jeudi, 03 juillet 2014
L'OMBRE D'UN DOUTE
La vie est plus vaine une image
Que l'ombre sur le mur.
PAUL-JEAN TOULET
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mercredi, 02 juillet 2014
L'OMBRE D'UN DOUTE
Je vais à la musique les yeux fermés, et je la laisse en moi agir et me toucher ; je ne connais pas la musique, c'est elle qui me connaît mieux que moi-même.
FRANÇOIS MAURIAC
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mardi, 01 juillet 2014
GOTLIB ET LE TEMPS
J'ai déjà dit tout le bien qu'il faut penser (et que je pense que tout le monde pense) du dessinateur Gotlib, inventeur des Dingodossiers (avec Goscinny), de La Rubrique-à-brac (tout seul), de Pervers pépère, de Cinémastock (avec Alexis), de L'Echo des savanes (avec Bretécher et Mandryka), de Fluide glacial (« umour et bandessinée ») : on n'en finirait pas. Inutile d'ajouter que je révise régulièrement (pour les amateurs et les autres, la formule qui introduit la présente phrase s'appelle une « prétérition », pour dire qu'on ne va pas dire ce qu'on va dire et qu'on dit quand même, c'est toujours amusant, enfin, souvent).
Je ne vais pas énumérer mes innombrables pages préférées, il faudrait tout citer. Je m'arrête juste aujourd'hui sur le délire inspiré à Gotlib par le thème bien connu des amateurs de science-fiction : les voyages dans le temps. Et le paradoxe qu'il en tire me paraît toujours aussi rigolo. On trouve ces vignettes dans le volume ci-dessus.
Bon, certains diront peut-être : « Œdipe, quand tu nous tient, les mères juives, ... » et tout ça. Excusez-moi, mais la psychanalyse, franchement... Ce qui est plus rigolo, c'est de constater aujourd'hui que Gotlib ne faisait qu'anticiper sans le savoir les énormes débats sur la filiation (adoption, mères porteuses, enfin non : « gestation pour autrui », vous savez ce truc où on apporte les ingrédients à la cuisinière qui vous vendra ensuite le gâteau qu'elle a concocté pour vous) qu'a suscités le vote de la loi sur le mariage homosexuel. On n'a peut-être pas fini de rigoler.
Je signale aux adeptes de Gotlib les excellentes adaptations radiophoniques que Gabriel Dufay propose en ce moment de la Rubrique-à-brac et de Trucs en vrac. C'est tous les jours sur France Culture à 11h 50. Il y en aura 10 en tout. Et ça s'arrête vendredi. Et on peut réécouter sur le site de France Culture. C'est très réussi.
lundi, 30 juin 2014
LE THRILLER EST A LA MODE
HERVÉ LE CORRE, Après la Guerre, (Rivages/ Thriller, 2014)
« On ne lit pas toujours ce qu’on devrait ». Appliquant cette maxime, qu'il ne faudrait pas confondre avec un proverbe bantou, j’ai donc lu Après la Guerre, de Hervé Le Corre (éditions Rivages / Thriller, 2014). Mais j’avais une excuse : des amis sûrement bien intentionnés m’en avaient fait cadeau. Je me suis senti obligé d'aller jusqu'au bout. Et je peux vous dire que le thriller se portera épais cet été.
Est-ce que c’est ça, le « thriller » d’aujourd’hui (il a reçu le prix du Point, 2014) : un cadeau fait par des amis qui ignorent vos préférences ? Ah, « préférence », petit mot beaucoup entendu lors du vote de la loi sur le mariage homo. Tiens au fait, c'est quand la gay pride ? Alors, cher individu, vos préférences préférées ? En l'occurrence, votre « orientation culturelle », si vous voyez ce que je veux dire. Cela fait comme un malentendu. Mes amis ? Je ne leur en veux pas, vous pensez bien : l'intention de faire plaisir était là.
En tout cas ça commence bien crade et bien saignant : trois mastars cuisinent (je veux dire lui caressent à grands coups d'extrémités carpiennes - qu'ils ont particulièrement contondantes - le nez, l'arcade sourcilière et le menton) Lucien Potier pour lui faire cracher l’adresse de la cachette du Crabos, qu’ils soupçonnent d’avoir saigné Penot la semaine d’avant. Ils vont jusqu’à lui griller l’œil à la cigarette pour qu’il se mette à table, et qui finit par cracher, en même temps que ses dents, dans l'espoir d'en finir enfin avec la douleur : « Rue du Pont-de-la-Mousque ! Il est chez Rolande avec sa pute dans une piaule pour la nuit ! ». C’est tout ce qu’ils voulaient, les mastars. On est à Bordeaux, au milieu des années 1950.
Ils n’ont plus qu’à liquider Lulu, ce que Jeff fait, salement, comme à son habitude : c'est ce qu'il préfère. Albert lui en veut de savourer trop visiblement la mise à mort, car lui, quand il torture, c'est purement fonctionnel, juste parce que l'autre rechigne à lui donner l'info qu'il attend. Torturer, là, c'est du pragmatisme. Albert est un pragmatique, ce qu'il veut, c'est être efficace. Le lecteur a du mal à faire la différence. Il paraît que ce genre de littérature a ses amateurs.
Le trio est composé de Jeff, costaud et porte-flingue, mais un peu « imprévisible » (euphémisme pour "carrément chtarbé"), Francis, un mec sûr, un vrai dur pour lequel turbinent assez de filles pour le faire vivre confortablement, et puis Albert, le chef. Lui, c’est le commissaire Darlac. Suivant les moments du bouquin, il « tient la ville » ou « la moitié de la ville ». Du double au simple (ou de l'entier au demi), mais baste, ne chipotons pas.
On comprend vite que le vrai méchant, c’est ce flic. Une longue histoire. Avec Poinsot, Penot et quelques autres, jusqu’en 1943, il a « travaillé » pour les Allemands, dans la torture, la rafle de juifs et le pillage des biens (ils - les fripouilles - sont tous meublés comme des princes). Sentant le vent tourner, il s’est arrangé pour sauver quelques juifs, quelques résistants : ça vous refait un état civil présentable aux yeux des intégristes de la Libération (à l'occasion des lâches brusquement reconvertis en héros de la Résistance), et ça fait oublier les « erreurs de jeunesse ».
Appelons ça la « transition politique », puisqu’il y a bien une « transition énergétique » de nos jours. Certains appellent encore ça la « Libération » : comme on ne pouvait pas flinguer tous les salauds, on a pratiqué le recyclage des ordures à grande échelle. Papon est évidemment en filigrane (on est à Bordeaux).
Parfaite quintessence de la pourriture humaine, le commissaire Albert Darlac a monté son affaire en entretenant plus de connaissances chez le diable que chez le bon dieu : tout le monde – flics et voyous – le connaît, et il connaît tout le monde, avec une nette préférence toutefois pour les voyous. Comme on dit : « Il en croque ». Un vrai parrain.
En plus, contrairement à ce que me disait un ancien inspecteur de la DST, le Code de Procédure pénale (il s'y référait en permanence, dans la crainte du « vice de forme », cause de tant d'invalidations d'enquêtes et de procédures), non seulement il ne l’ouvre jamais, mais il doit servir de béquille à sa table branlante, s’il ne l’a pas depuis longtemps jeté au feu (j'espère que vous vous y retrouvez, dans les pronoms personnels). Darlac, c’est le mec de la manière forte, il n’y va pas avec le dos de la cuillère à pot de moutarde forte (de Dijon) : celle qui monte au nez plus vite que son ombre.
En fait, le lecteur (disons : moi) se fiche pas mal des embrouilles et entourloupes dont le commissaire Darlac, sorte de figure du Mal enkystée dans le monde normal (commissaire Laborde, inspecteur Mazeau, …), est capable de faire preuve. On sent qu'il y a du Lucifer Exterminateur dans le personnage du commissaire Darlac.
De toute façon, dans tout le bouquin, il n'y a pas une personnage pour racheter l'autre : tout autant que les mauvais, les bons sont éliminés, sauf les huiles comme de bien entendu. Ce pauvre type n’est pas un stratège. C’est sûr qu’il ne manque pas d’habileté tactique, mais quand Jean Delbos lui fait dire qu’il est revenu d’entre les morts pour se venger, il va commencer à les accumuler, les morts. Et aussi les erreurs.
Il faut dire que Delbos a de quoi lui en vouloir : pris dans une des dernières rafles bordelaises avec sa chère Olga (son épouse juive qu’il trompait pourtant allègrement), il passe pour avoir disparu à Auschwitz. Pour plus de sûreté, il s'est fait appeler André Vaillant. C’est lui qui a rectifié Penot, le copain de Darlac. Rencardé par Mazeau, il a donc commencé à faire le ménage parmi les amis du ripou.
L’auteur, Hervé Le Corre, a cru bon, sans doute pour « mettre en perspective », peut-être pour « replacer dans l’époque », « faire couleur locale » ou créer de la « profondeur de champ », d’ajouter la guerre d’Algérie au tableau. Car Jean Delbos a un fils, on est au temps de la conscription, il a l’âge, il part pour le bled, comme tireur d’élite. Après diverses péripéties fonctionnant comme des diverticules narratifs, Il désertera, rentrera en France, et sera tué par Darlac en même temps que son père. Rideau.
Le Corre complète par quelques chapitres en italiques et à la première personne, où c’est l’ancien déporté qui est censé parler, pour retracer les grands moments de sa trajectoire. Moi je veux bien. Si l’on sait que la femme de Darlac est une ancienne pute, à qui un occupant nommé Willy Müller (la Wehrmacht a aussi fini en fauteuil roulant) a fait une fille (Elise, que Darlac a officiellement adoptée et dont la puberté avancée lui fait des effets dans la moelle épinière, et pas seulement) avant d’aller se faire à moitié exploser la tronche à Stalingrad, et qu’elle lui rend régulièrement visite en cachette de son mari, on commence à demander grâce : n'en jetez plus.
Si Jean Delbos tue les copains de Darlac, celui-ci ne se gêne pas pour lui faire attribuer les quelques cadavres qu’il laisse sur son chemin, parmi lesquels l’inspecteur Mazeau, mais aussi ses amis, l’imprévisible Jeff, et surtout le gars Francis, qu'il flingue sans même un petit frisson de l'âme. Son ennemi le commissaire Laborde, un flic réglo et républicain (le personnage existe à peine et n'est là que comme repoussoir et alibi moral), lui, a beau renifler autour de lui, il se fait embrouiller par ses manœuvres et fait chou blanc. Il n'arrivera pas à lui mettre le nez dans sa bouse.
Bref, le commissaire Albert Darlac, ayant fait le ménage en grand et le désert autour de lui, pourrait presque dormir tranquille. Malheureusement, il a eu la mauvaise idée d’aller rectifier Müller, le père allemand d’Elise, dans son fauteuil roulant, en même temps que sa vieille mère. Et ça, son épouse ne pourra pas lui pardonner. Ne disons pas tout quand même : il reste juste assez pour qu’un peu de sang s’ajoute aux flots déjà versés, et que le bouquin dépasse les 500 pages.
Dans l’ensemble, donc, le genre de livre que j’évite en général de lire, livre d’un bon faiseur de scénario, pensé, construit, agencé et écrit pour le cinéma, mais je suis désolé : Hervé Le Corre écrit peut-être des livres, il ne fait pas pour autant de la littérature. Je me permets ce jugement péremptoire et tranchant à cause de la langue.
C'est simple : il écrit à la diable, dans un français débraillé, relâché, sans caractère, où il fait un usage erratique, et parfois incongru d'un argot peut-être d'époque. Une langue mal dégrossie, cahotante et globalement plate comme une limande, qui se soucie seulement d'obéir aux critères d' « efficacité narrative ».
Ne dites rien à mes amis bien intentionnés qui me l’avaient offert.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : polar, thriller, littérature, littérature française, france, collabos, seconde guerre mondiale, nazis, hervé le corre, éditions rivages
mardi, 24 juin 2014
CHOPIN CONTRE LE COMMUNISME 3/3
Résumé : pourquoi Chopin ? Parce que Chopin, quand il invente sa musique, cherche sa propre vie. Et cette vie est âpre. Comme celle des personnage du livre.
Konstantin, narrateur et personnage principal de Wunderkind, de Nikolai Grozni, est un « enfant prodige », un pianiste virtuose promis, comme quelques autres, à un brillant avenir de soliste. C’est la raison pour laquelle le « Parti », confit dans le culte du « Père de la Nation », lui a fait intégrer le « Conservatoire pour Enfants prodiges ».
Malheureusement pour lui, Konstantin a la rage. Il est en guerre contre le communisme et les communistes. C'est un bloc de refus. Plus grave, il est en guerre avec le monde : il déteste ses parents, qui ont eu le tort de s’adapter au moule du système. Et ses parents ne l'aiment guère. Pour le coup, à peu près asocial, aimé par personne et n'aimant personne (croit-il), c’est un authentique révolté, qui ne supporte pas le règne de la bêtise la plus abjecte, surtout jointe à la médiocrité la plus criante, qui exercent un pouvoir sans partage sur les êtres et les choses. Son seul exutoire est dans le piano de Frédéric Chopin. Une condition de survie.
Il le dit : « S’il y avait une raison de rester en vie, de supporter le torrent diurne de la bêtise, de la détresse, de l’insulte et de la bassesse, c’était bien ces moments de ravissement où je respirais au même rythme que Chopin, où le code secret du divin s’inscrivait dans les airs. Il me suffisait de promener les doigts sur le clavier pour y accéder, pour que les portes s’ouvrent toutes grandes ». Sa relation à la musique a quelque chose de névrotique, de pathologique même. Je le sais : je souffre d'un syndrome clinique voisin, sauf que je ne suis pas pianiste, à plus forte raison virtuose. Je suis obligé de me contenter de.
Mais pour lui, c’était ça ou mourir. Le système en effet est tel que si l’on veut espérer survivre, il faut être cinglé. Les seuls personnages vivants, dans Wunderkind, ont tous un grain. Un gros grain. La belle Irina, dont Konstantin se rend compte trop tard qu’il est amoureux, finira d’ailleurs à l’asile, à dix-sept ans, ayant déjà avorté deux fois, capable de déclarer, prémonitoire : « J’ai peur de ne pas atteindre mon vingtième anniversaire. J’ai tout expérimenté, j’ai goûté à tout. Je suis vieille et fatiguée. […]
Ici, le temps ne passe pas à la même vitesse, une année paraît une décennie, voire plus. Mon enfance a pris fin le jour de mes neuf ans. A quatorze ans, j’en avais terminé avec la puberté. Je me suis mariée, j’ai eu des enfants, j’ai voyagé … en quelque sorte. J’ai déjà perdu chacun de ceux qui m’étaient chers. Et tout cela pendant que je jouais de ce foutu violon. Je ne m’en suis même pas rendu compte ». Elle se suicidera. Et le grand Vadim devient militaire, après avoir été chassé de ce « paradis ». Et le superbe Igor le Cygne, un personnage flamboyant, est destitué de son poste.
Tous ces adolescents baisent sans amour, se saoulent à n’importe quoi, fument dès qu’ils le peuvent. La vie les a brutalisés, ils sont vieux avant l’heure. Seule la musique. La musique seule. Comme Irina, Vadim, pianiste prodigieux que Konstantin juge tellement supérieur à lui, est fou à sa façon. L’un des personnages les plus incroyables de tout le livre est professeur de violon. C'est lui qu'on appelle Igor le Cygne. Foutraquement poète, on se demande comment il a fait pour échapper aux camps de travail communistes.
Quand il fait répéter quelque sonate de Bach à Irina son élève et à Konstantin (BWV 1014, 1017 et 1018), les envolées lyriques échevelées dans lesquelles il se lance à deux ou trois reprises sont de vrais morceaux de bravoure : « Les démons de la joie ! Le concierge se fait sucer au moment où je vous parle, c’est de la folie. Je n’en peux plus. Voilà longtemps que j’aurais dû m’inscrire dans une chorale d’eunuques. Peut-être que vous devriez tout bonnement vous mettre nus sous le piano à queue pour baiser, Irina et toi, presto, un menuet, peut-être même une sarabande, et je regarderai de loin … Discrètement ! Je ne dirai pas un mot. C’est une proposition à prendre ou à laisser, je vous mettrai à tous les deux un Très Bien. Une affaire à saisir ! Vous ne savez même pas jouer d’un instrument, de toute façon … Petits merdeux ! De mon temps, on répétait dix heures, quatorze heures par jour, on jouait jusqu’à l’aube, on jouait pour rester en vie ». Comme ça sur des pages.
Seuls quelques-uns sont en vie, tous les autres sont morts ou ressemblent au « Père de la Nation », à la momie duquel la classe entière est allée rendre visite et hommage : « Tu trouves ça drôle Peppy ? Dis à tes camarades ce que tu as appris. – Qu’on est obligé de remplir le ventre du Père de la Nation de barbe à papa pour l’empêcher de puer ». Ce serait hilarant si ce n'était pas terrible. Le surnom de Peppy est « le Voleur ». Et il ne se fait jamais prendre, même quand il vole des kalachnikovs dans les sous-sols du Conservatoire. Lui aussi fait partie des vivants : il connaît par cœur le manuel de survie en milieu hostile.
Et ils sont peu nombreux, les vivants : Igor le Cygne, Irina, Vadim, Peppy, Konstantin, Alexander à la rigueur, bien qu’il sache qu’il peut se permettre d’être insolent, puisque son père est quelqu’un dans le Parti. Il y a aussi « la Coccinelle », le professeur de piano qui considère Konstantin comme le plus doué de ses élèves, et qui finira par émigrer, ayant épousé un Américain.
N’oublions pas de nommer le dédicataire du livre : Ilya. Cet oncle du narrateur a passé quasiment toute sa vie à Lovech puis dans l’île de Parsin à casser des cailloux comme « espion des impérialistes ». Apparition d'une ombre fantomatique surgie du fond des âges totalitaires, qui raconte à son neveu l’horreur du camp de travail, où le kapo Gazdov décide, selon son humeur, de la mort de tel prisonnier, dont le cadavre ira engraisser les cochons, dans l'enclos réservé.
Le prononcé de la sentence se fait par l’entremise du petit miroir où l’officier invite le condamné à se regarder une dernière fois. C’est ainsi, crânement, que finit l’admirable violoniste appelé « le Maestro » : d’un seul coup de club de golf à l’arrière du crâne, après avoir roulé les pointes de sa moustache, en souriant.
Voilà pour le noyau dur des vivants. Tout ce qui les entoure donne l'impression minérale, pétrifiée de la haine (la Hyène, la Chouette, ...). Et la seule « preuve de vie » que les vivants peuvent se donner est la musique qu’ils font, non pas pour « réussir dans la vie », mais parce qu’elle est leur seule manière de donner et de recevoir de l’amour dans ce monde totalement déshumanisé : « Notre corps est la première chose qui disparaît lorsque nous faisons de la musique ». Comme dit Igor, ils font de la musique pour rester en vie. La musique seule.
L’urgence, l’absence, l’impossibilité de l’amour, dans cette existence concentrationnaire, est au centre du livre. Toutes les machines humaines qui gravitent autour du noyau des vivants sont des robots, qui se sont résignés à ne pas exister par eux-mêmes, se contentant de fonctionner docilement. Et de se montrer assez cruels avec ceux qu'ils ont sous leurs ordres pour les contraindre à faire de même. Deux issues pour ceux qui veulent rester vivants : le suicide ou la musique.
Quel tableau terrible, mes amis !
Voilà ce que je dis, moi.
Note : je ne sais pas si Wunderkind, de Nikolai Grozni, est un grand (voire même un bon) livre de littérature. Ce qui me reste de sa lecture, c'est le choc reçu au spectacle de l'affrontement meurtrier de deux mondes : d'un côté celui de la musique des grands (Bach, Beethoven, Chopin) et des rares qui se mettent au service de cette expression sublime de la vie à l'état pur (appelons ça l'amour de l'art) ; de l'autre celui d'un système où la musique n'est qu'une brique de prestige parmi d'autres, dans la muraille à l'abri de laquelle s'édifie l'avenir radieux du paradis socialiste, et qui à ce titre constitue la négation même de la vie.
Le pays totalitaire, ici, est pris dans une contradiction, un double impératif contradictoire : produire des musiciens qui permettent à la Bulgarie de rayonner dans le monde, mais tout faire, dans le même mouvement, pour qu'aucune tête ne dépasse.
Rien que pour l'exactitude radicale dans la peinture de cette bataille de fin du monde, merci monsieur Nikolai Grozni !
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lundi, 23 juin 2014
CHOPIN CONTRE LE COMMUNISME 2/3
Résumé : je me demandais juste pourquoi Wunderkind, le livre de Nikolai Grozni, m’a secoué. C’est à cause de Chopin.
« J’avais toujours pensé que la différence entre Chopin et les autres compositeurs était qu’il écrivait à la première personne, et non à la troisième. Beethoven, Mozart, Liszt, Ravel, Schumann, Debussy : tous, ils racontaient ce qui arrivait à d’autre gens, d’autres pays, d’autres sociétés. Seul Chopin parlait de lui. C’était l’honnêteté nue et brûlante de ses phrases musicales qui le distinguait de ses pairs. »
Bien sûr, Grozni exagère. Il sait forcément que c’est injuste et faux, et que le mouvement lent de la sonate opus 106 de Beethoven ou l’adagio de son quatuor opus 132 (« Heiliger Dankgesang eines Genesenen an die Gottheit, in der lydischen Tonart ») sont pour l’âme humaine d’autres Everest de sincérité absolue. Je note en passant qu’il n'ose pas citer Jean-Sébastien Bach dans sa liste des compositeurs qu’il juge impersonnels. Faudrait quand même pas abuser.
Quoi qu’il en soit, la musique de Chopin constitue le socle sur lequel est construit le livre, dont les chapitres, en même temps que les dates précises, s’ouvrent sur les morceaux de musique que travaille Konstantin, le jeune musicien qui raconte son existence au « Conservatoire pour Enfants Prodiges » de la capitale bulgare et communiste. Rachmaninov fait une apparition, Beethoven, Brahms et Moussorgski deux, Bach trois (eh oui), mais Chopin occupe royalement la première place, très loin devant : quinze chapitre sur vingt-cinq lui sont dédiés.
A ce sujet je me serais presque attendu à ce que les chapitres soient au nombre de vingt-quatre, comme il y a vingt-quatre tonalités dans la musique européenne, célébrées par Bach dans Le Clavier bien tempéré, nombre auquel Chopin lui-même a déféré en composant vingt-quatre Etudes (deux fois douze, opus 10 et 25) et autant de Préludes opus 28.
Je me fais une raison en me souvenant du motif pour lequel Georges Perec a fait exprès de composer La Vie mode d’emploi en quatre-vingt-dix-neuf chapitres et non pas cent, en souvenir de la petite fille de la publicité Lu qui a croqué juste un angle du petit-beurre. Grozni a fait en plus ce que Perec a fait en moins, en quelque sorte. S’est-il seulement préoccupé du nombre ? Pas sûr.
Ce qui m’a secoué, c’est ce que dit Grozni : la musique de Chopin, c’est une personne vivante, avec un épiderme d’écorché vif (si l'on peut dire) connaissant et portant la condition misérable de l’humanité tout entière. A propos de l’opus 20 : « Vadim se redressa, prit une profonde inspiration et déplaça les mains vers le haut du clavier, prêt à frapper le premier accord. Le Scherzo n°1 s’ouvre sur un cri de désespoir absolu : on s’éveille d’un cauchemar pour découvrir que tout ce qu’on a rêvé est vrai ». On trouve ça p. 41. Le Chopin de Grozni, il faut le chercher du côté du tragique.
Et puis : « Le second accord semble à la fois plus résigné et plus agressif : enfermés dans le sablier, on est condamnés à attendre. Prisonniers du temps, hors du temps, conscients de notre finitude. Puis vient la folie qui brise toutes les fenêtres, abat tous les murs, tourbillon de conscience cherchant la sortie. Se peut-il qu’il n’y ait aucun passage secret ? Aucune porte dérobée ? ». La vie, quoi. En plus intense.
Moi qui suis incapable de « voir » des circonstances, des situations ou des personnages (une « narration ») dans la musique (il faut dire que je n’essaie pas : pour moi, à tort ou à raison, les sons musicaux sont des abstractions, ensuite seulement viennent (ou non) les effets parfaitement concrets et physiques), voilà qu’un pianiste doué qui, en plus, sait écrire, met des mots jaillis de sa propre expérience, qui me font « voir » ce que cette œuvre raconte. Des propos que je trouve assez justes et pertinents pour en être intimement touché.
Attention, le Chopin que raconte Grozni n’a rien à voir avec l’éphèbe alangui, légèrement efféminé, que certains pianistes ont longtemps voulu voir, produisant des dégoulinades de sons mélodramatiques et narcissiques : essayez de jouer le Scherzo n°1, tiens, si vous n'avez pas des bras, des poignets, des mains et des doigts en acier !
Ce n'est pas non plus (au risque de paraître paradoxal) le Chopin qui a fait de Vincenzo Bellini son dieu, et qui demande à son piano de porter l'expression la plus accomplie de son profond amour pour le « bel canto » du maître italien de l'opéra (mort à trente-quatre ans, Chopin, mort à trente-neuf a un peu mieux résisté).
Le Chopin de Grozni est âpre, dur comme le granit. Un Chopin confronté à un monde qui, situé à une altitude très inférieure à celle où il a placé ses idéaux. Un Chopin qui affronte des épreuves morales d'une dureté qui met à mal son âme, voire la dévaste.
Mettons que ce Chopin-là s'appelle Nikolai Grozni et soit né en Bulgarie à l'époque de la décrépitude communiste, où plus personne dans le système ne sait où il en est. Où tout le monde s'accroche désespérément aux lézardes du mur. Qui ne tardera pas à tomber.
Avec Wunderkind, le lecteur est face à la figure d’un destin implacable : le Chopin de Grozni est en acier, blindé contre les forces de mort qui l'assaillent. Si c’était une embarcation, ce ne serait en aucun cas une gondole, mais un cuirassé puissant. Une fois le livre refermé, vous ne l'entendrez plus comme avant.
Le Chopin de Grozni est un navire de guerre lancé contre la mort.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, nicolai grozni, wunderkind, éditions plon, musique, chopin, beethoven, mozart, liszt, schumann, ravel, debussy, jean-sébastien bach, sonate opus 106, quatuor opus 132, brahms, rachmaninov, moussorgski, le clavier bien tempéré, georges perec, la vie mode d'emploi
dimanche, 22 juin 2014
CHOPIN CONTRE LE COMMUNISME 1/3
Nikolai Grozni, Wunderkind, Plon, « Feux croisés », 2013
Je ne comprends vraiment pas l'expression de Patti Smith, "prose miroitante", posée bien en évidence sur le guéridon de l'entrée du volume.
Je le dis sans ambages : Wunderkind, du Bulgare Nikolai Grozni, n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains. Peut-être même n’est-il que pour quelques-uns (comme La Chartreuse de Parme, dont le point final s'écrit « to the happy few »). Ce que je ne souhaite pas à l’auteur. Car c’est un livre admirable. Mais Grozni n’a pas choisi la facilité, c’est le moins qu’on puisse dire.
Moi, il m’est rentré dans le chou direct et frontal. Je dirais comme Lino Ventura : « C’est du brutal ». Sauf que là, de la première à la dernière page, personne ne rit, ni les personnages, ni le lecteur. C’est un livre qui vous fait prendre un bain de granit : « Le ciel de Sofia est en granit ». C’est la première phrase. Or nager dans le granit, ce n’est pas évident. Un bain dans un passé sinistre pas si lointain : l’action commence à Sofia, Bulgarie, le 3 novembre 1987 et finit deux ans plus tard, au moment de la chute du mur de Berlin.
On passe trois cents pages enfermé dans l’étroite cellule qu’était un pays communiste où, quand on n’a pas à faire à un mouchard, c’est que c’est un bureaucrate ou un « agent en civil ». Parfois un militaire chargé d'enseigner l'éducation physique, armé de son Makarov 9 mm. En tout cas un médiocre qui peut à tout moment vous menacer de son pouvoir. L’effet est poignant. Comme le narrateur, le lecteur se sent à l'étroit, en permanence traqué par les yeux malveillants au service du « Parti ». Et les yeux sont partout, et ils cognent à l’occasion.
Car ce livre met le lecteur à l’épreuve. Comment fait l’auteur pour lui donner l’impression de passer par les épreuves où lui-même est passé ? Mystère. Ce qui est sûr c’est que c’est violent. Et d’autant plus violent qu’il raconte une guerre impitoyable. Cette guerre de destruction voit s’affronter deux ennemis : Frédéric Chopin et le Communisme (avec tout le système soviétique en prime). Et je peux vous dire qui a gagné : c’est Chopin. Mais à quel épouvantable prix !
Je dois dire, pour être honnête, que, comme lecteur, je suis dans une position singulière, qui ne fait pas de moi un élément statistique décisif. Car moi, Chopin, j’avais huit ans. J'étais vacant, donc disponible, il m’est tombé dessus. Pendant des jours et des jours, j’ai passé et repassé sur le Teppaz du 39 Cours de la Liberté la face du 78 tours où je n’ai jamais su quel pianiste (Braïlovski ?) avait gravé l’étude opus 25 n°11.
Combien de fois l’ai-je fait tourner, pour que le chant implacable et volontaire de la main gauche et les cataractes étincelantes de la droite soient définitivement imprimés, fondus ensemble dans les battements d’un cœur gros comme l’univers, au plus profond de mes profondeurs ? Quarante ? Cinquante ? Cent ? En tout cas, Grand-mère n’en pouvait plus et demandait grâce. J’étais impitoyable. J'avais une excuse : Chopin m’avait révélé la vraie vie.
Le plus étonnant : j’ignorais le nom du compositeur, seule la musique, pendant de longues années, est remontée régulièrement de tout au fond vers la surface, inoubliée et pour ainsi dire originaire, comme un événement fondateur, mais aussi comme un point aveugle. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché : quel enchanteur pouvait avoir écrit cette musique prodigieuse ? Je n’ai plus entendu ce morceau par la suite. Il vivait quelque part, comme un point d’interrogation obstiné.
C’est le hasard d’une programmation de France-Musique entendue sur un mauvais transistor, quelque part au fin fond de la Haute-Loire, qui m’a valu, beaucoup plus tard, de pouvoir enfin nommer l’œuvre et attribuer sa paternité au grand Polonais de France. Je le dis sans fioritures : une commotion ! Un ébranlement vertébral ! A l’instant même, je retrouvais le paradis perdu, pas moins. Je n’y peux rien : c’est comme ça que ça s’est passé.
Ensuite, mon carquois s'est garni d'autres flèches. Le Nocturne opus 48 n°1, par exemple, avec cet extraordinaire changement de tonalité qui suit l'exposé du thème, pour annoncer la brutale mutation de l'humeur, avant le retour à une sorte de paix, mais crépusculaire. Ou bien le Scherzo n°3 (op. 39), avec ses contrastes complexes qui déboulent (« presto con fuoco ») dans une sorte de folie furieuse. Mais l'Etude opus 25 n°11 gardera toujours pour moi le même ineffaçable aspect inaugural que « la première fille qu'on a tenue dans ses bras » (comme dit Tonton Georges).
Devenu le profond sillon dans lequel cette œuvre s’est déposée, je m’autorise à voir dans l’auteur de Wunderkind une sorte de frère éloigné dans l’espace et dans le temps, qui m’apporte soudain sur un plateau les mots et les phrases qui collent exactement à l’idée, jamais formulée, que je me faisais de la musique de Frédéric Chopin.
Là où il est très fort, c’est qu’il m’a fait découvrir des choses que je savais déjà.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 17 juin 2014
GABRIEL TYR, PEINTRE
Ce tableau de Gabriel Tyr (1863) n'est pas au musée Crozatier du Puy-en-Velay, où sont rassemblées ses œuvres. Peut-être y sera-t-il un jour. Ci-dessous, un autre portrait (1857) : elle est pas mimi, la dadame au bonnet, avec ses anglaises amidonnées ? Et visez un peu le camée !
Je connais d'autres Gabriel. Peut-être celui auquel je pense avec prédilection parviendra-t-il à échapper, en prenant de l'âge, comme Tyr a su le faire, au fardeau qu'une vaine célébrité fait toujours peser sur ceux qu'elle a choisi d'écraser, et qui, trop souvent, n'ont pas mérité ça. Il ne faudrait jamais que la gloire (de même que le pouvoir) aille à ceux qui l'ont le plus ardemment désirée.
Gabriel Tyr (1817-1868) : né à Saint-Pal-de-Mons, mort à cinquante et un ans.
Entré à seize ans à l'école des Beaux-Arts de Lyon. Travaillé avec Victor Orsel à la décoration de l'église parisienne de Notre-Dame de Lorette. Avec Alphonse Périn et Hippolyte Flandrin (qui a sa rue à Lyon, ce qui n'est pas une preuve de ... - de quoi, au fait ?).
On parle volontiers de son talent à réaliser pour la religion des œuvres « délicates, pures et lumineuses », mais il a aussi peint de très beaux portraits, dans lesquels il délaisse toute « anecdote » et toute fioriture pour que l'attention se concentre sur l'essentiel.
Saint-Pal-de-Mons est la riante bourgade natale du peintre, située dans l'arrondissement d'Yssingeaux, qui appartient au canton de Sainte-Sigolène, et rattachée à la perception de Saint-Didier-en-Velay.
Au recensement de 1990, mille cinq cent quarante-deux individus peuplaient neuf cent soixante-quinze logements (dont trois cent cinquante-huit résidences secondaires), répartis sur deux mille sept cent onze hectares, ce qui faisait alors une densité de cinquante-six virgule neuf habitants au kilomètre-carré. Il semblerait que la population dépasse aujourd'hui les deux mille âmes.
Les vingt kilomètres qui, en 1990, séparaient la commune de l'accès à l'autoroute n'ont pas dû varier significativement.
Impossible, en l'état actuel des choses, d'en savoir plus. Mais nous promettons au lecteur de le mettre au courant, dès que nous en aurons appris davantage.
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Dernière minute : nous avons de la chance. Nous apprenons qu'il se passe bien des choses à Saint-Pal-de-Mons. Ainsi l'installation sonore de l'église, connue pour ses pénibles effets de réverbération, a été entièrement rénovée. Le système de sonorisation choisi est composé de deux enceintes Rayon 100V Active Audio pour la nef de dix-huit mètres, de deux enceintes SM400i-WH pour le chœur, d'un ampli CXV 225 de Cloud, d'un lecteur CD CDT1U, d'un Furman PLPRODMCE pour la protection des éléments, d'un processeur numérique NUT ainsi que de microphones Clock Audio, dont la nouvelle application "Speech conformer" permet de régler automatiquement la hauteur en fonction de l'orateur. L'ambon a été doté d'un col de cygne C33ERF avec une embase XLR SM10, l'autel d'un col de cygne C34 ERF avec une embase S210. Les célébrations seront animées grâce à deux microphones HF main CW9000C. Ci-dessous un aperçu.
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Dernier arrivage : nous apprenons que Saint-Pal-de-Mons est une commune d'avant-garde. Impatiente d'essayer les merveilleux moyens techniques dont on a doté son église, elle a décidé d'organiser sa "Fête de la Musique" le 14 juin, avec l'excellente fanfare Zigomaclique.
Il était bon que cela fût su. Il est donc nécessaire que cela soit dit.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 16 juin 2014
PLAISIR DE LIRE ARSENE LUPIN 2/2
Résumé : nous parlons du succès d'Arsène Lupin, fripouille de grande classe au charme fou, tour à tour cambrioleur de haut vol, bienfaiteur de la France (Le Triangle d'or, sans parler de L'Eclat d'obus, où il se montre poilu impeccable et intelligent), séducteur de ces dames, flic privé ou inspecteur (voire directeur : M. Lenormand) de police, prince (Sernine, Rénine, etc.) saltimbanque et funambule aristocrate.
Nous en étions restés à ce que la créature a comblé les attentes du créateur au-delà de ses espérances, et même au-delà du raisonnable. Les héros, dans l'esprit du public, ont phagocyté leurs auteurs, au point de faire disparaître le reste de leurs œuvres derrière le monument qu'ils sont devenus.
C’est arrivé à Sir Arthur Conan Doyle, comme tout le monde sait, qui avait en vain espéré tuer son Sherlock Holmes (dont il ne savait comment se défaire), au grand dam des lecteurs, qui obligèrent l’auteur à le ressusciter acrobatiquement (qui a lu les innombrables livres non Sherlock Holmes de Sir Arthur ?).
Mais le détective britannique, tout de froide cérébralité opiomaniaque et violonistique, ressemble à l’idée qu’on se fait de « l’Anglais » sorti d’Eton et fréquentant, comme le capitaine Blake et le professeur Mortimer (ah, Edgar Pierre Jacobs !), le « Centaur Club », quelque part dans Piccadilly, pour boire un sherry ou un whisky (servis par l’impeccable James). Auguste lieu où, quand un inconnu vous gratifie d'un « How do you do ? », vous êtes tenu de répliquer par un identique « How do you do ? », sinon ça fait tache.
Je veux dire que Holmes n’attire pas la sympathie. On admire (si l’on est amateur), on applaudit, mais on n’est pas « attiré » par le personnage. Il y a de la machine dans Sherlock Holmes. De la machine autant que de la voyante extralucide. Un être anormal, quoi. La preuve, c’est qu’il est à peu près asocial. Arsène Lupin, au contraire, on ne peut imaginer d’être plus sociable. Plus affable. Pour tout dire : plus escroc.
Ben oui, quoi, la première règle impérative qui s’impose, pour faire un bon escroc, c’est de se rendre sympathique, c’est bien connu : tous les vrais escrocs sont charmants. Condition sine qua non pour réussir le concours d’escroc professionnel : être « l’ami du genre humain». Si vous êtes plutôt du genre Alcestueux, aucune chance. Carrément rédhibitoire, même. En plus, Arsène a du talent : bourré d’élégance, son savoir-faire fait des merveilles, que ce soit avec les serrures les plus compliquées (l’énigme de Thibermesnil) ou avec les dames.
Car pour parler franchement, Maurice Leblanc, quand il élabore une intrigue, le fait à la paresseuse. Prenez, dans Les Confidences …, la nouvelle intitulée Le Piège infernal. Vous y croyez, vous, à la fille Dugrival ? On la suit depuis le début sous les traits d’un garçon ? Hop, le garçon devient tout d'un coup une jolie fille, qui libère Lupin avant l’irruption de Ganimard, parce qu’il lui a tapé dans l’œil et qu’elle en pince pour lui. Vous y croyez une seconde ?
Au fond, sans doute y a-t-il de l’escroc chez l’auteur lui-même. Chez lui, en effet, il y a quelque chose du camelot, dont on prend plaisir à écouter le bagou aussi longtemps qu’il parle, et dont on se rend compte à la fin qu’il nous a refilé de la camelote. Leblanc fait passer sa muscade au gogo derrière un incontestable talent de narrateur, mais il ne faut pas mettre le nez dans la mécanique policière, dans l’espoir d'amener au jour l’agencement impeccable d’une intrigue usinée par un orfèvre, genre Chase ou Chandler (encore que ...).
Une part de l’œuvre de l’auteur des Lupin repose sur l’esbroufe, la pirouette narrative, le coup de théâtre improbable (voir par exemple comment devraient finir des bouquins comme L’île aux Trente cercueils - la dalle qui se soulève au-dessus de la falaise à pic - ou La Demoiselle aux yeux verts - l'eau du lac qui envahit la caverne -, s’il n’y avait pas le « coup de pouce » de l’auteur pour sauver son héros et la femme qui lui tient compagnie, tous deux pourtant promis à une mort certaine).
On a la même impression dans la série BD de Vance et Van Hamme, XIII, qui raconte l’interminable ascension du héros amnésique vers sa véritable identité : la vérité s’obtient au moyen de torsions des faits relatés, d'enchaînements obtenus grâce à la formule "abracadabra", autant d’oublis opportuns de certains maillons de la chaîne, dont le lecteur est invité à ne pas remarquer l’absence.
Et le premier cycle des aventures du pauvre XIII tient quand même sur 19 épisodes (c'est vraiment l'époque des séries, tout le monde veut enchaîner le client à son boulet préféré, comme n'importe quel bagnard) vendus par dizaines de milliers ! L'amateur d'histoires veut croire en son héros. Son attention logique s'en ressent. Cela simplifie la tâche de l'auteur, qui peut alors laisser flotter les rubans, quand on attendrait qu'il édifie une intrigue en pierres de taille.
Dans l'épisode Rouge total, vous y croyez, à la façon dont les « bons» s'en tirent quelques secondes avant l'explosion, alors qu'ils étaient étroitement ficelés au fond de ce bureau souterrain fermé à quadruple tour, et retournent la situation comme par magie ? Du même ordre que « Zorro est arrivé» (sauf que Zorro, c'est l'auteur en personne). L'effet (de manche) prime sur la vérité et la logique.
Ce genre de narration repose sur le bluff. Maurice Leblanc aimait peut-être jouer au poker, vu son aisance à bluffer pour emporter la mise. Heureusement, c’est aussi la raison du plaisir qu’on a à lire les aventures d’Arsène Lupin. Au motif qu'aucun plaisir, même petit, même mitigé par une déception rationnelle, n’est à négliger.
Petite littérature peut-être, mais je ne sais pas ce qu'on ferait si elle n'était pas là.
Il n'y a pas que Balzac dans la vie. Je veux dire l'Everest. Il est maintes collines verdoyantes qui ont un charme fou.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 15 juin 2014
PLAISIR DE LIRE ARSENE LUPIN 1/2
Je viens de relire Les Confidences d’Arsène Lupin. Le plaisir que je prends à cette lecture, depuis des temps immémoriaux, est bien différent de celui qu’on trouve à celle des Maigret. Pour une question de ton général. Chez Simenon, le ton est, au moins apparemment, « neutre ». Ce que certains appellent un « style blanc » (ou « écriture blanche »). L’équivalent en BD s’appelle « la ligne claire », dont les œuvres de Hergé figurent l'archétype définitif. L’esprit de cette méthode pourrait être résumé : « Le style de ceux qui refusent le style » (j'ajoute : « au profit de l'histoire qu'ils racontent», c'est ce que je préfère), qui caractérise tout auteur qui s’efface de son œuvre, qui voudrait bien ou qui fait mine de.
Le ton, chez Maurice Leblanc, n’est ni neutre ni blanc : l’effet que veut produire l’auteur est de l’ordre du charme enjoué, de la séduction et de la grande classe. Ce n’est pas pour rien que le héros est un filou courtois, un bandit sympathique, l’aristo de la cambriole. Mais je ne vais pas refaire le film et filer l’antithèse, Dutronc et d’autres l’ont déjà fait : « C’est le plus grand des voleurs, oui mais c’est un gentleman ». En disant ça, on ne fait que réciter le cahier des charges du personnage que Leblanc a lui-même rédigé.
On me rétorquera qu’il l’a fait a posteriori, puisque ce n’est qu’en 1933 qu’il répond à cette question que tout le monde s’est posée : « Qui est Arsène Lupin ? », alors que l’honorable fripouille est née en 1905. C’est sûr, la silhouette d’Arsène Lupin, tout comme sa « psychologie » ou sa personnalité, s’est dessinée au fil du temps, et le portrait en a été complété au fur et à mesure que les épisodes en étaient publiés.
Tout cela a été d’abord pressenti plutôt que défini. Et je note au surplus que Maurice Leblanc, dans son texte de 1933, écrit : « L'épigraphe "Arsène Lupin, gentleman cambrioleur" ne m'est venue à l'esprit qu'au moment où j'ai voulu réunir en volume les premiers contes, et qu'il m'a fallu trouver un titre général ». C'est entendu, Maurice Leblanc, qui parle lui-même de "contes", a la modestie de se présenter comme un conteur d'histoires. Je veux dire que sa formule ne lui interdit en aucune manière de piocher dans le réservoir que constituent les ressources du conte de fées, merveilleux compris.
Et puis le sculpteur a modelé sa figurine. Plus le bonhomme Arsène Lupin est revenu sous les mains de son inventeur, plus il a pris consistance et identité, plus les traits se sont accusés (en même temps que diversifiés : l'essence d'Arsène Lupin est dans sa plasticité infinie, cf. son extraordinaire métamorphose en l'impeccable loque humaine nommée « Baudru Désiré» qui se présente devant le juge), pour aboutir à cet être improbable et double : un immonde détrousseur que tout le monde admire, et que toutes les femmes rêvent de rencontrer.
Même son ennemi juré, le pauvre inspecteur Ganimard, n’arrive pas à le haïr, et revient vers lui quand il a besoin de résoudre une énigme au-dessus de ses moyens intellectuels. Et c’est d’autant plus vrai que Lupin est très capable de se métamorphoser en monsieur Lenormand, chef de la Sûreté en personne. A la rigueur en Victor, de la brigade mondaine, ou en Jim Barnett, le détective « gratuit » qui se paie sur la bête au grand dam du pitoyable inspecteur Béchoux. Flic ET bandit : comment voulez-vous vous y retrouver ?
Mais il est vrai que Lupin se paie à l’occasion « en nature », en partant en « lune de miel » avec Olga Vaubant, l’ex de Béchoux, qui en pince toujours pour elle (L’Agence Barnett et Cie). Et qu’Arsène Lupin lui-même ne dédaigne pas de résoudre brillamment huit énigmes à la file pour les beaux yeux de la belle Hortense (Les Huit coups de l’horloge).
Ce que je retiens du petit texte où Maurice Leblanc dresse le portrait de son « gentleman cambrioleur », c’est qu’il arrive à certains auteurs d’avoir l’idée d’un personnage qui, ayant rencontré « la faveur du public », les dépasse rapidement et leur échappe, au point d’inverser le rapport de force entre le créateur et la créature : c’est la monture qui tient les rênes courtes au cavalier, et celui-ci se voit contraint de galoper, les éperons dans les reins, alors même que l’envie lui prend de regagner son écurie.
Voilà de que je dis, moi.
lundi, 09 juin 2014
MANUEL DE POLITICULTURE 2/2
Résumé : nous analysons, dans ce court Traité des mœurs politiques de la France, les méthodes politiculturales employées par les industriels de la politique pour la production et la sélection d’un produit bien de chez nous : le « politicien-français ».
Soyons précis : il n’est pas donné à tous les tubercules de recevoir sur la fesse gauche (à l'encre indélébile, le fer rouge étant sorti d'usage depuis quelques années, car le tubercule politique est devenu douillet), dès la sortie, l’estampille certifiée de cette appellation d'origine protégée (AOP) si convoitée.
Ils devront faire leurs preuves, remplir leur carnet d’adresses, accepter petites vexations et grosses humiliations, avaler la couleuvre quand elle passe, manger le chapeau qu'on leur fera porter (mais en prenant soin de tout noter, pour plus tard, on ne sait jamais, ça peut servir), et pour finir, rendre service aux puissants du moment, se rendre indispensables et prêter allégeance, s'ils veulent un jour se voir accorder une bonne place dans et autour de la gamelle. Et s'ils veulent espérer être un jour en mesure de trahir avec éclat le protecteur.
J’arrête ici le persiflage et l'ironie, ça risque de devenir lourdingue. Tout le monde a compris le message : la plupart des hommes politiques qui nous gouvernent aujourd’hui n’ont jamais eu à gagner leur vie comme les autres citoyens. Ils n’ont jamais été confrontés aux fins de mois difficiles. Ils n’ont jamais dû se battre pour se loger. Pour trouver du travail. Pour avoir un métier qui procure de quoi vivre. Quand quelque difficulté se présentait, ils décrochaient le téléphone.
Ce sont de purs produits des écoles, qui ne sont jamais sortis de l'école. On est frappé de cette vérité : notre personnel politique est passé directement du banc d'école à la chaire magistrale. Du statut de « premier-de-la-classe » à celui de « donneur-de-leçon ». On appellera ça, dans leur notice nécrologique, une « superbe carrière ».
En matière d'altérité humaine et de confrontation avec les espèces différentes, ils sont dans la chaise roulante des infirmes. Que dis-je : sur le grabat des grabataires. Leur handicap vient d'avoir subi très tôt une « alterectomie » préventive, n'ayant poussé qu'au milieu de leurs semblables. Aussi menteurs les uns que les autres, que ce soit par calcul, par tactique ou par servilité (ce qui revient à peu près au même).
Et ils ne le savent pas, convaincus que, étant juchés, en « hommes hors du commun », au plus haut des chars resplendissants des parades républicaines, ils sont à l'abri des aléas qui caractérisent les « hommes du commun » (Georges Brassens, Tonton Nestor). Il faut se le répéter : très peu de nos hommes politiques les plus en vue aujourd'hui sont sortis de l'école avant d'exercer les responsabilités. Il me semble que cela devrait au moins interroger, non ?
Tout ce qu'ils sont capables de faire, quand ils sont arrivés aux affaires (comme ils disent), c'est de réciter, le plus souvent avec un bagou intarissable (en bois brut), parfois avec un talent indéniable, ce que d'autres - qui leur ressemblent étrangement, étant coulés dans le même moule - leur ont fait apprendre quand ils étaient à l'école. Et qu'on ne me tabuste point avec leurs mandats locaux, qui seraient preuve (soi-disant) d'un ancrage dans le terrain. Cette ancre-là est trop souvent déléguée pour servir de preuve. Aux petites mains locales tout le travail local. Aux gens importants les choses importantes.
Moi, quand j’ai pris la décision qui m’a donné la bien modeste place que j’ai conquise dans la société (place que je n'ai due à personne d'autre que moi), je sortais du service militaire. J’avais un parcours, et j’avais femme et enfant. Et quand je me suis vu, dans un champ du copain paysan de l’époque, en train d’arracher oignons et patates à la triandine, je me suis dit que ce n’était tout simplement pas possible de faire ça jusqu’à la retraite. Mon pote Roland peut raconter ça encore mieux, parce qu'il a fait ça plus longtemps et plus diversement. Et ça, je vais vous dire, ça rend le cuir épais et insensible à certaines façons de mentir sur soi, sur le monde et sur l'avenir de la société.
J’avais déjà conduit les poids-lourds de la STUR ; travaillé, dans la cave ammoniaquée, sur la tireuse de plans de Fauvet-Pélanjon ; livré les machines à écrire de M. Chappat ; charrié et vendu les fruits et légumes biologiques de Prairial (quand c'était rue du Dauphiné, avec le magasin au bout du cours Vitton), avec Dussuyer et Bonnefond, et puis je ne sais trop quoi. Cela me regarde, parce que c’est mon histoire à moi. Mais cela me donne aussi le droit de jauger (et juger) la façon de certains de se conduire quand ils sont aux commandes.
La caractéristique commune de presque tous les hommes politiques en vue aujourd’hui (je veux dire ceux qui ont accès à la signature et à la décision), c’est qu’ils n’ont jamais dû se battre au jour le jour pour assurer la pitance et payer le loyer. Prenez Jacques Chirac : les logements proprement personnels (je ne compte pas le château de Bity, qui vaudrait un chapitre à lui tout seul) qu'il a occupés se comptent sur les doigts d'une seule main (et encore, amputée de quelques doigts). Il aura passé presque toute sa vie logé aux frais de la République.
Grandis dans le vase clos de leur « milieu naturel », ils ont toujours été protégés de cette honteuse nécessité. Soit parce qu'ils étaient déjà des protégés, soit parce que leur famille suppléait, soit parce que le téléphone était là. Ces gens-là ne se sont jamais vus autrement qu'aux postes de commande. Quand Hollande visite un atelier de production industrielle, on voit bien qu'il vient en extraterrestre, et il a beau faire semblant ... Ces gens-là n'ont jamais considéré qu'ils étaient des citoyens comme les autres.
Ce sont des gens qui n’ont jamais connu les dures nécessités de la « réalité-ordinaire ». Aucun d'eux, par-dessus le marché, n'a la plus petite idée de ce qui s'appelait, dans la France désormais disparue, le sens de l'honneur. Ah, le sens de l'honneur !
Quoi que vous puissiez dire, je suis convaincu que le « politicien-français », ce légume tuberculiforme qui a opté soit pour la droite, soit pour la gauche (peu importe dans le fond, c’est juste au gré des opportunités de carrière), qui a poussé dans un terreau privilégié, bien qu'il ait la peau blanche, ne fait pas partie de ma race.
Je le renie. Je le conspue. Je le compisse. C'est un étranger. Il ne me représente pas.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : Je sais, j'ai tort, j’exagère, j’abuse, je simplifie, je généralise, je caricature. En plus je suis très injuste. La justesse de mon propos s'en ressent forcément. Il faudrait nuancer (ce qu'on appelle en France judiciaire "individualisation de la peine"). Je laisse ce soin à de plus subtils. Moi qui suis resté lourdaud, fruste et rudimentaire, je laisse à de plus raffinés le soin de passer les nuances. Je me contente des couleurs de base, qui sont, comme moi et comme on sait, primaires :
« Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor ! »
Je ne suis pas Verlaine, moi. Je suis juste en colère.
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dimanche, 08 juin 2014
MANUEL DE POLITICULTURE 1/2
J’ai déjà dit combien grande est ma détestation de cette créature étrange, de cette faune endémique (c'est comme ça qu'on dit) de la France, qui vit et se reproduit en exclusivité sur notre territoire, j’ai nommé le « politicien-français ».
La caractéristique la plus remarquable de l’espèce est sans nul doute sa grande homogénéité, résultat d’un long travail de sélection opéré sur un seul type individuel : le « premier-de-la-classe ». C'est ce qu'on appelle une race pure. Certains en rêvèrent, la France montre que c'est possible. Avec, comme c'était prévisible, la dégénérescence qui va avec le clonage et la consanguinité. Si Hitler avait été vainqueur, qu'est-ce qu'elle serait belle, aujourd'hui, la race aryenne ! On s'en rend compte en observant le « politicien français », frais émoulu du vingt-et-unième siècle.
Si on observe la croissance de l’espèce depuis les bancs du lycée jusqu’aux plus hautes responsabilités, on constate que cette homogénéité des parcours individuels, malgré les variables inévitables et les rares exceptions notables, est due à une particularité qui a fini par étonner les espèces comparables des autres pays.
Cette particularité peut se résumer à ce que les producteurs de tomates hollandais ("hollandais", tiens donc ! Suivez mon regard !) pratiquent sous le nom de « culture hors-sol », pour mettre sur nos tables, au plus fort de l’hiver, des fruits qu’ils ont pris soin de dépourvoir de toute saveur originale. On verra que les méthodes appliquées par tous les « politoculteurs » (ce sont les fermes hors-sol chargées de la production en série du « politicien-français ») de France aboutissent peu ou prou au même résultat insipide.
En effet, du lycée jusqu’à l’exercice du pouvoir, le « politicien-français » évolue en milieu stérile, soigneusement protégé de toute impureté, de toute atteinte microbienne ou virale susceptible d’émaner de ce que, pour la commodité, on appellera la « réalité-ordinaire ». Le « politicien-français » est à cet égard une extension de ce qu’on trouve en laboratoire sous le nom de « bébé-éprouvette ». Dans les maternités, ce sont des « couveuses ». Les circonstances diffèrent, mais le principe demeure : éviter toute contamination par la « réalité-ordinaire ».
Et toute l’espèce en est si bien protégée que, dans le cas exceptionnel et rarissime où quelque responsabilité gouvernementale est confiée à un individu d’une autre espèce, tous les commentateurs, journalistes et « politologues » (quel métier ridicule, quand on y songe ! C'est qu'il faut bien donner de l'emploi à des ratés de quelque chose !) tombent d’accord autour de l’expression « issu de la société civile » pour désigner l’exception.
En général, d’ailleurs, le dit individu ne tient pas très longtemps à son poste, pour une raison évidente d’incompatibilité génétique. En bonne physiologie, l’intrus concentre sur lui les attaques des anticorps, soucieux de préserver l’immunité de l’organisme.
Il en résulte une conséquence curieuse : la France est gouvernée (et de plus en plus) par une classe de gens qui prennent grand soin de rester toute leur vie puceaux de la réalité commune.
Trop triviale, sans doute, la réalité commune. Un cordon sanitaire (une ligne de fortification appelée, suivant les cas, « l'équipe des conseillers » ou « les réseaux» (qu'il s'agit de « réactiver» quand le besoin s'en fait sentir) est mis en place, comme une ceinture de chasteté, pour que nul ne porte atteinte à cette virginité. Dans ce bocal, nul n’ose imaginer quelque croisement que ce soit avec une autre espèce. Parler d’hybridation serait obscène.
La réalité commune, ils l’observent du fond de la salle obscure où les estafettes dévouées qu’ils ont envoyées « sur le terrain » reviennent pour projeter les films qu’ils y ont tournés sur ordre. C'est ainsi qu'ils découvrent la « vraie vie » des « vrais gens » (comme ils disent pour faire croire que …).
S'étant aventurés de la sorte en terre exotique, imprégnés du « spectacle » (salut Debord !) que les dites estafettes ont élaboré à leur intention, ils peuvent dès lors prendre les décisions les plus sages, mûrement réfléchies, pertinentes et adéquates. Après quelques années de salle obscure, involontairement comiques, ils appelleront ça « l’expérience acquise ». Comprenez : expérience en milieu confiné (comme pour les OGM). Et ils sont toujours prêts à dénoncer l'addiction des ados aux jeux vidéo, qui finissent par confondre le réel et le virtuel.
Les superbes vases clos (des vases de prestige), où l’on cultive les fruits, légumes et tubercules réunis au sein de l’espèce « politicien-français », prennent soin de préserver la pureté de l’atmosphère dans laquelle ceux-ci doivent baigner : la qualité et la beauté du produit, quand il arrive sur l’étal du marché, en dépend étroitement. Personne ne doute, en cas de non-respect du cahier des charges (que tous les producteurs de la branche ont signé pour valoriser l’ensemble de la filière), que le client qui fait son marché ferait la fine bouche et tordrait le nez devant tout ce qui manquerait de la brillance, de la rotondité, de la rubescence attendues.
Ces vases clos prestigieux portent les noms des différentes variétés d’origine : Henri IV (dit sobrement « H4 »), Louis-le-Grand, Janson (de-Sailly étant facultatif, quand on est initié). Les étapes suivantes sont appelées, tout aussi poétiquement, Sciences-Po, ENA, éventuellement HEC. Ajoutez, pour le plaisir, une pincée de « X-Mines-Ponts », un zeste de « Anciens de Normale », étant entendu qu’il n’est de bonne « Normale » que de rue d’Ulm.
Avec, pour le contraste, quelques mauvaises herbes basanées (Rachida Dati, Rama Yade, Vallaud-Belkacem) ou sulfureuses (Bernard Tapie, Ziad Takieddine) sur les bas-côtés pour montrer qu'on n'est pas chien, quand même. Et puis ça peut servir, car c'est vite arraché, en cas de problème, la mauvaise herbe. Les vrais problèmes surgissent quand les mauvaises herbes ont poussé vraiment trop près du « bon grain », et qu'il devient difficile de les en séparer (voyez Tapie).
Le « concours-de-sortie » ne joue qu’un rôle d’aiguillage vers la destination finale, réservant l’Inspection des Finances aux premiers de cette collection de « premiers-de-la-classe », qu’on appellera donc « premiers-premiers », ou « premiers-au-carré ». Le « concours-de-sortie » ne fait que précéder et annoncer l’entrée en fonction des tubercules ainsi sélectionnés pour figurer sur les étals proposant du « politicien-français ». Aux électeurs de faire leur marché.
En l'état actuel des choses, malheureusement, ceux qui font leur marché semblent avoir perdu la vue, le goût et l'odorat, pour ce qui est de la qualité des produits. Puisqu'ils élisent les mêmes depuis des décennies.
Mais c'est faire abstraction de l'abstentionniste, ce drôle de citoyen auquel les milieux « autorisés » prêtent toutes sortes de motivations étranges, alors qu'il est désormais l'exemple même de la lucidité à l'état incandescent. Mais ça, on peut être sûr que ça reste insondable au sondage. « Et vogue la galée ! », comme dit maître Alcofribas, qui ne se faisait guère d'illusions, mais qui n'en était pas moins ancré dans la vie comme peu d'entre nous sont capables de l'imaginer.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 07 juin 2014
L'AMERIQUE AIME L'EUROPE ! 2/2
Résumé : Etonné de l'aveuglement des analystes occidentaux qui se répandent dans les médias, qui adoptent et récitent avec conscience la version américaine du conflit ukrainien, j'ai essayé de montrer hier comment les Américains, depuis la fin de l'URSS, n'ont cessé de harceler la Russie en essayant (avec ou sans succès) de faire tomber du côté de leur zone d'influence les dominos qui dépendaient des Russes depuis l'ère soviétique (la stratégie d'encerclement).
Et quand arrive la révolte du peuple syrien contre Bachar el Assad, tout fiérot de sa « victoire » libyenne, l’occident croit judicieux de montrer ses muscles. Stupeur générale, Poutine dit NIET aux opérations envisagées. Obama aura beau fixer une « ligne rouge », celle-ci recule comme l’horizon quand on marche vers lui, armes chimiques comprises.
Putain de merde, dit Obama. Ça résiste ! Il ne reste plus aux bonnes âmes qu'à prier et se lamenter, en dénonçant les manquements d'Assad à son engagement à ne pas faire usage d'armes chimiques. Et à compter les morts et les réfugiés. En se disant que les gens (les autres, toujours les autres) sont méchants.
Ça aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, à l’Obama. Et quand on arrive à l’Ukraine, où beaucoup de gens, s’ils se sentent d’abord Ukrainiens, parlent le russe, et ne voient aucune raison de se fâcher avec le « grand frère », l’occident, tout par un coup, tombe sur un bec quand il prétend ancrer le navire ukrainien en eaux européennes.
Obama et l’Europe (ah, l’Europe des droits de l’homme, qui en dira le lyrisme pathétique, moribond et factice ?) montent à l’assaut de la Russie. Pensez, le revirement de Ianoukovitch est un véritable affront ! Une insulte ! Mais à la réflexion, la réaction américo-européenne, si on raisonne en géo-stratège, est une provocation contre la Russie de Poutine.
Au nom du peuple ukrainien et de ses « droits inaliénables », on décide de faire pencher irréversiblement l’Ukraine du côté du Bien, du côté des « droits de l’homme », du côté de l’occident, évidemment. Il ne vient apparemment à l’esprit de personne de demander son avis à quelqu’un qui n'habite pas loin de là, et qui, pour de très vieilles raisons historiques, a son mot à dire. On s’en fout, on attaque, on se décrète du côté de Maïdan, parce que Maïdan, c’est la volonté du peuple. Démocratie à l'américaine.
Je suis prêt à parier mes roubignolles que, si l’occident n’avait pas appuyé sur le champignon des « droits de l’homme », et avait laissé les Ukrainiens se démerder, la Crimée serait toujours ukrainienne, même si les Ukrainiens seraient toujours dans la panade. D'ailleurs, aux dernières nouvelles, ils y sont jusqu'au cou, dans la panade ! Jusqu'aux sourcils ! Et plus qu'avant !
Au lieu de ça, les Américains ont sciemment jeté de l’huile sur le feu. Il paraît que 300 mercenaires de l'ex-Blackwater (désormais « Academy ») sont présents quelque part en Ukraine (je répète ce que j'ai entendu). Si c'est vrai, ça confirme. Aidés par des complices européens qui ne voient pas les conséquences plus loin que le bout de leur nez, qu’ils ont hélas camard, ils y sont allés flamberge au vent.
Qui est favorable au système de corruption mis en place par Ianoukovitch et sa clique ? Qui est adversaire de la liberté et des droits de l’homme ? Personne, évidemment. Mais il faut un peu « réfléchir avant d’agir », comme se disent Plick et Plock à la fin de leurs aventures, ayant reçu un peu de plomb dans la tête. Ce n'est pas gagné. Plick et Plock auraient pu devenir d'immenses géo-stratèges.
Et l’Europe dans tout ça ? Mais c’est quoi, l’Europe ? Ce n’est rien, ce n'est qu'un vieillard sous tutelle américaine et bourré de fric. Pour une certaine Amérique nostalgique de la guerre froide, l’Europe, c’est une masse de manœuvre. Parfois un terrain de parade. Tout ce que s’efforcent de faire ici les Américains, c’est de faire chier la puissance russe, en traitant les Européens comme de la valetaille qu’on envoie au charbon à la demande.
Si j’avais une question à poser, je demanderais bien en face aux Américains ce qu’ils nous veulent, à nous Européens. Bien que j’aie une petite idée de la réponse qu’ils ne feront pas. On en a eu un aperçu en janvier ou février, quand une délégation de grands patrons du MEDEF a annoncé qu’elle allait se rendre en Iran pour faire de la « prospection ». N'attendez pas de moi que je m'érige en avocat du MEDEF, j'essaie froidement de raisonner géo-stratégie.
Ça n’a pas traîné : un grossium de l’administration Obama leur a aussi sec remonté les bretelles, leur disant que ce n’était pas bien d’aller faire du commerce avec un grand diable qui figure sur « l’Axe du Mal ». Sans aller jusqu’à avouer que, en cas d’ouverture du marché iranien (et la configuration est en train de changer, comme ça tombe bien !), les patrons américains passeraient avant les Français. Les affaires avant tout. Le message ? Attention, les Européens, c’est moi qui commande. Et s'il faut s'en mettre plein les poches, c'est moi d'abord !
Et l’amende extravagante infligée par un juge américain à la banque BNP Paribas pour avoir fricoté avec des Mauvais en dollars américains, c'est une preuve du mal qu'est capable de nous faire notre « allié » américain quand il s'agit de ses intérêts. Loin de moi l’idée de défendre les banques, évidemment : elles nous ont piqué assez de pognon.
Il y aurait encore beaucoup à dire au sujet des actuelles négociations entre l'Europe et les Etats-Unis en vue d'un Traité de Libre-Echange, où les Américains voudraient instaurer un « Tribunal arbitral » qui pourrait infliger des sanctions à des Etats souverains qui s'opposeraient à ce que Monsanto, Google, Microsoft, Goldman-Sachs et consort (toutes entreprise américaines, soit dit au passage) écoulent leurs camelotes sur leurs territoires.
Il y aurait aussi beaucoup à dire des pressions que les Américains exercent sur le gouvernement français pour qu'il renonce à vendre à la Russie une série de porte-hélicoptères d'assaut de type « Mistral ». Ce match-là non plus n'est pas terminé. Mais je mets tous ces trucs-là bout à bout, et je trouve que ça commence à faire beaucoup. L'Amérique est notre alliée, mais l'Europe devrait se souvenir que quand il s'agit de ses intérêts, l'Amérique peut devenir impitoyable, surtout avec ses meilleurs amis.
Qu’est-ce que l’Europe aux yeux des autorités américaines ? Un « je-ne-sais-quoi » ! Un « presque-rien » ! Un souffle ! Un ectoplasme. Et l’affaire d’Ukraine le démontre à suffisance. Bien sûr, les droits de l’homme ! Bien sûr, la place Maïdan ! Bien sûr, Poutine est un gros salaud ! Bien sûr, Ianoukovitch est un bandit ! On sait tout ça. Mais franchement, qu’est-ce que l’Europe envisage ou espère, en emboîtant le pas aux Américains dans des « sanctions » contre les Russes ? Mettre les mains dans le panier de crabes ? Où est-il, son intérêt, à l’Europe ? Faire la guerre à Poutine ? Allons donc !
Tout diplomate le sait, et toute personne sensée devrait le savoir : il faut parler avec ses adversaires avant qu’ils ne deviennent des ennemis, pour éviter d'avoir à leur faire la guerre. Et je n’entre pas dans les considérations sur la force des armes économiques que peuvent brandir les acteurs en présence. A la place des Européens, s’ils existent (ce qui n’est pas sûr), je regarderais où je mets les pieds. Avec la Grande-Bretagne, les USA ont à leur service un loup ultralibéral dans la bergerie européenne (soit dit en passant, ils ont interdit à Cameron de sortir de l'Union Européenne). Devinez ensuite pourquoi une Europe-puissance n'est pas près d'émerger.
L’inénarrable salopard (pas d'autre mot) Jean-Marie Colombani, alors patron du Monde, intitulait son éditorial paru le lendemain du 11 septembre 2001 : « Nous sommes tous américains » ! Farpaitement ! Je préfère de loin : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! ». Je ne sais pas si Voltaire a vraiment écrit ça, mais en l’occurrence, bon Dieu, qu’est-ce que c’est vrai ! Non, une fois pour toutes, je ne suis pas américain ! L'Europe, c'était autre chose, avant les Américains. Colombani a l'étoffe du traître.
L’Amérique aime l’Europe, c’est certain. A son petit déjeuner. Car l'Amérique n'est pas près de la considérer comme un plat de résistance. A la rigueur comme une vache à lait. Consentante. Avachie. Inconsistante. L'Europe ? L'Amérique ne la veut pas autrement que colonisée par ses soins.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 06 juin 2014
L'AMERIQUE AIME L'EUROPE ! 1/2
Poutine est un grand méchant loup. Quasiment un dictateur. Certains le considèrent même comme un tsar. Bientôt la Russie sera devenue l'Empire du Mal. Un Grand Satan aux yeux des Américains. Ça remplacera l'Iran, peut-être. Un Satan qu'il s'agit de punir pour les manœuvres machiavéliques que Poutine mène sur les frontières orientales de l'Europe.
Barack Obama, lui, a été présenté par le parti démocrate des Etats-Unis pour être élu président (« Le Christ est redescendu sur Terre », titrait le journal El Pais à sa première élection). Curieusement, tout au moins en politique étrangère, il n’en suit pas moins, intrépidement,la trajectoire indiquée par son prédécesseur, un certain George Walker Bush, fieffé "républicain", fidèle et méthodique exécutant des vues des plus réactionnaires, voire fanatiques des Américains : diverses sectes de protestants qu'on regroupe sous l'appellation de néo-conservateurs (alias « néo-cons »), et dont beaucoup se sont réunis dans le « Tea party ».
Pour mémoire, Bush est celui qui, pour venger l'Amérique après l'affront aéroporté du WTC le 11/09/2001, a poursuivi (2002) Ben Laden en attaquant l’Afghanistan, et qui a laissé le mollah Omar lui échapper de justesse, à motocyclette. Dans la foulée, sur la base de « preuves » intégralement fabriquées par ses services secrets, il a attaqué (2003) l’Irak de Saddam Hussein et fait pendre celui-ci.
Avec les fiers résultats qu’on peut observer aujourd’hui : l’Afghanistan s’apprête à retomber dans l’escarcelle des talibans et des seigneurs de la guerre, genre Dostom ou Hekmatyar (on me dira que ça laisse le choix au peuple afghan : c'est ça ou la quintessence de la corruption avec le clan Karzaï) ; et le chaos de l’Irak démembré est devenu un terrain d’affrontement entre musulmans « majoritaires » (c’est paraît-il le sens de « sunnites ») et « minoritaires » (« chiites »). Faisons abstraction des Kurdes, c'est déjà assez compliqué comme ça.
Il y avait eu, quelques années auparavant, la guerre en Yougoslavie, où les Américains piétinèrent allègrement les liens immémoriaux et indissolubles que l’histoire a tissés entre les Serbes et les Russes (à commencer par l'écriture cyrillique). Et bombardèrent au passage l'ambassade de Chine. Regardez d’un peu près l’improbable puzzle géographique, ethnique et politique que sont devenus les Balkans. Pour vous amuser, examinez de près la carte politique de l'actuelle Bosnie, et admirez le talent des dentellières diplomatiques à l'ouvrage.
Accessoirement, je constate que nos Sarkozy et Hollande, comme des « mini-Bush », se lancent dans les mêmes aventures interventionnistes, en Libye, au Mali, en Centrafrique, avec des résultats calamiteux « copiés-collés » sur ceux des Américains.
Avec la prime et les lauriers de la compétition à Nicolas Sarkozy (soyons juste : aidé par un « Danube de la non-pensée », nommé Bernard-Henri Lévy), par l’intelligence géo-stratégique duquel toutes sortes d’armes, de la sarbacane à piston à la bombe atomique à pédales, je veux dire des plus légères aux plus lourdes, jusque-là accaparées et entassées par le tyran libyen, bénéficient enfin d’une totale liberté de circulation, de l’Atlantique à la mer Rouge, entre les mains de toutes sortes de gens animés des meilleures intentions du monde. Sûrement très pacifiques et très non-violents.
Laissons de côté le désir de vengeance de la superpuissance américaine après le 11 septembre. Gardons juste l’interventionnisme de tous ces acteurs occidentaux. Contre divers épouvantails et grands diables : Milosevic, Saddam Hussein, Kadhafi ...
Ce que je comprends de la chose, c’est que, quand on s’intronise gendarme ou justicier et que, dans son armure de Don Quichotte, on part à l'assaut des monstres, on a beau être animé des plus nobles motivations (le drapeau du respect des droits de l’homme et l'élimination d'un infâme), l’aveuglement face à la réalité géo-statégique produit des catastrophes internationales, en bouleversant à l’aveuglette les données de cette réalité.
Regardons maintenant du côté de la Russie et de l’Ukraine. Qu’est-ce qu’on a observé au fil du temps, en provenance du côté américain ? On n’a pas cessé de harceler, voire d’agresser l’ours russe, que l'on croyait épuisé et hors-course, pour l’affaiblir encore davantage après le démantèlement de l’URSS. L'Occident (pour dire vite), en prétendant peser sur le devenir démocratique de l'Ukraine, a accéléré le démembrement d'un pays situé à la frontière orientale immédiate de l'Europe. Au détriment de la paix en Europe. Ce faisant, les pays européens inféodés aux Etats-Unis prennent le risque de déclencher une guerre avec la Russie.
J'ai évoqué l'aventure militaire de la coalition qui, s'opposant à la volonté de Milosevic de créer une « Grande Serbie », lui a fait la guerre jusqu'à de que mort s'ensuive. Première humiliation pour les Russes, dont Milosevic était un protégé, et qui avaient envoyé sur place des commandos de « Spetznatz ». Il faut dire que Milosevic avait mis du cœur à l'ouvrage dans l'effort de provocation, en envoyant en 1991 ses bourreaux Mladic, Seselj et d'autres torturer, violer et semer la terreur à Vukovar, puis en Croatie, en Bosnie, au Kosovo ....
Prenez la Géorgie (2008), à laquelle on propose d’intégrer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. L’Atlantique Nord pour un pays du Caucase ! On croit rêver ! Une agression en règle contre les Russes. Le résultat ? La Géorgie s'est vue amputée par la force de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie : c’est que les Russes ont un intérêt géo-stratégique à garder à tout prix ouverte une porte sur le sud et la mer Noire, au cas où la Crimée .... Et personne n'a osé moufter.
Prenez les Etats baltes, quelques années avant. Tout le monde a noté la vitesse à laquelle ils ont été intégrés dans l’Union Européenne, et même plus, puisqu’ils font partie de l'OTAN et de « l’espace Schengen ». Après l’attaque au sud, cap au nord : c’est la stratégie d’encerclement. Quant à la Pologne, son appartenance à l’Europe ne fait guère de doute, mais sans compter les avions de combats (F16, je crois, au détriment des solutions proprement européennes au problème de défense aérienne) que les Amerloques se sont pressés de leur vendre, qu’est-ce qui prend aux Américains de vouloir y implanter des missiles anti-missiles ?
Bien sûr, c’est pour prémunir l’Europe de toute agression balistique venant du pays des diables iraniens. Sérieusement, qui pouvait croire à cette fable ? Alors l’Ukraine, à présent. Bien sûr, Joe Biden s’est rendu sur la place Maïdan en brandissant le drapeau des droits de l’homme. Mais à bien y regarder, il y a une sacrée arrière-pensée là-derrière. Car la stratégie de « guerre-froide » n’a pas changé. Il s’agit toujours de terrasser l’ours russe en profitant de ce qu’il a l’air endormi d’un Hibernatus de compétition.
Quel que soit le président américain, la politique étasunienne à l'égard de la Russie n'a pas changé d'un iota. Et les journalistes et autres spécialistes « au courant » (j'ai entendu Zaki Laïdi là-dessus) colportent complaisamment la fable d'un Poutine englué dans la guerre froide et qui n'a rien compris au vingt et unième siècle ... S'il en est resté à la guerre froide, il n'est pas le seul.
L’Hibernatus, après avoir piqué du nez dans son assiette le temps de piquer un roupillon international, s’est décongelé. Poutine arrive au pouvoir en 1999. C'est un patriote. Peut-être un exalté. Cet ancien du KGB veut restaurer la grandeur de la « Sainte-Russie », tsars et bolcheviks mêlés. Par tous les moyens. En s'appuyant sur d’anciens apparatchiks devenus oligarques, il va, avec toute sa bande – qui le suit comme un seul homme, car il ne faut pas croire que Poutine fait anomalie aux yeux de la majorité des Russes, au contraire : pour eux il est l'homme de la situation, seul capable de rendre aux Russes la fierté de l'être –, tenter de restaurer la puissance perdue. Réaffirmer la présence de la Russie sur la scène internationale. Et apparemment, ça ne marche pas trop mal.
Car l’argent du pétrole et du gaz russes coule à flot (« économie de rente », disent dédaigneusement les fines bouches). La Russie engrange. Elle s’est réarmée, après le gros coup de mou de 1991. L’Amérique fait semblant de ne pas s’en rendre compte, et continue à pousser ses « avantages » de force face à l’ours apathique, en se foutant pas mal de mouiller les Européens jusqu'aux sourcils. Elle n’est pas directement impliquée dans la mort de Khadafi, car elle a délégué les pions français et anglais en Libye, se contentant d’assurer « l’appui-feu » (missiles de croisières), comme disent les militaires.
Exit Khadafi, mais au grand dam de Poutine et de quelques autres, humiliés, qui avaient quelques intérêts dans le coin. Nouveau coup de patte à l’ours endormi, dont on fait semblant de ne pas voir qu’il a peu à peu reconstitué ses forces. Et en outrepassant, soit dit en passant, la résolution de l’ONU autorisant l’intervention en Libye (la « nécessité de protéger les populations », comme c'est beau).
A force d’être gratté là où ça fait mal, l’ours russe s’est réveillé. Et de mauvaise humeur.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 05 juin 2014
ADIEU AU LANGAGE
Je commence à être inquiet : c’est la deuxième fois que je vais au cinéma cette année. Ça commence à faire beaucoup. Cette fois, c’était pour voir le « dernier Godard » : Adieu au langage.
Si je ne vais guère au cinéma, c’est que je ne veux plus qu’on me « raconte des histoires », j'attends qu’on me dise quelque chose, à la rigueur qu'on le fasse à travers un récit : roman, film ou autre.
Qu'on me dise quelque chose de consistant du monde tel qu'il est, tel qu'il va. Ou plutôt tel qu'il va mal.
J'avais déjà rencontré ça dans les Maigret que j'ai lus. Avec Adieu au langage, je n'ai pas été déçu ! Il ne m'étonne pas du tout que les fonctionnaires à bout de souffle (salut Godard !) du Masque et la Plume (sauf Lalanne) aient été rebutés et aient envoyé le film à la poubelle. Un signe annonciateur : Jérôme Garcin l'avait placé en dernière position dans son énumération du début, ce qui garantissait qu'il fût expédié en un quart de seconde. Ces spécialistes autoproclamés du cinéma sont aussi fatigués que rebutants.
Moi, le pur « entertainment » à l’américaine, cette farcissure qui vous boulotte les boyaux de la tête façon hamburger, merci, très peu pour moi. J’ai assez donné. Et le fait que « les séries », amerloques ou autres, aient acquis une existence autonome, pour être parfois érigées en œuvres véritables, me laisse halluciné.
On voudrait visser les gens devant leur télé 24/24, 7/7 qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Pire : il m’épastrouille que des foules innombrables se pressent pour en acquérir les coffrets de DVD bien complets de toutes leurs « saisons », pour se les repasser quand elles sont au chaud et à l'abri.
En observant ce phénomène, j’entends un seul message (voix suave d'hôtesse d'aéroport) : « Cessez de vivre votre vie, laissez ce soin à l'armée des scénaristes qui vont vous la raconter bien mieux que vous ne ferez jamais en existant vous-même dans la réalité, vous ne serez jamais aussi pleins, jamais aussi intenses, car vous êtes pauvres et vides ». Se passionner pour les séries américaines, c'est accepter de dormir sa vie. En payant pour ça.
Ça me rappelle une histoire dessinée par le grand Gébé : l’histoire d’un type dont on filme la vie de sa naissance à ses quarante ans et qui, à son quarantième anniversaire, s’enferme pour toujours dans une salle de projection pour se repasser, pendant les quarante ans qui lui restent à vivre, le film de ce qu’il a été, accompli, vécu jusqu’au moment où il a décidé de se regarder vivre. C’était de longues années avant The Truman show (1997), l’assez bon (ne soyons pas chien) film de Peter Weir.
Guy Debord a réalisé quelques films. Le plus célèbre (si l’on peut dire) s’intitule In girum imus nocte et consumimur igni (« nous marchons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu »), titre qui, comme on le sait, constitue un intéressant palindrome, pour une fois plein de sens, pas comme l’énorme palindrome écrit par Georges Perec, simple tour de force dans un jeu de langage : virtuose et desséché. Quand il devient une pure combinatoire, le langage a perdu son humanité.
LE COFFRET DES OEUVRES CINEMATOGRAPHIQUES COMPLETES DE GUY DEBORD
Les films de Guy Debord ne sont pas des films. Je veux dire qu’ils ne sont pas faits pour être vus par des spectateurs. Je veux dire des spectateurs normaux, qui attendent douillettement qu’on leur raconte une histoire, comme on fait aux enfants pour les endormir le soir. Les films de Guy Debord sont des manifestes politiques.
Car Guy Debord s'en prend précisément à la substitution généralisée des images à la vraie vie, vous savez, celle qui se construit dans la confrontation à des réalités et non à des artefacts. Or l'artefact (le « spectacle », dit pour aller vite) est devenu le monde. Les films de Guy Debord sont des applications radicales de La Société du spectacle, livre de haute densité et de haute teneur en alcool intellectuel, où l’auteur déshabille jusqu’à l’os le système dans lequel l’époque nous fait vivre.
Adieu au langage, le dernier film de Jean-Luc Godard, emprunte à Debord quelques « trucs » de cinéma (genre « cartons », écran noir, nombreux cuts de la bande-son …). Mais ce que Godard injecte dans son film, j’ai d’abord l’impression que c’est TOUT le manifeste de La Société du spectacle. De Debord, Godard reprend, à température de fusion, la radicalité. A cet égard, Adieu au langage est un film horriblement méchant. Et, à cet égard, incompréhensible de la plupart.
Comme l’écriture de Céline dans Mort à crédit, ce film est un défi au spectateur : « T’es pas cap de rester dans la salle jusqu’au bout », qu’il dit, Godard (je cite d'inspiration). L’autre Godard, Henri, celui qui parle de Céline, en est convaincu : l’écrivain Céline fait tout pour repousser le lecteur tout en se débrouillant pour qu'il ne puisse pas le lâcher. Eh bien, de même, Jean-Luc Godard, le cinéaste, fait ici tout ce qu’il faut pour se faire haïr de celui qui regarde, tout en le rivant à son fauteuil pendant 70 minutes : à ce point de densité, pas besoin de faire long.
Adieu au langage, si vous en êtes resté au linéaire du récit à la papa, c’est d’abord que vous n’êtes pas « moderne » : James Joyce, Claude Simon, William Burroughs et quelques autres ont arpenté et balisé le chemin dès longtemps en littérature. Ensuite, c'est que le film n’est pas pour vous. Il flanque mal au cœur à ceux qui ont l’estomac fragile. Il met les yeux à l’épreuve, avec un usage bizarre de la 3D, bizarre en ce qu’il n’est pas constant. Il met à l’épreuve la comprenette, qui essaie de saisir un fil conducteur, s’il existe.
S’il y a une ligne narrative, Godard s’est débrouillé pour nous la livrer hachée menu. C’est d’ailleurs rigolo comme les choses se présentent : je viens de lire le dernier Henri Godard (A Travers Céline, la littérature), puis le dernier Kundera (La Fête de l’insignifiance), et j’enchaîne sur le dernier opus du Suisse (Adieu au langage).
Céline réduisait ses phrases en miettes bourrées de points d’exclamation et de suspension. Le récit de Kundera repose sur une logique apparemment foutraque. Quant à Godard, il juxtapose (on parle de montage) des images pour pulvériser la notion d’enchaînement. Dans ces trois cas de cinglés, il faut s’accrocher.
Mais trêve de considérations oiseuses. Adieu au langage ne nous raconte pas une histoire, il nous dit quelque chose, et ce n’est pas réjouissant. Il nous parle en effet du monde tel qu’il est, du monde en morceaux, tel qu’il va mal, tel qu’il dégoûte, jusqu’à l’écœurement et l’envie de vomir, les individus lucides, au nombre desquels regrette d'avoir à se compter Jean-Luc Godard. Adieu au langage colle littéralement à la réalité du monde d'aujourd'hui, puisqu'il se présente comme une continuité pulvérisée.
Vouloir être lucide aujourd’hui, c’est accepter de voir que l’humanité s'achemine vers sa perte. Mais ne pas vouloir pour autant s'en laisser transformer en statue de glace.
Heureusement, on peut encore fermer régulièrement toutes les écoutilles. Se faire du bien. Célébrer la beauté des femmes. Boire une bouteille de Chusclan 2011. Se plonger dans la lecture de Nostromo. Se réjouir entre amis. Rouvrir Les Fleurs du Mal, Les Amours jaunes... Déclarer son amour. Des trucs qui n'ont rien à voir avec la marche du monde. Exister, quoi.
Et puis retourner voir Adieu au langage. Excellent programme.
Voilà ce que je dis, moi.
vendredi, 30 mai 2014
ENFONCER LE CLOU
Le Front National est donc un Grand Diable qui effraie les bonnes gens. Et nous sommes bien d'accord : ce parti composé de jean-foutres incompétents et de gens possiblement dangereux dans des proportions que je ne connais pas (d'autant que certains cumulent : aucune loi n'interdit à un incompétent d'être en même temps dangereux), je ne souhaite à personne qu'il arrive un jour au pouvoir.
Il faut donc partir en guerre contre le Front National, c'est entendu, toutes les belles âmes nobles sont d'accord. La grandiloquence est de saison. Ce ne sont, dans tous les médias, qu'éditoriaux lyriques dressés comme des étendards et chroniques politiques analysant gravement le phénomène (Gérard Courtois, dernièrement, dans Le Monde). Jusqu'à des chanteurs (Biolay, Noah, ...) qui n'hésitent pas à engager leur popularité dans la lutte. Je n'hésite pas à applaudir. Quel cran ! Quel courage ! Si possible sous l'œil des caméras, parce qu'il ne faut rien perdre.
Je ne doute pas a priori de la sincérité de ce chœur quasi-unanime autour d'une cause présentée comme sacrée. Laissons-leur le bénéfice de la bonne foi. Mais je crois que ce chœur des pleureuses ressemble d'assez près à un chœur de chèvres, et qu'il ne tombe que des petites boules noires et sphériques de leur bouche de derrière.
Tous ces gens bien intentionnés, en dressant un beau pilori pour y clouer ce parti d'extrême droite (est-ce bien sérieux ? Les gens ont-ils oublié ce que c'est, un vrai facho ?), évitent soigneusement de regarder en face le cœur du problème, comme s'ils voulaient vider à la petite cuillère la marée montante - dans on ne sait quel récipient virtuel.
Certains parlent de « cordon sanitaire », d'autres de « front républicain ». Ah les braves gens ! Ah oui, combattons le Front National. Par malheur, ils commettent l'erreur de confondre les moulins à vent avec des géants. Ils font comme les Dupondt dans Tintin au pays de l'or noir, ils prennent un mirage pour une réalité. Plus grave : plus ils crient au loup, plus ils lui donnent de la consistance, au mirage. Et plus celui-ci prend le chemin de devenir une réalité, sur laquelle les Dupondt s'écraseront le nez.
Plus nos hommes politiques sont minables, plus Marine Le Pen devient quelqu'un. Car tous ces braves gens se trompent de cible, et leurs hurlements agissent comme un rideau de fumée : ils dissimulent la vérité sans modifier les choses en quoi que ce soit. Tous ces braves gens croient-ils sincèrement qu'un phénomène comme l'émergence du FN est dépourvu de causes ? En s'en prenant au FN, on s'attaque (on fait semblant ?) à l'effet, en prenant bien soin de laisser les causes parfaitement intactes et à l'abri de la vindicte populaire qui, pas dupe, ne trouve dès lors que cette issue pour s'exprimer.
Ces causes, moi qui ne suis pas politologue (il n'y a pas de sot métier, mais il y a des professions vraiment débiles !), j'en vois quelques-unes, mais la principale, je crois qu'elle crève les yeux. Au risque de me répéter, je ne la crois pas située ailleurs que dans l'infinie médiocrité, la bassesse intrinsèque des hommes politiques qui nous gouvernent ou qui prétendent le faire bientôt. Si le succès du FN comporte un enseignement, je le formulerai ainsi :
AU ROYAUME DES LILLIPUTIENS, LES NAINS SONT ROIS.
Je laisse deviner qui compose la troupe des Lilliputiens et qui est le nain (en l'occurrence, la F Naine). La caractéristique principale de toute cette population de soi-disant responsables est une impuissance générale à modeler le réel pour le bien de tous. Or le façonnage de la réalité humaine, collective, cela porte un nom : cela s'appelle la POLITIQUE. La France, pour ce qui est des idées politiques, est confrontée à un vide sidéral. C'est d'ailleurs une des raisons qui font le succès du FN : c'est juste que le contraste est saisissant, et que, du coup, il a l'air d'en avoir, des idées (mais s'il y avait une « pensée Front National », ça se saurait).
Les hommes politiques qui président aux destinées des deux grands « partis de gouvernement » ont soigneusement cadenassé un système dont ils ne sont que la partie émergée, et veillent comme des Cerbère à ce que nul talent véritable, cultivé dans un autre pot que celui dont ils sortent, n'acquière assez d'ampleur pour devenir un rival potentiel. Ce sont des arbres rabougris, poussés sur des terres pauvres en substances nutritives, qui craignent qu'un jour la vaste ramure d'un majestueux chêne pédonculé se dresse au-dessus d'eux pour leur faire de l'ombre.
Ces hommes ont mis la classe politique en coupe réglée. Des gens comme Dupont-Aignan ou Larrouturou, qui proposent des solutions originales (qui valent ce qu'elles valent, je n'en sais rien), n'ont aucune chance, sur ce terrain méticuleusement quadrillé, d'arriver à des responsabilités tant soit peu notables. Aucune chance de « jouer leur partition », faute d'avoir fait allégeance à qui de droit.
Hollande, Sarkozy et consort, en achetant les allégeances avec les talents, siphonnent l'eau du vivier politique français, et assèchent avec acharnement toute source qui risquerait de lui redonner vie. Avec le règne sans partage du PS et de l'UMP sur la vie politique française, l'émergence du Front National est la preuve qu'il n'y a plus de vie politique en France.
Et le FN peut impunément s'amuser à récupérer quelques slogans qui font la base de bon sens d'une démocratie bien conduite, que l' « UMPS », réfugié lâchement au fond de ses cuisines à touiller ses petites tambouilles, leur a abandonnés.
Dans ces conditions, il faut être singulièrement gonflé pour ériger, comme Manuel Valls l'a fait dernièrement, le Front National en menace pour la France. Si des hommes politiques dignes de ce nom existaient dans notre pays, le Front National resterait la petite crotte nauséabonde qu'il était à son origine.
Et je me rendrais au bureau de vote avec - enfin - la certitude de servir à quelque chose (n'exagérons rien, un quarante et quelques millionième de voix), comme les 58 autres % qui ont boycotté les dernières élections, qu'ils aient agi par paresse, indifférence ou conviction.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : Le lecteur de ce billet aura remarqué, et son goût peut-être été heurté par le caractère abondant et désordonné que j'y fais de la métaphore. Je le prie d'excuser ce moment de faiblesse.
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jeudi, 29 mai 2014
ENFONCER LE CLOU
POURQUOI DIABLE QUELQU'UN (que je ne nommerai pas) M'A-T-IL OFFERT CETTE PLAQUE EMAILLEE ?
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Tiens, je ne suis pas tout seul à penser que la victoire de Marine Le Pen, si c'est un « triomphe », comme l'écrivait en une le journal Le Monde (voir ici même il y a deux jours), ça a tout du triomphe minable, qui ressemble, si on regarde avec les bonnes lunettes, à un gros pet de lapin.
En ce moment même (29 mai, 8h moins le quart), j'entends Régis Debray, sur France Culture, analyser le succès du Front National aux élections européennes. Selon lui, la cause est à chercher dans l'infinie médiocrité de nos classes dirigeantes.
On trouve par ailleurs en une du Canard enchaîné (28 mai) le même genre d'analyse. Voici :
Je ne connais pas monsieur Jean-Claude Martinez (et je ne tiens pas à faire connaissance), mais tout le monde appréciera ce qu'il dit de Marine Le Pen. Eh oui, pas des fauves, mais des chihuahuas. Je trouve que ça relativise.
Le tragique de l'affaire, c'est que la France semble paralysée, qu'elle est devenue totalement incapable de produire et de sélectionner de vraies élites. Le tragique de l'affaire, c'est qu'on pourrait se demander si la France elle-même n'est pas devenue un gros pet de lapin.
La production et la sélection des élites ont été confisquées par une usine qui fabrique un seul type d'hommes, copies conformes les uns des autres, très compétents pour constituer des dossiers, mais dénués de convictions politiques, donc incapables de décider correctement. Nous sommes gouvernés par des agents de bureau, qui ne sont là que parce qu'ils ont été premiers de la classe.
Or, comme on sait, la biodiversité est une condition de la survie des espèces. Le clonage politique est une impasse biologique. La reproduction humaine, quand elle est à ce point endogamique sur des générations, condamne la famille à dégénérer.
Tant que les « élites » françaises se prendront pour des élites, alors que la façon dont elles fonctionnent (cooptation clanique, allégeance, mise à l'épreuve) les apparente furieusement à une mafia, je nous vois très mal partis. Tous ces gens entraînent le pays à la déchéance.
Seule la colère ....
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mercredi, 28 mai 2014
SAINT VIALATTE, PRIEZ POUR NOUS
Je reproduis ci-dessous un paragraphe d’une chronique d’Alexandre Vialatte que le journal La Montagne a publiée le 1er décembre 1964 : « Aussi le livre de Conchon a-t-il été mal accueilli par toute une partie de la critique. Parce qu’il appelle certaines choses par leur nom. C’est un crime qui ne se pardonne pas. Car, si nous en sommes là (avant d’être plus loin), c’est pour avoir accepté patiemment, et souvent avec enthousiasme, avec lâcheté ou avec perfidie, d’appeler les choses par le nom qu’elles n’ont pas, que dis-je, de leur donner le nom des choses contraires ». Ce grand monsieur avait sans doute lu 1984. Quelqu'un d'influent pourrait-il faire passer ce message à François Hollande, Nicolas Sarkozy et consort ?
L’article évoque le sujet du livre de Georges Conchon, qui a reçu le prix Goncourt en 1964, L’Etat sauvage. : « Des enfants de huit ans qui font boire de l’essence à de paisibles pharmaciens parce qu’ils sont blancs, et les ouvrent ensuite avec un couteau à conserves pour mettre le feu à l’intérieur. Des noirs découpés très lentement au moyen de tessons de bouteille par des congénères irrités qu’ils ne soient pas analphabètes ». Rien de nouveau, donc, sous le soleil des tropiques. Le Centrafrique, le Sud-Soudan, le Nigéria d'aujourd'hui valent bien le Katanga d'avant-hier.
Certains esprits irréfléchis aussi bien que légers classent Alexandre Vialatte parmi les humoristes.
Mais Alexandre Vialatte est beaucoup mieux que ça : il est aussi humoriste.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 27 mai 2014
GROSSE COLERE EUROPEENNE
On marche sur la tête. On le savait déjà, mais les élections européennes (je parle de la France) nous font franchir une ligne rouge. C'est facile à trouver, vous ne pouvez pas vous tromper : c'est juste avant d’entrer dans la camisole de force. La douche infirmière et les électrochocs médicaux n’y feront rien. Déjà et d’une, pourquoi faire voter par régions regroupées (sept grandes régions) ? Pourquoi pas un seul scrutin national, pour mettre un peu de simplicité dans l’embrouillamini inextricable qu’est l’Europe à vingt-huit ?
Réponse : j’imagine que s’il y avait seulement des listes nationales en France, listes avec soixante-quatorze noms, ça foutrait la merde dans les deux « partis de gouvernement », qui ne sauraient plus que faire de leurs barons. Ce serait une telle bousculade, une telle empoignade, une telle guerre intestine, bref, un tel caca au PS et à l'UMP pour savoir qui passerait devant qui, qu’ils se sont mis d'accord pour préférer, pour réduire les risques de répandre leur précieux sang, ouvrir sept têtes de liste pour placer chacun sept barons avides d'honneurs. Même si l’on apprend plus tard que ceux-ci n’ont jamais mis les pieds à Bruxelles et à Strasbourg, comme c’est probable, au moins, ça diminue les tensions internes. Ouf !
Ensuite et de deux, j’ai eu toutes les peines du monde à trouver dans les journaux du lundi autre chose que les pourcentages nationaux, régionaux ou départementaux fournis par le Ministère de l’Intérieur. Pour avoir les chiffres, il faut vraiment chercher (inscrits, votants, exprimés, enfin tout, quoi).
Or si tout le monde s’accorde sur l’importance de l’abstention (je m’enorgueillis de n’avoir pas voté, moi, même que c'est sûrement à cause de mon pauvre quarante millionième de voix que le FN est arrivé en tête), je m’étonne que tout le monde, dans une belle unanimité, enfourche ces canassons (« qu'a na sont pas frais », dit Boby Lapointe dans Saucisson de cheval n° 2), sans se donner le mal de refaire les calculs.
Car ces pourcentages sont calculés sur le nombre des suffrages exprimés. Dit autrement : comment jouer à se faire peur et à foutre la trouille aux braves gens ? Rendez-vous compte, un quart des Français prêts à lever le bras droit bien raide en l’honneur de je ne sais quel Führer ! Quinze millions de fascistes ! Au secours ! Et Copé le comique, Copé le désespéré qui y va de son analyse : selon lui, c'est l'expression d'une « immense colère » contre François Hollande ! Ah c'est sûr, il a tout compris, Copé. Ou alors il fait semblant de faire le bourrin.
LIBÉ ADORE DONNER DANS LE DRAMATIQUE.
C'EST QUE LIBÉ CHÉRIT QUELQUES ÉPOUVANTAILS.
C’est une imposture manifeste (« Une posture magnifique ! », répliquait Ubu à Achras, c’est dans Ubu cocu ou l’Archéoptéryx). Aucun des Valls-Cambadélis-Copé-Fillon n’ayant bien sûr l’intention de se poser des questions sur les vraies causes du phénomène, ils se sont tous mis d'accord pour pousser les hauts cris. Et pour faire semblant de chier dans leur froc.
VOUS FAITES ERREUR, M. LEMONDE : LE PAYSAGE POLITIQUE FRANÇAIS EST DÉVASTÉ DEPUIS LONGTEMPS.
CHANGEZ DE LUNETTES.
Alors que le Front National devrait à tous faire moins peur que l’abstention. Mais il est révélateur de constater que, manifestement, toutes les bouches autorisées considèrent l’abstention comme une non-expression. Les abstentionnistes n’existent pas, ainsi en ont décidé les bouches autorisées. Et si l'on se contente de déplorer l'abstention galopante, c'est parce qu'on a une confiance aveugle dans la démocratie représentative : seuls ceux qui font l'effort de mettre leur bulletin méritent d'exister politiquement. Autrement dit la démocratie par délégation. Dans ce système, on me demande juste de renoncer à ma liberté pour la confier à quelqu'un dont j'ignore toutes les qualités, tous les défauts et quel usage il en fera, de ma liberté !
L'abstention, seuls quelques journalistes étourdis en parlent comme du « parti majoritaire », mais surtout sans en tirer les conclusions. Si, à la rigueur, on entend parler de perte de confiance, mais ça ne va pas plus loin. Je vais exiger que l'abstention soit décomptée parmi les suffrages exprimés, tiens. Voilà une idée qu'elle bonne !
Alors prenons le nombre des « inscrits », pas celui des « exprimés ». Cela donne quoi ? Au plan national, très difficile de savoir. Je suis allé voir les chiffres sur le site du ministère : au moment où j’écris, pas de résultats nationaux ! Voyons donc la grande région « Sud-Est ». Inscrits : 7.981.771. Exprimés : 3.318.163 (bulletins blancs désormais compris, environ 2 %). Ce qui fait à peu près 58 % d'abstention. 60 % avec les blancs. Mais non, ce n'est pas le moment de se poser des questions, on vous dit !
La conclusion logique ? Les hommes politiques n'ont pas besoin de l'esprit civique. Ils ont seulement besoin de quelques gogos qui se disent qu'il « faut aller voter ». A quel taux de gogos la machine électorale s'arrêtera-t-elle de fonctionner ? 15 % de votants ? 10 % ? Qui dit mieux ?
Et puis je refais les calculs : si l’on passe des exprimés aux inscrits, Le Pen tombe de 28,18 % à 11,71 %. Ça relativise, non ? Et on comprend pourquoi Valls en reste aux exprimés : le Parti « socialiste » s’effondre de 11,87 % à 4,93 %. Ah ça, je dois dire que ça fait du bien ! Il faut le savoir, dans le grand Sud-Est, le PS attire moins de 5 % des Français en âge de voter. Il faudrait claironner le résultat de ce sondage grandeur nature. Je précise que j'ai pris les chiffres provisoires sur le site du ministère.
L’arnaque est donc à plusieurs étages. Passons sur l’absurde complexité qui empile, sur le site ministériel, au sujet de l'Europe, le département, la région, la « grande région » et passe sous silence la dimension nationale, pour nous intéresser à l’arnaque médiatique. Tout le monde se rend bien compte que les deux grandes structures « politiques » (?) du PS et de l’UMP sont absolument cramées à cœur et que, en dehors du Front National, la France est donc un désert politique. Rappelons quand même que le succès actuel du FN a été patiemment préparé, mitonné, élaboré dans les cuisines du PS et de l'UMP.
Le FN, franchement, je n’aimerais pas le voir aux manettes. Entre les jean-foutres et les dangereux, on voit bien qui prendrait l’ascendant. C’est à cela qu’on mesure l’état totalement misérable dans lequel est le personnel politique français. Toute la classe politique est paralysée, passant l’essentiel de son énergie, de son temps et de notre argent à « communiquer », à s’observer, à calculer, à élaborer des tactiques, tout en s’efforçant de neutraliser l’adversaire dès que celui-ci prend l'initiative ahurissante de lever un sourcil. Pendant ce temps, les députés allemands élus au Parlement européen travaillent.
Et quand le Président commence à manquer d'air ou de daphnies au fond de son bocal, il convoque les caméras et prend son chapeau de prestidigitateur pour en sortir le lapin de la suppression des départements, histoire de donner l’impression qu’il se passe quelque chose. C'est sûr, Hollande ne manque pas d'air. Etonnez-vous que le FN donne aux gens l’impression qu’il existe. Les hommes politiques français, en réalité et en profondeur, sont désespérés, pétrifiés d’impuissance. Il ne savent plus quoi inventer pour exister dans les médias.
Tout cela est pitoyable, lamentable, affligeant, consternant, navrant, minable, désastreux, funeste, .... La Classe morte est une inoubliable pièce de théâtre de Tadeusz Kantor. Quel grand dramaturge nous écrira La Classe politique morte ? La France n'a pas de problème plus grave et urgent à résoudre. La classe politique française est morte, droite comme gauche. Et on a égaré le luth constellé (« Ma seule étoile est morte et mon luth constellé Porte le soleil noir de la mélancolie »).
Et je mets dans le même sac tous les journalistes politiques qui font semblant de prendre des mots pour des actions et des ectoplasmes pour des hommes politiques. Qui alimentent en carburant la machine à ne rien faire. Qui braquent la niaiserie de leur loupe sur les buts de l'un, les intentions de l'autre (« Serez-vous candidat ... ? »), les ambitions du troisième, les hypothèses du quatrième, les « propositions » du cinquième (car il faut être positif et ne pas se contenter de récriminer, donc on se présente comme une « force de proposition »), .... etc.
Les journalistes sont armés de microscopes : c'est excellent pour gonfler les petitesses des clowns avides de pouvoir. Leur pouvoir de grossissement finirait presque par nous faire prendre une poussière pour une planète. Et les hommes politiques sont trop heureux de se faire ainsi gonfler le jabot.
Quand absolument tout est à réformer en même temps, on ne réforme rien. On se gargarise de mots. Paralysés, on est. Et puis un jour, ça pète. Je ne souhaite pas. Hollande-Valls-Copé-Sarkozy aura-t-il le courage de se faire greffer les gènes de la vraie intelligence et du vrai courage politiques ? OGM acceptés. J'aimerais bien. Mais j'en doute.
Je ne sais quel homme politique allemand déclarait, il y a quelques jours, parlant de l’Europe : « Es macht mich kotzen ! ». Eh bien moi aussi, tout ça me fait vomir.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 26 mai 2014
KUNDERA, VIEILLARD JUVENILE
LA FÊTE DE L’INSIGNIFIANCE
J’ai fait une exception à ma règle (voir hier) pour Milan Kundera, dont Gallimard vient de publier La Fête de l’insignifiance. Même que j’ai entendu la libraire de « Vivement dimanche » (rue du Chariot d’or) dire qu’elle l’avait trouvé décevant. Eh bien moi, sans crier au chef d’œuvre, je trouve ce bouquin rigolo. Et rigolo parce que désinvolte et acrobatique. Le livre apparemment léger d’un romancier qui n’a plus rien à prouver, puisqu’il a vu son œuvre (enfin presque toute) publiée dans la consacrante collection de la Pléiade, si ce n’est pas une preuve …
Un monsieur de quatre-vingt-cinq ans qui trouve le moyen de s’amuser et d’en faire profiter les lecteurs. Un livre qui ne tient pas debout, à la fin duquel Staline, déguisé en chasseur, débarque dans le Jardin du Luxembourg pour tirer à coups de fusil sur Kalinine en train, comme d’habitude, de se soulager la vessie contre la statue d’une grande dame de France. Tout ça sous le regard interloqué des personnages bien actuels du roman, Ramon, Alain, Charles et D’Ardelo.
Pour parler franc, il y a fort longtemps que je n’avais pas lu Milan Kundera. Je suis donc bien incapable d’affirmer, comme le claironne la quatrième de couverture, que « Kundera réalise enfin pleinement son vieux rêve esthétique dans ce roman qu’on peut ainsi voir comme un résumé surprenant de toute son œuvre ». Un résumé en cent quarante pages. Il aurait fallu que je révise avant.
Je parlerais volontiers d’un livre foutraque et « déménagé » (à Lyon, on dit « détrancané »), qui se moque de faire cohabiter les morts et les vivants. Je trouve ça éminemment réjouissant. Un coup, c’est Staline terrorisant le petit (et prostatique) Kalinine et tout le soviet suprême (en particulier Krouchtchev), qui n’ont d’autre solution pour crier leur fureur d’être dominés et impuissants que de se réfugier dans les chiottes, où le dictateur, sans qu’ils le sachent, se débrouille pour les entendre.
Le délire sur le personnage de Kalinine vaut son pesant de détour et de déconne, car Staline ira jusqu’à débaptiser Königsberg pour que la ville prenne le nom de Kaliningrad (la fameuse enclave entre Pologne et pays baltes). Or, ironie de l’histoire, c’est la ville où Immanuel Kant (l’inventeur du « Ding an sich », auquel Staline oppose le Schopenhauer de la « volonté » et de la « représentation ») a passé toute sa vie, invariable et réglée comme du papier à musique.
Staline, ce terroriste sanguinaire à la tête d’une URSS terrifiante, eh bien il s’amuse, lançant ses paradoxes et ses questions, auxquelles nul ne se permettrait d’oser répondre. Les pantomimes auxquelles il se livre ont quelque chose de léger, presque printanier, comme un effluve d’enfance retrouvée. C’est d’autant plus insoutenable.
Un autre coup, c’est la mère morte d’Alain qui lui parle comme si elle était là et bien là. Cette mère qui a voulu mourir pour l’empêcher de naître. La scène du suicide qui finit en meurtre gratuit, je la trouve ironique, certes, mais saisissante. Elle saute du pont pour mourir, et un petit con veut la priver de la mort qu’elle a choisie ? Elle se débrouille alors pour le noyer, avant de retourner vers le mari honni, dont la haine a laissé en elle le germe d’un être dont elle ne voulait à aucun prix : Alain.
Ici je ne suis pas d’accord avec l’auteur : il dit quelque part que naître est un acte. C’est idiot : nul être humain n’a jamais demandé à naître, et c’est mentir que de faire croire qu’on l’a voulu. Le moment qui suit la mort a induit et suscité toutes les craintes, toutes les superstitions et, disons-le, toutes les religions. Il est étrange que le moment qui précède notre entrée sur la scène du monde n’ait jamais donné lieu à des développements mythologiques aussi considérables, à part les élucubrations psychanalytiques sur le « désir d’enfant » et « l’enfant fantasmé ». Mais Kundera sait tout cela.
Pour ce qui est des personnages dont les maigres tribulations festonnent le roman de leurs guirlandes falotes et ballottantes au gré d’une soirée mondaine ou d’une cuite entre amis, inutile de s’y attarder. Ce sont quatre hommes dont la vie est plutôt derrière eux, mais reste encombrée de vieux fatras d’histoires qui leur collent à la mémoire.
Le personnage de Quaquelique est plus nouveau et plus intéressant. La vraie figure de l’insignifiance, c’est lui. Personne ne le voit, personne ne le remarque, et pourtant, quand Ramon cherche Julie dans les salons, au motif que, quand elle l’a quitté, juste avant, « les mouvements de son derrière le saluaient et l’invitaient », il ne la trouve plus.
Bon dieu mais c’est bien sûr : elle est partie avec l’insignifiant Quaquelique, comme la suite le confirme. Eh oui, c’est celui qui n’a l’air de rien qui a emporté le morceau. Mais comment fait-il pour damer le pion au dragueur impénitent qui, comme un paon faisant la roue, éblouissait la dame de ses bouquets d'éloquence étincelants ? Moralité, n'essayez pas d'être brillants, messieurs.
Les nombreuses facettes offertes par cet ouvrage apparemment insignifiant voudraient qu’on s’y attarde pour en préciser les éclats. Je m’en garderai. Je citerai juste pour finir un passage (p. 85) où monsieur Milan Kundera montre à tout le monde, sans avoir l’air d’y toucher, comment on fait, et ce que ça veut dire, « savoir écrire ».
« Connaissant les bonnes manières, les messieurs levèrent leurs verres, les réchauffèrent pendant un long moment dans leurs paumes, gardèrent ensuite une gorgée dans la bouche, se montrèrent l’un à l’autre leurs visages qui exprimèrent d’abord une grande concentration, puis une admiration étonnée, et finirent par proclamer à haute voix leur enchantement. Tout cela dura à peine une minute, jusqu’à ce que cette fête du goût soit brutalement interrompue par leur conversation, et Ramon, qui les observait, eut l’impression d’assister à des funérailles où trois fossoyeurs inhumaient le goût sublime du vin en jetant sur son cercueil la terre et la poussière de leur parlote. » Pas besoin de commentaire, je pense.
Faut-il dire que Kundera est un grand pessimiste ? Mais pour quoi faire ? J’ai plus envie de voir dans ce livre le regard désenchanté d’un vieux monsieur. Je ne sais pas pourquoi, je pense au Manoel de Oliveira dernière manière, au dernier Alain Resnais, ces gens que l’âge semble libérer de toute contingence et de toute convenance, et qui offrent, en dîner d’adieu, des œuvres atypiques, qui peuvent donc être déroutantes. J'ai lu quelque part que Adieu au langage, film présenté à Cannes par Jean-Luc Godard (qui a quatre-vingt quatre ans), a quelque chose de testamentaire.
Et s'il fallait à tout prix dénicher une moralité à cette fable, j'irais direct à la page 96 : « Nous avons compris depuis longtemps qu'il n'était plus possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d'arrêter sa malheureuse course en avant. Il n'y avait qu'une seule résistance possible : ne pas le prendre au sérieux ». Quasiment une déclaration de philosophie générale.
Milan Kundera, dans La Fête de l’insignifiance, s’amuse comme un petit fou. J’ai, en repensant à ma lecture, une impression funambulesque, comme un narrateur de corde, comme un danseur sans vertige au-dessus des abysses que l'époque a d'ores et déjà creusés sous nos pieds.
Un petit livre souverain. Je pense que Philippe Muray aurait adoré la belle tenue morale de ce petit livre souverain.
Voilà ce que je dis, moi.
Et voilà que je me rends compte que je n'ai pas parlé des « excusards » ! Vache de mouche ! Il va peut-être falloir que j'y revienne, parce que ça aussi, c'est une trouvaille rigolote (quoiqu'un peu caricaturale).
*******
Remarque sur le résultat des européennes : je me dis que la France, avec un tiers de députés Front National à Bruxelles, n'est pas partie pour voir son influence s'accroître. Je voudrais aussi savoir comment il se fait que les Français de l'étranger (3,6% du corps électoral) élisent 15 députés européens (20%) ? Bizarre autant qu'étrange. Rectif. : Pardon, je retire ce dernier point, j'ai juste répété une connerie de journaliste. Après consultation du site du Ministère, les « Français-hors-de-France », si j'ai bien lu, sont rattachés à la région Île-de-France.
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dimanche, 25 mai 2014
KUNDERA, VIEILLARD JUVENILE
MILAN KUNDERA : LA FÊTE DE L’INSIGNIFIANCE
(vient de paraître)
PREAMBULE
Il m’arrive de lire des romans au moment de leur parution, mais en général j’évite. Pour une raison qui, au moins dans mon esprit, doit paraître évidente : lire ce qui vient à l'instant où ça vient, c’est prendre un risque. Celui d’avoir perdu son temps et son argent. L’impression d’avoir lu des sottises ou des choses inutiles. L’impression de s’être fait avoir, en quelque sorte. Et je suis comme pas mal de gens : je n’aime pas.
C'est pourquoi, du moins en général, j'attends que le temps ait fait son œuvre, qu'il ait sassé l'impressionnante moisson romanesque annuelle et séparé le bon grain de l'ivraie. J'avoue, certes, que c'est aussi risquer de passer à côté de merveilleuses pépites littéraires, mais comme les journées n'ont que vingt-quatre heures, je me fais une raison.
Je dis tout ça parce qu'il m’est arrivé en quelques occasions de n'avoir qu'une envie, un fois le livre refermé : le mettre à la poubelle. J’ai dit ici, en son temps, tout le mal que je pensais de Qu’as-tu fait de tes frères ?, livre stupide de Claude Arnaud, espèce de rapport de secrétaire de conseil d'administration sur une époque à la mode (mai 68 et la suite), stupidement qualifié de « roman » (genre : « Voilà, mesdames et messieurs ce qui s'est passé, les grands hommes que j'ai rencontrés ... »). Accessoirement petit livre de propagande homosexuelle. Je garde aussi en travers de ma mémoire « littéraire » (si l’on peut dire) Passion simple d’une certaine Annie Ernaux.
Je prétends que Passion simple n’est pas un livre, mais une petite crotte déposée sur le trottoir par un animal souffreteux, égrotant, cacochyme et anémié, et d’où monte le délicat fumet d’imposture auquel certains nez contemporains croient être autorisés à reconnaître la fragrance majestueuse de la littérature.
Les nez contemporains sont, hélas, massivement induits en erreur par l’I.B.M. (Indice de Bruit Médiatique). Avec des complices bien placés pour répandre la bonne parole du haut de l’autorité que leur confère l’audimat, mais aussi le simple fait d’être payés pour « parler dans le poste », pour quelque raison nauséeuse que je répugne à connaître (vous savez : « il faut bien vivre, il n'y a pas de sot métier ... », slogans faciles auxquels je réplique : « Il n'y a peut-être pas de sot métier, mais il y a des boulots de merde »). Où est passée la critique littéraire ? On ne voit plus que des tournées de promo, de plateau en plateau, chez des animateurs complaisants, avec des chroniqueurs « littéraires » en valets de ferme.
Et je préviens madame Cantonade, qui qu’elle soit, qu’elle aura beau me recommander le Mémé de Philippe Torreton, qui, si l’on en croit Le Monde, « réveille une nostalgie des campagnes d’antan », je suis bien décidé, dans ma grande générosité, à laisser aux amateurs de soupe tous les exemplaires disponibles du livre. J’en fais ici le serment solennel.
Et ce ne sont pas les larmes des dames (« la soixantaine, même un peu plus ») bouleversées d’émotion en faisant signer le bouquin (et leur billet de train !) par l’acteur à la librairie L’Armitière, qui me convaincront de le rompre. L'article du Monde (18-19 mai) est consternant sur l'état culturel et littéraire de la population, même si je crois que ce phénomène est moins littéraire qu'identitaire et générationnel.
Il est d'ailleurs heureux que l'article figure parmi les rubriques des informations générales. La nostalgie n'est pas mon fort. Ceux qui critiquent l'époque ne sont pas forcément adeptes du « tout fout l'camp, mon bon monsieur » et du « c'était mieux avant ». Je demande simplement aux prosélytes du Progrès s'ils sont si sûrs que ça qu'on va vers le Mieux. Dire « c'était mieux avant », j'ai envie de traduire « arrêtons d'aller vers le pire ».
Je ne lis donc guère de livres au moment de leur publication. Voyez par exemple aujourd’hui même, quelqu’un que j’aime bien m’a vanté les mérites de Living, de l’Argentin Martin Caparros. Je m’y suis mis bravement ce matin, mais après soixante-dix pages, j’ai crié grâce et j’ai rendu le livre : peut-être un bon roman, je ne le saurai jamais, mais pour quelle raison le monsieur est-il aussi bavard ? BAVARD ! J'ai au moins fait la faveur à l'auteur d'avoir tourné soixante-dix pages de son bavardage complaisant. Il a une dette envers moi. Par ici la monnaie : il me doit soixante-dix pages.
Comment peut-on être bavard jusqu’à ce boursouflé-là ? Je manque de patience : la prolixité, la volubilité, le luxe des détails et l’abondance verbale, tout ça m’énerve et m’ennuie très vite. Au motif que la personne qui me cause prétend passer avant ce qu'elle veut me dire. M'assujettir, en quelque sorte. J’aime la sobriété, que je considère comme une forme de modestie et de courtoisie.
Le camelot parle beaucoup parce qu’il veut me vendre sa camelote en me noyant sous son flot mercantile. Je rappelle que c’est le sens premier du nom du héros de Jean Bruce, OSS 117 : Hubert Bonisseur de la Bath. Le connaisseur d’argot sait que « bonir » signifie "bonimenter". Quant à « bath », je le traduis par « esbroufe », malgré le regretté Bertaud du Chazaud. Je n'ai rien d'un Méditerranéen.
Ah, on me dit que Martin Caparros est invité aux Assises Internationales du Roman (AIR) 2014 dans notre bonne ville de Lyon, peut-être invité par le patron de la Villa Gillet, Guy Walter qui, sur une photo publiée dans Le Progrès, se donne l'air bobo d'un Lambert Wilson. Bon, et alors ? Si son histoire avait tenu en deux cents pages, je serais peut-être allé jusqu’au bout, mais plus de cinq cents, alors là non, il ne faut pas exagérer. Ouvrir un livre d’un auteur inconnu est d’abord un acte de confiance et d’espoir.
Mais un démarcheur, pensez !!! Si j’ai le malheur d’ouvrir ma porte sur un de ces spécimens indésirables, celle-ci se referme aussitôt. Je suis équipé en aspirateur et en encyclopédies. Le succès ne dispense aucun écrivain d'avoir du style. La prolixité n'est pas un style. Tant pis pour la marchandise, quelle que soit sa valeur. Je sais : je passe à côté de bien des choses intéressantes.
Tant pis pour moi.
Voilà ce que je dis, moi.
Promis, demain c'est Kundera.
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samedi, 24 mai 2014
LE MONDE DANS LA VITRE
DEUX PHOTOS D'UN DES ANCIENS KIOSQUES DE FLEURISTES DE LA PLACE BELLECOUR (avant destruction)
RAYER LA PHOTO INUTILE
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Reportage intéressant d'Omar Ouamane sur France Culture ce vendredi soir. On est en Libye. C'est où, la Libye ? Alfred Jarry, avant la première représentation d'Ubu roi, déclarait : « Quant à l'action, qui va commencer, elle se passe en Pologne, c'est-à-dire Nulle Part ». S'agissant de la Libye aujourd'hui, on ne saurait mieux dire.
Ce qui s'est passé en Pologne après la fuite d'Ubu n'a sûrement rien à voir avec ce qui se passe en Libye depuis la mort de Khadafi, ce dernier n'ayant absolument aucun trait en commun avec la marionnette du père de la 'Pataphysique ! Nul n'en doute, j'espère !
C'est donc le moment d'entonner l'hymne d'action de grâce à l'adresse de Nabot-Léon Sarkozy, qui partage avec un Anglais la responsabilité de la situation actuelle. Pour quelle extatique raison ? Mais parce que les Libyens lui doivent une fière chandelle. Et pas seulement les Libyens, mais les Tchadiens, les Tunisiens, les Algériens, les Nigériens et, un peu plus loin, les Maliens et les Centrafricains.
Ben oui, Khadafi, en plus d'être un abominable dictateur, accaparait injustement tout ce qui se faisait en matière d'armes. Il confisquait abusivement le monopole de la détention et du commerce des armes dans toute la région. Que c'en était écoeurant, ce monopole d'Etat. Ah l'Europe a bien raison, vous savez, d'avoir obtenu de la France qu'elle détruise les siens (SNCF, EDF, GDF, ...).
Et regardez maintenant : liberté totale en Libye, mon frère ! Dans la joie, la bonne humeur et l'anarchie bienheureuse. Bakounine ne disait-il pas : « L'anarchie, c'est l'ordre de la vie » ? Eh bien qu'est-ce que ça vit, mon frère, en ce moment en Libye ! Et dans toute la région ! Ça vit énormément, que ce soit au Mali, en Centrafrique. Jusqu'à Boko Aram qui bénéficie de cette nouvelle liberté de circulation des moyens létaux.
Bon, évidemment, à propos de moyens létaux, qu'est-ce que ça meurt aussi ! Ah ça, pour mourir, on ne peut pas dire que les Libyens font les choses à moitié. J'ai entendu dire que les Centrafricains font ça très bien aussi. Tiens, et aussi les Maliens. Mais ça, on dira que c'est vachement collatéral.
La voilà, la fière chandelle qu'ils lui doivent, à Nabot-Léon Sarkozy, les Libyens, les Tchadiens, les Tunisiens, etc. Soit dit en passant, si le chaos règne à Tripoli comme dans tout le pays et s'il n'y a plus vraiment d'Etat, c'est à Benghazi que les islamistes ont pris le pouvoir. Et c'est vers Benghazi que Khadafi avait lancé ses colonnes blindées que les Rafale de Sarkozy ont arrêtées. Ironie, vous avez dit ?
Parodiant Louis XV, Sarko pourrait lancer fièrement : « Après moi le Chaos ! ». Hélas il n'est pas mort ! Et le roquet qui s'est vêtu d'une défroque aux dents aussi longues que le loup qu'il n'est pas, qui n'a donc pas dit son dernier mot, semble avoir l'intention de revenir, dans l'espoir sans doute de faire encore mieux.
NB : je prie le lecteur de pardonner l'emprunt que j'ai fait à Jean-Marie Le Pen, qui avait surnommé Nabot-Léon le dissident du FN, Bruno Mégret, qui aurait voulu se faire aussi gros que le bœuf. Si je l'ai fait, c'est que je trouve le jeu de mot aussi congru qu'approprié à la personne que je vise. Je ne le ferai plus. Enfin, je tâcherai.
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Et n'oublions pas, en ce 24 mai 2014,la soirée et la nuit du 24 mai 1968 à Lyon, sur le pont Lafayette, et un certain commissaire Lacroix, qui paya de sa vie la malencontreuse idée de vouloir arrêter un camion jaune, sur l'accélérateur duquel un pavé avait été posé.
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vendredi, 23 mai 2014
LE MONDE DANS LA VITRE
L'ENTREE D'IMMEUBLE VUE DANS LA VITRINE DE L'ANTIQUAIRE
09:04 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
jeudi, 22 mai 2014
LE MONDE DANS LA VITRE
Merci aux 649 qui ont visité ce blog hier.
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mercredi, 21 mai 2014
HENRI GODARD ET CELINE
CELINE LE PESTIFÉRÉ
Henri Godard n’a pas eu de chance dans la vie. Etudiant en Lettres, il aurait pu tomber sur les sonnets de Louise Labé, la poésie de Jean-Baptiste Rousseau ou les œuvres de Jean-Baptiste Gresset. Autrement dit, des sujets pépères, tranquilles, sans risque. Mais non, à vingt ans, la marmite de potion magique dans laquelle il se précipite n’est autre que celle des écrits de Louis-Ferdinand Céline.
Et pas n’importe quel titre. Tout de suite c’est D’un Château l’autre. Toute de suite l'essentiel. Vous savez, le bouquin où le pestiféré raconte Sigmaringen (qu'il orthographie « Siegmaringen » par dérision), Pétain fini. Accessoirement, le bébé Philippe Druillet (il raconte ça dans son récent Délirium) y a été soigné par le docteur Destouches (= Céline), parce que son nazi de père s'y était aussi réfugié.
On est alors en 1957. Godard a vingt ans. Résultat, quand, en 2011, Henri Godard propose le nom de Céline et qu’une main administrative, ne voyant aucun obstacle à la chose, inscrit ce nom parmi les célébrations culturelles nationales prévues (c'est alors le cinquantenaire de sa mort), monsieur Serge Klarsfeld, brandissant l'étendard de la « lutte contre l'antisémitisme », obtient en deux jours de Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, qu’il le raie d’un trait de plume. Rien que le nom de Céline est honni des juifs. Henri Godard n’a pas de chance. Qu'on se le dise : monsieur Serge Klarsfeld est au nombre de ceux qui font la police de la pensée.
Remarquez, ça finira par devenir une habitude chez les amateurs de pestiférés : tout récemment, une vente aux enchères d’objets nazis n’a-t-elle pas été interdite par le conseil des ventes, sur recommandation d’Aurélie Filipetti, ministre de la culture, elle-même interpellée par le vice-président du « Conseil Représentatif des Institutions Juives de France » (Crif), monsieur Jonathan Arfi qui, la vente étant tout à fait légale, se référait à des « valeurs morales ».
Rebelote et censure identique il y a quelques jours, mais cette fois à la demande du responsable d’un « Comité de vigilance contre l’antisémitisme » ! Aux chiottes la légalité ! Vive les « valeurs morales » ! Celles qui sont du bon côté, évidemment ! Ah mais ! Quand on met ces choses bout à bout, ça finit par faire beaucoup. En période d'Inquisition, tout le monde ouvre le parapluie (« barabli », comme on dit en alsacien).
Il ne me viendrait pas à l’idée de me porter acquéreur d’un objet au motif qu’il porte une croix gammée. Il faut être un brin azimuté pour aimer ça. Mais l’idée d'interdire aux amateurs confits dans le culte nostalgique du troisième Reich de satisfaire leur goût bizarre ne peut, à mon avis, germer que dans des cerveaux aussi malades que ceux-ci. Il faut déjà être vigoureusement cintré de la voûte pour avoir l'idée de créer quelque « comité de vigilance » pour protéger les juifs en France aujourd'hui ! Vive la paranoïa au pouvoir ! Pour être une bonne victime, il faut le crier le plus fort possible.
C’est fou quand on pense au nombre de cinglés/victimes qui ont comme principale raison de vivre (dont ils ont fait une raison sociale : « les associations ») de passer leur temps à scruter les mouvements de leurs ennemis (les réacs, les fachos), de pousser les hauts cris dès qu’ils voient le plumet d’un cimier s’agiter au vent et d’appeler les autorités, au nom du Code Pénal et de la Morale, à faire peser la griffe de la Loi (ou plutôt des gens au pouvoir) sur les téméraires qui osent les défier.
Dieudonné est une autre victime récente de cette folie punitive. Je ne cultive aucunement le Dieudonné, ni en pot ni en plein champ, mais ces fulminations haineuses me laissent ahuri et pantois (au fait, quelqu'un a-t-il des nouvelles de la "quenelle" ?). C'est à se demander de quel côté est le Bien, de quel côté le Mal.
Qu’on se le dise, les flics des brigades « ANTI- » (anti-islamophobes, anti-homophobes, anti-antisémites, anti-sexistes, anti-fascistes, etc.) n’ont pas les yeux qui se croisent les bras, ils veillent de toutes leurs antennes et montent au créneau comme un seul homme à la moindre alerte. Et les autorités n’ont rien de plus pressé que de céder à leurs demandes, faites en l’occurrence au nom de la mémoire de l’Holocauste.
Henri Godard était bien gentil, finalement, en ne dénonçant, en 2011, qu’ « une forme de censure ». Je doute quant à moi que cette vigilance chatouilleuse et que cette intolérance exacerbée soient d’une quelconque efficacité contre une montée éventuelle du racisme et de l’antisémitisme. Je ferme la parenthèse.
S’intéresser à un pestiféré comme Céline comme l’a fait Henri Godard, c’est aimer vivre dangereusement. Roland Thévenet (un homme exaspérant et carrément indispensable) en a fait l’expérience, mais lui, c’était à propos de Henri Béraud, autre pestiféré de la Libération, injustement accusé de « collaboration », condamné à mort, gracié in extremis, que je ne place pas – littérairement, s’entend – au niveau de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. Alors que le génie de Céline brille dans la collection Pléiade, le talent indéniable de Béraud croupit dans les oubliettes de l’histoire.
Dire que Henri Godard a consacré sa vie à Céline serait exagéré, mais enfin, il ne dira pas que l’auteur n’a pas occupé une place centrale dans son travail universitaire. J’ai lu, lorsqu’elle a paru, la biographie (ci-contre) qu’il lui a consacrée (Gallimard, 2011) : c’est juste excellent. Je conseille à tous ceux qui sont curieux de savoir à quoi s’en tenir cette lecture roborative, rigoureuse, et même intransigeante avec Céline lui-même.
Et puis je viens de lire A Travers Céline, la littérature (Gallimard, 2014). Le propos est évidemment tout autre. Henri Godard y raconte comment Céline est devenu inséparable de son parcours personnel. C’est là qu’il raconte la stupéfaction qui fut la sienne à la lecture de D’un Château l’autre (en 1957). Une stupéfaction du Tonnerre de Dieu. Je sais, pour l’avoir vécu, que certaines lectures, faites à un moment décisif, peuvent faire bifurquer une trajectoire individuelle. Ici, Godard peut dire que D'un Château l'autre a décidé de l’orientation de son existence.
Godard n’hésite pas à intituler son premier chapitre « Coup de foudre ». Il n’y a aucune raison de douter que c’en fut un véritable. Quand ça vous arrive à vingt ans, ça ne pardonne pas. Mais il raconte aussi comment, dix ans plus tard, il reçut un choc aussi violent en découvrant par le menu la substance de Bagatelles pour un massacre, long pamphlet de 1937 débordant d’une stupéfiante rage antisémite. Il compte le nombre d’occurrences du mot « juif » : « A eux tous, ils ne surgissaient pas moins de trente-sept fois en à peine quatre pages » (p. 75).
J’ai mis le nez dans les Bagatelles … Eh bien honnêtement, je trouve surtout que c’est de la bien mauvaise littérature. Et puis c’est quoi, ces arguments de « ballets-mimes » dont le bouquin est parsemé ? Je sais bien que Lucette Almanzor-Destouches, son épouse, était danseuse, et qu’elle donnait des cours dans la maison de Meudon, mais je ne vois pas bien l’intérêt, sauf le fait que la traduction en mots des ambiances et des mouvements des danseurs prend un aspect ridicule. Je n'y peux rien. Disons-le, Bagatelles ... m'est tombé des mains.
Alors je comprends bien que Henri Godard se soit senti tiraillé : d’un côté neuf chefs d’œuvre de la littérature française ; de l’autre la traînée d’immondices que le grand écrivain a incontestablement laissée derrière lui. Est-ce que celle-ci est une raison d’occulter ceux-là ? Je dis que non. Il faut savoir ce que l’on regarde. Et ce qu'on garde. Et regarder ce qui en vaut la peine. Appelons cela un clivage si vous voulez.
Je pense à Jean Richepin et à ses « Oiseaux de passage », que Georges Brassens a mis en musique : « Ce qui vient d’eux à vous, c’est leur fiente ». Voilà : les pamphlets sont à considérer comme autant de déjections excrétées de l’anus de Céline. Sans aller jusqu’à appeler « fouille-merde » les horrifiés et les scandalisés qui répugnent à Céline dans son ensemble au seul motif de ses pamphlets antisémites, j’ai envie de percevoir dans l'affichage de ce dégoût un prétexte à justifier une médiocrité de béotien. Le béotien est une figure de la bêtise. Et une bonne conscience à bon compte. Et le conformisme qui tient compagnie à la lâcheté.
Si j'écrivais, des lecteurs aussi fatigués, aussi paresseux, je n'en voudrais à aucun prix ! Et ne parlons pas de la mauvaise foi et de l'hypocrisie.
De toute façon, je garde cette idée formidable de Henri Godard, qui dit quelque part que Céline écrit pour mettre celui qui ouvre son bouquin au défi de le lire et, quand il l'a ouvert, d'aller au bout de sa lecture. Pas de meilleure définition de l'œuvre : Céline écrit à rebrousse-poil de son lecteur.
Le tigre de la provocation est tapi dans le moteur profond des ténèbres de l'écriture de Louis-Ferdinand Céline.
Voilà ce que je dis, moi.
Je mentionne pour mémoire La Mort de L.-F. Céline, l'excellent petit livre, beaucoup plus militant, que Dominique de Roux avait consacré à Céline, après avoir été le maître d'œuvre, me semble-t-il, de deux Cahiers de l'Herne qu'il avait élevés à son grand homme.
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