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mercredi, 03 juillet 2013

POURQUOI JE LIS MONTAIGNE

 

JUNGBAUERN 1.jpg

JEUNES PAYSANS, PAR AUGUST SANDER

 

***

CE QUE J’AI RETIRÉ DE LA LECTURE DES ESSAIS DE MONTAIGNE

 

Quand on parle de Montaigne, dans les conversations des dîners en ville, les yeux se font sérieux, les mines se font graves et les visages s’allongent. Ce qui est très curieux, c’est que tout le monde connaît Montaigne. Enfin, quand je dis « connaît Montaigne », je devrais préciser « le Montaigne de Lagarde et Michard ». Or il faut savoir que le Lagarde et Michard contient exactement « ce qu’il faut savoir », selon l’échelle de valeurs de monsieur Lagarde et de monsieur Michard. Reconnaissons que l’Université n’est pas loin derrière. Et puis aussi l'Inspection Générale de l'Education Nationale et le Ministère du même nom.

 

Or, « ce qu’il faut savoir », c’est ce que quelques générations de « responsables » ont jugé assez important pour en imposer l’inculcation à des générations entières d’adolescents plus ou moins fumeux et boutonnés (fumés et boutonneux ?), dans l’espoir que tout cela leur restât, le jour où ils auraient tout oublié, sauf le goût de la confiture qu’on étale quand on en a le moins (c’est nettement meilleur à la petite cuillère, alors qu’à la main, c’est non seulement salissant, mais aussi collant : détestable).

 

Comme cet auteur espagnol (Lope de Vega ? Calderon ?) attendant d’être couché sur son lit de mort pour avouer enfin un péché mortel (« Dante m’a toujours profondément ennuyé »), je suis prêt, la main sur le cœur et les yeux au ciel, à clamer à la face du monde : « Ce qu’il faut savoir m’a toujours profondément emmerdé ». Voilà, c’est lâché, j’assumerai les suites, « jusques au feu exclusivement » (François Rabelais).

 

Pour continuer à creuser ma tombe d’homme cultivé, dans l’uniforme duquel j’exige d’être inhumé, j’ajoute que, si la lecture des Essais de Montaigne ne m’a pas, pour l'essentiel, ennuyé, et heureusement, je peux dire qu'on ne rigole pas à toutes les pages. Vivre en sa compagnie au quotidien, ça ne devait pas être drôle tous les jours. Un homme très sérieux, voire grave, parfois même pontifiant. Un homme qui prend son rôle très au sérieux, même quand il écrit. Il ne s'en cache d'ailleurs pas, se jugeant globalement assez lourd.

 

Pour le contenu même du livre, je passe sur « la tête bien faite ou bien pleine » et autres formules sacrales, voire sacerdotales, devenues des sortes de tics ou de ponctuations dans les discours mécaniques. Au passage, je signale que, sous prétexte de favoriser la tête bien pleine, les pédagoguenots en ont profité pour la vider, comme la fosse septique dont ils sont issus. 

 

Surtout ne plus apprendre, mais « apprendre à apprendre ». Et par-dessus tout ça, ne plus rien savoir par coeur, surtout la poésie française. Oh que je plains toutes ces pauvres générations qui sont maintenant dans l'incapacité de se réciter El Desdichado, Le Bateau ivre, La Mort des amants ou Le Cimetière marin (pour ce dernier, quelques strophes, n'exagérons pas). 

 

Au sujet de l’uniforme d’homme cultivé, je refuse ici même et par avance l’incinération au four crématoire municipal : ça aurait trop l’air d’un autodafé de livres interdits, même si on sait désormais qu’aucun livre n’a plus à être interdit, puisque tous les livres sont devenus insignifiants. Ce qui sous-entend qu'on pourrait tout aussi bien les brûler. Je détaillerai par testament olographe, voire authentique si le notaire me fait un prix, les informations rendant possible la réalisation d’un tel uniforme, dont les frais de confection devront être prélevés sur les mirifiques droits d’auteur générés par ce blog.

 

Alors les Essais ? Ce n’est pas parce que ça m’a ennuyé que j’en ai arrêté la lecture, rassurez-vous. J’ai le sens du devoir. Laborieusement, pesamment, comme un cheval de labour magnifique et besogneux, j’ai mené ma tâche à bonne fin. Les Essais de Montaigne sont un livre finalement assez ennuyeux pour une raison rétrospectivement assez simple. Rétrospectivement, j’ai bien dit.

 

Cette raison ? La voici (et je me dis que si j’avais lu Montaigne à l’âge adolescent, ma vie aurait sans doute pris un autre chemin) : Montaigne est le premier homme que je connaisse à avoir douté de la légitimité de soi-même. Quand je dis « soi-même », j’entends Michel de Montaigne, mais aussi la civilisation occidentale. En ces deux matières, qu’on se le dise, Montaigne n’est sûr de rien. 

REPONSES DE NORMANDS.jpg

Finalement, Montaigne a p'têt ben des origines normandes : « P’têt ben qu’oui, ptêt ben qu’non ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

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