samedi, 14 mars 2015
YANNICK HAENEL, C'EST QUOI ?
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J’ai acheté puis lu Je Cherche l’Italie après avoir entendu Yannick Haenel en parler lors d’une interview radiophonique. Tewfik Hakem avait fait un parallèle entre cet ouvrage et l’univers houellebecquien. L’interview avait mis l’accent sur un aspect de la démarche : Haenel est allé vivre à Florence en emmenant femme et enfant, pendant trois ans. L’auteur décrivait la catastrophe dans laquelle la « modernité » économique, personnifiée dans cette verrue obscène qui a nom Berlusconi, avait plongé l’Italie. Le discours attirait mon attention.
A l’entendre, au cours de son séjour, il n’avait pas rencontré d’Italiens : seulement des Sénégalais, qui refusaient de parler le français qu’ils connaissent, et ne s’exprimaient qu’en italien. A l’entendre, son livre était majoritairement consacré au tableau apocalyptique qu’il dressait de l’Etat italien et de sa décomposition, et du sort misérable dans lequel vivaient les dits Sénégalais, exposés aux cruautés des mafias qui les exploitaient et les terrorisaient. C’est cela qui avait motivé mon achat : je m’attendais à lire l’œuvre d’un cousin de Houellebecq, et apprendre des choses sur l’état du monde.
Quelques pages m’ont suffi pour déchanter. Il m’a donc fallu un rien d’obstination pour achever ma lecture : je tenais à ne pas avoir claqué pour rien 17,5 €. Autant rentabiliser. Heureusement, le livre est léger (à peine 200 pages), mais léger à tous les sens du terme. Futile comme un fétu qui fuit au vent mauvais qui l'emporte, pareil à la feuille morte. En un mot : un livre inutile. La parenté supposée avec Michel Houellebecq est une pure postulation imaginaire. Une maldonne. Une imposture.
D’ailleurs, au cours de l’interview, Yannick Haenel a tenu à se démarquer de ce cousinage hasardeux et encombrant. Pour lui, la littérature de Houellebecq est marquée par une détestable haine de soi et du monde. Autant dire, à ce stade, que Yannick Haenel ignore ce que peut (doit ?) être la grande littérature, syndrome largement partagé par les poissons et les grenouilles qui s’ébattent dans le marigot littéraire parisien. Yannick Haenel est l’un des innombrables descendants de « La Grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ».
Qu’en est-il des Sénégalais italiens, dans Je Cherche l’Italie ? On en croise un, très vaguement, aux pages 12 et 13 : « Le jeune Noir était sénégalais, il venait de l’île de Gorée ». Ah, l’île de Gorée, Obama demandant pardon au continent africain pour le honteux trafic d’êtres humains à travers l’Atlantique ! Quel symbole !
Et puis le jeune Noir refait une apparition aux pages 119 à 121, où l’on apprend que son prénom, Issa, est le nom arabe de Jésus. Au total, trois pages de texte. Un point c’est tout. Autrement dit une crotte de mouche. La réalité sordide dans laquelle est plongée l’Italie fait l’objet de quelques flashs, allusions et incidentes, trop courts cependant pour former un sujet à part entière. Encore moins former le sujet du livre. L’interview radio faisait une publicité mensongère. Comme souvent, quand un auteur est doué oralement pour vendre sa camelote. Bien fait pour moi. Ça m’apprendra. Peut-être.
Bon, alors de quoi parle-t-il, ce bouquin ? Eh bien c’est très simple : Yannick Haenel parle de Yannick Haenel. C’est un truc très à la mode dans le marigot littéraire parisien : Christine Angot parle de Christine Angot ; Emmanuel Carrère parle d’Emmanuel Carrère…. Alors pourquoi pas lui, n’est-ce pas ? Qu’ont-ils donc tous, à faire étalage de leur moi ? De leur agenda ? De leurs petites réflexions sur eux-mêmes et le sens de la vie ?
Mais attention, Yannick Haenel ne parle pas de lui-même comme s'il était n’importe qui. Yannick Haenel n’est pas le premier venu, il faut que ça se sache. Cet homme est tellement plein de lui-même que toute sa prose exsude son moi comme s’il en pleuvait. Il arrose la compagnie de l’onction de soi-même, plus fort que Dassault n’achète ses électeurs. Il faut que le lecteur sache qu’il est en face d’un intelligent, qui fait profession d’intelligence et de culture : Yannick Haenel en personne.
Et puis il faut aussi qu’on sache que l’auteur est en très bonne et très auguste compagnie. C’est ainsi que le lecteur est invité à assister à un déluge : c’est, de la première à la dernière page, une cataracte, une avalanche de noms propres, de références, toutes plus savantes les unes que les autres. Une ribambelle de noms propres assez connus pour être incontestables, assez haut placés pour inspirer le respect. Une forêt d’oriflammes brandis comme des slogans. Attention les yeux ! Yannick Haenel vous en met plein la vue.
Vous ne savez plus où donner de la tête : entre les références à Nietzsche et les commentaires sur Georges Bataille (omniprésent tout au long des pages, pensez, il lit chacun des douze volumes de ses Œuvres complètes (Gallimard, des gros pavés) dans l’ordre chronologique), l’auteur vous assène : « Je lis Hegel, Bataille, Kojève » (p. 73). Ici, ce sera un « dropping » de Rimbaud, là un miasme de Maurice Blanchot, ailleurs une crotte de Guy Debord, plus loin, quelques relents de La Divine Comédie, etc.
Cette toile de fond de noms propres à grosse réputation, je vais vous dire, c’est juste fait pour intimider, exactement comme les hooligans se servent des signes d’une violence possible pour se rendre maîtres du terrain. Là, ce n’est plus dans la vue, c’est dans les gencives, car Hegel, il faut vraiment vouloir : quel héroïsme, quand même, ce garçon. Essayez seulement la « Préface » à La Phénoménologie de l’Esprit. Mais mon esprit épais et rustique est rétif à la philosophie, du moins ainsi entendue. Question d'altitude, sans doute.
Et puis, une bonne projection de postillons de noms propres à prestige dans la figure de l'interlocuteur, au fond, pas de meilleur moyen pour ne pas entrer dans le détail des problématiques propres à chacun. "Je lis Hegel", c'est comme un cuistot qui vous dit "ça mitonne", mais se garde bien de soulever le couvercle pour vous faire renifler la réalité de sa tambouille. Ça évite de fatiguer le lecteur, en même temps que ça le muselle. Je me rappelle quelques prestations et articles d’un certain Philippe Sollers, où celui-ci, tel un Larousse des noms propres, semait pareillement à tout vent les références savantes, pour dire que, n’est-ce pas …
C’est peut-être un hasard (mais j’en doute) si Je Cherche l’Italie est publié dans la collection « L’infini », dirigée par … Philippe Sollers. Toujours côté noms propres : « Qu’est-ce qui échappe au capitalisme ? L’amour ? La poésie ? Lacan disait : la sainteté » (p. 89). Et toc : voilà pour Lacan. Et puis avec le Sénégalais : « Comment s’appellent tes dieux ? – Chrétien de Troyes, Dante, Kafka ».
Yannick Haenel a mis toute la culture européenne et chrétienne dans son grand sac. Du moins, en affiche-t-il un concentré des signes prestigieux de la culture. En porte-t-il la chose ? On n'est pas forcé de le croire.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yannick haenel, je cherche l'italie, éditions gallimard, collection l'infini, philippe sollers, france culture, tewfik hakem, un autre jour est possible, michel houellebecq, silvio berlusconi, italie, mafia, littérature française, île de gorée, christine angot, emmanuel carrère, serge dassault, georges bataille, hegel, kojève, guy debord, la phénoménologie de l'esprit, jacques lacan
dimanche, 10 juin 2012
NOUS, ON VEUT CHANGER DE VRAI !
Résumé : nul ne saurait résumer la fin du monde.
Ne lâchez pas la truelle : nous allons passer notre temps à tenter de reconstruire quelque chose d’humain et de vivable, pendant que les secousses sismiques continueront, s’accentueront, s’aggraveront, et fendilleront les murs à mesure que nous colmaterons les brèches. Nous allons y passernotre temps, à colmater les brèches. Nous allons passer notre temps (nos loisirs ?) à édifier les belles ruines d’un monde qui s’auto-détruit.
Le tremblement de terre qui a détruit une bonne partie de Port-au-Prince le 13 janvier 2010 doit être considéré comme une métaphore. La destruction des palais et cathédrales historiques d’Emilie-Romagne, ces tout derniers temps, doit être considérée, sinon comme une punition du ciel (Dieu nous en préserve !), du moins comme une métaphore de quelque chose qui pourrait se formuler : « une civilisation en fin de vie ».
Pensez au fait qu’au Brésil, la protection de la forêt d’Amazonie est le cadet des soucis de la plupart des gens, préoccupés par l’accession de leur pays au statut de « pays développé » (à coups de cultures OGM, évidemment, et de destruction de la forêt, avec transformation subséquente de tout le sol en latérite, qui est une sorte d’argile cuite au four, sur laquelle il va être un peu difficile de faire pousser quoi que ce soit), revanche sur l’époque d’une évidemment infâme colonisation. Je vais vous dire : les gens qui parlent encore aujourd’hui de néo-colonialisme se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au trou du cul. Et j'espère que ça leur fait mal.
La secousse sismique est devenue la base de notre civilisation, la mère de nos « points de repère ». Je vais vous dire : les « points de repère », chacun a intérêt à les garder pour soi, s’il ne veut pas que le NOUVEAU les rende bientôt obsolètes. Nous vivons, il faut le savoir, sous la dictature du NOUVEAU. Or, il faut le savoir, le NOUVEAU, quand ça vient à son heure, c’est globalement bienvenu, cela comble un besoin qui commençait à se faire sentir.
Mais quand le nouveau devient la LOI ? Comment voulez-vous vous en sortir ? Vous étouffez sous l’exigence. Soyez nouveaux ! Faites du nouveau ! Impossible. Toujours ce slogan marxiste : « Du Passé faisons table rase ! ». Les semelles des fils doivent écraser jusqu’à l'ombre de la silhouette des pères. L’oubli du passé préside au passage de témoin. Veut dire qu’il ne saurait plus y avoir de passage de témoin. Fini, la transmission.
Du coup, chacun est renvoyé à soi-même, sans avant et sans après, individu perdu au milieu de 7 milliards d’autres individus perdus, dans un présent perpétuel en train de vibrionner dans tous les sens. Et le présent perpétuel, c'est exactement le séisme. Le flux de l'eau en train de couler, si vous préférez, quoique l'image soit moins exacte. La secousse sismique est devenue un mode de vie : on s’habitue à tout. Enfin, c'est ce que j'ai entendu dire. Mais il n’est pas sûr qu’on s’habitue à ce qui vient.
Et ce qui vient, c’est quoi, exactement ? Pour parler franchement, je n’en sais pas vraiment quelque chose. Ce sont des impressions, des perceptions, des réflexions. Mais je crois qu’on peut les résumer dans une revendication, la grande revendication du temps, que je propose de formuler de la manière suivante : « Non, les choses ne sont pas ce que l’on croit qu’elles sont. Elles peuvent aussi être leur CONTRAIRE ».
C’est ce que j’appelle, dans mes bons jours, la « migration des définitions ». Je pourrais aussi bien appeler ça l’abolition de la définition. Mais on pourrait aussi bien appeler ça la POROSITÉ des définitions. On n’a pas idée de ce que tout est devenu poreux. Les choses en ont marre, de la délimitation du sens des mots. Il y en a marre des frontières, des parois étanches, des séparations, des cloisons, des compartiments. Disons-le carrément : il y en a marre des différences. Plongeons, joyeusement ivres, dans la grande méga-fusion de tout dans tout.
C’est vrai, quoi, si les mots signifient quelque chose de stable, où va-t-on ? Il y en a marre de la dictature de la définition. Qu’on se le dise, 1 – les définitions sont des frontières, 2 – or les frontières sont une image du Mal (mais RÉGIS DEBRAY dit le contraire dans Eloge des frontières), 3 – donc il faut se débarrasser des définitions. C’est très logique. Cela s’appelle même un syllogisme (majeure, mineure, conclusion).
Dans les anciens temps, pour que quelque chose soit reconnu pour vrai, il fallait laisser passer une certaine durée. Disons même la plus longue durée possible. Franchement, c’est du bon sens : si on est constamment obligé de changer de « vrai », il y a de quoi être vite perdu.
Le « vrai » qui change, ce n’est pas forcément du faux, mais avouez qu’il y a de quoi douter de la solidité. La vessie est peut-être une lanterne, allez savoir. Et nous, aujourd’hui, on n’arrête pas de changer de vrai. Ce que le faux penseur de la modernité qui a nom GILLES LIPOVETSKI a fait mine d’appeler L’Empire de l’éphémère. Mais il n'a peut-être pas aussi tort que je fais mine de le croire.
Voilà ce que je dis, moi.
Allez, c'est encore à suivre, désolé.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : subversion, fin du monde, haïti, port-au-prince, tremblement de terre, tsunami, italie, émilie-romagne, forêt amazonienne, régis debray, éloge des frontières, gilles lipovetski, l'empire de l'éphémère