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jeudi, 13 août 2015

LYON EN 1959

« T'as beau gabouiller la bassouille, t'en feras pas rien des œufs à la neige. »

La Plaisante sagesse lyonnaise

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LA BANLIEUE-EST ET L'AÉRODROME DE BRON

Pas le désert, mais ! Les deux hangars sont toujours visibles, identiques dans un environnement un tout petit peu (à peine !) modifié. 

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On est presque étonné, ci-dessous, qu'il reste une telle surface non construite.

La borne routière qui séparait, jusqu'au 1er janvier 1969 (création de la C.U.L., pardon, de la CO.UR.LY., Communauté Urbaine de Lyon), les départements du Rhône et de l'Isère se situait à peu près à hauteur des hangars.

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mercredi, 12 août 2015

LYON EN 1959

« C'est au moment de payer les pots qu'on sent qu'on n'a plus soif. »

La Plaisante sagesse lyonnaise

Note : dans les anciens bistrots lyonnais (au temps où le beaujolais était un "vin de comptoir", autrement dit une piquette pour les prolétaires), on raconte (?) qu'au cours  d'une soirée bien arrosée entre amis, on alignait les pots (46 cl.) sur le comptoir au fur et à mesure, que l'on payait "au mètre".

Aaah, qu'elle est délicieuse, l'histoire du pari du Tony et du Glaudius, un soir de "charipe de brouillard", vous savez, de ces brouillards jaunes où vous ne saviez plus où étaient vos pieds : ils avaient parié de boire "un mètre" et de descendre les escayers de la rue Pouteau, raides comme la justice, jusqu'à la place des Terreaux : ils s'étaient retrouvés à la Doua !

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L'HÔTEL-DIEU, sans son grand dôme (brûlé en 1944, on voit le chantier), et sans hôtel de luxe.

A propos de "payer les pots", quand les transformations seront achevées, le simple droit pour les habitants et les curieux de parcourir certaines parties de ce vaste édifice coûtera un peu moins de 80.000 euros aux contribuables.

On appelait "les bas-ports" l'espace plan qui borde la rive gauche du Rhône ("en haut", sur la photo), qui fut longtemps pavée des galets tirés du fleuve. Je vous jure, ça secoue plus fort que les pavés de "l'enfer du nord" : certaines rues étaient ainsi pavées.

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Ci-dessous, exemple scandaleux d'abandon du bien public, au profit des intérêts privés de quelques "investisseurs".

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mardi, 11 août 2015

LYON EN 1958

« Le bon sens a beau courir les rues, personne lui court après. »

La Plaisante sagesse lyonnaise

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LE PARC DE LA TÊTE-D'OR (avant la roseraie) ET L'ANCIEN PALAIS DE LA FOIRE (y compris le "Palais de la Mécanique", contre la voie de chemin de fer).

On voit en haut le vieux pont de la Boucle, avec ses trois arches métalliques (j'y ai gagné le respect de quelques acolytes), et en bas un bout du champ de course de la Doua. 

Le quai porte le nom d'Achille Lignon.

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Il faut imaginer, en bas à droite de la photo ci-dessous, la passerelle ("de la Paix") vers le quartier Saint-Clair, en construction au moment du cliché. Le quai a été rebaptisé, très banalement, "Charles de Gaulle".

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09:00 Publié dans LYON | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 10 août 2015

LYON EN 1956

« Pour bien lisser le velours, faut pas rien le prendre à rebrousse-poil. »

La Plaisante sagesse lyonnaise

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LE QUARTIER SAINT-GEORGES,

avec son église tenue par les catholiques qui s'en tiennent à la tradition d'avant le concile de Vatican II.

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Peu de changements, forcément.

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dimanche, 09 août 2015

GARGANTUA A TABLE

AU MENU, CE 9 AOÛT, A NAGASAKI,

à la carte du restaurant "Au coup de bambou".

FAT MAN, le plat de résistance : un rôti fumant de 3,25 mètres de long, pesant 4,545 tonnes.

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CHARLES SWEENEY, le chef de salle.

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BOCKSCAR, le serveur.

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Ce qui s'appelle "faire la bombe" ! 

Champagne !

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« Vous en reprendrez bien un morceau ? - C'était délicieux, vraiment, mais non merci, je n'ai plus faim. » 

LYON EN 1956

« On ramasse pas des argents à regonfle sans les tirer de la poche à quelqu'un. »

La Plaisante sagesse lyonnaise

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BELLECOUR

(avec Louis XIV par Lemot, bien sûr, mais sans les bronzes du "Rhône" et de la "Saône", et encore protégée par une clôture)

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samedi, 08 août 2015

LYON EN 1956

« Les vrais bons gones sont ceux qu'ont des défauts que ne font tort qu'à eux. » 

La Plaisante sagesse lyonnaise

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LA BOURSE, LE RHÔNE ET, ENTRE LES DEUX, LE LYCÉE AMPÈRE ET LES ANCIENNES HALLES

Au fond, les défunts ponts Vaïsse et de la Boucle. Notez que le pont Morand ne se ressemble plus du tout non plus, depuis que le métro passe dedans.

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Les anciennes halles genre Baltard ont été rationnellement converties en un magnifique parking, de la (presque) même hauteur que les immeubles qui l'entourent, que le monde entier nous envie. Quant au fameux restaurant Farge (qu'on distingue ci-dessus, à gauche des halles), il a été avantageusement remplacé par une banque (si ce n'est pas ça, c'est du même genre).

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vendredi, 07 août 2015

LYON EN 1956

 

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« Faut pas faire la besogne pour qu'elle soye faite. Faut la faire pour la faire. »

Recueilli par Catherin Bugnard.

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LA SAÔNE ET LA PRESQU'ÎLE,

avec le chevet de Saint-Jean, l'ancienne passerelle du palais de justice et, plus loin, le défunt pont du Change, devenus ...

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... la nouvelle passerelle et le pont Alphonse Juin.

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jeudi, 06 août 2015

PETIT GARÇON

PETIT GARÇON ("little boy", né un 6 août, quelque part au Japon ; un bébé magnifique de trois mètres pesant quatre tonnes quatre)

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PAUL WARFIELD TIBBETS, Jr., l'accoucheur

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ENOLA GAY, le berceau

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On arrose la naissance. C'est la fête.

Champagne !

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LYON EN 1956

 

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« Pour que le vin fasse du bien aux femmes, il faut que ce soit les hommes qui le boivent. »

Recueilli par Catherin Bugnard.

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LE THÉÂTRE ROMAIN

Presque vingt ans avant la construction du musée gallo-romain, à droite du théâtre sur la photo, on note, au-dessus, la friche indisciplinée. La verdure, si vous voulez, avant les dernières fouilles archéologiques. Et avant la construction de beaux immeubles bien modernes.

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mercredi, 05 août 2015

LYON EN 1956

C'est les vacances, le droit à la paresse. J'ai programmé le pilote automatique. A partir d'aujourd'hui, on trouvera ici un coup d’œil jeté dans le rétroviseur de la ville de Lyon (et territoires circonvoisins). Tout Lyonnais de Lyon (ou d'ailleurs) sera à même, au fil des jours, de mesurer de quelle façon le temps s'est écoulé. Malheureusement, le format des photos ne m'a pas permis de les faire figurer en entier. Ces photos sont loin d'être inconnues, je le précise.

J'ai quand même fait l'effort, avant d'aller me reposer, d'agrémenter chaque photographie d'une sentence, choisie parmi les plus délectables qu'un certain Catherin Bugnard (à l'existence elle-même incertaine) a rassemblées au sein de sa Plaisante sagesse lyonnaise, un classique, quoique le bouquin soit vraiment minuscule, en taille et en nombre de pages. Il est riche en substance. Ça compense.

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«Tout le monde peuvent pas être de Lyon. Il en faut ben d'un peu partout.»

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LA COLLINE DE FOURVIÈRE ET LA SAÔNE

(comme on voit, il y avait encore le pont du Change, entre la place du même nom et la place d'Albon, qui butait sur l'église Saint-Nizier. Le pont Alphonse-Juin qui l'a remplacé fait face à la rue Grenette, qui traverse la presqu'île : c'est un peu plus "logique")

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Mes excuses : je ne suis pour rien dans la pollution de l'image ci-dessous par les mille petits étrons qui la souillent. L'image ci-dessus, quant à elle, est fournie sans parasites.

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mardi, 04 août 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

littérature,france,alexandre vialatte,chroniques de la montagnela porte de bath-rabbim,ferny besson,humour« La parole date de la plus haute Antiquité. Qui ne se rappelle les tournois d’éloquence des Grecs et des Troyens devant les murs de Troie ? Les guerriers se sont lancé de magnifiques insultes. Les rois nègres, naguère, de colline à colline, s’entre-vitupéraient dans le style le plus grandiose. Les Peaux-Rouges. Les Apaches. Les automobilistes. Voire les marxistes-léninistes. Et même les époux en colère. Ils se traitaient, et se traitent même parfois encore, de chiens, de fils de chien, de fromage mou, de vipères lubriques, que sais-je ? D’affreux. De déviationnistes des droite. Les Arabes disent à leur ennemi : "Qu’Allah te change en vespasienne !". Les cochers de fiacres traitaient leurs clients de "veaux frisés", de "profil d’œuf", de "moules à confetti". Les paysans citaient de nombreuses maximes, les monarques avaient l’habitude de prononcer des paroles historiques, et les mourants des mots de la fin. »

Alexandre Vialatte, « Chronique de la parole et parfois de la pensée ». Dans La porte de Bath-Rabbim, textes choisis et préfacés par Ferny Besson, Julliard, 1986.

MON ART ABSTRAIT

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lundi, 03 août 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

littérature,france,alexandre vialatte,chroniques de la montagne,profitons de l'ornithorynque,éditions julliard,humour,« Qui ne disparaît ? Nous vivons par hasard.

J’avais dix-huit-mois quand ma mère vit mes deux pieds qui dépassaient d’une lessiveuse. On connaît la bonté des mères. Elle les saisit immédiatement, me sortit de l’eau, me fit sécher au four et me replaça debout sur la route de la vie. C’est à cette circonstance fortuite que je dois de pouvoir signer mes différents travaux. Sans elle on eût été forcé de les donner sous un pseudonyme, ou de les publier comme posthumes, ou sous le manteau de l’anonymat. »

 

Alexandre Vialatte, « La clef des songes », La Montagne, 23 août 1970.

Dans Profitons de l’ornithorynque, Julliard, 1991.

 

Note : je cite le tout début de la chronique en question.

SENTINELLES DE LA LUNE

Photo prise le 2 août 2015, à 06 heures 16 minutes.

photographie

 

 

 

dimanche, 02 août 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

VIALATTE ORNITHO RYNQUE.jpg« Cette chronique traitant de nos provinces, je chanterai Chatel-Guyon, ses fastes, ses prestiges et ses grands écrivains. Chatel-Guyon fut le Mont-Oriol de Maupassant. Le docteur Baraduc le lança médicalement, des financiers financièrement ; et les banquiers firent de ce village d’Auvergne la "capitale de l’Intestin". On dit que ce fut dans des flots de vin et qu’ils signaient les contrats au champagne (littéralement : en y trempant leur plume) ! C’est trop beau pour qu’on n’y croie pas ! De thermales, les eaux devinrent thermalistiques ; le bain de pieds s’appela "pédiluve", l’entérite se rengorgea, l’amibiase créa un snobisme, le lavement devint si technique sous des masques si distingués que rien ne l’empêcha plus de guérir des altesses, des étoiles et des bachagas.

         Le tambour de ville, pour suivre le progrès, dut se faire motoriser : il n’opère plus qu’à bicyclette, avec une caisse inamovible et des baguettes à manivelle. Sur bâti fixe. Il lit d’une main, tourne de l’autre, les deux baguettes jouent en même temps. C’est un vrai lapin mécanique. Et s’il voulait, il pédalerait par-dessus le marché ! Rien ne l’en empêche, tout l’y convie. En revanche, il y a perdu ses rra (le moelleux du grondement, le crescendo du tonnerre, le filé, le mourant du son, tout ce qui charmait si fort les oreilles délicates). Il ne donne plus que des fla. Le char du progrès avance sur le cadavre de l’art. »

Alexandre Vialatte, « La capitale de l’intestin », N.R.F., décembre 1951.

 

Dans Profitons de l’ornithorynque, textes choisis par Ferny Besson, préface de Claude Duneton.

 

Note : le mot "bachaga" existe. Il désigne, en arabe, un "haut dignitaire". Vialatte, ici, ne nous refait donc pas le coup de l' "uzvarèche". 

MON ART ABSTRAIT

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samedi, 01 août 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

Il arrive à Alexandre Vialatte de se payer la tête des gens qui font profession de sérieux, ceux qui intellectualisent, ceux qui se paient de mots pour y faire entrer, croient-ils, la réalité ordinaire du monde, ceux qui n’abordent celle-ci que sassée à travers le filtre de concepts dûment érigés par leurs soins, en termes si possible abscons, abstrus, voire aporétiques. Aujourd’hui (La Montagne, 12 juin 1957), grâce au livre de Jean-François Revel (Pourquoi des philosophes ?), il passe les philosophes (et autres phraseurs, savantasses et abstracteurs de quinte essence) par sa moulinette à restituer le bon sens. 

« "Pourquoi des philosophes ?", demande M. Revel. Pour fabriquer du poétique ! En transformant une chose commune en chose savante du seul fait qu’ils se penchent sur elle ; en élevant la platitude à la hauteur du scientifique par la vertu du charabia, ils la métamorphosent – c’est acte poétique – ils lui confèrent le charme de l’exotique, ils en font une chose inconnue qui fascine par la nouveauté. Ils ont mis au musée la mouche la plus banale, celle qui bourdonne dans le coin du placard de tout le monde autour d’un morceau de chèvreton ; et ensuite ils l’ont dessinée, placée dans des albums avec un numéro, et appelée en latin Musca domestica ; elle est si ressemblante, me dit Adrien Mitton, si scientifiquement ressemblante que le profane ne la reconnaît pas (celle qu’il connaît ne sait pas le latin). Mais c’est une affaire d’habitude. Au bout de peu de temps, constate-t-il, c’est la vraie mouche qui ne se ressemble pas ». 

J’avoue que j’aurais aimé écrire « en élevant la platitude à la hauteur du scientifique par la vertu du charabia ». Je n’aurais pas pu : la place était prise. 

Pas à dire : la racine de Vialatte s'enfonce avec élégance dans la terre paysanne du vieux temps. Qu'ils s'appellent Trissotin ou Diafoirus, les cuistres ne sont pas de sa tribu.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 31 juillet 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

VIALATTE NATALIE.jpgMême si ça peut sembler incongru, je comparerais volontiers chaque plongée dans les chroniques de maître Vialatte à celles que je fais régulièrement dans les albums de Gaston Lagaffe, la créature de maître Franquin : il suffit de quelques pages pour que le lecteur se mette à jubiler. Un ton et une tournure d’esprit absolument uniques, joints à la virtuosité du trait. Deux auteurs qui savent à merveille vous tenir en état de surprise permanente, à l'exact antipode de ce que Vialatte nomme quelque part (chronique "Des hauts et des bas" par Sempé) « le crime de l'uniformité ». Regardez par exemple ce paragraphe qui clôt diverses considérations, dont un éloge de Le Fond et la forme (tome II), de Jean Dutourd. On trouve ça dans Pas de h pour Natalie (Fayard, 1995). 

         « Je ne saurais terminer sans des conseils utiles : faites ramoner dès maintenant vos cheminées et réclamez une fiche de contrôle ; soyez vertueux et sensible ; ouvrez toujours les boîtes d’asperges "par le fond" ; si votre chat n’aime pas le mou, donnez –lui du caviar ; ne mentez qu’avec précision ; si vous engraissez de la ceinture, renversez la tête en arrière, vous rétablirez l’équilibre. Relisez Le Fond et la forme, votre fond en aura plus de forme, votre forme en aura plus de fond. Ne battez pas votre femme avec une barre de fer ; vous seriez puni par les juges d’Angleterre, car c’est un geste de goujat ; usez plutôt d’une canne flexible et résistante, vous serez approuvé par la Bible et par les proverbes arabes.

         Et c’est ainsi qu’Allah est grand. » 

Alexandre Vialatte, La Montagne, 17 mai 1960. 

On me dira ce qu’on voudra, ce genre d’allègre espièglerie ne peut se trouver que sous la plume d’un grand de la littérature. 

Mais là je n’apprends rien à personne. 

Voilà ce que je dis, moi.

ENGLEBERT OMER.jpgNote : quoi qu'on puisse en penser, Vialatte orthographie le prénom Natalie conformément à l'étymologie latine. On lit d'ailleurs dans l'irremplaçable Fleur des saints, cette bible écrite par Omer Englebert (Albin Michel), à la date du 27 juillet (où l'on fête toutes les Natalie) : « Ils furent décapités [en 852], écrit Euloge, dans l'ordre suivant : Félix, Georges, Liliose, Aurèle et Natalie (ou Noële) [sic] ». Eh oui, Noëlle et Nat(h)alie, c'est du pareil au même. C'est un des sujets de la dernière chronique du volume, "Chronique de l'h de Natalie". C'est sûr, Vialatte est du genre conservateur.

jeudi, 30 juillet 2015

UN ZESTE DE VIALATTE

 

littérature,alexandre vialatte,chroniques de la montagne,chroniques des grands micmacs,ferny bessons,éditions fayardC’est l’été. Il est temps de rouvrir les Chroniques de Vialatte. Et pour commencer, Chroniques des grands micmacs, amoureusement choisies par Ferny Besson (Fayard, 1989, je suppose que Ferny, c'est plus glamour que la Fernande qu'a chantée Georges Brassens). Première leçon : l’art du paragraphe. 

« Chronique des grands progrès et des mauvais conseils. 

Quand le soleil, il n’y a pas si longtemps, se levait sur l’océan indien, il éclairait un petit bateau commandé par Henry de Monfreid, alors âgé de quelque quatre-vingts ans. Le petit mousse en avait soixante-dix. C’était un vieillard madécasse. Monfreid l’avait choisi lui-même. Ce septuagénaire maritime était sourd comme un pot. Il n’entendait pas le vent. C’était d’ailleurs sans importance. Il n’eût su dire, de toute façon, d’où il venait, ignorant toute géographie, toute marine et tout point cardinal. Il ne distinguait pas entre le nord et le sud. Peut-être savait-il faire la soupe. La tempête s’empara de tout ça, le lança à dix mètres de haut, le rattrapa au creux de la vague, le renvoya aux cieux, le battit, le pétrit, le roula, le massa, le secoua, le boxa, l’étira et le rasa. Sur quoi les ténèbres tombèrent. Au bout de huit jours, quand le soleil revint, le petit mousse n’avait rien entendu, et le bateau continuait sa course sur la vaste étendue des mers.»

Qu'est-ce que vous dites de ça ? Et pour lier avec l'idée qui va suivre, Vialatte soigne la transition : 

«C’est ce qui prouve qu’il n’y a plus de vieillards. Les journaux confirment la chose. Le vieillard d’aujourd’hui ne connaît plus sa force. »

Alexandre Vialatte, La Montagne, 10 décembre 1967.

Plus loin, dans le même article, on trouve cette phrase magnifique, après l’évocation de Sabor V, un robot qui sait tout faire, y compris se gratter l’omoplate, boire et fumer : « Bref, s’il n’y avait pas l’homme, ce serait un grand progrès ». Tout est dit.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 29 juillet 2015

BD : PRÉFÉRENCES

 

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Ce billet pour confirmer ma préférence pour les dessinateurs qui privilégient le trait par-dessus tout. Mais un trait différent de celui d'Hergé : contrairement au sien, qui lisse tout jusqu'au neutre, j'aime souvent un trait qui manque de propreté (ça dépend comment c'est fait, et puis pas forcément), un trait qui bave un peu, qui bégaie et qui ne s'interdit pas les à-plats noirs. Un trait qui ait l'air un peu bâclé. Un trait aussi qui sache prendre quelques libertés avec l'exactitude et la ressemblance.

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C'est mineur, je sais, mais regardez un peu le rendu du végétal à l'arrière-plan. 

Pour résumer, un trait qui ne soit pas asservi à la réalité, tout en la traduisant. Un trait qui triche tant soit peu avec elle, qui attire l'attention sur soi et la subjectivité qu'il exprime. Un travail qui s'apparente, je trouve, à l'œuvre du peintre Giorgio Morandi et à certaines œuvres des Lyonnais Truphémus ou Régis Bernard : à mi-chemin entre la chose et sa représentation, comme pour dire en somme que le réel, ça ne va pas de soi. Ce qui prime, dans l'art comme dans la vie humaine, c'est le regard porté sur les choses et sur les autres.

Ces dessinateurs, j’en citerai encore trois, soit parce que leur nom n’est pas apparu, soit parce que je n’ai pas assez insisté, soit parce que j’ai envie d’y revenir. Ça n’épuise pas le sujet, évidemment. 

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Les trois se nomment Bazooka (enfin, pas toute la bande), Michelangeli, Crespin. J’aurais bien voulu retrouver dans mes affaires quelques traces d'Edmond Baudoin, mais peine perdue. Bazooka, je l’ai évoqué récemment : c’est le groupe au sein duquel travaillaient, entre autres, Kiki et Loulou Picasso. J’aimais beaucoup moins ce que faisait le reste du groupe, en particulier Olivia Clavel, mais bon. Lulu Larsen, pourquoi pas ?

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Publicité parue dans (A suivre) : un petit coucou au cubisme.

Michelangeli (voir les trois premières vignettes, plus haut), j’ai vu ses images de loin en loin. Totalement absent de l’index du BDM (Béra-Denni-Mélot), qui recense tout ce qui a trait à la BD, je me dis qu’il a mis son talent au service d’autre chose que la bande dessinée (illustration, …). Dommage. 

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J'ai toujours été sensible aux lieux et aux choses sur lesquels le temps a passé et qui n'ont pas été ripolinés pour faire croire que c'est tout neuf. Alors quand un dessinateur abonde dans ce sens ...

Le cas de Michel Crespin est plus clair, donc plus satisfaisant. J’avais été saisi lors de la parution de Marseil dans Métal Hurlant. Le dessin se passe à merveille de la couleur. Là encore, c’était moins l’histoire (tant soit peu vaseuse, à la fois - il faut le faire - baba-cool, post-atomique et dangereuse, qui fait la part belle à une arme américaine célèbre, qui fait de beaux trous, chambrée en 5,56 (1300 m/s en V0) : drôles de baba-cool) que le trait qui avait attiré mon attention. Un trait qui fait la part belle aux traces que le temps laisse sur les choses quand on se garde d'intervenir.

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Ce n'est pas du Auclair (voir avant-hier), mais ça pourrait.

Métal Hurlant fut une excellente revue (Moebius, Druillet, Tardi, Gillon, Hermann, etc.). A mon vif regret, j’ai été obligé de jeter l’intégralité de ma collection, un jour, après être descendu dans ma cave : l’humidité avait transformé toute la pile en un conglomérat noir et dur comme un pavé, tout était soudé. Je ne savais pas que le papier couché pouvait coller à ce point. Et un poids !!! J'aurais peut-être dû le proposer au sculpteur Bernard Pagès, allez savoir : il l'aurait peut-être ajouté à sa série des "Totems penchés".

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Ça pourrait être du Moebius. Ce n'est que du Philippe Francq (Largo Winch). Un bon élève.

Métal Hurlant ? Un "totem penché" ? Affreux. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 28 juillet 2015

BD : REISER ET LA BOUFFE

Pour achever mon petit retour sur mes "années BD", je ferai aujourd'hui un petit détour hors de la BD proprement dite, pour montrer un aspect rare du travail de Jean-Marc Reiser : illustrateur. Et plus précisément autour de l'activité humaine qui consiste à manger.

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Pour savoir qui est le mystérieux Cucullus en question, aliaslittérature,reiser,jean-marc reiser,charlie hebdo,charlie mensule,la chronique de cucullus,pierre lattès,méchamment rock,josé artur pop-club,radio nova,wolinskipetits mickeys,grandgousier,gargantua,pantagruel,gros dégueulasse,jeanine reiser,thomas piketty,le capital au 21è siècle,cuisine chinoise Méchamment Rock, il faut consulter la notice d’un nommé Pierre Lattès dans l’encyclopédie en ligne. On y apprend qu’il a beaucoup œuvré dans les médias, dans tout ce qui tourne autour de la musique, je dirai même la musique « branchée » (le Pop-club de José Artur, Radio-Nova, ...), je veux dire « jeune », celle qui fait la part belle au décibel et au boum-boum. Je ne dis pas ça pour critiquer. Et je ne ferai à personne l'injure de commenter le pseudonyme "Cucullus" qui, comme son nom l'indique, est légèrement cucul (pour faire "branché" ?). 

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Et il ne demande pas ça à n’importe qui, mais à Reiser en personne, àlittérature,reiser,jean-marc reiser,charlie hebdo,charlie mensule,la chronique de cucullus,pierre lattès,méchamment rock,josé artur pop-club,radio nova,wolinskipetits mickeys,grandgousier,gargantua,pantagruel,gros dégueulasse,jeanine reiser,thomas piketty,le capital au 21è siècle,cuisine chinoise qui on peut faire confiance pour tout ce qui peut donner envie de mettre en appétit (Gros dégueulasse, Jeanine, …). C'est d'ailleurs curieux, car la bouffe ne figure pas dans les thèmes prioritaires de Reiser : il donne plus souvent dans la politique, le sexe et le pipi-caca que dans la mangeaille en général, et la gastronomie en particulier. Les exemples sont rares (en voir quelques-uns le long de ce billet).

Le Gargantua porcin (ou bovin) qui est assis (remplacez-le par Grandgousier ou Pantagruel, le papa ou le fiston, c’est la même chose), à en juger par ce qui reste sur la nappe, doit en être au douzième plat. Le message est clair : « A table ! ». Au surplus, pour cette première apparition, le dessin s'étale avec gourmandise sur une confortable surface de la page. Il sera ensuite réduit à de plus sages proportions, voire à la portion congrue.

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Pour le « Pâté de Soja en Cervelle », je n’insisterai pas : la recette est terriblement compliquée et pleine de chinoiseries (mes spécialités sont beaucoup plus "cuisine de famille"). Pas étonnant, on est en Chine, et c’est « une des recettes favorites de feu l’impératrice douairière ». Elle pouvait se le permettre, car elle ne manquait pas de personnel : « Soit trois cents chefs, cuisiniers et marmitons. Pour six personnes ». 

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Sur la cuisine chinoise en général, je citerai juste ce passage, qui melittérature,reiser,jean-marc reiser,charlie hebdo,charlie mensule,la chronique de cucullus,pierre lattès,méchamment rock,josé artur pop-club,radio nova,wolinskipetits mickeys,grandgousier,gargantua,pantagruel,gros dégueulasse,jeanine reiser,thomas piketty,le capital au 21è siècle,cuisine chinoise semble bourré de bon sens : « Comme dans l’ancienne cuisine française, le cuisinier chinois a toujours à sa disposition un certain nombre d’ingrédients de base dans lesquels il puise librement, et qui ont le défaut d’être eux-mêmes longs à préparer ». Bah, on se dira qu’il suffit d'avoir trois cents marmitons à son service, ça ira tout de suite plus vite. 

Ce billet était juste un prétexte, à l’occasion d’une replongée dans Charlie mensuel, pour rendre hommage à Jean-Marc Reiser, et au frontispice, crade et magnifique comme il se doit, qu’il avait dessiné pour Pierre Lattès, alias Cucullus. 

Allez, on n'a pas que ça à faire : à table ! Bon appétit !

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 27 juillet 2015

BD : LA REVUE (À SUIVRE)

J'ai commencé à dire du mal de l'évolution du monde de la BD à l'orée de l'ère de l'ultralibéralisme désentravé et décomplexé et de la financiarisation de l'économie (l'ère Reagan-Thatcher, années 1970). On me dira que ça n'a rien à voir. Mais le fait qu'une grosse maison comme Casterman (assise sur un trône en or massif appelé Tintin) publie à partir de 1978 la revue (A suivre) est quand même le signe que la bande dessinée quitte le bac à sable pour partir à la conquête du monde (je crois que le premier numéro avait été tiré à 100.000). Le lien n'est certes pas direct, mais je note la concomitance. Une évolution regrettable. Le début de la dictature du "Marché", des "Bourses", des fonds de pension et de la veuve écossaise. Et le début de la BD industrielle. 

Il est loin, le temps d'Adrienne et de sa minuscule boutique fraternelle. "Expérience", ça s'appelait. Elle se situait rue du Petit-David. L'incroyable vogue des mangas (ces petits bouquins "dessinés" (?) à la va-vite et produits à la chaîne dans des usines à dessiner) est une autre preuve de ce passage à l'étape industrielle de la production de la BD : performance, productivité, prolifération. Et pour finir : surproduction. En Périgord, on appelle ça le gavage. Et ça donne ces beaux foies cirrhosés dont nous faisons nos délices (mais il faut tuer l'animal avant). Si quelqu'un a quelque chose à dire, qu'il le dise. Sinon, qu'il se taise. Mais s'il s'agit seulement de remplir des tuyaux (les "contenus"), on change de monde.

On voit que les écoles de BD, les festivals de BD, les "Prix" de la BD, les "Histoires de la BD", les cotes BDM (1ère édition en 1979) du "marché" n'ont pas tardé à fleurir et à occuper le paysage. On croit fermement que la bande dessinée, enfin devenue « adulte » et arrivée à maturité, est désormais un genre à part entière, tout à fait digne de l’intérêt des gens sérieux et responsables. Et soucieux de rester "modernes", "à la page" et "dans le coup". Quelle sottise !

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N°5. Cabanes (avec Forest aux manettes du scénario) réécrit Le Roman de Renart. Ici, Hersent la louve (= madame Ysengrin) demande à Renart de la sauter. Inutile de dire que Renart s'empresse d'accéder à la supplique. Les gniards n'en perdent pas une miette. Hersent remercie Renart après le troisième service.

Il ne vient à l’idée de personne de se demander si ce ne serait pas plutôt un signe que les adultes de l’époque ont un peu perdu en maturité (bienvenue en enfance : voir l'irruption et le triomphe du jeu vidéo sur le marché des distractions). Qu'en est-il aujourd'hui ? Il ne semble pas que la tendance à l'infantilisation des foules se soit interrompue, bien au contraire. Et il n'y a pas que la BD pour s'en rendre compte.

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N°1. Fmurrrrr. Il n'a pas fait que Le Génie des alpages, la BD qui fracasse l'élevage montagnard à grands coup de fantaisie et de n'importe quoi. Ici, il nous raconte une scène méconnue et jubilatoire de la vie de Jeanne d'Arc, quand celle-ci, complètement pétée, danse sur la table, et qu'elle commence à cuver quand le rideau est tombé (j'espère que le lecteur peut déchiffrer les légendes). 

Comme il ne vient à l'idée de personne de se dire que c’est lorsque le ludique et l’amusant commencent à se prendre au sérieux qu’ils ne sont plus du tout ludiques ni amusants. C'est horrible à dire, mais avec A suivre, la BD commence à se prendre au sérieux. La BD devient presque pédante et donneuse de leçons. Pour un peu, elle prendrait de haut la grande littérature. Avec (A suivre), la maison Casterman se hausse du col.

Quelle idée aussi, de vouloir donner de la noblesse à une simple distraction, vaguement régressive au demeurant ! (A suivre) se propose donc de publier de véritables "romans graphiques" (ça ne s'appelle pas comme ça à l'époque, juste "romans", pour affirmer la prétention).

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N°24. Jean-Claude Forest. Cet homme mérite un billet à lui tout seul : Hypocrite, La Jonque fantôme, Mystérieuse, l'Hydragon, tout ça est magnifique. Ici, une scène de "tendresse" dans un monde de brutes, décidée par une femme d'initiative (ne pas oublier que Forest est d'abord l'auteur de Barbarella). En matière de distribution de la "lumière", cette planche est admirable.

Romans graphiques, pourquoi pas ? Je ne dis pas qu’A suivre n’y a pas réussi, je dis juste que c’est au moment où la BD, élargissant sa « cible », passe d’un « marché de niche » au « grand marché », qu’elle  a commencé à m’ennuyer. Quand elle a commencé à se dire que la "Croissance", ce n'était pas fait pour les chiens. Qu'elle aussi avait sa place dans le monde de la production industrielle, du rendement, de la performance et de la productivité. 

La vogue du manga n'est qu'une folle excroissance cancéreuse de cette frénésie. Je ne sais plus quel dessinateur français travaillant au Japon fut obligé de se plier au rythme stakhanoviste de production des planches par semaine. Il n'empêche que, dans les mangas, l'effort d'expressivité pousse au simplisme des physionomies, à la caricature des émotions et des mimiques, tout étant mis au service de la narration (tendance qui culmine dans la vogue des "emoji"). Le stéréotype règne, tout-puissant. Il faut aller vite. Défense d'être subtil ou raffiné. Rien à voir avec le labeur de moine copiste auquel se livrent nos grands de la BD à la française (et à la belge).

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N°1. Tardi, dans Ici-même, sur scénario de maître Forest. Désolé, je trouve que ça ne marche pas. Le travail des deux est admirable, mais. A bien y réfléchir, c'est peut-être l'argument de base qui fout tout en l'air (une histoire de murs restés le seul bien de l'héritier du jadis immense domaine de Mornemont, alors il passe son temps à courir dessus. Rien qu'à voir sa "maison" ...).

Pas question de nier la réussite de la revue : Tardi, Forest, Bourgeon et d’autres grandes pointures du récit dessiné. On ne regrette pas.

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N°1. Sa Majesté Hugo Pratt. Ici (Corto Maltese en Sibérie), il montre qu'il sait tout faire : Corto Maltese rentre chez lui (en Chine !) : tout y passe, le cadrage, le trait et la surface, le noir et le blanc (admirez l'inversion positif-négatif à la troisième bande), l'ambiance. Un "Gentilhomme de fortune" avec une nostalgie de confort bourgeois.

Je place quant à moi deux auteurs très loin au-dessus de la pile : Hugo Pratt (ci-dessus), présent dès le premier numéro avec Corto Maltese en Sibérie, (mais c'est Pif Gadget qui a publié les premiers épisodes de Corto en France) et l’œuvre insurpassable de Didier Comès : Silence (ci-dessous), à partir du n°13.

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N°13. Didier Comès : "je mapel silence é je sui genti" (le débile de Daniel Keyes dans Des Fleurs pour Algernon, a quelque chose à voir). J'ai moins aimé ce qu'il a fait avant et après (quoique La Belette ..., mais Ergün l'errant, franchement ...). Un fascinant sommet de la BD à mes yeux.

Les planches que je montre ici résument les préférences que j’ai marquées à l’époque, préférences que je ne regrette toujours pas aujourd’hui. On constatera sans doute, je ne peux le nier, que celles-ci donnent la priorité au trait. La "Ligne claire", quoi. Ben oui. Le trait, vous dis-je : hors du trait, point de salut ! N'est-ce pas Charles Trenet qui chante : « Fidèle, fidèle, je suis resté fidèle, A des choses sans importance pour vous » ? Moi, c'est le trait.

Je ne dirai rien de toutes les planches que je ne montre pas. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 26 juillet 2015

BD : LA REVUE (À SUIVRE)

Je me propose de continuer à célébrer ici la bande dessinée, un genre de littérature un peu décrié, certes mineur, mais pas nul, et même parfois admirable. Oui, ça peut arriver. Ce sera cette fois à travers la revue (A suivre) (1978-1997), et plus particulièrement à travers quelques planches que je persiste à trouver dignes d'intérêt.

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N°1. Auclair n'a pas fait que Simon du fleuve. On est à l'époque du retour à la terre, de l'âge baba-cool, de l'antinucléaire et du repli (rebaptisé "revendication") régionaliste (l'auteur rappelle la sommation : "Défense de parler breton et de cracher par terre") parfois guerrier. Bran Ruz (ci-dessus), c'est le retour de l'âge celtique dans la modernité, et du breton-langue-vivante. Bilal, dans Le Vaisseau de pierre, en faisait autant. Dans les deux cas, esthétiquement, c'est une réussite. Je ne parle pas de l'idéologie.

Nul ne peut affirmer qu’il aime LA musique. Certains me font bien rire quand, à la question : « Qu’est-ce que tu écoutes ? », ils répondent crânement : « Toutes les musiques ! ». De deux choses l’une : ils mentent, ou ce sont des ignorants pur sucre. Je penche pour la deuxième hypothèse, renforcée par l'arrogance de ceux qui croient que le monde est né en même temps qu'eux.

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N°6-7. Jean-Claude Claeys, qui travaille d'après photo, fait des merveilles avec Marlène Dietrich, Humphrey Bogart, le corps des femmes ou le corps des armes. C'est beau, mais est-ce de la bande dessinée ? La preuve c'est qu'il a fini par se reconvertir dans l'illustration pour la couverture des romans noirs et policiers.

Il faut m’y résigner : il y a les musiques que j’écoute, et puis il y a toutes les autres, celles qui ne me disent rien, m’indiffèrent, m’horripilent ou me cassent les oreilles. Et puis celles que je n’entendrai jamais. 

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N°4. Ferrandez. Simplement estimable. Ici une histoire de malédiction dynastique : il y a de la tragédie, et même de l'égorgement dans l'air.

Pour la BD, c’est du pareil au même : il y a celles que je relis, et puis celles que je n’aurais pas même l’idée d’ouvrir. Donc je n’aime pas LA bande dessinée. Car ce "LA" n'existe pas plus dans la musique que dans la bande dessinée (et dans beaucoup d'autres domaines, je le crains).

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N°26.Violeff. Pas mon préféré, mais des mimiques faciales à la Buster Keaton, qui introduisent une distance avec le cynisme et la violence de l'histoire, et des planches finalement très équilibrées.

Cela dépend des auteurs, des volumes, des époques, des humeurs. Et rares sont les auteurs dont j’apprécie tout le travail. Rien que de très ordinaire.

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N°29. Tito. Ça se passe, je crois, en Espagne. Visez un peu l'amour et la dévotion avec lesquels Tito a dessiné le visage de sa grand-mère (il faut que ce soit elle), en haut à droite de la planche. Et puis ce bras, simplement posé ... j'en ai connu un pareil.

J’ai récemment rouvert de vieux Charlie mensuel : il y a beaucoup de déchet. Et puis je rouvre (A suivre) : même constat, il n’y a pas de raison. Mais en pire : on passe des "Trente Glorieuses", finalement jouissives, aux débordements ultralibéraux de l'ère Reagan-Thatcher, qui serrent le cou du destin du monde pour qu'il avoue dans quelle cachette il a déposé le trésor de l'humanité, afin de faire main basse sur celui-ci.

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N°34. Ted Benoit. Ça se trouve au début, je crois, de Berceuse électrique, une histoire que je trouve encore très lisible. Une histoire un peu vaseuse ("Akasidi Akasodo"), où les personnages ont une existence flottante sur le plan romanesque (on ne sait jamais dans quel état ils errent !), mais une existence somme toute assez dense.

Entre Charlie et A suivre, il y a en effet un énorme fossé : dans Charlie, Wolinski, entouré de sa bande de potes (Cabu, avec Catherine, Reiser avec La vie au grand air, …), voulait faire connaître ses BD de prédilection, souvent les américaines de la grande époque (Dick Tracy, Peanuts, Krazy Kat, …), mais aussi donner leur chance à quelques-uns. En tout, un artisanat d’amateurs au meilleur sens du mot.

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N°3. François Schuitten. Je n'ai jamais pu arriver au bout de son histoire (La Terre creuse), mais admirez un peu le trait que trace le monsieur, CLERGUE 51 2.jpgqui me fait évidemment penser à certaines photos de Lucien Clergue (la série des "nus zébrés", ci-contre).

Par rapport à Charlie, A suivre change d’échelle et d'univers, parce qu’on a de l’ambition, et qu’on croit à l’ouverture d’un véritable « marché », sur un « créneau » très prometteur. A suivre est une entreprise, à tous les sens (modernes) du mot. Efficace (dans un sens) et haïssable (dans un autre). C'est du professionnalisme pur et dur.

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N°15. Munoz. Avec Sampayo, il a fait Alack Sinner, Le Bar à Joe, ... On essaie de copier les effets du cinéma. Une utilisation impressionnante du noir et blanc.

On entre dans la phase industrielle de la production de BD. La phase détestable, qui fait passer le nombre des publications de cent cinquante par an à dix fois plus. La BD devient une machine économique. Ça sent la gestion prévisionnelle, et ça crache. Surabondance. Engorgement. Indigestion. Hypermarché (Charlie fait vraiment "petit commerce", en comparaison).

L'amateur n'en peut plus et ne sait plus ou donner de la tête. Résultat, la segmentation en ghettos soigneusement délimités pour satisfaire chaque clientèle précise (héroïc fantasy, fantastique, space opéra, etc.). Un exemple : sur l'aviation de chasse, il y avait Tanguy et Laverdure, et puis Buck Danny (scénario de Charlier dans les deux cas, en plus). Aujourd'hui, regardez les présentoirs : ça déborde, ça fourmille de "chevaliers du ciel", actuels ou anciens.

Passer de cent cinquante albums de BD par an à mille cinq cents ! Et combien aujourd'hui ? Oui, c'est d'un vrai changement d'ère qu'il s'agit.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 25 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : PHILIPPE BERTRAND

Ce billet est suite et conséquence de ceux que j'ai commis aux dépens des pages "Sommaire" de Charlie mensuel (voir billets 19-20 juillet). Parmi les dessinateurs qui ont dessiné cette page 1 de la revue, deux ont attiré mon attention : Nicoulaud et Philippe Bertrand. Le premier a fourni à Wolinski onze dessins entre les numéros 66 et 132, le second sept entre le 72 et le 147 (au total, de juillet 1974, couverture Guido Crepax, à novembre 1981, couverture Roland Topor). En les comparant dans la durée, on constate une différence intéressante.   

N71 NICOULAUD.jpgAutant le style de Nicoulaud (ci-contre, n° 71), qui a de l'invention, des idées marrantes au demeurant, n'évolue guère (il se contente de rester lui-même ; on pourrait dire aussi qu'il n'a pas attendu Charlie pour arriver à maturité), autant on assiste, dans le cas de Philippe Bertrand, de planche en planche, à l'émergence d'une vraie personnalité picturale. L'émergence du style identifiable d'un artiste. 

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N° 72, janvier 1975. Le vulgum pecus du dessinateur branché : c'est bien fait, c'est même minutieux, mais beaucoup de gens faisaient ce genre de chose.

Je veux donc parler de l'évolution du style de Philippe Bertrand, dont j’avais adoré l’album Linda aime l’art (en fait, il y en eut deux), sophistiqué, subtil et vaguement pervers, un album au style et à la technique superbement maîtrisés.

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N° 84, janvier 1976. Ici, une "patte" commence à s'affirmer, même si c'est toujours le joyeux bazar baroque dans l'organisation.

La première planche (N° 72, janvier 1975) que Philippe Bertrand propose à Wolinski pour habiller le Sommaire de la revue Charlie mensuel (voir plus haut), pour parler franchement, appartient à la piétaille des petits soldats du courant psychédélique. Résumons : moyennement intéressant. Il sait faire, mais dans l'ensemble, pas de quoi grimper au rideau.

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N° 109, février 1978. Vient le découpage en vignettes. Un cadre, pourrait-on dire.

Son dernier "Sommaire" (enfin, d'après ce que je sais) orne le N° 147 d’avril 1981 (ce Charlie s'arrête cette année-là, au n° 152). On voit tout de suite le chemin parcouru en six ans. Ou : comment passer du chemin de tout le monde à sa voie à lui.

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N° 118, novembre 1978. Les personnages esquissent leur aspect définitif. Ils sont schématisés ("typés"), mais deviennent des individus.

Entre les deux, en six ans, Philippe Bertrand a trouvé le style de Philippe Bertrand.

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N° 134, mars 1980. La figure humaine, en mouvement, échevelée et gominée.

Philippe Bertrand s'installe en auteur. Le genre de découverte qui fait, en musique, qu’après trois secondes, vous savez que c'est du Chopin. 

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N° 136, mai 1980. Une situation complexe, mais Bertrand a trouvé son visage.

J’enrage de ne pas savoir ce que j’ai fait de Linda aime l’art. Avant d'y arriver, Philippe Bertrand a fait sept planches du "Sommaire" de Charlie mensuel. Il a visiblement beaucoup travaillé. On peut même dire : beaucoup avancé. Une histoire personnelle, dont les pages que je montre aujourd'hui permettent de rendre compte, au moins partiellement.

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N° 147, avril 1981. Là, on est installé dans la façon de faire de Linda aime l'art.

L'histoire de l’évolution d’un artiste qui chemine vers lui-même et qui finit par y arriver, pour signer un travail entre tous reconnaissable. 

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Charlie mensuel 2ème série, n° 15 (juin 1983) : Philippe Bertrand a vraiment trouvé sa manière. Je n'y peux rien : c'est juste beau. Il y a tout : le dessin, la surface, les couleurs. Accessoirement, l'allusion à L'Affaire Tournesol ou à L'Oreille cassée.

 

Alors chapeau ! Merci Philippe Bertrand. Merci Wolinski. Merci Charlie mensuel.

Voilà ce que je dis, moi.