutenir que « tout est dans tout ».
L’amorce d’un débat au sujet de la définition survient-elle ? C’en est fini de la belle homogénéité, de la sainte unanimité, de la bienheureuse harmonie, du consensus universel. Soyons clair et net :
« Kaput, la définition = kaput, le sens ».
Qu’est-ce qui n’est pas de l’art ? Plus personne ne sait. Si tout son est « musical », tout matériau et tout geste « artistique », tout mot « littéraire », on ne sait plus à quel saint se vouer, parce que, des saints, il n’y en a plus. Faut-il les faire revenir pour autant ?
La définition a quelque chose à voir avec la notion d’immunité : la défense immunitaire d’un « soi » se met en route dès lors qu’elle repère un « non-soi » qui s’approche dangereusement. La définition, c’est la même chose. Elle dit : « Ceci est … / Ceci n’est pas … ».
Notons en passant que l’agonie de la définition coïncide (très grosso et surtout très modo) avec l’apparition du SIDA, qui est précisément une maladie de l’immunité. Il y a de la contamination dans l'air. Un contamination de ce qu'il y a d'humain dans l'homme. Sale temps pour la planète humaine.
Curieux endroit, pour parler du SIDA, vous ne trouvez pas ?
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 02 avril 2013
DE L'EXPANSION DE L'UNIVERS (ARTISTIQUE)
LE REVOLVER "1892", CALIBRE 8 mm
(après le Mauser C96, le Luger P08, et même le Webley 455 britannique, sans parler du Colt 1911, les performances balistiques de la munition furent considérées, avec raison, comme des plus médiocres, même si l'arme reste classée en 1ère catégorie)
***
On a vu que l’artiste actuel essaie de se faire passer pour un scientifique, dont il imite l’activité de recherche, sans pouvoir prétendre au même degré de scientificité que lui. Il ne parle plus de ses « œuvres », ni même de ses « ouvrages », mais du terme très neutre de « travail ». Il la joue modeste. Il a compris que c'est son intérêt, même si cette modestie cache un immense orgueil.
Il va de soi qu’une telle évolution ouvre la voie à une foule de gamins qui auraient reculé devant l’effort et l’abnégation que suppose le métier. Et comme il faut donner du boulot à toute la surpopulation, il n’y a pas trente-six moyens.
Tiens, prenez la grande question : « Qu’est-ce qui est beau ? Qu’est-ce qui est laid ? ». Ajoutez-y : « Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’est pas de l’art ? ». Question subsidiaire : « Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qui n’est pas un artiste ? ». Là, on est au cœur du sujet. La réponse à cette rafale de questions simples est d’une simplicité raphaélique du fait de la pléthore d'artistes potentiels :
TOUT EST BEAU
TOUT EST DE L’ART
TOUT LE MONDE EST ARTISTE
TOUT LE MONDE IL EST BEAU IL EST GENTIL.
Ça ouvre plein de possibilités, même aux élèves les plus nuls. C'est ça, la démocratisation. Ou plutôt l'extrémisme démocratique. Et cela repose sur ce principe à marteler fortement : « On a tous le droit ! ».
En musique, c’est tellement évident qu’il n’y a pas trop lieu d’insister. Depuis les recherches du petit Pierre Schaeffer, la question est résolue sans ambiguïté : tous les bruits produits dans la nature et hors de la nature sont désormais de la musique. A égalité. Ah mais !
Seuls quelques vieux ronchons s'attachent encore aux beaux instruments de bois ou de cuivre. Seuls quelques orfèvres de la lutherie façonnent amoureusement de tels objets, qui ne doivent de ne pas avoir été guillotinés qu'au fait qu'ils sont dépourvus d'un cou formant transition entre un tronc et une tête.
Les ci-devant « instruments de musique » (notez la particule nobiliaire), c'est donc bien clair, ne produisent que des bruits parmi des myriades d’autres : le monopole qu’ils ont exercé depuis l’aube de l’humanité est un scandale auquel il a heureusement été mis fin, après des millénaires de dictature élitiste et arrogante.
Et le public ne s’est progressivement accoutumé (et encore !) à la « musique contemporaine » que parce qu’on lui a fait ingurgiter de force, au gavoir à canards, pendant trente ans, une foule de concerts sandwiches, où les organisateurs, dépensant des trésors d’ingéniosité dans la programmation, introduisaient une tranche de jambon contemporain entre deux tranches de pain classiques, plus ou moins beurrées pour aider à avaler.
Notez que la stratégie s'est révélée d'une grande habileté. D'abord on y va mollo : quelques espagnolades, un peu de flamenco et de gamelan balinais. Il faut à ce stade s'appeler Varèse pour marier de vieux sons dans des partouzes tout à fait neuves, bien faites pour émoustiller les sens de quelques vieux blasés avides d'érections nouvelles, et pour horrifier dans le même temps l'âme intègre de tous les autres, restés des auditeurs candides.
Ensuite le système des douze sons égaux. Ensuite on pousse les vieux instruments dans leurs derniers retranchements, jusqu'à ce qu'ils rendent l'âme (du violon), en leur tapant dessus, en les engueulant comme du poisson pourri, en leur faisant dire des horreurs dont ils ont honte (je me rappelle un concert dirigé par Ivo Malec en personne, quelle triste expérience pour un jeune musicien plein d'espoir !). Quel triste spectacle que de voir un violoncelliste fouetter son instrument de son archet, pendant que ses voisins de quatuor passent un doigt mouillé sur le bord d'un verre a pied en cristal à moitié rempli) !
Ensuite viennent tous les instruments du monde, appelés à la rescousse. Ensuite viennent les moyens offerts par l'électricité, l'électronique et l'informatique : rendez-vous compte, tous ces sons potentiels, on ne pouvait pas les laisser au chômage, il fallait leur trouver un emploi. Pour couronner le tout débarquent en trombe tous les bruits du monde (Pierre Schaeffer et suiveurs), j'en ai déjà parlé.
Moralité : la musique occidentale explore à tout-va et dans l'enthousiasme des contrées sonores inconnues, pose le pied sur des planètes improbables, découvre des continents sur lesquels se jettent des armées d'oreilles saturées de sons du passé. En musique, comme en bien d'autres matières, l'Occident est un collectionneur monomaniaque effréné, un dangereux psychopathe atteint de kleptomanie compulsive aiguë, à l'instar d'un certain Aristide Filoselle (Le Secret de la Licorne, p. 59).
En littérature, si c’est moins évident, c’est juste parce que – du moins en France – les tendances expérimentales n’attirent que des groupuscules faméliques de militants de la nouveauté, portant des visages émaciés, graves et fiévreux : eux seuls ont assez de foi fervente et fidèle pour crier au génie quand Pierre Guyotat publie Eden Eden Eden ou Tombeau pour cinq cent mille soldats.
C’est sûr qu’après Ulysse de James Joyce, Mort à crédit de Céline, Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry et quelques autres, l’idée d’imposer la sacro-sainte, obligatoire et quasi-statutaire « rupture », dans une surenchère du meilleur aloi dans le travail sur les moyens d’expression romanesque, est devenue pour le moins difficile à mettre en œuvre.
Le minuscule Philippe Sollers a sans doute voulu faire rigoler ses copains de la cour de récréation, quand il a écrit, sans majuscules ni ponctuation (juste parce que Céline s'était proclamé le cinglé en chef des points d'exclamation et de suspension), son livre sobrement intitulé H. Quoi, illisible ? Expérience, on vous dit ! La barre étant placée excessivement haut, quels éditeurs, quels lecteurs auraient assez d'entraînement et de détente des reins pour ne pas la faire tomber en tentant de franchir l’obstacle ?
Quant à la poésie, ce n’est même pas la peine d’en parler : est-ce qu’un poète existe, quand il est rare qu'ils touche 300 lecteurs ? D’autant que la cuisine des poètes actifs après la guerre s’est muée en une infinité de laboratoires secrets, où des alchimistes vaguement barbus se sont mis à extraire de leurs cornues la quintessence de liqueurs mystérieuses, dont l’amateur éventuel ne saurait imaginer l’effet qu’elles produiront une fois ingurgitées.
Je dirai même que le jus qu’on recueillait parfois à la sortie du serpentin de cet alambic forcené était carrément imbuvable. Je me souviens d’un « poème » d’un nommé Jean-Marc, qui commençait par cet inoubliable groupe nominal péremptoire, voire comminatoire : « Les cafards noirs de la lampe à souder ». L'expression, je ne sais pourquoi, s'est gravée. Jean-Marc, si tu me reconnais dans la rue, merci de ne pas me voir.
Remarque, j’ai bien dû pondre quelques horreurs comparables. Quand on est dans l’expérimental, c’est quasiment forcé. Quand on explore des voies nouvelles, on tombe fatalement sur bien des impasses et autres voies sans issue (via sin salida) : il y a donc beaucoup de déchet. La gangue autour de la pépite, quoi. Mais il y a des jours où l'on se dit que non, vraiment, ça fait un peu épais de gangue avant d'arriver à la pépite. C'est vrai, quoi, la vie est courte.
Le gros morceau de l’expérimental reste cependant, détachés loin devant le peloton étiré des principaux moyens d’expression, les « arts plastiques ». Normal, les arts plastiques, ça saute aux yeux, ça envahit votre espace visuel sans vous demander.
Le problème, avec les arts plastiques, c'est qu'ils sont devenus affreusement tributaires du langage (voire de la linguistique), de la pensée, de la formulation, de la capacité de l'artiste à transposer dans l'univers des mots l'esprit de ce qu'il veut donner à voir. Et le cortex cérébral de la théorie esthétique (ou sociale, ou morale, ou politique, ...) alourdit à tel point le crâne de l'art vers l'arrière que celui-ci en tombe sur le cul.
Je ne veux pas trop insister : j’ai déjà donné. Allez juste un aperçu du talent du petit Jan Berdyszak, « only for fun».
AVEC TOUTES NOS SINCERES FELICITATIONS AU PETIT JAN BERDYSZAK !
Je veux juste marquer deux particularités qui découlent de ce qui précède, concernant la création artistique : l’extrémisme démocratique et l’extrémisme totalitaire. Contrairement aux apparences, ce sont deux frères jumeaux, et de la pire espèce : l’espèce monozygote.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 01 avril 2013
DE L'ART DE SE FAIRE DU LARD
CETTE ADMIRABLE SILHOUETTE EST CELLE D'UN BORCHARDT C93, DE CALIBRE 7,65 mm, PEUT-ÊTRE LE PREMIER PISTOLET AUTOMATIQUE (ON ADMETTRA QUE LA CULASSE "EN GENOU" EST UN PEU ENCOMBRANTE)
ON PEUT NOTER QUE JACQUES TARDI, DANS SON EXCELLENT ADIEU BRINDAVOINE, S'EST CORRECTEMENT DOCUMENTÉ (VOYEZ LA CROSSE ADAPTABLE)
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Parenthèse inaugurale : Merci à toi, François (non, pas toi, Hollande), d'avoir hier bien voulu oindre l'humanité souffrante de ton onctueuse BENEDICTION TURBIDE ET MORBIDE. Fermez la parenthèse.
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Parenthèse postinaugurale : Qu'on ne compte pas sur moi, en ce premier jour d'avril, pour verser dans la consternante coutume qui consiste à célébrer le poisson, de façon très généralement tartignole, et ce, pour la raison qu'elle donne à ma bave l'odeur et la consistance du crapaud, et m'interdit d'atteindre la blanche colombe. Fermez la parenthèse.
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La grande parenté de l'art et de la science au vingtième siècle, elle n'est nulle part ailleurs que là : l'hyperspécialisation de quelques individus sur un secteur hyperparticulier de la "recherche".
CECI EST LE CRENEAU EXCLUSIF DU PETIT PIERRE SOULAGES
TOUS NOS COMPLIMENTS AU BAMBIN ET A SES PARENTS
Voire le monopole absolu exercé par un seul individu sur un article qu'il est absolument le seul à fournir. Un article si possible « original », avec vue imprenable sur la mer. Un artiste a délimité un champ de la « recherche » sur lequel il s'est arrogé tous les droits de propriété.
L'AIRE DE JEU CONSENTIE PAR SON PAPA ET SA MAMAN AU CHARMANT BAMBIN NOMMÉ DANIEL BUREN
Les exemples pullulent. Le noir ? C'est Pierre Soulages. La rayure verticale de 8,7 cm ? Daniel Buren. L’horizontale ? Michel Parmentier.
Le monochrome bleu ? Yves Klein (ci-dessus SE 191, SE voulant dire "sculpture éponge"). Le carrelage blanc à joint noir (voir plus bas) ? Jean-Pierre Raynaud. Le quadrilatère mou ? Claude Viallat. Le slogan blanc sur fond noir ? Ben Vautier. La compression et l’expansion ? César Baldiccini, dit modestement et en toute simplicité César. Le totem en tranche napolitaine ? Bernard Pagès. On n’en finirait pas.
EMPREINTES DE L'EPONGE DE L'ESPIEGLE ET PRIMESAUTIER CLAUDE VIALLAT
La contrepartie de la chose peut se comparer à ce qui est arrivé à Louis de Funès à force de grimaces irrésistibles : jouer les tragiques lui a toujours été formellement interdit (comme je m'interdis ici une digression pourtant prometteuse). On n’imagine pas Bernard Pagès (ci-dessous) faisant une Vénus réaliste ; Soulages du vert ou du rose ; Buren (horresco referens) des rayures horizontales ; Klein du bicolore ; Raynaud du carrelage noir à joint blanc ; tout comme ça. Ils n’ont pas intérêt à sortir de leurs rails, sous peine de ne plus être identifiés. De retourner au néant, pour ainsi dire.
"IL EST PAS CHOU, MON TOTEM ?", DEMANDE BERNARD PAGÈS
Cela veut dire une chose : aujourd’hui, un artiste a réussi quand son nom vient comme un automatisme à la simple vue de n’importe laquelle de ses œuvres. Exactement ce qui se passe pour la virgule ou les trois bandes sur les chaussures de sport, ou pour la pomme croquée sur un ordinateur ou un disque des Beatles.
Eh oui, une part importante de la production « contemporaine » (ça date déjà) fonctionne ni plus ni moins que comme une marque commerciale. La rayure de Buren n’est rien d’autre qu’un vulgaire « logo ». Buren est ce qu'on appelle en publicité un « créatif » (j'ai les lèvres gercées, sans ça, je vous jure, je pouffe). J'aimerais que quelqu'un puisse me dire que ce n'est pas vrai.
"LE MONDE EST UNE SALLE DE BAINS", DECLARE JEAN-PIERRE RAYNAUD
Cela veut dire aussi que chaque artiste a fait des recherches avant d’entamer sa « recherche » : on appelle ça des « enquêtes marketing ». Chacun, au moment de se lancer, se rase tous les matins en priant : « Mon Dieu, Seigneur, aujourd’hui, donne-moi L’IDÉE ! ». Ce qu’il faut au publicitaire au moment de lancer sa campagne pour les pâtes Codbarzilla ou le fromage Caprice des Vieux, c’est exactement ça : une « idée ».
Conclusion : dans l'art du vingtième siècle,
L'IDÉE A ÉLIMINÉ LE STYLE.
L’artiste, dès lors débarrassé de l'ennuyeuse question du long travail sur la matière, et l'ayant remplacé avantageusement par de la « pensée », du « concept », devient le développeur de sa propre idée, qu’il décline sous toutes les formes possibles, et qu'il sous-traite à des tâcherons. De même, le rat de laboratoire, atteint d’une myopie irrécupérable, creuse la part de fromage qui lui est dévolue, sans s’occuper des cris et chuchotements du compartiment voisin, juste occupé de sa propre survie.
Le propre de ces démarches est précisément que Klein a fait breveter son bleu, Buren ses rayures, Raynaud ses carreaux blancs, Soulages son noir, Viallat son éponge, Bernard Pagès son totem, Robert Combas (ci-contre) son style BD sale, suivis par des cohortes d’artistes, qui se sont mis à faire la queue au guichet de l’INPI pour déposer leur marque, éviter de se faire piquer leur trouvaille, et toucher les bénéfices. Faire de l'art est aujourd'hui une entreprise comme les autres : après avoir eu L'IDEE, il faut savoir la "gérer". Autrement dit : lui faire cracher du cash.
L'atelier de l'artiste est devenu une entreprise. Celui qui se proclame artiste est un simple propriétaire. Comme tel, il s'est mué en rentier jaloux de ses droits. C'est ainsi que le déplorable Daniel Buren, après avoir conçu un couvercle pour le parking souterrain Place des Terreaux à Lyon, a intenté un procès à des fabricants lyonnais de cartes postales qui avaient le culot de vendre LEURS photos de SON couvercle SANS lui payer aucun droit d'auteur. Le tribunal l'a heureusement débouté. Mais c'est un signe. Avis à tous les couvercles.
Quelque chose d’essentiel a vraiment, définitivement disparu du paysage, mais quoi ?
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui auraient compris que la photo d'arme à feu qui chapeaute le présent billet a quelque rapport avec l'orientation de son propos ont acquis quelque droit aux félicitations du jury.
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dimanche, 31 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN COLT MODELE 1911, CALIBRE .45 (= 11,43 mm)
***
ÇA, C'EST DE LA BIOCHIMIE, ET RIEN D'AUTRE
Et voilà où je voulais en venir : l’histoire des arts nous a légué les noms de quelques génies, entourés de quelques épigones, petits maîtres et seconds couteaux, les appellations de diverses écoles, les lieux de nombreux styles, et tout ça fut peu à peu synthétisé et organisé selon une tentative de cohérence qu’on a appelée « HISTOIRE DE L'ART ».
ALORS QUE ÇA, C'EST DE LA BIOLOGIE CELLULAIRE, ET RIEN D'AUTRE
Et puis est arrivé le 20ème siècle. Soudain, il se passe dans les arts ce qui se passe dans les sciences : « Un se divise en deux, et puis on recommence » est devenu la loi suprême. Cela s'appelle prolifération par scissiparité. Quoi, un processus cancéreux ? Je vous laisse la responsabilité de vos propos.
Dans les sciences, vous voulez un exemple ? Un jour (pas si lointain) naquit la biologie, ou « science du vivant ». Regardez maintenant le nombre infernal de toutes les spécialités qui s’y rattachent et en découlent : biologie générale, animale, végétale, comparée, cellulaire, moléculaire, appliquée, biochimie, microbiologie, agrobiologie, chronobiologie, … J’en oublie, mais j’arrête.
ET QUE ÇA, C'EST DE LA MICROBIOLOGIE
La discipline-mère s’est dédoublée, subdivisée, fragmentée, compartimentée, au point que deux biologistes de spécialités différentes ne se comprennent pas, parce qu’ils parlent de choses différentes, et que le territoire sur lequel leurs activités respectives s’exerce devient de plus en plus exigu à mesure que la discipline s’approfondit et devient pointue. Demandez à la pointe de l'aiguille de mesurer sa surface au sol !
ICI, ON A DE LA BIOLOGIE MOLECULAIRE
(JE NE SAIS PAS SI VOUS SUIVEZ : J'IMAGINE QUE C'EST UNE QUESTION D'ECHELLE)
En gros, la conclusion, c'est que, plus on entre dans les moindres détails, plus petit est le nombre de ceux qui parlent la même langue. C'est une niaiserie de dire que nul aujourd'hui ne saurait prétendre avoir le début du commencement d'une vue d'ensemble. Pas seulement parce que l'ensemble est trop complexe, mais aussi parce que la compartimentation des savoirs atteint des sommets.
LE PETIT DOMINIQUE BLAIS A FAIT PLAISIR A SON PAPA ET A SA MAMAN EN PROPOSANT CETTE "INSTALLATION" PLEINE DE SENS, D'ESPRIT, DE DISTANCE CRITIQUE, D'HUMOUR ET D'A-PROPOS
Eh bien en art, c'est la même chose : chaque artiste, après une formation générale, s'ingénie à se mitonner une hyperspécialisation qui lui assure le monopole, dans son petit laboratoire, sur le petit lopin qu'il a réussi à isoler du reste. Où il accepte a priori d'être le seul à parler sa langue. Dans la science comme dans l'art, donc, le territoire du chercheur et de l'artiste est passé, en surface au sol, du palais du Louvre à un F2 à Aubervilliers. La pointe de l'aiguille, ici, s'appelle « originalité ».
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui percevraient une connexion entre le Colt montré au début et le sujet de cette note manifesteraient une sournoiserie exécrable, mais parfaitement fondée.
samedi, 30 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN MAUSER C96, CALIBRE 7,63, LAME-CHARGEUR ENGAGEE
(mais, si je peux me permettre, le magasin ne peut accueillir que 6 cartouches, pas 10)
***
La littérature ne voulut pas être en reste, et tous les expérimentateurs en culottes courtes s’y sont mis pour arriver « prem’s » (comme on ne dit plus dans les bacs à sable). Le premier à dégainer a été un gamin qui faisait « proust ! » dans sa culotte, sorte de dégagement gazeux produit par le pot d'échappement d’un préadolescent, censé évoquer la phrase, sous sa forme la plus étirée, la plus diffuse, la plus abstruse.
PREMIERE PAGE DES FRAGMENTS DE FINNEGAN'S WAKE DU PETIT JAMES JOYCE PARUS EN 1962 CHEZ GALLIMARD
Le petit James Joyce s’est senti « interpellé quelque part au niveau du vrai cul », et n’eut de cesse que d’avoir rivé son clou au chétif « musicien de la langue française », grâce à un Ulysse qui mettait à la torture la logique chronologique et spatiale du récit romanesque. Hermann Broch, encore enfant à l’époque des faits, usa de cette arme imparable dans Les Somnambules, où le récit éclate, quoique différemment. Tous les gamins qui écrivaient n'avaient qu'une idée en tête : régler son compte à la logique, exterminer la syntaxe, en finir avec la pensée en tirant à bout portant, au gros calibre, sur son expression.
EXPERIENCE DADAÏSTE DU PETIT HUGO BALL : UN GRAND BRAVO A SES PARENTS !
Les poètes ? Même tabac. C’est parti dans tous les sens. Passons rapidement sur les Dada (ci-dessus). Vous avez le Saint John Perse, ample, rythmé à l’antique, noble, presque pompeux. Vous avez le Guillevic, le faussement simple, qui se veut tout proche des gens simples, autrement dit prolétariens. Vous avez le Char, renouvelant la mission du Victor Hugo, vous savez, au-dessus des passions, au-dessus des partis, quasiment un poète présidentiable.
CECI EST UN CHARMANT BARBOUILLAGE DU PETIT JEAN-MICHEL BASQUIAT (7 ANS)
Mais chez les poètes, vous avez aussi le Ponge qui parle de l’éponge comme personne avant lui. Vous avez les pages très "aérées" d'André du Bouchet. Vous avez le Bonnefoy qui pose le labyrinthe de ses énigmes ampoulées. Vous avez le Cadou du lyrisme qui coule et qui souffre. Vous avez le détestable Prévert qui dégouline le dégueulis de son altruisme humanitaire. Pardon, je rectifie, il fallait lire "l'abominable Prévert". Bref, en poésie, vous avez tout et n’importe quoi.
CECI EST UNE DELICIEUSE COMPRESSION DE DRAPEAUX FRANÇAIS, DU PETIT CESAR BALDICCINI, DIT, TRES MODESTEMENT, CESAR (5 ANS)
Les arts plastiques ? Je ne vais pas trop développer, parce que je me suis déjà assez pesamment appesanti. Il y a les adeptes du trait, les affidés du sale, les fanatiques de la couleur seule, les thuriféraires des objets bruts, pauvres, corrigés, refaits, lacérés, égratignés. Il y a les défenseurs du sable, les avocats des cailloux et du bois, les sympathisants des taches, les zélateurs des vastes nappes colorées, les partisans du geste pictural, les militants de l’épaisseur de la matière, les prophètes de l’expansion ou de la compression, les soldats des effets d’optiques, les fidèles de la boursouflure, les inconditionnels de la géométrie, etc. Bref, dans les arts visuels, vous avez tout et n’importe quoi.
CECI EST L'OEUVRE DU PETIT MARTIN BARRÉ (8 ANS), QUI PORTE SI BIEN ET SI "COMPLÈTEMENT" SON NOM !
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui discerneraient une intention dans la photo inaugurale de ce billet montreraient qu'ils ont l'esprit mal tourné, mais qu'ils possèdent un bon discernement.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, pistolet, arme à feu, art contemporain, littérature, marcel proust, james joyce, hugo ball, dada, dadaïsme, finnegan's wake, ulysse, hermann broch, les somnambules, poésie, poètes, saint john perse, guillevic, rené char, jean-michel basquiat, césar, martin barré
vendredi, 29 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART AU POUVOIR
CECI EST UN BROWNING CALIBRE 7,65 DE LA MANUFACTURE DE HERSTAL, BELGIQUE
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Ce billet s'adresse à ceux qui savent ce que c'est qu'une partition de musique :
UNE PARTITION DE MUSIQUE, VOILÀ CE QUE C'EST
CECI EST LE BWV 849 : JE NE FERAI A PERSONNE L'INJURE DE PRÉCISER DAVANTAGE
Tout le monde est d’accord, n’est-ce pas ? Les arts ont subi au 20èmesiècle une révolution décisive. Un coup d’Etat permanent, d’ailleurs. La Transgression majuscule et perpétuelle, Philippe Muray le déplorait déjà, est devenue un mode de vie. Tout ce qui peut être transgressé doit l’être.
Et tout ça du seul fait d’une marmaille déchaînée, de toutes les petites classes lancées contre tous leurs profs, toutes leurs écoles, tous les principes hérités de papa-maman, et même de pépé-mémé, et cela du seul fait qu'ils sont hérités. L'héritage, voilà l'ennemi. Les morpions qui ne cessent de débarquer sur la planète, ce qu'ils veulent, c'est être des pères et des mères sans avoir été d'abord fils et filles de quelqu'un. Il veulent être l'origine. Le morveux d'aujourd'hui se proclame ancêtre. Fondateur. De quoi ? Mais de soi-même, bien sûr ! Ne rien devoir à personne.
La sagesse voudrait que tout un chacun se convainque que, désormais, représenter le monde, les hommes, les choses est tout à fait impossible. Et pourtant, un petit village gaulois ne se résigne pas.
Comme chantaient les Olivensteins en 1979 : « Euthanasie papy ! Euthanasie mamy ! Vot’calvaire est fini ! Fini !», variante punk nihiliste du plus connu, organisé, chenu et prolétarien : « Du passé faisons table rase ! ». Début de la grande vague des boutonneux qui déboulent dans le champ visuel des vieux éberlués, tétanisés, bientôt ratatinés. Que dis-je, une vague : un raz de marée, un tremblement de terre, un tsunami. L'engloutissement de l'Atlantide !!!
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT GEORGES APERGHIS (11 ANS)
En musique, ce fut d’abord un sale gosse du nom de Wagner, avec sa mélodie et sa progression harmonique continues, bientôt suivi par la cohorte des merdeux : les petits Debussy, Zemlinsky, Satie, Scriabine, sans oublier le dernier vieux bébé Liszt, qui se font un plaisir de désarticuler les codes, sans toutefois que ça soit inécoutable.
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT KARLHEINZ STOCKHAUSEN (8 ANS)
(sur un air de : "Il était un petit navire !")
Mais ils furent bientôt suivis par le trio infernal des loupiots iconoclastes de Vienne (les garnements Schönberg, Berg et Webern, ce dernier bien puni, le 15 septembre 1945, par Raymond Norwood Bell, soldat américain qui avait pour mission de faire respecter le couvre-feu, et qui lui a donc tiré dessus sans sommation : a-t-on idée, à huit ans, de fumer le cigare, de nuit, juste pour épastrouiller les copains ? Et surtout en présence de Raymond Norwood Bell ?).
BRAVO AU PETIT HORACIO VAGGIONE (6 ANS) POUR SES INNOVATIONS DANS L'ECRITURE DE LA MUSIQUE (ici, L'Art de la mémoire n° 2)
Les mêmes mauvais coeurs qui se sont réjouis de la brutale disparition de ce fanatique atonal, sériel et dodécaphonique qu'était Anton von Webern, et à qui l'on ne saurait d'ailleurs donner complètement tort, ont proposé à Pierre Boulez de fumer un cigare, un soir de couvre-feu, après un concert dans les ruines de Sarajevo, mais ça n'a pas marché : Raymond Norwood Bell était à la retraite. De quoi nourrir quelques regrets.
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT EDGAR VARÈSE (7 ANS)
Je passe sur Stravinsky, Boulez, Stockhausen, pour arriver à Pierre Schaeffer qui, après-guerre, décréta que tous les sons, onomatopées, clapotis, rugissements, borborygmes, gargouillements, bref, que tous les bruits, naturels ou fabriqués étaient une musique aussi authentique que tous les autres sons. Plus fort encore que Schönberg, l’égalitarisme absolu de tout ce qui s’entend. C’est bien connu : « Passé les bornes, y a plus de limites ! ».
CECI EST UNE PARTITION ECRITE PAR LE PETIT IANNIS XENAKIS (5 ANS)
Toutes sortes de vaisselles ont été mises à contribution, toutes sortes de tortures infligées aux instruments connus, toutes sortes d’objets déposés sur les cordes des pianos de concert, toutes sortes de matériels électroniques ont été inventés pour déformer les sons, mais aussi les masquer, produire, amplifier, pulvériser, réduire, couper, recoller, rabouter, et Dieu sait quoi encore. Grâce à l’électricité, l’électronique, l’informatique, tout est devenu possible.
CECI EST UNE PARTITION DU PETIT GIACINTO SCELSI (10 ANS)
Tout est donc possible. C'est un certain Nicolas Sarkozy qui doit être content : c'était son slogan en 2007 (« Ensemble, tout devient possible ! »).
Voilà ce que je dis, moi.
NB : Ceux qui verraient une corrélation entre l'illustration introductive et le propos ici tenu ne montreraient que deux choses : qu'ils ont du mal à dissimuler la noirceur de leurs intentions, et que celles-ci ne sont pas infondées.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, arme à feu, pistolet, browning, calibre, musique, jean-sébastien bach, clavier bien tempéré, prélude et fugue, fugue, partition, révolution, coup d'état, philippe muray, euthanasie, tsunami, georges aperghis, wagner, debussy, erik satie, scriabine, liszt, stockhausen, schönberg, berg, webern, pierre boulez, stravinsky, pierre schaeffer, iannis xenakis, giacinto scelsi, nicolas sarkozy
jeudi, 28 mars 2013
L'ENFANT SERA LE GENRE HUMAIN
COMBIEN D'ETOURNEAUX DANS LE NUAGE ?
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Ce traitement de tous à égalité absolue est d’ailleurs conforme à l’évolution de toutes les institutions s’occupant d’enseignement des petits, qui se prétendent « à la pointe de la modernité », et veillent par conséquent à ne surtout distinguer personne, de peur qu'une tête n'émerge au-dessus des autres. On ne sait jamais : le vrai talent peut faire des dégâts collatéraux.
GIULIO PAOLINI, A PEINE SORTI DU COURS ELEMENTAIRE, MONTRE DES DISPOSITIONS QUI LAISSENT AUGURER LES PLUS BELLES REUSSITES
Les moins doués et les moins persévérants de tous ces gosses pourraient prendre ombrage de se voir relégués à des rangs jugés indignes d’eux.
QUEL BONHEUR DOIT ÊTRE LE VÔTRE, M. ET MME BORTOLUZZI, D'AVOIR ENFANTÉ VOTRE PETIT FERRUCCIO !
Si classement il y a, il ne découlera que de la fatalité qui fait qu’on ne peut citer la liste des noms des valeureux lardons autrement que selon une succession : à de très rares exceptions près (voir ci-contre), l’ordre du discours, fût-ce en compétition, est totalement rétif à l’idée de simultanéité, de cluster, de tir groupé.
LE CHARMANT GIOVANNI ANSELMO, NEUF ANS A PEINE, ECRIT ICI LA MERVEILLEUSE FABLE, RENOUVELÉE DE LA FONTAINE : LE GRANIT ET LA LAITUE
L’ordre du discours, enfants ou pas, turbulents ou pas, appartient aux « arts du temps », au même titre que la musique ou le cinéma.
ON SAIT ICI D'EMBLÉE QUE LE PETIT LOUIS CANE, A PEINE SIX ANS, EST PROMIS AU STATUT PROCHAIN DE GRAND MAÎTRE
De même que l’architecture a besoin d’espace pour se déployer dignement, de même, la parole ne saurait s’inscrire ailleurs que dans une chronologie.
LES DELICIEUX PIERRE ET GILLES, A PEINE SORTIS DU COURS MOYEN, FONT MONTRE D'UNE BELLE AUDACE CONCEPTUELLE.
L'AMATEUR AUTHENTIQUE EN EST LITTERALEMENT TRANSPORTÉ
On est donc prié de ne voir dans l’ordre d’apparition des noms des minots lauréats nulle expression d’une quelconque préférence, nul établissement d’une hiérarchie.
SI LE PETIT FELICE VARINI, HUIT ANS, DEUX MOIS ET TROIS JOURS, TIENT TOUTES LES PROMESSES QU'IL FORMULE ICI, TOUS LES ESPOIRS QUE SES PARENTS ONT PLACÉS EN LUI SON DESORMAIS PERMIS
On est avant tout prié de n’y voir que l’effet d’un hasard qui serait du même acabit que celui qui préside à l’appel des jurés dans nos cours d’assises (procédure que je suppose connue de tous).
LE JURY N'AURAIT GARDE D'OUBLIER L'EXTRAORDINAIRE DEBROUILLARDISE DU REMARQUABLE CY TWOMBLY QUI, DÈS SES QUATRE ANS SONNÉS, SE PREOCCUPE D'ENRICHIR L'HORIZON HUMAIN DE PERSPECTIVES ENCORE INAPERÇUES
L’intention du jury, qui s’exprime par ma voix, est exclusivement de publier officiellement les mérites d’un nombre appréciable de nos plus chères têtes blondes qui ont contribué à enrichir nos regards et nos perspectives d’avenir par leur capacité à nous faire entrevoir celui-ci.
LE JURY S'EN SERAIT VOULU A MORT, S'IL N'AVAIT DÉCERNÉ UN BREVET D'HONNEUR AU PETIT NASYM, DONT ON REGRETTE DE NE PAS CONNAÎTRE LE NOM DE SON PAPA ET DE SA MAMAN, MAIS QUI SE RECONNAÎTRA, POUR L'EXTRÊME QUALITÉ DE SON TRAVAIL DE SCULPTURE SUR SAVON, EXÉCUTÉ A L'OCCASION DE LA PROCHAINE FÊTE DES MÈRES. LE JURY TOUT ENTIER AJOUTE SA JOIE A CELLE DE LA BIENHEUREUSE MAMAN.
LOUÉS SOIENT LES ALLAHS !
LOUÉS SOIENT LEURS PROPHÈTES !
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 27 mars 2013
L'ENFANCE DE L'ART DANS LE MODERNISSIME
CE CADEAU FUT FAIT A LA DEMANDE EXPRESSE DE SA DESTINATAIRE (indirectement)
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Après toutes ces considérations sur le monde de l’enfance radieuse tel qu’il s’est imposé dans le domaine artistique, avec cette classe inouïe et cette constante fidélité à la pureté qui définit les premiers âges de la vie, il convient à présent de récompenser les bambins les plus méritants.
NOS PLUS SINCERES FELICITATIONS AU PETIT DIMITRI TSYKALOV, SEPT ANS TROIS QUARTS, ET BIENTÔT TOUTES SES DENTS
La pureté de ces premiers âges est visible au premier chef dans leur naïveté foncière, dans la totale absence de calculs de bas étage qu’ils supposent et dans l’ineffable gratuité de toutes les actions qu’on est alors toujours prêt à entreprendre, pour les beaux yeux du seul plaisir de le faire.
QUEL TALENT, MADAME SCOCCIMARO, D'AVOIR FAIT VOTRE PETIT LIONEL !
Nous vivons en effet à une époque où, sans un minimum de reconnaissance officielle de la part du public, il s’installe parmi les petiots un sentiment d’injustice.
LES PARENTS DE LA PETITE LATIFA ECHAKHCH PEUVENT VENIR CHERCHER LEUR RECOMPENSE A L'ACCUEIL DU MAC !
(MAC : musée d'art contemporain, Lyon)
Ce sentiment serait préjudiciable à la mise en œuvre des belles qualités dont ces hordes de morpions ont fait montre jusqu’alors, et qui risque de nuire à la magnifique ardeur de leurs efforts de créativité.
ON APPLAUDIT BIEN FORT LA PETITE GLORIA FRIEDMANN, A L'ACTIVITÉ PLEINE DE PROMESSES
Dès le plus jeune âge, en effet, les efforts déployés par tous les mouflets de la création dans la phase d’apprentissage de la vie doivent être appuyés, soutenus, exaltés et, à l’occasion, distingués.
DE TOUTE EVIDENCE, L'AVENIR EST ENTRE LES MAINS DU TOUT PETIT DANIEL DEZEUZE; BRAVO AU PAPA DU PETIT GARÇON !
Aussi les plus hautes autorités en matière artistique ont-elles décidé de prendre la décision décisive d’organiser ici même, à destination de tous les mioches concernés une grande
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UN GRAND BRAVO A LA TOUTE MIGNONNE SOPHIE CALLE, QUE NOUS EMBRASSONS BIEN FORT POUR LA RECOMPENSER DE SES EFFORTS !
Il va de soi que, pour que tous les morveux retenus persistent dans une attitude de louable et saine émulation, sans tomber dans les désagréments d’une compétition brutale qui aboutirait au contraire de l’effet recherché, il n’a pas été jugé bon de procéder à un classement des lauréats.
LE JURY UNANIME PLACE SES ESPOIRS DANS LE TALENT DU JEUNE GILLES BARBIER, SEPT ANS ET DEMI, PROMIS A L'AVENIR LE PLUS BRILLANT
Voilà ce que je dis, moi.
NB: Il va de soi que chaque oeuvre a été attribuée à son auteur, et réciproquement.
09:00 Publié dans L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art contemporain