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mardi, 10 février 2015

REISER ET LES FEMINISTES

Ne pas confondre « femme » et « féministe ». D’un côté un être humain sexué normal, de l’autre une doctrinaire pétrie d’une idéologie. D’un côté « cinquante-cinq kilos de chair rose » dans « cinquante-cinq grammes de nylon » (Claude Nougaro). De l’autre, des volumes farcis d'histoire, de théorie et de statistiques montés sur deux jambes. D'un côté, une personne qui tente de vivre sa vie le moins mal possible. De l'autre, une militante qui brandit un étendard pour défendre une cause.

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D’un côté, des individus vivants, concrets et particuliers, de l’autre des êtres génériques, un peu virtuels, qui se vivent et se pensent comme pourcentage d’une masse, et habités par la rage de modifier l'ordre des choses à leur convenance. Et à qui Bourdieu a appris à se considérer comme victimes a priori (cf. La Domination masculine). Conclusion : on ne dira jamais assez les méfaits impunis des sciences humaines en général et de la sociologie en particulier. Sans parler des sociologues.

 

Je sens que je suis de nouveau parti pour me faire bien voir ... Bon, je reconnais que tout ça est un peu binaire. Que ça manque de nuances. Certes. Mais le contraste, quand il est accusé, aide à penser. Et puis ça gagne du temps. Et puis, pour être sincère, ça fait du bien. C'est toute la vertu de la caricature. Il se trouve que Reiser, en matière de caricature, il s'y connaît.

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Pour dire en passant ce qu'il pensait de Mitterrand.

Reiser ne confondait pas. Autant il dessinait les femmes avec un appétit et un amour jamais démentis, autant il regardait les « combats féministes », disons, avec au moins de la circonspection, peut-être pire. Comme le montrent les quelques dessins glanés dans la « Collection Les années Reiser » (éditions Albin Michel), ce bel hommage rendu par le fidèle Delfeil de Ton à son ami trop tôt disparu (en 1983, je crois).

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Il n’y allait pas avec le dos de la cuillère.

 

Voilà ce qu’on a perdu. Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 09 février 2015

AUDINCOURT, MORNE PLAINE !

Du beau travail, vraiment. Audincourt, Audincourt, Audincourt, morne plaine ! La République a eu chaud aux fesses, paraît-il.

 

Depuis qu'il n'y a plus de Clergé, la France n'a plus que deux Ordres : la Noblesse (caste politique, caste économique, caste médiatique) et le Tiers-Etat. La répartition des forces est à peu près la même qu'en 1789 : 1 % / 99 %. La répartition des pouvoirs est à peu près la même qu'au doux temps de l'Afrique du Sud d'avant Nelson Mandela et Frederik de Klerk. 

 

Pour en finir avec l'angoisse du Front National, ce parti aussi pourri et plus incompétent que les autres, le premier article de la recette est économique et lumineux : rétablir la justice dans l'accès aux ressources, autrement dit dans la redistribution des richesses. Regardez où va la courbe de la population qui, pour simplement se nourrir, a recours aux Restos du Cœur, au Secours Populaire, aux Banques Alimentaires, et vous verrez que la France n'est pas sortie de l'auberge. Plus vous aurez de pauvres et de chômeurs en France, plus le Front National croîtra et embellira sur son fumier.

 

Pour en finir avec l'angoisse du Front National, le deuxième article est politique et encore plus simple : reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé, interdiction totale du cumul des mandats, limitation à deux  mandats dans le temps, instauration de la proportionnelle. Quand le personnel politique qui gouverne la France cessera d'être sélectionné, comme dans n'importe quelle profession, pour « faire carrière dans la politique », et ressemblera à la population de la France, quand les bobines de ces gugusses changeront régulièrement, on commencera peut-être à voir le bout d'un de nos tunnels.

 

Pauvreté

+ Chômage

+ Personnel politique incompétent ou impuissant

+ Accaparement des pouvoirs par quelques castes

+ Turpitudes diverses des responsables 

= Front National.

 

Car en lui-même, le Front National, c'est une baudruche. Eliminez les raisons de son succès apparent : la baudruche éclate. Seulement voilà, les autres en face (le "Front Républicain") auraient honte d'avoir l'air de se déjuger. Et ils tiennent trop à l'os qu'ils tiennent entre leurs crocs.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

dimanche, 08 février 2015

REPOS DOMINICAL

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samedi, 07 février 2015

ÇA C’EST UN HOMME

Non, ce titre ne renvoie pas à Manuel Valls. Car lui, l'homme au menton en avant, sa spécialité, c’est de jeter des pavés. Je veux dire « dans la mare ». Prenez le dernier épouvantail qu’il a brandi sous le nez des Français dans l’espoir de faire croire, dans les quartiers défavorisés, qu’il pense à eux. Nuit et jour. « Apartheid », qu’il dit.

 

Manuel Valls n'est qu'un fauteur de guerre : c’est sûrement le mot qu’il fallait prononcer pour développer la haine des habitants de ces quartiers contre l’Etat français et le reste de la population. Et il fait d’une pierre deux coups, avec le message contenu dans cette petite bombe verbale que je décrypte ainsi : « Honte sur vous, Français, de pratiquer chez vous aujourd’hui ce système que vous avez dénoncé violemment avant-hier quand il sévissait en Afrique du Sud ».

 

L’emploi du mot apartheid, en plus de s’apparenter à la fois à l’effet d’une flamme sur un baril de poudre et à une entreprise de culpabilisation de masse des Français, relève tout simplement du mensonge. Je connais un seul pays au monde qui pratique l'apartheid, depuis la libération de Madiba (surnom de Nelson Mandela en Afrique du Sud) par Frederik de Klerk : c’est Israël, qui pratique impunément, au quotidien, la négation du peuple palestinien.

 

En France, parlez d’inégalités criantes, de déni de justice ou autres chefs d’accusation, tant que vous voulez, mais d’apartheid, il n’y a point, monsieur Valls. L’usage que vous avez fait du terme est proprement indigne (de même que le mot « ghetto », que son abus ressassé a vidé de son sens). Et le pire, c’est que vous l’avez utilisé dans une pure opération de com’.

 

Excellente illustration de ce que sont devenus le discours, le personnel et l’action politiques aujourd’hui en France : de la camelote publicitaire. Dont les "éléments de langage" ressemblent furieusement à des coups de klaxon. Concert d'avertisseurs sonores : un résumé de la vie politique en France. 

 

On pourrait à bon droit affubler Manuel Valls (avec ses collègues) du patronyme du célèbre OSS 117 : Bonnisseur de la Bath, un nom qui, traduit de l’argot, donne : « Vous nous la baillez belle, monsieur le premier sinistre ». Cette veulerie n’a rien à envier à celle d’un certain Nicolas S., de ministre mémoire (« Casse-toi pauvre…, Kärcher, les magistrats comme des boîtes de petits pois, etc. »).

 

Gageons qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit de s'inspirer de l’attitude d’un homme qui mérite au superlatif le nom d'homme, et dont on ne parle pas assez. J’aime assez quelques livres de l’écrivain, sans toutefois les placer dans mon panthéon personnel. Mais ce que j’admire le plus, chez ce bonhomme, c’est son parcours, cahoteux et chaotique certes, mais noble dans la trajectoire. On y trouve une ascension de l'Everest, un passé de révolutionnaire, un passé d'ouvrier, une passion pour l'Ancien Testament, des livres, ... Il s’appelle Erri de Luca. C’est un Napolitain.

 

Je ne veux pas résumer sa vie : l’encyclopédie en ligne lui consacre une notice assez fournie. Juste évoquer les dernières péripéties en date de son existence. Quand on parle de Bure (déchets nucléaires), de Notre-Dame-des-Landes (aéroport), de Sivens (barrage), on a une idée du champ dans lequel elles se déroulent. On appelle ça les GPU (Grands Projets Inutiles).

 

Le GPU contre lequel s'est élevé Erri de Luca est à coup sûr le plus gros (prévision de 26 milliards d’euros d’argent public) : c’est le tunnel Lyon-Turin. Il a rejoint les contestataires du Val de Susa (côté italien) pour une raison précise, qui n’est pas la folie de la démesure du projet, qui pourtant se suffirait à elle-même.

 

La raison est scientifique et technique, et concerne la santé publique. Car ce que ne crient pas sur les toits les promoteurs du tunnel, c’est que la roche, côté italien, est composée, entre autres, de pechblende. Il faut savoir que c’est en analysant un fragment de pechblende que les Curie ont mérité le Nobel de chimie en 1903 : c’est de là que vient l’identification de quelques charmants éléments, comme polonium, radium, etc. Passons sur la poussière d’amiante crachée par les percements exploratoires. Pas besoin de longs discours : on a compris. Si l’on veut empoisonner le Val de Susa, et toute sa population avec, creusons !!

 

Le problème, c’est que la compagnie chargée du percement a eu connaissance de propos qu’Erri de Luca a tenus dans les médias : « Je reste persuadé que ce projet est une entreprise inutile et je continue à penser qu’il est juste de la saboter ». Plainte au pénal. Le procès se tient en ce moment à Turin, un tribunal qui ne rigole plus dès qu’il s’agit du tunnel.

 

En attendant son procès, Erri de Luca a pris le temps d’écrire un opuscule (La parole contraire). J’extrais quelques phrases : « Si j’avais employé le verbe "saboter" dans le sens de la dégradation matérielle, après l’avoir dit je serais allé le faire » ; « Si je suis déclaré coupable de mes paroles, je répéterai le même délit en criminel endurci et récidiviste ». Moi j’appelle ça avoir de la tenue.

 

Ça, c'est un homme ! Ça s'appelle se tenir debout ! Ça c'est de la dignité. Sans esbroufe. Des questions, monsieur Valls ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : l'idée de ce billet m'a été fournie par le petit article (Le Canard enchaîné, 4 février) de l'excellent Jean-Luc Porquet, qui n'a plus l'ami Cabu pour l'illustrer. Il n'a pas fini de me manquer, celui-là, nom de dieu.

 

vendredi, 06 février 2015

QU'EST-CE QU'UN GRAND ROMAN ?

Nous étions en train de causer de Soumission, de Michel Houellebecq, et de l'effet déflagrant produit, en général, par les livres du monsieur, et en particulier par le dernier, dans le tout petit nombril du monde des Lettres parisiennes. Bien que j'aie une idée floue de ce qu'un « effet déflagrant » donne dans un « tout petit nombril » (merci d'admettre la licence poétique des images !).

 

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« Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle ou telle  chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus. » Il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus. Voilà, c’est lumineux. Remarquez que c'est contraignant : il faut avoir appris à lire. C’est Alfred Jarry qui écrit ça (dans le Linteau des Minutes ...). Vrai qu'Alfred Jarry était ambitieux et qu'il « n'écrivait pas pour les paresseux » (c'est Noël Arnaud qui dit ça).  Rien à ajouter.

 

Mais il faut croire que non, soit ça crève les yeux tellement c’est simple, soit ça demande un effort tellement c'est simple. Je me demande si ce n’est pas précisément l’effort qui rebute mesdames Angot et Devarrieux. Ajoutons Raphaëlle Leyris (Le Monde, 8 janvier), pour faire bon poids. En tout cas, j'en conclus que ces dames préfèrent le tarabiscoté.

 

Pour elles, cette simplicité de l'évidence qui saute aux yeux à la lecture de Soumission est éminemment suspecte, alors que c'est, tout simplement, le summum actuel de l'art romanesque. Modiano est, dans une tout autre tonalité, du même tonneau, du genre qui coule de source. Essayez donc, pour voir si c'est facile. Je vous jette mon gant : allez-y, faites aussi bien.

 

Je signale libéralement aux bons amateurs, aux lecteurs de Faustroll et autres pataphysiciens à qui la chose avait échappé, que le « scrupule » dont parle Jarry correspond visiblement à la définition 1 du Littré (éditions du Cap, 1968, p. 5786) : « petit poids de vingt-quatre grains (proprement, petite pierre, prise primitivement pour peser) » (noter la rafale d’allitérations en p). Ce scrupule est en fait une unité de poids : 1,272 gramme, le grain pesant 0,053 g. Vous pouvez vérifier : ça vient du latin « scrupulus : petite pierre pointue». Comme quoi, avoir la conscience légère n'est pas seulement une métaphore. Passons.

 

Je reviens à mon idée de machine. Il faut noter que le romancier est dans l’absolue solitude pour fabriquer chacune de ses pièces. Supposons qu’il a une image globale précise de l’ensemble. Eh bien je vais vous dire, s’il veut que « ça marche », il est obligé de se mettre tout entier dans la fabrication de chacune des pièces. Chacune contient l'écrivain tout entier.

 

S’il veut que ça marche, il ne peut pas se permettre de prendre parti pour l’un de ses personnages contre un autre. Il ne peut se permettre d'en juger aucun. Il n'a pas le droit d'en penser quoi que ce soit. D'abord parce que tout le monde s'en fout. Ensuite parce que l'histoire s'effondrerait avant de commencer. 

 

Ou alors s'il juge, il faut qu'il endosse successivement la tenue du  président du tribunal, puis celle des assesseurs, puis celle de chacun des jurés, puis celle du procureur, puis celle de l'avocat, puis celle des parties civiles, puis celle des témoins, puis celle des experts, puis celle du greffier, puis celle des policiers de garde, puis celle de chacun des individus composant le public qui assiste au procès, puis celle des bancs, de la barre, des colonnes et des lambris, puis celle des plantes vertes en pot, puis celle de la serpillière qu'on passera après la fermeture, puis celle de la pendule, bref : il faut qu'il fasse tout à lui tout seul. Mieux : il faut qu'il soit tout, du président jusqu'à la serpillière. Tout simplement parce qu'il doit laisser chacun de ses personnages aller jusque tout au bout de sa logique. C’est précisément ce que sait faire Michel Houellebecq. Admirablement.

 

Oui : il doit impérativement être chacune des pièces, à 100 %, à tour de rôle, pour qu’elle joue son rôle vivant le moment venu. Le romancier joue successivement les rôles de toutes les marionnettes dont il manipule les gestes, les membres, les silhouettes, les âmes. Le grand roman est la machine qui parvient à donner chair à ces êtres de bois, comme la fée à la fin du Pinocchio de Walt Disney, pour le bonheur de Gepetto.

 

Le romancier se situe au sommet de l’échelle du métier d’acteur de théâtre : son art de la métamorphose vestimentaire, faciale, vocale et gestuelle n’a pas de rival dans toute la littérature dramatique. Le génie romanesque habite celui qui a su suivre modestement, pas à pas, la logique interne de la machine qu’il a conçue et mise au point, au point d'en faire un être vivant.

 

Quand on a cette maîtrise, ça donne Michel Houellebecq. Et pas besoin de fée : ce qu'il écrit est à prendre pour ce que c'est : un diagnostic froid, mesuré, raisonnable, impeccablement formulé, posé sur le spectacle du monde qui est le nôtre.

 

Imaginez : s’il prend parti pour telle pièce plutôt que pour telle autre, le roman est foutu, puisque c'est adopter le même langage binaire et manichéen qu'un certain George W. Bush en 2003 : « Ceux qui ne sont pas avec nous, dans cette croisade pour le Bien, sont contre nous, du côté de l’Axe du Mal ». En matière de littérature romanesque, ça donne du Christine Angot : ça ne fait pas de vrais livres, mais alors qu'est-ce que ça écrit !!!!!!

 

Allah nous en préserve ! Nous sommes modestes. Nous, ce qu'on aime, c'est seulement la littérature.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

jeudi, 05 février 2015

QU'EST-CE QU'UN GRAND ROMAN ?

Je reviens sur l'animal Houellebecq et le merdier que son Soumission a semé dans le jeu de quilles auquel le petit monde parisien (éditeurs, écrivains, critiques, bref les je-te-tiens-tu-me-tiens) consacre ses loisirs aseptisés.

 

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Que pense Michel Houellebecq de ses personnages ? Et de la situation décrite dans Soumission, surtout à la fin (ah, la dernière phrase : « Je n’aurais rien à regretter » perdue toute seule tout en haut de la dernière page ! Vous vous rappelez Balavoine : « J'veux mourir malheureux Pour ne rien regretter » ?) ?

 

Mais faut-il seulement, comme l’écrit Christine Angot, que le romancier « pense » quelque chose de ses personnages ? Moi, sur l'îlot perdu de mon minuscule compte en banque de données mentales, je me permets de trouver cette idée très bête. Soyons péremptoire : cette question ne peut germer que dans la cervelle d'un abruti.

 

Autant demander à Ingres ce qu'il pense de L'Odalisque, à Michel-Ange ce qu'il pense de Moïse ou à Mozart ce qu'il pense de Figaro. Pour une raison très simple : un roman est un système autonome. Une machine si vous voulez. Enfantin, vraiment : l'œuvre se résume-t-elle au moi de celui qui l'a créée ? Poser la question, c'est y répondre. Quand Modiano termine un roman, n'a-t-il pas l'impression que celui-ci lui est déjà devenu hostile (voir récemment) ? Bonne définition de l'altérité radicale portée par l'œuvre une fois qu'elle est achevée.

 

Méfiez-vous des gens qui fusionnent l'œuvre et le moi du créateur : pour eux, "même" et "autre", c'est kif-kif. Le même c'est l'autre et lycée de Versailles. Inquiétant, non, ce moi tout-puissant ? Cette négation de l'autre ? Allez dire ça à Denis Vasse (Un parmi d'autres, Seuil, 1988). Même l'enfance de l'art distingue l'artiste et le résultat de son travail. Créer des œuvres, c'est passer son temps à couper des cordons ombilicaux. C'est sans doute ce que certains ne supportent pas.

 

Refuser de couper le cordon (par exemple poser la question formulée au début), c'est être très bête ou très menteur. C'est en tout cas n'avoir rien compris à l'art. L'œuvre achevée, je veux dire la belle, la grande, ne garde aucune trace des états d'âme de son auteur. Sauf à la rigueur aux yeux du spécialiste. Pour une raison très simple : l'auteur ne pense qu'à l'effet qu'il faut produire pour que l'œuvre puisse être dite "accomplie". Qu'il s'y projette, ce n'est supportable que quand ça reste accessoire, voire invisible.

 

Regardez même les Essais de Montaigne, qui n'était pas romancier, lui, et qui précisément prétendait se peindre au naturel : l'auteur y est partout et nulle part. Essayez donc de le saisir, tiens, si vous ne me croyez pas, et commencez à mesurer les rayons de bibliothèques occupés par la littérature que des légions de commentateurs ont pondue pour tenter de dessiner les contours de la silhouette de Michel de Montaigne, l'un des deux pères fondateurs littéraires de la Renaissance. 

 

Le romancier, s’il veut que sa machine fonctionne, est face à une tâche délicate : concevoir et dessiner chacune des pièces avec la plus grande précision, fraiser, aléser, chantourner, polir, ajuster. Ensuite, il doit les assembler, les agencer, les emboîter les unes dans les autres, selon la logique implacable et forcément mécanique de la machine que son esprit a entrevue. Résultat : le roman est bon si la machine fonctionne. Or Soumission fonctionne à la perfection (avis personnel).  

 

Comment est-ce possible ? La réponse que me dicte l'évidence est : dans le maelstrom des romans "de facture classique" qui paraissent à jet continu, Houellebecq dépasse tout le monde. Et je me dis que c'est un peu normal que chacune de ses parutions lance un débat : ces échauffourées autour de ses livres (et même de sa personne) sont une forme d'hommage des vassaux au suzerain. La supériorité est trop évidente. Le concert de coassements qui s'ensuit en est l'aveu. Houellebecq est loin au-dessus, loin devant. Et tout le monde le sait. Et ça en fait chier un bon nombre.

 

« Pensez-vous quelque chose de vos personnages ? » est donc une question dénuée de sens. Angot est seulement à côté de la plaque. On s'en doutait un peu. Remarquez qu’elle n’est pas la seule : Claire Devarrieux, dans son éditorial de Libération du 3 janvier, s’inquiète, à propos de l’auteur, qu’on ne « puisse déterminer quel est le fond de sa pensée ». Mais qu’est-ce qui leur prend ? Je vais vous dire : on s'en fiche, du fond de la pensée de Michel Houellebecq. Si toutefois ce qu'on attend de lui s'appelle "Littérature".

 

Autant demander à Balzac ce qu'il pense du Père Goriot. A-t-on seulement idée de proférer pareille niaiserie ? Dans son chef d'œuvre, Balzac est Goriot aussi bien que Delphine de Nucingen et Anastasie de Restaud, ses filles, tout comme il est la mère Vauquer avec toute sa pension, il est Vautrin, il est Rastignac, et tutti quanti. Seul moyen, en vérité, d'animer, de donner vie et souffle à tous ses personnages. C'est ainsi, je crois, qu'il faut comprendre la célèbre phrase : « Madame Bovary, c'est moi ».

 

On se fiche du fond de la pensée de Flaubert. On se fiche du fond de la pensée de Balzac.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 04 février 2015

LITTLE TULIP

Little tulip, de François Boucq et Jérôme Charyn, n'est pas un album ordinaire de bandes dessinées : c'est aussi (et pour moi : avant tout) une magnifique célébration de l'art du dessin. C'est exprès que je ne m'attarde pas sur les horreurs rencontrées, que ce soit au Goulag autrefois ou, pour quelques malheureuses victimes, dans les rues nocturnes de New York, plus près d'aujourd'hui. J'ajoute que les auteurs n'en font d'ailleurs pas un étalage complaisant au fil du récit. On est dans la sobriété, malgré la magnificence des images.

 

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Le don extraordinaire de Pavel/Paul pour le dessin le fait connaître des gros durs qui règnent en maîtres, et qui ont, accessoirement, la manie de se couvrir le corps des tatouages les plus recherchés, les plus sophistiqués, les plus artistiques. C’est ce don qui l’amène auprès de Kiril-la-baleine, le plus puissant pakhan de Magadan, dont il a eu le nom par Mashenka, une gardienne-chef à la plastique opulente jusqu'à la bestialité, à qui un poignard de glace mettra fin, sans laisser de traces. 

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Contrairement au « Comte », dont les hommes sont « originaires de Kiev : des Ukrainiens brutaux », Kiril a une certaine « éthique » (on a le droit de relativiser). Si l’épaisseur brute de l’humanité primitive pouvait avoir un visage, ce serait celui du « Comte », bête sauvage dotée de la parole et d’un pouvoir : il n’en faut pas plus pour faire régner la Terreur à sa guise. Kiril est moins massif, moins "charismatique" si l'on veut, mais il est bien plus intelligent, et même cultivé : « Ni capricieux, ni cruel, il ne s'attaquait jamais aux juifs, mais il transformait les plus malins en criminels». Le Mal du côté du Bien, si cela veut dire quelque chose.

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Kiril demande à Andreï, son maître tatoueur attitré, d’enseigner à ce garçon de huit ans tous les secrets de son art. Andreï n’aime pas ça, mais enfin, il faut obéir (sinon Kiril l'étranglera de ses propres mains, et il se laissera faire). Grâce à lui, Pavel/Paul devient un « petit Mozart des aiguilles ». On n’en saura pas plus sur l’art de graver des images dans la peau des vivants (Wim Delvoye fait ça sur des porcs, que personne n’a interviewés jusqu’à ce jour pour savoir s'ils en sont contents ou fiers). 

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L’enseignement d’Andreï ? En dire le moins possible, montrer le plus possible. Andreï est un artiste, il a une très haute idée de son art. A l’élève de regarder et de s’imprégner. Il y a de la mystique dans cette conception de l’enseignement du dessin, quand il est réduit à regarder comment fait le maître. 

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Je passe sur les péripéties, qui vous plongent tout vivant dans le bain d’acide nitrique que constitue la vie quotidienne au camp de Magadan, à la Kolyma : c’est épouvantable. Le pire, c’est qu’il n’y a pas de raisons de douter : depuis Soljenitsyne, on sait à peu près tout. Mais ça fait quand même un choc.

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Mais le choc le plus profond vient d’un truc que je n’ai jamais trouvé nulle part dans toute la BD que je connais : une sorte de métaphysique du dessin. Des savants appelleront ça une « mise en abyme » : un dessinateur qui remonte à la source de ce qui fait le dessin. Fondée, si j’ai bien compris le message de Charyn et Boucq, sur un principe somme toute très simple : dessiner quelque chose modifie l’ordre des choses. C'est une opération de magie : « une opération magique qui transforme celui qui le porte », dit Andreï, par ailleurs qualifié de « chaman du dessin». 

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Contrairement à ce que répondent au tout début le père et le fils à la mère qui s'alarme de leurs caricatures (« Mais maman (...) c'est juste un jeu. - Le petit a raison, ce ne sont que des dessins »), dessiner quelque chose du monde modifie le monde, agit sur les choses. Impressionnante responsabilité de celui qui veut dessiner. Surtout avec tous les fronts bas, les fanatiques, les assassins qui rôdent un peu partout prêts à prendre vos images au pied de la lettre. Avis à la population. C'est un point de vue. On peut être d'un avis différent.

 

Dégâts du fétichisme de l’image dans l’esprit des hommes, surtout à notre époque où le gavage par les images a fait oublier le pouvoir que chacune détient, quoi qu’il arrive, même sur l'esprit de ceux qui ne font que l'apercevoir. Notre esprit est aujourd'hui davantage façonné par l'image que par le langage. Ceci devrait poser question.

 

Du fétichisme au blasphème, puis du blasphème au meurtre : le garçon se fait gratter au papier de verre ses tatouages quand il rompt le pacte tacite entre les « pakhanys » de Magadan : ne pas interférer dans les affaires des autres. Pas touche à mon Prophète ! Pas touche à ma croyance. Quelle prescience des événements récents ! Quelle vision terriblement juste des arts visuels !

 

Quelle formidable formulation de ce qui n'est, après tout, qu'un totalitarisme des images. Et nous ne le savons pas : nous sommes dedans.

 

Merci monsieur Boucq. Merci monsieur Charyn.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Je dédie ces deux billets à P. Il comprendra, je crois.

 

mardi, 03 février 2015

LITTLE TULIP

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Je ne pensais pas pouvoir un jour être de nouveau secoué par un album de bandes dessinées comme je l’ai été en d’autres temps par Tintin au Tibet (de qui-vous-savez), La Ballade de la mer salée (Hugo Pratt), C’était la Guerre des tranchées (Tardi), Sarajevo Tango (Hermann) et quelques autres (le dernier en date étant Notre Mère la guerre, de Maël et Kriss). Eh bien si, secoué, je l’étais en refermant ce Little Tulip de Boucq et Charyn.

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Ce bouquin est en soi un éloge du dessin en général. Et du tatouage en particulier. Je me dis que ça devrait plaire à certain. Sans s. Je lui dis bonjour.

Secoué, je l’étais déjà en refermant mon Libé quotidien en août dernier, quand la BD y paraissait en feuilleton. Je m’étais juré d’acheter l’album à parution. C’est loupé, j'ai oublié : j’ai dû me contenter du deuxième tirage. J’enragerai quand je verrai la cote grimper dans le BDM. Tant pis pour moi. De toute façon, j’ai aussi loupé le Charlie Hebdo du 7 janvier (celui avec Houellebecq en « une », 200.000 € sur eBay, il paraît, je n’ai pas vérifié, quelqu'un qui avait du pognon à claquer, il s'en foutait de savoir que Charlie Hebdo était devenu "pas très bon" - euphémisme).

 

Boucq, je le connaissais depuis Mormoil, dont j’avais la collection complète (7 malheureux numéros, j’avoue que j’ai un peu oublié ce qu’il y avait dedans, je me souviens juste de la couverture où Bardot, généreusement caricaturée par Mulatier, y allait de sa bulle ahurie : « Mords-moi le quoi ? »). 

 

J’aimais bien une série de Pilote où Boucq développait les aventures d’un citadin lambda, mais en prenant strictement au pied de la lettre l’expression « jungle urbaine ». C’était tout à fait réussi, marrant, surprenant. Une ville "forêt vierge", les bus à l'avenant, un délire bien homogène, quoi, entre le foutage de gueule et l'analyse de civilisation, de celle qui prend en compte le discours publicitaire, vous savez, celui qui vous fait vivre « l'aventure au coin de la rue » (Bruckner et Finkielkraut, 1979). J’aimais avant tout la virtuosité, l'incroyable précision de son trait, qui s’apparente de près ou de loin à la « ligne claire ».

 

Charyn, en revanche, j'avais juste entendu son nom comme ça, en passant. Bon, j’apprends que c’est un écrivain américain prolifique. J’apprends surtout qu’il n’en est pas à son coup d’essai avec Boucq. Je me suis promis d’aller voir de plus près de quoi il retourne avec ce bonhomme dont l’âge approche de la huitième dizaine et qui vous percute le sternum avec une histoire dessinée à la pointe affûtée d’un poignard. Je veux en savoir plus sur tout ce qu’a pu produire ce tandem depuis 1986. Et que j’ai soigneusement loupé. J’aime ce genre de surprises, celles qui vous disent qu’il vous reste des merveilles à découvrir. En même temps que ça vous laisse l'impression amère d'être passé à côté de quelque chose de géant au moment où ça se passait.

 

Car Little Tulip est une merveille à couper le souffle. Un bijou de BD. Et d’une prémonition proprement hallucinante, au vu des événements de Paris en janvier, comme le montre la vignette ci-dessous.

LITTLE TULIP 1.jpg

Simple curiosité : j'aimerais savoir qui est la personne dont Boucq a tiré ici le portrait.

Je ne vais pas résumer l’histoire, juste situer le cadre du récit. Paul/Pavel est « portraitiste-robot » pour la police new-yorkaise. Il assiste à l’entretien entre un inspecteur et un témoin et dessine ce qu’il « voit » quand il entend la description d’un délinquant ou d’un criminel. Ses portraits sont d’une ressemblance qui stupéfie les témoins. La police aimerait surtout mettre fin à la série de viols-meurtres dont se rend coupable un certain « Bad Santa », qui signe ses forfaits d’un bonnet de Père Noël, et compte pour cela sur l’étrange pouvoir graphique de Paul/Pavel. La suite de l'histoire montrera le problème sur lequel, cette fois, il bute pour « voir ».

 

C’est qu’il ne vient pas de n’importe où, Pavel/Paul. Il a sept ans et le génie du dessin. La petite famille américaine a émigré à Moscou avant la 2ème guerre mondiale. Elle vit petitement. Le père, un artiste, rêvait de cinéma et voulait travailler avec Eisenstein. Ce qu'il a fait. 

LITTLE TULIP 0.jpg

"C'est l'esprit qui crée les formes" : ma parole, Jérôme Charyn a lu Bergson, l' "élan vital" qui se fraie un chemin dans la matière pour aboutir à la forme qui lui est propre, tout ça.

Paul/Pavel, 6 ans, très doué, est son meilleur élève. En 1947, les parents sont accusés d’espionnage et la famille est envoyée à la Kolyma, dont le nom générique est "Goulag". C’est des allers-retours entre l'effrayant camp de Magadan et New York, entre le passé et le présent, qu’est composé le récit. 

 

On apprendra que le père est mort, que la mère appartient au « harem » du « Comte », un « pakhan » puissant. Les « pakhanys » sont de redoutables bandits, auxquels les autorités staliniennes laissent le soin de faire régner l’ordre dans le camp. Tout marche bien tant que tout le monde respecte les règles.

 

Faut-il dès lors se dire que l’ordre, qu'il soit terroriste ou démocratique, vaut mieux que le désordre ? Je n'en sais rien. Mais à observer quelques situations présentes, dans diverses contrées riantes de notre belle planète, on pourrait conclure que ce ne serait en aucun cas fortuit.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

lundi, 02 février 2015

OUI PAPA !

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Photo prise ces jours-ci quelque part en Nouvelle Zélande.

dimanche, 01 février 2015

L'ISLAM N'AIME PAS LA FRANCE (3)

3

 

« L’enfant arabe, en dehors de l’école, lit six minutes pas an ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Yahya Alabdallah, un cinéaste jordanien. Evaluation confirmée par des statistiques de l’Unesco et de la Ligue arabe : 6 minutes pour l’écolier arabe, 12.000 minutes pour l’écolier européen. Même si ces chiffres indiquent des moyennes statistiques, inutile de les commenter : ils parlent d’eux-mêmes.

 

Si l’Unesco, en 2009, évalue à 40 % des Arabes de plus de 15 ans la population analphabète, Abderrahim Youssi, professeur à l’université Mohamed-V de Rabat, affirme que « la moitié de la population arabe est analphabète ». Les femmes sont particulièrement touchées, comme de bien entendu.

 

Le problème des Arabes avec leur langue, c’est qu’elle est double : on écrit la classique, on parle la populaire. Résultat, dit Mohamed Charfi, ancien ministre de l’éducation en Tunisie : « Je ne crois pas qu’un peuple puisse pendant très longtemps écrire une langue qu’on ne parle pas et parler une langue qu’on n’écrit pas ». On serait inquiet à moins.

 

Le problème s’aggrave du fait du poids croissant du religieux qui, en accroissant le poids de la langue classique, aboutit selon Abderrahim Youssi, à mutiler et endoctriner scientifiques, poètes et écrivains potentiels : « … l’enseignement scolaire est imprégné de religion ». Mohamed Metalsi (directeur des actions culturelles à l’Institut du Monde Arabe) juge ça préoccupant : « Pour les petits, l’éducation est fortement religieuse. Pour les grands, l’enseignement colle aux textes musulmans. Exit la Grèce ou les Lumières ».  Si cela n'annonce pas un divorce de plus en plus flagrant avec le continent européen, c'est que je ne sais plus ce que les mots signifient.

 

Mohamed Charfi, qui « voulait un divorce entre la langue et le Coran », voit se développer le processus contraire. Chaque œuvre est réalisée sous l’œil du Prophète (voir plus bas). Certes, ce mouvement est bien favorisé par « la dictature, la pauvreté, la corruption, la guerre ». C’en est au point que, pour maintenir la culture au point le plus mort possible, les pouvoirs arabes s’entendent pour fliquer la création. Pas d’autre « politique culturelle » que la répression de l’imagination libre. Pour le développement culturel de la population, on repassera. Circulez, y a rien à voir.

 

Et puis tenez-vous bien : « … moins de livres ont été publiés en un an dans l’ensemble des pays arabes (380 millions d’habitants) qu’en Espagne (47 millions) ». Ben oui, évidemment, quand tout le monde connaît par cœur le seul livre en vente, plus personne n’a besoin de l’acheter. Je vous fais un dessin ? « Timeo hominem unius libri ». C’est Thomas d’Aquin qui écrit ça. Moi, je le traduis librement : maudit soit l’homme qui n’a lu qu’un seul livre.

 

Les livres religieux dans le monde, c’est 5 % de la production mondiale. Dans les pays arabes, c’est 17 %. Etonnez-vous, Français. Sans compter que le livre islamique est « parfois donné gratuitement au lieu d’être vendu ».

 

Un rapport des Nations Unies (2003) affirme que « le monde arabe n’aurait traduit que 10.000 livres en mille ans, soit ce que l’Espagne traduit en une année ». Certains contestent, mais Mohamed Metalsi confirme la tendance : les Arabes traduisent très peu de livres occidentaux. Et souvent de façon médiocre.

 

D’où une grave perte de prestige des universités arabes : ce sera le cas tant que les sciences humaines seront en soi un problème pour l’ordre établi. Le problème ? Réfléchir sur la société. C’est bête, au lieu d'acheter nos clubs de football, le Qatar et Dubaï pourraient bien nous acheter des équipes de sociologues : nous en avons à revendre, qui tuent le temps à en mouliner, de la réflexion sur la société. C'est dire si le verrouillage du couvercle sur la lessiveuse est une urgence permanente dans les pays arabes. Qu'arrivera-t-il quand ça pétera ?

 

Moulin El Aroussi est même plus tranchant : « Il y a de moins en moins de chercheurs sérieux qui savent faire la différence entre la foi et la science ». Par-dessus le marché ? « Centaines de brimades, censures, actes de vandalisme, emprisonnements que subissent les créateurs … dans tous les pays ». Nul doute : la liberté est encore très loin de mettre flamberge au vent dans les pays arabes, la Tunisie faisant figure d’exception miraculeuse.

 

L’écrivain Zafer Senocak conclut : « Les terroristes recrutent dans une communauté de plus en plus nombreuse, formée de masses musulmanes incultes ». Le seul drapeau : ISLAM. Rien derrière. C’est une marque commerciale. La différence avec les grandes marques occidentales ? Simple : personne ne se ceinturerait d’explosifs pour aller déchiqueter des gens qui se sont montrés « infidèles » aux dogmes dictés par Mac Do ou Apple. 

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Tous les éléments ci-dessus sont empruntés directement à l’excellente chronique écrite par Michel Guerrin dans Le Monde daté 24 janvier 2015. Vous avez relevé la consonance des noms des personnes citées par le chroniqueur : on ne saurait les suspecter de racisme. La plume sobre de l'auteur accroît l'effet du contenu, qui se suffit à lui-même. Les fioritures ont été ajoutées par votre serviteur.

 

Moralité et conclusion : l’islam arabe prend une tournure fort inquiétante. Si l'islam est un problème en France, c'est d'abord parce qu'il y a un problème à l'intérieur même de l'islam, vous ne croyez pas ? Laissons de côté l’islam dans ses variantes afghanes, pakistanaises, indiennes, indonésiennes, qui nous concerne de beaucoup plus loin. Inquiétons-nous en revanche de la façon dont évoluent les sociétés arabes, auxquelles la France a le plus à faire.

 

C’est le processus en cours qui est menaçant pour le peu de laïc qui subsiste encore dans les pays arabes. J'imagine volontiers que les smartphones et autres Apple-toys sont obligés de se convertir à l'islam avant d'y entrer.  

 

Si ce que disent les Arabes cités dans l'article est vrai, alors ces sociétés prennent, jusque dans leurs profondeurs, une direction très peu sympathique. Et comme ce qui est arabe concerne une partie non négligeable de la population française (de souche ou non), il faudrait au moins se poser la question : qu'en sera-t-il demain ?

 

L’inquiétant, c’est que l’arabe classique de la lettre du Coran, je veux dire le plus étriqué de cette religion,  s’infiltre partout dans la société et dans les esprits, contaminant jusqu'à la pratique des scientifiques. Si j’en crois l’article de Michel Guerrin, le nœud coulant de la lecture la plus bête, la plus racornie du Coran est en train de modeler, de modéliser, de formater des populations de plus en plus nombreuses, de plus en plus incultes et de plus en plus promptes à s'enflammer.

 

Tout se passe comme si l'islam arabe avait, planté dans le bras, un goutte-à-goutte de fanatisme, et que l'intégrisme religieux se diffusait ainsi dans tout le corps, contaminant chacune des cellules. S'il en est ainsi, cela veut dire que les pays arabes vont, sur les plans intellectuel et culturel, vers un sous-développement solidement constitué. En avant toute vers le moyen âge ! L'obscurité ! La violence !

 

Hayat Boumediene (qui est allée accoucher de son futur djihadiste en Syrie) reprochait à son époux, un certain Amédy Coulibally de ne rien connaître à la religion (Libération du 29 janvier, je crois). Combien sont-ils, sur le sol français, les gars du même vide culturel et de la même rancœur qu’Amédy Coulibally ?

 

C’est sans doute ce genre de réalité future que toutes les Christine Angot du marigot littéraire français en veulent à mort à Michel Houellebecq de faire plus que pressentir dans son formidable Soumission. A se demander si ce n'était pas Christine Angot qui était à la tête des glorieuses armées françaises en ce magnifique et mémorable mois de juin 1940.

 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 31 janvier 2015

L'ISLAM N'AIME PAS LA FRANCE (2)

 2

 

Si les signes vous fâchent, combien davantage vous fâcheront les choses signifiées : je ne sors pas de là. Les mots sont inoffensifs. Ce n’est pas comme les relations entre humains : là c’est sûr, ça peut dégénérer. En fait, je vais vous dire, tout dépend du rapport que chacun entretient avec son propre langage, avec ses propres mots. Tout dépend de la façon dont on croit en eux. Dont on y adhère. Dont on s'identifie à eux.

 

Le problème surgit quand on ne fait plus qu'un avec eux, qu'on y est soudé. "Raison garder", ça veut dire mettre un peu de distance entre ses mots et soi-même. Prendre un peu de recul. Ce qui veut dire : modérer sa croyance, ne pas la prendre pour La Vérité. On dit aussi "relativiser". Or, pour prendre sa croyance pour une croyance, croyez-moi, il faut avoir fait un effort puissant sur soi-même, et sur des générations. Ce n'est pas donné à tout le monde. Alors ça c’est sûr, c’est clair et net : il y a les uns, mais il y a aussi les autres. 

 

Appelons ça « les forces en présence ». D’un côté, les fronts bas. De l’autre, les cerveaux disponibles pour autre chose que les publicités Coca Cola. Ce clivage découle de deux modes d’évolution distincts : les uns se sont arrêtés en route, les autres ont continué à avancer. Les uns ? Ceux qui voulaient installer leur pouvoir sur des terres à occuper. Les autres ? Ceux qui voulaient inventer une patrie désirable.

 

Les uns ? En gros l’Islam (de l'Indus à l'Espagne, ce fut fulgurant). Les autres ? En gros la chrétienté (ce fut un travail long, souterrain et obstiné). La fulgurance de la conquête territoriale contre l'obstination de l'extension de la connaissance : je trouve que le contraste fait diablement sens. Disons même que c'est une opposition.

 

Pour l’Islam, un beau jour, je ne sais plus quelles autorités, au 10ème ou 11ème siècle, après l'expansion foudroyante de la foi "nouvelle", ont décrété : « A partir d’aujourd’hui, il est interdit de commenter, et donc d’interpréter le Coran ». Les musulmans du monde entier se sont dès lors contentés d’apprendre le Coran par cœur, pour le réciter sans réfléchir (Coran veut dire « récitation ». D'autres disent « lecture »). 

 

Les 114 sourates (seul Corto Maltese et Hugo Pratt osent en inventer une 115ème) ont dès lors contenu la totalité de la Vérité. Besoin de plus rien d'autre : tout est là, on vous dit. Une légende prétend que l'incendiaire de la bibliothèque d'Alexandrie donna cet ordre : « Brûlez les livres conformes au Coran, ils sont inutiles ; quant aux autres, ils sont impies, et comme tels, il faut les brûler ». Totalité, totalisant, totalitaire : une seule et même famille de mots.

 

Remarquez que beaucoup d’Américains (témoins de Jéhovah et autres sectes protestantes intégristes façon George W. Bush) n’ont rien à leur envier, et croient dur comme fer que la Genèse biblique est juste un reportage fidèle et scrupuleux. Oui monsieur, la Genèse est un documentaire. 

 

Pour les créationnistes (c’est leur nom), pas d’évolution. Ils sont aussi dangereux les uns que les autres (cf. Irak en 2003, puis aujourd’hui). Sans parler de Poutine. Mikhaïl Gorbatchev, pourtant fossoyeur malgré lui de l'URSS : « L'Amérique s'est égarée dans les profondeurs de la jungle et nous entraîne avec elle » (Le Progrès, 30 janvier). Je crains fort qu'il ait raison. C'est fondamentalisme contre fondamentalisme. Si les démocrates laissent les extrémistes de tous bords prendre la direction des opérations, il faut s'attendre au pire.

 

On appelle cette maladie mentale « prendre le mot au pied de la lettre ». Ce qui veut dire : prendre les mots pour des choses. Les « speech acts », inventés pas JL Austin sont tout simplement des forfaitures : aucune parole adulte n'est un acte. Penser qu’il peut exister un quelconque « blasphème », c’est retourner à l'infantilisme de la pensée magique. A l’âge de pierre. C’est valider l’incantation comme moyen de maîtriser le réel.

 

Et il n’y a pas à tortiller : la civilisation, elle, se bâtit sur la mise à distance entre le mot et la chose. Les spécialistes appellent ça "interprétation", "exégèse", "glose", "commentaire", "scolie". Il y a même une "science" pour ça : l'herméneutique. Pour résumer : la liberté de l'esprit, et non la littéralité de la lettre.

 

Pendant les mêmes siècles, et même après, dans toute la chrétienté, l’effervescence de la foi et de la connaissance : des milliers, des millions de fourmis écrivantes ont continué à s’agiter dans l’énorme fourmilière que constituaient les innombrables monastères, et à produire de la copie, du commentaire, de la glose, de l’exégèse des textes « sacrés ». 

 

Quand la pensée, y compris religieuse, cesse de travailler, elle s’arrête. La pensée musulmane s’est arrêtée voilà des centaines d’années. La pensée chrétienne ne s’est jamais interrompue. C'est la pensée chrétienne qui a abouti, pour le meilleur et pour le pire, à la science moderne. Voilà, à mon avis, pourquoi votre fille est muette, et pourquoi une caricature du prophète Mahomet met le feu au consulat français de Karachi et à huit églises au Niger (pardon : aux dernières nouvelles, on en comptait quarante-cinq). L'islam, pas plus que le Jdanov et le Lyssenko de Staline, pas plus que les créationnistes américains, n'aime ni la science, ni les scientifiques. Il veut garder la main sur la VÉRITÉ.

 

Qu’observe-t-on, en terre d’Islam, sur la longue durée ? Que reste-t-il, en terre d’Islam, des populations qui ne se cognent pas le front par terre à l’appel du muezzin ? Si peu que rien. Quelques vagues minorités, à peine tolérées, quand elle ne sont pas carrément persécutées. 

 

Et je ne parle même pas des abominations commises par les nouveaux Robespierre musulmans sur les non-musulmans (ou les mauvais musulmans) en Irak et Syrie. La Turquie laïque elle-même a évacué les « infidèles », en commençant par les Arméniens (mais les autres, peu ou prou, y sont aussi passés). Les coptes d’Egypte doivent peut-être à leur nombre d’avoir survécu. Les Arabes chrétiens ? Combien de divisions ?

 

L’Islam, une religion de tolérance et d’humanité, vraiment ? C'est comme la météo : ça dépend s'il y a du vent et si il pleut (Fernand Raynaud, "Le Fût du canon"). Non content de manifester sa haine de l’histoire préislamique (destruction des Bouddhas de Bamiyan, bâtons dans les roues des archéologues en Arabie saoudite, …), et donc de la culture au sens large, mais aussi de la modernité, l’Islam actuel, selon toute apparence, est une religion jalousement monopolistique. L'intolérance au pouvoir.  Beaucoup d’adeptes ne veulent pas qu’on leur fasse une place : ils veulent toute la place.

 

J’entends déjà les bonnes âmes et les connaisseurs s’insurger : « Mais vous faites erreur. D’abord, il n’y a pas un Islam, mais une pluralité hétérogène. Ensuite, la plupart des musulmans sont pacifiques. Ce sont des musulmans qui sont les premières victimes ». Certes, mais observez la marche des choses. Prêtez attention à ce qui se passe sur la longue durée. Restriction. Evincement. Et finalement : processus invariable d’épuration religieuse. 

 

Pour vous faire une idée de la tendance générale de l’Islam depuis un demi-siècle, lisez par exemple les pages que Robert Solé consacre à l’Egypte de Nasser dans les années 1950-60, et regardez ce qui s’y passe aujourd’hui. Tiens, où sont-elles passées, toutes les jolies femmes maquillées, élégantes, qui déambulaient en mini-jupe dans les rues du Caire ? Et il n’y a pas que l’Egypte. Le mot d'ordre : cachez les femmes ! Dire que nos féministes exigent toujours plus d'égalité, quand les Saoudiennes aimeraient bien être autorisée à conduire une voiture ! Mais la féministe est-elle seulement un peu lucide ?

 

Pendant ce temps, le gouvernement français ânonne un "ABCD de l'égalité" destiné à la communauté musulmane de France. Mais bien sûr il ne peut pas le dire comme ça : le Conseil Constitutionnel veille au grain. Résultat 1 : lettre morte dans les quartiers où les filles qui ne s'habillent pas en vêtements amples se font traiter de putes (quand ce n'est pas violer). Résultat 2 : les milieux aimablement qualifiés d' « extrême-droite catholique » descendent dans la rue pour dénoncer, non sans quelque raison, l'indifférenciation sexuelle et l'homosexualisation rampante de la société. Quand tout le monde se sent visé par une mesure très spécifique (le machisme à tout crin en vigueur dans les quartiers à majorité maghrébine), la mesure fait chou blanc.

 

Les gens informés vous diront que les pouvoirs arabes en place sont pour quelque chose dans cette évolution vers toujours plus de fermeture et de régression. Que, pour faire leurs petites affaires à la tête des Etats, ils ont laissé les religieux prendre en charge tout le social, l’entraide, la gestion du quotidien. Pourvu qu’ils ne se mêlent pas de politique, ils ont eu les mains libres. Moubarak et Ben Ali sont même allés jusqu’à leur construire plein de mosquées. En Algérie, même tableau, cette fois au nom de l’arabisation et de la décolonisation.

 

L’Islam est-il soluble dans la République ? Ma réponse est non. Pour une raison elle-même très nette :

GUERRIN MICHEL SAM 24 01 15.jpg

la religion est omniprésente dans les esprits et dans les sociétés arabes. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Michel Guerrin dans sa chronique remarquable du Monde daté 24 janvier.

 

Il est plus que probable qu'une collectivité européenne en grande partie déchristianisée, où l'athéisme, l'agnosticisme et l'indifférence spirituelle (c'en est au point que le mot "laïcité" a depuis longtemps perdu toute signification) se disputent la plus haute marche du podium, est incompatible avec des gens qui, quoi qu'il fassent et où qu'ils soient, se trimballent avec, cousus dans leur chair à vif, leur dieu, leur prophète, leur Livre et leur tapis de prière. Et qui, à la moindre remarque, à la moindre critique, aimeraient vous voir rôtir en enfer parce qu'ils se sont sentis « offensés » par vos « blasphèmes ». 

 

L'islam a d'ores et déjà réussi à introduire son altérité radicale dans la loi française (nécessité de légiférer sur le voile), quand ce n'est pas dans la rue (port du niqab). Et ça, on me dira tout ce qu'on voudra, ce n'est pas acceptable : c'est de l'ingérence. Combien sont-ils, au total, les Abdelwahab Meddeb, les Tareq Oubrou, capables d'adhérer à l'idée de République et d'un islam moderne ? En dehors des discours bêlants des hommes politiques, de leurs appels qui sonnent creux aux « valeurs de la république » et de leurs supplications à ne pas pratiquer d'amalgames, la France est singulièrement dépourvue d'arguments pour être un jour aimée de l'islam.

 

Et disons-le dans la foulée, si l'on en croit la tournure prise par les événements un peu partout sur la planète, l'actualité récente dans le monde arabe et le visage que cette religion s'est donné dans bien des endroits à commencer par la France, l'islam n'est pas parti pour aimer la France, la République et les Lumières. Il va falloir se faire une raison : deux représentations du monde radicalement hétérogènes, peut-être incompatibles. Il faudrait que nos responsables (mais le sont-ils ?) aient le courage d'en tirer les conséquences.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : je préviens que je dénie fermement à quiconque le droit de me traiter d'islamophobe. D'abord parce que ce n'est pas vrai. Ensuite parce que c'est faux. Enfin parce que ce serait un mensonge. Bref : une diffamation.

 

Note : comme je n'ai ni l'intention, ni la capacité d'écrire un Traité savant sur la question, on comprendra que ces propos un peu schématiques comportent quelques approximations. Je raisonne à partir de là où je me situe : porte-parole de rien et de personne. Les propos tenus dans ce blog sont de première main. Si certains jugent que je caricature, je dis : « C'est possible. Et alors ? ».

 

 

vendredi, 30 janvier 2015

L'ISLAM N'AIME PAS LA FRANCE (1)

1

 

« Timeo hominem unius libri ». Thomas d’Aquin

« Je crains l’homme qui ne lit qu’un seul livre »

(interprétation choisie exprès).

 

Les musulmans, pour moi, c'est comme les chrétiens et les juifs : des croyants. Personnellement, tant qu'ils ne m'empêchent pas de ne croire en rien, je vous garantis que ça ne me défrise pas la calvitie. Le problème, c'est que les croyants de tout poil ont commencé à envahir la scène médiatique. Et mon espace mental par voie de conséquence, en même temps que mon environnement visuel et sonore. Je leur en veux à tous, évidemment, de m'imposer la présence de préoccupations qui m'indiffèrent. Et il paraît qu'il faudrait rester serein.

 

Après les crimes commis à Paris par quelques musulmans fanatiques, on a entendu toutes les bouches médiatiques nous seriner le refrain à la mode : « Pas d’amalgame ! Surtout pas d’amalgame ! ». Moi je veux bien, je ne suis pas contrariant.

 

Oui, mais voilà : comment je fais pour ne pas confondre le fidèle assidu à la prière et à la mosquée avec le terroriste en puissance qui n’attend que l’occasion d’égorger quelques « infidèles » ? Pour ne pas confondre la vraie foi et la fausse ? Le bon musulman et le mauvais musulman ? Le Bien et le Mal ne se portent ni en bandoulière, ni sur la figure. Sauf quand on est armé. Ça porte à confusion.

 

On me dit : « Mais on a grand tort de parler de "Communauté musulmane ». Les musulmans n’ont pas de clergé, pas de Pape, pas d’excommunication. Aucune autorité suprême ne peut s’imposer à l’ensemble des musulmans ». Pas de « Communauté musulmane » ? Moi je veux bien, mais voilà : j’aimerais qu’on m’explique, si c’est vrai, pourquoi l’évocation dessinée du « Prophète » dans un petit pays perdu de la lointaine Europe allume des incendies en Indonésie, au Pakistan, au Niger.

 

S’ils n’ont pas de Pape, qu’est-ce qui les met ainsi en mouvement, ces foules en colère ? Et puis, qu’est-ce qu’il signifie, le mot « Oumma », si ce n’est « communauté des croyants » ? Alors ? Alors oui, tous les musulmans du monde éprouvent un sentiment d’appartenance à quelque chose qui leur est commun à tous. Eux-mêmes le disent. Il y a bel et bien une communauté musulmane. Qu’on arrête seulement de nous mentir.

 

J’aimerais aussi qu’on m’explique comment il se fait que, quand l’imam de la grande mosquée de Sidney déclare dans les journaux australiens que le Coran ne comporte aucune interdiction du vin et de l’alcool, mais seulement celle de l’ivresse (et encore, ajoutent certains : pendant la prière), les escadrilles de chasse des hurlements et vociférations décollent aussitôt de la mosquée Al Azhar, présentée comme la plus haute autorité de l’Islam, pour contredire violemment les propos impies de l’imam en question (entendu de la bouche du journaliste et essayiste Akram Belkaïd). Qui me dira qui a raison ? Moi, je n’ai pas le moyen de savoir. Et j’ai autre chose à faire que de creuser la question. En l'état actuel de l'actualité, j'ai tout lieu de me dire que non, l'islam n'aime pas la France.

 

Un certain nombre de voix en France se sont élevées, après les assassinats à Charlie Hebdo (n’oublions pas l’hyper Cacher, sous peine de …), pour s’étonner de l’émotion nationale : « Ils l’ont bien cherché. Il y a des limites à la liberté d’expression. Il faut respecter les croyances des autres ». Moi, je veux bien … eh bien non, là, je m’insurge : je n'ai pas à respecter les croyances des autres. Il faudrait qu'il commencent par respecter les miennes. Et les miennes, je vous le dis, elles n'ont jamais subi d'assauts aussi violents. Elles n'ont jamais été agressées avec autant d'intolérance. Cabu est mort : ça vous explique ma colère.

 

Il n’y a pas de limite à la liberté d’expression : l’univers des mots n’a strictement rien à voir avec celui des choses et des actes. Les mots sont libres.

 

L’univers des mots est celui du signe qui, on le sait depuis Saussure, est arbitraire. Je ne vais pas faire mon savantasse, mais « arbitaire », ça veut dire que n’importe quel mot aurait pu, a priori, se poser sur n’importe quelle chose. Il se trouve que non : pour désigner une chose, chaque langue a trouvé un mot différent de tous les autres, un mot qui lui appartient en propre.

 

Si le signe n’était pas arbitraire, le coq chanterait « Cocorico » dans toutes les langues. Je ne vous énumérerai pas les innombrables versions pour vous prouver que c’est faux : qu’on prenne le signifié ou le signifiant, le mot chien ne mord pas. Le mot coq ne vous réveille jamais le matin.

 

Les mots n’ont pas de dents, ils ne posent pas de bombes, ils n’ont pas de Kalachnikov pour assouvir leur haine de qui refuse de leur obéir. Les mots sont inoffensifs : voilà le nœud du problème. Pour plus de détails, voir ce que dit à ce sujet Solko, sous le titre « Je suis Saussure », 13 janvier et suite. 

 

C’est très simple : en dehors de la diffamation et de l’insulte, les mots sont incapables de faire le Bien ou le Mal. Ils se contentent de signifier, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. On me dira : « Reste l’insulte : on n’a pas le droit d’insulter ». Moi je veux bien. Encore faut-il qu’on sache de quoi on parle. Y a-t-il même des insultes autres que subjectives ? Le sage ne dit-il pas : « L’insulte ne déshonore que son auteur » ?

 

Moi, là-dessus, je m’en tiens à ce patron immortel de tous les « beuveurs très illustres, et vous goutteux très précieux », maître Alcofribas Nasier, alias François Rabelais, qui fait dire sans ambages par Pantagruel à Panurge, fâché du pronostic de cocuage émis par le muet Nazdecabre : « Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées. Tout vray à tout vray consone. Le mut praetend et dénote que serez marié, coqü, battu et desrobbé ». C’est l’erreur coutumière des parents pacifistes effrayés qui interdisent à leur gamin de viser le copain avec ses doigts en criant : « Pan, t’es mort ! ». On ne sait jamais, doivent-ils se dire.

 

Ne pas confondre « les signes » et « les choses signifiées ». Car cette confusion relève de la pensée magique, de cette humanité primitive qui attribuait un pouvoir maléfique à certains mots, dont l’énonciation était strictement réservée, pour cette raison, au grand sorcier, au grand prêtre, au grand chamane. Les alchimistes et magiciens ont aussi leurs « hocus pocus » et leurs « abracadabra ». Le problème de la magie, c’est qu’il faut y croire pour que ça marche. Elle échoue sur les sceptiques. Cette confusion relève de la croyance à la sorcellerie. Une belle négation de la civilisation des Lumières.

 

La haine de certains musulmans exaltés pour des dessins supposés représenter (sic !) le prophète est juste une preuve d'arriération de la pensée musulmane dominante.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : comme je n'ai ni l'intention, ni la capacité d'écrire un Traité savant sur la question, on comprendra que ces propos un peu schématiques comportent quelques approximations. Je raisonne à partir de là où je me situe : porte-parole de rien et de personne. Les propos tenus dans ce blog sont de première main. Si certains jugent que je caricature, je dis : « C'est possible. Et alors ? ». So what ? What else ?

 

jeudi, 29 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 5 (fin)

5

 

Je me serais arrêté au billet précédent pour dire tout le mal que je pense de ce qu'écrit Christine Angot, si la dame, en plus de la niaiserie épaisse de sa façon de voir le monde, les rapports humains et la littérature, n'avait pas montré, dans Le Monde du 16 janvier, le bout odieux de sa haine pour Houellebecq. Et plus généralement pour la littérature.

 

Je commence par l'insinuation venimeuse. Ce sont deux affirmations qui se suivent à quelque distance : « Le but, à travers la littérature, n'est pas de nier l'humain ni de l'humilier » ; « Les attentats des 7, 8, 9 janvier sont une autre façon de dénier l'humanité à des gens ». Quand on rapproche ces deux évidences éclatantes, l'odieux de la chose saute aux yeux. Christine Angot, pour insinuer cela, a au moins de la boue entre les deux oreilles. Comme si Michel Houellebecq déniait l'humanité des gens, comme elle le badigeonne à la truelle dans le développement qui va de l'une à l'autre.

 

Grave erreur, ma pauvre dame, qui montre bien que vous ignorez ce qu'est la littérature : Houellebecq observe seulement la dénégation d'humanité que le monde actuel fait subir à l'humanité. On pourrait même interpréter Soumission comme une dénonciation de ce processus inexorable.

 

Mais non contente d’exhiber la confusion notionnelle dans laquelle baignent ses « idées » pâteuses, en même temps qu’elle psalmodie la rengaine de ses incantations autour le « l’humain », qu’elle feint de sacraliser, elle opère un rapprochement que je qualifierai tout simplement de dégueulasse. Désolé, je ne trouve pas d’autre mot.

 

Voici la vomissure : « La société a des pulsions mortifères qui l’ont conduite à porter aux nues Marine Le Pen, Zemmour et Houellebecq, dans une suite logique, MLP, l’action, Z, le raisonnement, H, la rêverie, ça ne nous oblige pas à faire le même choix » (je cite strictement comme c’est publié). Ah, ils me font bien hennir, tous ces responsables qui appellent à ne pas faire des « amalgames ».

 

Qu’ils empêchent donc Christine Angot de commencer : elle s’y connaît, en amalgames. Houellebecq et Le Pen même combat ? Oui, elle s'y connaît aussi en « stigmatisation ». J'appellerai ça une saloperie. Quels autres crabes dans son panier ?

 

Notez l'enchaînement logique redoutable : 1 - La littérature doit célébrer l'humain ; 2 - Or Le Pen-Zemmour-Houellebecq sont dans le même bateau ; 3 - Donc Houellebecq est du côté des attentats islamistes. Tout ça pour que le lecteur déduise de lui-même : Houellebecq est un salaud. Mon dieu qu'elle est belle, l'âme de Christine Angot !

 

Une femme politique (MLP) qui fait miroiter des illusions d’espoir et de solutions aux yeux de millions de gens pris dans la nasse pour accroître la part de son gâteau électoral ; un histrion batteur d’estrade (EZ) qui s’est fait une spécialité lucrative, en compagnie de deux ou trois autres, de contester le système (je l’ai entendu intervenir dans les médias. Conclusion : pas sérieux, monsieur Zemmour !).

 

Comme mariage d’une carpe et d’un lapin, je trouve que c’est déjà pas mal. Leur point commun ? Ah si, ils en ont un : vendre du bla-bla à une clientèle qui ne demande que ça. Le Pen et Zemmour, non merci, ce n’est pas ma tasse de thé. Je n’ai rien à voir avec ces marchands de camelote (ceci dit au risque de chagriner Solko : qu’est-ce qu’il croit ?).

 

Leur relatif succès tient sans doute d’abord au fait qu’ils ne sont pas au pouvoir (et je n’ai aucune envie de les y voir). Et puis aussi, qu’ils tiennent un discours qui, apparaissant en rupture avec la langue de bois dominante, semble entrer en résonance avec les préoccupations profondes de la population. Fumées. Grave erreur. Le vraisemblable n’est pas le vrai. Le simulacre n'est pas la chose. Le mirage n'est pas l'oasis.

 

Par là-dessus, fourrez dans ce sac de nœuds de vipères le seul véritable écrivain français vivant qui soit connu à l’étranger (le monde a découvert Modiano avec le Nobel). Pour des raisons qu’il serait fastidieux d’examiner, mais enfin, elles doivent être un tout petit peu fondées. Les Allemands se l’arrachent et pondent des thèses sur son œuvre. Est-ce le moment d’entonner le refrain d’Obélix : « Ils sont fous, ces Germains ! » ? Serait-ce bien sérieux ? Disons-le : Michel Houellebecq est le seul écrivain français actuel que les étrangers lisent un peu. Je dis : tant mieux !

 

Parce qu’il faut bien dire qu’en France, c’est l’étouffoir. Non non, ce n’est pas la voix de Houellebecq qu’on étouffe. C’est sûr que beaucoup de gens voudraient bien. Mais il faudrait pouvoir. Rien qu’à voir le classement des ventes de livres paru dans Libé le 15 janvier, ce n’est pas parti pour. Tant mieux. Et je ne parle pas du succès du livre d’Eric Zemmour. Que je n’ai pas lu. Et que je ne lirai pas. Je me dis que ce simple fait devrait au moins inspirer un peu de modestie aux commentateurs, surtout malintentionnés.

 

Non, l’étouffoir dont je parle est celui que toutes sortes de groupes de pression font peser sur l’expression libre. Je veux parler de l’étouffoir policier ou judiciaire qui menace tous ceux qui n’entrent pas dans le moule idéologique dominant. Combien sont-ils, les chiens de garde, à surveiller, chacun dans son pré carré, que nul orteil ennemi ne s’avise de fouler une motte de son herbe minoritaire ?

 

Combien sont-ils, les glapisseurs, à attaquer le moindre mot qui dépasse et à en faire un délit ? « Punissons, ça nous permettra de ne pas traiter les problèmes et de garder la tête dans le sable ! ». Combien sont-ils, juifs, féministes, homosexuels, noirs, musulmans à avoir ainsi obtenu le rétablissement de la censure ? A avoir tué la liberté d'expression dont tout le monde se fait un drapeau aujourd'hui ? Les petits calculs salement électoraux des responsables politiques font le reste. Ils préfèrent laisser la société se gangrener de toutes sortes de haines mutuelles qui s'entre-nourrissent.

 

Ah, ils peuvent bien citer la phrase rebattue de Voltaire (« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, etc … »). Ah, ils peuvent bien défiler derrière la banderole « Je suis Charlie », tous les alligators, au nom de la « liberté d’expression ». Qu’elle était belle, la France, du temps de la liberté d’expression. Aujourd’hui, certains mots sont inscrits au Code Pénal. Cette seule idée que des paroles verbales soient inscrites au nombre des délits passibles de la correctionnelle est juste répugnante.

 

Cette France n'est pas la mienne. Ma France à moi ne connaît pas la diabolisation des opinions. Ma France à moi n'aime pas les Fouquier-Tinville, même de sexe féminin (Caroline Fourest, Christine Angot, Annie Ernaux, ...). Non plus que les curés façon Edwy Plenel (récitation pieuse du bréviaire le jeudi matin).

 

Ma France à moi laisse Dieudonné faire le pitre, Eric Zemmour et Alain Soral expliquer (à leur façon) le dessous des cartes à des ignorants, les Le Pen insulter l'histoire, Richard Millet planter ses banderilles provocatrices. Ma France à moi est assez forte pour supporter tous les propos, y compris ceux des malades mentaux et des fronts bas, à quelque obédience qu'ils appartiennent.

 

Ma France à moi, celle des Lumières, ne s'arroge pas le droit de faire taire. Si la loi pénale condamne des propos (hors diffamation ou injure), c'est la loi qui a tort.

 

Je ne confondrai jamais les paroles et les actes.

 

Pas de limite au droit de dire ce qu’on veut. Pas de limite au droit de se moquer. Pas de limite aux droits de la littérature.

 

Pas de limite aux mots.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mercredi, 28 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 4/?

4

 

Pendant que Christine Angot fait sa chochotte à touiller sa tisane tiède dans sa petite tasse, Michel Houellebecq nage au large : il a la brasse littéraire large et puissante. Christine Angot déteste Michel Houellebecq, parce qu’il écrit des romans au tranchant très affûté. Elle lui reproche sa consistance, sa compacité. Peut-être même sa masculinité. Mais je ne suis pas psychanalyste.

 

« Pourvu que le monde ne ressemble pas à ce que décrit Michel Houellebecq ! », se dit-elle terrorisée, recroquevillée dans le terrier de son for intérieur, en tremblant et en croisant les doigts pour conjurer le mauvais œil. Pour moi c'est clair : ceux que Houellebecq fait hurler sont dans une grave dénégation de la réalité telle qu'elle est. Ils mentent. Je vais vous dire, ils ont l'horrible pétoche à l'idée qu'il a probablement raison : la civilisation a échoué. Nous assistons au retour à la sauvagerie des âges farouches.  

 

La page de Christine Angot publiée par Le Monde daté 16 janvier expose aussi une sorte de théorie de la littérature selon Christine Angot. Ainsi, par exemple, elle affirme que, quand Houellebecq répond à quelqu’un qui lui demande ce qu’il pense de François, le protagoniste de Soumission : « Réponse sur un ton aussi docte que désabusé : je ne sais pas, on ne sait pas, quand on écrit, on ne sait pas. On ne juge pas ».

 

Elle le cite : « Je ne sais pas, on ne sait plus, quand on fait un roman on ne sait pas » (Modiano a dit à peu près la même chose à Stockholm). Mais c’est pour le contester catégoriquement : « Bien sûr que si on sait. C’est même tout l’intérêt. Comprendre. Faire comprendre. Sentir, faire sentir. Et pouvoir juger quand même ». Ah, maintenant, le romancier devient un instituteur charger d'expliquer. Et de faire la morale. Mais pour comprendre et faire comprendre, je ne me fierais pas trop à la comprenette délabrée de Christine Angot.

 

Je signale que la littérature n'est pas faite pour expliquer ou démontrer. Les plus grands écrivains n'expliquent rien : ils montrent. Le parti pris démonstratif de certains romanciers aboutit presque infailliblement à des livres médiocres. C'est ce que fait Houellebecq. Elle soutient ensuite que « l’auteur sait, aussi bien que le dessinateur, ce qu’il pense de ses personnages ». Tout ça après avoir curieusement admis qu’ « un roman même plus ou moins cynique ne se juge pas sur le plan moral ».

 

Au fond, après avoir feint de placer sa détestation de Houellebecq sur le terrain littéraire (« chercher la petite bête cachée derrière les apparences » au lieu de regarder la réalité en face), Christine Angot suggère que, dans sa conception de la littérature, l’auteur ne peut se dispenser d’avoir une attitude morale (l'auteur pense quelque chose de ses personnages : quelle drôle d'idée !). Voilà : le grand mot est lâché. La clé qui tente de verrouiller le couvercle policier et judiciaire sur la fantaisie, la liberté du créateur. La création littéraire a sa nécessité interne. Soumission offre un exemple lumineux de ce principe. Et ça, ça ne plaît pas. L’article du Monde est une façon pour Angot de manier le bâton sur le dos virtuel de Michel Houellebecq. Qui en a vu d’autres.

 

S’il dit qu’il ne pense rien de ses personnages, il faut sans doute le croire (je renvoie au petit bouquin très éclairant de Mauriac Le Romancier et ses personnages). Car si Houellebecq juge quelque chose, roman après roman, c’est d’abord (et peut-être seulement) le monde qui est le nôtre, le monde implacable de l’après Guy Debord, le monde de la science toute-puissante et aveugle (Les Particules élémentaires), du spectacle et de la marchandise.

 

Soumission, le dernier en date, n'est-il pas insupportable parce qu'il montre l'avènement tout en douceur d'un système totalitaire (même "modéré") ? N'est-il pas, avec ses airs de politique-fiction, une simple extrapolation imaginée à partir du tableau lamentable offert par nos démocraties exténuées ? N'est-ce pas ça, au fond, qui choque le plus les détracteurs de l'auteur ? Ça, précisément, qu'ils ont la trouille de regarder en face ?

 

L’art désespéré (La Carte et le territoire) de Jed Martin pris dans la frénésie de dire que le monde n’a plus rien à dire en matière d’esthétique (et le reste) ; la marchandise sous toutes ses formes qui assiège et envahit l’individu ; le sexe (Plateforme) réduit à sa fonction de machine hygiénique et lucrative, dans des sociétés et des systèmes qui font croire qu’il faut croire encore en une Vérité : les « Valeurs ». Les Droits de l'Homme. Tout ça.

 

L’individu réduit à sa fonction d’électron qui se croit libre et doté de droits toujours plus « innovants ». C’est cela que Houellebecq met sous le nez de l’homme actuel : l’impasse. La nasse. Houellebecq ôte le faux-nez de la modernité. Il met à nu - avec quelle élégance dans le geste ! - ses tripes moribondes et pestilentielles. La justesse du diagnostic du balzacien Michel Houellebecq saute aux yeux de tous ceux qui refusent de se bercer d'illusions maternantes. Christine Angot a la bêtise maternante.

 

Et je vais vous dire, c’est cela qui n’est pas supporté. Ah ça, on peut dire que le Houellebecq, ça fait vomir. J’ai cité Richard Millet, qui fait aussi figure de vomitif pour les « bonnes âmes », mais j’aurais pu aussi bien rappeler, parmi les pères fondateurs de ceux qui, en d’autres temps, auraient été jetés tout vivants dans les chaudrons de bave bouillante de l’Inquisition, la haute figure de Philippe Muray qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’en laissait pas conter par la « modernité ».

 

Ce que ne supportent pas les Christine Angot et autres contempteurs de Michel Houellebecq, c’était déjà ce que ne supportaient pas les détracteurs de Philippe Muray, qui leur mettait sous le nez la part maudite qu’ils portaient en eux-mêmes et qu’ils ne voulaient ni regarder en face, ni renifler : la négativité. Autrement dit le Mal. Combien sont-ils, les prêcheurs, à braire et blatérer dans les médias : « Le Mal, c'est pas bien ! Le Mal, c'est pas bien ! Le Mal c'est pas bien ! ». Je pense à l'abbé Edwy Plenel, à Caroline Fourest, aux objurgations et admonestations de François Hollande. A tous les moralistes qui font tribune sur basse-cour.

 

Le consensus moral actuel autour de l’Empire du Bien (un titre de Philippe Muray) nous fera tous crever. Tant que le monde actuel n’aura pas trouvé un moyen de mettre des mots pour mettre enfin un visage sur les nouveaux avatars du Mal ; pour enfin le regarder droit dans les yeux, tous les Philippe Muray et les Michel Houellebecq seront haïs par toutes les Christine Angot.

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 27 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 3/?

3

 

Que dit-elle, la pauvre Christine Angot, de Michel Houellebecq ? Dès le début de son papier, on comprend que c’est très mal emmanché : « Quand on m’a proposé, fin décembre, d’écrire sur Houellebecq, je n’ai pas voulu. Je n’avais pas envie de m’intéresser à lui, il ne s’intéresse pas au réel, qui est caché, invisible, enfoui, mais à la réalité visible, qu’il interprète, en fonction de sa mélancolie et en faisant appel à nos pulsions morbides, et ça je n’aime pas ». Le « réel caché », apparemment, c’est le grand truc de l’existence de Christine Angot. Mais ça commence quand même par une énormité : apprendre que Houellebecq ne s'intéresse pas au réel, ça fait quand même un choc culturel.

 

Moi, ce que je n'ai pas compris, c’est ce qu’Angot met derrière le mot « réalité » : selon elle, est réel ce qui « est caché, invisible, enfoui ». Ah bon. Dès que je le vois, j'en parle à mon cheval. Notez que je ne dis pas que c’est faux. C’est une option. Mais ce qui suit est aussi un symptôme intéressant. J'en suis même à me demander si tout ce qu'écrit Christine Angot n'est pas à considérer, en soi et en bloc, comme un énorme symptôme. Non monsieur, je n'ai pas dit "furoncle". 

 

En gros, elle reproche à Houellebecq de braquer son regard sur le monde qu’il a sous les yeux, mais avec de telles lunettes mélancoliques et morbides que l’image qu’il en restitue dans ses livres est fausse et haïssable. Ah bon. Je crois bien que c’est là que nos routes se séparent, madame. Je crois justement que Houellebecq figure parmi les auteurs qui ne font pas les autruches face aux menaces que le monde tel qu'il s'annonce fait peser sur l'avenir de l'humanité. Lui au moins, il propose un regard sur ce monde. Il ne se contente pas de manier sa touillette dans sa tasse en plastique devant la machine à café. Et le monde dont il parle est tout à fait « réel ».

 

Parce que, si j’ai bien compris Christine Angot (et je crois que j’ai bien compris), il ne faut pas se contenter de la réalité visible, il faut creuser cette matière dans l’espoir d’atteindre l’essence des choses. Enfin, ce ne sont pas ses termes : « Ce qu’il y a derrière la réalité visible, c’est le réel. Et le réel c’est nous. Mais c’est le nous qu’on ne voit pas ». Oui, j’ai peut-être mal traduit. Si je dis « l’essence des êtres », ça vous va ? Remarquez que ça ne change pas grand-chose : je ne sais toujours pas ce que c'est. Trop vaporeux pour moi. Nébuleux si vous préférez. Vous dites gazeux ? Pourquoi pas ?

 

Pour Angot, la littérature est le territoire sur lequel règne le tout-subjectif. Je l’ai dit, c’est une option, bien dans le vent de cette époque de narcissisme exacerbé (ah, la rage du « selfie » ! Même que Miss Israël a failli déclencher un incident diplomatique en faisant un « selfie » où figurait Miss Palestine). Christopher Lasch, au secours !

 

Et l’invisible, elle s’y accroche comme un morpion au poil de cul. Pour être franc, l'invisible selon Christine Angot, je n'ai pas réussi à en attraper le fil. L'invisible, je le pressens au contraire dans la fin des Particules élémentaires, dans la fin de La Carte et le territoire. Houellebecq sait, lui, ce que c'est que l'invisible. Contrairement à ce qu'elle affirme, Christine Angot ne connaît de la réalité que la plus extérieure pelure de la surface des choses. Elle n'a rien compris au monde dans lequel elle vit. Ce n'est pas ça qui l'intéresse. Le réel dont elle s'occupe est étriqué, plat.

 

Selon elle, il faut que le grand écrivain (grade académique auquel elle postule visiblement, mais ce n'est pas gagné) persévère, continue à faire descendre le seau dans le puits à sec. Et pour en remonter devinez quoi : « Le sentiment que l’être a de son humanité ». Démerdez-vous avec ça. Il faut que le grand écrivain poursuive obstinément sa quête.

 

Forcément, tôt ou tard, il tombera sur « un mini-indice qui n’était pas visible. Et ça Houellebecq ne le fait jamais. Non seulement il ne le fait jamais, mais il le détruit, il le raille. Il raille Mai 68, l’humanisme, l’antiracisme, la psychanalyse, les universitaires, ceux qui essayent de trouver quelque chose de la réalité, ceux qui se disent que l’humain ça doit exister, et pas besoin d’avoir recours à Dieu pour ça ». On commence à comprendre l'idéologie sous-jacente, bien qu'elle prenne soin de s'affubler d'un faux-nez. J’avoue que le « mini-indice » me semble une trouvaille délicieuse. Des esprits malveillants insinueraient sûrement que Christine Angot s’embête à « chercher la petite bête ».

 

Au fond, ce que Christine Angot reproche à Houellebecq, c’est de ne pas faire dans ses livres l’éloge de la bien-pensance telle qu’elle règne aujourd’hui sur les esprits. C’est de ne pas donner dans la littérature sans bec et sans griffes. De ne pas se résigner à donner dans la littérature embryonnaire, celle qui se contente d'inventorier les éléments de l'embryon. Elle lui reproche d'ouvrir les yeux sur le monde tel qu'il va, de plus en plus terrible.

 

Elle lui en veut beaucoup, parce qu’il refuse de pratiquer cette littérature nombrilique qui ne risque pas d’écailler le verni du monde tel qu’il va, tel qu’il est en train d’écraser l’humanité. Houellebecq ne creuse pas dans l’impalpable fumeux de ses impressions évanescentes pour en tirer quelque « mini-indice » jusque-là indiscernable.

 

Il ne cherche pas la petite bête, lui. Il regarde le monde d'une façon pas gaie, c'est sûr. Le monde qu'il décrit est sans âme, sans but. Angot aura beau dire : il fait son métier. Un grand métier. Elle ne fait pas le même. L'un fait de la littérature. L'autre fait de la fumée avec le symptôme dont elle constitue un exemplaire exemplaire.

 

Elle ne peut pas lui pardonner d'être dans le vrai.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 26 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 2/?

2

 

Oui, je n’aurais rien dit, mais voilà, celle qui n’a aucune parenté avec la seule Madame Angot qui vaille à mes yeux (ou plutôt à mes oreilles : c'est la fille de la dame, selon Charles Lecoq), n’est pas seulement « écrivain » : elle est aussi, avec une apparente satisfaction, un personnage médiatique important. Elle consent à se laisser présenter à l’occasion micros et caméras quand des journalistes en mal de papier font appel à elle pour remplir leurs obligations, croient-ils, professionnelles.

LECOQ CHARLES ANGOT.jpg

Sous la direction de Jésus Etcheverry.

Et puis là, elle se laisse offrir, avec répugnance (qu'elle prétend, mais elle ne répugne pas longtemps), une page entière du Monde (daté 16 janvier). Quatre colonnes larges et bien tassées. Si la dame n’est pas une autorité, au moins est-on sûr qu’elle « a de la surface ». Et des relations bien placées. 

 

Au moins est-on sûr qu'elle est du bon côté de l'establishment, tous gens garnis de bonne conscience, sûrs de leur bon droit, édictant au nom de l'Empire du Bien (cf. Philippe Muray) ce qu'il est loisible, voire licite de faire, et ce qui doit être conduit devant les tribunaux populaires.

 

Toute un grande page du Monde, donc. Et pour parler de quoi ? De qui ? De Houellebecq ! Farpaitement. Angot qui se mêle de critique littéraire ! On aura tout vu ! Il est vrai que certains enfants croient mordicus que c'est à eux d'apprendre à leur mère à faire des enfants ! Au point où on en est !...

 

Notez que si je l’ai traitée de « pauvre pomme tombée d’un poirier », c’est qu’elle l’a bien cherché. Pensez, sous le gros pavé du titre (« C’est pas le moment de chroniquer Houellebecq », mais dans le texte, elle met la négation, c’est bien un coup du Monde, ça), elle n’y va pas par quatre chemins : Houellebecq, elle n’aime pas. C'est son droit. Ensuite, ça dépend de la façon dont on s'y prend pour le dire.

 

Moi, Houellebecq, je ne le connais pas. Ce que je connais, ce sont ses romans. Et ce que je sais, c'est que ces romans sont les meilleurs que j'aie lus, tous auteurs français confondus, depuis fort longtemps, quoi qu'en disent des gens que j'ai appréciés par ailleurs. Par exemple Eric Naulleau, qui traite Houellebecq de « romancier de gare » en 2005 (Au Secours, Houellebecq revient !, Chiflet et Cie). Je ne sais pas s'il est revenu entre-temps sur cette erreur manifeste de jugement.

 

Naulleau s'est racheté en 2008 en assaisonnant Christine Angot, façon pimentée, qu'il habillait pour les hivers les plus rigoureux, dans un livre très drôle et très juste : Le Jourde et Naulleau, Mango. Ma doué, quelle avoinée il lui mettait ! Comme quoi les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis, mais j'ai de l'affection pour certains. D'autant plus que je note que Houellebecq ne figure pas dans le jeu de massacre auquel se livrent les deux compères dans leur bouquin. S'il n'y a pas amende honorable, on n'est pas loin. Et ça rassure.

 

Exemple de prose sur laquelle Naulleau dirigeait ses boulets rouges, pour montrer de quoi la dame est capable : « Vous avez beaucoup approuvé la construction de L'Inceste, qu'elle était remarquable. C'était complètement un hasard, c'était un moteur en marche, ça suffit vos appréciations, stylistiques, narrotologiques [sic], techniques. Construit, construit veut dire enfermé, enfermé veut dire emprisonné, emprisonné veut dire puni, puni veut dire bêtise, bêtise veut dire faute, faute, erreur, erreur, faute de goût ou morale très grave, moi je n'ai rien fait de mal donc il n'y a aucune raison que je me construise une raison et une construction. Compris cette fois, Quitter la ville, pas de construction » (Quitter la ville, p.79, cité p. 29 du livre de Jourde et Naulleau). Angot, c'est bête, à chaque nouveau bouquin, j'entrouvre, je feuillette, ça confirme, je repose. Vous comprenez maintenant pourquoi.

 

Je passe sur l'état larvaire de la langue et sur l'infantilisme qui conclut le tout à fait étrange enchaînement associatif (« Mais j'ai rien fait, m'sieur ! »). Je note juste que l'auteur propose le magma et le chaos de la pensée (si on peut appeler ça pensée) comme principe de création littéraire. C'est pourquoi le relatif succès de ses livres comporte quelque chose d'inquiétant quant à l'état intellectuel de la partie de la population qui les achète.

 

Aux yeux des autres (ceux qui ne lisent pas ça), j'espère que ce bref aperçu sur la panade que constitue la prose de la dame rend superflu une analyse en détail. Chacun peut percevoir l'état pathétique de ce que des esprits aveuglés, stipendiés ou pervers n'hésitent pas à appeler une entreprise littéraire innovante. Tout juste bonne, l'entreprise littéraire innovante, à finir dans une poubelle du musée de l'Art Brut (vous savez, cette PME spécialisée dans le recyclage des déchets de l'Art).

 

Houellebecq, Angot ne l'aime pas. On commence à comprendre pourquoi. Elle le dit, et ça m'a tout l'air d'être viscéral. Alors là, je dis non : « Touche pas à mon Houellebecq ! ». Remarque, je dis ça pour pasticher, parce qu'il se défend très bien tout seul, celui qui vient de perdre son ami Bernard Maris. Bel élan d’humanité, belle élégance du geste, soit dit en passant, de la dénommée Christine Angot en direction de l’équipe de Charlie Hebdo, que de s'en prendre à un livre que le dit Bernard Maris venait d'encenser dans l'hebdomadaire, dans son tout dernier article.

 

Quoi, toute une belle page du « journal de référence » ! Et pour dégoiser quel genre de gandoises, s’il vous plaît ? Remarquez qu’on pouvait s’y attendre : la démonstration lumineuse que Christine Angot n’a rien compris.  Houellebecq, elle n’y entrave que pouic. Rien de rien. J’ajoute que par-dessus le marché, elle n’a sans doute aucune idée de ce qu'est la chose littéraire. Bon, elle n’est pas la seule à sortir des sottises au sujet de « l’écrivain controversé ». Dans le genre gognandises savantes, j’ai entendu de belles pommes tomber aussi de la bouche poirière d’un certain Eric Fassin. J’en ai parlé.

 

Et puis Houellebecq n’est pas le seul à subir les foudres féminines. Il n’y a pas si longtemps (2012), l’excellent Richard Millet s’est fait dégommer par la très oubliable Annie Ernaux qui, dans une tribune parue dans Le Monde (tiens tiens !), traitait l’auteur de « fasciste ». Rien de moins. Il faut dire que le cousin n’y allait pas de main morte : faire l’éloge "littéraire" d’Anders Breivik, auteur d’une tuerie en Norvège, était pour le moins une prise de risque.

 

Certaines femmes n’aiment vraiment pas les mots de certains hommes ! Elles sont les modernes Fouquier-Tinville. C'est sûrement un hasard : Millet, Houellebecq, Philippe Muray en son temps, vous ne trouvez pas que ça commence à dessiner un profil ? Comme si des rôles étaient en train de se distribuer. D'un côté, tous ceux (en l'occurrence toutes celles) qui lancent des fatwas. De l'autre, ... c'est facile à deviner. Gare la suite !

 

C’est dans un jardin public de Tarbes que Jean Paulhan trouva l’idée d’un de ses titres (Les Fleurs de Tarbes), parce qu’il avait lu cette inscription à l’entrée : « Il est interdit d’entrer dans le jardin avec des fleurs à la main » (si je me souviens bien). Le sous-titre était plus explicite : « La Terreur dans les Lettres ». La Terreur, il n'y a pas seulement celle de fanatiques qui répandent le sang pour la gloire d’Allah (ou d'Akbar, je n’ai pas bien compris de qui il s’agit, peut-être deux frangins ?), il y a aussi celle de fanatiques socio-culturels, bien décidés à imposer dans les esprits leur propre conception de l'art, de la littérature et de la vie en société. A faire régner leur ordre.

 

Après la Terreur de la vérité maoïste imposée en son temps par Tel Quel et Philippe Sollers (dont Simon Leys a fait amplement et durablement les frais), la Terreur des impératifs moraux selon les Papesses Jeanne des Lettres françaises actuelles, Annie Ernaux et Christine Angot. Les temps changent, la Terreur reste.

 

Nous sommes pris entre celle que font régner les modernes Fouquier-Tinville et celle que lancent des imams (quand ce ne sont pas des ayatollahs). Sale temps pour la culture et la vie de l'esprit. Il y aura toujours des braves gens pour tirer la chevillette pour faire choir la bobinette de la guillotine morale sur le cou des créateurs de littérature. Virtuel, le cou, heureusement. Tant que ce ne sont pas des balles islamistes qui le coupent ...

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 25 janvier 2015

CHRISTINE ANGOT A LA HAINE 1/?

Quelqu’un qui se fait appeler Scarlett a laissé un commentaire ici même il y a quelques jours. Pour résumer, elle me traitait de « patate ». Je me suis dit aussitôt que le mot n’était guère aimable à l’égard du tubercule (famille des solanacées, à laquelle appartiennent, entre autres, le tabac, le datura et l’aubergine) : je suis bien moins appétissant dans l’assiette. Je réussis cependant assez bien le gratin « dauphinois » (les guillemets à cause du gruyère, il paraît que c’est hétérodoxe).

 

La moutarde est montée au nez de la charmante personne en lisant les propos dont je gratifiais une de ses idoles, en la personne de Christine Angot. Pas même la personne : le personnage qui se présente comme écrivain. J’admets que les mots pouvaient être interprétés de façon désobligeante. Je comparais en effet cet « écrivain » à un fruit qui se serait trompé d’arbre. Tout ça pour dire que la littérature sortie de la plume de la dame n’est pas précisément « ma tasse de thé ». Et après tout, la liberté d’opinion n’est pas un vain mot. J’espère.

 

LASCH CHRISTOPHER CULTURE NARCISSISME.jpgJe suis d’ailleurs effaré de l’écho rencontré par les livres de la dame : faut-il que la magistrale analyse proposée par Christopher Lasch ait été prémonitoire. Pensez que son génial La Culture du narcissisme (Climats, 2000, préface de Jean-Claude Michéa) a été publié en 1979 aux Etats-Unis. A croire que Lasch avait anticipé dès cette époque la mise en devanture des livres de madame Christine Angot.

 

Il a même intitulé le premier chapitre de son livre « L’invasion de la société par le moi ». Ce titre, ça fait un peu "pan dans la gueule" : la peste soit du moi, en vérité, si c'est pour tomber dans la bouillasse et la platitude la plus triviale. En gros et pour aller vite, il pensait que cette invasion n’était pas de très bon augure (c'est le moins qu'on puisse dire) pour un diagnostic sur l’état moral, culturel et psychologique futur de la civilisation en général et en particulier de nos sociétés américanisées.

 

En France, il se passe en littérature contemporaine ce qui s'est passé ailleurs : en musique, décrétons que tous les sons possibles et imaginables, bruits compris, sont musicaux. En arts plastiques, décrétons que tout le réel est artistique. En littérature, Angot illustre à merveille la tendance : décrétons que tout le déroulement de la vie quotidienne d'un individu lambda (raconté, s'il vous plaît, par un auteur qui porte le même nom que le narrateur) est littéraire. En l'occurrence, cela donne, avec Christine Angot, des conversations de dames pipi.

 

Je ne veux pas savoir qui a eu l'idée foireuse d'ériger ça, très pompeusement, en « autofiction ». Foireuse, l'idée : « ... comme dict le proverbe : "A cul de foyrard toujours abonde merde"» (Gargantua, IX).

 

Mais ce n’est pas cette « littérature » vantée par Angot (involutive dans sa platitude jusqu’à la saturation de l’exaspération)  qui m’occupe ici, bien que l’auteur ait quelques peccadilles à se reprocher. « Peccadilles » est même inscrit dans son casier judiciaire, depuis sa condamnation pénale (à deux reprises) pour s’être acharnée à faire des livres de vautour en pillant, vampirisant et s’appropriant la vie privée d'une dame qui a eu le malheur d'être l' « ex-femme de son nouveau compagnon » (dixit l’encyclopédie en ligne). Sans que la moindre question morale lui effleure la conscience. George Orwell appelait ce sens moral la « common decency ». Jean-Claude Michéa traduit la formule par "décence ordinaire". Mais Christine Angot a d'autres chats à fouetter.

 

Si elle s’était contentée de continuer à éplucher ses patates (voir plus haut), je l’aurais laissée dans sa cuisine. Mais voilà, elle ne s'est pas contentée. Voilà qu'elle se mêle de littérature. Voilà qu'elle se pose en juge. Voilà qu'elle décrète ce qui est littéraire et ce qui ne l'est pas. Tout ça parce qu'elle ne peut pas encadrer les romans de Michel Houellebecq. Et dans Le Monde, s'il vous plaît. Elle n'aurait pas dû. Et pour faire bonne mesure, Le Monde (des livres, 16 janvier) fait figurer le libelle de Christine Angot dans un dossier intitulé "Ecrivains contre la terreur". Je trouve la plaisanterie de très mauvais goût.

 

Je vais encore me faire traiter de sale macho sexiste. Patriarcal. Réactionnaire. Archaïque. Bourré de stéréotypes. J'assume d'avance. Tiens, dites-moi de qui est ce vers : « Je fume au nez des dieux de fines cigarettes ». Gogol vous donne la réponse en 0,28 seconde. A condition de connaître le vers en question.

 

« Au nez des dieux », j'insiste.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

samedi, 24 janvier 2015

WILLEM, CHARLIE ET LES ECOLOGISTES

Je me refuse à parler de "liberté d'expression", de "provocation", de "blasphème", d' "offense à Mahomet", qui sont des formules toutes faites plus ou moins vidées de leur substance : je voudrais que tout le monde admette une fois pour toutes que chaque citoyen français

 

A LE DROIT DE SE MOQUER DE TOUT.

 

NULLE OPINION NE DOIT CONSTITUER UN DELIT. 

 

Et ce droit est sans limite : l'univers des mots n'a jamais fait et ne fera jamais couler le sang. Cessons de confondre le monde du langage (l'arbitraire du signe, Saussure, signifiant/signifié, tout ça) et le monde de la réalité matérielle (pour Saussure le "référent" : le signifié, disons, pour faire clair, le mot "chien" n'a jamais mordu aucun facteur).

 

Il est honteux d'assimiler quelque parole que ce soit (fût-ce l'incitation à la haine raciale) à un acte, fût-il "en puissance". Le vrai démocrate érige une muraille infranchissable entre, d'une part, le verbe, et d'autre part, la croyance au verbe. Entre la Lettre et l'Esprit de la Lettre. Le vrai démocrate met la Lettre à distance. Il la soumet à examen. 

 

Il est démocratiquement très inquiétant que, sous couvert de respect et de tolérance (et puis quoi, encore ?), des gens par ailleurs instruits confondent la mot avec la chose. Il devrait être interdit d'interdire de prononcer certains mots par crainte de voir certaines choses se produire réellement. Pantagruel le dit à Panurge (Tiers Livre, XX) : « Si les signes vous faschent, ô quant vous fascheront les choses signifiées ».

 

A elle toute seule, la croyance que le mot porte intacte, dans le sens que lui accorde un pauvre dictionnaire particulier et partisan, la VÉRITÉ pure et sans tache, cette croyance est porteuse de mort. Restons vivants : enseignons la polysémie aux affolés dangereux qui restent prosternés au pied de la Lettre.

 

La pénalisation de quelque parole que ce soit, l'interdiction de quelque opinion que ce soit, la condamnation de l'auteur de quelque déclaration que ce soit sont des insultes à la démocratie. Une saloperie pourvoyeuse de haine. Supprimons le délit d'opinion du Code Pénal.

 

 

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Willem doit être un peu asocial : cette infirmité lui a sauvé la vie. Il déteste en effet les conférences de rédaction. Il aurait dû théoriquement se trouver avec les autres. Je ne sais pas quel est aujourd’hui son état d’esprit. Quels sont ses états d’âme (s’il en a une, ce dont il n’est sans doute pas persuadé). Comment il pense à ses copains disparus. Willem est le dernier survivant des "anciens". Aussi précieux désormais qu'un monument historique.

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En révisant mes vieux Charlie Hebdo, je suis tombé sur cette page parue le 3 juillet 1972 (n°85). Et je trouve épatant et incroyable que, dans la même revue, aient pu écrire et dessiner des gens aussi dissemblables et opposés que ce Hollandais qui estropie le français dans la joie et la bonne humeur, et des gens comme Cabu, cet écolo précoce, et Pierre Fournier, l’oublié, tué il y a bien longtemps par le surmenage imposé par la gestion du destin de La Gueule ouverte. Un intransigeant de l’écologie, lui.

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C’est peut-être à Fournier que Willem répondait dans la page que j’essaie de restituer ici, découpée tant bien que mal pour les besoins de la cause. On a compris : l’écologie, ce n’est carrément pas son truc.

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Mais le plus génial dans cette page, selon moi, sous le coup de griffe caricatural donné aux purs et durs de la nature, c’est tout de même la prophétie qu’elle contient.

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Car pensez-y, les débats sur le réchauffement climatique tournent autour de quoi, en définitive ? Rien d’autre que l’avance des pays développés sur les pays en développement, en termes de progrès technique et de confort matériel. Ou alors l'inverse : le retard de ceux-ci sur ceux-là.

 

Enfin ça, c'est la phraséologie officielle, surtout chez les tiers-mondistes et autres O-N-G-istes soucieux de « porter secours aux déshérités de la planète ». Je précise que je n'ai rien contre les déshérités de la planète. J'ai juste envie de vivre ma vie le mieux possible. Mon égoïsme foncier n'est pas pire que celui des milliards d'autres humains.

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« Dans dix ans nous aurons te dépassé », dit le personnage. Dix non,  quarante, c'est sûr.

Suivez mon raisonnement, il sera simple. Les pays pauvres veulent du développement pour rejoindre les pays déjà développés. Donc ils veulent de la croissance économique.

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Donc les pays pauvres veulent de l’énergie pour faire marcher des industries et pour produire et vendre des biens. Pour s'enrichir et améliorer leur sort.

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Donc les pays pauvres veulent du réchauffement climatique. Puisque l'énergie pour faire marcher des industries, c'est précisément ce qui a produit le réchauffement climatique. C’est mathématique.

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Le pire, c’est qu’au nom de la justice et de l’égalité, ils y ont droit. Nous ne pouvons pas leur refuser, si nous croyons que notre façon de faire est un modèle. Nous sommes coincés. L'humanité est dans la nasse.

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C’est rassurant : quand tous les pays du monde seront développés, le monde sera mort. Bon, c’est vrai, Willem se trompe dans sa conclusion : les anciens pays pauvres seront aussi morts que les riches.

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La marque de la voiture rappellera quelque chose à certains. Nul doute qu'ils seront sensibles à l'ironie de Willem. Peut-être même que ça les amusera.

Mais si cette page de 1972 n’explique pas tout, elle explique un peu du monde tel qu’il se présente aujourd’hui à nos yeux émerveillés et terrifiés. Bon courage aux négociateurs de Paris-Climat-2015, la conférence qui doit avoir lieu en décembre prochain..

 

Bon courage à l'humanité.

 

Voilà ce que je dis moi.

vendredi, 23 janvier 2015

CABU, CHARLIE ET JACQUES CHANCEL

Cabu aura au moins eu une satisfaction avant d’être assassiné : Jacques Chancel a disparu de la circulation le 23 décembre. Pendant quinze jours, cette idée lui a peut-être paru plaisante et tenu compagnie. Oh c’est vrai qu'il n'était pas méchant. Bien sûr, il avait le trait féroce, mais il n'était pas du genre à s'en prendre à la personne dont il combattait le personnage public. Peut-être la mort de Chancel lui a-t-elle remis en mémoire une page qu'il avait consacrée il y a bien longtemps à l'unanimement célébré défunt. En tout cas, voici le compte rendu qu’il faisait de l’émission « Radioscopie » du 21 juin 1972 dans le Charlie Hebdo du 10 juillet suivant.

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Manouche semble préfigurer la présence picoleuse de Charles Bukowski sur le plateau d'Apostrophes de Bernard Pivot. Ce qui saute à la figure, le moins qu’on puisse dire, c’est que Cabu n’aimait pas celui qu’il appelait « monsieur l’archiprêtre Chancel ».

 

Peut-être à cause de l’onctuosité ecclésiastique du personnage qu'il s'était composé. Peut-être à cause du patelin du ton de moine hypocrite dont il ne se départait jamais.

 

C'est assez fort frappé, je trouve.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : j'ai essayé de limiter les dégâts dans la reproduction de la page : la liberté selon Cabu (mais aussi, Wolinski, Reiser, Willem, Gébé, ...) s'exerçait aussi dans la disposition de ses croquis. Et le format de Charlie Hebdo n'avait pas grand-chose à voir avec le 21x29,7 du scanner. Désolé. J'espère que ça reste néanmoins un peu lisible.  

 

jeudi, 22 janvier 2015

ROBERTO SAVIANO ET CHARLIE

 

JE SUIS CHARLIE 11 JANVIER 2015.jpg

C'était à Lyon le 11 janvier. Pas une manif. Pas de banderoles. Pas de slogans. Pas de cris. Je n'ai jamais vu ça. Je ne savais pas que c'était possible.

 

Très bonne tribune de Roberto Saviano (Gomorra, Extra pure) dans Libération du 21 janvier. L’auteur sait ce que veut dire vivre sous protection policière depuis qu’il y a un « contrat » sur sa tête à cause de son bouquin sur la Camorra (Campanie, Naples, …), qui révélait les grosses turpitudes de cette mafia napolitaine. Titre de la tribune : « Rendez-vous au prochain attentat ». C’est sûr que la mort de Cabu, Wolinski et les autres, ça a dû lui donner du souci.

 

Il doit se dire que la présence policière n’empêchera rien face à un commando organisé, entraîné militairement et déterminé. Il n’a pas tort : quand la routine de cette présence finit par laisser la confiance revenir, on ne s’attend pas à ce qu’il se passe quoi que ce soit. On n’y croit pas. La preuve ? Sigolène Vinson, la chroniqueuse judiciaire de Charlie, l’explique très bien dans Le Monde daté 14 janvier. Elle était là, le 7 janvier. Elle a vu Franck Brinsolaro faire un geste de la main vers l’étui de son arme de service. Son signal d’alarme cérébral a eu à peine le temps de se déclencher. Trop tard. Sa méfiance était en sommeil. Kouachi ne lui a laissé aucune chance.

 

Je retiens juste ce passage de Saviano : « J’ai été frappé par cette phrase prophétique de Charb : "Je n’ai pas peur des représailles. Je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux." On dirait la profession de foi d’un moine soldat, d’un volontaire au combat, quelqu’un qui sait que chacun de ses choix peut coûter cher à ceux qui l’entourent. Charb était dessinateur, il dirigeait Charlie Hebdo, mais ses paroles sont celles d’un homme qui part au front, d’un médecin en mission en plein cœur de l’épidémie ».

 

Je me dis amèrement que si telle était bien la mentalité qui habitait l’équipe de Charlie sous la direction de Charb, je m’étonne moins de la montée de la haine contre lui dans le monde. A sa manière, il faisait le djihad. Autant je me sentais proche de Charlie Hebdo quand il était fait par des allumés géniaux, par des artistes plus-ou-moins-anars qui savaient avec art se moquer de tout, par des amoureux de la vie et de l’amour, par des rêveurs impénitents d'une société mieux faite, autant je me sens loin de tous les raseurs-nuisibles-qui-ont-une-cause-à-défendre. Très loin, en particulier, d'un type qui se fait un étendard de n'avoir ni gosses, ni femme, ni voiture. Mais bon, paix à ses cendres.

 

Pour le crédit, je suis prêt à lui faire crédit : tous ceux que leur banque tient en laisse ne peuvent que souhaiter la mort de leur créancier, sans sépulture ni héritier. Pour ce qui est des raseurs nuisibles, je voulais parler, évidemment, des MILITANTS, ces militaires sans uniforme qui agitent des drapeaux au-dessus de leur tête. Un drapeau, c'est déjà un uniforme.

 

Le vieux Charlie Hebdo ne portait pas d’uniforme, ne brandissait aucun drapeau. Fournier, l'écologiste de La Gueule ouverte et de Charlie avait demandé à tous les gens qui se pressaient à ses manifs de confectionner des drapeaux de toutes sortes et de toutes couleurs. A seule fin que nul drapeau dûment répertorié (tricolore, rouge, noir, rouge et noir, etc.) ne prît le dessus pour s'accaparer le bénéfice de l'événement.

 

Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Delfeil de Ton, Choron, Cavanna, Siné, aucun de la bande n’avait envie de jouer au « moine soldat ». Chacun avait sa vie à nourrir et à vivre. Et ils la gagnaient en faisant partager le regard qu’ils portaient sur le monde, la société. En se marrant, en s’engueulant, en picolant (pas tous).

 

La peste soit des militants qui se sont mis au service exclusif d'une cause. La peste soit des causes à défendre. Dans le Timbuktu de Abderrahmane Sissako (Cavanna disait : je l'ai pas lu, je l'ai pas vu, mais j'en ai entendu causer), le vieil imam est seul dans le vrai, qui a mené le « djihad » en priorité sur lui-même, quand les jeunes exaltés, totalement ignorants, bornés et incultes, coupent des mains, détruisent des sanctuaires, brûlent des manuscrits anciens. 

 

Qu'est-ce qu'un monde qui oblige les braves gens à se muer en défenseurs de causes ? Une cause à défendre ? Mais elles se bousculent au portillon, elles se marchent sur les pieds, tellement elles sont nombreuses, et se livrent une concurrence acharnée pour capter les créneaux médiatiques disponibles (pour « sensibiliser et alerter les consciences ») et les ressources qui en découleront.

 

Qui est capable de voir un peu clair dans le maquis emberlificoté des causes à défendre ? Et que veut dire l'empressement des foules à expulser de leurs préoccupations l'énorme masse des causes à défendre, pour en élire une seule et unique, selon l'arbitraire de leur bon plaisir,  à laquelle elles se dévouent corps et âme, jetant ainsi toutes les autres à la poubelle ? 

 

Je ne vais pas en faire la liste : on en aurait jusqu'à demain.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mercredi, 21 janvier 2015

WOLINSKI SUITE

Une pensée aujourd'hui pour les régicides du 15 janvier 1793. Et puis ne soyons pas chien : une pensée aussi pour Louis Capet, monté à l'échafaud le 21 janvier suivant.

Oui, une pensée pour la période de l'histoire de France qui a installé durablement la coupure.

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Wolinski en 1970. C'est après l'interdiction d'Hara Kiri Hebdo sur ordre de Raymond Marcellin que s'instaure ce débat confus (et tellement daté) sur la confusion entre "politique" et "pornographique". J'ai oublié les détails. Wolinski ne pouvait pas louper ça. Aujourd'hui, j'ai l'impression que plus rien n'est politique. Et que le pornographique est devenu la normalité.

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Cette série de six dessins est tirée de la page 2 du n°2 de Charlie Hebdo, paru le lundi 30 novembre 1970. On me dira ce qu'on voudra, bien sûr, c'est dessiné à la va-vite et à la diable, mais il y a du génial là-dedans.

Wolinski avait fait paraître la bande ci-dessous, sans doute en 2006, suite à l'incendie des locaux de Charlie Hebdo (déjà un attentat !). Je n'ai ni la date, ni le support. Je profite de ce que Le Monde (daté 9 janvier) l'a republiée. Toute la "philosophie" de Wolinski est là, je crois.

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Voilà ce que je dis, moi.

 

mardi, 20 janvier 2015

HOUELLEBECQ PAR BERNARD MARIS

J’ai raconté ici les impressions de lecture que m’a procurées Soumission de Michel Houellebecq (16 janvier). J’ai trouvé ce livre formidable. Je ne suis pas le seul. Il se trouve que le dernier article de Bernard Maris publié dans Charlie Hebdo avant sa mort était sur le bouquin. Il en disait grand bien.

On me dira que oui, un ami, personne n'en dirait du mal. Peut-être. Mais il se trouve que les semelles des chaussures d'Oncle Bernard laissent sur le sol les mêmes traces que ma propre lecture. Ça ne pouvait pas mieux. J’ai trouvé le texte sur un site de l’Internet (je n'ai évidemment pas pu trouver en kiosque le numéro avec Houellebecq en couverture, le numéro fatidique). Voici ce qu'y écrivait Bernard Maris : 

« La conversion de Michel.

Hollande achève deux mandats catastrophiques. Le parti de la Fraternité musulmane émerge, côte à côte avec le PS, et le FN va l’emporter. Le PS fait alliance avec la Fraternité musulmane, l’UDI et l’UMP pour faire barrage au FN. Mohamed Ben Abbes devient président de la République, et Bayrou Premier ministre. Mais le PS abandonne à la Fraternité musulmane le ministère qui lui revient de droit, l’Education nationale. Ben Abbes propose une charia modérée, doucement réactionnaire, avec un retour à la famille et à la femme au foyer, et une privatisation de l’enseignement qui convient tout à fait à tout le monde.

Il offre aussi une incroyable vision d’avenir : l’Empire romain ! Le limes, de la Bretagne au désert du Sahara, en passant par l’Italie, la Turquie, la Grèce et l’Espagne. Ben Abbes en Auguste ou Marc Aurèle (en futur président d’une Europe élargie à la mare nostrum). En France, le chômage s’effondre, la violence aussi. Les catholiques sont choyés. On attend paisiblement les conversions. Elles arrivent, et d’abord dans l’Université, particulièrement arrosée en termes d’argent … et où la polygamie se développe. Sous l’impulsion de Ben Abbes, les pays arabes francophones plus l’Egypte et le Liban adhèrent à l’Europe, et l’équilibre linguistique européen se déplace en faveur de la France. La France est à nouveau grande. La nouvelle Pax Romana règne. Fin de la fable.

C’est un pur chef-d’oeuvre houellebecquien, c’est-à-dire :

1) une projection futuriste extraordinaire et crédible, comme dans tous les romans précédents. Elle est doublée d’une question politique majeure : l’identité, la patrie, la nation (« née à Valmy, morte à Verdun ») peuvent-elles exister sans transcendance ? Non. Il faut la Vierge pour Péguy, l’Etre suprême pour Robespierre, ou Dieu pour Ben Abbes, qui veut redonner à la France l’âme qu’elle eut pendant mille deux cents ans, de Clovis aux Lumières.

2) Un personnage principal détruit, désemparé, dépressif, malheureux en amour par son incapacité à retenir une femme, mais qui renaît dans le pari d’une conversion raisonnée, une conversion pascalienne, associée à un mariage de raison. Car, thème éternel houellebecquien, tout homme peut être sauvé par l’amour (ainsi, le père du héros). Le nôtre, trop égoïste, trop occidental et bien incapable de trouver l’amour par lui-même, le croisera par des marieuses. La polygamie lui fournira les jeunettes pour le sexe et la quadra pour la cuisine.

3) Enfin, un style désormais parfait, de nombreuses digressions philosophiques – comme toujours – et un humour digne du maître omniprésent dans le roman (Huysmans ; on comprend a posteriori où Houellebecq a puisé son style et son humour).

Et la misogynie, le machisme ? Aucune importance, c’est un roman, pas plus machiste que Bel-Ami, plutôt moins. Et la raillerie implicite de l’islam ? Elle n’existe pas. « L’islam accepte le monde tel quel » : toute la différence avec le catholicisme, qui ne peut qu’engendrer frustration perpétuelle. Encore un magnifique roman. Encore un coup de maître.

Bernard Maris. »

 

C'est éminemment subjectif (quoique ...), ce n'est pas une analyse, c'est encore moins une exégèse, et nous n’avons pas le même argumentaire, Maris et moi. Mais la conclusion est la même : on ne peut prétendre comprendre l’époque actuelle si l’on n’a pas lu les romans de Michel Houellebecq. Désolé, oncle Bernard, pour l'économie, j'ai plus de mal. Et sincèrement désolé, Christine Angot, contrairement à ce que vous dites, c'est toujours le moment de chroniquer Houellebecq. Et maintenant plus que jamais.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

Note : je signale que, à mon grand étonnement et contre toute attente, les « critiques littéraires » du Masque et la Plume ont tous volé au secours du soldat Houellebecq, le dimanche 18, assommé sous les bombes aussi bien de la réalité que du déchaînement de haine provoqué par son livre chez les tenants du chaos intellectuel et de la morale-consensuelle-envers-et-contre-tout (certains n'allant pas tout à fait mais presque jusqu'à lui faire endosser la responsabilité morale de la tuerie de Charlie Hebdo). Grâces soient donc rendues au Masque et à la Plume. Mais attention, une fois ne fait pas une coutume.

 

Les stipendiés de l'édition sous toutes ses formes se sont apparemment résignés à reconnaître que Houellebecq aujourd'hui écrase de toute la hauteur de sa classe balzacienne le marigot littéraire français, où quelques batraciens scribouilleurs s'époumonent à faire prendre leurs coassements pour des meuglements. Certains « bons esprits » vont même (ou font semblant) jusqu'à croire qu'ils font œuvre de littérature. Mais cette fois, la « critique » autorisée s'empresse  au secours de la victoire. On aura tout vu. Que les grenouilles gonflées d'orgueil fassent cependant attention : « La chétive pécore s'enfla si bien qu'elle creva ».

lundi, 19 janvier 2015

POUR WOLINSKI, ORATEUR PAR ECRIT

CABU, WOLINSKI, REISER ET LES AUTRES (3)

 

WOLINSKI, LE SCEPTICISME ÉCLAIRÉ

 

Non, je l'ai dit ici même (le 9 janvier), je ne suis pas Charlie. Je ne suis pas Cabu, ni Wolinski, ni aucun des autres. En dehors du deuil que je ressens après leur mort, je crois en revanche que ces meurtres, accomplis avec quel sang froid ..., sont d'une gravité sans précédent pour la France en tant que nation.

 

Et je penserais de même si je me disais qu'après tout, la disparition de la revue médiocre et basse de plafond qu'était devenu Charlie Hebdo ne serait pas un si grand drame. Raison de plus pour poursuivre la comparaison avec son vieux père, lui aussi hebdo, lui aussi Charlie, celui qui a défunté en 1981 faute de lecteurs.

 

Cabu, donc, a été assassiné. Wolinski a été assassiné. Je n’en reviens pas. Pour Wolinski en particulier, je crois qu’il serait resté incrédule si une voyante ou une diseuse de bonne aventure lui avait prédit qu’il mourrait pour ses idées, lui qui a publié aussi bien dans L’Humanité que dans Paris Match,

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sans compter les innombrables collaborations, ponctuelles ou durables.

 

Des idées, vraiment ? Georges Brassens le dit : « Mourir pour des idées, L'idée est excellente. Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue ». Wolinski, au fond, regardait avec un recul et un scepticisme certains les affrontements proprement politiques.

 

Wolinski avait un cœur politique d'artichaut : il donnait une feuille dessinée à tout le monde (il devait connaître la chanson de Tonton Georges "Embrasse-les tous"). 

 

Et s'il avait des idées, il n'a sûrement jamais eu celle de mourir pour elles. Avait-il seulement des convictions ? Certainement et je n'en doute pas, au moins pour ce qui est de vivre joyeusement et entouré de jolies femmes. Pour les idées politiques, j'en doute avec force. Je peux me tromper : je ne le connaissais pas personnellement.

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Pour les collaborations, je me garde bien de mettre  Charlie Hebdo dans le même sac. On ne peut pas faire de Wolinski un simple collaborateur de Charlie Hebdo. Il a fait partie en effet de la grande équipe de Hara Kiri dès 1960 ; il a succédé à Gébé à la direction de Charlie, le fabuleux mensuel de bandes dessinées auquel il a donné une aura de gloire qui en fait un objet de collection bien connu des amateurs ;

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il a pris en charge Charlie Hebdo première manière (1970-1981) après la mort de De Gaulle et l’interruption brutale de l’hebdo Hara Kiri. Bref, c’est un pilier de la boutique qui a dû être bien étonné de mourir sous les balles de fanatiques.

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Mettons-nous d’accord, pour commencer : on me dira ce qu’on voudra, mais si Wolinski dessine, ce n’est certainement pas un dessinateur. Attention : ça ne l’empêche pas d’avoir un style de trait qui le rend immédiatement reconnaissable. Son truc à lui (comme à Cabu et Reiser), c’est d’être efficace.

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Ce qui compte, c’est l’effet produit. Et Wolinski, avec les moyens graphiques qui sont les siens, parvient avec une aisance stupéfiante à son but. Comment ? Il ne s'encombre d'aucun accessoire inutile. Il va droit à son but : le propos qu'il veut tenir. Son économie de moyens ne l’empêche pas d’obtenir une étonnante expressivité et de mettre dans ses schémas de personnages assez de signes distinctifs pour les caractériser.

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Est-ce qu'elle n'est pas géniale, cette formule ?

Son art à lui tient à autre chose que la virtuosité du trait. Wolinski, en dehors d’être l’érotomane accompli que tout le monde connaît, quand il ne fait pas l’éloge du cul des Cubaines, je veux dire quand il travaille pour un journal, il devient un très grand inventeur de situations.

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Wolinski est avant tout un maître de logique. Les raisonnements qu’il élabore autour des questions les plus diverses sont des enchaînements irrésistibles de propositions successives, qui aboutissent invariablement à des conclusions au moins paradoxales, souvent loufoques et pleines de bon sens. Quand on arrive au bout, on se pose la question, ahuri et stupéfait : « Mais comment a-t-il fait pour arriver là ? ».

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Du temps où j’achetais assidûment Charlie Hebdo, j’aimais énormément la page ou la colonne où il mettait face à face deux personnages assis devant un verre. Tout se passait dans les bulles.

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L’art de Wolinski, c’est d’abord des petits bijoux de textes ouvragés et découpés par un orfèvre en matière de raisonnement. Il élabore des suites de propositions qu’il raboute l’une à l’autre de manière que l’enchaînement paraisse évident, et en bout de course, il vous pulvérise une cible inattendue. Vous n’avez pas vu venir. Et là, vous dites : « Chapeau ! ».

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C’est ça que je retiens de Wolinski : son génie du discours construit, rationnel et raisonnable, mis au service de la mise à distance de tout ce qui est idéologie, doctrine, système ou théorie (les « – ismes »).

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La vie, l’amour, les femmes : ma foi, ce credo vaut tous les autres. Wolinski aurait pu être pataphysicien. Il l’était sûrement (tout le monde l’est). Peut-être même faisait-il partie de la toute petite élite des « pataphysiciens conscients ». 

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Si ce n’est pas le cas, nul doute qu’il eût mérité d'être « élevé à la dignité » de Transcendant Satrape. A ne confondre en aucun cas, comme chacun est invité à le savoir, avec la fonction de Vice Curateur. Encore moins avec celle de Curateur Inamovible.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : cette série de Wolinski, c'est la page 2 du Charlie Hebdo n°90 du lundi 7 août 1972. La "Une" est de Reiser.

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dimanche, 18 janvier 2015

POUR REISER, HOMME LIBRE

CABU, WOLINSKI, REISER ET LES AUTRES (2)

 

REISER, LE DROIT DE SE MOQUER DE TOUT

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11 novembre 1976

 

 

Je crains que les mots « liberté d’expression » ou « laïcité » soient devenus de simples déguisements dans la bouche de ces hauts-parleurs médiatiques que sont les responsables politiques, en tête desquels on trouve deux présidents de la République, l’ancien et le nouveau-eau-eau : Nicolas Sarkozy et François Hollande.

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27 janvier 1975

J’avoue que voir Balladur défiler pour Cabu à Paris le 11 janvier m’a fait un effet pathétique. Vraiment, le monsieur est d’une magnanimité, d’une générosité à couper le souffle. Effacer, pardonner ainsi les centaines de dessins où Cabu l’a croqué en Louis XV perruqué, au port de tête majestueux, à l’attitude toute de raideur et de dédain, voituré dans sa chaise à porteur par des larbins endimanchés. Votre Majesté est trop bonne, vraiment !

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C’est que, pour Charlie Hebdo, la pratique de la liberté d’expression reposait sur un socle unique : le droit de se moquer de tout et de tous. D’égratigner l’image de tous ceux qui se prennent au sérieux. Ou qui se sont rendus odieux. Pour ça, je crois que Reiser reste encore sans égal. Le plus féroce, c’était lui. 

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Ce qui ne veut pas dire que Cabu hésitait à forcer le trait et à y aller de sa vacherie. Il avait un sens aigu de la dérision. Mais sa méchanceté ne franchissait jamais une ligne invisible. J’appellerais ça, volontiers, une forme de pudeur.

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Reiser, lui, fonçait. Pas de ligne invisible. Il dessinait des bites, des chattes, des trous du cul, au repos, en action, dans toutes sortes de positions. Des féministes ridicules, des hippies grotesques, des homosexuels, des musulmans, tout y passait. Là où Cabu semblait retenir son trait, reculait devant ce que tout le monde appelle la « vulgarité », Reiser lâchait la bride à sa monture. Il la laissait, comme on dit, « s’emballer », avec délectation. Reiser se permettait de se moquer de tout. Non sans une certaine tendresse parfois, mais se moquer. Et se moquer vraiment de tout.

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Maintenant, qu’est-ce qui différencie les deux compères de la génération suivante de Charlie, les Charb, Luz, Riss ? Du Charlie de Philippe Val, vous savez, l’arriviste qui, ayant goûté au pouvoir, s’est dit que oui, somme toute, le néo-ultra-libéralisme n’avait décidément pas que des mauvais côtés ?

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Et pourquoi ai-je un jour cessé d’acheter Charlie Hebdo ? Il me semble que c’est parce que les grands anciens (Gébé, Reiser, Cabu, Wolinski, Cavanna, Delfeil de Ton et même Siné), ne se contentaient pas de mordre et de s’opposer. Ils avaient, comment dire, le « trait existentiel ». Ils portaient une idée, celle de la société dans laquelle ils auraient aimé vivre. 

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La « pensée » de leurs dessins émanait d’une analyse et d’un regard sur le monde qui avaient une profondeur. Ils véhiculaient une utopie, si vous voulez (« stop-crève » pour ceux qui se rappellent Cavanna, pour Reiser l’énergie solaire dans une société plus ou moins libertaire, l'an 01 pour Gébé, etc.). Je me demande si ce n’est pas ça précisément qui manquait au dernier Charlie Hebdo : le souffle et la profondeur d'une pensée véritable. Et l’équipe, même avec Bernard Maris, en restait un peu trop au constat. Et puis franchement, je ne peux m’empêcher de trouver les dessins d’une assez grande médiocrité. Je suis désolé d’oser le dire : Reiser et Cabu, eux, ils avaient du style

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Que voulez-vous, je n’aime certes pas le Front National, mais dessiner sur la double page centrale un étron gigantesque censé représenter Marine Le Pen, je trouve que c’est une analyse pour le moins sommaire, schématique, rudimentaire. C'est finalement très bête. Aussi bête qu'une justice expéditive. On n’évacue pas un problème réel et complexe simplement en tirant la chasse d’eau. Virtuelle, la chasse d'eau, évidemment.

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Pareil avec l’Islam. Au fait, j’ai un aveu à faire : je ne comprends pas la couverture du n°1178, vous savez, le dernier, celui à propos duquel on trouve partout des affichettes portant « Désolé, plus de Charlie ». Je ne comprends pas que tout le monde brandisse comme un trophée un dessin d’une aussi terrible ambiguïté. « Tout est pardonné », je veux bien, mais qui pardonne ? A qui ? Et le barbu enturbanné qui y va d’une petite larme, qui est-ce ? Mahomet, vraiment ? Bon, on va me dire que je cherche la petite bête.

 

Reiser, lui, avait la grossièreté subtile et percutante. Pourquoi a-t-il eu cette idée idiote de mourir de maladie ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

samedi, 17 janvier 2015

TARAF DE HAÏDOUKS

Ils m'ont tué Cabu. Ils n'avaient pas le droit.

 

Pour ne pas trop penser à sa mort, à celle de  Wolinski et des autres, en ce moment, je me shoote à la musique. Une musique de joie et d’énergie, si possible. Le hasard faisant bien les choses cette fois, je suis retombé en triant quelques disques sur un album que je n’avais plus écouté depuis une éternité.

 

A l’époque, le groupe s’appelait « Les lăutari de Clejani ». Clejani est une commune située à proximité de Bucarest, au sud-ouest. En remettant le CD sur la platine, je me suis demandé pourquoi j’avais enterré si longtemps cette musique éclatante de vie. D’un autre côté, je me dis que c’est merveilleux de redécouvrir. Parce que vous avez de nouveau cette incroyable impression de « première fois » qui vous saisit. Cette musique, vous ne l’aviez jamais entendue auparavant. Vous êtes disponible. Tout neuf.

 

Surtout qu’entretemps, (de 1988 à 1991) ils ont changé de nom. Moi, je les connaissais sous le nom de « Taraf de Haïdouks ». En français : orchestre de bandits d’honneur, « haïdouk » désignant un Robin des Bois à la roumaine. Relire à cette occasion Présentation des haïdouks, petit livre mémorable de Panaït Istrati. Ils ont eu leur heure de gloire. Pas d'erreur possible. Et c’est sûr, ce sont les mêmes. Le vieux Nicolae Neacşu, Ion Manole, Ion Fălcaru, d’autres, on les retrouve d’un CD à l’autre. Environ une douzaine, en formations variables suivant les morceaux.

 

J’ai passé grâce à eux des instants magiques, me replongeant dans des ambiances exotiques datant d’avant la chute de Ceaucescu. Du coup, j’ai révisé les trois volumes que je m’étais procurés du temps de la célébrité de ces « haïdouks ». Dans celui de 1994 (« Bandits d’honneur,chevaux magiques et mauvais œil »), j’était littéralement tombé en extase en écoutant la plage 7 (« Cintec de Dragoste şi joc »). C’est une chanson d’amour, paraît-il. Mais quelle envolée, ma parole !

 

C’est étourdissant. Vous les entendrez, les deux compères, ils se relancent l’un l’autre, ils se répondent. Que disent-ils ? Je n'en sais rien, et je m'en fiche. Une « jam session » endiablée, rien d’autre. Ils se laissent aller à l’idée du moment, à la réplique qui fuse. Dans le jazz, on appelle ça l’improvisation. Et attention, ils sont déchaînés. La preuve que c’est excellent, c’est que les producteurs ont laissé les éclats de rire quand le morceau s’arrête. Ils sont tout étonnés d'avoir fait ça, de s'être donnés comme ça, ensemble. Des ambiances comme ça, ça ne se rencontre pas tous les jours, surtout en studio.

 

Le fin du fin, je l’ai trouvé sur Youtube. Un film de 1998 qui dure 44'16". C’est une chance unique, je vous assure. C’est enregistré par des Suisses qui s’y connaissent en sons musicaux et en technique d’enregistrement (c'est quand même en Suisse que Kudelski a inventé le Nagra et que Studer a fondé la marque Revox) : le son est parfait. Je veux dire que chaque instrument est individualisé au moment où il le faut.

 

Le plus formidable dans l’histoire, c’est qu’on les voit de près, chacun à son tour. Le vieux Neacşu qui n’a plus de dents et qui joue et chante « Balada conducatorului » (le Conducator en question s'appelait Ceaucescu) en tirant artistement un crin de cheval sur les cordes de son violon. Le cymbaliste barbu et le bassiste, les deux virtuoses de la « section rythmique ». Les deux accordéonistes qui, à deux minutes de la fin, réussissent à jouer strictement la même ligne mélodique effrénée. Les acrobaties ahurissantes de deux des violonistes, le grassouillet tout placide et l’enthousiaste tout nerf. Les interventions du flûtiste, Fălcaru je crois, avec son air un peu égaré de vagabond des limbes (aucun rapport avec la BD de Ribera et Godard).

 

Un des airs qui me touchent particulièrement est intitulé « Pe deasupra casei mele » (plage 4) : situé tout au centre du concert, il étonne et détonne. Son rythme balancé, ses modulations plus complexes entre couplets et refrain, ses quatre solistes successifs, contrastés et homogènes, ont un grand charme.

 

Je ne me lasse pas de visionner ces images qui me remplissent de joie. Ces musiciens se regardent, s’écoutent, se donnent. On les voit exulter, sérieux ou exubérants. La « Cintec de Dragoste » n’a pas autant d’éclat que la version mentionnée, mais ça déménage quand même.

 


 

Je suis sûr que Cabu aurait adoré.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Les plages : 1 – Turcească ; 2 – Balada conducatorului (à 8’58") ; 3 – Rustem şi suite (à 16’46") ; 4 – Pe deasupra casei mele (à 21’07") ; 5 – Doina, hora şi briu (à 25’16") ; 6 – Cintec de dragoste ca la Roata (à 31’12") ; 7 – Tot Taraful (à 36’38").