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mercredi, 05 juin 2013

QUI EST NORMAL ?

 

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HAROLD EDGERTON N'EST PAS MANCHOT, C'EST SÛR, MAIS ÇA SE VOIT COMME LE NEZ AU MILIEU DE LA FIGURE QU'IL A TOUT POMPÉ CHEZ ETIENNE-JULES MAREY ET CHEZ EADWARD MUYBRIDGE. ON SE RABATTRA AVEC INTÉRÊT SUR SES "RAPATRONICS", QUI SONT VRAIMENT PERSONNELS ET INTERESSANTS.

 

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UN EXEMPLAIRE DE "RAPATRONICS"

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Sans aucun rapport avec autre chose qu'une imperceptible frange de l'actualité turque : les jeunes manifestent sur une place qui s'appelle Taksim à Istanbul. « Taksim », en arabe, veut dire « improvisation musicale ». Mais les Turcs ne sont pas des Arabes. C'est peut-être à ça que servent les concerts de casseroles ? 

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Qui est normal ? Qui est anormal ? Pour nous en faire une petite idée, allons faire un tour aux extrêmes, et imaginons. Imaginons un homme qui serait normal à 100%, puis un autre qui serait normal à 0%.

 

Normal à 100% ? Si ça existe, ce n’est pas un homme. Une machine, à la rigueur, un robot si vous voulez (qui est une machine au carré, une plus-que-machine, comme il y a en conjugaison un plus-que-parfait). Un homme 100% normal serait un être qui, par rapport à un cahier des charges minutieux, remplirait toutes les conditions nécessaires et  suffisantes pour occuper la fonction mise au concours. Mais aucune condition supplémentaire : il se contenterait de remplir le cahier des charges, à ras bord, mais sans ajouter une goutte qui fasse déborder. Et ça, ça n’existe pas.

 

Ce qui s’en approcherait un peu, ce serait un personnage comme celui joué par Jean-Louis Trintignant dans Le Conformiste, de Bernardo Bertolucci. Emmanuelle Neto, dans son commentaire, souligne, dans les caractéristiques d’un tel personnage, « le conformisme des hommes ordinaires et la banalité du mal » (cette dernière expression est devenue très « tendance » avec le film très moyen de Margarethe von Trotta sur Hannah Arendt). Mais Trintignant, malgré ses efforts, n’a rien d’un robot. Ce qui s’en approcherait le plus, ce serait le clone, ou alors les créatures telles qu’elles sont conçues dans Le Meilleur des mondes par Aldous Huxley. Le 100% normal est une vue de l’esprit.

 

A l’antipode exact de cette machine humaine, imaginons l’homme normal à 0%. Ici, chose curieuse, aucun auteur de science-fiction n’est allé jusqu’à raconter une histoire mettant en scène du 0% humain. Même la saga des Alien est obligée de poser sa « créature » en parasite du corps de sa victime. Même les Japonais à la pointe de la technologie s’ingénient encore à donner à certains robots la forme d’un corps humain. L’anormal à 100 % est une impossibilité absolue.

 

Même Daniel Keyes, quand il écrit son extraordinaire Des Fleurs pour Algernon, est obligé d’inventer un personnage de débile (pas trop profond quand même), parce qu’il ne pouvait pas proposer un légume total pour expérimenter son « sérum d’intelligence ». On n’a jamais vu naître un humain avec 0% de QI. Si, on a bien vu à la naissance des cas d’anencéphalie et autres fantaisies génétiques, mais allez demander à l’accoucheur si ça peut vivre, ça. Evidemment non.

 

La Guerre du feu, de  JH Rosny aîné ? Pourquoi j’ai mangé mon père, de Roy Lewis ? Non, trop difficile pour un humain d’imaginer non pas l’animalité en lui, mais carrément la non-humanité. Même l’amibe ne s’y prête guère.

 

C’est un peu compréhensible aussi. Quand l’homme regarde au-dessus de lui, qu’est-ce qu’il voit ? Dieu, dans l’absolu ou, juste en dessous, le Surhomme, Hercule, celui qu’on veut. Remarquez, cette manie a encore terriblement cours chez les Américains, avec le Surfeur d’Argent, Hulk et tous les super-héros Marvel de pacotille que le cinéma a maintenant asservis à ses conditions, à coups d’effets spéciaux de plus en plus virtuoses.

 

Regardez l’ancêtre, il s’appelle Superman. Mais Superman lui-même est double : en temps ordinaire, un ordinaire agent de bureau qui rêve et qui accomplit ses tâches répétitives. Un homme terriblement NORMAL. Mais que survienne l’imminence d’une catastrophe, le voilà qui se drape dans son uniforme moulant bleu-jaune-rouge et qui s’envole pour faire régner la justice.

 

Soit dit entre parenthèses, qu’une telle créature soit le produit d’un rêve somme toute enfantin en dit long sur l’idée de justice dans le peuple américain (désormais mondialisé) : la justice, dans cet univers, est curieusement inséparable d’un rapport de force. Sans être juriste ou philosophe du droit, il me semble que, dans la tradition française, l’idée de justice n’a pas besoin de ces muscles et de ces superpouvoirs. La fonction de la justice n'est-elle pas de s'imposer à égalité au fort et au faible ? Je ne discute pas de ce qu'il en est dans la réalité concrète.

 

Et quand l’homme regarde au-dessous de lui, qu’est-ce qu’il voit en premier ? L’animal, évidemment, une sorte d'homme inachevé, en devenir. Et il ne s’est pas privé depuis l’antiquité de broder toutes sortes d’histoires, de mythes, de romans, de légendes qui remplissent des rayons de bibliothèque, brodant sur toutes sortes de stades intermédiaires pouvant exister entre les deux. Mais ça nous entraînerait trop loin.

 

Conclusion ? Pris en sandwich entre le non-humain par défaut (Bête) et le non-humain par excès (Dieu), pour rivaliser avec ce dernier, l'homme n'a rien trouvé de mieux que de créer les machines, ces merveilles dépourvues d'âme.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

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