mardi, 28 juillet 2015
BD : REISER ET LA BOUFFE
Pour achever mon petit retour sur mes "années BD", je ferai aujourd'hui un petit détour hors de la BD proprement dite, pour montrer un aspect rare du travail de Jean-Marc Reiser : illustrateur. Et plus précisément autour de l'activité humaine qui consiste à manger.
A partir du n°60 (janvier 1974), Charlie mensuel publie une chronique gastronomique, que Wolinski, dans son éditorial, présente ainsi : « On peut se passer de lire des petits Mickeys mais pas de bouffer. Et les choses dont on ne peut pas se passer sont des sujets aussi intéressants que les autres. Lisez "La chronique de Cucullus", écrite par le mystérieux auteur de "Méchamment Rock" dans Charlie-Hebdo, l’hebdomadaire qui se serait appelé Prosper-Hebdo si Charlie s’était appelé Prosper ».
Pour savoir qui est le mystérieux Cucullus en question, alias Méchamment Rock, il faut consulter la notice d’un nommé Pierre Lattès dans l’encyclopédie en ligne. On y apprend qu’il a beaucoup œuvré dans les médias, dans tout ce qui tourne autour de la musique, je dirai même la musique « branchée » (le Pop-club de José Artur, Radio-Nova, ...), je veux dire « jeune », celle qui fait la part belle au décibel et au boum-boum. Je ne dis pas ça pour critiquer. Et je ne ferai à personne l'injure de commenter le pseudonyme "Cucullus" qui, comme son nom l'indique, est légèrement cucul (pour faire "branché" ?).
Les chroniques de Pierre Lattès ne se contentent pas de procurer des recettes : l’auteur enrobe ça dans une sorte de « philosophie de la vie ordinaire bien comprise », parfois bavarde, mais à laquelle je n'ai aucun argument valable à opposer. Et pour fêter son arrivée dans la revue, il ne se contente pas de révéler comment il faut préparer le « Pâté de Soja en Cervelle », il commence par demander qu’on lui dessine un joli frontispice, sans doute pour mettre en appétit.
Et il ne demande pas ça à n’importe qui, mais à Reiser en personne, à qui on peut faire confiance pour tout ce qui peut donner envie de mettre en appétit (Gros dégueulasse, Jeanine, …). C'est d'ailleurs curieux, car la bouffe ne figure pas dans les thèmes prioritaires de Reiser : il donne plus souvent dans la politique, le sexe et le pipi-caca que dans la mangeaille en général, et la gastronomie en particulier. Les exemples sont rares (en voir quelques-uns le long de ce billet).
Le Gargantua porcin (ou bovin) qui est assis (remplacez-le par Grandgousier ou Pantagruel, le papa ou le fiston, c’est la même chose), à en juger par ce qui reste sur la nappe, doit en être au douzième plat. Le message est clair : « A table ! ». Au surplus, pour cette première apparition, le dessin s'étale avec gourmandise sur une confortable surface de la page. Il sera ensuite réduit à de plus sages proportions, voire à la portion congrue.
Pour le « Pâté de Soja en Cervelle », je n’insisterai pas : la recette est terriblement compliquée et pleine de chinoiseries (mes spécialités sont beaucoup plus "cuisine de famille"). Pas étonnant, on est en Chine, et c’est « une des recettes favorites de feu l’impératrice douairière ». Elle pouvait se le permettre, car elle ne manquait pas de personnel : « Soit trois cents chefs, cuisiniers et marmitons. Pour six personnes ».
La démocratie a infligé une fière leçon à ce modèle de société : Thomas Piketty explique ça très bien dans son pavé Le Capital au XXIème siècle (je parle par antiphrase, j'espère qu'on l'aura compris : je ne suis pas encore au bout des 950 pages de ce pavé indigeste, mais éclairant). Et la cuisine démocratique y a énormément gagné.
Sur la cuisine chinoise en général, je citerai juste ce passage, qui me semble bourré de bon sens : « Comme dans l’ancienne cuisine française, le cuisinier chinois a toujours à sa disposition un certain nombre d’ingrédients de base dans lesquels il puise librement, et qui ont le défaut d’être eux-mêmes longs à préparer ». Bah, on se dira qu’il suffit d'avoir trois cents marmitons à son service, ça ira tout de suite plus vite.
Ce billet était juste un prétexte, à l’occasion d’une replongée dans Charlie mensuel, pour rendre hommage à Jean-Marc Reiser, et au frontispice, crade et magnifique comme il se doit, qu’il avait dessiné pour Pierre Lattès, alias Cucullus.
Allez, on n'a pas que ça à faire : à table ! Bon appétit !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE, LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, reiser, jean-marc reiser, charlie hebdo, charlie mensule, la chronique de cucullus, pierre lattès, méchamment rock, josé artur pop-club, radio nova, wolinskipetits mickeys, grandgousier, gargantua, pantagruel, gros dégueulasse, jeanine reiser, thomas piketty, le capital au 21è siècle, cuisine chinoise
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