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mardi, 02 juillet 2013

SUR MON ALBUM DE PHOTOS

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PORTEFAIX, PAR AUGUST SANDER

 

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Je place en en-tête de mes billets, depuis quelque temps, des photos empruntées à August Sander. Ceux qui suivent ce blog se souviennent peut-être que j’avais fait la même chose avec des photos d’Edward S. Curtis des Indiens d’Amérique du Nord. Mon idée, c’est qu’August Sander et Edward S. Curtis sont cousins. Sur le plan photographique s’entend.

 

Ce que l’Amérique a eu en Edward S. Curtis (1868-1952), l’Europe l'a euCURTIS LIVRE.jpg avec August Sander (1876-1964). Tous les deux furent des photographes, et de grands photographes, dont les clichés les plus célèbres courent aujourd’hui les rues de toutes les villes qui s’appellent New York ou Berlin. Ils auraient eu du mal à se rencontrer : s’ils appartenaient à peu près à la même génération, Edward Sheriff Curtis étant né en 1868 dans le Wisconsin, et August Sander en 1876 en Rhénanie-Palatinat, ils n’étaient pas du même continent : le Wisconsin est aux Etats-Unis, la Rhénanie-Palatinat en Allemagne. 

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ASTANIHKYI (COME SINGING), COMANCHE

Je connais un peu certaines belles régions de « Rheinland-Pfalz », mais ce n’est pas grave, parce que ça ne compte pas, même si je pourrais en dire deux ou trois mots qui ne me feraient pas de mal à moi non plus. Nul n’est prédestiné à la photographie. Ce qui rassemble ces deux-là, dans leur folie photographique, c’est la clarté de leur projet. L’unicité, l’homogénéité, la pureté ontologique de leur projet.

 

Les Etats-Unis dans lesquels est né Edward Sheriff Curtis laissaient subsister tant bien que mal 40.000 Indiens, sur les 2.000.000 (estimés) qu’ils étaient avant le monde des blancs. L’Allemagne de August Sander ne souffrait pas encore de dénatalité. Ce qui est étonnant (et, disons-le, ahurissant, même si certains diront que je me laisse facilement ahurir), c’est que tous les deux, sans se connaître le moins du monde, sans se donner le mot, ont décidé de faire un inventaire, et se sont lancés dans la même entreprise gigantesque. 

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LE PIANISTE MAX VAN DE SANDT

Curtis, ceux qui suivent ce blog, savent ce que lui doivent les derniers Indiens non contaminés du continent nord-américain, car j’ai publié nombre de ses photos ici même : des Indiens fiers, auxquels l’Occident n’a rien appris qu’ils ne sussent déjà, et auxquels il a imposé des objets et des façons qui, s’il est vrai qu’ils les ignoraient, ont détruit leur civilisation.

 

A HOMMES DU XX.jpgSander, ça fait moins longtemps que je connais son œuvre, mais celle-ci m’a touché de la même manière : le photographe ne fait pas de manières. Il photographie les Allemands de toutes régions, de tout âge, de toutes professions. Il appelle ça Hommes du 20ème siècle. Il a raison. Son ambition est la même que celle de Curtis : mettre en boîte, sur papier photosensible, un inventaire de l’humanité de son temps.

 

 

 

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PLENTY COUPS (ou CUPS), APSAROKE

Tous les deux plantent leur appareil, demandent aux personnes de s’immobiliser, soignent la lumière, et voilà le travail. C’est cadré, c’est précis. Très souvent hiératique. Pas d'acrobaties, pas de virtuosité, pas d'entourloupes. Mais surtout ce n’est pas original. Ah, surtout, ne pas être original ! Un seul angle de vue, un statisme absolu : le contraire de la saisie du mouvement, qui demande au photographe lui-même de suivre le mouvement. L’ « instant décisif » à la Cartier-Bresson, ce n’est pas leur tasse de thé. Ni l’un ni l’autre n’envisage de seulement surprendre le spectateur. Quelque chose de brut, ça leur suffit : le réel parle de lui-même.

 

Ce qui permet de rapprocher les deux photographes, c’est qu’ils ne conçoivent pas leur entreprise comme susceptible de produire une œuvre d’art. Je peux me tromper, mais je ne crois pas qu’ils se considéraient comme des artistes. Si j’ai bien compris l’objet de leur quête (car c’en est une), je les comparerais davantage à des anthropologues, de la même espèce qu’un Béla Bartók ou un Zoltan Kodaly parcourant les campagnes de Hongrie pour recueillir les mélodies populaires avant que tous ceux qui connaissaient soient morts. 

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REPRESENTANT DE COMMERCE

J’exagère, au moins en ce qui concerne Sander. Mais je n’en suis même pas sûr : que reste-t-il, en effet, de l’Allemagne qu’il a fixée ? Toujours est-il qu’ils ont fait de l’anthropologie, sans doute sans le savoir (mais allez savoir) : surtout, sans théorie et sans jargon, ni au départ, ni à l’arrivée. La photo est sage comme une image. Des témoins actifs, tant qu’on veut, certainement pas des savants. Des collectionneurs à la rigueur, poussés, par la joie ou l’angoisse, et peut-être les deux, à accumuler des images du vivant, des vivants qui les entourent.

photographie,edward s. curtis,august sander

BEARSBELLY, ARIKARA

L’autre point qui rapproche Curtis et Sander est leur obstination. On peut dire en effet qu’ils ont consacré leur vie à leur tâche. Ce sont deux hommes d’une idée fixe, des monomaniaques, pourquoi pas. On a l’impression que pour eux, le monde se réduisait aux milliers (dizaines de milliers dans le cas de Curtis) de visages et de silhouettes qu’il leur fallait encore faire entrer dans leur « camera oscura ». 

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MEMBRE DU PARLEMENT

C'est vrai que les Indiens ont de plus belles gueules que les Allemands, mais c'est l'exotisme qui fait ça. Mais de toute façon, la question n'est pas là, car je vais vous dire, pour arriver à déblayer le sujet de toutes les scories anecdotiques, à nettoyer l’essentiel de toutes les impuretés qui l’encrassent, à faire surgir de tout ce qu’il n’est pas le cœur de ses préoccupations, il faut être animé d’une force particulière. Je dirais volontiers que cette force est celle d’aimer ce qu’on s’est donné pour objectif.

 

« Objectif », tiens, puisqu’on parle de deux photographes, ce n’est pas mal de finir sur ce mot.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

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