samedi, 24 août 2013
BOSCO : UN RAMEAU DE LA NUIT
Je disais donc qu'on parle peu, dans Un Rameau de la nuit.
C’est presque vrai, car il y a des exceptions : il y a Drot, qui expose à Meyrel quelques données à propos de l’Altaïr et de son commandant, Alleluia, marin au long cours (mais la servante laisse entendre au narrateur qu'il lui cache bien des choses) ; il y a Pellichat et Challemol, deux commères malveillantes et bavardes qui, une fois parties de chez Mme Millichel, propriétaire de Grangeon, vont lui apporter quelques lumières sur le mystère qui pèse sur Loselée et tous ceux qui ont à faire avec. Il y a enfin le curé Bourguel, qui sait à peu près tout, mais n’en délivrera que le strict nécessaire. Trop peu. Chez Bosco, il n'y a pas de « transparence », tout juste un peu de translucidité. Les gens sont opaques. Mais ils sont capables de laisser passer la lumière. Seulement quand c'est nécessaire.
En dehors des exceptions, on dirait que les gens laissent échapper quelques mots, parfois, mais comme à regret, comme s’ils ne pouvaient faire autrement. Un poids d’inexorable pèse en effet sur Loselée, sur Fontanelle, sur Géneval tout entier. Et sur Frédéric Meyrel en particulier.
LA CHAMBRE DE TRAVAIL DE BOSCO DANS LE "BASTIDON" DE LOURMARIN
(CARTE EDITEE PAR "L'AMITIE HENRI BOSCO", PHOTO J.-P. BAREA)
Il a beau dire à Drot : « Je ne suis que moi-même » (p. 129), il est, par la force des choses et des lieux, envahi par un fantôme encombrant : l’ombre de Bernard, l’ancien maître des lieux, auquel l’identifient dans un premier temps ceux qui l’ont connu. Il finit pas ne plus très bien savoir qui il est : doit-il endosser le personnage ? Mais ensuite, ils ont tous l’air de se rétracter. Frédéric Meyrel n’a rien de commun avec lui. Les yeux, peut-être.
En plus de littéralement magnétiser les oiseaux, Bernard avait tous les dons. On ne saura pas bien lesquels, mais en lui vivaient des puissances mystérieuses. De toute façon, il est mort depuis environ vingt ans. Enfin, c’est ce que tout le monde dit. C’est depuis ce moment que les oiseaux ne viennent plus à Loselée (le choix du nom ne doit évidemment rien au hasard), ce que note d’ailleurs le narrateur le soir de son installation.
LE "BASTIDON" DE HENRI BOSCO A LOURMARIN
(PHOTO J.-P. BAREA)
Et pourtant, curieusement, après quelque temps, les oiseaux commencent à revenir. Peut-être qu’après tout, Frédéric … Bernard … Allez savoir. Quelques-uns d’abord, puis des milliers. Et bientôt, tout le monde dans le pays sait que les oiseaux sont revenus. Même Clotilde de Queyrande, nièce et héritière de Bernard, revient occuper un soir la maison de Fontanelle.
Frédéric Meyrel est-il seulement lui-même ? Ou alors porte-t-il en lui quelque chose de fantomatique appartenant à ce Bernard, auquel, malgré lui, il fait penser ceux qui l’ont connu ? Marcellin, le neveu de Rose Manet, qui l’appelait auparavant « monsieur Frédéric », se met à ne plus le reconnaître à partir du jour où il est alité avec de la fièvre. Tout se passe comme s’il y avait dédoublement du narrateur. Lui-même finit par se poser la question. Mus, le jardinier bizarre, oscille entre la reconnaissance et le rejet.
Le sommet de l’hésitation est atteint quand Clotilde de Queyrande se met à chercher Bernard sous l’écorce de Frédéric Meyrel. Tous deux ont des sortes de débats à trois personnages, où Frédéric est tantôt lui-même, tantôt l’autre, dans un étrange ballet de possession, peut-être diabolique. Frédéric est à la fois l’obstacle qui empêche Clotilde de rejoindre Bernard et le lieu obligatoire de son passage vers ce grand amour perdu.
Être soi-même et un autre : Henri Bosco pousse le pari jusqu’au bout. Il faut avouer que c’est assez culotté, finalement, d’essayer de faire vivre ce qui n’est, après tout, qu’une forme de folie. Qui porte un nom bien connu : schizophrénie (l'expression à la mode est : « troubles bipolaires » ; on admettra : « dédoublement de la personnalité », au diable les varices). Le lecteur n’est pas obligé de marcher dans la combine, mais salue quand même l’exploit littéraire.
Il est anecdotique ensuite de savoir que le Bernard en question était l’oncle de Clotilde, et que celle-ci, alors âgée de treize ans, s’est éprise pour lui d’un amour absolu, qui a causé grand scandale dans la contrée. Anecdotique de savoir que Mus le jardinier communique avec le mort en écoutant au moyen d’un roseau ce que lui dit le reflet de Bernard qui monte de la pièce d’eau. Anecdotique de savoir que Valérie, la servante muette, finira par devenir folle. Anecdotique encore de savoir que Frédéric Meyrel, ayant fracturé le coffre menaçant, en apprendra un peu plus sur le mystérieux Bernard dans un gros cahier auquel celui-ci s’est longuement confié.
Il est moins anecdotique d’apprendre que le petit Marcellin finira par succomber à la fièvre mystérieuse contre laquelle le médecin, dès le début, a fait aveu d’impuissance. Est-il mort du fait que Frédéric a été incapable de démêler l’écheveau d’énigmes dont son âme fut le théâtre ? Le curé Bourguel ne le suit pas de loin dans la mort.
Que me reste-t-il, à l’arrivée, de cette lecture ? J’avoue que je suis resté extérieur aux dialogues de Frédéric et Clotilde. L’amour qui pourrait les lier échoue, faute de savoir, en fin de compte, à qui s’adresse le sentiment éprouvé par la femme. Mais la question posée va droit au cœur du problème de l’amour : qui aime-t-on quand on est amoureux ? Combien sommes-nous, à l'intérieur de nous-même ? Est-on capable de le savoir ? Eternelles questions.
Ce qui me touche, dans ce livre, ce sont les particularités géographiques et topographiques du cadre dans lequel elles sont posées. Quel souffle puissant habite les descriptions des bois et des frondaisons traversées de nuit ! Dans les considérations sur l’état du ciel nocturne (tiens, c’est drôle, Bosco porte autant d’attention aux constellations que Hermann Broch dans Le Tentateur ou La Mort de Virgile).
Quelle ampleur dans les dimensions ! Henri Bosco, grand maître de l'ambiance, parvient ici à nous faire traverser un improbable paysage d’états d’âme, des états d’âme qui se meuvent sans cesse de l’un à l’autre, dont le lecteur, obligé de les suivre dans leurs hésitations, leurs mues et leurs ambiguïtés, ressent la force et qu’il devine plutôt qu’il ne les perçoit.
Les personnages, en effet, non plus que les choses ne donnent lieu à des descriptions en bonne et due forme, façon Balzac ou Zola. L’auteur laisse davantage pressentir par quelle force intérieure ils sont animés, qu’il ne tient à ce qu’on puisse, à partir de ce qu’il en dit, en faire un portrait fidèle et ressemblant.
Au-dedans des êtres et des plantes (et même des pierres) court une vie secrète et palpitante dont il s’agit de repérer les signes, et qu’il s’agit d’éprouver. Parfois jusque dans sa violence : lorsqu’il surprend le jardinier en train de « communiquer » avec le mort, Frédéric Meyrel doit se battre avec Mus pour l’empêcher de lui fracasser le crâne à coups de hache.
Laissé pour mort, le jardinier s’en tirera avec une simple épaule démise. La leçon de tout ça, si je veux rester prosaïque (ce que n’aimerait pas Bosco, sans doute), c’est qu’il faut s’attendre à tout. Être prêt à tout. La garantie, pour se maintenir dans cet état de vigilance aiguë, c’est une vie intérieure intense, à laquelle il est vital de porter l'attention suffisante.
Henri Bosco est vraiment un grand romancier. Et Un Rameau de la nuit est un grand roman.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 23 août 2013
HENRI BOSCO, LA NUIT
L’essentiel d’Un Rameau de la nuit, livre de Henri Bosco, n’est donc pas là. Le premier chapitre est un préambule, qui nous fait découvrir le petit village de Géneval. Village désolé, que ses habitants ont désormais à peu près tous déserté. Le narrateur (Frédéric Meyrel), qui aime marcher dans la campagne provençale, y fait connaissance, à travers l'obligatoire rideau de perles de verre, de Rose Manet, l’aubergiste, et de son neveu, Marcellin, qui a des problèmes avec la réalité prosaïque. On verra qu'il ne l'aime vraiment pas. Jusqu'à se laisser mourir.
Une curieuse allégorie (« un vaste paysage qui s’étendait sur toute la paroi »), représentant un pays imaginaire, a été peinte sur un des murs de l’auberge, cent ans auparavant, par un homme de passage qui est reparti en emmenant une fille du pays. Ce fut le début de la désertion, de l’abandon du village par ses habitants. Mais il reste habité d’un charme indéfinissable et persistant, avec sa fontaine à quatre tuyaux de cuivre, son « Café du Souvenir », ses gros platanes, son église, où ne viennent plus que deux vieilles pour assister à la messe dite par le très vieux (et souffrant) curé Bourguel.
L'EGLISE DE VAUGINES, BELLE CARTE EDITEE PAR L'AMITIÉ HENRI BOSCO
(PHOTO J.-P. BAREA)
Le deuxième chapitre nous transporte à Marseille, où le narrateur, dans un appartement agréable, vit de travaux savants et de traductions (« Je travaille pour des Sociétés savantes et pour des Universités, la plupart étrangères ») de textes en grec ancien, souvent très difficiles. Meyrel nous parle de son réseau d’amis (les Jumerand, les Hautard, les Labartelade, auxquels il faut ajouter Alleluia, un vieux loup de mer, Travellini, le douanier et Drot, qui a navigué dans le temps), et hop ! le voilà embarqué dans une aventure rocambolesque, qui manque de lui coûter la vie.
L'AMITIÉ HENRI BOSCO PUBLIAIT DANS LE TEMPS DE BELLES SERIES DE CARTES : ICI, LA "COMMANDERIE", SUR FOND DE LUBERON, DONT LA TOUR FAIT PENSER A CELLE OÙ SE REFUGIE, TRAQUÉ, LE HEROS DE L'ANTIQUAIRE.
(PHOTO J.-P. BAREA)
Trois des amis suivent un soir un Alleluia très mystérieux, qui grimpe à bord de l’Altaïr, vieux navire promis à la démolition. De nuit, évidemment. Après s’être livré à une petite cérémonie bizarre en souvenir d’une certaine Marie-Josépha de Jésus, immergée en mer au larges des Maldives, Alleluia se rend dans la salle des machines et, tout bonnement, ouvre les vannes. Meyrel est sauvé in extremis d’une noyade ignominieuse et tragique par ses amis Labartelade et Travellini.
Après un chapitre de rétablissement et de préparation, nous arrivons aux deux clefs de voûte de l’ouvrage. Drot, pour une raison qu’on découvrira, conseille au narrateur de se retirer pour un temps à la campagne. Tiens, par chance, un notaire de ses amis, Me Seigue, loue, pour un prix très accessible, pour ne pas dire bradé, « Une grande maison toute meublée, en bon état ; un parc de quatre hectares, clos ; eau de source, lumière, dépendances, site admirable, contre une colline, vue sur les lointains à travers les chênes, oratoire privé, vaste volière ». Comme par hasard, la maison est sise à Géneval. Le lecteur que je suis est particulièrement sensible à la description d'un cadre assez proche de ce qu’il a lui-même connu.
Mais le sortilège (car c’en est un) ne naît pas de la pauvre expérience particulière de ce lecteur, qui est plutôt une coïncidence, n’en doutons pas. La description, non, la visite attentive, au chapitre suivant, de cet immense parc (4 hectares), vous emmène dans une ambiance de perte des repères, d’obscurité : l’auteur a beau nommer (une fois pour toutes) les points cardinaux, comment voulez-vous mémoriser les détails ?
Une seule certitude, le parc est trop vaste pour devenir un espace auquel l'individu avide de solitude saurait imposer sa maîtrise. C'est un parc, semble-t-il, prévu pour qu'il s'y perde. Le parc de la propriété « Loselée » existe à part entière, comme un personnage, presque comme une personne.
Ce qu’on apprend, c’est l’existence de gigantesques volières, où le narrateur, au tout début de son séjour, voit l’étrange jardinier Mus (qui porte bien son nom, puisqu’il ne profère que très peu de mots) siffler doucement en pleine nuit. Et puis, derrière le haut mur, il y a Fontanelle, vaste bâtisse elle aussi, où la propriétaire ne met plus les pieds depuis son départ il y a trois ans.
La maison elle-même semble opulente comme une matrone aux formes fortes, mais obscure comme une volonté mystérieuse. On n’en fera pas le tour (« Ma première pensée fut de la visiter. Mais la lampe était trop lourde, mal commode. L’heure tardive, ma fatigue m’invitaient au repos. J’allai vers la porte-fenêtre pour tirer les volets ») : la terrasse, vaste comme il se doit, le salon de l’entrée, l’escalier, la chambre avec son coffre menaçant comme un grand rapace, heureusement couvert d’un drap.
C’est tout ce qu’on en saura, si ce n’est que le ménage et la cuisine sont assurés par Valérie, une fille de dix-sept ans d’abord présentée comme muette, puis comme sourde et muette. Décidément, les gens parlent fort peu, dans Un Rameau de la nuit.
Voilà ce que je dis, moi.
C'est vrai, je n'ai pas beaucoup parlé de la nuit. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.
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jeudi, 22 août 2013
BOSCO : UN RAMEAU DE LA NUIT
Je suis dans Henri Bosco, j'y reste. A la réflexion, on y est bien accueilli. La table est bonne. Les lieux sont rustiques, mais confortables.
Quand on passe par Lourmarin (Vaucluse), il est bon, en dehors de la visite obligatoire au château, de faire un tour au cimetière. Pour une raison qui dépasse un peu l’évidence. Certes, on peut s’amuser à aller voir par courtoisie la tombe d’Albert Camus, ça ne peut pas faire de mal, avec son inscription rustique dans une pierre mal équarrie (on se veut simple, n’est-ce pas) et son agréable fouillis végétal.
Mais l’essentiel, au cimetière de Lourmarin, si l’on ne veut pas faire comme le troupeau vomi par les cars des touristes branchés « littérature » (je ne suis pas sûr qu'il y en ait tant que ça), est de rendre une vraie visite à la tombe de Henri Bosco (1888-1976). Assurément, des deux, c’est lui, le grand écrivain. L’avantage, c’est que vous y serez seul.
Je préfère de loin Bosco au « philosophe pour classes de terminale » (je ne sais plus qui disait ça d'Albert Camus), qui se prend très au sérieux, toujours guidé par le devoir de tous les militants du monde, de tous les « défenseurs de causes » : lutter pour des idées, étendard au vent. Insupportable. J’en suis resté à : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ».
A son actif, la mémoire de Henri Bosco repose sur une œuvre considérable, et une œuvre, par bonheur, exclusivement littéraire. J’ai déjà dit combien certains aspects, en particulier tout ce qui tourne autour de la spiritualité, avaient quelque chose d’agaçant. Cela étant dit, je le tiens pour un écrivain majeur du 20ème siècle. D’abord parce qu’il possède un ton qui n'appartient qu'à lui, parce que, livre après livre, il a élaboré un univers romanesque profondément original, personnel et particulier.
Ensuite, parce que cet univers romanesque se double d’un univers « psychologique » (cela dit faute de mieux) qui ne ressemble à aucun autre, et qui, pour aller vite, se caractérise par une sorte de creusement dans le visible, une obsession sans doute héritée de l’enfant que fut Bosco, qui se décrit comme nerveux, fiévreux, très attiré par le songe, par la nuit, par les mystères dont il dote les choses et les êtres.
Tout objet appartenant à la réalité possède un corps, une apparence, mais recèle, pour qui veut la voir, une âme secrète : « Les plus humbles [merveilles] me sont les plus chères. J’y tiens (et cela depuis mon enfance) par un goût que j’ai, inné, obsédant, de la vie secrète des hommes et des choses ». Car dans l’œuvre de Henri Bosco, il y a au moins deux mondes : l’un est d’un prosaïsme laid, plat, bas et brut ; l’autre, le vrai, est nocturne et poétique, mouvant et périlleux.
« Poétique » n’est jamais dit comme tel. Bosco semble surtout ne pas vouloir se revendiquer du registre poétique, et pourtant, j’ai envie de dire que sa façon d’écrire a à voir avec une poésie en action. Mais il est surtout ouvert sur les infinis, sur les rêves, les dangers qui guettent la raison lucide quand l’être qui gît tout au fond de chacun se met à guetter avec angoisse et envie ce qui pourrait surgir de l’ordinaire pour le fissurer.
Pourquoi je reparle de Henri Bosco ? Parce que je viens juste de lire Un Rameau de la nuit. Publié en 1950, c’est donc un livre de la maturité. L’auteur connaît et maîtrise son univers, sa langue est au sommet, ses hantises pourraient presque paraître naturelles. Ici, les reproches que je lui faisais dernièrement n’ont pas lieu d’être. Certes, il parle de la « lymphe » qui monte du fond de la terre dans le corps des arbres. Certes, il décrit comme une agression le grand coffre aux aigles sculptés qui meuble sa chambre dans la vaste maison qu’il loue. Certes.
Mais l’essentiel n’est pas là. Et selon moi, l’essentiel a quelque chose d’extraordinaire. Le préambule laisse craindre le pire (« Mais déjà le sentier s’acheminait vers elle. Il marchait devant moi. Confiant, sans se retourner, filant tout droit, il me montrait cette crête pierreuse, et, certain de se faire suivre, il grimpait dans les cailloux. Il était content. Je le sentais bien. C’était un pauvre et vieux sentier qui avait dû attendre »). Autant le dire, cette façon de s’exprimer me rase très vite. Je la tiens pour un simple formalisme, et purement esthétique.
Heureusement, l’auteur laisse bientôt de côté ce ton pénétré d’animisme qui m’écœure tant soit peu, pour en venir à plus de concret. Ce n’est pas que j’éprouve quoi que ce soit d’hostile à ce qui vient du plus intime de l’homme : le 2ème mouvement (« andante molto cantabile ed espressivo ») de la sonate opus 109 (ci-contre le compositeur, juste après le 26 mars 1827, jour de sa mort) marqué « gesangvoll, mit innigster Empfindung » me fait tomber à la renverse. Mit innigster Empfindung ! Mais les quelques phrases citées ci-dessus m’apparaissent factices et maniérées, comme un excès d’artifice dont l’auteur aurait pu se passer aisément, tout en arrivant au résultat souhaité. Pas besoin d’en rajouter.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 21 août 2013
HENRI BOSCO : TANTE MARTINE
Revenons à Henri Bosco. Finalement, ce qui agace, dans Tante Martine, c’est d’abord l’esprit dans lequel il a été écrit : c’est la façon dont Pascalet perçoit le monde, les choses et les gens, s'efforçant toujours de les animer de forces secrètes. Dans l’imaginaire du narrateur, il faut absolument que de l’obscur soit caché au sein de la réalité.
Il faut que quelque chose de magique se fasse pressentir, mieux, se manifeste concrètement parmi les témoins et les acteurs. Je n'oublie pas, cependant, que c'est un vieil homme qui se revoit dans un garçon de 10 ans, et que l'enfance de Pascalet est, dès lors, une enfance reconstituée a posteriori. Longtemps après. On imagine bien que l'eau de cette enfance a été longuement filtrée par le sable de la mémoire de l'homme qui écrit.
Ainsi, lorsque Tante Martine décide qu’on participera à la messe, voici ce que déclare Pascalet, qui se souvient, devenu vieux, de celles qui l’ont marqué dans sa vie : « Ainsi celle que j’entendis, en grec, sur un appontement dans l’île de Lemnos, face à la mer. Mais aucune n’a touché mon cœur comme celle de ʺLa Moulinelleʺ, célébrée un jour de septembre pour la fête des Saints Archanges dans le petit jardin de Frère Théopiste ». C’est au cours de cette messe que les quatre assistants et le prêtre entendent une étrange voix qui récite la prière. Tous tombent à genoux : « Mais de temps à autre à nos voix se mêlait, plus haute et plus claire, inexplicablement cette voix inconnue ». Pascalet, pendant toute la messe, a senti derrière lui la présence des trois archanges, sans pour autant oser se retourner.
Même scène mystérieuse devant le mas de ʺLa Sirèneʺ. La jeune Mâche, rousse de quinze ans qui n'est pas la fille de ses parents (« Ah bon !? »), entraîne Pascalet, un soir, à assister à un spectacle d’une étrangeté effrayante : une vingtaine de gens inconnus se rassemblent devant la façade, de l’autre côté de l’étang où sont blottis les deux gamins. Hommes et femmes séparés encadrent un vieillard aveugle. L’âme d’une personne est enfermée dans un arbre de la forêt, et le cœur d’hommes et de femmes pousse une plainte lamentable, censée demander aux arbres de répondre : lequel recèle l’âme perdue ?
On le voit, Tante Martine est plein à craquer. Au-delà des motifs d'agacement, ce qui me touche, c'est que j’ai l’impression que Henri Bosco a voulu, avec ce livre, faire ce que fait Jean-Sébastien Bach au moment où la fugue va s’achever : on appelle ça une « strette », qui récapitule, en le concentrant, tout ce qui précède. Et là, tout ce qui précède, c’est l’œuvre entière de l’écrivain. Autant dire toute sa vie.
On y voit apparaître en effet, plus ou moins fugitivement, bien des personnages qui forment les compagnons du narrateur depuis le début de sa carrière : le chien Barboche, Bargabot le braconnier, Saladin le jardinier, Jéricho le Juif (errant, bien sûr, puisque c’est le colporteur), Béranger de Sivergues, le berger.
Même Gatzo le Caraque (Bohémien) est nommé. Même un âne qui porte des culottes (on peut se reporter aux titres des oeuvres) ! On entend aussi des échos d'Hyacinthe. Comme si l’auteur, sentant qu’il arrivait au bout, avait tenu à faire une dernière fois le tour de son univers. A cet égard, le livre a un côté émouvant. Il y a ici quelque chose de testamentaire, voire de funèbre.
Le personnage de Tante Martine lui-même est le point focal de l’ouvrage : sans raconter toute l’histoire, disons qu’elle vient tenir le « Mas du Gage » au moment où les parents de Pascalet doivent s’absenter pour longtemps, et que le garçon de dix ans découvre une personnalité rude quant aux manières, mais plus tendre que la tendresse à l’intérieur, et qui s'en veut pour cela même. L’action commence en septembre et se termine au repas de Noël : un espace de temps assez inoubliable pour que l’auteur, au soir de sa vie, éprouve le besoin d’y revenir avant de s’en aller.
Tante Martine me fait penser (dans une certaine mesure, il ne faut pas exagérer) à la Mère Gisson que Hermann Broch a mis au centre de son livre Le Tentateur : c’est une femme qui « sait ». Elle perçoit ce qui est au-delà des apparences. Elle en diffère parce qu’elle-même a une faiblesse : quelqu’un l’attend quelque part, une fille la demande, des courriers s’échangent, une blessure mystérieuse reste ouverte.
Alors, résultat des courses, demanderez-vous ? Disons-le nettement : malgré le mal que j’ai pu en dire, j’ai lu ce livre avec grand plaisir, car c’est un livre d’écrivain authentique. On est dans la littérature au sens fort, et c’est ce qu’il me faut. Mais si j’avais à situer les réserves que j’ai à faire, je dirais les choses de la manière suivante : je ne suis pas de la « tribu » de Henri Bosco. Ce n'est pas ma famille de pensée. Cela ne m'empêche aucunement de goûter sa façon d'être écrivain. Mieux : d'être un véritable auteur.
Passons sur son catholicisme fervent. Passons sur l’omniprésence de la campagne et de la nature (de la « ruralité »). Passons même sur le spiritualisme, sur l'animisme. Je crois qu’au centre de la littérature d’Henri Bosco, il y a la certitude et la volonté de faire apparaître, dans les choses et dans les gens, la dimension qui les dépasse. Choses, plantes et individus ne sont pas seulement ce qu’ils sont : ils sont plus qu’eux-mêmes, et quelque chose parle au-dedans d’eux, à travers eux, au-dessus d'eux, une part cachée que ne voient et n’entendent que ceux dont le « cœur » est prêt.
Ce n’est pas ma famille d’esprit, mais je respecte. D’abord parce que c’est une littérature honnête. Ensuite parce que, de livre en livre, l’univers qu’elle propose présente un visage d’une grande cohérence : Henri Bosco ne triche pas avec lui-même. Enfin, parce que c'est écrit dans un langue travaillée à la petite scie, découpée et chantournée en artiste. Quand un écrivain parvient à ce point de fidélité à ses aspirations, et qu’il y arrive en se servant de l’écriture comme d’un moyen proprement artistique, il n’y a plus qu’à s’incliner. Ce que je fais ici même, séance tenante.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 20 août 2013
HENRI BOSCO ECRIVAIN
Eh bien voilà, c'est la rentrée. La vie va pouvoir recommencer. Les gens vont recommencer à mourir, recommencer à naître, recommencer à s'ennuyer au travail. Il va y avoir de nouveau des accidents, des assassinats, des suicides. L'ordinaire, quoi. L'ordinaire politique, l'ordinaire économique, l'ordinaire social. Pendant la durée légale, c'est vrai que le monde semble tout entier avoir plongé en apnée dans le bonheur bronzé. Le problème, avec l'apnée, c'est qu'il faut retourner à la surface. Si possible pas trop tard.
C'est donc la rentrée. Les événements de l'actualité mondiale vont recommencer à se produire. Les journaux vont retrouver une épaisseur justifiant à grand-peine leur prix exorbitant. Nous voici de nouveau à pied d'oeuvre. Certains auront peut-être accompli quelques devoirs de vacances.
C'est mon cas. Je sais, je suis incorrigible. Et je commence dans le sérieux. Je veux parler aujourd'hui d'un auteur connu pour quelques volumes de littérature "enfantine" (L'Ane Culotte, L'Enfant et la rivière, ...) : Henri Bosco. A peu près oublié comme auteur pour les grands. Et là, je dis tout simplement que c'est injuste. Je vous explique ça, mais après le principe de précautions oratoires.
***
Henri Bosco fait partie dans ma mémoire d’un patrimoine involontaire. J’ai en effet lu plusieurs livres de cet auteur (pas seulement un écrivain : un véritable auteur, pour le coup) incité par un homme que j’ai pris pendant trop longtemps pour un ami, et dont j’ai – bien tardivement selon moi, il faut le dire – rejeté brutalement l’emprise, et renié l’influence. Je l'ai chassé de chez moi. Il avait fait des dégâts.
Je lui dois pourtant d'avoir connu L'Amitié Henri Bosco, association dont je fus longtemps adhérent (dans les années 1980), et d'avoir été en contact avec sa secrétaire d'alors, Monique Baréa, qui habitait Les Oliviers III, Nice (si je me souviens bien). Une dame à la correspondance délicieuse, pour ce dont je me souviens. Je ne sais dans quel déménagement ont disparu les savants cahiers que j'avais en ma possession, et que publiait cette association fervente et savante.
Il est résulté de la brouille évoquée plus haut un long désamour pour les œuvres de Henri Bosco, qui m'étaient advenues par l'entremise de ce personnage louche. Je crois effectivement que ce désamour est injuste. Car c’est sur ses instigations que j’ai lu des œuvres de Henri Bosco. Et j'ai délaissé les œuvres en même temps que j'ai condamné la personne. J'avais pourtant aimé les lire. D’abord Le Mas Théotime. Ensuite Malicroix. Quelques autres, parmi lesquels Le Sanglier, Bargabot, Pascalet, etc. Il m'en est resté quelque chose.
Je n’ai rien retenu du Mas Théotime, je ne sais pourquoi. De Malicroix, en revanche, il m’est resté quelques images très fortes, à commencer par la silhouette puissante et maléfique de Maître Dromiols, le notaire. Et puis aussi un jour de mistral dément, qui encercle et transperce jusqu'aux os, de part en part, une maison construite sur une île au milieu du Rhône.
Et puis cette nuit où le héros sauve la vie du vieux Balandran en soutenant de sa main la nuque, seul endroit de son corps recélant encore quelque chaleur, foyer que le jeune héritier s'est efforcé, des heures durant, d'entretenir, jusqu'à la résurrection. Il y a aussi, je crois, cet improbable exploit fluvial (peut-être une histoire de bac à traille) que l'héritier doit accomplir pour imiter ce que fit un aïeul. Je n'ai jamais relu ce livre. La folie nocturne qui s'y déployait m'en est restée.
Il m’est globalement resté de ces lectures une impression d’âpreté, de senteurs fortes, de rocaille et de violence nocturne. L’ample stature du notaire de Malicroix me fait penser à celle du père du héros, dans Le Roi Bohusch, de Rainer Maria Rilke : des épaules et une poitrine puissantes, véritable cuirasse que le père a été incapable de transmettre à son fils contrefait et bossu, et dont un rêve obsédant de celui-ci ne lui permet pas de se revêtir (« Je ne retrouvais pas la poitrine de mon père ! », cité de mémoire).
Du Sanglier, en dehors de l'incendie qui ravage la campagne, je me souviens de l’étreinte clandestine et sauvage, muette et affolée, qu’une fille mystérieuse fait subir dans le noir au narrateur, avant de s'éclipser brusquement, toujours ombrageuse. Dans les romans de Bosco que j'ai lus, me semble-t-il, demeure toujours présente une sourde et invisible menace.
Pascalet, deuxième partie d'un volume intitulé Bargabot, m’est resté, parce que l’auteur y a placé une scène mémorable entre toutes, donnant naissance à ce phénomène professoral appelé Aristide de Cabridolles. Le narrateur, lui-même double de l’auteur, s’ennuie ferme au collège où il est pensionnaire. Il est même malheureux, il dépérit. Il juge tous ses professeurs d’insupportables épouvantails sentencieux. Soudain jaillit la silhouette improbable d'Aristide de Cabridolles, et l’enchantement se produit : Pascalet revit, et l'enthousiasme ne tarde pas à le soulever dans les hautes sphères.
Rien que le portrait de ce maître vaut le poids d’or d’une belle pépite : « Plantez devant vous un grand diable, maigre comme un clou, à bec d’aigle. Les cheveux drus, l’œil petit, bleu, perçant, une tête de rapide rapace, tout nerfs. Les lèvres minces, les moustaches grises, très courtes, le front bas mais solide, net, le menton énergique. Un grand air cavalier et galant. Et toute l’âme frémissante. Âme et corps fastueusement enveloppés, été comme hiver, dans une vaste cape aux ondulations gracieuses. Cette cape valait toute l’éloquence du monde. Elle parlait. C’était une cape oratoire, non parfois sans emphase, mais de haute envolée. Ses plis pouvaient se dérouler soudain et toucher au lyrisme. On l’avait conçue pour le mouvement. Elle suivait et, à l’occasion, précédait le pas, le geste, comme une aile gonflée par la brise ou le vent des tempêtes ». Le « tout nerfs » me ravit. Tout l'épisode est à lire.
Suivent de grandioses leçons de latin ineffaçables, et des scènes burlesques, à coups d’Inspecteur intraitable (ah, cet ahurissant « momamomaï », que Cabridolles demande à Pascalet de traduire, à la grande fureur de monsieur l'Inspecteur), dont la dignité s’offense de la brusque apparition de Rapax, le rat qui loge sous l’estrade et qui a bondi effrayé, quand le maître a donné d’exaltation un grand coup de pied.
Après sa suspension administrative (logique), Aristide de Cabridolles réunit en un dernier, frugal et splendide festin (pain rustique, olives, fromage de chèvre, eau claire) en pleine nature, ses élèves, unanimement acquis à sa cause, puis est bien obligé de les quitter : « Rejetant sur l’épaule avec grandeur la cape inoubliable, il s’éloigne à grands pas ». Je garde une affection indélébile à ce professeur que je n'ai pas eu : sa silhouette garde dans la mémoire de l'enfant imaginaire qu'on a été le prestige des heures d'enseignement vécues en état d'émerveillement, surtout si on ne les a pas vécues. C'est une prouesse littéraire.
Après des années de délaissement, j’ai donc eu la curiosité récemment de retourner faire un tour du côté de Henri Bosco. Plusieurs œuvres acquises jadis sont restées en déshérence, délaissées, mais, je ne sais pourquoi, jamais abandonnées. Prenant au hasard, j’ai ouvert Tante Martine. C’est un des derniers livres qu’il ait écrits (il est mort en 1976).
Je ne sais pas si c’est moi qui ai changé (sans doute …), mais il y a des aspects de cette littérature qui me sont devenus insupportables. Cette façon que l’auteur a de faire vivre, voire de donner une âme aux choses, aux arbres, aux animaux, ça finit par porter sur les nerfs. C’est peut-être cette tendance au spiritualisme, à l’animisme, voire au sentimentalisme qui m’énerve.
Un exemple : « La porte était entrebâillée. Elle paraissait triste. Pourtant c’était une porte de bon accueil, du moins dans la journée. Certes grave, solide, autoritaire et d’une inébranlable certitude, et tout à coup pour la première fois j’en découvrais l’inquiétude et la méfiance. Elle avait pris cet air équivoque des portes qu’on a laissées entrebâillées soit par inadvertance, en s’en allant, soit à dessein, et cela se devine. L’être de la maison en est modifié » (p. 239). Moi je veux bien, mais bon. Je commence à lâcher dès que la porte devient triste. Je suis affreusement prosaïque.
Autre chose : le lexique. On dirait que l’écrivain est pris de tics. Ce ne sont, tout au long du récit (le livre se présente comme tel), que des considérations tournant autour du cœur (façon : "si on t'engueule, c'est qu'on t'aime"), mais aussi autour de la peur, de la curiosité et du mystère, thèmes habituels, mais ici, Henri Bosco les met au premier plan, de façon insistante, presque démonstrative. Or quand l’auteur éprouve le besoin de préciser et d’expliquer, c’est toujours mauvais signe : un romancier qui échoue à montrer et à faire vivre et qui se fait pédagogique ne fait pas, au moins a priori, de la bonne littérature.
Et pourtant, malgré tout ça, Tante Martine est à ranger dans la bonne littérature. J'y ai été pris. Et serré. Si ce n'est pas une preuve ! Cela mérite réflexion.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, journal des voyages, henri bosco, rainer maria rilke, le mas théotime, malicroix, le sanglier, bargabot, l'âne culotte, l'enfant et la rivière, le roi bohusch, tante martine, l'amitié henri bosco, monique baréa
lundi, 19 août 2013
ON RANGE L'ALBUM DE VOYAGES
Ça y est, je replace les 20 gros volumes rouges in-folio sur leur rayon. On a bien voyagé sans bouger de chez soi, dans l'espace et dans le temps. Histoire de voir que, d'une part, le monde a changé, et d'autre part, la façon dont nous le voyons. Pour s'en faire un idée plus nette, il faudrait creuser, mais baste !
A qui était destiné le Journal des Voyages , cette revue bourrée de gorilles monstrueux, de requins épouvantables et voraces, de serpents à la circonférence et à la longueur colossales ? Cette revue farcie d'aventures terrifiantes, de précipices insondables, de tempêtes inhumaines ? Cette revue jalonnée des coutumes les plus ignobles mises en oeuvre par les populations les plus cruelles qu'on puisse imaginer ?
Si l’on regarde la déclaration d’intention de l’éditeur parue dans le n°1, la revue ne se propose que de distraire et de dépayser le lecteur, tout en l’instruisant. Un peu ce que fait la revue Géo actuelle, avec les moyens techniques de l’époque, bien entendu. Mêler l’utile à l’agréable, quoi.
CES SALAUDS DE REQUINS ATTAQUENT SUR LE DOS, PEUT-ÊTRE POUR QU'ON VOIE MIEUX LEURS DENTS ?
Au programme, chaque semaine : « … une grande relation de voyage, une aventure de terre ou de mer (récit de naufrage ou de chasse périlleuse, etc.), un article sur l'histoire des voyages, un attachant roman d'aventures, la géographie d'un département de la France, un chapitre du Tour de la Terre en 80 récits, une revue des plus récents ouvrages de voyages, et enfin une chronique des voyages et de la géographie ». De quoi plaire à tout le monde, en somme.
"LES KROUMIRS [DES TUNISIENS CHARMANTS] : ILS LUI AVAIENT COUPÉ LE NEZ ET LES OREILLES"
On prend soin de faire parcourir la France au lecteur, département par département, ça, c’est pour les racines. Le roman d’aventures, c’est pour l’imagination pure. Entre les deux, vous avez tous les intermédiaires, de la documentation géographique la plus pédagogique à la révélation des pires turpitudes commises dans les contrées les plus lointaines par les peuples les plus barbares. Surtout, vous avez quelque chose qui n’est pas annoncé dans le programme : l’émotion, le drame, la tragédie.
"LE ROYAUME DE KHIVA : LA FEMME ETAIT ENTERREE VIVANTE"
Le Journal des Voyages n’est quand même pas Le Petit Parisien, qui se repaît des faits divers sordides, dont il propose régulièrement en « une » des mises en scènes dessinées en hyperboles boursouflées, et qui flatte les « bas instincts » des lecteurs, comme fait le Sun en Grande Bretagne ou, à une moindre échelle, Détective en France. Mais enfin, disons que le spectaculaire bien saignant n'est pas un argument de vente à négliger.
"UNE QUADRUPLE PENDAISON A L'ÎLE MAURICE : LE BOURREAU SE SUSPENDIT AUX JAMBES DE CHACUN D'ENTRE EUX"
Disons-le : le Journal des Voyages est fait pour les petits bourgeois, qui se flattent d’être tant soit peu « éclairés », mais qui se contentent sagement de percevoir en pantoufles les tribulations des héros plus ou moins volontaires dont la revue narre les aventures au bout du monde. Et qui sont soucieux de donner à leur goût du sensationnel l'alibi présentable de la culture générale. Histoire aussi de conforter sa certitude d'être, mieux, d'incarner le civilisé.
"LE CAMBODGE ET SES MOEURS : IL LUI ARRACHA LE COEUR ET LE DEVORA"
UNE SCENE SEMBLABLE A ETE FILMEE EN SYRIE TOUT RECEMMENT, AU GRAND DAM DE LA "COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE".
RECEMMENT AUSSI (PUISQU'ON PARLE DU CAMBODGE), M. HUN SEN, PRESIDENT PARAÎT-IL LEGITIME, DECLARAIT QUE SI L'OPPOSITION GAGNAIT LES ELECTIONS A VENIR, IL ETAIT PRÊT A TRANSFORMER LE PAYS EN FLEUVE DE SANG. IL FAUT DIRE QUE L'ANCIEN KHMER ROUGE EN CONNAÎT UN VASTE RAYON.
Disons-le : le Journal des Voyages transforme le monde en un vaste roman-feuilleton, car il est clair que, à côté des romans d'aventures qu'il publie explicitement sous cette appellation, bien des péripéties qu'il relate comme des faits rapportés par des témoins oculaires sont visiblement davantage tirées de l'imagination du narrateur que de la réalité. Mais qu'importe au Parisien, pourvu que l'impression de réalité soit présente, pressante, voire oppressante. Et sanguinolente si possible.
"LES PARCS DE CAÏMANS : IL FUT ENGLOUTI EN UN CLIN D'OEIL"
N° 569, DU 15 AVRIL 1888
Et puis il faut bien dire que les lecteurs du Petit Journal ou du Petit Parisien, ne se préoccupent guère de leur respectabilité et de leur honorabilité dans leur voisinage, alors que nous, n'est-ce pas, nous ne lisons que des journaux corrects. Voilà : le Journal des Voyages est un journal « correct ». Ce qui n'exclut pas l'élucubration, comme le montre la gravure ci-dessous.
"EN AMERIQUE : UNE EXPOSITION AERIENNE, VUE ET PLACE"
PERSONNELLEMENT, CE SONT LES ESCALIERS EN ACCORDEON QUE JE PREFERE
Le message qui parvient au Parisien confortable, qui tourne après manger les pages pleines d’horreurs diverses de son hebdomadaire, il n’est pas compliqué : c’est le même que véhicule aujourd’hui, mais à l’échelle de la civilisation de masse, la TELEVISION. Jeux débiles, séries américaines et émissions de télé-réalité en moins. Rien ne vaut l'innovation, n'est-ce pas. Pour finir, voici La Terre dans l'espace, telle qu'un artiste l'a représentée dans un numéro de juillet 1877. Là aussi, il fallait de l'imagination.
Fin des voyages. Retour au bercail. Les pieds sur terre. C'est la rentrée. Gare à nous !
POST SCRIPTUM : J'aurais eu bien d'autres belles images à fournir gratuitement aux lecteurs curieux, mais il faut bien s'arrêter. Gratuitement, libéralement, bénévolement et mine ce rien, ça fait au total 120 (cent vingt) illustrations. Une belle documentation, je trouve. Et pas mal, comme collection. Non, non, ne me remerciez pas.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, aventures, aventuriers, revue géo, kroumirs, france géographie, barbares, cruauté, peine de mort
dimanche, 18 août 2013
POUR REFERMER L'ALBUM DE VOYAGES
Avant de reprendre le collier (comme on ne dit plus) et pour se remettre en train, il s’agit de clore dignement cette longue série vacancière sur des lectures que ma mémoire associe pour toujours à un lieu précis : la bibliothèque de C***, au premier étage, le rayonnage à gauche en entrant, juste à droite de la porte de la salle de bains. On ne peut pas se tromper.
BOUFFÉ PAR LES CRABES
Ces lectures ont aussi pour cadre une époque précise (je ne dirai pas laquelle, bien que ça ne soit pas trop malaisé à deviner). Les lectures en question sont celles faites dans le Journal des Voyages, dont on voit le dos de cinq des vingt gros volumes rouges in-folio sur la photo ci-dessous.
LES GENS CAPABLES D'IDENTIFIER LE LIEU SE COMPTENT SUR LES DOIGTS DE QUELQUES MAINS : QU'IL ME SOIT PERMIS DE LES SALUER FAMILIEREMENT, VOIRE FRATERNELLEMENT;
Le lieu en question se situait en plein cœur d'un espace qui fut une sorte de paradis, dont les occupants furent chassés par un archange nommé "nécessité". Et qui reste présent, mais seulement sous la forme, si je puis dire, d'un « paradis éloigné ». C'est quand on l'a quitté qu'on voudrait bien que ç'eût été un jardin d'Eden. Mais il faut se faire une raison : il n'y a pas de paradis, surtout rétrospectif. Personne n'a donc rien à perdre, et personne n'a rien perdu.
Les Grecs plaçaient l'Âge d'Or dans un passé immémorial. Les Utopistes (s'il en reste) le projettent dans un avenir hypothétique. Entre les deux, il reste aux vivants raisonnables un présent, qu'il leur appartient de rendre vivable, et le plus agréable possible.
C'ETAIT AU TEMPS DES "OSERAIES DE FRANCE", COMME ON LE VOIT AUX BOTTES APPUYEES CONTRE LE MUR, AU FOND A GAUCHE, DANS LA "COUR DES OSIERS".
Il s’agissait d’ailleurs moins de lecture que de contemplation avide : celle des illustrations souvent terribles que cette revue née en 1877 étalait complaisamment en « une » de ses seize pages hebdomadaires. La revue dédaignait les procédés de reproduction photographique. L’époque donnait donc un travail régulier à des dessinateurs et graveurs pour remplir le recto de la feuille imprimée (avant pliage), le verso étant consacré exclusivement au texte. Ils signaient leur travail. Plus tard, il y eut la "phototypographie" (maison Charaire).
"MOEURS DE L'INDE (A BARODA) : LEUR FRENESIE NE CONNAÎT PLUS DE BORNES"
Certaines gravures supportent mal le scannage, devenant alors illisibles, quelle que soit la ʺrésolutionʺ adoptée. J’ignore la raison de ce sabotage de l’art par la technique numérique. Cela gâche le plaisir de la contemplation esthétique, par exemple, d'une magnifique image ainsi légendée : « Une exécution à Téhéran : le bourreau attacha le condamné à la gueule d’un canon ». C’est dans le n°225, du 30 octobre 1881 (voir plus bas).
"LES FIDJIENS ANTHROPOPHAGES : CES MARMITES ENORMES CONTIENNENT DE LA CHAIR HUMAINE"
Mais enfin, on en saisit l'essentiel : on voit le pauvre bougre attaché, le dos contre la gueule d’un énorme canon, genre « marine », dressé vers le ciel, le bourreau s’apprêtant à bouter le feu et la foule à être arrosée de sang au départ du coup. Chapeau quand même : en plus d'être un excellent bourreau, Monsieur est un acrobate virtuose. Ben oui, essayez voir de ficeler comme ça le costaud qui attend de se faire éparpiller !
ON VOIT A PEU PRES DE QUOI IL S'AGIT
Même si ça met « du shimmy dans la vision». C'est le capitaine Haddock qui dit ça.
C'est dans Les Bijoux de la Castafiore.
Demain, on range le Journal des Voyages : dernières feuilles.
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samedi, 17 août 2013
LE MONDE SELON LE JOURNAL DES VOYAGES
Je m’en voudrais de refermer cette malle où le Journal des Voyages renferme tant de trésors, et où se déploient, en un entremêlement indémêlable, le vrai savoir d’explorateurs intrépides et l’imagination parfois débridée de narrateurs et de dessinateurs « inspirés », – je m’en voudrais, disais-je, si je ne proposais, dans quelques bouquets de fin de fête, quelques fleurs spécialement choisies, et particulièrement odorantes.
Aujourd'hui, et tout près de la fin des vacances, et précédant quelques nouvelles têtes coupées, je commence par une paire de jolies publicités parues dans le Journal des Voyages : l'alambic des familles et le goudron qui se fume !
Ah, les distillations domestiques ! Que dites-vous des "distillations domestiques" ? L'alcool pour tous ! La cuite perpétuelle à la portée de toutes les bourses. Au moins, on sait ce qu'on absorbe. Rappelons-nous que les Russes, il fut un temps et en temps de pénurie sévère, distillaient même le bois de leurs meubles.
Mais que pensez-vous de cette publicité destinée aux fumeurs ?
Remarquez, j'ai parlé en son temps du Radithor, véritable trouvaille médicale. Pensez, il était composé en bonne partie de radium (numéro atomique 88, découvert par Marie Curie).
"EAU RADIOACTIVE CERTIFIEE" !!!
Pour la fin, j'ai évidemment gardé en réserve quelques supplices raffinés, en particulier cet étrange supplice du peigne, en vigueur (c'est bien spécifié) en Chine. On n'est pas obligé de le croire. Quoique ...
LE DESSINATEUR SEMBLE AVOIR EU A COEUR DE RENDRE LA GOURMANDISE DE L'OEIL DES ASSISTANTS. ON SE DEMANDE VRAIMENT ... PAR OÙ ÇA LUI RENTRE !
Les têtes coupées, maintenant. On ne laissera pas la femme coupeuse de tête, précurseur des avant-gardes féministes, disparaître de la circulation sans un ultime hommage.
"LES PIRATES DU TONKIN : LA JUDITH LAOTIENNE"
Nous terminerons ce joyeux inventaire sur deux autres décollations. Cela se passe de commentaire. La première est commise en pays ashanti (les artistes absolus du façonnage de l'or)
"DE JEUNES BOURREAUX EGORGENT LEURS VICTIMES DEVANT LES EUROPEENS RETENUS EN CAPTIVITÉ"
MAIS AUX ÂMES BIEN NEES, LA VALEUR N'ATTEND PAS LE NOMBRE DES ANNEES
La seconde se passe chez les Annamites (« Mon annana, mon Annamite ! Ma Tonkiki, ma Tonkinoise ! »).
"UNE EXECUTION DANS L'EMPIRE D'ANNAM : IL EST SUPERBE LORSQU'IL RATTRAPE AU VOL LA TÊTE QU'IL VIENT DE COUPER"
C'EST D'UN GOÛT, MA CHERE ! MONSIEUR BARNUM AURAIT DÛ L'ENGAGER DANS SON CIRQUE.
Demain, on referme l'album de photos.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 16 août 2013
LE MONDE SELON LE JOURNAL DES VOYAGES
Je m’en voudrais de refermer cette malle où le Journal des Voyages a renfermé tant de trésors, et où se déploient, en un entremêlement indémêlable, le vrai savoir d’explorateurs intrépides et l’imagination parfois débridée de narrateurs et de dessinateurs « inspirés », – je m’en voudrais, disais-je, si je ne proposais, dans quelques bouquets de fin de fête, quelques fleurs spécialement choisies.
Aujourd'hui, un petit tour chez les Grands Singes, puis une petite escapade chez les Grands Nords. Autrement dit : qu'est-ce que l'anthropomorphisme ?
"GORILLES SE CONSTRUISANT UN ABRI"
CELLE-LÀ, JE LA TROUVE DELICIEUSE : JE RAFFOLE DES GORILLES (SURTOUT LES GORILLES SOURIANTS) CONSTRUCTEURS D'ABRIS. ON EN APPREND TOUS LES JOURS, AVEC LE JOURNAL DES VOYAGES.
LA SUIVANTE N'EST PAS MAL NON PLUS
"LES GIBBONS : ILS SE METTENT A QUATRE POUR TRANSPORTER LEURS MORTS"
JE SUPPOSE QUE C'EST POUR LEUR DONNER UNE SEPULTURE DECENTE ? MAIS TOUT DE MÊME, QUEL MAGNIFIQUE ENTERREMENT ! QUATRE CROQUE-MORTS. IL NE MANQUE AUX GIBBONS QUE LE CORBILLARD ET LA FAMILLE EN DEUIL.
CELLE-CI, IL FAUT L'EXPLIQUER : LE SINGE RIEUR A POUR HABITUDE, QUAND IL EN RENCONTRE UN EXEMPLAIRE, DE SAISIR L'HUMAIN PAR SES AVANT-BRAS (c'est ce que dit le Journal des Voyages), L'IMMOBILISANT AVANT DE LE DECHIQUETER A BELLES DENTS. LE MEC EN FACE N'A D'AUTRE SOLUTION QUE DE VÊTIR SES BRAS DE "MANCHETTES" DE BAMBOU, PUIS DE RETIRER SA MAIN POUR SAISIR SON POIGNARD PENDANT QUE L'AUTRE SE MARRE. ELLE EST PAS BELLE, MON HISTOIRE ? ELLE EST DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 2 DECEMBRE 1883.
IL FALLAIT LE SAVOIR : LE SINGE A TÊTE DE CHIEN (CYNOCEPHALE, SI J'AI BIEN COMPRIS) N'A RIEN DE PLUS PRESSÉ QUE DE CHEVAUCHER UN PANTHERE ET DE LUI JETER DES ORDRES D'UNE VOIX GUTTURALE.
LE JOURNAL DES VOYAGES, 12 DECEMBRE 1886
SOURIEZ, VOUS ÊTES BOUFFÉ !
Je quitte les Tropiques pour le Pôle Nord, pour assister, en compagnie de quelques marins médusés par le spectacle, au très improbable combat entre un ours blanc et un morse. La légende prend soin de préciser que c'est une femelle, quand le naturaliste un peu informé sait fort bien que chez les morses, c'est exclusivement monsieur qui a les crocs remarquables (les canines, pour être précis).
"UN COMBAT SUR LES GLAÇONS : ELLE ENFONCE SES PUISSANTES DEFENSES DANS LES CHAIRS DE L'OURS"
ON TROUVE CETTE PHOTO EXCLUSIVE DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 3 JANVIER 1886
Le récit, pas piqué des hannetons, souligne que le morse femelle est la mère du petit que le plantigrade vient de boulotter, et que la tribu morse s'est liguée contre lui, rassemblée en demi-cercle, laissant toutefois l'honneur et le plaisir de la terrible vengeance à celle qui en avait le plus le droit légitime. La digne mère s'avance solennellement et lui règle son compte. Le règne animal est plein de surprises, comme disait plaisamment Claude Darget, à l'époque de La Vie des animaux.
Parmi les curiosités animales que le Journal des Voyages offre aux appétits imaginaires du Parisien bourgeois, et malgré cela cultivé, j’espère que vous avez apprécié mes quelques pépites : quelques instantanés pris de la vie animale "authentique", quand celle-ci ne se déroule pas sous les climats cléments de l’Europe tempérée et civilisée. Autrement dit, dans les contrées encore inhumaines.
"Transformer le monde", a dit Marx. Je me demande parfois s'il n'aurait pas mieux valu continuer à l'imaginer.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, zoologie, gorilles, grands singes, singe rieur, cynocéphale, animaux, gibbons, anthropomorphisme, pôle nord, morse, ours blanc, claude darget, la vie des animaux
jeudi, 15 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 32
Je suis toujours en vacances, mais … j'ai toujours cet innommable goût pour les têtes coupées de main d'homme. Aujourd'hui j'améliore : j'introduis la tête dans la cuisine, grâce au
Le Journal des Voyages offre en effet tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté. En ce saint jour de la sainte Assomption de notre très Sainte Mère la Vierge Marie, je vous invite à un sacré banquet. Appelons-le, si vous le voulez bien,
LE DÎNER DE TÊTES.
Ce qui n'a pas grand-chose à voir avec le "dîner de cons". Quoique, quoique : c'est peut-être tendre, allez savoir. Sans doute suffit-il de bien le cuisiner. J'aurais pu intituler ce billet : « Gastronomie cannibale ».
Aujourd'hui, la rubrique sera en effet culinaire, pour ne pas dire gastronomique, comme on peut s'en apercevoir avec délectation sur l'image ci-dessous.
JE NOTE QUE LA TÊTE A ENCORE L'AIR DE SOUFFRIR
Ma foi, comme il paraît qu'il faut s'adapter aux habitudes et coutumes des populations autochtones ... Comme dit un des proverbes bantous préférés d'Alexandre Vialatte : « Il n'y a pas de bas morceau dans le gras missionnaire » (je cite de mémoire, mais les fidèles reconstitueront).
"HORREUR ! CE SONT DES DEBRIS HUMAINS QUI BOUILLENT DANS CES MARMITES"
Cela dit, mangerais-je de ce gros ver blanc dont les Aborigènes d'Australie raffolent, et qu'ils trouvent sous les écorces des arbres ? La réponse n'est pas donnée d'avance, surtout si le gros ver blanc en question m'était présenté en steak tartare et non assaisonné.
"CHEZ LES CANNIBALES. PREPARATION DES TÊTES HUMAINES : LES PIERRES CHAUDES SONT ARROSEES D'EAU "
Il faut s'adapter, nous dit-on. Il faut être tolérant. Certes, vous en discourez à votre aise, mesdames et messieurs qui imposez la tolérance à l'égard de toutes les fantaisies humaines plus ou moins fantaisistes que le Journal des Voyages a laissées sur sa route (mais qui ne parle jamais de l'excision du clitoris des filles, qui fait curieusement pousser des cris d'orfraie à tous les fanatiques et à toutes les fanatiques de la tolérance à l'égard des "coutumes autres", c'est-à-dire des différences). A commencer par la consommation des têtes de ses semblables, en tartare, en friture, en bouilli, en rôti, enfin, selon la recette que vous préférez.
"LES CHINOIS CHEZ EUX : DANS CES PANIERS D'OSIER SONT DES TÊTES D'HOMMES ET DE FEMMES"
Cela dit, parlez franchement, monsieur l'explorateur en charentaises : mangeriez-vous de la tête humaine cuite, comme s'apprêtait à le faire la brave femme aux seins tombants (plus haut) accroupie devant sa marmite, dont votre arrivée intempestive a retardé la satisfaction de l'appétit, et qui attend pour le (satis)faire que vous ayez passé votre chemin ? Que feriez-vous si le maître-queux vous apportait (comme ici, au milliardaire Largo Winch) la tête de votre meilleur ami sur la table du festin auquel vous avez convié quelques centaines de riches ?
APPETISSANT, NON, AINSI PRÉSENTÉ ? (TIRÉ DE LA SERIE "LARGO WINCH")
« Vous reprendrez bien un peu de ma tête ? - Avec plaisir, elle est succulente. ». Je confirme : bien grillée, la cervelle est le morceau le mieux venu.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, décapitation, gastronomie, cuisine, sauvages, anthropophages, cannibales, dîner de con, assomption, vierge marie, alexandre vialatte, proverbes, aborigènes, largo winch, bande dessinée, tolérance, excision
mercredi, 14 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 31
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire.
Aujourd'hui, la maison propose un petit reportage sur la Nouvelle Guinée, en particulier ses populations si accueillantes au touriste : les Papous.
"LE SUPPLICE DU PAPOU : ON POUSSE CET HOMME AU MILIEU D'EPINES ENFLAMMEES"
J'ai bien peur que l'image ci-dessus ne rende pas les Papous bien sympathiques.
JE SAIS, ÇA NE VIENT PAS DE CHEZ LES PAPOUS, MAIS DES MARQUISES, MAIS JE NE SUIS PAS METICULEUX COMME UN ETHNOLOGUE, PUISQUE JE NE SUIS PAS ETHNOLOGUE.
Remarquez que des gens aussi éclairés qu'André Breton ou Tristan Tzara, même s'ils ont collectionné des crânes surmodelés trouvés dans la vallée du Sepik, si on y réfléchit un peu, ça ne rend pas les Papous plus avenants pour autant (et tant pis pour l'anacoluthe).
UN CRÂNE SURMODELÉ, POUR NOUS, C'EST D'ABORD UN OBJET D'ART.
Breton et Tzara savaient sans doute que ces braves Papous du Sepik (Papouasie Nouvelle Guinée) pratiquaient depuis toujours la « chasse aux têtes», et cela dès que les ancêtres (ça se dit « maro») en réclamaient. Ci-dessous la vallée du Sepik.
Chez les Papous, la tête de l'ennemi tué était tranchée à l'aide d'un couteau de bambou ou avec une lame de pierre, mais une fois rapportée au village elle ne devait plus être manipulée par le meurtrier, qui devait se purifier en se nettoyant avec du jus de citron sauvage.
CE MAGNIFIQUE CRÂNE SURMODELÉ IATMUL DE LA VALLEE DU SEPIK FAIT PARTIE DE LA COLLECTION RENAUD VANUXEM
Elle était suspendue au cou de l'épouse de l'oncle maternel du meurtrier pendant la durée des festivités destinées à honorer le triomphe de ce dernier. Je vous assure que je n'invente rien. D'abord je n'oserais pas. Ensuite j'en serais probablement incapable.
LE SALE GOSSE A LE MÊME RIRE QUE LA "MOUETTE RIEUSE".
Je pourrais aussi convoquer Gaston Lagaffe, bien que, dans son cas, les Papous n'aient qu'une existence théorique, et même abstraite, pour ne pas dire purement hypothétique. Et pourtant ...
Non, une fois pour toutes : tout mais pas papou, et même pa-papou, pa-papou, pa-papou.
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mardi, 13 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 30
Je suis en vacances encore pour quelques jours, mais ...
Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal. Le bocal est aussi un miroir. Quoique déformant, certes.
Aujourd'hui, rendez-vous chez l'hipporhinoéléphantologiste (variante animale de l'ORL).
Commençons par les distractions éléphantines élémentaires.
REGARDEZ BIEN CETTE GRAVURE : LES ELEPHANTS S'AMUSENT COMME DES FOUS !
L'ARTISTE, LUI, S'EN EST DONNÉ A COEUR JOIE
La légende de la gravure ? « Il ne manque que le rire». Les éléphants, quand ils savent qu'il sont entre eux et qu'ils croient que personne ne les regarde, sont des boute-en-train sans égal.
Mais quand l'un d'eux croise la route d'un Rataxès de bazar (« Rataxès le rancunier », est-il dit dans Babar), il ne faut pas trop le pousser pour qu'il lui règle son compte.
Les défenses de l'éléphant sont aussi dangereuses que celles du morse, surtout du morse femelle (voir notre reportage exclusif du 16 prochain).
"LES CHASSEURS DE DIAMANTS : ALBERT SE JETTE SUR LE DOS, ARC-BOUTE SON FUSIL SUR LE SOL ET LÂCHE LA DETENTE"
LE CHASSEUR EST UN DRÔLE D'ETOURDI : SI SON COUP A PORTÉ, IL VA PRENDRE UN SACRÉ PAQUET SUR L'ESTOMAC. D'AUTANT QUE LE RHINO EST VENU PRÊTER MAIN-FORTE.
Mais il est vrai que, quand il s'agit de s'attaquer à l'homme, Rataxès est prêt à prêter main-forte à Babar (ci-dessus).
"ASSIÉGÉ PAR UN RHINOCEROS : L'ANIMAL CHERCHAIT A ENTAMER LES RACINES DE L'ARBRE"
Il est même prêt à s'en prendre aux racines du puissant arbre sur lequel le maladroit chasseur a eu le temps de grimper après avoir perdu son fusil dans la course.
Mais quand les Zéphyr (c'est le singe dans Babar, on se demande pourquoi "Zéphyr", peut-être parce qu'il n'arrête pas de péter ?) s'y mettent à plusieurs dizaines pour bombarder la troupe des éléphants, ceux-ci, impuissants, n'ont plus qu'à retourner à Célesteville la queue entre les pattes. Nul doute, n'est-ce pas, qu'il en est ainsi dans la nature.
"LES CHASSEURS D'HIPPOPOTAMES : LE MONSTRE FIT CHAVIRER LA BARQUE ET LA MIT EN PIECES"
Quant à l'hippopotame, il est de notoriété publique que sa vitesse surprend tous les promeneurs, safaristes et chasseurs qui s'en sont approchés du mauvais côté du vent.
Et quand il est dans l'eau, son élément, gare aux marins d'eau douce. Spirou et Fantasio (Le Gorille a bonne mine) l'ont échappé belle.
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lundi, 12 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 29
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire.
Aujourd'hui, la mer cruelle, la mer dangereuse, la mer « toujours recommencée ».
LES NAUFRAGEURS DU LABRADOR
La mer (éternelle, cela va de soi) est un sujet omniprésent dans l'hebdomadaire. La leçon de l'époque ? « Je lutte pour ma survie ».
LES "ENNEMIS GROUILLANTS" CONSISTENT EN UNE MEUTE DE CONGRES GOURMANDS ET AGRESSIFS.
Nous sommes à l'abri de ce genre de message, puisque nous avons eu la Première Guerre Mondiale, la Deuxième Guerre Mondiale,
les deux Bombes Atomiques (6 août 1945, "Little Boy", tombée sur Hiroshima, depuis le B29 "Enola Gay" piloté par Paul Tibbets, puis, 9 août, "Fat Man", larguée sur Nagasaki du B29 "Bockscar" piloté par le major Charles Sweeney), les camps de la mort, et d'autres réjouissances que je n'ai pas besoin de rappeler ici.
LE "MONSTRE" EN QUESTION EST CENSÉ ÊTRE UN REQUIN
Les catastrophes, à l'époque du Journal des Voyages, étaient encore, j'ose le dire, à l'échelle humaine.
Aujourd'hui, les catastrophes ont suivi l'essor magistral et monstrueux de la technique : elles sont à l'échelle inhumaine.
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dimanche, 11 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 28
Je suis toujours en vacances, mais ...
… il reste des choses à dire sur l'Afrique, telle qu'elle était aux alentours des années 1880. Oui, nous nous devons d'aborder ici, crânement, l'infâme époque coloniale, où le blanc méprisait stupidement le noir, le jugeant abusivement ignorant, superstitieux, souvent cruel, et où il s'en servait comme d'un outil.
Ce serait tout à fait idiot de nier le fait, de même qu'il est inepte (voire ignoble) de demander, comme le fait l'arrogant Louis-Georges Tin, président (et sans doute unique militant) du Conseil "Représentatif" [représentatif mon oeil !] des Associations Noires (CRAN, appellation abusivement calquée sur "CRIF", mis en place depuis des dizaines d'années par les Juifs), des réparations financières astronomiques pour toute la période colonialiste et esclavagiste, ou à défaut l'interdiction de Tintin au Congo.
Il n'y a pas de petit profit. Il n'est pas seul à vouloir se servir de l'histoire pour tenter de palper de la pépette, Louis-Georges Tin. Qui oublie bien volontiers que les premiers à avoir réduit des Noirs en esclavage furent des Noirs.
Et que si les Blancs ont pu sans problème s'approvisionner durablement, à Gorée ou ailleurs, c'est que des Noirs n'avaient rien de plus pressé que de leur vendre d'autres Noirs, leurs « frères de couleur ». L'esclavage était fondé sur les principes du commerce : si les Blancs, et bien avant eux les Arabes, ont pu acheter des Noirs, c'est que des Noirs vendaient des Noirs. Il n'y a pas de demande s'il n'y a pas d'offre.
A cet égard, la réaction que j'ai aujourd'hui quand je lis certains propos de voyageurs de l'époque du Journal des Voyages me rassure : les auteurs de ces propos seraient aujourd'hui condamnés, avec mon adhésion, tant leurs propos sont tombés dans l'opprobre du ruisseau (Boby Lapointe), en correctionnelle, séance tenante, pour "incitation à la haine raciale", ou autre motif judiciaire.
Les temps ont irréversiblement changé. J'y reviendrai peut-être, parce qu'il est bon que nous sachions d'où nous venons, même si le présent est actuel, et que le passé est révolu. Il est bon de voir qu'un business prospère s'est développé sur les notions de « blessure mémorielle » et de « culpabilité historique », donnant lieu à « repentance » et surtout à « indemnisation ».
Et que les enfants ne sauraient être considérés comme coupables des crimes de leurs pères. D'ailleurs et heureusement, n'est-ce pas un Français (dont le nom a servi à baptiser la capitale d'un pays africain) qui a libéré des noirs esclaves, comme le montre l'illustration ci-dessous ?
A la rigueur, le colon pouvait considérer le noir comme un animal de trait, tout dévoué au service du seigneur à la peau claire. Le noir, en effet, ne demandait pas mieux que de tirer la calèche de ces messieurs, quand il leur prenait l'envie d'aller à la chasse aux papillons et autres insectes.
Je propose par-dessus le marché à la méditation de Louis-Georges Tin le document suivant, imprimé en 1946.
Il est tiré d'une publication missionnaire, intitulée Père, parlez-nous de votre Afrique, et pleine de choses délicieuses. Mon Dieu, le brave curé que voilà.
"Moteurs à bananes", riche expression.
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samedi, 10 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 27
Je suis toujours en vacances, mais … j'envoie quelques cartes postales extraites de mon
Aujourd'hui, quelques curiosités végétales, animales et humaines. On commencera par l'injustement méconnu « Filaire de Médine», en se rappelant que Médine est la deuxième ville sainte des musulmans. C'est bien fait pour eux : ils n'avaient qu'à pas. On l'appelle aussi "dragonneau", parfois "ver de Guinée".
Bref une belle saleté, qui a la fâcheuse habitude de se balader librement (et même à vue d'oeil) sous la peau, ornant le corps de fort coquets bulbes. Il peut, paraît-il, se loger n'importe où, y compris dans les paupières. La technique pour l'extraire est simple, consistant à inciser délicatement l'épiderme puis à enrouler l'animal sur un bâtonnet, mais elle demande du doigté : il ne faudrait pas qu'il se casse.
Nous continuerons avec un phénomène végétal que seul l'Australie du Journal des Voyages est capable de produire : l'arbre insectivore. Celui-ci, étrangement, s'est trompé de proie : la mouche est un peu grosse. Mal va lui en prendre. Les curieux qui n'étaient pas là le 16 juillet dernier pourront faire un détour par cette date, ici même, pour découvrir une véritable trouvaille : l'arbre anthropophage des Sakalaves de Madagascar. Moralité : tout ce qui est exotique est dangereux.
"LES ANTHROPOPHAGES : LE CHEF CHOISIT UN MORCEAU QU'IL DECOUPA"
N°47 DU 2 JUIN 1878
Nous ferons une escapade dans une tribu ô combien célèbre chez les Européens, depuis que Daniel Defoë a raconté les aventures du marin Selkirk, plus connu sous son pseudonyme romanesque de Robinson Crusoë : la tribu des anthropophages. Pour le Journal des Voyages, il suffit de tomber en milieu exotique pour risquer de se faire dévorer par des êtres humains à peau foncée.
"SCENES DE LA VIE DES SQUATTERS : LA TRIBU LES DEVORAIT A BELLES DENTS"
LES SQUATTERS AUSTRALIENS (ET ETATSUNIENS) ETAIENT LES PIONNIERS QUI ALLAIENT S'INSTALLER SUR DES TERRES "INOCCUPEES", SANS DEMANDER L'AVIS DES GENS DU "CRU" (SI J'OSE DIRE). N° 614 DU 14 AVRIL 1889.
La tribu d'origine a prodigieusement essaimé, puisqu'il s'en trouve sous à peu près toutes les latitudes, sauf dans la civilisation, autrement dit en Europe. Et pour prouver que je ne m'abreuve qu'aux meilleurs sources, je propose ici deux exemples pris, l'un dans une contrée non précisée, l'autre dans l'Australie primitive. Le plus dégoûtant dans l'affaire, c'est que ces gens raffolent du steak tartare.
Mais il n'y a pas que les sauvages qui se livrent à des fantaisies meurtrières. La Russie profonde, avec ses sectes d'illuminés chrétiens, offre de bien intéressants exemples d'extravagances diverses. On dirait même que c'est un plaisir de se faire couper la tête par des patriarches à longues barbes, sous le regard approbateur des icônes. Il n'est pas dit si la viande des "décollés" est ensuite mise à mariner et à cuire.
Nous retombons ensuite dans les clichés traditionnels : le tigre, le requin, rien que du déjà vu, même si ça fait toujours son petit effet, comme dernièrement sur une plage de La Réunion.
"LES CAVERNES A REQUINS : UN ENORME SQUALE VINT BOUCHER L'ENTREE DE LA CAVERNE". ET LE GARS EST EN APNEE ! ZORRO VA SÛREMENT ARRIVER. LES "CAVERNES A REQUINS", DU MOINS A MON AVIS, SONT AUSSI UNE VRAIE TROUVAILLE.
Même que le préfet de là-bas a déclaré sans rire qu'il allait tout faire pour que le requin coupable de meurtre sur la personne d'une adolescente de quinze ans soit retrouvé et dûment châtié. Le tribunal s'en lime déjà les canines.
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vendredi, 09 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 26
Je suis toujours en vacances, mais … il y a le fidèle
Avant de partir, j’ai bien avancé mon travail, pour que ce blog ne reste pas totalement muet. Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.
Laissez-moi, ce jour, vous présenter l'objet de ma quête quotidienne de sensations fortes.
"LA CHASSE AU MOA : IL AVAIT UN COMPAS D'UNE ENVERGURE INSENSEE"
Je me garderai bien de contester au Journal des Voyages le sérieux qu'il apporte dans la vérification des informations qu'il publie. Je me permettrai juste, de relever un flottement dans l'attention portée à leur indubitabilité. Ainsi trouve-t-on, en "une" du numéro 491 paru le dimanche 5 décembre 1886, une gravure, représentant une espèce de gigantesque autruche aux prises avec les fusils des chasseurs, qui relèverait du cinéma fantastique si elle paraissait aujourd'hui.
GRAVURE DU NOUVEAU LAROUSSE ILLUSTRÉ
Nous ne connaissons en effet l'animal présenté que sous forme de fossile. Il aurait pu jouer dans Jurassic park (mais les chasseurs ci-dessus se promènent déjà à Jurassic park). Si je me réfère au Nouveau Larousse Illustré en sept volumes (1897-1903), je trouve, au terme « Moa », un renvoi au « Dinornis» (en grec : oiseau terrible).
PHOTO PRISE, SI J'EN CROIS LE DOCUMENT, QUELQUES ANNEES AVANT LA PARUTION DU NUMERO DU JOURNAL DES VOYAGES
Sous cette dernière entrée, je lis que les Maoris de Nouvelle Zélande appelaient la bête le « Géant Moa» et qu'ils en nourrissaient leurs récits traditionnels et leurs légendes. Le dictionnaire s'avance même dangereusement, en faisant valoir de façon péremptoire que les dinornis ont été contemporains de l'homme, peut-être même à une époque historique. Du moins est-ce ce qu'on croyait à l'époque.
CI-DESSUS, UN COMPARATIF LUMINEUX : L'APTERYX, L'AUTRUCHE ET LE DINORNIS, CHACUN AVEC SON OEUF
Le Grand Robert, sur les bases scientifiques les plus récentes, nous apprend que l'animal date de la fin de l'ère tertiaire (- 65 à - 2,6 millions d'années), et qu'il vivait en Australie, et non en Nouvelle Zélande. On dira donc que le XXème siècle a permis d'affiner nos connaissances en paléontologie. Et que le Journal des Voyages, finalement, n'a fait qu'extrapoler un récit "possible" (!) à partir de ce que savait l'époque. L'image n'en reste pas moins goûteuse : ces chasseurs armés de leurs flingots modernes qui traquent l'animal préhistorique, avouez que ça vaut son pesant de bananes. Jurassic park peut aller se rhabiller.
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jeudi, 08 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 25
Je suis toujours en vacances, mais il y a, encore et toujours, le …
qui offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.
Aujourd'hui, je rends un vibrant hommage à Octave Mirbeau et à son grand livre (ci-dessus), Le Jardin des supplices (qui paraîtrait, si on le lisait encore, bien fade aujourd'hui, à cause de trop de "littérature"), Je vous emmène en effet visiter le grand jardin des supplices inventés par les hommes (en général puissants, d'opérette ou non) pour punir, mais surtout faire souffrir et mourir leurs semblables. Je précise que tout ce qui suit est de la seule responsabilité du Journal des Voyages (il y a prescription).
"LA PUNITION DU TRAÎTRE : L'ELEPHANT LUI ECRASA LA TÊTE D'UN SEUL COUP"
ET POUR MIEUX LE PUNIR, ON L'A OBLIGÉ A VOIR VENIR EN DIRECT LE DESSOUS DE LA PATTE, QUI FAIT GICLER JOYEUSEMENT LE JUS DE TÊTE, COMME L'ARTISTE A PRIS PLAISIR A LE PRECISER
Aujourd'hui, nous découvrons, proprement stupéfaits, que l'animal le plus cruel qui ait pris pied sur la planète Terre, ce n'est pas le tigre, ce n'est pas le calamar géant, mais l'homme. J'espère ne rien apprendre à personne.
ON N'EST PAS EN BASSE PROVENCE APRES LA RECOLTE DES OLIVES. GARANTI "PREMIERE PRESSION A CHAUD". A DEGUSTER DE SUITE ET SUR PLACE.
Qu'a-t-il en plus ? Quelle faculté particulière lui vaut d'être insurpassable dans le domaine des cruautés ? C'est tout simple : l'imagination. Dire cela est évidemment, aujourd'hui, d'une extrême banalité. Beaucoup plus banal que ces crochets plus pointus que des crocs de boucher, fixés dans un mur de Tunisie (ci-dessous), avant que la France chrétienne et civilisée (c'est tout un, comme dit Montaigne) ne vienne y mettre bon ordre.
"EN TUNISIE : QUELQUES-UNS FURENT JETÉS TOUT NUS SUR LES CRAMPONS DE FER ATTACHÉS AUX MURAILLES"
Certains Tunisiens d'aujourd'hui rêvent peut-être nostalgiquement de revenir au doux temps jadis, où l'on savait quoi faire des malfaisants. Une âme charitable aura-t-elle l'amabilité de montrer cette image d'un croc de boucher à feu Monsieur Sarkozy ?
LES PEINES ET LES SUPPLICES AU TONKIN : LES POINTES AIGUËS PENETRENT JUSQU'AUX OS."
A propos de planches, je vous recommande, en date du 15 février 1891, celle sur laquelle fut étendu le cruel Dekoro, roi du Segou-Sikoro, qui fit exterminer 60.000 esclaves en une seule journée pour montrer sa suprématie et sa munificence, et qui fut à son tour supplicié par les rescapés, après avoir vu toutes ses femmes et tous ses enfants passés au fil de l'épée.
"SEGOU-SIKORO : DE NOUVEAUX CLOUS S'ENFONCERENT DANS LES MEMBRES DU ROI"
15 FEVRIER 1891
Allez, vous prendrez bien un dernier supplice, avant de repartir ? Celui-ci est croquignolet, et j'y suis sensible parce que la tranche de viande, entre les deux planches, est celle d'un Français, Grès, garde principal du poste de Dong Son, qui n'a pas été fusillé comme ses camarades par le redoutable chef des bandits, le Doc Ngu, qui se le gardait pour la bonne bouche. Je doute cependant qu'on puisse réellement scier en s'y prenant comme le bourreau de l'image ci-dessous. Aucun raisonnement, ces artistes !
"IL LE FIT SCIER TOUT VIVANT ENTRE DEUX PLANCHES"
19 MARS 1893
Finalement, la leçon du Journal des Voyages, ce pourrait être : « Qu'est-ce que nous sommes civilisés, quand on voit les horreurs, les cruautés et les supplices que tous les autres peuples du monde, ces sauvages, ont inventés pour faire souffrir leurs semblables ! ». Conclusion : « Qu'est-ce qu'on est bien chez nous ! ». Comme on comprend le lecteur du Journal des Voyages! C'était l'époque où l'Europe régnait, rayonnait, dictait la marche à suivre et montrait la direction morale. D'autres temps.
CE SONT DEUX SURVIVANTS DE L'EXPEDITION DU DOCTEUR CREVAUX QUI ONT RACONTÉ QUE CELUI-CI FUT TUÉ ET MANGÉ PAR LES INDIENS TOBAS. IL AVAIT 35 ANS.
Mais qu'est-ce qu'il y a comme supplices, dans le Journal des Voyages ! A croire que le lecteur se délectait ! Comme si les hommes étaient capables de se réjouir du malheur des autres ! Non mais sans blague ! Dites tout de suite que ce qui est humain est inhumain, tant que vous y êtes !
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mercredi, 07 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 24
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet. Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté. Il suffit de tourner les pages de papier fin, en format in-folio.
Aujourd'hui, nouveau plongeon héroïque dans la fosse où grouillent diverses sortes de serpents.
On a peine à se représenter la somme de dangers que représentait le monde, voilà 130 ans, une période de l'histoire où, pourtant, l'humanité n'a jamais cru aussi dur que le fer que son bonheur, grâce aux bienfaits de la science, de la technique et de l'industrie, serait assuré pour l'éternité.
Le Journal des Voyages est un témoin de ce que les Français de 1880 et environs s'attendaient à vivre dans leurs années futures, selon le schéma qu'en dessinait la propagande de l'époque.
Le monde était qualifié de dangereux par une avant-garde envoyée par l'Europe dans les pays les plus sauvages, mais en même temps riche de tous les possibles, pour peu que l'on trouvât des hommes qui n'eussent pas froid aux yeux, et qui eussent le cran de mouiller d'encre noire les feuilles des journaux avec lesquels ils étaient sous contrat, de mouiller de leur sueur la chemise unique avec laquelle ils étaient partis à l'aventure, ou de mouiller de leur sang la terre sur laquelle leur courage, leur audace ou leur témérité les avait conduits.
"UNE DIGESTION DIFFICILE : LES JAMBES D'UN HOMME APPARURENT"
JE JURE QUE C'EST LA LEGENDE AUTHENTIQUE (N°539, DU 6 NOVEMBRE 1887). ON CROIT RÊVER QUAND ON SE DIT QUE LE SERPENT A COMMENCÉ PAR LES PIEDS.
A défaut, les journaux acceptaient les récits de seconde main. On appréciera (plus haut) la longueur inhabituelle de ce serpent à lunettes (mais il paraît que certains de ces protéroglyphes de la famille des élapidés atteignent 4 mètres, alors ...).
"LES DRAMES DE L'AFRIQUE AUSTRALE : IL FIT DE VAINS EFFORTS POUR CONSERVER SON APPUI"
Quant aux peuplades, parfois désignées comme les plus primitives, le Journal des Voyages en décrivait complaisamment les moeurs abjectes ou cruelles, que ce fût l'alimentation, la religion, les châtiments punissant les fautifs, les relations humaines ou autre, comme on le voit ci-dessus : comment des humains peuvent-ils se comporter d'une façon aussi inhumaine ? C'était la question inlassablement posée, semaine après semaine, par le Journal des Voyages.
MES EXCUSES POUR LA QUALITE DU SCAN. "LES DRAMES DE L'AFRIQUE AUSTRALE : IL AVAIT LAISSE ECHAPPER UN GEMISSEMENT ET ETAIT TOMBE A LA RENVERSE". FINALEMENT, LES FILMS D'INDIANA JONES S'INSCRIVENT DANS UNE VIEILLE ET SOLIDE TRADITION.
Mais chacun sait que les rivières d'Amérique grouillent de méchants animaux à la gueule bourrée jusqu'à la gueule de dents horriblement garnies de pointes horriblement pointues.
PREMIER ARRIVÉ, PREMIER SERVI !
Et que les forêts, surtout quand elles sont vierges, recèlent des populations invraisemblables de créatures rampantes, à la gueule bardée de crochets épouvantablement venimeux, et douées pour le contorsionnisme.
"LE CHARMEUR DE SERPENTS : OKALI APPORTAIT A SES ELEVES UNE POULE NOIRE"
Pour tout dire, le voyages ont des dents pointues comme les mâchoires du monde extérieur tout entier croquant dans la chair trop tendre de nos imaginations fiévreuses d'occidentaux attiédis par le confort.
Mais qu'est-ce qu'il y a comme serpents, dans le Journal des Voyages ! Il y a même le SERPENT DE MER. Sans rire, sans dec et sans charre. C'est même le capitaine de la frégate anglaise « Dedalus», Pierre McQuhoe, qui en a tiré le portrait quand celui-ci est passé à 200 yards de son navire, quelque part dans le Pacifique, et qu'il l'a alors croqué "de chic" (comme on ne dit plus).
"TÊTE DU SERPENT DE MER (D'APRES UN CROQUIS DU CAPITAINE M'QUHOE)"
Personne ne pourra dire que ce blog ne se préoccupe pas d'instruire, en même temps qu'il s'efforce d'être « distraisant, treize ans et demi, après je prends ma retraite » (Boby Lapointe, Leçon de guitare sommaire). Personne ne pourra plus ignorer l'existence du SERPENT DE MER, quelques formes, modalités ou apparences que son existence réelle puissent adopter.
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mardi, 06 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 23
Je suis toujours en vacances, mais … j'aime toujours autant les têtes coupées. On ne se lasse pas de relire ces bonnes histoires du bon vieux temps, où l'on savait faire tomber les têtes comme grêle (voir l'extraordinaire - au sens propre - Conte du genévrier, des frères Grimm). Comme dit Georges Brassens : « Il est toujours joli, le temps passé, une fois qu'ils ont cassé leur pipe ».
"LES SACRIFICES HUMAINS : D'UN SEUL COUP L'EXECUTEUR SEPARE LA TÊTE DU CORPS"
J'IMAGINE BIEN, A VOIR L'INSTALLATION, LE BRUTAL DECOLLAGE DE LA TÊTE, PROPULSEE PAR LA CATAPULTE. C'EST LE DIABLE QUI BONDIT DE JOIE.
Avant de partir, j’ai tâché de bien m’avancer dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage.
"LE PRIX DU SANG : IL L'EMPORTE CHEZ LUI COMME UN TROPHEE"
CELA SE PASSE A SUMATRA
Le Dahomey est une région si fascinante que le Journal des Voyages s'y est fort longuement attardé pour mettre en valeur tous les atouts que le pays a pu développer pour attirer le touriste.
"IL LANÇA EN L'AIR SON DEGOÛTANT TROPHEE"
J'ai déjà cité en exemple les redoutables Amazones du roi d'Abomey. Voici aujourd'hui une de ces charmantes coutumes locales dont le voyageur ne se lasse jamais d'apprécier et de savourer le caractère typique, voire folklorique : les « massacres annuels».
"AVENTURES PERILLEUSES AU DAHOMEY : LES MASSACRES ANNUELS"
A se remémorer ces délicieuses surprises que le monde sauvage, autrefois, savait ménager à nos compatriotes avides de sensations fortes, on comprend mieux l'ennui dans lequel se déplacent les touristes d'aujourd'hui, au fond de leurs énormes boîtes de conserves vitrées montées sur roulettes.
AVOUEZ QUE ÇA A PLUS DE GUEULE QUE LE PEAGE DE SAINT-ARNOULT : QUAND ON AIME COUPER LES TÊTES, ON NE COMPTE PAS
En fait, il y a fort à parier que, dans les traditions ancestrales propres aux populations de l'ancien Dahomey, les « massacres annuels » tenaient lieu de ce que nos journalistes éclairés appellent depuis longtemps des « marronniers». Mais nos marronniers à nous manquent de panache.
Vous savez, ces informations obligées qui reviennent, à date à peu près fixe, comme le panier de la ménagère, qui est déjà une sorte de rituel religieux, mais aussi les recettes féminines pour maigrir avant la plage, les meilleurs placements financiers, la rentrée scolaire, le classement des universités, des hôpitaux ou des lycées, la préparation des fêtes de Noël ou l'état du marché immobilier. Pas de quoi se relever la nuit. Heureusement, il y a le Journal des Voyages.
Au fait, vivement le prochain dimanche de Pâques ! Au moins, Noël sera passé.
Qu'est-ce qu'on coupe comme têtes, dans le Journal des Voyages !
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lundi, 05 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 22
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, j’ai tâché de bien m’avancer dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage. Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.
"ARABES SOMALIS PILLANT LE MEI KONG"
UN BATEAU CHINOIS QUI SE FAIT PILLER DANS LA CORNE DE L'AFRIQUE, AU FOND RIEN N'A CHANGÉ. MAIS LA CHINE N'AVAIT PAS DE PORTE-AVIONS A L'EPOQUE.
Nous faisons un tour dans l'ambiance "pirate", pour nous apitoyer sur le sort effroyable (ci-dessous) des victimes de l'impitoyable Ramahib Java (n°132, du 18 janvier 1879). Ce pirate, célèbre à l'époque, avait commencé petit, n'attaquant, sur sa modeste barque et avec ses douze complices, que des bateaux indigènes et de petite taille. Mais comme les affaires marchaient très bien, il avait fini, fortune faite et ayant acheté un navire « jaugeant trois cents tonnes» avec l'équipage adéquat, par s'en prendre, avec une audace insupportable, aux gros navires européens.
"UN PIRATE : L'ANCRE COULA, ENTRAÎNANT AVEC ELLE LA GRAPPE HUMAINE"
Ramahib Java est, on le voit, impitoyable et cruel. Mais j'ai un petit doute sur la vraisemblance de l'image ci-dessus : avez-vous vu le rudimentaire du mécanisme qui maintient l'ancre en hauteur ? Vous l'avez vue, cette pauvre poulie qui sert de passage à la grosse corde ? Les marins qui la tiennent sont des costauds, c'est sûr, mais on n'y croit pas une seconde. Le dessinateur de l'époque (janvier 1879) ignore visiblement certains progrès décisifs accomplis dans les techniques de navigation depuis deux ou trois siècles, à commencer par le cabestan, sans lequel l'ancre ci-dessus n'aurait jamais vu le jour.
En voyant l'objet dessiné, on se souvient de l'appareil désigné sous le nom de « cabestan», on peut penser que, quelle que soit la force et la bonne volonté des bonshommes, l'ensemble formé d'une ancre en fonte de taille respectable (au bas mot 500 kilos, vous ne croyez pas ?) et de cinq citoyens de même, l'ensemble leur aurait échappé des mains ou les aurait eux-mêmes précipités, comme le montre la demi-planche ci-dessous.
Et le très réaliste (et proprement génial) dessinateur de BD François Bourgeon montre, dans ses inoubliables Passagers du vent, que même un cabestan, ça peut faire des dégâts.
CABESTAN MODERNE
L'article annoncé par l'illustration de "une" commence par un avertissement bien senti : « Le commerce de la mer Rouge souffre, depuis un temps immémorial, des déprédations des pirates arabes qui en infestent les côtes ». Finalement, je me dis que les pirates d'aujourd'hui ne font que restaurer une tradition locale profondément enracinée, un moment occultée par les « valeurs universelles » arrogamment portées par l'occident chrétien (enfin, que ce soit au sujet de "valeurs universelles", de "arrogamment portées" et de "chrétien", on peut dire que c'est : de moins en moins).
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dimanche, 04 août 2013
JOURNAL DES VOYAGES 21
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, j'ai bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire.
"PRISONNIER D'UN SUCURIU : L'UN DES REPLIS DU REPTILE AVAIT SAISI MON BRAS"
QUAND ON TAPE "SUCURIU" (ON TROUVE AILLEURS "SUCURUHYU"), ON TOMBE SUR LE NOM D'UNE RIVIERE, D'UNE REGION DU BRESIL OU D'UNE DANSE INDIENNE
Aujourd'hui, une affection psychologique grave : l'HERPETOPHOBIE. Comme chacun sait, le grec ἑρπετόν (herpeton) désigne tout ce qui rampe, en particulier les serpents et autres reptiles. J'imagine que l'herpès, cette gracieuse maladie de peau, fut ainsi nommé à cause de la ressemblance qu'il donne avec la peau de ces charmantes créatures. Je ne donne ici qu'un échantillon modeste de ce qu'on trouve dans le Journal des Voyages.
"L'ELEPHANT BLANC : IL PRIT LE PARTI DE RAMPER DOUCEMENT"
Il faut savoir que le serpent, qu'il grouille ou qu'il soit monstrueux, qu'il soit venimeux ou volumineux (souvent les deux, mon général), est une pièce maîtresse dans l'arsenal des terreurs fournies par le Journal des Voyages. Le nombre et la variété des images (avec des constantes toutefois) sont tels que je suis bien embarrassé au moment du choix : un vrai supermarché.
Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté. Aujourd'hui, les lecteurs ont à faire à la gent ophidienne.
UNE VERITABLE ARMEE
L'étonnant, avec le Journal des Voyages, c'est, ci-dessus le nombre, et plus souvent la dimension des serpents que les héros des histoires plus ou moins véridiques sont amenés à rencontrer au cours de leurs périlleux périples.
Même le serpent à sonnettes y atteint des dimensions mythologiques. A l'occasion même, les ophidiens censés réduire leur proie à un état informe (genre boa constrictor) avant de l'avaler, se retrouvent dotés des vertus appartenant au serpent mordeurs.
"LE CHEVAL BLANC DES PRAIRIES : LE BEAU CHEVAL ETAIT ENCHAÎNÉ AU TRONC D'UN ARBRE PAR UN SERPENT"
Quoi qu'il en soit, les serpents inventoriés par le Journal des Voyages ne se doivent qu'une qualité : être le plus effrayants possible. Monstrueux, si vous voulez. Et cela se voulait peut-être un constat, du genre : « Le monde étant monstrueux, heureusement que nous (alias la civilisation occidentale) sommes là pour y mettre un peu d'ordre et de raison».
"LE CHARMEUR DE VIPERES : LE BAQUET AYANT ETE OUVERT, LES VIPERES SE JETERENT SUR LEUR ENNEMI"
Hercule, dans la tradition évhémériste, n'est-il pas l'homme qui a le courage et la force de venir à bout des forces obscures de la Nature, et d'instaurer la civilisation en en faisant disparaître les horribles monstres qui y faisaient régner la terreur ?
L'antiquité grecque en avait rêvé ? L'homme blanc européen l'a fait !
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samedi, 03 août 2013
HERGE ET LE JOURNAL DES VOYAGES
Je suis toujours en vacances, mais ...
Il serait de la plus haute niaiserie de contester le génie de Georges Rémi, alias Hergé, un génie du trait, un génie narratif, confirmé et prouvé par un nombre impressionnant de millions d’albums vendus de par le monde. Il reste que le génie le plus pur n’est pas Dieu en personne, et que, pour cette raison, il est bien obligé de se nourrir et de s’abreuver quelque part. Dieu seul n’a besoin que de lui-même. J’ai parlé de Christophe (nom de plume de Georges Colomb), des Malices de Plick et Plock et de L’Idée fixe du savant Cosinus.
LOCOMOTIVE DECAUVILLE
J’ai parlé ces deux jours des images qui ont pu marquer le jeune Georges Rémi à la lecture du Journal des Voyages, et qui sont peut-être à l’origine de certaines planches des aventures de Tintin. J’ai montré l’incendie de prairie (Tintin en Amérique) et l’éléphant avec sa trompe, aussi préhensile qu’un bras (Les Cigares du pharaon).
"LE PREMIER TRAIN DU CHEMIN DE FER DU SENEGAL" PAGE DE GAUCHE
Aujourd’hui, une histoire de chemin de fer et de Tintin au Congo. La locomotive, vu les dimensions, est sans doute une Decauville (voir en haut), mais la vraisemblance de l’épisode (locomotive renversée par la collision avec la voiture de Tintin) évidemment suspecte.
La couleur locale, cependant, est bien au rendez-vous. La gravure est imprimée sur deux pages dans son numéro du 16 septembre 1883, et le Journal des Voyages fait bien sentir la différence qui sépare le « colonial » du « naturel », ce dernier toujours prêt à s’ébahir devant les dernières avancées de la technique moderne et à s'enivrer de vin de France.
"LE PREMIER TRAIN DU CHEMIN DE FER DU SENEGAL" PAGE DE DROITE
JE NOTE QUE LE WAGON D'HERGÉ RESSEMBLE FORT A CELUI DU JOURNAL DES VOYAGES
Tout en se prosternant devant la civilisation qui les lui apporte. Une autre gravure (que je ne publie pas) montre un blanc faisant la démonstration d’un train comparable devant un roitelet noir tout aussi ébahi et prosterné. Pas besoin d'insister, je suppose, sur les présupposés véhiculés par l'image, et sur la représentation que les "civilisateurs" se font des "sauvages".
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vendredi, 02 août 2013
HERGE ET LE JOURNAL DES VOYAGES
Je suis en vacances, mais …
… mais le billet d'hier m'a fait revenir qu'Hergé pouvait fort bien avoir puisé dans le souvenir de ses lectures enfantines une autre de ses trouvailles. Je n'en mettrais pas ma main à couper, mais je parierais bien une boîte d'allumettes que, étant enfant, il a mis le nez dans le Journal des Voyages. Il est même possible qu'il l'ait assidûment feuilleté.
Il y a eu l'incendie de la prairie, qui chasse dans le plus grand désordre et dans une panique identique tous les animaux, qui oublient pour un temps de s'entre-dévorer (voir la note d'hier). La réminiscence que je propose aujourd'hui se trouve dans Les Cigares du Pharaon. Plus précisément à la page 35.
La vignette concernée suit celle où Tintin, ayant guéri un des éléphants de la troupe, se propose de retrouver discrètement toute sa liberté. Il se trouve que, dans je ne sais plus quel n° du Journal des Voyages, est raconté Le Tour du monde d'un gamin de Paris. Je passe sur les péripéties. Voici la chose.
Les images ne sont pas les mêmes, évidemment, mais l'action de la trompe animale ne diffère pas de beaucoup. Il y a d'ailleurs beaucoup d'éléphants qui "trompent", dans le Journal des Voyages., comme on le voit dans l'image suivante.
Personnellement, je trouve le rapprochement assez concluant, y compris pour le décor végétal. Mais ne demandez pas au dessinateur s'il s'agit d'un éléphant d'Afrique ou d'Asie, lui qui est capable, d'un seul trait, de synthétiser (j'ai même envie de dire de "syncrétiser", ci-dessous) l'éléphant dans la quintessence de ses thèmes et des hantises qu'il suscite : on a d'un seul jet et en action l'éléphant blanc (la quadrature du cercle, comme Moby Dick), sa trompe et sa patte.
Tout est souverain, dans l'éléphant, quand il est blanc : il rayonne, il élève, il écrase. Il fait tout, quoi. On se demande ce qui reste au lion, ma parole. Le roi des animaux ? Vous voulez rire !
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, hergé, tintin, les cigares du pharaon
jeudi, 01 août 2013
HERGE ET LE JOURNAL DES VOYAGES
Je suis toujours en vacances, mais …
Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire. Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.
J'ai évoqué, voilà déjà quelque temps, Les Malices de Plick et Plock, de Christophe, comme source d'inspiration possible d'Hergé, dans certaines aventures de Tintin.
J'ai évoqué, plus récemment, la résurrection du capitaine Haddock à son retour de la lune (mais il y a aussi celui du Temple du soleil, et toujours au son du mot "whisky"), qui est sans doute un souvenir du réveil du savant Cosinus, quand le docteur Letuber introduit une erreur dans une équation complexe figurant sur le tableau.
Eh bien, ladies and gents, après "Hergé et Christophe", voici donc maintenant : "Hergé et le Journal des Voyages". Pour célébrer dignement, et même fièrement l'entrée dans le mois d'août, rien de tel qu'un bel incendie de prairie poussé par le vent, et poussant devant lui toutes sortes d'animaux à deux et quatre pattes.
On distingue assez nettement les deux cerfs, le tigre et le buffle (à moins que ce soit un bison). Je n'ai pas compté les oiseaux. Mais tiens tiens, j'ai déjà vu ça quelque part. Oui oui, ça me fait penser à quelque chose. Ne serait-ce pas Hergé qui, une fois de plus, a puisé dans ses propres souvenirs de lectures enfantines pour nourrir les aventures de Tintin ? On trouve en effet, dans Tintin en Amérique, une scène identique à celle représentée en "une" du n°66 du Journal des Voyages(13 octobre 1878). Ce n'est d'ailleurs pas le seul : on en trouve de pareils à plusieurs reprises.
Disons qu'Hergé, à destination des petits, a le souci de simplifier la compréhension de la scène, par rapport au caractère touffu et sombre de l'original : à l'aspect synthétique de celui-ci, il organise une séquence découpée qu'un esprit enfantin est à même de saisir sans autre forme de procédé.
Notons ensuite que la dernière vignette (en bas à droite) appartient à l'époque où, Tintin étant hebdomadaire, il fallait trouver l'hameçon capable de ferrer le poisson la semaine suivante. Notons enfin l'étonnante stabilité du quadrillage de la chemise de Tintin, toujours impeccablement orienté verticalement. Mais un enfant prête-t-il attention à si menu détail ?
mercredi, 31 juillet 2013
JOURNAL DES VOYAGES 17
J’avais préparé une note où l’Islam était mise en scène, en pièces et en question. Une fausse manoeuvre l'a fait disparaître. En voici les traces.
J'en tirais des conclusions sur les carpettes. Surtout en regardant ce fidèle musulman qui se relève après le passage du cheval caparaçonnné du prophète.
Qui me faisait penser (j'ai mauvais esprit) à cette vignette de Tintin au pays de l'or noir, où Dupont laisse libre cours à sa fantaisie primesautière. De toute façon, il s'en prenait à un mauvais mahométant, puisqu'il n'officiait pas sur un tapis de prière digne de ce nom. Je citais ensuite Bérénice, à cause de l' « Orient désert» décrit par Antiochus (je crois que c'est à l'acte I.
Je concluais sur la supériorité génétique du menhir et de l'esprit gaulois sur le sable du désert, ajoutant, pour justifier la présence d'Obélix et d'Abraracourcix, que la soeur aînée de Cléopâtre se nommait précisément Bérénice.
« Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que, de tout le jour, je puisse voir Titus ? »
Mais c'était après avoir cité quelques répliques géniales que Racine a placées dans la bouche de Bérénice elle-même, dans la pièce éponyme.
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