jeudi, 16 mai 2013
AH ! FAIRE SOCIETE !
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« Vivrensemble ! Vivrensemble ! Ouais ! Ouais ! » Un joli slogan, coquet, seyant, qui fait très bien sur la banderole, et que les défileurs des rues manifestantes ne rechignent jamais à gueuler de tout leur enthousiasme, y compris dans le mégaphone badgé CGT. Une mode qui se porte ample, près-du-corps ou moulante : tous les goûts sont dans l’égout. Corollaire : toute la nature est dans la nature. Et comme il y a de moins en moins de nature, il ne reste plus que l’égout.
Non, sérieux, qui est-ce qui en veut, aujourd’hui, du « vivrensemble » ? Qui en veut vraiment ? La vie fait à tout le monde des trajectoires parallèles. Or les parallèles ne se rencontrent qu’à l’infini. Oh si, ça s’entrecroise bien à l’occasion, mais chacun avance sur ses rails. On s'entrecroise moins qu'on ne se frôle.
Le lien social, aujourd'hui, c'est l'effleurement, comme le prouve le téléphone portable, qui autorise votre ami à interrompre votre conversation, au risque de perdre le fil, et qui montre qu'à ses yeux, vous n'avez pas l'importance vitale qu'il vient de vous déclarer les yeux dans les yeux. Les conséquences peuvent être beaucoup plus embêtantes si vous étiez en train de faire l'amour avec votre petite amie. Faire société ne fait plus sens. Pourquoi sommes-nous ensemble ? Tout le monde se le demande. Pourquoi ceux-ci et pas ceux-là, après tout, puisque « je le vaux bien » ?
Après tout, la vie privée donne l’exemple : pourquoi épouser celle-ci plutôt que celle-là ? De toute façon, ne nous marions pas, parce que ça finira par un divorce. Ou alors, marions-nous avec des gens de même sexe, pour surfer sur la vague du dernier cri de la modernité. Vivons le temps que nous pourrons avec quelqu’un, tant que ça nous satisfait. Après ? « Vous vous changez ? Changez de Kelton », disait une vieille pub pour des montres. Au fait, qu'est-ce que c'est devenu, Kelton ?
Même chose avec les gens : vous en avez marre « de lui voir tout le temps le nez au milieu de la figure » (Tonton Georges) ? Changez ! De montre, de voiture, de look, de compagnon ou de compagne, de smartphone, ce que vous voulez, mais changez. Tout le monde est interchangeable : pas besoin de se gêner. Faire société ? C’est quoi, cette fatrasie ?
De toute façon, le « faire société » se délite, alors comme il faut bien vivre, jetons les valeurs communes (la nation) ; jetons-nous dans « l’associatif » pour retrouver de la proximité et du semblable homogène, et laissons privatiser les biens communs. Privatiser : le bien commun est devenu un investissement rentable.
Gérard Collomb, « grand-maire » de Lyon, a vendu le quartier Grolée à Cargill, 49 immeubles de la rue de la République au fonds d’investissement du duc de Westminster. Entre-temps, il a eu l’occasion de vendre l’Hôtel-Dieu, monument historique avec son dôme de Soufflot, pour en faire un hôtel de luxe : de l’Hôtel-Dieu à l’hôtel de luxe.
Moralité ? Pas de moralité. On brade le bien commun. On privatise. Les dirigeants donnent l’exemple : on ne veut plus « faire société ». Ci-dessus (côté quai) l'état d'origine, et ci-contre (côté rue Bellecordière), l'état futur (!!!) de ces vénérables bâtiments.
Regardez la Grèce. Sans parler d’une fille Onassis qui, à 28 ans, vend l’île de Skorpios héritée de son (arrière ?) grand-père, parce qu’elle en a marre de son pays, ce qui est son droit, le gouvernement a vendu l’Acropole, non, pas celui d’Athènes, quand même, mais celui d’une petite ville à côté de Corfou sur l’Adriatique, pour y laisser construire un hôtel de luxe. Remarquez, ils ont bien vendu le port du Pirée aux Chinois.
Regardez les semences agricoles : Monsanto vient d’obtenir un arrêt superbe de la Cour Suprême des Etats-Unis pour commercialiser en toute liberté (et surtout en toute exclusivité) ses variétés inventées et dûment brevetées, et s’apprête, après de gros efforts de lobbying, à en inonder l’Europe. On appelle ça la privatisation du vivant.
Où en reste-t-il, du bien commun ? En vérité, je vous le dis : il est à vendre. C’est bien la preuve qu’il ne reste plus grand-chose pour « faire société », non ? D’abord, on est trop nombreux. Ensuite on est trop différents. Enfin on est trop indifférents. Comment voulez-vous « faire société » ?
On en est là. Avouez que ça commence à faire beaucoup, pour ce qui est de « faire société » : la décomposition est en voie d’achèvement. Un : pulvérisation du « corps social » en « associations » et autres « communautés » (geek, religieuses, orientation sexuelle et autres petites ou grandes manies, …). Deux : dissolution de la nation et de son histoire dans le grand bain mondial indifférencié. Trois : la grande privatisation du bien commun. Et c'est pas fini.
Et on parle encore de « société ».
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 15 mai 2013
AH ! RECREER DU LIEN SOCIAL !
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Plus il y a d’associations (loi 1901), moins ça « fait société ». Je passe sur le fait que ça veut sans doute dire que, en dehors de cet acte volontaire et conscient d’adhésion à un groupe limité en vue d’une certaine activité (une association loi 1901), les gens n’ont plus besoin les uns des autres. Soit dit par parenthèse, je me demande si ce n’est pas précisément ça, « faire société » : avoir besoin les uns des autres. Je ferme la parenthèse.
Un moyen de « faire société », ce serait par exemple de se rattacher unanimement à un principe unique. Et de s’y rattacher sans qu’il y ait délibération et acte volontaire : faire société – enfin c'est mon avis : demandez aux Suisses si quelqu'un les a forcés à planter le drapeau rouge à croix blanche dans leur jardin – est de l’ordre du réflexe, c’est de l'ordre du senti, de l'irréfléchi (« Au fait, t’as acheté le sapin ? »). C’est ce qui ne pose pas question, mais s’impose sans forcer personne, à coup d'article défini, c'est-à-dire quelque chose d'inaccessible au doute. Autrefois, le dimanche, on allait même jusqu'à habiller les enfants avec « les habits du dimanche ». On peut dire que ça, c’est fini.
Prenez la "nation", par exemple. Il est loin, le temps où Pierre Daninos (est-ce dans Le Jacassin ?) pouvait faire sourire en racontant la douce manie d’un oncle qui, tous les 14 juillet, n’allait assister au défilé des troupes que pour se placer derrière un homme à chapeau et pour, au passage du drapeau, faire voler la coiffe de l’impudent en lui lançant, comminatoire : « Monsieur, on se découvre devant le drapeau ! », approuvé et applaudi par les témoins. Une telle anecdote aujourd’hui aurait des airs kitsch, voire paléontologiques, pour ne pas dire franchement révoltants.
Plus sérieusement, que signifie le mot « nation » dans la tête de jeunes générations auxquelles on ne prend même plus la peine d’enseigner (de transmettre) l’histoire de la formation de la nation française ? Qu'est-ce qu'un "patrimoine commun" ? Il paraît que l’Histoire de France est devenue complètement hors de propos, hors de saison, hors-sujet. Etonnez-vous que, au lieu de sentir quelque chose vibrer à l’intérieur en entendant retentir la Marseillaise, des petits cons se mettent à siffler. Où est-elle, l'idée capable de fédérer les Français ?
Ajoutez à cela autre chose. Moi qui suis d’une génération qui a été « appelée sous les drapeaux », ne croyez pas que je vais exprimer une quelconque nostalgie de ce qui s’appelait « service militaire », tant j’ai pu toucher du doigt et absorber à haute dose du concentré d’abruti dans le bain où nageaient quelques galonnés conformistes par métier, beaucoup de sous-galonnés bornés par vocation, quand ils n'étaient pas simplement tarés par nature.
Mais sans qu'on soit favorable au retour du « service militaire », il faut bien reconnaître ses deux apports : la découverte de gens de milieux absolument hétérogènes, découverte que je n’aurais jamais faite autrement, et dont je suis obligé d'avouer le bénéfice a posteriori ; la reconnaissance de la dignité du drapeau comme symbole national, je veux dire unificateur. Mais si la conscription nationale a été aussi facilement abolie, c'est qu'il y avait un consentement général pour cela. Le ver était dans le fruit. Combien auraient voulu qu'il y en eût encore et toujours, des "conscrits" ?
Ne rêvons pas : la France, comme entité nationale, achève de se dissoudre, et ce ne sont pas des groupuscules, appelés « bloc identitaire » ou autre, qui peuvent s’opposer au processus. Aucun groupuscule n’est en mesure d’arrêter un mouvement qui touche la collectivité dans sa globalité. Qui touche les fondements. Tout s’est passé tranquillement, par petites étapes (suppression de l'enseignement de l’histoire de France, instauration de l’armée de métier n’en sont que deux aspects), presque sans douleur.
Tout ça fait qu’on peut se demander qui pourrait bien, aujourd’hui, se déclarer « fier d’être Français ». Qui, à part quelques bandes d’excités ou quelques nostalgiques ? Dès lors, difficile de « faire société », pas vrai ?
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 14 mai 2013
AH ! LE VIVRENSEMBLE !
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Ah, qu’il est content, le « zompolitic », quand il peut prononcer, sur un plateau de télévision et d’un ton pénétré, voire confit en dévotion, à l’heure de grande écoute, un hommage vibrant à tout ce qui peut favoriser « le vivrensemble » (ne pas oublier l’article défini) ! A tout ce qui se porte au secours de la défense du « bien commun » ! Il faut que tout le monde sache que le « zompolitic » est par principe, par conviction et par contrat moral favorable à tout ce qui permet de « faire société ». Il faut le comprendre, le « zompolitic » : ses prébendes en dépendent.
N’empêche que tout ça est beaucoup moins clair qu’il n’y paraît. J’ai bien l’impression, en effet, que plus ça va, et moins il y en a, de société. C’est une impression, ce n’est pas une analyse. Mais c’est une impression qui s’appuie sur quelques observations. Et je mets ça en relation avec le fait, par exemple, que, il y a un certain temps, les associations se sont mises à proliférer. Je me demande si ça ne va pas avec. C’est très curieux, cette multiplication des petits pains associatifs.
Au point que je me demande si on n'est pas en droit d'affirmer que moins il y a de société (singulier), plus il y a d’associations (pluriel). Comme un lien de cause à effet, quoi. Qu’est-ce que c’est, une association ? Très souvent, c’est trois pelés et un tondu qui aiment jouer aux boules, lire des poèmes ou marcher en grappe dans la nature. Des statuts déposés en préfecture, un président, un secrétaire, une assemblée générale annuelle, etc.
Mais ces associations sont comme monsieur tout-le-monde : couleur gris muraille, elles passent inaperçues, personne n’en parle jamais, sinon dans les pages locales de la PQR (presse quotidienne régionale). Si on se demande à quoi elles servent, on pourrait sans doute répondre : à rien. Les gens qui se regroupent pour jardiner ou chanter en chœur n’ont pas besoin d’une quelconque structure juridique. Ah si, pour chanter, il faut un local, pour jardiner, il faut un lopin. Pour ça, on a inventé la municipalité, et elle, elle a besoin d’un répondant juridique. Ventre-Saint-Gris et palsambleu, c’était donc ça !
En fait, les associations auxquelles je pense sont celles auxquelles se réfèrent les journalistes. C’est-à-dire celles qui se sont frayé un chemin direct jusqu’à leur oreille. On ne se doute pas comme il est vital, pour avoir un accès direct aux médias, d’être constitué en association, et si possible, d'en être le président. En France, "président", ça en jette.
Prenez le ridicule Louis-Georges Tin : sur la seule foi de son nom, quel journaliste serait assez écervelé pour approcher de sa bouche un micro ? Maintenant, présentez-le (comme il prend soin de le faire lui-même) comme président d’un vague « Conseil Représentatif des Associations Noires » (CRAN, calqué abusivement sur le CRIF mis en place par les Juifs de France, vous voyez le procédé publicitaire gros comme une montagne, Conseil Représentatif, ça cloue le bec à tout le monde), les micros déroulent le tapis rouge, comme on l’a vu ces derniers jours avec les commémorations de la condamnation vertueuse de l’esclavage, et l’esclavage, ba-caca, c’est très vilain, « les associations » (alias monsieur Louis-Georges Tin) l’ont bien dit. Est-ce que cela marque une quelconque volonté de « faire société » ? On s'en fout. Circulez. Il s'agit d'imposer à une majorité la reconnaissance des « droits » des « victimes ».
Moins récemment, on a entendu les journalistes évoquer « les associations », au moment des débats sur le mariage homosexuel. « Les associations » tenaient à faire connaître leur volonté de faire aboutir le projet imposé au gouvernement par le lobbying des dites « associations ». « Les associations » se sont officiellement réjouies du vote de la loi.
Le mariage des homosexuels sera donc un bienfait, un progrès de la démocratie, et ceux qui ne sont pas d’accord, c’est rien que des homophobes, et l’homophobie, ba-caca, c’est très vilain, « les associations » l’ont bien dit. Est-ce que ça marque une quelconque volonté de « faire société » ? On s'en fout. Circulez. A se demander s'il y a encore des gens qui seraient volontaires pour « faire société ». Là encore, il s'agit d'imposer à une majorité la reconnaissance des « droits » des « victimes ».
Ce que je trouve étonnant, dans ces affaires, c’est la facilité incroyable avec laquelle les journalistes ont recours à cette formule sacramentelle : « Les Associations ». Quel interlocuteur magique se cache derrière cette appellation d’allure alchimique ? Mystère. Remarquez, il y a une variante bien connue : « Les ONG ». C’est du même acabit, rappelez-vous le séisme de Port-au-Prince et la pétaudière semée par « les ONG », qui ne s’autorisaient que de leur propre générosité, qui avait forcément la priorité sur la générosité des autres.
Qu’on se le dise, « les associations » ont pris le pas sur « la société ». Si vous ne savez pas qui se cache derrière la formule, c’est que vous faites partie des « anonymes », autre catégorie chère au cœur des journalistes. Pour eux, « les associations », ce n'est pas anonyme du tout. Journaliste, métier pathétique. Ayons une pensée apitoyée pour tous les paumés qui le pratiquent.
Moi, on me dira ce qu’on voudra : plus il y a d’associations, moins il y a de société. Au lieu de société, mettez « Etat », mettez « Autorité », si vous voulez. Toujours est-il que plus il y a d’associations qui tirent à hue et à dia en cherchant à occuper la plus grande surface médiatique et à capter à leur profit la manne de la charité publique, et plus on y comprend moins.
Peut-être après tout cela vient-il du fait qu’une association se forme en vue d’atteindre un but précis et délimité, et que, somme toute, ce but représente l’intérêt particulier de quelques-uns, pour qui l’ « intérêt général » est une expression antédiluvienne, ou à tout le moins moyenâgeuse, qui n’a plus lieu d’avoir cours.
Moins il y a de Société, plus il y a d’appétits privés. Et Lycée de Versailles.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : CRAN veut donc dire Conseil Représentatif. On attend que le ridicule Louis Georges Tin mette sur la table les preuves de cette étrange « représentativité ». Mais non, il préfère réclamer à la Caisse des Dépôts des millions d'euros pour « apurer la dette (sic) » contractée à l'égard des noirs en 1835. Alors, Tin, représentatif de qui, au juste ?
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lundi, 13 mai 2013
AH, "FAIRE SOCIETE" !
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Les « zompolitics » (pour faire Coluche, il faudrait avoir le son) en ont plein la bouche. Députés, ministres, chefs de parti ne parlent « à regonfle » (comme on disait chez moi quand le patois lyonnais voulait encore dire quelque chose) que du « vivrensemble », de « faire société », de « refaire du lien social ». Les journalistes s'y sont mis.
Il paraît que ce genre d'affirmation, ça pose son homme, et ça donne une idée de son sens des responsabilités et de sa volonté de se dévouer pour ses semblables, en espérant toucher les dividendes de son investissement. Je n’exagère pas, tous ceux qui lisent cette note peuvent s’en convaincre en allumant le poste à l’heure de la propagande (je parle évidemment du 20 heures de TF1 ou de France 2) ou en donnant l'obole à leur quotidien de dilection morose. Ah, le « vivrensemble» !
ALLEZ ! TOUT LE MONDE REPREND EN CHOEUR AU REFRAIN !
C’est à qui en fera le plus pour apparaître, au milieu du cheptel politique (vaste troupeau de bovins carnivores, je veux dire de "vaches folles", mais ce sont ces mêmes vaches qui traient les bouseux que nous sommes, le monde à l'envers) comme le plus sérieusement convaincu que le « collectif » est le bien suprême, mais surtout que c’est lui qui s’en occupe le plus sérieusement.
Le problème, c’est que « faire société », ce n’est pas un individu, si haut qu’il soit placé, qui peut le décider. Regardez par exemple ce que c’est très vite devenu, la « fête des voisins » : une table, quelques chaises, des verres et des bouteilles. Des conneries. Quoi, c’est tout ? Oui, un point c’est tout.
Ce n’est pas la « fête des voisins » qui peut changer un iota au rythme et à la vitesse de croisière auxquels chaque individu se déplace dans sa propre vie quotidienne. Et ce n’est pas de crier « tous ensemble tous ensemble ouais ! » en arpentant les rues principales des grandes villes pour protester contre le gouvernement (10.000 selon la police) qui y changera une virgule.
Regardez l'énorme n’importe quoi qu’est immédiatement devenue la « fête de la musique » décidée par l’inénarrable pantin Jack Lang : une innommable bouillie sonore à coups de décibels électriques avec, dans certains quartiers urbains, un « orchestre » de jeunes « rockeurs » malhabiles appuyés sur la puissance d’amplificateurs qui leur donnent l’impression de faire de la « musique », alors qu’il ne font que du bruit, à peine compensé par le bruit que fait le groupe suivant, à cinquante mètres de là.
Soit dit en passant, en traitant Jack Lang d’inénarrable pantin, je suis d’une affabilité excessive, quand je lis ce qu’en écrivait Philippe Muray en 1998 dans la préface à la réédition son Empire du Bien : « A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n’avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d’avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu’on appelle Fête de la Musique, … ». Et ce n'est pas fini, mais j’arrête la fusillade.
« Faire société », il faudrait bien s’en convaincre, ça ne se décide pas. Pour une raison assez simple : c’est quand ça « ne fait plus société » qu’on se rend compte qu’il y en avait une, de société. C’est quand chacun des atomes que nous sommes est réduit à sa simple fonction de numéro dans une liste de numéros qu’on se rend compte qu’une société, ce n’est pas une liste d’individus. Il ne faut pas confondre « faire société » et administrer la société.
En effet, tant qu’on peut parler de « corps social », on a de quoi se faire une petite idée de ce que c’est, une société. Est-ce qu’il suffit pour cela d’avoir des institutions en état de marche avec des gens pour les faire fonctionner ? Je me permets d’en douter. Car qu’est-ce que c’est, un corps social ? C’est forcément une métaphore. Mais qui veut bien dire ce qu’elle dit. Comme dit Paul Ricœur, en titre merveilleux d’une de ses belles œuvres, c’est une « métaphore vive ». Et ça, y a pas à tortiller, ça ne s'administre pas.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 12 mai 2013
LA BANALITE DU MAL
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On ne sait plus à quel saint ni à quel diable se vouer. Les gens ne portent plus le fond de leur âme sur la figure ! Les gens enfouissent désormais les turpitudes qu’ils mijotent derrière un masque de respectabilité ou de courtoisie ! On ne peut plus se fier à personne, je vous dis !
Autrefois, au moins, on savait à qui on avait à faire : le cow boy justicier avait la tête de Gary Cooper. Le chevalier était blanc, blond et ses yeux étaient bleus. La petite bergère mignonne comme un cœur pouvait prétendre séduire le prince au cœur pur, l’épouser et « ils eurent beaucoup d’enfants ». Le méchant était laid, tordu, l’œil torve.
Maintenant, n’importe qui peut être n’importe quoi. Regardez le Monsieur Propre du Parti « Socialiste », Jérôme Cahuzac ! Le bon dieu sans confession ! Pas la gueule du Paradis sur Terre, il ne faut pas exagérer, mais on n’hésitait pas à lui confier ses économies. Patatras ! C’était lui, le loup dans la bergerie ! Comment voulez-vous vous faire une idée ?
Et puis voilà-t-il pas que, de l’autre côté, les spécialistes du dépistage du Mal sont incapables d’identifier les mauvais quand ils les ont sous les yeux ! Invraisemblable ! La preuve ? Prenez les frères Castro, par exemple. Ils s’appellent Ariel, Onil et Pedro. Franchement, même sans être flic dans la charmante cité de Cleveland, Ohio, on voit leur gueule et on sait aussitôt à quoi s’en tenir.
Eh bien non ! Les voisins, les services sociaux signalent quelques anomalies, les flics arrivent, font trois petits tours et puis repartent comme ils étaient venus. RAS, comme écrit l’adjudant dans son cahier de surveillance à la fin de sa permanence de nuit. Il ne s’est rien passé, il ne se passe rien, circulez.
Et puis voilà, un jour, ça éclate : l’une des prisonnières décide que ça suffit, et arrive à s’échapper. Et tout d’un coup, le monde s’écroule en tombant de haut. Dix ans que ça durait ! Stupéfait, le monde découvre le calvaire de quelques esclaves sexuelles enlevées une décennie auparavant ! Stupéfait, le monde découvre les gueules patibulaires des trois tortionnaires, dont on se dit qu’elles auraient fait sans problème des gueules d’assassins ! Je passe sur les questions qui se posent, sur tout ce qui a permis qu’une telle situation perdure à ce point.
ARIEL ONIL PEDRO
UNE BELLE BROCHETTE
(Ariel se vantait ouvertement, paraît-il, d'être un "prédateur sexuel")
Maintenant, regardez, plus près de chez nous. Cette fois, ça se passe en Allemagne. Regardez-la, cette gueule d’ange. Elle s’appelle Beate Zschäpe. On lui impute une dizaine de meurtres. Enfin, ce n’est peut-être pas elle directement, mais ses deux complices masculins se sont suicidés, la laissant toute seule pour porter le chapeau.
Enfin, peut-être pas toute seule, s’il s’avère que certains membres de la police ont laissé la bride sur le cou à la bande, au motif que les cibles de celle-ci étaient des Turcs (après une policière qui leur a légué son arme de service). Ce qui est sûr, c’est que la chose a duré assez longtemps. Alors on me dira qu’il ne faut pas confondre des situations qui ne sauraient être le calque l’une de l’autre.
Je note cependant, d’une part que, dans les deux cas, il s’agit de trios de criminels. Ce ne sont pas des individus isolés, et leur « surface » sociale est donc forcément plus importante, ne serait-ce qu’à cause des interactions que la vie quotidienne implique nécessairement (faire ses courses, se déplacer, échanger avec les voisins, etc.).
Je note aussi que dans les deux cas, l’attitude de la police ne laisse pas que d’interroger. Je note surtout que, quoi qu’il arrive, le Mal se dissimule sous des apparences acceptables, si l’on excepte les têtes de truands du trio américain. Comme le résume la formule extraordinaire de Hannah Arendt en sous-titre de son ouvrage sur le procès du nazi Eichmann à Jérusalem, le Mal a pris le masque de la Banalité.
Que le Mal ait une gueule patibulaire ou une frimousse angélique, impossible de l'identifier. C'est sûr : il est partout.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 11 mai 2013
LE PORTATIF DE PHILIPPE MURAY
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Philippe Muray est donc indispensable à tout ce qui prétend garder l’œil grand ouvert sur le monde que nous façonnent les marchands de tout poil (vendeurs de salades, de boniments ou de brosses à dents), aidés par l’industrie de la propagande, passée maîtresse dans l’art de tordre les mots pour les obliger à servir leurs intérêts. Leurs intérêts ? Ça tient en une phrase : soumission à la consommation et acceptation du mode de vie que son règne impose.
Avec un effort particulier pour amener les individus qui constituent ce qu’on appelle une population à ne plus penser par eux-mêmes, et à accepter comme paroles d’évangile deux sortes de messages : « Venez vous amuser (ce qui signifie : oublier les conditions qui vous sont faites) dans les fêtes que nous organisons pour vous ! ». Et : « Si vous n’êtes pas tolérants et respectueux des « droits » que d’infimes « minorités » font valoir, vous êtes bons pour la correctionnelle ». Je me contente de ces deux illustrations de la résistance de Philippe Muray à la mensée « mainstream ». Il y en a d'autres.
D’un côté, donc, la « fête » à tous les étages, dans tous les lieux et à tous les moments possibles. De l’autre, ce que Muray appelle « l’envie du pénal » (parodiant l’ « envie du pénis » prêtée par Sigmund Freud aux petites filles). D’un côté le « festivisme » exacerbé (voir les pages qu’il consacre à l’ouverture du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée). De l’autre, la punition pour tous ceux qui porteraient atteinte à la « dignité » de tous ceux qui se présentent comme des « victimes » de l’ « intolérance ».
D’un côté, l’imposture d’une « fête » qui s’impose à tous. De l’autre l’imposture d’une « tolérance » qui n’est que l’expression d’un flicage de plus en plus pointilleux de la population. En tout état de cause, ce que ne digère pas Philippe Muray, c’est l’imposture de l’époque. Il s’efforce de démolir le discours qu’elle tient sur elle-même pour élever sa propre statue, et que colportent tous ses thuriféraires stipendiés ou ses adeptes aux yeux illuminés. Finalement, ce qu’il traque, c’est l’idéologie inquiétante qui se dissimule sous le masque de la positivité absolue et du consensus obligatoire et joyeux (genre sourire contractuel, "rien que du bonheur").
GASTON CHAISSAC ETAIT-IL VRAIMENT L'ARTISTE IDOINE POUR CETTE COUVERTURE ?
Je viens de revenir à Philippe Muray en ouvrant un tout petit (80 pages environ) bouquin publié par Les Belles Lettres et 1001 nuits en 2006 : Le Portatif (d’où le titre de ce couple de billets). Ce titre est à mon avis excessif : « Le titre que je donne à cet ensemble est un hommage au Dictionnaire philosophique de Voltaire, surnommé Le Portatif par ses lecteurs ». « Hommage », pourquoi pas ? La taille de l’ouvrage, et surtout ce qu’on y trouve, tout ça fait que la référence ne tient pas. Bon, c'est vrai que l'auteur l'a laissé en plan avant achèvement.
Ce qu’on y trouve, c’est pour tout dire un peu sec. C’est sûr que pour se faire une idée du lexique favori de Philippe Muray, l’ouvrage le permet. Sommaire, mais une idée. Première approche, quoi. A l’article « absent », inaugural, il pointe l’injonction qui est faite aux gens de participer (même à l’insu de son plein gré) à la « société du spectacle », et l’interdiction qui leur est faite de disparaître sans son aval (Kafka, je ne sais plus où, faisait de la possibilité de disparaître le dernier refuge de la liberté individuelle).
Il traite de l’infantilisation générale, de « l’Empire du Cœur » (qu’il appelle « cordicolisme », bon, moi, je veux bien …), de l’exigence de transparence, de Disneyland, de l’Europe, le l’ « homo festivus » et de l’ « hyperfestif », de la « post-histoire », de la modernité, de la musique (dans laquelle il voit, peut-être pas à tort, un moyen de domestication des foules, j’en ai parlé ici même en septembre 2012), de l’occultisme, des réactionnaires, de l’unification de la collectivité en un gros tas de chouettes copains, du retour en force de l’hygiénisme (rebaptisé « problème de santé publique »), et de quelques autres notions. Ce que regrettera le lecteur un peu aguerri de Philippe Muray, dans Le Portatif, c’est sa sécheresse de squelette de poisson.
LE BANDEAU SURDIMENSIONNÉ SEMBLE INDIQUER QUE MURAY A TROUVÉ UN PUBLIC.
JE DIS : EH BIEN TANT MIEUX !!!
Et pour qui voudrait y aller voir de plus près, je conseille malgré tout les 1800 pages des Essais (L’Empire du Bien, Après l’histoire I et II, Exorcismes spirituels I, II, III, IV). Ça vaut largement les 33 € que ça coûte. Et pour être franc, ça se lit tout seul. C'est dans L'Empire du Bien que Philippe Muray développe les considérations qui lui permettent d'affirmer en conclusion que : « Notre société médiatique n'est pas du tout, comme on le prétend, la "forme moderne et achevée du divertissement"; c'est la figure ultime de la censure préventivement imposée ». Empêcher l'expression de savoir qu'elle pourrait devenir expression : le fin du fin en matière de totalitarisme.
En plus, quand on referme le livre, on se dit que la langue française et le style ont pris un bain de Jouvence.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe muray, littérature, essais, le portatif, l'empire du bien, après l'histoire, exorcismes spirituels
vendredi, 10 mai 2013
LE PORTATIF DE PHILIPPE MURAY
OUI, JE SAIS, CE N'ETAIT PAS ENCORE L'EURO
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Ça fait une paie que je n’ai pas évoqué la haute figure de Philippe Muray. C’est regrettable : lire un peu de Philippe Muray chaque jour, c’est une excellente hygiène de l’esprit, en même temps que ça permet d’affûter la lame du regard jeté sur notre époque.
C’en est au point qu’au sujet de la pensée de Philippe Muray, je pourrais dire la même chose que Tonton Georges (mais lui, c’est d’une femme qu’il parle) : « Tout est bon chez elle, Y a rien à jeter ». Quoique je ne sois pas sûr qu’on puisse vraiment parler de la « pensée » de Philippe Muray. Il ne se prétendit jamais philosophe, Dieu merci. Après tout, je ne trouve rien de plus pertinent que « regard ». Un regard acéré, pour sûr.
Je n’ai pas lu tout Philippe Muray, juste les essais, et ses entretiens avec Elisabeth Lévy dans Festivus festivus (Fayard, 2005). Même pas tous les essais : j’ai calé, je l’avoue humblement, au bout de deux centaines de pages (sur 670) de Le 19ème siècle à travers les âges. Qu’est-ce qu’il a aussi besoin de faire bourgeonner à l’infini son cumulo-nimbus conceptuel ? La prolixité, moi, j’ai du mal. Et dans ce bouquin, s'il y a des idées proprement géniales, je n'y peux rien, la surabondance de l'expression m'intimide au point de me paralyser. Mais promis, je vais tâcher de m'y remettre.
En dehors de ça, je m’étais carrément régalé à la lecture du gros (1800 pages) volume publié par Les Belles Lettres, regroupant sous le titre Essais (2010) tout ce que Philippe Muray a publié dans des revues diverses et variées, articles plus ou moins développés, plus ou moins regroupés par thèmes, par dates ou par supports. Successivement, ça donne L'Empire du Bien, Après l'histoire, Exorcismes spirituels. Comme le conclut le rapport déposé par Superdupont sur la nouille française dans la Rubrique-à-brac (Marcel Gotlib, bien sûr) : « Rien que du bon : 98 %, Sel, 2 %».
Franchement, pour qui veut confirmer et conforter l’exécrable opinion qu’il a du « monde tel qu’il est », c’est une lecture de nécessité vitale, apte à rendre au suicidaire l’envie de retarder le geste fatal (dans le 813 de Maurice Leblanc, c’est ce qu’aura seulement réussi à faire Arsène Lupin, avec son obscur Leduc (le trop bien nommé), dont il aurait voulu poser le cul sur le prestigieux trône du grand-duché de Deux-Ponts-Veldenz).
Quel est le propos de Philippe Muray, pour ce que je peux en connaître ? Pour résumer et simplifier, il n’a pas un « système » à proprement parler, simplement il regarde, il écoute, il existe et il juge. Ce qu’il reproche à l’époque, c’est tout d’abord qu’il n’aime pas qu’on se paie sa tête en se payant de mots. Car on est à l’époque du bobard généralisé, du travestissement et du détournement des mots, de l’instauration du règne du langage perverti.
Ce qui me plaît aussi, dans la démarche de Muray, c’est qu’il refuse cette espèce de lâcheté tiédasse qui doit, paraît-il, habiller la pensée de tout universitaire qui se respecte : Muray n’est pas de ces « intellos » qui développent à n’en plus finir des argumentaires spécieux et interminables pour montrer qu’ils ont examiné la question sous toutes les coutures, et décider de ne rien décider tout en s’efforçant d’entortiller un peu de fantôme de réalité dans l’inextricable réseau de lianes de leurs raisonnements ou dans le serpentin labyrinthique de l’alambic de leurs systèmes abstrus.
Philippe Muray ne consent pas : il existe.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : philippe muray, élisabeth lévy, littérature, bande dessinée, martin veyron, revue à suivre, gotlib, rubrique-à-brac, georges brassens, festivus festivus, le xixè à travers les âges, l'empire du bien, après l'histoire, exorcismes spirituels, superdupont, maurice leblanc, arsène lupin
jeudi, 09 mai 2013
VIVE MONSIEUR LE MAIRE ! (2/2)
***
Alors le maire de Champignac ? Oh, j’imagine bien que c’est un homme politique bien connu, et sans doute célèbre. Mais en est-on bien sûr ? En particulier, trouve-t-on le texte exact de ses discours ? Vus sous un certain angle, ils valent bien en effet certains de ceux que prononça en son temps un autrement célèbre personnage, à la fois Général et Président.
Il est vrai que celui-ci ne trouvait d’autre rival à sa hauteur qu’un petit reporter à houppe et à chien blanc, dessiné par un adepte de la « ligne claire ». Mais regardez voir, si Franquin, sans ligne claire, n'a pas parfaitement compris la physionomie modeste que se doit de présenter en public un homme politique digne des moeurs en vigueur.
J’ai donné hier le discours de l’avocat du sapeur Camember (début 20ème siècle) et d’un maire de petite commune rurale (milieu du même siècle), pour introduire ces bijoux de création verbale que sont « les discours du maire de Champignac ». Je ne sais pas qui a imaginé le premier de mettre images et fleurs de rhétorique dans des autos tamponneuses et de les faire se percuter à qui mieux-mieux (Franquin lui-même, Jidéhem, Greg ?), toujours est-il que le résultat est hautement délectable. A voir sa gueule horriblement cabossée, la métaphore ne s'en est pas encore remise.
ET PUIS, APRES LE PASSAGE DE LA BÊTE, ON ASSISTE A UN PETIT RETOURNEMENT DE VESTE
Je me contente ici de ceux qu’on trouve dans trois albums : Le Voyageur du mésozoïque, Le Prisonnier du Bouddah et Z comme Zorglub. Le premier raconte l’éclosion d’un œuf de platéosaurus âgé de 50 millions d’années, de la croissance accidentellement accélérée de l’animal et des dégâts qu’il commet dans la petite ville de Champignac. Accessoirement – mais ça nous entraînerait trop loin –, on découvre toute la « sympathie » dans laquelle le comte de Champignac tient les promoteurs de la bombe atomique, et le professeur Sprtschk en particulier.
Le deuxième raconte l’expédition en Chine de Spirou et Fantasio, pour libérer des communistes un savant américain, inventeur (avec un collègue russe) du « Générateur Atomique Gamma » (autrement dit le G.A.G. !!!), qui annule la loi de la gravitation. Le troisième raconte l’histoire du conflit qui oppose le clan du comte au néfaste Zorglub, personnage qui tient autant du génie scientifique que du savant fou, et que les amis s’efforcent de rendre inoffensif.
Voilà, en ajoutant la présente note à celle d’hier, le lecteur peut se faire une idée d’une des nombreuses tendances qui agitent le monde de l’humour (parfois involontaire) : le délire rhétorique.
Faites valser les figures de style ! Dans le shaker, les tropes ! Et vive la vie qui va !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 mai 2013
VIVE MONSIEUR LE MAIRE ! (1/2)
DU RÉEL À LA FICTION, OU L'INVERSE ?
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Qu'on ne s'y trompe pas et qu'on se rassure sur le titre de ce billet, où il ne sera aucunement question de notre « grand-maire» de Lyon : je m'en voudrais de consacrer à Monsieur Gérard Collomb autre chose que la fourberie d'insinuations passagères, l'acidité d'allusions fugaces et la sournoiserie d'incidentes moqueuses.
HOMMAGE A UN AUTRE "MICHEL AUDIARD" DE LA BD : ANDRÉ FRANQUIN
Mais je m’en voudrais aussi de revenir à des sujets plus « sérieux » que la BD (si ça me prenait, on ne sait jamais, le pire n’est pas toujours sûr, mais au fond du fond, qu’est-ce qui est vraiment « sérieux » dans la vie ?) sans aller m’incliner devant un monument du genre, où se conjuguent allégrement l’expressivité virtuose du trait, la typicité compacte et repérable de loin du personnage et l’invention verbale la plus débridée. Je veux parler de Sa Majesté : ANDRÉ FRANQUIN (Gaston, Spirou, Idées Noires, Trombone, Slowburn, …).
Je veux, aussi et avant tout, parler du maire de Champignac : le seul homme politique que je connaisse qui n’ait sa langue ni en bois ni dans sa poche ; le seul homme politique qui fasse passer dans la noblesse de son verbe la hauteur de ses vues et de ses ambitions.
Mais avant d’en venir au plat de résistance, il est nécessaire de dresser un bref historique de l’éloquence oratoire, qu’elle soit municipale ou judiciaire. Le paradis terrestre de l’éloquence oratoire ne date pas de Périclès, encore moins de Cicéron.
Il remonte à « Christophe », le facétieux Georges Colomb qui dessina et écrivit « pour se désennuyer un peu » (citation de qui, dites voir un peu ? Allez, je vous aide, c’est quelqu’un qui parle de quelqu'un qui « joue à bousculer les roses ») les aventures du preux « Sapeur Camember », prénommé François-Baptiste-Ephraïm, né à Gleux-lès-Lure (Saône-Supérieure) un des vingt-cinq 29 février du 19èmesiècle, en 1844.
MAÎTRE BAFOUILLET, DANS SES OEUVRES
Le derrière du major Mauve a été heurté malencontreusement par le pied de Camember, qui passe en Conseil de guerre pour outrage à supérieur. Inutile de dire que ça date d'une époque où les hiérarchies étaient respectées. L’avocat s’appelle Bafouillet, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne bafouille pas (pardon !).
Après les fleurs de rhétorique de Maître Bafouillet, il convient de ne pas oublier le talent déployé par l’officier municipal – malheureusement anonyme – d’une petite commune du centre de la France, lors des épousailles de deux de ses administrés. Observons que lui aussi sait travailler le bois de la langue dans la dégauchisseuse d’un style aux accents de terroir que la télévision parisienne a définitivement éradiqué. Voici la chose (c'est une petit extrait).
IL FAUDRAIT DIRE A CE MAIRE EPOUVANTABLEMENT REACTIONNAIRE QUE LES INSTITUTIONS (MARIAGE, ...) EVOLUENT,
ET QUE ÇA S'APPELLE LE PROGRÈS, NOM DE DIEU ! DEPUIS QUAND LE MARIAGE SE REDUIT-IL A L'UNION D'UN HOMME ET D'UNE FEMME ?
Moi qui ai gardé dans l’oreille les intonations de Léon C., désormais disparu, quand il parlait son patois du Dauphiné avec ses amis du village, je me permets de regretter amèrement de ne plus pouvoir entendre pareille musique. J’entends encore tout ce qu’on y a perdu.
Enfin, ces discours de bandes dessinées hauts en couleur, je trouve que ce n'est pas mauvais, comme mise en bouche.
Voilà ce que je dis, moi.
mardi, 07 mai 2013
UN MICHEL AUDIARD DE LA BD
AH, LE BRAVE PANDORE ! ON LE TROUVE DANS LES CARGOS DU CREPUSCULE.
(A propos de pandores : "Moi je bichais, car je les adore Sous la forme de macchabées", c'est de ?)
C’est bien connu, pour faire une bonne chanson, le plus important, c’est l’adéquation entre, d’une part, ce que raconte le texte et, d’autre part, la musique qui l'enrobe. Dit autrement, il faut que le propos épouse intimement les moyens mis en œuvre pour le transmettre.
UN "BOBBY" COMME ON N'EN FAIT PLUS, FACE A UN VRAI BANDIT
(Admirons le contre-jour bien londonien de Maurice Tillieux.)
Tout le monde le sait : il n’existe pas de recette pour cela. Ça tient plutôt du bricolage alchimique. Inutile de dire que ça ne se rencontre pas tous les jours. C’est l’exception. On peut même dire que ça tient du miracle.
GIL JOURDAN, LIBELLULE ET L'HÔTELIER STUPEFAIT
Par exemple, Georges Brassens était capable d’attendre des années avant d’être pleinement satisfait. Au point qu’Antoine Pol, l’auteur du texte de la belle chanson Les Passantes, lui demanda en vain de la lui faire entendre, et mourut (en 1971) sans la connaître, juste parce qu’elle n’était pas encore tout à fait au point aux yeux du musicien. Brassens en conçut du remords, paraît-il.
Au cinéma, c’est pareil. Prenez Les Tontons flingueurs. On peut se demander pourquoi il y a encore aujourd’hui plein de gens qui connaissent les dialogues par cœur, et qui vous sortent au débotté : « La bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer » ou : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire ». Ça veut juste dire que Les Tontons flingueurs en sont un, de miracle.
Dans la Bande Dessinée, c’est le même tabac. J’ai parlé de Silence, de Didier Comès, un OVNI. La BD, c’est un peu comme le cinéma : ce qui compte, c’est l’ensemble. Une bonne histoire, un beau trait, des dialogues pour faire mousser, et c’est dans la poche.
Et parfois, dans ces réussites de la BD, émerge – comme un pic au-dessus de la mer de nuages – LA réplique. Celle qui fait mouche. Qu’on se le dise, il n’y a pas que Michel Audiard dans la vie, avec son inépuisable : « Les cons, ça ose tout, etc. ».
Je voudrais ici offrir une de ces célébrations (ci-contre) dont l’éditeur Robert Morel s’était fait le héros, le héraut et le champion, une célébration autour de quelques vignettes mémorables qui méritent, pour cette raison, de passer à la postérité, agrandies, encadrées dans du doré mouluré, suspendues au mur du salon en vue de contemplations béates au long des soirées
d’hiver, pour la satisfaction de l’âme et l’hygiène de l’esprit.
Je donnerai ici un coup de chapeau à Maurice Tillieux, le virtuose de l’accident de voiture, dont le crayon a engendré Gil Jourdan. Gil Jourdan en soi est totalement inintéressant, c’est le détective privé impavide, le chevalier sans peur et sans reproche, au brushing et au nœud papillon aussi impeccables après qu’avant la bagarre.
Il serait d’une fadeur insondable, si Tillieux n’avait eu l’idée de lui adjoindre Libellule, le cambrioleur (par ailleurs spécialiste du « calembour bon ») qui ouvre un coffre-fort rien qu’en le regardant ou en soufflant dessus, et surtout l’inspecteur Crouton, l’inénarrable policier à la moustache improbable.
FRANCHEMENT, EST-CE QUE ÇA NE VAUT PAS LE MEILLEUR AUDIARD ?
Dans le premier épisode, Libellule s’évade, Crouton a coffré Libellule, mais Jourdan le fait évader pour ouvrir le coffre d’un gros trafiquant. Crouton se lance à sa poursuite, mais au détour d’un chantier, il atterrit dans un fût de goudron, ce qui nécessitera une vingtaine de kilos de beurre pour nettoyer le costume, et lui attirera le mépris de la hiérarchie. Cela pour mettre en appétit.
Crouton sera à plusieurs reprises le porte-parole de l’Esprit en personne. Dans le même épisode, par exemple, il doit s’embarquer pour l’Italie, pour surveiller un trafiquant de drogue, et voici ce que ça donne.
Sur le « Volturno », il a bien du mal à se faire prendre au sérieux (c'est pour être gentil) : lancé dans sa poursuite, après avoir bousculé quelques passagers, il est confronté au « pacha », ce qui permet à Tillieux de livrer quelques pépites.
PERSONNELLEMENT, C'EST LA REPLIQUE DE LA DAME QUE JE PRÉFÈRE
Dans L’Enfer de Xique-Xique, il se propose de cambrioler la « Légation de Massacara », mais il « tombe » mal, comme on le voit.
Mais Tillieux ne confie pas ses pépites au seul Crouton. Les militaires du Massacara ne sont pas oubliés dans la distribution des répliques, que ce soit lors du « procès » qui envoie les héros au bagne ou lorsque le capitaine, coupable d’une remarque désobligeante sur son président (à propos des gaz hilarants), s’y fait lui-même envoyer.
IL FAUT DIRE QUE "LIBELLULE" (ALIAS DE GEORGES PAPIGNOLLES) A ABSORBÉ DU GAZ HILARANT, NORMALEMENT RÉSERVÉ AU PUBLIC ASSISTANT AUX DISCOURS DU PRESIDENT BIEN-AIMÉ
J’ai donné à la présente note la solide escorte de vignettes à retenir, tirées principalement de Libellule s’évade, Popaïne et vieux tableaux, La Voiture immergée et L’Enfer de Xique-Xique. Une mention spéciale, cependant, pour la réplique du gendarme des Cargos du crépuscule, proposée en ouverture.
Faire du Michel Audiard, ça peut être jouissif, mais il ne faut pas oublier que Maurice Tillieux, en plus, fait les dessins. Alors franchement, Monsieur Tillieux, merci pour tout.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, gil jourdan, maurice tillieux, humour, georges brassens, antoine pol, les passantes, chanson, cinéma, les tontons flingueurs, michel audiard, didier comès, robert morel, célébration, inspecteur crouton, libellule s'évade, popaïne et vieux tableaux, la voiture immergée, l'enfer de xique-xique, les cargos du crépuscule
lundi, 06 mai 2013
DE "SILENCE" A "LA BELETTE"
***
L’histoire de La Belette ? Il y en a plusieurs. Le père Renard est à la recherche du trésor que Théophile a patiemment accumulé, et qu’il a forcément planqué quelque part dans la maison, d’où des incursions discrètes à des moments divers. Manque de pot, le curé lui révèlera que Théo a tout légué à une société spirite : c'est bien la peine de se casser le cul à jeter des sorts pour pousser au suicide.
Hermann, l’Allemand toujours rejeté par les villageois, ne se console pas du suicide de son ami, un geste qui ne lui ressemble pas. Il brûle de se faire inviter dans la maison pour entrer en communication avec l’esprit de Théophile et avoir le fin mot de l’histoire.
NON, CE N'EST PAS LE CURÉ DE CAMARET,
MAIS LE "SORCIER" DE LA GROTTE, DESSINÉ PAR COMÈS
Les praticiens de la « vieille religion », Noël et sa fille, surnommée "La Belette", s’efforcent de la perpétuer en faisant de nouveaux adeptes. Pourquoi n’initieraient-ils pas le jeune autiste, qui leur semble très différent (sacralisation du paria), et entouré d'une aura de mystère qui leur ressemble ?
L'ORIGINAL "SORCIER" DU SANCTUAIRE DE LA GROTTE DES "TROIS FRERES", ARIEGE
Quand au curé, il redoute d’être bientôt obligé de dire la messe pour lui tout seul. Aussi est-il prêt à tout pour amadouer et séduire des fidèles potentiels, quitte à utiliser les grands moyens pour faire revenir les « brebis égarées » au sein de « notre sainte mère l’Eglise ».
LE "VENTRE-A-VENTRE" DE LA FUTURE MÈRE AVEC LA "MÈRE" PRIMORDIALE
La « vieille religion » se pratique en deux endroits : le fond d’une caverne avec une peinture rupestre, un « sorcier » (voir plus haut) emprunté à la grotte des « Trois Frères », dans l’Ariège ; en terrain dégagé, un cercle délimité par huit menhirs, au centre duquel se dresse une « Vénus de Lespugue », une « mère » auprès de laquelle elle se sent en sécurité.
La trouvaille de Comès, c'est de l'avoir faite géante (la vraie mesure 14,7 cm, pas un mm de plus, elle vient de Haute-Garonne et remonte, comme le "sorcier", au paléolithique supérieur, autour de 20.000 ans avant nous, ci-contre de 3/4 face, et ci-dessous, de 4/4 fesses). Cela prouve au moins que Comès et votre serviteur sont des gens sérieux, et qu'ils ne négligent rien quand il s'agit d'exactitude et de précision.
LA VRAIE (ET ADMIRABLE) "VENUS DE LESPUGUE" : C'EST DE L' IVOIRE DE MAMMOUTH
La Parisienne, qui se rend compte que « quelque chose » se produit en Pierre au contact de ces gens bizarres (contre toute attente, après son initiation, il parle enfin), finit par se rapprocher de la Belette, au point qu’elle reprendra son rôle quand la chouette (« oiseau de malheur », je crois bien que c'est une chevêche) dans laquelle elle s’était réincarnée aura été abattue par le père Renard.
Ajoutons que Pierre semble bientôt doté de mystérieux pouvoirs (il assomme sa mère en mouvant un cendrier par la seule force de son esprit, puis il efface avec les mains la grave brûlure qu'elle s'est faite à cause de lui).
Quant à Hermann, croyant n’avoir rien obtenu après la séance de spiritisme dans la maison d’Hippolyte, il se suicide avec sa dague d’ancien SS. En réalité, l’esprit du mort est bien venu, mais l’ectoplasme de sa main est sorti de la bouche de Pierre endormi, et a indiqué à Anne la planche sous laquelle elle trouvera une des réponses à ses questions.
L'ECTOPLASME
Anne montre au curé la poupée au cou ficelé et la photo de l’envoûtement (qu'elle a trouvées sous la planche désignée). Il la met en garde contre les « mauvaises influences » et compte bien baptiser le petit qu’elle porte quand il sera né. En attendant, il brûle ces objets du diable. Disons qu’entre 1 - le curé catholique, 2 - les envoûteurs et autres sorciers, 3 - les amis adeptes du spiritisme et 4 - ceux de la « vieille religion », ça finit par faire beaucoup pour un seul livre. Comès a sans doute voulu faire un concentré de croyances, mais ça sent la surcharge. Et « surcharger » est de la même famille que « caricaturer ».
Bon, abrégeons : le fils Renard, à gueule de gnome, qui passait son temps à reluquer la Parisienne quand elle était à poil, sera noyé par le curé dans la fosse à purin (et pan pour la luxure !). Noël, le père de la Belette, subira, de la part du même prêtre si charitable, un coup de masse fatal, on le retrouvera sous une masse de rochers en bas de la carrière (et pan pour les superstitions !). Deux à zéro pour le curé.
ON SE RASSURE EN SE DISANT QUE, SI CE CURÉ-LÀ NE MANQUE PAS DE POIGNE, IL N'A RIEN D'UN PEDOPHILE
Mais la Belette a deviné (ci-contre, croa-croa) qui était l’assassin. Déguisée en chouette, elle empêchera le prêtre Noël (si !) de tuer la future mère. Ecervelée, elle lui avait déclaré qu’elle se mettait sous la protection de Déméter, la « Mère », le jetant dans une fureur homicide. Et finalement, c’est lui qui y passe. Bien fait, tiens !
Pour conclure, donc, des personnages aux traits et aux caractères tranchés jusqu’à la caricature. Le roman (il faut bien parler de roman) est construit de façon plus sommaire que Silence, se contentant de faire croître les péripéties en intensité du début à la fin, plutôt que de ménager, tout au long de l’action, des changements de points de vue. L’ensemble est efficace, c’est sûr, mais bon, Comès a peut-être voulu surfer sur le coup de foudre qu'avait été Silence.
D'ACCORD, ÇA FINIT ASSEZ NUNUCHE, MAIS REGARDEZ AUJOURD'HUI TOUTES LES "MAMANS" QUI SE BALADENT AVEC LEUR MERDEUX SUR LE BIDE
On est quand même un peu surpris que la morale de l’histoire fasse triompher la « vieille religion », toutes les autres croyances ayant échoué ou failli. La régression massive dans le sein de Déméter (étym. la « Mère des peuples »), vieille divinité grecque et néanmoins primitive, que semble recommander Comès, si elle résulte d’un bon diagnostic sur la faillite de la civilisation « spectaculaire-marchande » (Guy Debord), ne me semble à moi rien augurer de bon pour l’humanité.
On me dira de ne pas confondre le réel et le fictif. Bien sûr, mais quand on regarde le réel aujourd'hui, on se dit que Didier Comès, en 1981, n'avait pas que des fantasmes, loin de là.
Voilà ce que je dis, moi.
dimanche, 05 mai 2013
DE "SILENCE" A "LA BELETTE"
***
J’ai fait l’éloge, récemment, de Didier Comès, qui vient de disparaître. Un artiste du noir et blanc, du roman, de la bande dessinée, des Ardennes et de la tragédie réunis. Comme carte de visite, il y a pire. Donc j’ai baratiné en l’honneur du chef d’œuvre paru autrefois dans la revue
intitulé Silence. Belle histoire tragique, quoique rurale (ah, la campagne, la vie au grand air, les oiseaux, les fleurs !), superbement construite, découpée et dessinée.
Du coup, j’ai eu envie de remettre le nez dans le bouquin suivant, La Belette, et bien m'en a pris. Sans atteindre le degré « chimiquement pur » de Silence, La Belette reste du bon et du beau, et même du très bon et très beau, grâce au splendide équilibre maintenu entre le propos de l’histoire et les moyens mis en œuvre pour la raconter.
Si je mets un bémol à mon enthousiasme, c’est d’abord qu’on retrouve un « schéma narratif » un peu calqué sur le précédent, quoique différent par plusieurs aspects : le rôle de Silence est tenu par Pierre qui, ici, a deux parents (du bien classique des anciens temps du mariage : un papa et une maman), mais qui est atteint d’autisme.
On retrouve la sorcellerie, par le biais d’un vieil envoûtement qui a conduit Théophile au suicide et qui hante la maison achetée par le couple de Parigots-têtes-de-veau. Mais l’auteur a ajouté à cette « tradition » la très vieille religion de Déméter, représentée par la Belette et son père, qui organisent des cérémonies dans un site préhistorique (un cercle de menhirs) au centre duquel trône une "statue de la déesse" (j'en parlerai mieux demain). Ils se déguisent en cerf et hibou.
On retrouve le curé, mais cette fois, il ne fait pas une minuscule apparition, il occupe la place d’un vrai personnage central, qui figure même « l’Axe du Mal » à lui tout seul. Le Mal incarné par un curé : on aura tout vu. On retrouve évidemment les paysages des Ardennes, entre campagne et forêts, où se baladent toujours en suspension des feuilles mortes, sans doute pour figurer le vent qui souffle, mais qui cette fois font un peu trop « décor ».
On retrouve la paysannerie à travers les figures du père Renard et de son fils, magnifiques têtes d’épouvantails (ci-dessus), celle redoutable du père, et celle du fils, de vrai dégénéré, obsédé par le sexe. Mais Comès innove en inventant le personnage de Hermann, un ancien de la Waffen SS qui, blessé lors de la guerre, a été soigné et sauvé par Théophile : une solide amitié est née, qui s’est cristallisée autour de la pratique du spiritisme (cela rappelle « Le Mage » dans Silence).
Arrive dans ce paysage le couple d’acheteurs parisiens de la maison de feu Théophile, nanti de Pierre, le fils autiste. A l'époque du bouquin, on ne disait pas encore "bobos". Gérald, arrogant, imbu de son importance, travaille pour la télévision, et se fiche éperdument des « locaux » : ici ou ailleurs, il apporte son monde avec lui. C’est un sale con, qui ne sait même pas faire la différence entre une chèvre et un bouc (déjà des problèmes de "genre", v'rendez compte !).
Anne, a priori bonne épouse et enceinte du deuxième, éprouve un vif sentiment de culpabilité pour ne pas s’être assez occupée (pense-t-elle) de son fils quand il aurait fallu et qui se désole qu’il ne parle pas. Pierre est un grand et bel adolescent qui, à table, a un comportement de trois ans : il en met partout, et prend plaisir à plonger un Dupon(dt) dans sa bouillie.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 04 mai 2013
THE BEATLES AT WORK (fin)
Entendons-nous bien : ce que j’aime, chez les Beatles, c’est la musique qu’ils font. Il se trouve que les bonshommes qui la font sont ce qu’ils sont. Il ne me viendrait pas à l’esprit, je ne sais pas, de collectionner les moindres vinyles pirates ou, encore pire, d’acheter ce qu’on appelle les « produits dérivés », des « Pixi » ou je ne sais quoi d’autre.
Qu’il s’agisse de Paul Anka (qui se souvient de Paul Anka ?) ou des Beatles, j’ai toujours trouvé hallucinant qu’on puisse s’arracher les cheveux ou se griffer le visage par ferveur et adoration envers des « idoles », comme le faisaient les filles qui attendaient les Beatles à l’aéroport. Certains diront : « C’est juste des femmes. L'hystérie, ça les regarde ». Disons que, si l’on parle des Beatles, j’aime leur œuvre (je crois qu’en effet, on peut parler d’une « œuvre » des Beatles), pas l’image qu’ils donnent de leur personne. Encore moins leurs personnes. D'ailleurs, ils sont trop riches (tout au moins ceux qui ne sont pas morts).
Il y a d’autres chansons que Rain qui me « parlent » de façon singulière. I Am the walrus (Je suis le morse) est de celles-ci. Lennon la construit autour de glissandos et d’une oscillation harmonique d’un demi-ton (do#-ré) qui donnent à l’auditeur l’impression de tanguer dans une embarcation bizarre un jour de houle. La structure musicale est obsessionnelle, une montée / descente perpétuelle contenant tous les accords majeurs naturels. Un sacré pied de nez en même temps que l'indécision et l'ambiguïté d'une trajectoire d'ivrogne.
Quant au texte, en dehors d’être bourré de résidus de suites de prises de LSD, il culbute d’un seul geste les souvenirs d’adolescence, la charge héroïque contre les institutions et le goût immodéré pour les jongleries surréalistes et nonsensiques. Résultat : c’est du très bon. Great stuff, déclare le client au chimiste, quand il tombe sur de la came de première, et qu’il allonge l’oseille sans barguigner.
Il faut être un brin inspiré pour écrire : « Yellow matter custard dripping from a dead dog's eye » (matière jaune, crème anglaise dégoulinant de l’œil d'un chien mort). Même si c'est inspiré d'une ancienne comptine, ça en jette, comme l’œil coupé au rasoir dans Un Chien andalou, de Luis Bunuel. C'est dans cette même chanson qu'on trouve ceci : « Mister City p'liceman sitting pretty little p'licemen in a row. See how they fly like Lucy in the sky » : visiblement, Lennon ne porte pas les forces de l'ordre dans son coeur.
C'est sûr, pour parler des Fab Four, que Lennon ne serait rien sans McCartney, et vice versa. Mais franchement, John me semble plus intéressant que Paul. Pour la raison que Paul est extraverti, indécrottablement positif, agaçant, pour tout dire. Après les Beatles, la première chose qu'il fait, c'est Ram : une collecte de chansonnettes sans autre portée que divertissante. Il n'est pas compliqué, Paul.
John, c'est un autre café. La première chose qu'il fait après, c'est Imagine. Pas seulement la chanson (tout à fait bien, avec sa litanie de "I don't believe", non, mes excuses, c'est à la fin de "God" : "I don't believe in Beatles, I just believe in me, Yoko and me"), mais tout le disque. Sans doute un problème de droits, puisque la chanson a été virée du disque (si j'ai bien compris), lui-même rebaptisé Plastic Ono Band, et qu'Imagine est devenu une compilation sans charme, et sans l'indispensable Working class hero. Il y a du Yoko Ono là-dessous. Bref, ce disque, aux arrangements sobres jusqu'à l'austérité, est bien plus personnel et innovant que Ram, très conventionnel et conformiste au fond.
Pour revenir à Lucy, on peut noter en passant que l’emblème médiatique du LSD –Lucy in the Sky with Diamonds, qui donna par-dessus le marché son prénom à notre ancêtre de 3,4 millions d’années – fut conçu par John Lennon à partir d’un dessin au pastel de son fils Julian, âgé de 4 ans, et que l’auteur fut étonné après coup, quand tout le monde y vit la preuve d’une dévotion au Diéthylamide de l’acide lysergique. Ce que tout le monde a pris pour un message, voire un hymne, était en réalité tout à fait fortuit. Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime bien ces malentendus.
C'est l’inconscient, aurait peut-être dit papa Freud. J’ai parfois un petit retour de flamme à l’endroit des surréalistes, quand je me dis qu’ils étaient à même d’atteindre les nirvanas de l’imaginaire par le seul biais de l’écriture automatique, c’est-à-dire sans adjuvants. Mais à cet égard, c’est sûr qu’on n’est sûr de rien, d'autant que dans les résultats de l'écriture automatique, il y a autant de purée à chier que de chou à manger (la formule vient de Rabelais). La facilité avec laquelle Robert Desnos tombait en état de sommeil hypnotique pour produire les jeux de mots de Rrose Sélavy et de Langage cuit (je crois que c'est dans Corps et biens) était peut-être elle-même facilitée.
J’exagérerai sans doute si je dis que le peu d’italien qui m’est entré dans le ciboulot, je le dois aux opéras de Mozart (je suis resté ignare en italien, n’est-ce pas, R. ?) ; j’exagère beaucoup moins en soutenant que le peu d’anglais que j’aie gravé quelque part est dû aux Beatles. Plus précisément à Sgt Pepper’s …, pour l’excellente raison que les paroles étaient imprimées au dos.
M. T., professeur d’anglais qui faisait dormir son chien dans son lit (en tout bien tout honneur, enfin je crois) et qui cultivait dans sa classe un lierre tellement magnifique qu'il avait tout envahi, avait tout compris du révolutionnaire de cette méthode pédagogique, lui qui faisait apprendre par cœur les chansons de Boy George. Je ne suis néanmoins pas sûr que le niveau de langue auquel il parvenait à hisser ses élèves fût meilleur pour autant, mais je ne connais pas assez les textes de Boy George pour en jurer.
A vrai dire, je me fiche pas mal de savoir pour quelles raisons sûrement très savantes les Beatles ont ainsi régné sur toute la pop music pendant aussi longtemps.
Je sais juste que, à un niveau et à un titre différents de Georges Brassens, j’ai respiré Beatles assez durablement et profusément. Il est donc presque naturel que j'en aie l'épiderme et l'odorat définitivement imprégnés, et que les pores de ma peau en exsudent par bouffées et par intermittences quelque fragrance voluptueuse. Que les rétifs me pardonnent, s'ils peuvent.
S'ils ne peuvent pas, on fera comme j'ai dit.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 03 mai 2013
THE BEATLES AT WORK
Les Beatles ont donc inventé un univers sonore qui, qu’on le veuille ou non, s’est imposé. Une façon nouvelle d’envisager le monde. Une façon que le LSD (en compagnie d’autres substances relativement fortes en effets divers sur la perception et la conscience) a alimentée sans désemparer. Le tout, quand on écoute la musique produite dans ces conditions, c’est de ne jamais oublier que celles-ci furent le plus souvent chimiques. Histoire de garder un minimum de lucidité sur les effets sensoriels produits, et de ne jamais oublier de quelle tanière les succès sont sortis.
C’est vrai, par exemple, que l'extraordinaire chanson Rain (1966) donne à entendre, en termes de timbres et d’harmonies principalement, quelque chose de nouveau. Il ne faut cependant pas oublier que ce nouveau-là résulte de visions obtenues par l’effet de l'acide D-lysergique, mais que les formes audibles auxquelles elles ont donné naissance ont été mises en forme dans l’élan d’un acte volontaire et parfaitement conscient.
Les poèmes qui viennent au buveur sont magnifiques à celui qui boit, pas à ceux qui l’écoutent. La plupart du temps, l’ivrogne arrive tout juste à bredouiller ou à délirer. Et à faire chier le monde qui l'entoure. Et quand Milton « Mezz » Mezzrow fume de la marijuana de première bourre avant de souffler dans son « biniou » (clarinette), le son qu’il produit n’est extraordinaire qu’à l’intérieur de son crâne. On n’a pas de témoignage des clients de la boîte où il a joué dans cet état (à Chicago ou New York, je ne sais plus, au début des années 1930). Je note : ne pas oublier de relire La Rage de vivre.
Henri Michaux a écrit sous mescaline ? Et alors ? Est-ce que ce sont des chefs d’œuvre ? Ça se discute âprement. De toute façon, qui aujourd’hui est en mesure de dire ce que c’est, un chef d’œuvre ? Personne. Il n’y a plus aucune autorité supérieure pour le décréter, et chacun est renvoyé à son bon plaisir. On a perdu la recette du langage commun qui permettrait d’en décider. Il est interdit de dire : « C’est nul ! » ou : « C’est génial ! ». La loi imposera bientôt de s’en tenir à : « J’aime ! » ou : « J’aime pas ! ». Il y aura un ministère ou un maxistère pour faire respecter le décret. C’est le Progrès, paraît-il. D’abord l’individu !!!
La musique des Beatles résulte peut-être d’expériences « psychédéliques » (pour dire LSD et tout ce qui s’ensuit), elle n’en est pas moins une construction parfaitement élaborée et consciente. Et si les sons ainsi obtenus entrent dans l’esprit et dans la mémoire comme dans du beurre, c’est pour des raisons peut-être en partie chimiques, mais aussi autres que chimiques. Enfin, j’espère. Je n'aimerais pas que les "cognivistes" gagnent la partie. On devine pourquoi.
Il serait en revanche intéressant d’étudier le rapport entre les substances ingérées par les artistes et le chiffre des ventes de leurs disques. Avis aux statisticiens : de quoi faire une belle étude épidémiologique. Car si les compteurs explosaient proportionnellement aux doses absorbées par les musiciens, cela jetterait une drôle de lumière sur l’état nerveux et mental des foules de fans qui fabriquent leur succès et leur apportent la fortune.
Pour comprendre l’effet sidérant de certaines chansons des Beatles, il faut aller trifouiller dans les bidouillages de studio auxquels l’équipe d’enregistrement se livrait avec jubilation, en rivalisant d'ingéniosité. Prenez Rain, par exemple. Pour arriver au son du disque, on commence par enregistrer la piste-témoin à un tempo plus rapide, ensuite on ralentit pour faire baisser à peu près d’un ton. Cela entraîne une altération des fréquences instrumentales.
Je passe sur quelques menus détails, comme le minutieux travail de re-recording et de bouncing. Toujours est-il qu'on arrive à une texture métallique et saturée avec, au centre, la basse de Paul McCartney, poussée en avant à la table de mixage. Ensuite, vous triturez les parties vocales, en particulier au « varispeed », vous les frottez (impression de dissonance) entre elles, alors que la pédale de sol, façon bourdon, reste imperturbable face au do majeur des guitares.
Moralité, pour faire une bonne chanson, certes, il faut que l’imagination musicale du héros ait du talent, mais il faut en plus s’entourer de musiciens avertis, ainsi que d’une batterie de techniciens et d’ingénieurs du son qui s’y connaissent dans le maniement des machines. Quand tout ça est réuni et qu’au surplus, tout ce petit monde fait partie de l’élite des bidouilleurs, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 02 mai 2013
THE BEATLES AT WORK
Eh bien, je réponds : « Les deux, mon général ». Mais quelle était la question, au fait ? Ah oui : « Êtes-vous plutôt Beatles ou plutôt Rolling Stones ? ». Ah bon ? Encore ces vieilles lunes ? Je croyais que c’était dépassé depuis lurette. Encore une fois, il faut de tout pour faire un monde.
Vous voulez la belle tradition du blues, du blues bien gras, bien « roots » ? Avec le son électrique sale et les idées dégénérées de la génération « moderne » ? Mais vous ne voulez pas perdre de vue le génie des bricolages sonores qui ont révolutionné la musique populaire des quarante dernières années du 20ème siècle ? Vous voyez bien que vous êtes obligé de répondre : « Les deux, mon général ».
Aujourd’hui, on se contentera des Beatles. Et l’on ne peut pas laisser colporter la légende tenace selon laquelle les Beatles ont tué Brian Wilson, l’âme des Beach Boys. C’est injuste : ils l’ont juste envoyé à l’asile de fous. C'est authentique : quand Wilson a entendu Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, il a fallu l’hospitaliser pendant vingt ans. Remarquez qu’il avait absorbé assez de substances fortes pour virer barjo sans l’aide de personne.
Une indication qu’il était bien « barré », c’est que les musiciens de l’orchestre symphonique, qu’il avait embauchés pour enregistrer une partie de la future « apothéose » musicale (Smile), furent sommés de se coiffer de casques de pompiers. Ceci pour l’anecdote. Brian Wilson n’aura jamais fait mieux que Good vibrations. Ce qui, après tout, n’est pas si mal.
Je préfère quant à moi le vocalement sublime et superbement ciselé Heroes and villains, que je trouve supérieur, à cause de l'invincible goût de revenez-y que procure cette chanson sans aucune redite, et qui joue les volutes de fumée dans un air dont on voudrait bien saisir le parfum exact, mais fuyant. Une perfection dans le précaire : ça avance sans arrêt alors que l'auditeur voudrait bien s'attarder, lui. Un chef d'oeuvre méconnu de Brian Wilson.
Il reste que les Beatles ont tué la pop music de la fin du 20èmesiècle. Personne ne s’en est remis. C’en est au point que les recettes qu’ils ont concoctées, chanson après chanson, se retrouvent encore aujourd’hui dans les airs à succès. C’est dire que les Beatles ont façonné les oreilles de pas mal de gens. Et ce n’est pas fini. Et ce ne sont pas les tripatouillages électroniques, guitares saturées, métaux hurlants, vocoders (où es-tu, Savage Rose ?) et autres machines qui doivent faire illusion. Les Beatles ont tout simplement épuisé en quelques années, et pour très longtemps, l’intégralité de l’imaginaire musical de l’univers « pop ».
Et tout ça sans bien connaître la musique : ils avaient dans la tête ce qu’ils voulaient entendre, le communiquaient comme ils pouvaient à George Martin qui, étant musicien, s’efforçait de bricoler ce qu’il fallait pour arriver au résultat souhaité.
Il faut préciser que jusqu’à Rubber Soul, à mon goût, les Beatles sont un bon groupe de rock qui, à l’occasion, sait inventer des mélodies renversantes. Pas plus. Et puis arrive Revolver et, dans la foulée, Sgt Pepper’s, et alors là, je le dis sans emphase et en toute simplicité : le monde a changé. C’est aussi raide que ça. Les autres peuvent avoir du talent, c’est sûr, ils peuvent quand même aller se rhabiller.
Car il y a une différence entre produire A Whiter shade of pale (que Lennon avait sur sa table de chevet) et, sur un seul album (Revolver), ne produire que des tubes. Sans parler de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club band.
A partir de Revolver, et jusqu'à leur disparition, les Beatles n'ont apporté à nos oreilles que de l'innovant. Chaque chanson nouvelle était nouvelle : ce n'est pas courant ! Enfin j'exagère. Il se trouve (pas par hasard) que là, c'était vraiment du nouveau. A ce moment-là, si tu voulais de l'innovation, tu achetais Revolver !
Que restait-il aux minots qui arrivaient dans le métier, après ça ?
Voilà ce que je dis, moi.
PS : Smile, voulu et composé par Brian Wilson, est sorti en 2011 et, pour être franc, c'est du Beach Boys, bien reconnaissable, avec la signature maison pour l'univers sonore et quelques trouvailles, sauf que, musicalement, il est fait de pièces et de morceaux qui partent un peu dans tous les sens. Pas de quoi se relever la nuit pour avaler cette conserve de soupe assez fade.
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mercredi, 01 mai 2013
DU CÔTE DES GENTLEMEN CAMBRIOLEURS
C’est entendu, il y a littérature et littérature. D’aucuns le contestent d’ailleurs. D’autres parlent avec une certaine condescendance de littérature et de « sous-littérature ». Moi je dis qu’il faut de tout pour faire un monde. Je ne suis pas comme ces esthètes qui ne jurent que par le quatuor à cordes, et fichent le camp avec une grimace de dégoût dès qu’ils croient entendre de l’opéra ou de la symphonie (ceci est un message personnel, mais il sait ce que j’en pense).
Prenez n’importe quel bouquin de Georges Simenon, Maigret ou autre. Vous l’ouvrez, vous passez un bon moment, vous le refermez, vous l’oubliez. Voilà déjà quelque chose d’acquis : un peu de « sous-littérature », ça ne peut pas faire de mal. Et ça ne vous encombre pas la mémoire. Il ne viendrait à l’esprit de personne en général, et de Fabrice Luchini en particulier, d’apprendre par cœur Les Gens d’en face (1932, la même année que Voyage au bout de la nuit), parce que l'auteur lui-même serait très étonné que son ouvrage recélât des richesses poétiques insoupçonnées. Peut-être à l'insu de son plein gré ?
Prenez n’importe quel Arsène Lupin, maintenant. Notez qu’on ne se réfère qu’exceptionnellement au nom de Maurice Leblanc : un cas intéressant de personnage dont le lustre éclipse la personne de celui qui l’a fabriqué.
J’ai dévoré tous les Arsène Lupin. Une personne proche (coucou, M. !) en détenait la totalité des volumes (reliés en toile imprimée de couvertures d’originaux) sur une étagère de la « petite maison », première chambre à droite en haut de l’escalier. Eh bien je vais vous dire : Arsène Lupin, ça marche. A gauche, c'était la salle de bains. Je dis ça pour ceux qui ne connaîtraient pas les lieux.
J'ai dévoré tous les Arsène Lupin. C’est sûr que je ne les lis plus aussi fraîchement qu’alors, parce que les ficelles m’apparaissent crûment, que le personnage du séducteur voulu par l'auteur est souvent horripilant et que les essais de psychologie auxquels il se livre sont devenus exaspérants. Mais enfin, ça coule comme une bière fraîche dans le gosier, à la terrasse du café principal d’Aiguilles une fin d’après-midi d’été au retour d'une grande bambane sur les sentiers caillouteux (« une pour la soif, une pour le goût »).
J’ai connu un Schotzenberger, un garçon sympathique au demeurant, qui, en dehors des traductions qu’il faisait de Sastro, un auteur espagnol, avait dépensé des trésors d’éloquence et d’argumentation, en présence de Roger Bellet, pour démolir Arsène Lupin (personnage, techniques narratives, nouvelles, romans), où il voyait de telles imperfections que tout ça ne pouvait être que raté de chez raté. Bref, on l’aura compris : il était bel et bien fasciné. Piégé. Pour un futur intello, ça la foutait mal. En fait, il voulait se racheter.
J’ouvre un Arsène Lupin de temps à autre. Pour me désennuyer de la lecture de Wilhelm Meister, par exemple. Je ne dirai pas que c’est le fin du fin de la jouissance littéraire. Certes. Mais quand tu es au sommet de l’Everest, tu n’aurais pas l’idée d’habiter là : il faut bien redescendre. Pareil pour le caviar : béluga, sévruga ou osciètre, tu n’aurais pas l’idée d’en faire ton petit déjeuner ordinaire. Au bout d’une semaine de ce régime, rien que l’idée de se lever te donne envie de vomir.
Et puis je vais vous dire, je viens de relire L’Agence Barnett et Cie, et je ne m’en porte pas plus mal. C’est déjà ça d’acquis. Je suis désolé, le match à répétition qui se joue entre Jim Barnett et le policier Béchoux me ravit. Jim Barnett est détective privé bénévole, faut-il le préciser ? Il ne se fait pas payer. Mais à la fin, allez comprendre, au nez et à la barbe de Béchoux (qui aimerait bien le coffrer), il se retrouve plus riche qu’avant, parce qu'il a réussi à barboter quelque chose au méchant de l'histoire. Béchoux est flic, j'avais oublié de le préciser. Même que Barnett s'offrira quinze jours de voyage sentimental avec Madame Béchoux. Moralité : c'est dur d'être flic.
Les Huit coups de l’horloge, ça me plaît bien aussi. Huit nouvelles mystérieuses pour les beaux yeux d'une jolie femme qui, ne voulant pas céder à Lupin sans combattre, le met au défi de résoudre autant d'énigmes. Des ordres impérieux auxquels il défère de bonne grâce, et toujours avec une grande classe.
La Barre-y-va est un roman bien fait, quoi qu’un vain peuple puisse récriminer. C’est sûr que les cheveux de la logique se font un peu tirer : Guercin, le gendre félon de M. Montessieux, se fait flinguer sans qu’il y ait crime. Heureusement, Leblanc ne s’appesantit pas sur les détails techniques du mécanisme mis au point par le beau-père pour tuer celui qui voudrait s’approprier la source d’où coule sa poussière d’or. Le génie de Raoul d’Avenac mettra bon ordre dans l’embrouillamini, et en plus il mettra au jour le tas d'or qui datait des Romains. Il faut oser raconter ça, mais quand c'est bien fichu ...
Victor de la brigade mondaine est un roman à ficelle, bien sûr, mais qui garde un certain charme. On sait très vite que Victor est Arsène (pardon de dévoiler le poteau rose), et inversement, mais malgré les tours de passe-passe, le récit est efficace, et on avale la salade sans se poser trop de questions. On sait très vite que Bressacq n’est pas digne d'être Arsène Lupin, pour la raison simple qu’il tue (ou fait tuer), ce à quoi ne saurait descendre l’âme noble de notre gentleman cambrioleur.
On passera rapidement sur L’Homme à la peau de bique (pompé par-dessus l’épaule d’Edgar Poe quand il écrivait son Double assassinat rue Morgue) et sur Le Cabochon d’émeraude (pompé par-dessus l’épaule de Sigmund Freud, à cause du rôle donné à l’inconscient).
Moralité : on peut rester lucide sur les faiblesses, tout en prenant plaisir à suivre les voltiges et les rodomontades de ce personnage qui, qu’on le veuille ou non, reste bien installé au fond de nos imaginaires.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 30 avril 2013
FABULONS UN PEU
CE N'EST PAS BIEN, DUCHESSE MARINA SEMINOVA,VOUS AVIEZ PROMIS A CORTO D'ARRÊTER DE FUMER !
***
On dira ce qu’on voudra : il y a des « classiques » qui tiennent le coup. Prenez La Fontaine. Voilà un bonhomme qu’il est intéressant. Rassurez-vous, je ne vais pas ressortir les éternelles fables qu’on fait apprendre aux petits (mais les apprennent-ils encore ?).
De toute façon – ce qui est d’ailleurs curieux si on y songe – les rengaines de La Fontaine, celles que les adultes croient encore connaître par cœur (on peut toujours essayer), beaucoup sont dans le livre premier des Fables : la cigale, le corbeau, la grenouille, le loup, le rat, le renard, le chêne. Si la tribu n’est pas au complet, on n’en est pas loin. J’en compte 9 qu’on ressasse à l’envi, pas moins. Des vedettes quoi, et qui font de l’ombre à bien des choses intéressantes.
Remarquez, je n’ai rien contre La Cigale et la Fourmi (c’est carrément la première). Mais c’est un peu comme la 40ème de Mozart, le Canon de Pachelbel, l’Adagio d’Albinoni ou Les Quatre saisons de Vivaldi (par les immarcescibles "I Musici" si possible) : au bout d’un moment, ça commence à bien faire. Que voulez-vous, c’est humain : l’habitude émousse la sensation. Enfin c’est ce qu’on dit.
Ce que je veux dire, c’est qu’à la façon de Radio Nostalgie, on repasse toujours les mêmes vieux airs. Des Fables de La Fontaine, on ne connaît que la partie émergée d’une masse qui mérite le détour, et même qui vaut le voyage. Rendez-vous compte qu’il y en a 240 au total. Deux cent quarante, sans compter divers compliments, adresses et flatteries à quelques notabilités du moment.
Personnellement, j’aime bien Les Deux Pigeons (livre IX), très connue pour son début (« Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre »). Mais ce que j'en préfère, c’est la fin : une des très rares fables où l’auteur « fend la carapace » dont il se cuirasse partout ailleurs.
« Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ? ».
Magistral coup d’œil dans le rétroviseur, en même temps qu’inquiétude de l’avenir.
On n'est pas obligé de faire un détour par la chanson de Gérard Manset (c'est dans La Vallée de la paix) : « Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre Mais le filet peut bien se tendre Tout est gibier qu'on plumera Y a-t-il un bonheur ici-bas ? ». C'est plus du piratage qu'un hommage, dirai-je avec tout le respect que m'inspire l'art de Monsieur Manset.
Aujourd’hui, je voudrais en proposer une, qui n’est pas à dire vrai dans les oubliettes, mais qui gagne à être lue avec gourmandise. C’est une fable pleine de sel, d’ironie – peut-être même dotée d’une touche de misogynie, diront certains. Personnellement, je crois que son propos dépasse les femmes pour s’étendre à l’espèce humaine, à travers un de ses traits marquants : « La vie continue », comme disent tous ceux qui viennent de perdre un être cher.
XXI
LA JEUNE VEUVE
La perte d’un époux ne va point sans soupir.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du temps, la tristesse s’envole ;
Le Temps ramène les plaisirs. Entre la veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande : on ne dirait jamais
Que ce fût la même personne.
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
C’est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.
L’époux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler,
« Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. – Ah ! dit-elle aussitôt,
Un cloître est l’époux qu’il me faut. »
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe.
L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
« Où donc est le jeune mari
Que vous m’avez promis ? », dit-elle.
Je ne sais pas vous, mais moi, le passage que je préfère est celui où l’épouse crie à son mari qu’elle veut mourir avec lui, et que La Fontaine conclut par : « Le mari fait seul le voyage ». Tout La Fontaine est dans ce vers brutal, sobre, efficace, exemplaire. Cette fable et ce vers, j’aimerais bien les entendre dits par Fabrice Luchini, tiens.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 29 avril 2013
UN CHEF D'OEUVRE DE LA BD
DANS LA CACHETTE (ILS ONT ECHAPPE AUX POLICIERS), BLANCHE-NEIGE N'A PLUS UN POIL DE SEC
***
Silence est un roman, un vrai. Avec son protagoniste éponyme, ses personnages importants, les secondaires, que l’on devine tous avec des psychologies frustes, mais des histoires personnelles complexes, voire embrouillées. De vrais personnages qui existent avec force.
"LA MOUCHE" EST DANS LE BOCAL
L’action se passe dans les Ardennes (Comès est belge, évidemment, comme tous les grands de la BD). Il faut accepter d’entrer dans le jeu : il y aura de la sorcellerie, et qui marche ! Et pas besoin d’appeler à la rescousse Les mots, la mort, les sorts, le célèbre livre de Jeanne Favret-Saada, pour avoir confirmation que ça existe. On est quasiment chez les sauvages.
ON DIRA CE QU'ON VOUDRA : DIDIER COMÈS EST UN ARTISTE
Silence, l’idiot du village, est le valet de ferme d’Abel Mauvy, le plus gros propriétaire, sans scrupule, de Beausonge (oui, le nom, bof !), à qui nul n’oserait s’en prendre. Silence est muet et simple d’esprit, tout juste écrit-il quelques mots sur une ardoise. Mais comme tel, il est proche des forces premières (les vipères, par exemple), dont l’esprit circule dans l’atmosphère.
LA SORCIERE FAIT LE PREMIER PAS (SI ON PEUT APPELER ÇA UN PAS)
Les autres personnages sont le Toine, un paysan voisin de Mauvy ; La Mouche, vaguement sorcier, mais qui aura à faire à trop forte partie pour ses petits pouvoirs ; Julio, le directeur de cirque ; Zelda, la naine qui fait montreuse de serpents dans le même cirque, et dont Julio est amoureux (en vain).
L'ANTRE DE LA SORCIERE
Et puis il y a « La Sorcière » qui, entre parenthèses, en dehors d’avoir un beau cul, mérite bien son surnom, et qui veut se venger des gens de Beausonge, pour des raisons anciennes, entre autres parce qu’ils lui ont autrefois crevé les yeux. Mais ils ne savent pas qu’elle n’a pas besoin d’yeux pour « voir ». Enfin il y a Blanche-Neige ! C’est un nain, vaguement bandit, que Silence découvre dans la prison où on l’envoie. Un personnage improbable et formidable.
LES DEUX COMPAGNONS DE CELLULE
Car on envoie Silence l'innocent en taule pour le meurtre de la « Sorcière », que l’immonde Mauvy a commis en le faisant accuser. Silence n’avait bien sûr aucune raison de tuer la sorcière, car « Silence è genti ». C’est vrai que Mauvy a raison de se méfier de la sorcière. Il le sait, c’est d’ailleurs pour ça qu’il fait appel à La Mouche, qui concocte pour lui un crapaud spécial qui doit achever cette femme qui veut sa mort. Malheureusement pour lui, grâce à Silence, elle en réchappe.
LE SORT JETÉ PAR "LA MOUCHE" A BIEN FAILLI REUSSIR
Elle se venge d’abord de La Mouche, qui finit suspendu par le cou à une corde pour s’être cru victime d’une attaque massive d’araignées. Puis elle fait mourir des vaches, elle fait brûler des granges, elle rend malade le Toine. Le curé et le médecin s’avouent impuissants. Et puis, quand elle veut faire mourir Abel Mauvy, Silence jette au feu l’œuf ensorcelé, car « Silence è genti ».
"LE MAGE" EN PLEINE ACTION DE MEDIUM
En prison, Silence rencontre les fous : c’est une prison-asile. Un soir, l’un d’eux est pris d’une transe divinatoire et, avec la voix de la sorcière, lui révèle le moyen de découvrir toute la vérité : en respirant la fumée de certains champignons, grâce à quoi il devient extralucide. Le nain, copain de Julio et de Zelda, s’évade de l’asile une nuit de Noël, mais en compagnie de Silence, pour lequel il s’est pris d’affection.
C'EST ABEL MAUVY, LE MECHANT, QUI EST DU MAUVAIS CÔTÉ DU FLINGUE
Mais juste au moment d’accomplir la vengeance contre Abel Mauvy, Silence redevient « genti » (l’effet des champignons est dissipé). Tout ça finit mal, évidemment, à coups de destin et de fatalité (il paraît que ce n’est pas pareil). Qu’on se rassure, le méchant est puni. Qu’il se prénomme Abel, pourquoi pas ? Qu’il se nomme Mauvy est plus en accord, car c’est lui qui incarne le Mal, dans cette histoire.Au total, un vrai roman, je vous dis. Et servi par le trait d’une sorte de génie de la chose.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 28 avril 2013
UN CHEF D'OEUVRE DE LA BD
SILENCE EST-IL VRAIMENT MUET ? BLANCHE-NEIGE VEUT EN AVOIR LE COEUR NET.
***
A propos de Bien et de Mal, j'ai envie aujourd'hui de parler d'une BD où les deux frères ennemis s'affrontent en un combat terrible et violent. En même temps, je voudrais rendre hommage à une sorte de génie de ce que certains, soucieux de reconnaissance officielle (en attendant peut-être la Légion d'Honneur) appellent emphatiquement le 9ème art : il s'appelle DIDIER COMÈS.
ENTRE SILENCE ET LA SORCIERE, C'EST LE GRAND AMOUR
Sale temps pour la planète BD. J’ai récemment parlé de Fred, mort le 2 avril, le grand Fred, le père de Philémon. J’ai le tort d’avoir passé sous silence (c’est le mot exact, comme on verra) la mort de Didier Comès, survenue pourtant un mois avant (le 7 mars). C’est sûr que Comès, en regard du phénomène Philémon, dispose d’une surface médiatique nettement plus restreinte.
LIBÉRATION DU 8 MARS
La différence est grande. D’abord par le fait que Didier Comès n’a jamais imaginé un héros de série. Fred non plus, au départ, n’avait pas fait Philémon pour exploiter un filon. Il le dit dans la biographie que lui a consacrée Marie-Ange Guillaume :
"LA MOUCHE" EN VOIT, DES ARAIGNEES
« Quand tu fais Le Naufragé du A, tu sais déjà que tu m’emmèneras dans d’autres albums ? – Pas du tout ! J’aimais bien ton personnage, mais je ne pensais pas aller si loin avec toi. C’est grâce à un petit lecteur de dix ans que j’ai continué. Il m’a écrit une lettre où il me demandait : ″ Monsieur Fred, pourquoi Barthélémy le ″puisateur″ (sic) n’est pas remonté du A de l’Atlantique à la fin de votre histoire ? ». Ça m’a donné envie de t’envoyer chercher le ″puisateur″ » (p. 100). Il faut comprendre que c’est Philémon qui s’adresse à Fred. On peut ne pas apprécier le procédé.
L'EVASION DE BLANCHE-NEIGE ET SILENCE
C’est vrai aussi que Comès avait démarré une série, avec son Ergün l’errant, bien dans la veine d’un fantastique qui se faisait beaucoup à l’époque, mais après le deuxième épisode, il a laissé tomber. Peut-être que ça l’assommait, peut-être qu’il avait déjà ses autres idées en tête – et quelles idées ! – (série reprise ensuite pas Benoît Peeters et Deubelbeiss, mais dans un tout autre esprit). Le Maître des ténèbres laissait libre cours à un dessin virtuose et somptueux, mais envahi par une surcharge baroque étouffante.
"LA MOUCHE" DANS LA CAMPAGNE
L’idée même de série, de toute façon, n’est pas évidente. Car même dans la série Philémon, j’ai honte de l’avouer, je trouve qu’il y a à boire et à manger, et que certains épisodes (en allant vers les derniers) sont moins, disons pour rester gentil, « inspirés ». Il y aurait beaucoup à dire, mais ce sera pour une autre fois.
JULIO, DIRECTEUR DU CIRQUE DE LA GAIETÉ
Non, si une seule œuvre suffisait pour que le nom de Didier Comès restât inscrit en lettres de feu au firmament de la bande dessinée (ça c’est pour montrer qu’aucune image à la noix, aucun stéréotype éculé n’est hors de ma portée), ce serait Silence. J’ai suivi Comès quand il a fait La Belette, j’ai eu plus de mal ensuite, peut-être parce que ça devenait un peu compliqué. Il ne faut pas confondre "complexe" et "compliqué". Moi, j'aime qu'on reste simple, surtout dans le complexe.
ZELDA, LA NAINE MONTREUSE DE SERPENTS
Silence, dans son genre, est un livre insurpassable, unique. Dans un autre domaine, qu’est-ce qu’une chanson réussie ? Une certaine adéquation entre la poésie d'un texte et les moyens musicaux qui la mettent en scène. Dans la bande dessinée, c’est exactement le même problème : il faut que les moyens mis en oeuvre épousent étroitement l'esprit de ce qui est raconté. Avec Silence, Didier Comès a magistralement résolu l’équation : les moyens dont il se sert pour raconter son histoire entrent avec celle-ci dans une adéquation miraculeuse.
LA MAISON DE LA SORCIERE
Les moyens ? Un noir et blanc épais, violemment contrasté, zébré de traits posés à la pointe de l’épée. A l’arrivée, un roman brutal, primitif. Aussi primitif que la communauté rurale dans laquelle l'action est censée se situer.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 27 avril 2013
LE MAL ? Y EN A PLUS !
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Pour finir d’éponger le bol de soupe que j’ai renversé ici il y a une semaine et qui risque de s’étaler à n’en plus finir, ce qui rendrait la chose assommante, je vais revenir à mon petit René Girard, et à son hypothèse magistrale sur le sacrifice rituel dans les sociétés humaines (voir ici même, 22-23 avril). Il faut bien dire que La Violence et le sacré enfonce de première force le trop célèbre Totem et tabou de Sigmund Freud, livre que, soit dit en passant, Elias Canetti détestait cordialement.
Le sacrifice rituel, donc, permet à la société d’évacuer la violence intestine qui s’accumule forcément dans la collectivité, en la dirigeant sur un seul, et de rétablir ainsi l’unité et la stabilité du groupe. Cette violence découle d’un processus d’indifférenciation entre ses membres, du fait du mimétisme du désir : je désire « naturellement » un objet désigné comme désirable par le fait qu’un autre le désire, et ce faisant, je deviens en quelque sorte, sa copie conforme, mais aussi son rival. Selon cette hypothèse, c’est le seul fait de vivre en société qui fabrique ce mécanisme, et aucune, par conséquent, ne saurait y échapper.
Si l’hypothèse de René Girard est valide, l’indifférenciation des individus débouche sur la violence intestine, à laquelle on ne peut échapper si l’on n’y remédie par des cérémonies rituelles auxquelles adhère l’ensemble de la société. Cette ère semble définitivement révolue, car nous vivons à celle du progrès technique, de la consommation, de la démocratie et de la société de masse.
Il n’est pas sûr, cependant, que le mécanisme mis au jour par René Girard, soit de ce fait obsolète. Qu’est-ce que nous avons ? Le Code Pénal ? Il ne fait peur qu’à ceux qui sont déjà des obéisseurs. La justice est elle un rite au sens ancien ? Quelle farce ! Elle est impuissante à purger la haine accumulée. Il n’y a qu’à voir le folklore des « marches blanches » inaugurées lors de l’affaire Dutroux.
Alors quoi ? Eh bien, mes bien chers frères, je vous le dis, il faut accepter que le Mal vive parmi nous, en liberté. Puisque nous n’avons plus de rite pour l’expulser, nous devons vivre avec le Mal. Tout ce qui nous semble étranger fait désormais partie de nous-mêmes. Et il faut se résoudre définitivement à ce que le « vivre-ensemble » soit renvoyé dans un hypothétique passé (il n’est pas sûr que les hommes aient jamais su vivre en société), et rayé de l’avenir.
Mais il faudra sans doute, si l’on accorde quelque crédit à l’hypothèse de René Girard, s’accoutumer à la banalisation de la violence. L’individu ayant disparu, dissous dans la masse, il est devenu interchangeable. Qu’on se le dise, n’importe quel individu aujourd’hui en vaut n’importe quel autre. Pour une raison qui commence à être évidente : l’individu est en trop.
Chacun vit, certes, chacun éprouve, chacun aime et déteste, chacun souffre et chacun se démène, mais tout ça n’a désormais plus aucune importance. Philippe Muray a écrit quelques volumes intitulés Après l’histoire. Mais lui, il avait compris avant tout le monde. J’exagère, quelques-uns l’ont compris bien avant (Günther Anders, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, …).
A l’époque où l’on change les mots, le sens des mots et les dictionnaires pour signifier le contraire de que ça signifiait hier, à l’époque où la novlangue a triomphé (cf. Victor Klemperer, George Orwell et quelques autres), tout est devenu possible. Et surtout n’importe quoi. A l’époque où l’humanité dynamite l’individu en proclamant sa toute-puissance, il n’y a plus, hormis les structures légales, de quoi « faire société ».
Et s'il n'y a plus de rites pour organiser la « vie en société », c'est peut-être parce qu'il n'y en a plus, de « société ». Certes, il y a bien des structures, mais c'est comme notre squelette : pour que ça fasse un corps, il faut de la chair, du sang, - de la vie, quoi !
Pourquoi croyez-vous que la violence tend à s'accroître dans les rapports sociaux ?
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 26 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (6)
CECI EST LA UNE DE LA GUEULE OUVERTE N°22 D'AOÛT 1974
IL AVAIT UNE SACRÉE BONNE VUE, PIERRE FOURNIER : DOMMAGE QU'IL SOIT MORT (15 FEVRIER 1973) JUSTE APRÈS LE N°3, IL AURAIT PU EN AJOUTER UNE PALANQUÉE, PARCE QU'AUJOURD'HUI, LA MINORITÉ PULLULE, PIRE QU'UNE VEROLE !
CE SONT MÊME LES "MINORITÉS" QUI FONT LA LOI !
***
Où en étions-nous ? Ah oui, aux époques obscurantistes où les gens étaient autorisés à défouler leurs peurs, leurs jalousies, leurs haines sur de pauvres êtres sans défense, qui avaient le malheur d’être différents, soit physiquement, soit socialement, soit autrement. C’était très bien comme ça, finalement, parce que ça rassurait la population, qui savait, en quelque sorte, situer et nommer le Mal.
Finalement, c’est pratique, d’avoir une figure du Mal sous la main, comme soupape de sécurité. Quand la pression monte dans la cocotte-minute sociale, on lâche un peu les chiens, et puis la paix revient. Quand on gouverne, il est recommandé d’avoir un petit bouc émissaire sous la griffe pour pouvoir fomenter un petit pogrom en cas de mauvaise récolte.
Et puis ça fait un peu de viande dans les assiettes des enfants, les protéines, c’est bon pour la croissance. Alors un petit pogrom par-ci, pour garder la forme, un petit lynchage par-là, pour motiver les troupes, ça finissait par faire une tradition. C’était bien utile.
Je dis ça, parce qu’aujourd’hui, c’est fini. Nous ne savons plus nommer le Mal, le situer, le regarder. C'est simple, il est partout. Evidemment, nous ne savons plus le chasser hors de nous. Nous avons perdu la recette. Et nous avons banni toutes les autorités qui se chargeaient des opératios d'exorcisme. Le 20ème siècle, en faisant de l’innovation technique l’Être Suprême de l’humanité, a soudainement laissé le Mal courir où il voulait, et du coup, il l’a perdu de vue.
La conséquence ? D’abord la guerre de 1914-1918, évidemment. Prenez un gros hachoir à viande, mettez-y quelques millions de bonshommes en état de marche, c’est sûr qu’il en sort un gigantesque hachis parmentier, avec une couche de viande entre deux couches de bonne terre agricole. Cela dit, il n’est pas prouvé que l’acier et le plomb soient des fertilisants, ni qu’une fois les hommes fauchés et la terre labourée par l’artillerie, on puisse faire pousser des comestibles. Enfin, avec le temps, on doit pouvoir y arriver.
Ensuite ? La guerre de 1939-1945, avec d’un côté, les Juifs envoyés à l’usine (une très très grande usine), de l’autre, les Japonais bourrés de dragées de baptême (un foutu baptême). Avant le 20ème siècle, les hommes ont certainement rêvé d’anéantir leurs ennemis, malheureusement, les moyens techniques de réaliser leurs projets grandioses leur faisaient défaut.
Le 20ème siècle a procuré aux plus cinglés des humains les moyens concrets d’éliminer tous ceux qui étaient à leurs yeux surnuméraires. Ne jamais oublier que la guerre de 14, la bombe et le génocide des Juifs et des Tziganes furent des entreprises rendues possibles par le triomphe de la technique.
On dira ce qu’on voudra, mais l’ingénieur en général, et le moteur à explosion en particulier, ont fait énormément pour l’expansion du Mal, sa diffusion, sa dispersion dans l’atmosphère. Avec un exposé des motifs aux aspects innocents et imparables : « Ce n’est pas la technique qui est mauvaise, mais l’usage que les hommes en font ». La belle affaire ! Comme si ça innocentait l’ingénieur et le moteur à explosion !
Braves gens, n’accusez pas le scientifique et le technicien : ils sont neutres ! C’est bien connu chez les comiques professionnels : tous les ingénieurs du monde ont la nationalité suisse ! Et pour les adeptes de la Bible, on dira que tous les techniciens sont des Ponce Pilate. On reconnaît ces derniers à la propreté de leurs mains, vu qu’ils passent leur temps à se les laver.
Reste que le 20ème siècle a vu le Mal prendre son autonomie et voler de ses propres ailes. Il est devenu une machine, au point d’en devenir machinal. Quelqu’un a même pu écrire un Rapport sur la banalité du Mal. Elle s’appelait Hannah Arendt, et l’ouvrage s’intitulait Eichmann à Jérusalem.
Je pourrais aussi proposer une autre formulation du problème tel qu’il se pose à nous aujourd’hui. Que penseriez-vous de celle-ci : « Tout ce qui est inhumain est humain » ? Ou alors : « Rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger » ? C'est fini, il n'y a plus de monstres. Dit autrement : tous les monstres sont des hommes d'apparence normale. Qu'est-ce qui m'empêcherait d'en être un ?
Je trouve que ça correspond assez bien à la figure prise aujourd’hui par l’espèce humaine pour lui servir de visage.
TOUT CE QUI EST INHUMAIN EST HUMAIN
Espérons que, dans l'avenir, qu'il soit proche ou lointain, nous n'aurons pas à inverser les deux adjectifs.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 25 avril 2013
LE SI DOUX VISAGE DU MAL
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Détendons-nous un moment. Montrons que nous savons profiter des bons moments que nous offre l'existence. Faisons une petite pause et sortons en récréation. Ça nous changera un peu. Prenons le temps, puisque nous sommes dans la nature, de nous pencher sur le merveilleux monde des petites bêtes, sur cet univers chaleureux dont notre monde mécanique et bétonné est si dramatiquement dénué, sur ces adorables petits animaux de compagnie, qui nous donnent, jour après jour, une affection qu’ils ne songent jamais à mesurer, et dont ils n'attendent nulle contrepartie.
UNE JOLIE DAME PROMÈNE SES ANIMAUX DE COMPAGNIE
Penchons-nous sur l’existence des poux en général, et sur une catégorie particulièrement attachante de ces bestioles :
j'ai nommé le MORPION.
Morpion : Le morpion (phtirius pubis) est un hémiptère dégradé de la famille des pédiculidés, court et ramassé, avec de fortes pattes terminées par des griffes puissantes. Il vit sur la peau où il se cramponne à l’aide de ses griffes, enfonçant son suçoir profondément dans la peau. Chez les individus sales, il pullule, gagne les poils de la poitrine, s’implante dans la barbe et jusque dans les sourcils, mais il ne vit jamais sur le cuir chevelu. Ses œufs, allongés en poire, sont fixés aux poils par un liquide gomineux. On détruit ces parasites avec des lotions de sublimé corrosif très étendues, traitement préférables aux onctions mercurielles (onguent napolitain et onguent gris). (Nouveau Larousse Illustré, édition de 1897-1903.)
On aura noté que le mot "pubis" n'apparaît que sous son aspect latin, et que sa signification pileuse et basse est tout platement et uniment effacée. On aura aussi noté que le morpion, au moins en apparence, dédaigne d'infester l'anatomie féminine, injustice profonde que la photo ci-dessus contredit avec bonheur. On aura enfin noté les préoccupations hautement hygiénistes des auteurs, qui se sont engagés dans une saine lutte pour la généralisation des salles de bains.
Tout ce qui s'appelle Larousse se fait, il est vrai, une idée tout à fait majestueuse de la pudeur, qu'il s'en voudrait d'effaroucher en venant à effleurer ses parties intimes. Mais comme ce blog ne se préoccupe que de vraie science, il est de notre devoir de compléter notre documentation en nous tournant vers de véritables autorités en la matière : les médecins.
Pou (s. m., pl. poux, du lat. pedis ; angl. louse, lice) : Insecte aptère, hématophage, parasite de l’homme. Il en existe trois espèces : Pediculus capitis, pou de tête, Pediculus corporis, pou de corps et Phtirius inguinalis, le pou de pubis ou morpion, de forme plus ramassée. Le pou détermine une dermatose prurigineuse, appelée pédiculose ou phtiriase (v. ce terme), et peut d’autre part transmettre diverses maladies infectieuses : le typhus exanthématique, la fièvre Q, la fièvre récurrente cosmopolite et la fièvre des tranchées. (Garnier & Delamare, Dictionnaire des termes de médecine, 29ème édition, 2006.)
Après avoir noté que le morpion a changé de famille, passant de celle des hémiptères à celle des aptères (« Un peu de science éloigne de l'absolu, beaucoup de science en rapproche »), achevons notre petit tour de petit horizon en nous interrogeant sur un des principaux bienfaits que nous procure le pou en général, et le morpion en particulier.
Phtiriase (s. f., gr. phtheir, φθειρ, pou ; angl. phthiriasis). Dermatose prurigineuse provoquée par la présence, sur une partie du corps ou sur toute sa surface, d’un grand nombre de parasites appartenant à l’une des trois espèces de poux, Pthirius inguinalis ou Phtirius pubis, le pou du pubis ou morpion.
Voilà, Madame, voilà, Monsieur, en quelques mots, un panorama de ce que sont en mesure d’apporter à l’espèce humaine, si souvent et si profondément coupée de ses origines, les petits coins de nature qui subsistent encore tout près de nous, pourvu que nous apprenions à les apercevoir, à les apprécier et à leur faire une place dans notre vie quotidienne. Disons merci au morpion, et entonnons cet hymne impérissable que tous nous chantâmes, entre jadis et naguère :
« De profundis, morpionibus … ».
Rendons à César ce qui est à César, et au morpion ce qui est à tout le monde.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 24 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (5)
QUELQUES-UNS QUI L'ONT OUVERTE, LEUR GUEULE
(DU TEMPS DE PIERRE FOURNIER)
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Alors c’est sûr que la mort du Christ a amené l’humanité à renouveler radicalement sa représentation du Mal. Cela dit, il s’en faut de beaucoup que l’Eglise catholique ait appliqué à la lettre le message. On peut même dire qu'elle s'y est opposée farouchement. A commencer par l’instrumentalisation grossière de l’opposition Dieu / Diable : à droite les bons, à gauche les méchants, même si Dante Alighieri, dans La Divine Comédie, fait suivre à ses héros un chemin plutôt vertical.
Je pense évidemment au sort des femmes qui décidaient de vivre seules pendant toute une période du moyen âge et qui, libres de la tutelle d’un homme, étaient suspectes de commerce avec le diable. Il n’était pas rare qu’elles se fissent (oui) traiter de « sorcières » (sur le sujet, voir Jules Michelet, La Sorcière), mais aussi brûler très concrètement pour ce même motif.
Je pense aussi aux deux personnages de nains dans le roman Tristan et Iseult (12ème siècle) : Frocin et Bédalis. Celui de la dénonciation et celui de la lance empoisonnée. Pour le coup, en voilà des carrées, des incarnations du Mal. Heureusement, ils subiront tous les deux le sort réservé aux méchants. Au lieu de naître nains, ils n’avaient qu’à être comme tout le monde.
L’époque n’était guère favorable au triomphe des méchants, n’hésitant guère à « stigmatiser » scandaleusement des « minorités visibles ». Eh oui, les rôles étaient bien partagés, bien différenciés : les tares physiques reflétaient forcément les âmes les plus noires. J’ai évoqué récemment l’immonde cloporte Zachée surnommé Cinabre imaginé par ETA Hoffmann.
A l’époque, plus tu es malformé et plus tu es laid, plus tu es haï de Dieu (donc des hommes). Comme représentation, c’est vraiment tout confort. A croire que des déchets de mentalité primitive ont été recyclés dans le soubassement des tréfonds des bases du socle des fondations de la civilisation occidentale. Tout y est passé : la femme seule, le bossu, le crétin des alpes, bref, tout ce qui était assez semblable pour être catalogué "humain", mais pas assez pour être vraiment pareil. Assez pour que les villageois puissent s’identifier, pas assez pour être assimilable. Une condition pour postuler à l'emploi de "victime".
Et ça a duré, duré, duré. Regardez les westerns d’avant Sergio Leone, le bon et le méchant sont immédiatement identifiables. Et pas seulement les westerns. L’équation est simple : le bon est beau et le méchant est laid. Je crois même qu’on pourrait dire que le méchant est crevassé et que le bon est lisse. Ou encore que le bon est blanc cheveux blonds, et le méchant blanc ou pas blanc, cheveux bruns (il y a des variantes). Ce qu’on voudra : riche / pauvre, indien / cow-boy, primitif / civilisé (Robinson Crusoé), musulman / chrétien, baptiste / méthodiste, nordiste / sudiste, ….
Ce n’est pas comme chez le père Goethe : moi qui viens de lire son épouvantable pensum intitulé Wilhelm Meister, je peux vous dire qu’on ne trouve, sur les 1000 pages à se farcir, strictement aucun personnage pour incarner le mal. C’est très curieux, d’ailleurs. Que du positif.
Les seuls néfastes sont la bande de brigands jamais identifiés qui attaquent la troupe de théâtre. A tout casser, ça prend une dizaine de pages, juste un courant d’air momentané. Pour tout le reste, qu’on se le dise : on est chez les bons. C’est pour ça que Wilhelm Meister ne raconte rien, qu’il n’y a pas d’histoire à proprement parler.
Tous les personnages dotés d’un prénom dans le roman sont du bon côté du manche, ou alors, s’ils n’y sont pas, ils ne vont pas tarder. Les gars sont « bien bâtis », « d’agréable tournure ». Chez les filles, c’est pareil, même Philine finira en bonne mère, pour vous dire. Je préciserai : "presque pareil", car Goethe trouve le moyen d’en faire passer trois de vie à trépas (Marianne, Aurélie et Mignon), on ne sait d'ailleurs pas bien pourquoi. A part cette (bien modeste) anicroche, Wilhelm Meister est un indécrottable militant du Bien.
C'est assez pour bouter le roman, sinon hors de la littérature, du moins hors du roman.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 23 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (4)
UN QUI L'A OUVERTE, SA GUEULE
(DESSIN DU REGRETTÉ PIERRE FOURNIER)
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Je disais donc du bien de La Violence et le sacré, grand livre de René Girard, et je laissais entendre qu’ensuite, ça se gâtait. Mais on peut déjà faire un reproche à l’auteur, à propos de son maître-livre, c’est de ne pas se prendre pour un flacon d'urine éventée. Franco de port, il ne vous l’envoie pas dire : sa théorie du désir mimétique et de la victime émissaire est tout simplement "révolutionnaire". Elle envoie à la poubelle, en même temps qu’aux oubliettes, toute la psychanalyse de Papa Freud.
Mieux : elle l’englobe ! Pour vous dire la supériorité de son « pouvoir heuristique », comme on dit à l’université, pour dire qu’une théorie parvient à expliquer d'un seul jet homogène un ensemble de phénomènes éparpillés, que l’état précédent des connaissances ne permettait d’aborder qu’en ordre dispersé.
Remarquez que j’avais demandé (c’était entre deux portes, il est vrai) au père Denis Vasse, psychanalyste renommé, ce qu’il pensait des travaux de René Girard. Il m’avait regardé, puis m’avait répondu (je cite de vieille mémoire et en substance) : « Mais c’est qu’il ne s’occupe de rien de ce que nous faisons ». Circulez, y a rien à voir ! Un partout la balle au centre.
J’aurais quant à moi tendance à me méfier davantage de Girard que de la psychanalyse, et pour une raison précise : avec, et surtout après la publication de Des Choses cachées depuis la fondation du monde, il a viré au militant chrétien. Je précise que Denis Vasse était prêtre jésuite, mais n'a jamais confondu sa foi avec les choses de la science. Je n'en dirai pas autant de Girard. Chacun fait ce qu’il veut, mais quand on est militant, cela jette un drôle de jour sur l’objectivité des savoirs établis à l’université, qui sont davantage faits pour enrôler les adeptes d’une croyance que pour former des esprits à la méthode scientifique.
Je ne prendrai comme exemple que Judith Butler, militante avouée de la cause lesbienne, avec sa théorie du « genre ». Soit dit par parenthèse, on peut s’étonner que les affirmations qui forment le socle du « genrisme », et qui enfoncent les vieilles portes ouvertes du vieux débat « nature / culture », aient contaminé aussi facilement autant de soi-disant bons esprits, dotés d'un soi-disant bon sens, lui-même soi-disant rassis.
On s’étonne moins quand on voit que la théorie du genre sert de drapeau à tous les militants de la « cause » homosexuelle : nulle objectivité là-dedans, mais une arme, et une arme aux effets dévastateurs, car son champ d’action est le langage lui-même, le sens des mots et la façon dont ils désignent les choses. Les adeptes, ici, obéissent au raisonnement : « Puisqu'on ne peut pas tordre les choses, commençons par tordre les mots ». Et on peut dire qu'ils ont réussi, au-delà de toutes leurs espérances, à les tordre, les mots. Regardez ce qu'ils font aujourd'hui, au nom de l' « ÉGALITÉ » !
Revenons à René Girard et à Des Choses cachées …. En dehors des salades que l’auteur commence à débiter sur la supériorité du christianisme, je garde de la lecture de ce gros bouquin le souvenir d’une idée qui me semble encore étonnante de pertinence : à observer les bases du christianisme à travers une grille de lecture « sacrificielle » (le rite religieux conçu et mis en œuvre pour expulser d’une communauté humaine la violence accumulée, dangereuse pour sa survie, en la déviant sur un seul individu), Jésus Christ apporte une innovation radicale.
Si j’ai bien tout compris, la mort du Christ sur la croix est le premier sacrifice raté, le premier sacrifice qui échoue à rétablir la paix dans la communauté dont il devait raffermir la cohésion. En tant que sacrifice humain comparé à tout ce qui s’est pratiqué et se pratique dans les sociétés, primitives ou non, la mort du Christ est un ratage complet. Le dernier des sacrifices humains, si l’on veut, du fait qu’il est le premier sacrifice inefficace. Et en même temps, il s’avère comme façon radicalement nouvelle d’envisager le Mal.
Un ratage, pour la raison très simple que la victime est reconnue et déclarée innocente, alors que la « bonne » victime est celle sur la tête de laquelle s’est concentré tout le Mal accumulé, et dont toute la communauté doit pouvoir dire qu’il était juste de la tuer, au motif qu’elle était coupable.
Le message du Christ, de ce point de vue, est clair : s’en prendre à un individu innocent, et croire ainsi expulser hors de soi le Mal, c’est commettre une injustice, voire un crime. Ce n’est pas parce que vous tuez un homme (choisi ou non au hasard) que vous chassez le Mal de la communauté. A cet égard, je suis bien obligé de reconnaître que la base du christianisme constitue une avancée décisive sur ce qu’on appelle la « mentalité primitive ». Le Christ est le premier à dire que le Mal est au-dedans de chacun, et que pour le rejeter au-dehors, il faut s’y prendre autrement.
On dira ce qu’on veut, mais c’est un vrai Progrès.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la gueule ouverte, pierre fournier, écologie, rené girard, la violence et le sacré, des choses cachées depuis la fondation du monde, psychanalyse, denis vasse, sigmund freud, judith butler, lesbienne, théorie du genre, jésus christ, christianisme, bouc émissaire
lundi, 22 avril 2013
QUE FAIRE AVEC LE MAL ? (3)
POEME :
IL EST PAS MIGNON,
MON PETIT APION ?
ET MON P'TIT MORPION,
IL EST PAS TROGNON ?
(ceci est la photo d'un morpion accroché à deux poils)
***
La « confession à la chrétienne » fut pendant des siècles le moyen mis au point par l’Eglise catholique pour expulser le Mal hors de l’âme des individus (et je ne parle pas de la messe). Mais aujourd’hui, il y a bien peu d’Eglise catholique (trop de gens voudraient la voir disparaître, elle est d'ores et déjà réduite au rôle de "groupe identitaire" parmi d'autres), encore moins de confession chrétienne. La question se pose : que faire avec le Mal ?
Il ne faut pas se leurrer : aucune société ne peut ne pas se poser la question. La preuve, c’est que toutes se la sont posée. Quelques-unes fonctionnent encore avec des institutions dédiées à cette tâche : les Dogons, par exemple, malgré les assauts conjugués des touristes, de l’argent et des marchandises en plastique, maintiennent encore un arsenal de croyances destiné à maintenir l’ordre dans l’ordre du monde, et à le rétablir en cas de besoin par toutes sortes de procédures compliquées (voir les ouvrages de Germaine Dieterlen, et surtout les entretiens de Marcel Griaule avec Ogotemmeli dans Dieu d’eau, 1948).
Quand l’idée est venue aux hommes qu’il était possible de chasser le Mal, ils ont inventé tout un tas de gestes et de cérémoniaux : ils ont arraché le cœur d’un semblable, ils ont précipité un semblable dans le feu ou dans l’eau, ils lui ont fait subir toutes sortes de tourments. Le semblable en question s’est appelé la victime. C’est sur celle-ci que se concentraient tous les maux accumulés.
Il est couramment admis de désigner aujourd'hui la victime sous le nom de « bouc émissaire » : attaché au milieu du village, le dit bouc recevait toutes sortes d’ordures, les paquets de boue et de fange dont s’allégeaient les habitants, puis il était bouté hors du village, bien loin dans le désert. Il paraît que ça se passait chez les juifs de l’antiquité. Avouez que c’est mieux qu’un sacrifice humain, bien que le spectacle perde en palpitant, comparé à un bon vieux sacrifice juteux et saignant.
Mais un rite ne dépend pas de ce qu’on y fait ou du protocole auquel il obéit : il s’agit avant tout, pour le rite et son responsable (prêtre, sorcier, chaman, ...), d’être efficace. Si la population, après le cérémonial, est effectivement libérée de tout le poids de Mal accumulé, elle n’en demande pas plus, pour recommencer à vivre. Le rite a marché.
René Girard a écrit là-dessus un livre génial : La Violence et le sacré (1972). Je ne vais pas vous réciter tout ça, je vais vous le faire en bref et en simplifiant. Grosso modo, pour désirer quelque chose, un individu doit attendre que ce quelque chose lui soit désigné par quelqu’un comme étant désirable : si A désire X, B a raison de désirer X à son tour. Peut-être parce qu'il voudrait bien être comme A. C’est ce que Girard appelle « désir mimétique ».
Je continue : dans un groupe, à force que les gens désirent les mêmes choses, ils deviennent à la fois des rivaux et des répliques les uns des autres. Pendant qu'à force de rivaliser, le destin des rivaux est, à terme, de se foutre sur la gueule, à force de désirer la même chose, le destin des rivaux est de devenir mécaniquement semblables les uns aux autres. C’est ce que Girard appelle « indifférenciation violente ». J'espère que vous suivez.
A force de monter entre des individus rivaux, la tension finit par produire la violence. Et comme cette violence risque d’aboutir à l’anéantissement de la collectivité en tant que telle (cela s’est vu par exemple chez les Iks, nord-est de l’Ouganda), les sociétés, pour se protéger et se pérenniser, ont élaboré, au fil de l’histoire, des protocoles expérimentaux dont le seul but était d’empêcher le massacre généralisé. On a appelé ça des « rites ». Lorsque le potentiel de violence atteint le maximum supportable, un mécanisme (la « crise sacrificielle » de René Girard) se déclenche pour rétablir la paix entre tous. C’est le moment du sacrifice proprement dit.
Pour que le sacrifice ait lieu, il faut que quelque chose soit sacrifié. C’est parfois quelqu’un. Les Grecs appelaient ce quelqu’un le « pharmakon » (mot qui signifie aussi bien « poison » que « remède »). René Girard multiplie les références à des peuplades exotiques, où un roi était élu à l’unanimité, mais qui était à terme destiné à jouer le rôle du pharmakon : être un jour sacrifié. Et ça marchait (enfin, c'est ce qu'on dit) ! Le pauvre roi commençait par être sacralisé, honoré, mais il devait finir dans la marmite : être brûlé après avoir été adoré, c'est dur !
L’important était que se produisît un « unanimité violente » contre la victime désignée. Le sacrifice de la « victime émissaire » n’est efficace qu’à condition d’unanimité : le bouc émissaire, s’il réussit à concentrer sur lui seul toute la violence contenue et retenue jusque-là dans la population, à ce moment précis, tout va bien. Ite missa est. Deo gratias. Allez en paix, et revenez dans un an. Le rituel d’élimination du Mal a rempli sa tâche : maintenir la force du « vivre ensemble ».
On pensera ce qu’on veut de l’hypothèse de René Girard, mais je crois qu’elle mérite attention. Au fond, elle repose tout entière sur cette autre, qui veut que nulle personne humaine ne désire quelque chose qui ne lui ait pas été désigné auparavant comme désirable par quelqu'un d'autre. C'est plausible, mais ...
Malheureusement ça se gâte ensuite.
Voilà ce que je dis, moi.
09:01 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : insectes, animaux, photographie, morpion, religion, catholique, violence, rené girard, la violence et le sacré, chrétien, france, société, rite, marcel griaule, dogon